Le Délit - Édition du 27 septembre 2023

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Édition Spéciale Dépendances, addictions et obsessions

Mercredi 27 septembre 2023 | Volume 114 Numéro 04 On nous fout dehors depuis 1977.
Le Délit est situé en territoire Kanien’kehá:ka non cédé. Publié par la Société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill

Entre minimisation et diabolisation de la dépendance

Cette semaine, Le Délit vous propose une édition spéciale sur les dépendances, les addictions et les obsessions. Le concept d’addiction entretient un sens très proche avec celui de dépendance, « le premier étant généralement défini par le second » selon la Banque de dépannage linguistique. Le phénomène d’obsession doit cependant en être distinct, même s’il peut être corrélé avec certaines formes de dépendance. Comment rendre compte des spécificités de chacune de ces conditions, sans pour autant les réduire à des catégories médicales ou sous-estimer la souffrance des personnes qui les vivent? Voici un petit guide non exhaustif pour mieux s’y retrouver à travers les notions de troubles addictifs ou obsessionnels.

L’obsession n’est pas une addiction

L’obsession consiste en des idées ou des images, notamment sous forme d’angoisses et de peurs irrationnelles, qui se manifestent à l’esprit de manière persistante. Il faut encore la distinguer du trouble obsessionnel compulsif (TOC), qui amène les personnes atteintes à concrétiser leurs obsessions à travers des actes (lavage des mains excessif par peur de contamination, par exemple).

Les comportements compulsifs peuvent s’apparenter à des addictions par leur difficulté à être contrôlés ou à leur mettre fin. Or, ces deux notions sont foncièrement différentes, et il peut très bien avoir présence de l’une en l’absence de l’autre. Les compulsions peuvent être neutres ou déplaisantes, alors que « la dépendance implique des substances ou des comportements qui offrent une récompense. Ils peuvent procurer du plaisir, de l’excitation ou de l’évasion. Bien qu’ils puissent être nocifs dans l’ensemble, l’activité elle-même reste agréable, même si ce n’est que temporairement », comme nous l’explique un article scientifique paru dans MedicalNewsToday

La dépendance se manifeste donc le plus souvent à travers le besoin irrépressible de consommer une substance (alcool, tabac, drogue). L’Organisation mondiale de la santé (OMS) la décrit comme « un état psychique et parfois physique, résultant de l’interaction entre un organisme vivant et un produit, caractérisé par des réponses comportementales ou autres qui comportent toujours une compulsion à prendre le produit de façon régulière ou périodique pour ressentir ses effets psychiques et parfois éviter l’inconfort de son absence ».

Et si la dépendance pouvait être positive?

La définition de l’OMS a peut-être pour seul défaut d’omettre que la dépendance peut se manifester aussi à travers l’accomplissement d’une activité.

Il est donc possible d’envisager cette notion non plus seulement en fonction du degré de nocivité des substances ingérées. Le phénomène des « addictions positives », rendu populaire par le psychiatre américain William Glasser en 1976, s’intéresse à la course à pied et à la méditation comme des pratiques dont le potentiel « addictogène » contribue à créer une dépendance bénéfique pour le corps et l’esprit.

Or, même les activités physiques peuvent se révéler mauvaises lorsqu’elles sont pratiquées à l’excès. Le sport pratiqué outre mesure ne cache-t-il pas lui aussi son lot de comportements et d’habitudes malsaines qui méritent d’être élucidés?

On pourrait penser à l’apparition de troubles alimentaires liés à la poursuite obsessive du corps parfait, ou même à la tentation de consommer des stéroïdes anabolisants à usage récréatif chez les jeunes adeptes de salle de musculation.

Sur la question des activités, certaines pourraient être plus insidieuses que la dépendance aux substances. L’addiction aux jeux vidéo, dans la mesure où ses effets néfastes ne sont pas directement observables sur la santé physique du joueur, impactent plutôt sa santé mentale, sa vie sociale ou académique, et l’empêchent d’accomplir d’autres activités. C’est lorsqu’il y a un empiètement disproportionné de la sphère virtuelle sur la sphère réelle que l’usage des jeux vidéo devient problématique, selon le psychiatre et docteur en neurosciences Olivier Phan.

Demander de l’aide nécessite du courage

Il n’y a nulle prétention ici de porter un regard clinique sur les dépendances et les obsessions, qui sont des phénomènes complexes en interaction avec une foule de facteurs sociaux, mentaux, environnementaux et génétiques. Leur consacrer une édition spéciale peut toutefois sensibiliser à ces troubles qui sont parfois mal compris et mènent à l’isolement des personnes touchées.

L’identification d’une addiction et la progression à travers les étapes du sevrage sont des processus qui demandent du courage. L’accompagnement d’une personne touchée par l’un de ses troubles, du diagnostic jusqu’à son traitement, peut s’avérer crucial. Voici quelques ressources en libre accès qui peuvent être utiles :

Tel-jeunes (Région de Montréal) : 514 288-2266

Le site gouvernemental Alcochoix+ propose différentes formules d’accompagnement pour les gens touchés par une dépendance à l’alcool.

Le Centre universitaire de santé de McGill offre également des services de traitement de la dépendance aux substances : 514-934-8311 x

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Volume 114 Numéro 04
2 Éditorial le délit · mercredi 27 septembre 2023 · delitfrancais.com
Éditorial rec@delitfrancais.com
Léonard smith Rédacteur en chef

margaux thomas Éditrice Actualités

S'adapter à la vie universitaire n'est pas toujours facile. Les pressions de performance liées aux études, combinées à une nécessité de travailler pour une grande partie de la nuit, ont rendu l’utilisation de stimulants sur ordonnance tels que l'Adderall plus répandue que jamais. Le plus inquiétant est peut-être le fait que presque tous les étudiants ayant admis avoir utilisé de l’Adderall sans ordonnance ont déclaré avoir reçu ou acheté le médicament de la part d'un pair.

Connu sous d’autres noms commerciaux pharmaceutiques comme Ritalin ou Concerta, l’Adderall fait partie des psychostimulants composé d'amphétamines et de dexamphetamine. Principalement utilisé pour traiter le trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH) et la narcolepsie, l’Adderall est la plupart du temps efficace. Toutefois, il est de plus en plus utilisé sans prescription médicale, avec une augmentation de 67% en six ans aux États-Unis. C’est chez les étudiants que cette augmentation est la plus présente. Une recherche menée par l’Université Johns Hopkins en 2016 a démontré que pour l’ensemble des utilisations non médicales d’Adderall, 60 % concernaient les 18 à 25 ans, soit l’âge moyen des étudiants du cycle supérieur.

Hugo Vitrac Éditeur Actualités

Le 31 janvier dernier, l’administration de l’Université annonçait, dans un courriel envoyé à la communauté mcgilloise, la fermeture de trois pavillons du campus MacDonald à la suite de la découverte d’amiante lors de travaux. Après un nettoyage en profondeur et des analyses de la qualité de l’air, une grande partie des pavillons ont pu rouvrir fin mars.

Les critiques du temps de réaction de l'administration (les premiers avertissements de la présence d’amiante dans des matériaux endommagés sur le campus MacDonald avaient été émis en 2020), ainsi que les inquiétudes de la communauté mcgilloise face à l’exposition à l’amiante, avaient poussé l’Université à lancer un service d’audit interne pour procéder à une analyse de l’incident et de ses causes. Le rapport final de ce groupe a été remis le 14 septembre dernier.

Afin de transmettre les conclusions du rapport et de répondre aux nombreuses questions, l’administration a organisé une assemblée générale le 22 sep -

actualites@delitfrancais.com

Le cartel d’Adderall et de Ritalin

Des médicaments pour mieux réussir ses examens?

Consommation étudiante

Le Délit a rencontré des étudiants à la fois consommateurs et non consommateurs sur le campus McGill – qui ont souhaité rester anonymes – afin de comprendre pourquoi et comment ces étudiants achètent et consomment cette drogue cognitivement amélioratrice. Mina* est une ancienne étudiante de McGill de la promotion de 2022, qui n’a pas consommé de stimulant lors de sa scolarité, mais qui passait des nuits entières à étudier dans les bibliothèques de McGill. C’est ainsi qu’elle s’est rendu compte de l’ampleur de la consommation d’Adderall et d'autres substances. Mina désigne en particulier « le sous-sol de la cyberthèque à Redpath » de même que « le cinquième et le sixième étage de la librairie McLennan » comme étant des lieux propices à l’échange et à la consommation d’Adderall. Avec des gélules qui ressemblent à des médicaments lambdas, les transactions se font sans même devoir se cacher, à la vue potentielle des caméras de surveillance des bibliothèques.

Pour en savoir plus sur l'utilisation des stimulants, Le Délit a rencontré Sophie*, une étudiante en troisième année à McGill qui considère avoir une consommation d’Adderall « très

occasionnelle » étant donné qu’elle ne souffre pas de TDAH (trouble déficitaire de l'attention avec hyperactivité). En discutant avec une de ses amies qui a le TDAH, et après s’être renseignée sur Internet sur les risques pour la santé, elle avoue avoir « un peu foncé tête baissée ».

rose chedid | Le Délit

Sophie note qu’avec le temps passé sur les écrans, soit sur un ordinateur ou sur un téléphone, elle ressent ses capacités de concentration et d’attention plus limitées. C’est pourquoi elle a décidé d’essayer afin de voir à quel point ça impacterait sa capacité de concentration et sa productivité, « mais en me disant que ce serait probablement la première et

dernière fois que j’en prenais ». Mais Sophie a décidé d’en reprendre pendant les examens finaux de la session d’automne 2022. Les effets lui ont semblé être immédiats et très utiles : « J'arrivais à rester concentrée pendant quatre heures, comme si j’étais dans une bulle et que rien autour de

moi ne m'atteignait. » Puis, pendant la session des examens finaux d’hiver 2023, elle prenait un comprimé par jour en moyenne.

Sophie souligne que sa consommation se limite à la période d’examens finaux, et elle compte bien faire en sorte que ça n’aille pas plus loin : « Je ne veux pas avoir mon diplôme grâce

Pollution à l’amiante

Le Délit s’est entretenu avec Fabrice Labeau.

ment une meilleure intégration des communications entre les différents intervenants lors des projets de construction impliquant des substances dangereuses, une stricte limitation de l’accès au chantier aux participants à la construction, ainsi qu’une révision de la forme et de la fréquence du processus de communication avec la communauté touchée.

