Architecture et Publicité Rapport d’étude Desessart Enzo-Lucas
Enseignant, Jean Rehaut
Année, 2016/2017
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Sommaire Avant propos
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Préambule : La Publicité
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Partie 1 L’Architecture comme support Chronologie Des Cathédrales à Timesquare Espace Public/Espace de diffusion
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Partie 2 L’Architecture Commerciale Publicité spatiale Étude de modèles types Les supermarchés de James Wines
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Partie 3 L’Architecture, produit comme les autres ? Publicité du bâtiment Publicité du projet Publicité de l’architecte
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Bilan personnel
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Bibliographie
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Ma publicité
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Avant-Propos Cela fait bientôt trois ans que je me suis installé à Montpellier et que j’ai intégré l’école d’architecture ; j’y ai suivi des cours, étudié des bâtiments, présenté des projets ; cependant, j’ai le sentiment que cela fait peu de temps que je suis sorti de l’ENSAM. Je veux dire par là que l’école a tendance à nous encadrer, et pour ma part, ce n’est que cette année principalement au cours de stages, que je me suis intéressé à diverses thématiques de l’architecture, selon moi, trop absentes de notre formation, et surtout, que j’ai pu appréhender le métier d’architecte. Arrivant d’une filiaire scientifique, les enseignements que j’ai reçus de l’école m’ont apporté une capacité d’observation et d’analyse des différentes ambiances et qualités d’un espace, appuyée par l’étude de réalisations d’architectes célèbres. Frank Lloyd Wright, Le Corbusier, Louis Khan, Peter Zumthor, Renzo Piano, Norman Foster … Au cours de voyages pendant ces dernières années, j’ai fait l’expérience de certains de leurs ouvrages, les inspectant avec ce regard neuf à la recherche du moindre détail, mais c’est récemment que j’ai commencé à observer ce qu’il y avait autour de ces monuments, qui ne représentent en somme qu’un faible pourcentage de la surface d’une ville.
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Ces bâtiments ou espaces, pratiquement invisibles dans l’enseignement dispensé à l’école, qui pour la plupart d’entre nous, font partie de notre quotidien, et pour la plupart d’entre eux, ne semblent pas avoir été conçus par des architectes. Zone Commerciale, Station-Service, Super Marché, Parking, Galerie Marchande … Du moins, ils n’expriment pas directement une volonté d’intégration dans un contexte, de réflexion sur le confort des visiteurs ou encore de travail sur la qualité des espaces. Ils exhibent plutôt une conception économique, une organisation des usagers et l’intégration d’éléments publicitaires. C’est cette dernière notion et, de façon plus générale, la relation entre architecture et publicité, que j’ai choisi d’étudier dans ce rapport. Il me semble important de préciser qu’il ne s’agit pas ici de dénoncer un type de bâtiment ou encore de blâmer toutes les campagnes publicitaires, mais belle et bien d’étudier la relation que peuvent entretenir ces deux acteurs de l’espace public et de notre quotidien. «[...] de même que l’analyse de la structure d’une cathédrale gothique n’inclut pas nécessairement un débat sur l’aspect moral de la religion aux moyen-âge, notre étude est une étude de méthode et non de contenu.» Robert Venturi, Denise Scott Brown , Steven Izenour Learning from Las Vegas
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Musée Solomon R. Guggenheim à New York Franck Lloyd Wright Condtruit en 1939 Bâtiment classé Photo par David Heald
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Halles et parking de Laissac à Montpellier Pierre Lafitte Construit en 1962 Détruit en 2016 Photo par Céline Escolano
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La Publicité C’est l’ensemble des moyens mis en place dans le but d’informer, de sensibiliser, d’influencer, ou encore de manipuler un groupe de spectateurs. Elle se répand de façon exponentielle dès la révolution industrielle et deviendra un des piliers de la société de consommation de masse. La publicité est souvent écartée du terme « propagande », celui-ci ayant une connotation trop négative et moins commerciale. Comme l’avait fait à l’époque de la Première Guerre mondiale, le publicitaire américain Edward Bernay qui inventera, à la suite de la Comission Creel, le poste de « conseiller en relation publique». Dans la majorité d’entre elles on dit de ces méthodes de manipulation qu’elles sont cognitives, affectives, puis conatives. C’est-à-dire qu’elles ont vocation à renseigner, séduire, puis entrainer une action de la part du spectateur, comme acheter un produit, partir en vacances, ou s’inscrire dans une salle de sport. La vente d’espace de diffusion, son intérêt lucratif et sa capacité à être propagée sur différents supports, font de la publicité un média omniprésent au sein de notre environnement. Dans la sphère privée par exemple, avec la télévision qui se démocratise en France dans les années soixante et qui conditionne maintenant l’agencement du salon de plusieurs familles. Cependant c’est à l’extérieur, aux yeux de tous, qu’elle a à mon sens le plus de pouvoir, et que l’on peut y observer une confrontation, physique et symbolique, avec l’architecture.
