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Parti pris

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BANQUES Les Ouest-Africains prennent le contrôle

Pathé Dione, Simon Tiemtoré, Bernard Koné Dossongui, Mahamadou Bonkoungou… Ces dernières années, une poignée d’entrepreneurs locaux ont racheté ou obtenu des licences bancaires. JA décrypte la stratégie de ces nouveaux acteurs, inspirés par des pionniers comme le Togolais Gervais Koffi Djondo ou encore le Burkinabè Idrissa Nassa.

De g. à dr., Pathé Dione, de Sunu ; Simon Tiemtoré, de Vista Bank ; Bernard Koné Dossongui, d’Atlantic Financial Group ; Mahamadou Bonkoungou, d’Ebomaf ; et Idrissa Nassa, de Coris Bank International.

NADOUN COULIBALY, À OUAGADOUGOU

La bataille qui a opposé jusqu’àlafindejuilletSunu, le groupe de bancassurance duFranco-SénégalaisPathé Dione, à Lilium Capital, holding d’investissement dirigé par le Burkinabè Simon Tiemtoré, pour la reprise de la Banque internationale pour le commerce et l’industrie du Sénégal (Bicis), détenue par le géant français BNPParibas,est révélatricedel’appétit des hommes d’affaires ouest-africains pour le secteur bancaire, longtemps dominé par les groupes étrangers.

Jeux d’influence

Auterme de cinqmoisd’âpresdiscussions sur fond de jeux d’influences politiques (la présidence sénégalaise ayant pris position en faveur de son compatriote, selon nos informations),PathéDionea finalementremporté la mise et conclu avec François Benaroya, responsable de la région Europe-Méditerranée, un accord qui acte la sortie de BNP Paribas du Sénégal. Jusqu’ici, Sunu ne détenait dans le pays qu’une filiale de microfinance – Kajas –, et fait ainsi une entrée remarquée en s’emparant de la sixième banque de la place – avec 6 % des actifs totaux sur le marché en septembre 2021. À la fin de 2020, elle a affiché un total de bilan de 483 milliards de F CFA (736 millions d’euros), en progression de 10 % sur quatre ans. Dans la foulée, le FrancoSénégalais s’est associé au projet de l’Africa golden bank (AGB), qui a déposé un dossier d’agrément au Cameroun.

Un an plus tôt, Simon Tiemtoré (Vista Bank) et l’Ivoirien Bernard Koné Dossongui s’étaient déjà affrontés pour le contrôle de trois

filiales mises en vente par BNP : au Burkina, en Guinée et au Mali. Si le groupe financier de Koné Dossongui s’est emparé des participations du français dans la Bicim (Banque internationale pour le commerce et l’industrie du Mali), celles du Burkina et de la Guinée sont, en revanche, tombées dans l’escarcelle du groupe bancaire du Burkinabè, présent par ailleurs en Guinée et en Sierra Leone, avec la cession de 51 % du capital de Biciab et de 55 % de Bicigui à Lilium Capital, qui contrôle Vista Bank.

« Le fait que les actionnaires des banques soient de plus en plus originaires de l’Uemoa est une bonne chose. Cela confère un ancrage local plus fort à ces établissements. L’objectif de ces nouveaux acteurs est souvent d’autofinancer leurs autres activités, mais ils peuvent également répondre aux besoins locaux parce qu’ils connaissent parfaitement l’environnement (y compris le secteur informel) et les dossiers soumis. Ils possèdent en plus un autre atout: la célérité dans les prises de décisions », explique l’avocat d’affaires burkinabè Dramane Sanou, par ailleurs ancien fonctionnaire de la BCEAO.

Fini le temps, donc, où il fallait envoyer les dossiers à Paris ou à Washington pour obtenir l’aval de la maison mère. La décision se prend désormais à Ouagadougou, Abidjan ou Dakar. C’est avec cette méthode que C oris B ank International (CBI), groupe bancaire fondé par l’homme d’affaires burkinabè Idrissa Nassa, s’est imposé sur les marchés ouest-africains.Defait,CBIs’esthissé àlatroisièmeplaceduclassementdes principaux groupes bancaires exerçant dans l’Uemoa, dépassant allègrement BNP Paribas et raflant 8,6 % des actifs du secteur, devant Bank of Africa (8 %), Banque Atlantique (7,3 %). « Cette émergence des banquiers africains, qui repose sur une approche pragmatique et une meilleure connaissance du terrain, bousculelahiérarchie.Elles’expliqueaussi parce qu’un certain nombre de mar-

chés n’intéressent plus les groupes internationaux, qui ne les trouvent plus assez rentables. Nous assistons à un recentrage de leurs activités sur des marchés émergents à fort potentiel de croissance. En outre, l’évolution de la réglementation impose des exigences fortes [en matière de compliance – conformité – par exemple], ce qui oblige ces banques à se recentrer sur le cœur de leur métier », analyse Abdoulaye Kouafilann Sory, patron de Fidelis Finance, leader du leasing au Burkina.