à un médoc. » Son objectif est de diminuer sa consommation pendant la session d’examens qui s’en vient. Toutefois, la consommation régulière d’Adderall ou de Ritalin donne l’impression de ne pas pouvoir performer et être productif sans ces substances, ce qui, pour Sophie, la pousse à en reprendre à chaque fois. Même si Sophie considère que les effets secondaires sont presque inexistants, la consommation de telles substances peut entraîner de la nervosité, de l’agitation et de l’anxiété, qui ont un impact sur les habitudes de sommeil. Les utilisateurs peuvent aussi se plaindre de maux de tête, ainsi que de problèmes de sécheresse de la bouche et de l'estomac. Pour Sophie, l’utilisation d’Adderall à McGill est définitivement très répandue, les résultats sont immédiats et « boostants », ce qui correspond exactement à ce que les étudiants recherchent. Parce que cette consommation est souvent associée à la triche, Sophie note avoir ressenti du jugement de certaines personnes lorsqu’ils apprennent qu’elle prend des amphétamines lors de ses examens.

Le Délit se dégage de toute incitation à consommer ces substances. *Noms fictifs x

la plupart des bâtiments de McGill, le groupe de travail a annoncé la suspension de tous travaux « impliquant des matériaux susceptibles de contenir de l’amiante s’ils ne savent pas s’il y en a, ou pas ».

Les risques

tembre dernier, ainsi qu’une table ronde avec les médias étudiants le mercredi 20 septembre. Lors de cette dernière, Le Délit a pu échanger avec le premier vice-principal exécutif adjoint des études et de la vie étudiante, Fabrice Labeau, en charge du dossier sur l’amiante.

Le rapport

Le Service d’audit interne, mis sur pied le 2 février dernier par l’administration mcgilloise, avait pour mandat de reconstituer la chronologie des événements, de se pencher sur le processus de gestion de l'amiante et d’y apporter les correctifs nécessaires. Dans les conclu -

sions de son rapport, le service d’audit interne indique que la cause de la fermeture des pavillons, et les risques d'exposition de la communauté à l’amiante, ne peuvent pas être attribués à un élément unique, mais plutôt à une multitude de facteurs. Parmi ceux-ci, le rapport identifie notamment la cohabitation entre les étudiants, les membres de la faculté et les travailleurs du chantier, ainsi que l’« efficacité limitée des mécanismes et des protocoles de communication utilisés pour relayer et répondre aux préoccupations des occupants des espaces concernant la poussière ». Il formule ensuite 25 recommandations afin d’améliorer le processus de gestion de l’amiante de l’Université. Ces dernières prévoient notam-

Un groupe de travail spécial composé de trois membres de l'administration mcgilloise, dont Fabrice Labeau, a été formé pour veiller à la mise en œuvre rapide de ces 25 recommandations. Interrogé sur l’échéancier, Pr Labeau nous a confié : « On va commencer les 25 recommandations en parallèle, pour s'assurer qu'on a le temps de tout faire et que ça rencontre tous nos critères d'approbation, sachant que notre capacité d'agir sur chacune des recommandations sera modulée dans le temps. Nous présenterons un rapport d'avancement au bout de 3, 6 et 12 mois, ce qui constitue réellement nos étapes à court, moyen et long terme pour la mise en œuvre des recommandations.(tdlr) »

Alors que l’amiante est présente sous différentes formes dans

Selon une étude de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), « toutes les formes d’amiante peuvent provoquer le cancer et aucun seuil n’a été mis en évidence pour le risque cancérigène ». Interrogé sur les dangers pour la communauté mcgilloise quant à l’exposition à l’amiante et quant au seuil utilisé par l’Université, Mr Labeau nous a affirmé : « Ce que nous faisons, c'est que nous suivons le code provincial qui limite la présence de fibres dans l'air. [...] Les tests qu’on a fait au campus MacDonald, pendant la construction, pendant la fermeture, et depuis l'ouverture ont tous été négatifs pour l’amiante. [...] Je comprends l'idée qu'il n'y ait pas de seuil de sécurité, mais il faut aussi se rendre compte qu'il y a en fait une présence de fond de ces types de matériaux, y compris l'amiante, dans l'air que l'on respire autour de Montréal. » x

3 Actualités le délit · mercredi 27 septembre 2023 · delitfrancais.com
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clément

La dépendance affective : un mal invisible ?

Le Délit s’est entretenu avec la psychologue Emmanuelle Roy.

Dépendance rime toujours avec alcool, drogues, écrans ou jeux vidéo pour la plupart d’entre nous. Les conséquences néfastes et facilement identifiables de ces dépendances préocuppent avec raison. Pourtant, il existe aussi des dépendances plus subtiles, parfois plus vicieuses, telle que la dépendance affective, à laquelle Le Délit s’est intéressée. Qui ne s’est jamais senti « accro » à son amoureux ou à ses amis, à la recherche d’attention ou de validation? Ce type de dépendance est moins mis en avant et pourtant tout aussi présent dans notre société.

La dépendance affective apparaît lorsque l’estime de soi d’une personne est entièrement tributaire du regard de l’autre, notamment de l’attention et de la validation d’autrui. D’une manière plus concrète, on peut décrire cette dépendance comme étant la recherche constante de validation et d’attention d’une personne spécifique, tant amoureuse qu’amicale, afin de se sentir comblé et épanoui. La dépendance affective n’est pas une chose qui touche un individu à des moments spécifiques, mais bien quelque chose qui s’accumule et qui s’incorpore dans la vie quotidienne, ce qui rend la réalisation de son existence très difficile.

Cette semaine, Le Délit a pu s’entretenir avec la psychologue Emmanuelle Roy, pour en apprendre plus sur la dépendance affective. À la suite de l’obtention d’un doctorat en psychologie, docteure Roy a travaillé à Tel-jeunes pendant 10 ans, puis a enseigné des cours sur la psychologie de la sexualité au collégial, où le sujet de dépendance affective était abordé.

Le Délit (LD) : Comment se définit, selon vous, la dépendance affective et émotionnelle?

Emmanuelle Roy (ER) : Le terme dépendance affective est davantage utilisé que dépendance émotionnelle. On la décrit comme une relation addictive, compulsive et envahissante qu’une personne peut avoir avec une autre personne.

LD : Selon vous, la dépendance affective est-elle un concept scientifique reconnu dans le domaine de la psychologie?

ER : La dépendance affective ne fait pas partie de troubles officiellement reconnus dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, et des troubles psychiatriques . Par contre, il s’agit d’une problématique reconnue par les psychologues. Si cette dépendance ne peut être traitée par une médication, elle peut cependant l’être lors d’une thérapie en accompagnant la personne dans le développement de son autonomie et de son estime de soi.

LD : Comment se manifeste, selon vous, la dépendance affective auprès des personnes visées?

tenaire. La personne est soumise et laisse l’autre prendre les décisions. Elle a de grands besoins d’intimité et de rapprochement, et d’être rassurée sur l’amour de l’autre qu’elle craint de perdre.

La troisième variable est relationnelle, donc comment l’individu perçoit sa relation. La plus courante est la relation fusionnelle, dans laquelle la personne a le besoin constant d’être en présence de son ou sa partenaire. Par exemple, elle va se priver de voir ses amis pour passer le plus de temps possible avec son partenaire. La dépendance affective peut aussi s’observer par

prend ses distances, plus la personne a peur de le perdre et redouble d’efforts pour le séduire…

LD : Y-a-t-il à des théories qui expliquent les facteurs qui pourraient générer de la dépendance affective chez quelqu’un? Par exemple, le manque d’attention de ses parents dans son enfance?

élevée et ses besoins d’intimité et de rapprochement le seront aussi.

Comment traiter cette dépendance imperceptible?

Aujourd’hui, notre société a beaucoup évolué et a adopté une plus grande ouverture d’esprit et une meilleure sensibilisation à cette dépendance souvent invisibilisée. Grâce à cette conscientisation accrue, plusieurs solutions et ressources sont disponibles afin de venir en aide aux personnes atteintes de cette dépendance.

Comme la psychologue Roy nous en a fait part, la dépendance affective peut être traitée avec l’aide d’un psychologue qui accompagne l’individu en question dans le développement de son autonomie et de son estime de soi. De plus, le Service de santé et psychologie de l’Université de Moncton offre des pistes de solutions dans le but de vaincre la dépendance affective. Celui-ci affirme que d’apprendre à s’affirmer sur ses propres opinions ainsi que faire des activités seuls est essentiel. En effet, mettre de l’avant sa propre personne et prioriser son bien-être permet d’apprendre à chaque individu souffrant de dépendance affective à mieux se connaître et s’aimer.

ER : La dépendance affective se manifeste le plus souvent dans les relations de couple et il est possible de l’observer dans trois types de variables. La première variable est individuelle, donc comment la personne se perçoit. La personne dépendante a de la difficulté à se sécuriser et à être autonome, en plus d’avoir souvent une faible estime d’elle-même. Elle se dévalorise régulièrement en se sous-estimant.

La deuxième variable est liée à l’autre, donc la façon dont la personne perçoit son ou sa par-

des relations passionnelles ou encore, par de la drague compulsive ou des relations impossibles (par exemple, avec des gens déjà engagés dans une autre relation). Cela entraîne souvent du stress pour la personne, mais de la souffrance aussi, en plus d’avoir des répercussions négatives sur le couple. Il n’est alors pas rare qu’on se retrouve devant un cercle vicieux : les tactiques de séduction de la personne dépendante pour se rapprocher de son partenaire finissent par étouffer le besoin d’autonomie de ce dernier et par le faire fuir. Plus le partenaire a besoin d’air et

ER : La théorie de l’attachement de Bowlby est celle qui explique le mieux pourquoi certaines personnes vont être plus dépendantes que d’autres dans leur relation de couple. Selon cette théorie, dès sa naissance, la relation que le parent établira avec son enfant aura des impacts sur l’attachement de ce dernier et sur sa façon de développer ses relations avec les gens tout au long de sa vie. Si l’enfant se sent en sécurité avec un parent qui répond à ses besoins, il sera en confiance pour explorer le monde autour de lui. Il développera alors une conception positive du monde et des autres, et il aura une meilleure estime de soi.

Ce type d’attachement est nommé sécurisant. Lorsqu’une personne est dépendante affective, c’est généralement parce qu’elle a un attachement de type anxieux-ambivalent. Ce type d’attachement se manifeste principalement quand une personne a eu une enfance gravée par une inconsistance de comportements de la part de ses parents, qui alternent entre des comportements intrusifs et attentifs. Cela se transformera en un attachement préoccupé à l’âge adulte. Son anxiété d’abandon sera

La dépendance affective s’imprègne dans la vie de plusieurs personnes qui la confondent pour de l’amour simple et intense. Les relations amoureuses et amicales servent à porter compagnie à autrui, à se supporter et à se rendre confiant. Hélas, les fondations de la confiance en soi ne doivent pas dépendre d’une autre personne, car être bien avec soi-même et se mettre de l’avant se fait seul, et non par l’aide d’autrui. Il est facile de tomber dans le piège de la validation abondante des autres, mais il est important de toujours prioriser sa propre personne et d’être alertes aux signes de la dépendance affective, et de consulter un psychologue au besoin ou d’en parler avec un proche si vous en souffrez.