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Panneau publicitaire fixé sur une ruine bordant une route départementale à proximité de Perpignan Photo personnelle
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Photo de gauche : La sainte chapelle à Paris construite en 1248. Les vitraux, destiné à enseigner la religion catholique aux fidèles représentent des passages de l’ancien testament et le couronnement de St Louis. Photo par Trey Ratcliff Photo de droite :Time Square à New York, un des quartiers les plus visités au monde. Photo par Tony Shi 10
Partie 1 : Architecture comme support -40 000 avant JC Une main d’homme est dessinée par pochoir à l’intérieur d’une grotte. Il s’agit de la plus ancienne peinture rupestre découverte. Elle est laissée sur un abri. -4 500 avant JC Des inscriptions en hiéroglyphe sont gravées sur les murs intérieurs de la pyramide d’Ounas en Egypte et sont les plus anciens écrits religieux connus à ce jour. Ils sont gravés dans une chambre funéraire. -450 avant JC Le Parthénon est achevé à Athènes. Plusieurs éléments de l’édifice racontent le mythe de la naissance de la déesse Athéna. Ce passage de la mythologie Gréque est sculpté sur le fronton d’un temple. -200 avant JC A Pompéi, une mosaïque de grande taille orne le sol d’une pièce, bordée par deux péristyles. Celle-ci dépeint la bataille d’Issos opposant Alexandre le grand et le roi perse Darius. Elle décore le pavement d’une bâtisse antique. 1000 après JC Une des plus anciennes représentations de figure humaine est conservée dans une église à Lorsh en Allemagne et semble représenter le visage du Christ. Elle est réalisée par coloration du verre en fusion et orne une verrière.
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1450 après JC Avec la naissance de l’imprimerie apparaissent les premières réclames. Ces feuilles imprimées sur le verso puis collées sont les premières affiches publicitaires. Elles servent principalement à annoncer des événements et sont placardées dans les rues. 1800 après JC Suite à la révolution industrielle et aux développement de l’acier et du verre dans la construction, les grands magasins des métropoles s’équipent de vitrine, voire s’installent dans des passages couverts. Le produit est maintenant exposé à la vue des passants depuis le rez de chaussée des bâtiments. 1900 après JC Grâce à de nouvelles techniques d’impression, comme la lithographies, et impulsée par la propagande politique et les grandes entreprises, l’affiche publicitaire est en plein essor. Elle se perfectionne, adopte des codes graphiques et se développe de façon exponentielle. 2010 après JC Des écrans commencent à remplacer les panneaux d’affichage classique. Certains équipés de capteur, interagissent avec la ville et les piétons. Des images animées se meuvent maintenant sur les façades des bâtiments et dans les stations de métro.
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Comme nous pouvons le constater, l’architecture, au sens large passant de l’abri préhistorique à la rue d’une métropole, est un moyen de communication depuis ses origines. Cependant avec le développement de la publicité, et l’apparition du panneau publicitaire, on peut observer un glissement dans la fonction d’un bâtiment. Il n’est plus un outil d’information, mais devient un support. L’opposition entre la Sainte Chapelle et le quartier de Time Square est à mon sens une bonne traduction de ce phénomène : Les vitraux, représentant des passages de la Bible, permettaient au clergé d’enseigner la religion aux fidèles ne sachant pas lire. Il s’agit d’une verrière, un élément architectural permettant de laisser entrer la lumière. Elle est obtenue par l’assemblage d’éléments en verre et maintenue par une structure en plomb. On lui a ensuite ajouté, par l’artisanat et l’évolution des techniques de pigmentation, une capacité à raconter des histoires, à transmettre des informations. De par ses fonctions multiples, le vitrail est un élément intégrés à l’édifice.