Tout juste repreneur de 90 % de parts de la Banque togolaise pour le commerce et l’industrie (BTCI), Mahamadou Bonkoungou fait partie de ceux qui ambitionnent de créer un groupe bancaire panafricain. Rebaptisé IB Bank Togo, l’établissement comprend un réseau d’une vingtaine d’agences totalisant plus de 70 000 clients, et a d’ores et déjà renoué avec des résultats excédentaires, selon le bilan semestriel. Le plan de transformation mise notamment sur le financement des grands projets inscrits dans la feuille de route du gouvernement togolais sur la période 2020-2025.

L’arrivée de Bonkoungou dans la finance a démarré en 2017 dans son pays par la prise de contrôle pour 7 milliards de F CFA de la Banque de l’habitat du Burkina Faso, qu’il a transformée en International Business Bank (IB Bank). Dotée d’un capital de 23 milliards de F CFA, IB Bank dispose d’une marge de progrès, avec 5 % de part de marché. Mahamadou Bonkoungou a également ouvert une filiale bancaire à Djibouti et demeure attentif à de nouvelles acquisitions.

« L’émergence des banquiers africains tient à leur approche pragmatique et à une meilleure connaissance du terrain.»

Regroupements en perspective

« Il est trop tôt pour juger des résultats obtenus par ces banques, qui se positionnent comme des middle players. Elles ne sont qu’au début de leur expansion. Bridge Bank, du Sénégalais Yérim Sow, est devenu en une décennie un acteur majeur de la place d’Abidjan. En matière de taille de bilan, Massa Bank a franchi la barre des 200 milliards de F CFA de total bilan en un an, dépassant Afriland ou encore Trust Bank », plaide un ancien banquier ouest-africain. Et notre interlocuteur d’attribuer ce succès à un conseil d’administration avisé, oùson fondateur, El-Hassana Kaba, passé par City Bank et Standard Bank, s’est entouré de personnalités reconnues comme Charles Kié, spécialiste de la finance et du capital-investissement.

Parmi les banquiers ouest-africains, Bernard Koné Dossongui fait, lui, figure d’ancien. En 2012, il avait cédé la majorité des parts des filiales d’Afrique de l’Ouest de son holding Atlantic Financial Group au groupe marocain Banque populaire, ne conservant qu’une présence au Cameroun. Mais, en 2020, l’investisseur ivoirien avait opéré un retour surprise sur le devant de la scène en reprenant trois filiales de BNP au Mali, ainsi qu’aux Comores et au Gabon. L’expansion de son groupe devrait prochainement se poursuivre en Côte d’Ivoire, où il attend le feu vert des autorités pour l’obtention d’une licence et prévoit un changement de marque pour toutes ses filiales. Le PCA du holding, Léon Konan Koffi, l’a confirmé : « Nous travaillons à la refonte de notre image. Toutes nos banques vont être “rebrandées” AFG Bank d’ici à la fin de l’année.»

Cette évolution, qui s’accompagnera aussi d’une réorganisation des différentes filiales, aurait pu être plus rapide, mais l’entrepreneur a préféré attendre d’être mis hors de cause, à la fin de 2021, par les régulateurs d’Afrique centrale et d’Afrique de l’Ouest, qui soupçonnaient ses établissements de blanchiment de capitaux et de financement d’activités terroristes. Bernard Koné Dossongui prévoit d’axer son projet autour des nouvelles technologies, avec pour objectif de contribuer à l’inclusion financière.

Admettant que la dynamique en cours va aboutir à des regroupements, Abdoulaye Kouafilann Sory prévient toutefois qu’il ne faudra pas se précipiter « pour ne pas faire disparaître les petites banques, plus réactives et attentives aux demandes de petits financements ». Que ce soit Vista Bank, IB Bank Holding ou Atlantic Financial Group, tous vont devoir néanmoins doper leurs fonds propres pour pouvoir contrer les leaders, insiste le financier JeanLuc Konan, créateur du groupe spécialisé dans la mésofinance Cofina, également ancien patron des filiales de United Bank of Africa au Gabon et au Sénégal.

Relever le défi de la gouvernance

« Nous allons vers des vagues de consolidation comme au Nigeria ou en Afrique du Sud. Cela passe d’abord par la guerre aux fonds propres, pour être forts et réaliser des économies d’échelle. D’autant plus que nous avons rarement vu des alliances stratégiques qui ont convergé vers des fusions ; à cause des ego, chacun voulant diriger sa banque », explique le financier.

Ces groupes bancaires locaux doivent aussi relever le défi de la gouvernance, dans un secteur où l’activité est très réglementée. Et pas uniquement pour être en conformité avec les textes de l’Umoa, précise l’avocat Dramane Sanou, ancien juriste de la Commission bancaire de l’institution. « S’ils veulent se développer en Europe ou aux ÉtatsUnis en ouvrant des succursales ou des filiales ; et nouer des partenariats bancaires pour les règlements et les paiements à l’international, il y a beaucoup d’exigences et de règles à respecter. La Banque centrale européenne ou la Fed américaine peuvent empêcher un groupe implanté dans sa zone de nouer des relations avec un établissement africain si elles n’ont pas la garantie que toutes les mesures ont été prises pour éviter le blanchiment de capitaux ou le financement du terrorisme », prévient-il. Un pari sur l’avenir qui mettra en lumière – ou non – la capacité des nouveaux acteurs de la finance africaine à se hisser aux standards mondiaux.

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