Vous pouvez vous renseigner au sujet de la dépendance affective sur les sites des Dépendants Affectifs du Québec (DAA) et de Tel-jeunes ainsi que consulter un professionnel de la santé afin d’obtenir de l’aide. x

campus actualités le délit · mercredi 27 septembre 2023 · delitfrancais.com
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clément veysset | Le dÉlit
« La personne dépendante a de la difficulté à se sécuriser et à être autonome, en plus d’avoir souvent une faible estime d’elle-même »
layla lamrani ema sédillot-daniel Coordinatrices Réseaux sociaux

Un face à face tendu à Montréal

L’identité de genre et la sexualité au cœur des débats sur l’éducation.

Mercredi 20 septembre, sur l’avenue McGill College, une manifestation et une contre-manifestation de plusieurs milliers de personnes se sont opposées toute la matinée au sujet de l’enseignement de l’identité de genre à l’école et sur les droits LGBTQ+. La manifestation a été organisée par le groupe 1 Million March 4 Children, qui a parallèlement organisé de nombreuses autres manifestations dans tout le Canada, notamment dans les grandes villes comme Edmonton, Whitehorse, Calgary ou encore Vancouver. Le but du mouvement était de protester contre l’enseignement de l’idéologie de genre dans les écoles canadiennes, et « préconiser l’élimination de l’OSIG (Orientation Sexuelle et Identité de Genre) ainsi que les pronoms associés et l’idéologie de genres et toilettes mixtes dans les écoles  ». Ces manifestations ont été fortement critiquées et de nombreuses contre-manifestations se sont organisées pour s’y opposer. Entre autres, face à un tel rassemblement devant les portes de l’Université, la communautée mcgilloise s’est mobilisée : le collectif Queer Mcgill a organisé une contre-manifestation, réunissant l’ensemble de la communauté trans, la communauté LGBTQ+ et autres alliés de Montréal. L’Association étudiante de l’Université McGill, quant à elle, a envoyé un communiqué la veille, le mardi 19 septembre, pour réitérer son soutien envers la contre-manifestation, et condamner le mouvement qu’elle a qualifié d’ « anti-2SLGBTQ+ ».

Les contre-manifestants

La contre-manifestation a débuté dès huit heures du matin. Une centaine de personnes se sont retrouvées devant le portail Roddick de l’Université McGill. Autour d’un café chaud, les premiers orateurs ont pris le micro pour s’exprimer sur l’importance de s’opposer à une telle manifestation. Parmi les orateurs, Le Délit a pu s’entretenir avec Nola Baggio, étudiante en cinéma à Concordia. Elle nous a notamment expliqué qu’il était important d’avoir une présence physique « surtout pour montrer aux jeunes LGBT qu’ils ne sont pas seuls [...], qu’il y a beaucoup de gens qui les supportent, et qui pensent que ça vaut la peine de défendre ces droits-là ». Elle soutient l’éducation de l’idéologie de genre à l’école car elle considère que « c’est important, justement, de vivre dans un monde [...] où toutes ces options-là sont mises sur la table, sont clairement affichées ». Très rapidement dans la matinée, le petit groupe d’individus s’est élargi et a débordé sur la rue Sherbrooke,

menant les forces de police à fermer la rue pour le restant de la matinée. Aux alentours de 9 heures, alors que la manifestation du groupe 1 Million March 4 Children devait débuter, seul un petit nombre de manifestants était présent. Les pre-

vraiment envahi tout le centreville ». En effet, la foule de manifestants, comprenant d’ailleurs beaucoup d’enfants, s’est répandue sur tout le croisement entre l’avenue McGill College et l’avenue du Président-Kennedy.

c’est beaucoup plus profond que la peur de l’éducation. C’est une peur que leurs enfants soient LGBT, parce qu’ils ont peur des gens LGBT. Ils les détestent ».

Réponses des politiques

miers chants ont alors commencé à être scandés par les plusieurs centaines de contre-manifestants réunis. En l’occurrence, les slogans « Fascists Go Home », « Tout le monde déteste les fascistes » et d’autres encore, se sont succédés.

Nola nous a fait part de son ressenti : « J’étais très optimiste et positivement surprise au début, quand j’ai vu qu’il y avait beaucoup, beaucoup d’alliés, et de personnes LGBT+ qui sont venus ». Les contre-manifestants se montraient très présents pour faire face aux manifestants, dont le nombre n’a fait qu’augmenter à partir de neuf heures et demie.

Pendant près d’une heure et demie, jusqu’à 11 heures, les deux groupes se sont fait face, à seulement quelques mètres d’écart, séparés par deux rangs d’agents de police. Alors que les contre-manifestants étaient en nombre comparable aux manifestants jusqu’aux alentours de 11 heures, la tendance a ensuite semblé s’inverser. Nola nous raconte qu’ « à partir d’un moment, il y avait plus de manifestants que de contre-manifestants, ils ont

Pour Nola, « c’est définitivement choquant, ce n’était pas prévu, [...] mais la chose à laquelle je m’attendais peutêtre un peu moins, c’était la violence [verbale, ndlr ] venant des enfants du côté des manifestants. [...] Il y a une ironie complète, ces parents-là viennent manifester contre une endoctrination de leurs enfants, mais ils les emmènent à cette manifestation pour crier des injures, alors qu’ils [les enfants, ndlr ] n’ont aucune idée de quoi ils parlent ». Les motifs de la manifestation Vers 11 heures, un micro et des haut-parleurs ont été installés par le groupe de manifestants. Des orateurs ont pris la parole pour expliquer le message qu’ils portaient.

À l’écoute des discours, nous pouvions entendre des messages tels que : « Ce contre quoi nous sommes aujourd’hui, c’est le conditionnement et l’endoctrinement de nos enfants sexualisés dans les écoles » ; « Nos enfants ne se sont jamais plaints de dysphorie de genre, nos enfants se plaignent de ce qui est introduit dans leur salles

de classes » ; « Leur bien-être, leur santé mentale et leur sécurité, absolument personne ne s’occupera d’eux comme nous le faisons. »

Les manifestants considèrent que l’apprentissage de l’idéologie de genre à l’école correspond à un endoctrinement des enfants, « menant à leur confusion [identitaire, ndlr ] ». En réponse à cela, Nola nous a confié que la présence de l’idéologie de genre à l’école n’a aucun de ces buts. Elle mentionne notamment le fait qu’aujourd’hui, faire partie de la communauté LBGTQ+, « ce n’est pas facile. On ne veut pas imposer une vie qui est une vie de bataille, une vie de défense de droits, et de manifesta-

L’événement a généré de nombreuses réponses au sein de la classe politique canadienne et québécoise. Le premier ministre du Québec, François Legault, s’est exprimé sur les réseaux sociaux. Il a affirmé que « ce n’est pas comme ça qu’on débat au Québec! On est un peuple modéré. On est capable de se parler. » Il ajoute que « les insultes envers les personnes de la diversité sexuelle sont inacceptables. Et les étiquettes de “fascistes” ou de “transphobe” [...] ne sont pas plus acceptables. » Enfin, il termine son communiqué en affirmant que « c’est normal que des parents et des citoyens se posent des questions, et s’inquiètent pour leurs enfants ».

De son côté, la mairesse de Montréal Valérie Plante, a condamné « la manifestation anti-LGBTQ+ », en ajoutant que « Montréal est, et sera toujours, une métropole ouverte et bienveillante. » Mais pour Nola, « c’est difficile d’accepter ce soutien quand on regarde les actions de ces politiciens-là [...], ils ne mettent pas l’argent, ils ne mettent pas les actions. [...] C’est définitivement hypocrite lorsque la ville de Montréal investit plus que jamais dans les

tions ». Dans son message, Nola nous explique qu’elle veut juste « qu’ils [les enfants, ndlr] soient au courant, qu’ils soient capables de s’aimer comme ils méritent d’être aimés, et d’être aimés comme ils méritent d’être aimés ».

Là où les manifestants disent ne pas s’attaquer aux droits LGBTQ+ et simplement « protéger leurs enfants », Nola n’a pas cette opinion. Pour elle, « il est évident que ces personnes utilisent le droit des enfants et le droit des parents comme une facette pour exprimer leur haine complète. [...] Quand tu les vois, quand tu entends ce qu’ils disent, surtout ceux qui viennent de notre côté, qui essaient de débattre avec nous,

forces policières de la ville ». Or, ces dernières ont été ardemment critiquées par les contre-manifestants, comme Nola, qui a ajouté que les forces de police « supportaient quasiment sans le dire » les manifestants. Au cours des événements, les contre-manifestants ont aussi dénoncé le fait d’être plus fortement contenus par les policiers que ne l’était le groupe de manifestants.

Lorsque nous l’avons questionnée sur le rôle de la liberté d’expression dans ces événements, Nola a conclu l’entrevue en répondant : « Je pense qu’ils ont le droit d’exprimer leurs inquiétudes. [...] Tout comme nous. C’est juste que ça crée un climat dangereux et j’espère que les gens réalisent ça. » x

actualités le délit · mercredi 27 septembre 2023 · delitfrancais.com Campus 5
« Il est évident que ces personnes utilisent le droit des enfants et le droit des parents comme une facette pour exprimer leur haine complète »
Nola Baggio, étudiante en cinéma à Concordia Dominika grand’Maison | Le délit Vincent Maraval Éditeur Actualités
« Ce n’est pas comme ça qu’on débat au Québec! On est un peuple modéré. On est capable de se parler »
François Legault

ENQUÊTE

Jouer toujours et encore plus

Comprendre les dynamiques d’addictions aux jeux vidéo.

Clément Veysset | Le dÉlit

L’avènement de l’ère numérique a bouleversé les dynamiques sociales, économiques et culturelles qui régissaient précédemment la civilisation humaine. La percée du monde virtuel dans les sphères publique et privée a provoqué une restructuration de nos relations interpersonnelles, de notre façon de travailler, de consommer, mais aussi de se divertir. C’est sur ce dernier point que nous aimerions nous pencher. En effet, le monde du numérique, depuis son invention, nous offre différentes formes de divertissement, mais ces dernières années, le succès d’un d’entre eux a été particulièrement retentissant : le jeu vidéo.