Photo page de gauche Haut : Fronton de l’église de la Madelaine, Paris construite en 1842. Le bas relief représente une scène du jugement dernier Photo personnelle Milieu : Enseigne du restaurant McDonad’s à New York. Parmis les bâtiment les plus fréquenté du Mitdown Photographe inconnu Bas : Panneau publicitaire interactif à Stockholm. Les cheveux de la femme vole au passage du métro puis celle ci se recoiffe en souriant Photo par Apotek 15
Le panneau d’affichage quand à lui est une greffe, faite directement sur un bâtiment, un abribus, ou se dressant de manière autonome au milieux du tissu urbain. Sa fonction première est de présenter un produit et d’exciter le désir des spectateurs innocents et forcés. Contrairement à l’enseigne, qui par définition, informe sur le contenu du commerce auquel elle est accrochée et invite les passants à y pénétrer, les affiches publicitaires, agissent rarement seules regroupées sous forme de «campagne», elle sont déconnectées du bâtiment dont elles vantent la qualité des services. De plus, la plupart d’entre elles étant raccordées aux réseaux électrique, elles sont en capacité, comme les vitraux des cathédrales étudié précédemment, de devenir une source de lumière. Le panneau publicitaire participe maintenant à l’éclairage des villes et peut ainsi accomplir son dessein de jour comme de nuit. ( Malgré le gaspillage énergétique et la pollution lumineuse qu’il génère. ) En ce sens, on peut dire de la publicité dans la ville qu’elle est devenue immatérielle et intemporelle. Reflet de notre société métropolitaine et de l’architecture qui lui correspond. «Manathan, usine de l’artificiel où naturel et réel ont cessé d’exister» Rem Koolhaas Extrait de New York Délire parut en 1978
**Classement obtenue sur la page d’accueil du site internet de l’entreprise JCDecaux 16
En réaction à l’omniprésence de ces images dans nos villes, on peut observer différentes réactions de ses usagers. Certaines, illégales et parfois violentes, dirigées par des groupements de personnes ou des associations comme la RAP en France ( Résistance à l’Agression Publicitaire ) visent à reconquérir l’espace public soit par l’application d’une censure, soit par le sabotage, ou encore par le lancement de campagne publicitaire anti-publicitaire. En France encore, motivée par l’initiative d’une association anonyme, la municipalité de la commune de Forqualier, dans les Alpes de Haute Provence, a banni tous les panneaux publicitaires depuis 2009. Suivant son exemple la municipalité de la ville de Grenoble dont le maire actuel Eric Piole, membre du groupe Europe Ecologie Les Verts a choisit de ne pas renouveler le contrat de la ville avec l’entreprise JCDecaux qui est, rappelons le : -Leader Mondial dans la distribution de mobilier urbain. -Leader Mondial de la publicité dans les transports. -Leader Européen de l’affichage grand format.** La rue constituée d’une voirie et généralement comprise entre deux façades, par la multiplication de ces images, évolue et devient plus qu’un simple lieu de circulation. Elle est maintenant un espace de diffusion, un territoire à défendre, théâtre d’une bataille opposant les grandes entreprises envahissantes aux modestes habitants de la ville, agacés par leurs stratégies commerciales et leurs méthodes de manipulation.
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Une autre conséquence du matraquage publicitaire sur l’architecture et plus précisément sur le bâtiment, qui me semble importante à relever, est, sa disparition au profit d’une image. Par exemple, pour la construction en 2004 du magasin Chanel, dans le quartier luxueux de Ginza à Tokyo, l’architecte Peter Marino a choisit de recouvrir la façade principale de son bâtiment avec des écrans, créant une paroi animée reproduisant des motifs emblématiques de la marques. Seul le rez de chaussée et le premier niveaux sont entièrement vitrés et signalent l’entrée de la boutique. Cette peau, lumineuse et mobile, interpelle et interroge la fonction de la façade classique d’un bâtiment. En effet s’agit il simplement d’un panneau publicitaire fixé sur le bâtiment destiné à l’agrémenter ou s’agit il, tel que nous l’avons vu pour les vitraux des cathédrales, d’une évolution de la façade sur rue d’un édifice, qui tend à devenir un moyen de communication, un média ? Quoi qu’il en soit l’ajout de cet élément publicitaire brouille la relation entre architecture et l’image.
