HÔTEL FOUQUET'S BARRIÈRE PARIS 8
UEM 123 - PROJETER AVEC L'EXISTANT – DIDIER LAROCHE ANALYSE – CHLOE GROSS
« Le moulé troué d'Edouard François: une architecture entre hommage et parodie. Un trompe-l'oeil qui se joue des codes haussmanniens. Il s'agit du nouvel hôtel Fouquet's Barrière, au coin de la rue Quentin Bauchard et de la rue Vernet, à deux pas des Champs Elysées »
LE PROJET Equipe : Maison Edouard François, Pré Carré (paysagiste), Light Cibles (Bet lumière) Programme : Palace de 107 chambres dont 55 suites, spa, restaurant, bar, jardins, parking Client : Groupe Lucien Barrière, groupe Accor Surface : 16 000 m2 SHON Budget : 60 M€ Calendrier : concours 2003, livraison 2006 Le projet se situe dans un ensemble de sept immeubles composés de vrais et de faux haussmanniens et d'un bâtmiment datant datant des années 70. Cet ensemble formait un îlot presque complet dans le triangle d'or, à l'angle des Champs-Elysées et de l'avenue Georges V. Le restaurant le Fouquet's constitue le fleuron de cette propriété du groupe Barrière. L'objectif du projet était d'unifer ces éléments hétéroclites pour en faire le septième palace parisien et de leur donner une image forte. Le contexte étant plutôt sensible, historique et très exposé, les architectes ont inventé le concept du « moulé-troué ». C'est ainsi qu'ils ont copié l'authentique façade haussmannienne de l'îlot pour ensuite l'appliquer sur les façades à rénover, à la manière d'un bas relief de Petra. Les façades ainsi moulées ont pu, ensuite, être percées par de larges ouvertures, totalement indépendantes du dessin haussmannien mais toutefois pertinentes au regard des plans et du confort visuel des chambres. La cour intérieure, aménagée par les paysagistes de Pré Carré, a été colonisée par une forêt verticale de branches en aluminium. Un jardin suspendu en terrasse au premier
étage permet également d'ofrir à la clientèle de ce palace un dépaysement féérique.1 Edouard François n'a été sollicité que pour travailler l'extérieur du projet, l'aménagement intérieur et la décoration ayant été confé à une autre équipe. Il a donc préalablement défni les enjeux importants de développement, pour concevoir le palace et le mettre en valeur dans le triangle d'or parisien. C'est ainsi qu'il a défni 7 grands principes pour développer son projet, à savoir : unifer les septs immeubles pour qu'ils puissent être lu comme un tout ; positionner le nouvel ensemble, ainsi formé, en monument parisien ; regrouper les cours en un jardin unique et spectaculaire ; dessiner des espaces et circulations fluides, limpides, sans contraintes ; mettre en place une « architecture du service » pour les 350 employés du palace et ainsi répondre au mieux à leurs attentes ; re-concevoir le « back ofce » du Fouquet's pour associer le restaurant au palace ; et créer un spa unique multi-service, sorte de projet en soi dans l'hôtel. A son ouverture, l'hôtel ne laisse comme référence visible du travail d'Edouard François que les façades dites du « moulé-troué » en pierre grise et les 8000 branches en aluminium pur du jardin.