Bien que disponibles depuis une cinquantaine d’années déjà, les jeux vidéo sont devenus au fil du temps un phénomène gagnant une popularité impressionnante auprès des jeunes. Au Canada, les jeux vidéo se sont imposés comme un moyen de divertissement majeur : selon une étude de l’Association canadienne du logiciel de divertissement (ALD) réalisée en 2022, 53% des Canadien·ne·s jouent régulièrement, et ce, pendant presque huit heures par semaine en moyenne. Ceci étant dit, certain·e·s y jouent de façon plus importante, à un niveau qui peut devenir inquiétant. Le Délit a tenté de démystifier ce que cela signifie d’être addict aux jeux vidéo.

Mais qu’est-ce qu’une  addiction?

Le Délit s’est entretenu avec Valérie Van Mourik, travailleuse sociale et clinicienne-chercheuse à l’Institut universitaire sur les dépendances du Centre-Sud-del’Île-de-Montréal (CIUSSS) où elle travaille sur le développement de programmes de réadaptation pour les gens souffrant de dépendance aux jeux en ligne ou à Internet. Van Mourik nous cite Aviel Goodman, un psychiatre américain, et sa définition proposée en 1990 de l’addiction : « C’est un processus dans lequel est réalisé un comportement qui peut avoir pour fonction de procurer du plaisir et de soulager un malaise intérieur et qui se caractérise par l’échec répété de son contrôle et sa persistance en dépit des conséquences négatives. » Il y a donc une dimension de jeu pathologique, mais

aussi un manque de contrôle sur la relation entre jeu et joueur. Elle ajoute que « l’obsession est l’une des dimensions de la dépendance. À cela, il faut ajouter la notion de perte de contrôle. La personne touchée doit donc avoir tenté de contrôler son comportement sans succès, et il faut que ça ait des conséquences négatives dans les différentes sphères de vie de la personne ».

Selon elle, la dépendance n’apparaît pas du jour au lendemain : c’est un phénomène graduel. « On passe d’un usage à faible risque à un usage à risques, puis à un usage problématique. La majorité des gens ont un usage à faible risque, mais une minorité de personnes qui développent un usage problématique nécessitent de consulter dans un centre de réadaptation. »

Van Mourik nous indique que « la première étude sur le phénomène de la dépendance à Internet a été faite en 1996 par la docteure Kimberly Young, qui a présenté des critères diagnostiques [pour l’addiction aux jeux vidéos, ndlr] calqués sur ceux du trouble de jeu de hasard et d’argent. Dès l’essor de l’utilisation d’Internet, certaines personnes ont commencé à demander de l’aide pour des difficultés associées à leur usage des jeux, et ainsi la communauté scientifique s’est intéressée à ce phénomène. La première reconnaissance officielle du trouble du jeu vidéo a eu lieu en 2013 avec

le DSM 5 (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux), qui a inscrit ce diagnostic en annexe afin que les recherches puissent se poursuivre avec des critères diagnostiques communs. Ensuite en 2018, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a inscrit le trouble du jeu vidéo dans le CIM-11 (la classification internationale des maladies) ». La reconnaissance par la communauté scientifique du trouble de dépendance aux jeux vidéo est donc récente et « il n’y a pas encore de critères diagnostiques ou de consensus en ce sens », explique Van Mourik.

Dynamiques d’âge et de genre dans le jeu vidéo

Selon l’étude de l’ALD, le phénomène vidéoludique serait régi par une dynamique d’âge et de genre : alors que chez les hommes, la tranche d’âge qui joue le plus sont les adolescents âgés de 13 à 17 ans, à raison de 11,5 heures par semaine, chez les femmes, ce sont les 55-64 ans qui sont les plus actives et jouent en moyenne 8,4 heures par semaine.

Pourtant, Van Mourik soutient que « tout le monde peut être à risque de développer un usage problématique des jeux vidéo. Toutefois, si on regarde en clinique, on observe que les garçons sont surreprésentés parmi les gens qui demandent de l’aide en centre de réadaptation en dépendance ». Elle maintient qu’on doit se

avoir eu recours au jeu pour s’évader, afin de mieux supporter cette période difficile.

Ceci étant dit, Van Mourik nous explique que les jeux vidéo ont une tendance addictive, non seulement parce qu’ils ont la capacité de soulager ou de divertir, mais aussi parce que le cerveau enregistre l’association entre le jeu et ses qualités. « En effet, les jeux stimulent le circuit de la récompense qui libère de la dopamine dans le cerveau, un neurotransmetteur associé au plaisir. On joue de plus en plus souvent, et ça devient une habitude, qui, graduellement, peut devenir une dépendance. Notre cerveau devient très sensible à la stimulation du système de la récompense et il n’arrive plus à freiner ou à changer les comportements qui sont devenus conditionnés. Donc, l’envie d’aller jouer est de plus en plus forte et fréquente, et la personne touchée a de plus en plus de difficultés à contrôler ce comportement. »

pencher sur les multiples facteurs qui peuvent influencer cette tendance : « Les caractéristiques de certains jeux favorisent leur utilisation accrue : renforcements constants et/ou irréguliers et imprévisibles ; socialisation et collaboration entre joueurs ; personnalisation des offres et des récompenses dans le jeu qui favorisent l’habitude de se connecter, évolution dans un milieu peu encadré, de vivre dans un contexte marqué par l’instabilité, le manque de communication ou les conflits et avoir de la difficulté à gérer ses émotions, son anxiété, ou à aller chercher de l’aide. Ça peut venir d’une recherche d’intensité et/ou d’une faible tolérance à l’ennui, ou même d’être fragilisé par de l’isolement social, par une rupture amoureuse, un décès, des difficultés vécues dans le passé, des traumatismes, abus, etc. »

COVID-19 : incubateur de l’addiction aux jeux vidéo

Par ailleurs, la pandémie de COVID-19 a propulsé les bénéfices de l’industrie du jeu vidéo, avec une augmentation drastique du nombre de joueurs qui se trouvaient soudainement avec plus temps à tuer. Une étude publiée en 2022 en France démontre que durant la pandémie, « une très grande majorité, pour ne pas dire la quasi-totalité des participants, rapporte une augmentation moyenne ou forte de leur fréquence d’usage des jeux vidéo ». La majorité des personnes concernées disaient

Elle rappelle aussi que « parmi les profils de joueurs problématiques, plusieurs recherchent l’évasion face aux émotions perçues comme étant négatives, aux événements de vie difficile ou aux traumatismes. Il est donc important en clinique de travailler sur le fait de tolérer ses émotions au lieu de chercher à les fuir, puisque cette acceptation permettra plus facilement d’agir, si cela est possible, sur les déclencheurs de cette émotion ». On peut donc s’imaginer que durant la pandémie, plusieurs ont vécu le confinement, l’isolement et le deuil comme des formes de traumatisme, qui ont pu mener des jeunes à se tourner vers les jeux vidéo comme une échappatoire.

Il semble donc important de maintenir une perspective nuancée sur les jeux : bien qu’ils puissent être la source de plaisir pour plusieurs, ils peuvent aussi être au cœur de problèmes bien plus profonds et devenir le déclencheur de comportements obsessionnels, ou même d’une dépendance.

Un concepteur de jeux vidéo mitigé

Le Délit a aussi rencontré Ewen*, un concepteur de jeux vidéo pour un grand éditeur de jeux au succès international. Son rôle est « de mettre en place ce qu’on appelle des features , des systèmes dans le jeu pour travailler sur la rétention et la monétisation ».

SOciété le délit · mercredi 27 septembre 2023
delitfrancais.com
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Société societe@delitfrancais.com
Jeanne marengère
Éditrice Opinion
titouan paux Éditeur Enquête
« On joue de plus en plus souvent, et ça devient une habitude, qui, graduellement, peut devenir une dépendance »
Valérie Van Mourik, travailleuse sociale et clinicienne-chercheuse à l’Institut universitaire sur les dépendances

Interrogé sur le potentiel de dépendance associé aux jeux vidéo, il explique premièrement l’importance de l’évolution des modèles commerciaux au sein de l’industrie : « Il y a l’approche plus traditionnelle, et l’approche moderne des jeux free-to-play , sur lesquels je travaille. Là, le but, ça va être de faire de l’argent et de retenir le joueur. Or, au début, le marché ne s’est pas structuré comme ça. À l’origine, sur les premières consoles, c’était des jeux qui étaient finis. L’idée, c’était de vendre une expérience sur un temps donné. Là, on n’est plus dans ces modèles-là. »

Aujourd’hui, le modèle dominant est celui des free-to-play , dont l’objectif est de ratisser toute la masse en offrant un jeu gratuit, comportant des mécanismes d’engagement pour que les joueurs restent connectés le plus longtemps possible.

« PC, console ou mobile, ce n’est pas la même chose. Le PC, il faut avoir du temps disponible pour y jouer. Ça, c’est un facteur. Le mobile, on l’a directement dans la poche. On peut ouvrir des sessions n’importe quand »

Ewen considère que les mécanismes d’addiction dépendent de deux facteurs. Le premier est, comme expliqué ci-dessus, le type de jeu. Il explique : « Les jeux premium [ou payants, ndlr ] auront moins de mécaniques de dépendance, puisqu’on sait qu’on achète une histoire qui va d’un point A à un point B, et puis c’est tout. Après, il y aura toujours des extensions, mais l’idée fondatrice reste la même. Cependant, avec du freeto-play , le but, c’est de garder le joueur actif le plus longtemps possible. Effectivement, ça peut rapidement devenir une drogue. Les free-to-pla y, selon moi, favorisent vraiment le développement d’addictions. »

De plus, il explique que la plateforme de jeu a également son rôle à jouer : « PC, console ou mobile, ce n’est pas la même chose. Le PC, il faut avoir du temps disponible pour y jouer. Ça, c’est un facteur. Le mobile, on l’a directement dans la poche. On peut ouvrir des sessions

Ewen, concepteur de jeux pour un grand éditeur vidéludique

n’importe quand. C’est ce qui est dramatique. » Ce facteur est, pour lui, déterminant, car les contraintes organisationnelles et géographiques disparaissent. Le jeu est accessible partout, tout le temps, et pour tout le monde.