Façade de la boutique Chanel à Ginza Photo par Luc Boegly *Extrait de l’ouvrage des souris dans un labyrinthe 2015 18
A l’échelle urbaine, dans le cas d’une métropole comme la ville de Montpellier, on remarque une concentration des panneaux d’affichages à proximité des zones commerciales. Ces espaces sont à la fois clos et ouverts / publiques et privés, et sont qualifiés de «Junkspaces» ( espace cahotique) par l’architecte Rem Koolhaas. Plusieurs grands magasins y sont regroupés et semblent occuper une surface équivalente à celle des parkings. En effet, ces hub commerciaux sont majoritairement implantés à l’extérieur des villes et accessibles en voiture, par une route bordée de logos, d’enseignes et de prix. On y observe aussi l’utilisation de dispositifs d’architecture préventive comme par exemple le regroupement de diverses boutiques au sein d’une même enceinte ( dont les entrées sont contrôlées ) ou encore l’omniprésence de caméras de surveillance, qui traduit, comme le décrit Elisabeth Pélegrin Genel, la double demande « du désir de sécurité et sécurité du désir* » de la part des usagers. Néanmoins, ce sont d’avantage des principes marchands appliqués à l’architecture qui agencent et ordonnent ces espaces. Contrairement aux panneaux publicitaires qui viennent parasiter les rues et les façades des bâtiments, cette composition commerciale s’exprime elle, en intégrant dès la conception du projet, des notions à la fois publicitaires et économiques. Comme par exemple, la disposition des produits, la séduction des usagers, l’organisation du personnel... De la même façon que dans le quartier de Timesquare, où l’omniprésence et la dimension des écrans d’affichage viennent cacher les bâtiments, l’Architecture Commerciale, a priori sérielle et incontextuelle, interroge sur la nécessité des architectes dans ces domaines. 19
Partie 2 : Architecture commerciale Après une brève analyse, je peux annoncer que mes chaussures sont de Porto, que ma chemise vient du Bengladesh, que mon stylo est fabriqué à Paris, que mon dernier repas est d’origine Japonaise et que le dernier film que j’ai vu a été tourné à Hollywood. Comme la majorité des habitants de métropoles de pays dit «développés» , j’ai grandit dans une «culture mondiale occidentale» engendrée par les grandes firmes transnationales, l’explosion des médias, le tourisme et le perfectionnement de nos moyens d’information. On parle maintenant de village planétaire tant l’amélioration de nos technologies, dans le domaine des transports comme dans celui de la communication, nous permet de diminuer considérablement les distances et le temps entre les hommes. Cependant, il apparaît que l’adoption des valeurs de cette «culture globale» par une société s’accompagne généralement d’un détachement progressif des valeurs culturelles auquel elle était rattachée à ses origines. J’observe par là deux conséquences envisageables de ce phénomène sur l’Architecture : -La première, serait la destruction d’un patrimoine bâti, d’une épaisseur historique et d’une culture de la construction ayant une accroche géographique et une justification contextuelle. En France, l’ANABF garantie cette mission de protection. -La seconde, serait la construction d’ensemble de bâtiments s’inscrivant dans ce mouvement d’homogénéisation et d’uniformisation. Conçu selon des codes et des principes économiques et publicitaires. 20
En effet de la même manière qu’on a pu observer une multiplication des panneaux publicitaires au sein de nos villes, on à pu voir s’implanter des bâtiments aux formes et aux couleurs similaires partout dans le monde. Ces franchise adopte, à la manière des cathédrales du moyenâge, un style répétitif, iconographique et remarquable puis l’exporte dans toutes les métropoles. Le bâtiment étant à peu de chose près le même d’un continent à l’autre, son apparence incarne son enseigne. A l’intérieur, son ambiance habituelle et artificielle matérialise l’essence de la marque. Comme pour le parc de loisir, il est une expérience dupliquée dans laquelle le rapport entre image et architecture est à la fois visible et confondu. «Dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux.» Guy Debord Extrait de la société du spectacle parut en 1967