Dessin de la façade moulée
Le raccord entre façade existante et façade moulée
1 Informations tirées du site http://www.edouardfrancois.com/fr/projets/tous-les-projets/article/256/hotelfouquets-barriere/#.UaIv7GRHD3Y
LE SITE ET SON HISTOIRE
Le triangle d'or, Paris 8° A Paris, des quartiers ont été choisis et investis par la haute société, de la bourgeoisie ancienne et de la noblesse fortunée. Ces classes ont voulu manifester leur position sociale par l'habitat qu'elles ont choisis et aménagé. Des quartiers ont ainsi été façonnés à leur image, sur des terrains encore inutilisés, aux limites de Paris, aux XVIII° et XIX° siècles (les faubourgs SaintGermain et Saint-Honoré) ou, dans les années 1950, à Neuilly, en construisant des parcs et de grandes propriétés. Ces nouveaux quartiers sont habités de manière homogène et ils bénéfcient d'une « grife spatiale » que l'on peut comparer à la grife des grands couturiers et qui constitue ainsi un label de haute qualité. Ce sont des adresses qui attirent la convoitise du monde des afaires et des ambassades, qui cherchent des localisations dignes de l'image qu'ils veulent donner d'eux-mêmes. Le fait d'implanter le siège social d'un entreprise dans les beaux quartiers, pour une maison de haute couture, ou pour un cabinet d'avocats, devient ainsi un atout dans la stratégie de communication. Les grands appartements et les hôtels particuliers sont progressivement transformés en bureaux et en ateliers pour les grands couturiers et joailliers. Les banques et les assurances ce sont déjà installés sur les grands boulevards depuis le début du XIX° siècle puis sous le second Empire. Un double mouvement se dégage donc, d'abord celui d'une colonisation d'espaces neufs par les grandes familles, puis celui d'une désafectation de celles-ci à l'égard des quartiers qui perdent leur âme à force d'être envahi par le monde des afaires. Les évolutions démographiques saisies par les recensements l'indiquent clairement : la population du 8° arrondissement, celui des Champs-Elysées, passe de 108 000 habitants en 1891 à 41 000 en 1990 alors qu'à la même date 225 000 personnes y travaillent. 2 L'hôtel Fouquet's Barrière naît donc dans ce contexte de « désertion » des habitants et de primeur de l'industrie du luxe.
2 Informations tirées du site http://www.universalis.fr/encyclopedie/triangle-d-or/
En 1906, François André, jeune ardéchois venu faire fortune à Paris, pense déjà à construire un palace à côté du Fouquet's « Si j'étais riche, c'est ici que je construirais un palace ». Dans les années 20 il invente le concept des « resorts » qui apparaissent ainsi à La Baule et se développent ensuite à Dauville, au Touquet ou encore à Cannes. Les palaces et les casinos connaissent alors un véritable essor. François André choisi alors de léguer cette héritage fructifant à son neveu, Lucien Barrière. Celui-ci est un très bon gestionnaire et il va faire évoluer et consolider « l'oeuvre » de son oncle. Il restaure les palaces et ouvre les casinos à une nouvelle clientèle. Cependant, Lucien Barrière, comme son oncle, veut acquérir un hôtel d'exception à Paris. Sa mort en 1990 ne lui permet pas de réaliser ce rêve. Sa flle Diane prend alors la succession et à partir des années 97 elle partage la présidence du groupe avec son époux Dominique Desseigne. Elle choisi de racheter le Fouquet's quand celui-ci est mis en vente en 1998 et c'est ainsi que naît l'idée d'adjoindre au célèbre restaurant un hôtel. A la mort de Diane en 2001, c'est Dominique Desseigne qui mène à bien le projet et en 2006 l'Hôtel Fouquet's Barrière, hommage à Diane, à Lucien Barrière et à François André voit enfn le jour. Cette création concrétise un rêve et elle devient un portedrapeau, un lieu d'exception au cœur de Paris.3 « Une petite musique alternant haussmannien et non haussmannien s’est imposée à moi. Une musique à transcrire en architecture. On moule l’haussmannien, on le coule. Le décor est créé » Edouard François.
3 Informations tirées du dossier de presse de l''Hôtel Fouquet's barrière Paris
UNIFIER – RENDRE VISIBLE – REGARD CRITIQUE On a compris que le projet avait pour but principal de donner une unité à l'îlot pour l'identifer comme appartenant au même propriétaire et défendant une image de luxe véhiculée depuis longtemps par le restaurant le Fouquet's. On peut alors se demander pourquoi l'architecte a choisi de mouler une façade existante pour la copier et la plaquer sur les autres bâtiments, plutôt que d'en dessiner une tout à fait nouvelle puisqu'il avait la possibilité de concevoir n'importe quoi d'autre ? Edouard François explique son choix de reconstruire une façade haussmannienne par une étude approfondie de l'îlot où il intervient. Il explique donc qu'en suivant le rythme d'apparition des immeuble haussmanniens de cet îlot parisien il detecte un « trou » qui correspond à l'endroit où il veut intervenir. C'est ainsi qu'il décide de le combler en reconstruisant, mais de manière résolument distanciée et contemporaine, un nouvel immeuble avec moulures, balcons ouvragés et modénatures haussmanniennes.