Ewen connait les mécanismes d’addiction, puisqu’il les manipule lui-même au quotidien dans son travail. Il explique que les studios sont directement impliqués dans le développement d’addictions : « On va exploiter les ressorts psychologiques de la boucle d’apprentissage et de récompense. Sur mobile, on a deux ou trois minutes pour accrocher le joueur. Dans ce laps de temps, il faut qu’il comprenne les règles du jeu grâce à un tutoriel, et dans ce tutoriel-là, on va envoyer énormément de récompenses pour qu’il revienne. Une fois qu’il a compris le jeu, on peut aussi créer volontairement des mécanismes de friction. Typiquement, on peut choisir à un certain moment de stopper l’avancement du joueur, et lui proposer une offre

– parfois payante – pour faire en sorte que sa progression dans le jeu accélère. »

La dépendance : impacts et conséquences

Ewen nous confie que le jeu s’est révélé pour lui être un échappatoire. « Pendant mon adolescence, j’ai développé une addiction aux jeux compétitifs. Mon addiction était aussi liée à un contexte familial, qui a fait des jeux un refuge pour moi. Le moment où ça devient problématique est facilement reconnaissable. C’est à partir du moment où tu passes beaucoup trop de temps [sur les jeux vidéo, ndlr], que ça empiète sur tes performances professionnelles, que ça empiète sur ton entourage. C’est là que ça devient un problème. À ce moment-là, il faut chercher de  l’aide. »

Le Délit a aussi pu rencontrer Jean*, qui a été témoin de l’addiction de son colocataire lors de sa première année en résidence. « Au début du semestre, c’était

à peu près normal. Il essayait d’aller en cours, mais au bout de deux semaines, c’était fini. Je pense qu’il n’allait qu’aux cours qui n’étaient pas enregistrés, et il restait dans la chambre tout le reste du temps. Soit il était sur son ordi en train de jouer aux jeux vidéo, soit sur son téléphone dans le lit, et faisait des allers-retours entre les deux. » Jean spécule que son colocataire s’est isolé volontairement, et utilisait lui aussi possiblement les jeux comme refuge. « Au début de l’année, à la résidence, tout le monde à l’étage sortait ensemble, mangeait ensemble. Les deux premiers jours, il sortait, et à partir d’un moment, il a juste commencé à dire non. Il ne voulait plus se forcer, il n’aimait pas ça. Et au bout d’un moment, lorsqu’on t’a dit non dix fois, t’arrêtes de demander. Ça lui a forcément porté préjudice dans ses relations sociales. Et même en dehors de ça, il préférait manger et regarder une vidéo ou jouer plutôt que de manger à la cafétéria. »

« Quand une personne souffre de dépendance, elle ne va pas bien, elle a honte de ses difficultés et de sa perte de contrôle, ce qui peut la mener à s’isoler. Ne pas aller chercher de soutien, ne pas parler de ce qu’on vit, empire le problème »

Valérie Van Mourik, travailleuse sociale et clinicienne-chercheuse à l’Institut universitaire sur les dépendances

AGA & Appel de candidatures

Les membres de la Société des publications du Daily (SPD), éditrice du McGill Daily et du Délit, sont cordialement invités à son Assemblée générale annuelle :

Le mercredi 4 octobre à 18h

Centre Universitaire de McGill 3480 Rue McTavish, Salle 107

Jean confie aussi que la relation particulière de son coloc avec les jeux vidéo l’a poussé à s’éloigner physiquement. « Les jeux vidéo avec clavier mécanique, ça fait du bruit. Je tentais de réviser un truc, et je devais aller dans la chambre d’une pote qui m’avait laissé sa clé. J’étudiais pendant des heures là-bas et je retournais dans la chambre à la fin, juste pour dormir. »

Van Mourik explique : « Quand une personne souffre de dépendance, elle ne va pas bien, elle a honte de ses difficultés et de sa perte de contrôle, ce qui peut la mener à s’isoler. Ne pas aller chercher de soutien, ne pas parler de ce qu’on vit empire le problème. La personne rumine ses pensées noires et n’arrive plus à trouver de solutions. Les conflits et les difficultés relationnelles se multiplient. La personne se réfugie dans les jeux pour ne pas penser à tout ça et la situation empire encore plus. Elle néglige ses obligations et perd de l’intérêt pour les activités qu’elle pratiquait avant. Le sommeil et l’alimentation se détériorent, ce qui a également un impact sur l’état mental. En bref, il s’agit d’un cercle vicieux. »

Savoir trouver la nuance Néanmoins, comme Ewen et Van Mourik le rappellent, il est inutile de diaboliser les jeux vidéo. La plupart d’entre eux sont conçus pour faire vivre un moment plaisant au joueur, le plonger dans un univers immersif, ou encore de lui permettre d’entrevoir la vision artistique des développeurs.

Le problème principal est donc l’évolution de l’industrie du jeu, qui a opéré un changement de mentalité, se tournant vers des modèles commerciaux centrés sur le profit et la sur-stimulation du cerveau. Selon Ewen, les jeux vidéo ne représentent pas la pire menace sur le plan des addictions : « Les réseaux sociaux sont plus problématiques, ils sont basés sur des mécanismes de boucle de récompense, qui sont beaucoup plus courts. [...] Pour moi, c’est une catastrophe. Il faut que ce soit beaucoup plus contrôlé. » Les jeux vidéo sont une grande richesse, et ne sont pas à condamner ; simplement, il faut savoir trouver un équilibre, et ce pour toutes les formes de médias. x

*Noms fictifs

L’assemblée générale élira le conseil d’administration du SPD pour l’année 2023-2024.

Les membres du conseil de la SPD se rencontrent au moins une fois par mois pour discuter de l’administration du McGill Daily et du Délit, et ont l’occasion de se prononcer sur des décisions liées aux activités de la SPD.

Le rapport financier annuel et le rapport de l’experte-comptable sont disponibles au bureau de la SPD et tout membre peut, sur demande, obtenir une copie sans frais.

Questions? chair@dailypublications.org

société le délit · mercredi 27 septembre 2023 · delitfrancais.com 7
CLÉMENT VEYSSET | Le dÉlit

Le Parti conservateur du Canada (PCC) est un parti avec une histoire riche. Après tout, c’est le parti derrière la Déclaration canadienne des droits (Bill of Rights) et de l’ALÉNA (Accord de libre-échange nord-américain). Pourtant, il se cherche une nouvelle identité, il courtise une partie de l’électorat qui se sent négligée à grand coup de slogans populistes et de mesquines attaques contre les minorités sexuelles et de genre. Ce changement populiste s’est incarné sous nos yeux tout récemment lors de la dernière convention du parti à Québec.

Un parti en mutation

Dernièrement, les membres conservateurs des quatre coins du pays se sont rassemblés à Québec dans le cadre de leur convention politique, qui se tient tous les deux ans. L’exercice démocratique avait pour but de laisser la parole à la base conservatrice afin de voter des politiques qui pourraient éventuellement se retrouver dans le programme du Parti conservateur du Canada lors du prochain scrutin général prévu pour 2025. Cependant, cette convention ne ressemblait en rien à ce à quoi les conservateurs nous avaient habitués dans les dernières années, témoin indéniable du changement s’opérant au cœur même du Parti conservateur.

Cette année, les membres se sont exprimés sur certaines politiques tout droit sorties des bas-fonds du Parti républicain américain : interdire aux personnes trans de participer aux compétitions sportives, empêcher les chirurgies de changement de sexe chez les mineurs, abolir les ateliers obligatoires de sensibilisation à la diversité et à l’inclusion en milieu de travail et abolir les obligations vaccinales en temps de crise. Voici certaines des politiques débattues et adoptées par les membres à Québec. Après des années de radicalisation, ces politiques se sont finalement frayées un chemin au centre de convention de Québec, allant jusqu’à se tailler une place sur les bulletins de vote. En gros, casser du sucre sur le dos des minorités de genres et sexuelles et répandre impunément de la désinformation à grand tour de bras sur les avancées médicales, c’est

ça être conservateur en 2023. Être conservateur, c’est vouloir l’adoption de politiques d’extrême droite qui pourraient donner des sueurs froides à quiconque ayant une affection à l’État de droit.

qui ont voté pour Clark, Mulroney, Campbell, et même Harper? Je vais vous le dire : ils ont disparu. Maintenant, c’est une nouvelle garde qui n’a rien à voir avec le style des anciens chefs du parti. Il s’agit aussi

grande importance aux questions morales qu’aux enjeux qui touchent Monsieur et Madame tout-lemonde. Comme preuve, lors de ladite convention, les membres ont à peine donné d’importance à la

Mais qu’est-ce que le chef conservateur répond à l’adoption de ces politiques par les participants au congrès, me direz-vous? Pierre Poilièvre affirme qu’il n’est tenu en rien d’incorporer ces politiques à sa future plateforme. En d’autres mots, voici une admission venant du chef conservateur qui n’est en rien anodine. Il s’agit ni plus ni moins d’une reconnaissance même de la fracture

d’une nouvelle base qui a été attirée par le style populiste des conservateurs post-Harper. Je vous parle de tous ces législateurs néo-conservateurs qui vont manifester avec des groupes radicaux qui demandent la fin des mesures sanitaires devant le Parlement canadien, de ces parlementaires conservateurs tels que Leslyn Lewis, Dean Allison et Colin Carrie, qui vont souper avec des élus

question qui prime actuellement à travers le pays : la crise du logement.

Bien qu’en chambre, les élus de l’opposition se lèvent avec la plus grande des indignations pour dénoncer les mesures prises par le gouvernement libéral en matière de logement, aucune mention de la crise du logement n’est venue des membres conservateurs. Pourquoi ignorer une telle situation qui pourtant est

« Les conservateurs d’aujourd’hui ont délaissé les questions économiques au détriment d’une bataille culturelle, pour une quête sans fin d’un retour aux belles vieilles valeurs traditionnelles. Ce sont des moralisateurs sans morale qui s’en prennent à ceux et celles qui sont sur la ligne de la marginalité au Canada »

existant entre la base conservatrice et ses ambitions moralisatrices traditionnelles avec le reste de la population canadienne. Poilièvre, en affirmant qu’il risque de ne pas suivre la volonté de ses membres, reconnaît la nature extrémiste émanant des politiques votées par les membres conservateurs.

Renier son passé

Mais que se passe-t-il chez les conservateurs? Qu’est-il advenu des valeurs conservatrices qui prônent la rigueur économique? Qu’est-il advenu de ceux qui militent pour un État moins interventionniste?

Où sont passés les conservateurs

européens connus pour leurs positions antisémites et xénophobes. Les conservateurs d’aujourd’hui ont délaissé les questions économiques au détriment d’une bataille culturelle, pour une quête sans fin d’un retour aux belles vieilles valeurs traditionnelles. Ce sont des moralisateurs sans morale qui s’en prennent à ceux et celles qui sont sur la ligne de la marginalité au Canada.