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Deux entreprises, profondément ancrée dans notre société et dans nos villes me semblent parfaitement illustréer cette architecture standardisée. De plus, elles sont parvenues à élaborer deux modèles architecturaux distincts, qu’il me semble pertinent d’étudier ici : Le modèle esthétique, La boutique Apple store Montpellier, Odysseum De l’extérieur, sa grande façade est une baie vitrée, composée de grands panneaux de verre collés entre eux par un joint presque invisible et maintenu à la verticale par des montants, eux aussi en verre. Elle se distingue déjà des autres boutiques par l’absence de produit en vitrine. De par sa transparence et le vide généré aux premier plan, la boutique crée une échappée visuelle, une respiration, elle ouvre une perspective depuis l’espace piétons. Au delà de la symbolique de l’honnêteté et de la transparence que peut traduire cette façade limpide, elle crée une proximité physique entre le magasin et le consommateur. Par ces procédés ce sont les caisses, le mobilier, les vendeurs, les produits, et surtout les clients, qui sont exposés en vitrine. On peut y voir une incarnation architecturale d’une des idées de la marque selon laquelle, acquérir un de ses produit c’est adhérer à un groupe, à une famille de consommateur connecté entre eux et partagent une affection pour son design épuré. J’y vois pour ma part une sorte d’évolution de «l’architecture canard» décrite par Robert Venturi qu’il définit comme une fusion entre la fonction d’un bâtiment et son apparence, une assimilation entre le contenu et le contenant. La similitude entre les boutiques Apple et les produits qu’elle distribue n’est pas encore assez franche pour parler d’architecture canard, bien que, au regard de sa forme et des matériaux employés, la confusion soit quelques fois permise. 22
The duck, dans le New Jersey Photo tiré de l’ouvrage Learning from Las Vegas écrit par Robert Venturi, Denise Scott Brown , Steven Izenour parut en 1972.
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Le modèle fonctionnel, Le restaurant Mc Donald’s Montpellier St Jean de Védas Montpellier Alco Montpellier Grand M De l’extérieur ces trois bâtiments sont quasiment identiques, seulement quelques variations comme l’aménagement des tables de la terrasse permettent de les distinguer. Pendant mes études à l’Ensam j’ai eu l’opportunité de travailler dans un de ces établissements, d’être pris, en quelque sorte, dans l’engrenage de la restauration rapide. Du point de vue de l’employé ma première observation architecturale est la fluidité du plan du restaurant. Hormis la présence de quelques portes indispensables, le comptoir, la cuisine, la réserve ainsi que les espaces de repos s’articulent sans réelle séparation. La cuisine est un couloir partagé dans lequel les équipiers travaillent ensemble. Elle m’évoque les distributions de certains logements dont la fonction aurait été enrichit par l’ajout d’une alcôve, d’un bureau, d’un lave vaisselle, d’un grill... Elle est un espace intermédiaire composé d’espaces intermédiaires. Cette organisation appuyée sur les principes de performance et de surveillance, m’évoque celle des Casino : les équipiers se surveillent entre eux, ils sont surveillés par un chef d’équipe, lui même surveillé par un manager, lui même surveillé par le directeur et tout ça au même moment et dans la même pièce. Donnant sur une salle aux allures d’Openspace (confusion faite par certains clients qui y installent leurs bureaux), le fonctionnement de cette chaine de restauration est semblable à celui d’une petite usine. Cependant, l’emploi de divers procédés architecturaux comme la disparition de la carte, remplacé par des panneaux publicitaires qui participent, comme un prolongement de la ville, à la décoration intérieure du restaurant, trahissent sa vocation commerciale. 24
L’usine Extrait du film MÊtropolis de Fritz Lang Sortie en 1927
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Ce mélange entre image de marque et procédés spatiaux/marchands, source d’une architecture stéréotypée et d’un urbanisme chaotique, me semble en profonde rupture avec l’enseignement qui nous est transmis par l’école. Où nos professeurs nous invitent à réfléchir à des notions telles que le confort lumineux et la mixité sociale, les supermarchés, éclairés de manière artificielle en pleine journée, remplace maintenant les caissières par des machines. Pourtant, pour en revenir aux franchises évoquées précédemment, il arrive que des architectes de renom construisent certains de leurs établissements. Pour la majorité d’entre eux ils adoptent le design, le dress code de la marque : lumière, matière, matériaux, ambiance, mobilier, circulation, accoustique, semble remplacer le contexte puisqu’ils sont déjà «là» avant même que la conception n’ai commencé. Ainsi ils créent de véritables icones pour leur maîtres d’ouvrages. Des projets comme le café Starbuks de Kengo Kuma à Tokyo ou encore la boutique Apple store de Sir Norman Foster à Dubaï en sont de bons exemples. Cependant, un architecte, de par sa démarche à la fois plastique et interrogative, a particulièrement attiré mon attention pendant l’élaboration de ce rapport.