Cependant, en observant le site de plus près, on se rend compte qu'il y a très peu d'immeubles haussmanniens dans la rue. Ils sont plutôt dominés par de nouveaux immeubles datant du XIX° siècle aux lignes sobres et fonctionnelles. Les deux rues qui entourent l'îlot du Fouquet's Barrière sont donc constituées essentiellement de ces façades sobres et on ne comprends plus trop l'argument principal défendu par Edouard François. Alors, devant cet environnement d'une architecture plutôt quelconque (alors que l'on se trouve juste à côté des Champs-Elysées), on ressent, en quelque sorte, un manque de l'ambiance des vieux quartiers parisien, avec leurs terrasses de café, leurs platanes et surtout leurs façades haussmanniennes ! Edouard François a peut-être simplement voulu répondre à ce « manque » et c'est alors en toute logique qu'il a crée « ces têtes de lion, ces anges, ces corniches et une certaine hauteur d'étage » (E.François) reflétant l'époque haussmannienne.
On peut donc dire qu'Edouard François a eu raison de dessiner un immeuble haussmannien, non pas parce qu’il y en avait d'autres sur l'îlot, comme il le déclare, mais au contraire parce qu'il n'y en avait pas dans la rue. Le résultat et frappant car « cet immeuble en pierre grise est paradoxalement le plus doux carrefour, douceur qui se répand dans la rue et l'embellit tout entière »4 On peut également noter l'efet de ces fenêtres, « aussi fnes que des couteaux qui percent la façade à des endroits absolument et résolument indépendants des modénatures »5. L'efet crée est assez surprenant : on sent, sous la pierre, une autre logique que celle que l'on voit. Deux trames se superposent ainsi sans coïncider, et le décalage attire l'attention. Les deux matériaux, le verre, cerclé d'acier, et la pierre grise s'opposent et se reflètent.
4 www.agoravox.fr/culture-loisirs/article/le-nouvel-hotel-fouquet-s 5 www.agoravox.fr/culture-loisirs/article/le-nouvel-hotel-fouquet-s
Certaines critiques font ressortir le fait que la façade du Fouquet's est un pastiche. Pourtant, la couleur, la texture, les vraies fenêtres, les fausses fenêtres : l'immeuble ne cherche en aucun cas à nous faire croire qu'il est un immeuble haussmannien. Il ne fait que l'évoquer, le citer. Quand on voit l'immeuble, on ne pense pas une seconde que ce soit un immeuble haussmannien. Penser qu'Edouard François à voulu faire un pastiche est une idée fausse, il n'en a fait qu'une représentation. La façade ainsi proposée est résolument contemporaine de part son traitement, et rend un bel hommage à l'époque qu'elle cite. On peut également parler de la « non-fnition » des revêtements de façade que l'architecte propose sur presque tout ses projets. Il s'attache en efet à éviter le plus possible l'uniformité de matière, qui fait ressortir une certaine froideur industrielle, pour pouvoir valoriser les diférences artisanales de couleur, de grain, de plan, d'épaisseur...en bref les « défauts », que nous pouvons appeler plutôt des « singularités ». Ils étaient déjà là sur la façade de son immeuble végétalisé Tower Flower de la ZAC Porte d'Asnières à Paris, créés par une alternance de béton gris et blancs, mais que l'on ne remarquait pas autant au Fouquet's, parce qu'ils étaient cachés par les bambous et ne servaient que de fond. Ces efets de matière sont voulus par l'architecte qui les choisis délibérément pour donner à ses constructions les plus beaux efets. Et comme les images envahissent progressivement notre vie, la matière, sa présence et son poids, nous séduit et nous séduira de plus en plus.
L'architecte surprend également avec le travail du jardin. Il choisi de ne pas cacher les murs aveugles de ces anciennes cours d'immeubles qu'un autre aurait pu occulter. Au contraire, par l'opposition d'une maille de branches argentées, il les révèle, les transforme et les ennoblit pour donner lieu à la féérie souhaitée. On sent alors que ce jardin permet un dépaysement complet au centre de Paris.
En défnitive, on peut dire que de tous les bâtiments sur la scène architecturale actuelle, celui-ci reste sans doute le plus innovant et réussi le pari risqué de redonner ses lettre de noblesse à la façade haussmannienne sans la plagier mais en la magnifant et en la rendant résolument contemporaine. Cette interprétation de la façade haussmannienne signe un bel hommage à cette époque.