Maintenant, les conservateurs et leurs élus s’intéressent davantage à la participation de certains jeunes marginalisés dans des sports qu’à des questions sérieuses et importantes aux yeux de l’électorat canadien. Ils accordent une plus

bénéfique aux conservateurs, leur permettant de se démarquer des libéraux de Justin Trudeau? Parce que, comme je l’ai mentionné plus haut, les conservateurs ne sont plus intéressés par ces enjeux.

Le problème avec cette stratégie – parce que oui, c’est une stratégie qui peut fonctionner pour ce parti – c’est le risque de se dissocier de ce qu’il reste des conservateurs du clan MacKay, dernier chef du Parti progressiste conservateur – l’ancêtre du Parti conservateur moderne qui changea au tournant des années 2000 – seul vestige du temps où les conservateurs se disaient encore progressistes. En effet, le style incendiaire

de Poilièvre aura déjà eu pour conséquence de lui mettre à dos deux des anciens chefs de son parti : Kim Campbell et Brian Mulroney. La première, seule femme qui aura occupé le poste de première ministre du pays en 1993, semble avoir tourné le dos à la crèche et quitté le bateau conservateur. Il est extrêmement rare qu’un ancien chef de parti quitte tout simplement son ancienne formation politique. Pourtant, plus tôt cette semaine, l’ancienne première ministre conservatrice a désavoué Poilièvre sur la plateforme X en partageant un tweet du ministre libéral FrançoisPhilippe Champagne. Dans ce tweet , on y voit Jean Chrétien, l’ancien adversaire politique de Campbell qui l’a défait en 1993 lors des élections générales, qui dénonce la rhétorique défaitiste de Poilièvre. Campbell s’en est tenu d’un petit « Yep », qui semble tout dire. Pour sa part, Mulroney, incontestablement l’un des premiers ministres conservateurs les plus populaires de l’histoire canadienne, s’en est tenu à prendre la défense du premier ministre libéral, Justin Trudeau, affirmant que les attaques de Poilièvre étaient de simples « trash, rumours, gossip (déchets, rumeurs, ragots) ». Quand un conservateur se lance à la défense d’un libéral, c’est que quelque chose cloche. Ici, c’est le style populiste de Poilièvre qui dérange la vieille garde conservatrice. Une victoire conservatrice, une défaite canadienne

En somme, le Parti conservateur moderne est devenu une insulte au conservatisme, un affront à la riche histoire de ce parti qui a façonné le Canada, et il s’agit d’une claque à la figure de la population canadienne. Stephen Harper a un jour dit quelque chose de brillant (il fallait bien que cela arrive au moins une fois en neuf ans au pouvoir) : « Un bon chef de parti est au centre du parti, un bon chef de gouvernement est au centre du pays. » Malheureusement pour nous, partout où Pierre Poilièvre met les pieds, il n’est au centre de rien, mais bien à la droite. Très à droite, même. x

sociÉtÉ le délit · mercredi 27 septembre 2023 · delitfrancais.com
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À droite toute
OPINION
Le nouveau visage du Parti conservateur du Canada.
clément veysset | Le dÉlit

AU féminin

L’obsession pour le corps féminin

La série The Idol, réalisée par Sam Levinson (Euphoria), est l’objet de nombreuses controverses, car elle présenterait Lily Rose Depp comme l’objet de fantasmes érotiques masculins obscènes. Cette hypersexualisation du corps féminin est en effet exacerbée dans la série, mais elle est à l’image de l’obsession généralisée de nos sociétés capitalistes pour le corps féminin.

Autant convoité que contrôlé, le corps féminin obsède, et ce depuis toujours. Simone de Beauvoir dans Le Deuxième Sexe revient sur l’histoire du rapport humain au corps féminin, pour son caractère maternel, menstruel et sexuel. Elle démontre la façon dont la domination masculine s’est instaurée sur ce corps, dans différentes cultures et par de nombreux moyens, autour de rites et de croyances qui le vénéraient et lui inculquaient des lois. Tandis qu’elle revient sur les éléments qui ont construit la domination masculine sur le corps féminin, nous examinerons plutôt certaines sphères modernes dans lesquelles cette obsession se retranscrit. Pourquoi dit-on toujours que le corps féminin est beau, parfois même qu’il est une œuvre? Comment le corps, la part la plus intime de notre être, est-il devenu débat de société, source de revenus, symboles artistiques et politiques? Sujet d’une iconophilie parfois maladive, l’art et le capitalisme ont compris que les images de ce corps valent bien souvent mille arguments ou innovations brillantes.

Pourquoi c’est beau ?

Entre 130 et 100 avant J.-C., La Vénus de Milo incarnait déjà la vénération pour une perfection corporelle féminine modélisée par un homme, Alexandros d’Antioche. Vénus est entre autres la déesse de la beauté, et son existence même met en évidence le lien que les hommes font entre beauté visuelle et féminité. Et à travers les époques, le sujet féminin, dénudé, érotisé ou fantasmé, est représenté massivement par les artistes peintres, dessinateurs et sculpteurs. Sandro Botticelli, considéré comme une référence en représentation de la « beauté », s’est

également attelé à la peinture d’une Vénus nue, devenue célèbre, dans son œuvre La Naissance de Vénus, datant de 1484-85. Ces œuvres racontent une part de l’histoire de l’obsession pour un corps féminin. Les hommes, ayant longtemps dominé le monde de l’art, avaient ainsi une suprématie sur les images produites, définissant les règles du beau à l’image de leurs désirs hétérosexuels. Il n’en demeure pas moins que ces règles perdurent et inspirent nos sentiments face aux images. Les spectateur·rice·s furent habitué·e·s au spectacle de la nudité féminine fantasmée par les artistes hommes ; ils·elles apprirent à l’apprécier aussi, quelle

sexualisés. Elles ont créé l’oeuvre Do women have to be naked to get into the Met Museum? (Les femmes doivent-elles être nues pour entrer dans le Met? (tdlr) représentant une femme nue de dos avec une tête de gorille et l’inscription suivante : « Moins de 5% des artistes des sections d’art modernes du musée sont des femmes, mais 85% des nus sont féminins. » L’art, dont les règles ont longtemps été masculines, façonne notre façon d’aimer et de regarder le monde. Il est en partie à l’origine de cette obsession pour le corps féminin – non pas celui qui nous permet d’exister brillamment et courageusement –mais le corps sexualisé, déformé

caméra pour les courbes féminines est telle, qu’elle fut théorisée par la critique de cinéma, réalisatrice et féministe britannique Laura Mulvey, à l’origine de la conceptualisation du male gaze (regard masculin) dans le cinéma. Elle rédige en 1973 l’essai Plaisir visuel et cinéma narratif, qui théorise ce male gaze qui projetterait sur la figure féminine à l’écran ses fantasmes et empêcherait les personnages fémi-

que soit leur attirance originelle pour ce corps. Maintenant, tout le monde s’extasie de la « beauté de ce corps » et notre intimité, politiquement et socialement contrôlée, est fièrement exposée dans les musées.

Les Guerrilla Girls, un collectif d’artistes féministes fondé à New York en 1985, s’insurgent du paradoxe de nos sociétés occidentales capitalistes qui discriminent les femmes, mais vénèrent leurs corps

par les filtres des aspirations masculines hétérosexuelles.

Le regard masculin dans le cinéma

Dans le cinéma aussi, les personnages féminins imaginés ne sont souvent que de simples coques qui se dénudent pour le plaisir d’une audience qui a appris à aimer cette chair. L’obsession de la

nins d’exister au-delà des regards libidineux. Les personnages féminins sont filmés à travers le regard envoûté d’un homme hétérosexuel, et nous apprenons tous·tes, dans nos sièges de cinéma, à désirer ces corps. Jean-Luc Godard filmait Brigitte Bardot dans Le Mépris sur son lit de fourrure blanche, complètement nue, pas tout à fait dévoilée pour préserver le désir de l’audience. Dans Mektoub My Love: Cuanto Uno Abdellatif Kechiche, moins subtil, réalise un gros plan de plusieurs minutes des fesses dansantes d’un de ses personnages féminins. Et ces quelques exemples ne sont rien, car le male gaze est présent dans la majorité écrasante des œuvres cinématographiques. Le cinéma a la particularité de n’exister qu’à travers la caméra, qui incarne une forme de regard voyeur et assouvit notre scopophilie, soit le plaisir de posséder l’autre par le regard. Le voyeurisme, lorsque masculin, perpétue alors naturellement l’obsession pour le corps féminin. Les réalisateur·rice·s doivent ainsi particulièrement questionner leur façon de filmer. Ne pas laisser place à la sexualisation du corps féminin à l’écran demande un raisonnement actif.

Ce corps est capital

L’obsession pour le corps féminin perdure parce que le capitalisme, qui régit nos comportements dans les sociétés occidentales, s’est emparé de cette obsession et l’alimente, car elle est une source de revenus immense. Tandis que certain·e·s achètent les produits promus par des femmes pratiquement nues, d’autres achètent les

produits qui leur permettraient d’être l’objet de cette obsession. Le monde de la mode crée des icônes qui n’existent que par leurs corps aux yeux du monde. La maison de mode Coperni a réalisé en 2023 lors de la Fashion Week de Paris une performance au cours de laquelle deux hommes projettent sur Bella Hadid, originellement dénudée, un liquide blanc qui forme une robe qui épouse et dévoile toutes les courbes de son corps. Cette performance, qui joue avec la fétichisation du corps de la mannequin, est à l’image de la façon dont l’industrie de la mode, comme bien d’autres industries capitalistes, profite de l’obsession générale du public pour le corps féminin. Ce corps sexualisé est partout, sur les panneaux publicitaires, à la télévision ou sur les réseaux sociaux, car il fait vendre. Nous aimons tous·tes scruter ce corps, privé de son caractère intime, devenu public, bien commun. Et pour nous, une grande question se pose alors : comment se le réapproprier? Comment refuser qu’il soit le sujet de tous les débats quand il est affiché dans la rue, exposé comme une table à vendre?

Le mouvement « body-positive » a aidé à diversifier les critères de beauté et permet maintenant à de nombreuses femmes de s’émanciper des représentations étouffantes de corps uniformisés. Néanmoins, il perpétue le besoin de faire rentrer nos corps dans la case du « beau », comme s’ils n’existaient que par le regard que la société portent sur eux, tandis qu’ils nous permettent avant tout de vivre, d’évoluer, de réfléchir, d’explorer, de s’améliorer et d’avancer. Le corps est le véhicule qui nous accroche à la réalité physique du monde, il n’existe pas pour être beau. Bien que les industries capitalistes tendent à nous faire acheter des produits pour rendre nos corps beaux avant tout, ils ont surtout besoin d’être forts et en bonne santé pour résister à la vie.