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Il s’agit de l’architecte américain James Wines. Diplomé de l’université de Syracuse, dans l’état de New York, en 1956 il commence sa carrière en tant que sculpteur. Il fonde son agence SITE en 1970, destinée au départ à la construction de sculptures et d’objets urbains qu’il élargit ensuite au domaine de l’architecture. Dans une interview il raconte qu’à l’époque, il craignait de son travail qu’il devienne répétitif et surtout vide de sens, citant comme exemple les statues installées sur un piédestal, détachées de la place publique et de l’environnement qui les entoure. Il continue en exprimant sa volonté de travailler sur la relation entre l’œuvre et son contexte, entre l’art et l’architecture. En 1972 Sidney et Frances Lewis, alors dirigents de la chaine de supermarché «Best Products Company», passent une commande à l’architecte qui aboutira ensuite à la construction de neuf magasins. Outre l’intérêt médiatique pour ces maîtres d’ouvrages, James Wines y voit une opportunité de rompre avec l’ennui et la monotonie des centres commerciaux américains. Il réalise ainsi, par une approche à la fois poétique et humoristique, plusieurs «expériences» ayant comme point de départ la forme parallélépipédique standard du supermarché. Elles aboutissent à des sortes d’objets architecturaux qui interpellent les clients ; à des anomalies où la frontière entre sculpture et architecture est brouillée. L’idée était pour lui «de mettre l’art là où on l’attendait le moins» tout en venant perturber l’architecture et le paysage commercial typique américain ; de motiver les usagers à réagir différemment vis à vis de l’environnement standardisé et routinier qui leur était imposé. Des actions comme : détruire, endommager, retourner, ouvrir, rassembler... à la fois simples et troublantes, résument ces interventions qui, par la symbolique, confèrent à l’architecture, une dimension critique de notre société, mais aussi d’elle même. 27
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Super marché Best par James Wines et son agence SITE (Sculpture In The Environment) Photo Page de gauche Haut : Entrée de l’ établissement Best Notch Showroom dans la ville de Sacramento en Californie, construit en 1977. Quand le bâtiment est clos son entrée est invisible, simplement signalée par une faille qui vient s’élargir et détacher un coin du bâtiment à son ouverture. Bas : Parking et entrée du Best Indeteminate facade Showroom à Houston au Texas, achevé en 1975. Le supermarché prend ici l’apparence d’un bâtiment en ruine, usé par le temps. Page de droite : Entrée du magasin Best Tilt Building de Towson dans le Maryland, terminé en 1978. L’architecte choisit ici de détacher la façade principale du bâtiment et de venir la suspendre aux dessus de l’entrée, comme si il ouvrait le couvercle d’une boite. 29
Partie 3 : Architecture, un produit comme les autres ? En France, dans le domaine public, la promotion de «l’architecture», dans le sens d’un espace présentant plusieurs qualités d’ambiance et de confort, concerne majoritairement le logement. Elle est principalement produite par des promoteurs immobiliers qui, par l’utilisation d’analyse de ces espaces, passant de leur orientation à leur surface habitable jusqu’à leur hauteur sous plafond, appuyées par des arguments commerciaux, parviennent à vendre des lots d’appartements et des maisons individuelles. Certaines fois, c’est le cas par exemple pour le projet de l’arbre blanc, ces habitations sont vendues sans même être construites. On parlera alors de vente sur plan ou Vefa ( vente en l’état futur d’achèvement ). Dans la majorité des cas, l’architecte semble lui être écarté de ces processus d’accession à la propriété ; de la relation entre son projet et ses futurs occupants. Par ailleurs je remarque que, quelques fois, son nom apparaît dans les annonces des agences immobilières, sa participation y étant décrite comme une garantie de la qualité du logement. Mais comment les architectes font-ils leur publicité et celle de leur production ?
Page dedroite : Le parfum de maison L’arbre Blanc, projet ( construit dans le cadre d’un partenariat public privé ) de l’architecte japonais Sou Foujimoto à Montpellier évoque par ses notes iodés, une atmosphère typique du littoral du Languedoc et fais entrer chez vous la «Légende de l’arbre Blanc» 30
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Jusqu’en 1992, la seule publicité qui était autorisée aux architectes français était d’apposer leur signature sur leurs réalisations. De nos jours, comme l’observe Valérie Didelon dans son livre l’architecture crève l’écran et comme il l’a été décrit précédemment dans ce rapport, on assiste à un glissement du bâtiment support d’image au bâtiment emblème. Cependant il semble que celui-ci soit aussi pensé dans le but d’être publié et médiatisé. Ces courants esthétiques semblent s’être ajoutés à la conception initiale du bâtiment à un tel point qu’on parle maintenant d’architecture «à la mode» De plus, comme le souligne Véronique Biau dans L’architecture comme emblème municipal, le seul fait d’être sélectionné à un grand concours entraine généralement la publication du projet et, explicitement, la promotion de son architecte. En revanche, la médiatisation des esquisses et des images de synthèse participe implicitement au détachement de la profession de l’univers concret et réel du chantier. L’architecte bâtisseur cédant sa place à un architecte concepteur.
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De mon point de vue, cette mise au devant de la scène des membres de cette profession et de leurs projets est le résultat de deux mutations. D’une part, on assiste depuis plusieurs années à un engouement des non-initiés et des médias pour l’architecture et la culture architecturale. Sans doute motivé en grande partie par les grandes opérations d’architecture et d’urbanisme de Paris sous les présidents Georges Pompidou et François Mitterrand. D’autre part, on constate un perfectionnement des techniques de communication des agences, passant par une évolution des éléments de présentation des projets, rendue possible grâce à l’amélioration de nos technologies. Le développement des perspectives suggestives et maquillées, aux textures hypperréalistes et aux ambiances palpables, qui se sont aussi propagées au sein des écoles d’architectures, est un bon exemple de ces innovations. La réalité augmentée, qui en est encore à ses prémices, commence à se développer dans les métiers de l’architecture, repoussant d’avantage les limites technologiques et allant jusqu’à interroger notre rapport à l’espace.
«La publicité sait se faire architecte lorsqu’elle fait de l’architecture sa meilleure publicité» Marcel Bleustein-Blanchet
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Bilan Personnel Au cours de ce semestre, grâce aux remarques de mes enseignants, j’ai réalisé à quel point les projets que j’avais pu concevoir à l’école étaient en quelque sorte déconnectés de la réalité. Pour brièvement caricaturer : un canal d’évacuation en béton devient un ruisseau bordé d’une piste cyclable dans une perspective ; un quartier de banlieue mal desservit devient une frange urbaine accueillante et chaleureuse pendant une présentation. Ce dédain pour le contexte véritable du site, à la fois social et spatial, incarné par l’adoption d’une conception optimiste et utopique me semble acceptable pour un étudiant de licence, mais maladroit à mesure que la fin des études approches. Mon expérience du métier d’architecte, majoritairement acquise pour le moment derrière un écran d’ordinateur, m’a montré que l’adoption de cette approche réaliste et son application,viennent appuyer le projet en lui amenant un caractère tangible et véridique. Pour conclure et nuancer mes propos, je ne souhaite pas dépouiller mes projets de leur légèreté et de leur imprudence, ou encore de me débarrasser d’une vision candide et allègre de mon environnement, mais bien, à l’aune de cette troisième année passée à l’école, d’enrichir mon rapport à l’architecture par une confrontation plus violente avec le monde extérieur.
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Robert Venturi et sa femme Denise Scott Brown conduisant dans le strip de Las Vegas, analysant son architecture ludique, commerciale, populaire et publicitaire. Photographie faite par un de leurs ĂŠtudiants.
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Bibliographie «Learning from Las Vegas» 1972 Robert Venturi, Denise Scott Brown , Steven Izenour «L’affichage visuel des informations quantitatives» 1983 Edward R. Tufte «New York Délire» 1978 Rem Koolhaas «Des souris dans un labyrinthe» 2015 Elisabeth Pelegrin-Genel «La société du spectacle» 1967 Guy Debord «Faut il pendre les architectes ?» 2001 Philippe Trétiack «Thèse sur l’architecture et la communication» Margaux Darrieus «99 francs» 2000 Frédéric Beigbeder
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