L’obsession pour le corps féminin ne devrait pas définir la façon dont nous voulons exister pour le monde. Les images irréalistes n’ont rien de la vivacité de notre chair. x

au féminin le délit · mercredi 27 septembre 2023 · delitfrancais.com 9
Le regard masculin dans l’art, le cinéma et la société de consommation.
marie prince Éditrice Au Féminin
clément veysset | Le dÉlit
« Pourquoi dit-on toujours que le corps féminin est beau, parfois même qu’il est une œuvre? »
« Et ces quelques exemples ne sont rien, car le male gaze est présent dans la majorité écrasante des œuvres cinématographiques »
philosophesse auféminin@delitfrancais.com

Toujours plus!

Je prie les choses et les choses m’ont pris

Elles me posent, elles me donnent un prix Je prie les choses, elles comblent ma vie

C’est plus ’’je pense’’ mais ’’ j’ai, donc je suis ’’ »

Comme le suggère le pluriel « les choses » dans la chanson de Jean-Jacques Goldman qui lui donne son titre, les objets matériels accaparent notre espace physique et mental. Aujourd’hui, dans nos sociétés développées, tout est fait pour nous pousser à consommer toujours plus. Comment expliquer cette pulsion consommatrice? La poursuite de l’accumulation des biens matériels est-elle une composante de la nature humaine? L’acquisition de nouveaux objets nous rendelle plus heureux·se·s? Les choses que nous possédons nous définissent-elles? L’achat de nouveaux objets sert-il à combler un vide émotionnel ou bien sert-il à mieux s’intégrer dans la société?

La dictature de l’objet

Au moment de la révolution industrielle du 19e siècle, les pratiques sociétales sont bouleversées alors qu’une économie principalement tournée vers l’agriculture se métamorphose en économie industrielle concentrée dans les villes. Les révolutions technologiques permettent d’augmenter la productivité, et c’est le début de la production de masse. Après les guerres mondiales, une grande période de prospérité de 1945 à

sociaux étudiants et ouvriers se répandent à travers le monde en réaction à la croissance des inégalités de richesse, et à l’émergence d’une société moderne mondialisée. Pourtant, cela n’a pas suffit à empêcher l’avènement de la société de consommation telle qu’on la connaît aujourd’hui, donnant à l’objet une place centrale dans nos vies.

Dans nos pays développés, la profusion des objets est devenue signe de confort matériel. En effet, elle nous a permis d’accéder à des conditions de vie que même les philosophes des Lumières au 18 e siècle n’auraient pas pu imaginer. En

et nous tiennent en laisse, en ciblant nos goûts et en s’immisçant dans notre intimité pour nous espionner. Elles nous rappellent sans cesse : « Big Brother vous regarde. »

Qu’est-ce qui nous motive à acheter?

Plus on a d’objets, plus on a de choix dans leur usage au quotidien. Le sentiment de disposer de davantage de choix procure

vêtements, Apolline Laporte, en entretien avec Le Délit, étudiante en France, explique que « même si j’ai beaucoup de vêtements, j’en porte très peu, mais je porte toujours les mêmes, alors quand j’ai envie de changer et de m’en acheter des nouveaux, j’en achète plein, plein, plein ». Anouk Hochereau, en revanche, n’est pas du même avis. Ce qui la pousse à acheter un bien matériel c’est « l’utilité » avant tout. Elle ajoute pourtant : « Dans 10% des cas, c’est l’envie sans trop d’utilité derrière. » Mais qu’est-ce qui cause cette envie? Répondrait-elle à des besoins innés de la nature humaine?

dans notre nature de désirer consommer des objets, qui en s’accumulant, contribueraient au moins provisoirement à notre bonheur. C’est pourquoi dans les années 50, l’essor de la société de consommation a été perçu comme une amélioration fantastique du quotidien des sociétés développées. Cela s’est reflété dans l’art, avec l’explosion de couleurs et d’affiches publicitaires glorifiant la nouvelle ère de production de masse. Par exemple, la bande dessinée est utilisée pour valoriser la voiture, symbole de liberté individuelle, comme la Renault 5 dans le dessin de Michel Boué. Avec son œuvre représentant un alignement de bouteilles de CocaCola, Andy Warhol propose l’idée novatrice de l’art comme objet de consommation.

Néanmoins, il semble que le désir seul ne suffit pas à nous pousser à consommer toujours plus. La satisfaction que l’achat

1975, les Trente Glorieuses, s’installe et le pouvoir d’achat grimpe en flèche. Avec lui, nos modes de consommation évoluent et s’adaptent à cette croissance effrénée. En 1968, des mouvements

réalité, l’objet consommable représente bien plus que cela.

L’acquisition insatiable de biens matériels est devenue une obsession. Les marques et leurs publicités sont omniprésentes

une sensation de liberté augmentée. À première vue, il paraît évident que ce qui nous motive à acheter un bien, c’est de combler un besoin. Interrogée sur ce qui la motive à acheter de nouveaux

Qui ne cherche pas à être heureux? On pourrait définir le bonheur comme un état de satisfaction complète et durable de nos aspirations. Lorsque l’on désire quelque chose, que ce soit de manière consciente ou inconsciente, on s’attend à ce que l’objet convoité nous procure de la satisfaction et nous rende ainsi plus heureux·se. Il paraît ainsi évident qu’il est

d’un nouveau bien nous procure est éphémère. Après avoir fait un nouvel achat de vêtement, Apolline déclare : « Je vais porter le vêtement tout de suite, jusqu’à ce que je m’en lasse, cela me rend heureuse. » Ce sentiment de félicité qu’elle ressent provient de la réalisation de l’un de ses désirs ; mais est-ce vraiment du bonheur? « Le moment euphorique ne dure que quelques heures au maximum le jour où j’achète et ensuite je n’y pense même plus », continue-t-elle. Le sentiment n’est ainsi pas durable, mais seulement provisoire. Ainsi le désir semble être une motivation insuffisante pour expliquer notre habitude à consommer en quantité.

Le consumérisme est-il un phénomène social et individuel?

Les apparences occupent une place centrale dans nos sociétés, et sur les réseaux sociaux, les gens s’affichent avec des objets et des vêtements pour refléter leur statut social.

«
culture le délit · mercredi 27 septembre 2023 · delitfrancais.com
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Interroger notre dépendance à la consommation comme source de bonheur.
adÈle DOAT Éditrice Culture
culture opinion
« C’est pourquoi dans les années 50, l’essor de la société de consommation a été perçu comme une amélioration fantastique du quotidien des sociétés développées »
artsculture@delitfrancais.com
« Les marques n’ont jamais été aussi puissantes et bien souvent nous tombons dans leur piège »
rose chedid | Le dÉlit

Le métier d’influenceur·se a explosé et la publicité nous envahit. Les marques n’ont jamais été aussi puissantes, et bien souvent, nous tombons dans leur piège. En 2021, les cinquante premières marques mondiales représentaient

nante dans notre tendance à surconsommer. Les objets nous parlent et nous rassurent, car ils renforcent notre confiance en soi. Par ailleurs, la nouveauté

rose chedid | Le dÉlit

17,2% de tous les achats et d’après une étude du Digital Marketing Institute , 49% des consommateur·rice·s suivent les recommandations des influenceur·se·s. Apolline évoque l’influence qu’ont les réseaux sociaux sur ses habitudes de consommation : « J’y vois des filles trop bien habillées. Cela me donne envie d’avoir la même chose et me motive à acheter. » Si l’on ne suit pas les modes, on peut très vite se sentir exclu·e et en décalage avec sa communauté. L’isolement social nous fait peur. Après tout, nous sommes des êtres pour lesquels l’intégration dans la société est nécessaire à notre épanouissement. L’envie de plaire est ainsi détermi -

crÉations littÉraires

nous attire, car elle permet de se distinguer dans un monde ou presque tout est uniformisé par le monopole des grandes marques.

Dans le vidéoclip de la chanson Oui ou Non, Angèle parodie les publicités mensongères que l’on voit passer partout. Les objets que l’on achète

sont maintenant souvent programmés pour se dégrader rapidement afin de provoquer un nouvel achat prématuré pour faire plus de profit.

C’est ce que l’on appelle l’obsolescence programmée. Ce n’est donc pas complètement notre faute si nous consommons autant. Après tout, nous sommes des victimes de l’économie capitaliste à la poursuite de la croissance exponentielle du marché et de la production. Nous vivons dans une cage dorée, à la fois prisonniers de ce mode de vie, mais qui se complaisent tout de même dans cette situation.

En 1987, Baraba Kruger détournait la célèbre phrase du philosophe Descartes « Je pense donc je suis » avec son oeuvre Je consomme donc je suis . En effet, sous l’accumulation des objets matériels, les consommateur·rice·s finissent par perdre leur identité. Les objets qu’ils·elles possèdent participent de plus en plus à les définir et ils·elles ne cherchent plus le bonheur autre part que dans le consumérisme et le matérialisme. Consommer leur permet de combler un vide émotionnel qui leur fait oublier leurs problèmes rien qu’un instant.

Consommer nous rend-il plus heureux·se·s?

Barbara Kruger n’est pas la seule artiste à dénoncer ce comportement sociétal. Émergeant dans les années 50 en réaction à l’éruption de la consommation de masse, le pop art fait des biens de consommation des objets d’art. Andy Warhol est une des figures majeures de ce mouvement artistique. Il utilise la sérigraphie, une technique d’impression qui, grâce à un pochoir, permet la démultiplication et la répétition. Ce côté presque industriel de la création artistique

se retrouvent dans les océans détruisant la biodiversité. Ils se dispersent dans l’air et participent à la pollution atmosphérique causant une dégradation de notre santé. Ils s’entassent dans nos dépotoirs sur les terres, formant des montagnes toxiques. Si la jouissance que nous procure chaque nouvel achat sert à combler une frustration d’un désir insatisfait, le bonheur que l’on pense ressentir n’est qu’une illusion. En réalité, comme pour beaucoup d’addictions, cette dépendance

visait précisément à interroger l’obsession nouvelle de nos sociétés pour les objets produits en masse.

Plus que perdre notre identité et le sens de nos vies en cessant d’exister sans objets, le consumérisme a des conséquences inquiétantes pour la planète. Plus on consomme, plus on génère de déchets. Ces déchets

Quand l’amour consume

T’ouvres le paquet

Tu frottes la fleur entre tes doigts

Tu plies délicatement le carton

Tu le déposes sur ta feuille

Et tu roules

Doucement

Sûrement

Ta langue glissant sur le rebord du papier

Mouvements répétitifs, Routine.

Tu es habitué.

Plus qu’ à l’allumer et Répéter.

Je me suis dit

Pour moi tu vas arrêter

Mais tu as continué

Je me suis dit

Au moins diminuer ?

Mais rien n’a changé

Tes yeux éclairés par la seule lumière de la flamme

Celle qui brûle et consume

Qui te vole à moi

Tu te noies dans la fumée

T’échappes à tes pensées

Mais je peine à respirer

Même si je suis prête à tout donner pour t’aider

Rien n’y peut.

Je suis spectatrice de ta propre destruction

Impuissante

JADE Lê

Coordonatrice Multimédias

au consumérisme nous est plus détrimentale que bénéfique. En prendre conscience est la première étape pour s’en affranchir. Comme souvent, l’art nous invite à questionner les évolutions de nos comportements culturels. Si la consommation d’œuvres artistiques nourrit notre âme, on peut se demander si la consommation d’objets matériels nous est véritablement profitable. x

Tu te dessines sous la lueur du high noon Tes jambes brunes partent delà la rambarde Oh, mais qu’est-ce que tu t’en fous my little loon, pages au bout des doigts, tu es loin d’être peinarde.

Des mots, tu t’inventes des princes et des gardes Tu es magicienne, tirée droit d’un cartoon Les pages défilent et tes tresses renardes, au vent frémissent comme de vie, ah! je swoon

J’envie fort la paille entre tes roses lèvres Oh, tu fronderais si tu connaissais ma fièvre Comment t’aborder sans que tu ne m’haïsses?

Puis, une voix, depuis la coulissante, émerge Désolant que tu rentres, ma petite vierge À table ta maman pose son pain de maïs…

symona lam

Contributrice

opinion culture le délit · mercredi 27 septembre 2023 · delitfrancais.com 11
« Plus que perdre notre identité et le sens de nos vies en cessant d’exister sans objets, le consumérisme a des conséquences inquiétantes pour la planète »

Addictions, dépendances et obsessions en création littéraire

Rencontre avec Laurance Ouellet Tremblay.

Pour cette édition spéciale, Le Délit a rencontré Laurance Ouellet Tremblay, écrivaine et professeure de création littéraire et de théorie psychanalytique à l’Université McGill, dans le but de mieux comprendre les liens entre les sujets de l’addiction, de la dépendance et de l’obsession, et celui de la littérature. La création artistique, à travers divers époques et courants, a souvent été associée à la consommation de substances qui altèrent l’esprit et la perception. Ces substances seraient-elles réellement bénéfiques à la création? D’où l’écrivain d’aujourd’hui tire-t-il son matériau? Ces questions, parmi bien d’autres, seront adressées dans cette entrevue.

Le Délit (LD) : Vous enseignez la création littéraire et la théorie psychanalytique à McGill depuis 2018. Peut-on faire le lien entre votre travail et les sujets de l’addiction, de la dépendance et de l’obsession? D’où vient votre intérêt pour ces thèmes?

Laurance Ouellet Tremblay (LOT)  : C’est pas tout à fait en lien, il ne faut pas essayer de tout mettre dans le même panier. Ce qui m’intéresse dans la théorie psychanalytique, c’est

questions-là d’écriture et d’assujettissement m’intéressent beaucoup. Maintenant, la dépendance, c’est aussi une forme d’assujettissement, n’est-ce pas? C’est quelque chose qui m’a toujours beaucoup intéressée puisque par nature, je suis intéressée aux œuvres, disons plus radicales, plus expérimentales. Aussi, c’est un fait que chez les écrivains et les artistes, de tout

flirté avec l’altération de l’esprit et qui a vu ce que ça pouvait permettre ou non. Le dernier livre que j’ai écrit a été composé complètement au club de jazz, sous l’influence de la musique jazz live et donc aussi de l’alcool, et sous une certaine influence de la marijuana, je l’avoue, vu que c’est légal maintenant. Il faut défaire une certaine idéalisation de ce phénomène-là. Je ne crois

qu’on finit par comprendre quand le texte est prêt, quand le texte est mûr, disons-le comme ça. Avant, c’est du tâtonnement, donc oui, ça peut se comparer à un certain type d’obsession qui est très prenant, mais je ne ferais pas de parallèle si direct que ça.

LD : Pensez-vous que l’écriture peut agir comme échappatoire à l’obsession ou aux addictions?

« Il faut défaire une certaine idéalisation de ce phénomène-là. Je ne crois pas que l’on écrive de meilleurs poèmes, en tout cas, selon mon expérience, lorsque l’esprit est affecté »

temps, il y a eu une certaine culture de la consommation, pas chez tous et toutes, mais chez certains. C’était un choix qu’ils faisaient consciemment d’aller explorer. Consommer, c’est altérer son esprit, que ce soit par les drogues ou l’alcool. Donc qu’est-ce que ça module dans la création? Qu’est-ce que ça lui permet? Qu’est-ce que ça lui retire? Ce sont ces questions-là, en fait, qui m’intéressaient et je me suis dit que je pourrais monter un cours là-dessus et interroger les œuvres d’écrivains ayant côtoyé ces substances.

pas que l’on écrive de meilleurs poèmes, en tout cas, selon mon expérience, lorsque l’esprit est affecté. Par ailleurs, le fait d’altérer mon esprit, par exemple dans les soirées jazz, m’amène à vivre des expériences qui ne font pas partie du quotidien, qui ne sont pas dans la routine, des expériences qui sortent de l’ordinaire un peu. Et ça, ça exalte la création. Mais par la suite, c’est le retravail, et ce retravail-là, il se produit lorsque l’on est sobre. Dans mon recueil, je parle de consommation, surtout d’alcool, mais ce n’est pas le thème central, ça fait seulement partie de la vie, finalement.

LOT : C’est complexe. Premièrement, ce qu’il faut comprendre, c’est que dans ma perspective, ce n’est vraiment pas thérapeutique, mais ce n’est en rien un jugement de valeur. C’est plutôt d’observer ce que l’altération de l’esprit permet dans la pratique. Est-ce que l’écriture peut être une échappatoire? Je pense que l’écriture peut avoir une fonction thérapeutique, dans beaucoup de cas : l’écriture en général, l’écriture d’un journal intime, l’écriture d’une lettre, parce qu’elle permet de réfléchir et d’acquérir une certaine distance face au moment vécu. Maintenant, est-

elle nous raconte son processus dans ce livre autofictionnel. En ce sens-là, l’écriture devient la scène d’exposition de son changement d’habitudes, disons-le comme ça. Mais je crois que l’écrivain n’écrit pas à vocation thérapeutique. Ça dépend du cas. Je ne mettrais vraiment pas de loi globale par rapport à l’écriture comme moyen de se sauver des addictions.

LD : Qu’est-ce qui vous a amenée à vouloir étudier et maintenant enseigner la théorie psychanalytique?

LOT : C’est une longue histoire. Ma directrice de thèse, Anne Élaine Cliche, était très versée dans la théorie psychanalytique. C’est son approche, c’est une spécialiste. Son enseignement m’a fascinée, donc j’ai commencé à étudier cela, et à moi-même, faire une psychanalyse et à comprendre les liens, les chemins de traverse qu’il y avait entre la littérature et la psychanalyse, la manière de dire les choses. On est dans une époque où l’autofiction et le rapport à soi sont mis de l’avant, n’est-ce pas? Maintenant, les écrivains trouvent le matériau de leur écriture un peu dans leur quête intérieure. Et la psychanalyse, c’est une enquête, c’est une manière d’investiguer qui on est, de comprendre notre architecture subjective, disons. C’est

« On est dans une époque où l’autofiction et le rapport à soi sont mis de l’avant, n’est-ce pas? Maintenant, les écrivains trouvent le matériau de leur écriture un peu dans leur quête intérieure »

LD : Est-ce que le fait d’écrire peut devenir lui-même une obsession, une dépendance? Vivezvous cela vous même en tant qu’écrivaine?

qu’on comprend que la cure de la parole, que parler, chez l’humain, peut révéler plusieurs choses, mais on comprend aussi que nous sommes assujettis au langage. Cette condition-là, c’est ce que j’appelle le scandale de la parole créatrice, le fait qu’il faille faire du nouveau avec ce vieux code usé qu’est le langage. Et c’est un peu le paradoxe de l’écrivain, finalement, donc ces

LD : Vous êtes l’autrice de cinq œuvres, dont un recueil de poésie intitulé La vie virée vraie , publié l’année passée. Est-ce qu’on peut retrouver les sujets de l’addiction, de la dépendance et de l’obsession dans vos propres œuvres?

LOT : Oui, dans la dernière, définitivement. Et aussi dans ma vie, dans ma pratique d’écriture. En fait, je suis une poète qui a

LOT : C’est intéressant. Pas tout à fait, mais j’ai connu des écrivains qui avaient un rapport à l’écriture beaucoup plus invasif, effectivement, beaucoup plus obsessionnel. Mais, comme vous dites, par exemple, le fait de travailler un poème jusqu’à l’épuisement, jusqu’à sa fin, jusqu’à on ne sait pas où, c’est l’expérience de l’écrivain ou de l’écrivaine. Je crois que c’est avec l’expérience

ce que l’écriture littéraire peut être une échappatoire aux addictions? C’est intéressant. Dans le cours, on voyait The Recovering de Leslie Jamison. Il y a toute une tradition d’hommes qui ont bu, dans la littérature, mais elle, c’est une femme qui a bu beaucoup lors de ses études en littérature, dans cette volonté d’imitation de Poe, de Kerouac et des écrivains buveurs et fumeurs. Et elle s’est bien rendue compte que ça l’amenait un peu dans le mur, donc elle a arrêté de boire. Et vraiment, d’un point de vue qui n’est pas prosélyte, qui n’essaye pas de convaincre,

pour ça que ça me passionne profondément, ça dépasse la simple thérapie. C’est une explication de comment fonctionne la psyché humaine, qui n’a de cesse de nous étonner. On est de drôles de bêtes!

Laurance Ouellet Tremblay enseigne au Département de langue et de littératures françaises. Elle donnera un cours au trimestre d’hiver sur les théories littéraires et psychanalytiques, intitulé « FREN 335 Théories littéraires 1 ». x

Juliette elie Éditrice Culture

culture le délit · mercredi 27 septembre 2023 · delitfrancais.com 12 littérature
clément veysset | Le dÉlit

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