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Le dessous des cartes

ECOBANK Ade Ayeyemi

« Les vies numérique et financière des clients sont désormais liées »

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À l’approche du terme de sa mission à la tête du groupe, le Nigérian, associé à deux de ses collaborateurs, expose les éléments clés de la réussite du processus de digitalisation et livre sa vision de l’avenir de la tech.

PROPOS RECUEILLIS PAR JOËL TÉ-LÉSSIA ASSOKO

En sept ans, sous l’impulsion d’Ade Ayeyemi – son actuel directeur général sur le départ et dont le remplaçant est le Kényan Jeremy Awori, Ecobank Transnational Incorporated a multiplié les lancements de produits financiers numériques. Au fil de l’eau, Ecobank Mobile App (2016), Xpress Cash (retraits et paiements via un agent bancaire ou un jeton électronique au guichet, sans carte bancaire, en 2016), Rapid Transfer App (transferts de la diaspora, en 2017), Omni Lite (consacrée aux PME, 2018) et Omni Plus (grandes entreprises, en 2019) sont venus s’ajouter à la plateforme de banque en ligne dénommée tout simplement Omni, en 2015. Les effets cumulés de ces différents services (complétés par des partenariats avec les opérateurs de télécoms MTN et Airtel, des services de paiement comme Alipay et Palm Pay et les opérateurs de transferts de fonds Western union, RIA et Money Gram) sont désormais plus apparents dans lesrésultatsdelabanque.Àlami-2022, labanquerevendiquaitprèsde14 millions de clients numériques, soit plus que le volume total de sa clientèle en 2015.

Si l’idée la plus souvent associée à son parcours professionnel – à Ecobank comme durant ses trois décenniesàCiti–estunestricteattention aux coûts, Ade Ayeyemi rappelle souventqu’ilétaitchargéàlafois« des opérations et de la technologie » pour l’Afrique au sein de la banque américaine.« J’aifaitmesclassesducôtédu développement des applications et j’ai très bien compris comment utiliser la technologie pour développer un modèle commercial qui nous permet de réussir », répond-il aux curieux. Alors que, atteint par l’âge limite de retraitede60ans,ilentameladernière lignedesesannéesàlatêted’Ecobank, ledirigeantnigérianaacceptéderevenir pour Jeune Afrique sur cet aspect de son bilan ainsi que sur le futur de labanquenumérique,associantàl’entretien deux de ses collaborateurs qui œuvrent à la transformation numériquedel’établissementpanafricain,le NigérianTomisinFashina,directeur des opérations et de la technologie, et le Sénégalais Abdoul Aziz Faye, directeurdessystèmesd’information.

JeuneAfrique:Vousavez récemmentannoncéquelavaleur destransactionsréaliséesàtravers l’ensembledesoutilsnumériques dugroupeavaitaugmentéde 10,5milliardsdedollarsenun an,pouratteindre39,1milliards durantlessixpremiersmoisde cetteannée.Commentavez-vous organisécettetransformation?

Ade Ayeyemi : Lorsque j’ai rejoint la banque, en 2015, nous avons fait le point sur nos actifs numériques pour voirs’ilsétaientadaptésànotreintention stratégique – atteindre les habitants sur notre continent, à travers de multiplescanaux,demanièreefficace. Nous nous sommes donc concentrés sur le renforcement de notre filiale technologique pour permettre une transformation numérique très dynamique. Notre filiale technologique opèredepuisleGhana,oùelleexporte des services vers les pays où nous sommes présents. Nous avons également compris qu’il était important de disposer de centres de données d’envergure internationale – avec un data center principal à Accra et un centre de secours à Lagos – dotés d’une connectivité de classe mondiale ainsi que d’un cloud privé qui permette les interactions et la surveillance de nos opérations.

Nous avons également manifesté notre intention de mettre à la disposition de nos clients une application bancaire centrale répondant aux normes internationales du secteur, avec une réelle convergence des services proposés [trésorerie, paiement, traitement des transactions…]. Cette stratégie de consolidation et de convergence a non seulement permis

deréduirenoscoûtsmais,plusimportant encore, de servir nos clients sur 33 marchés à travers l’Afrique avec les mêmes standards de qualité.

Abdoul Aziz Faye : Il faut ajouter que la nouvelle génération de clients neréalisepassesopérationsbancaires de la même manière que les précédentes. En Afrique, plus de 800 millions de personnes ont aujourd’hui moins de 25 ans. Ces gens veulent effectuerleursopérationsbancaireslà où ils se trouvent, au moment où ils le souhaitent,sansavoiràserendredans unpointdeventebancaire.Pourservir cette génération, vous êtes obligé de numériservosopérationsetd’innover.

Danslesfaits,comments’est manifestéecettestratégie,pas seulementencequiconcerneles volumesdestransactions,mais danslefonctionnementquotidien delabanqueetlesinteractions avecvoséquipes,vosclients?

A. A. : La migration des agences physiques vers la banque numérique a vu notre empreinte « physique » réduite de moitié depuis 2015, à environ 600 agences, alors que nous servons aujourd’hui plus de 33 millions declients,contre10 millionsilyasept ans. Nos clients sont en mesure d’obtenir des services instantanément, avec un coût de transaction marginal désormais proche de zéro. Notre ratio coûts/revenus s’est également amélioré de manière significative [de plus de 70 % à moins de 60 % en 2022]. À l’avenir,nousdeviendronsencoreplus efficaces, nos coûts continueront de baisser, et nos marges de rentabilité de s’améliorer.

Tomisin Fashina : Il y a eu une réduction des effectifs, qui sont passés de 19 000 collaborateurs à environ 13 000, mais pour un volume et une valeur de transactions beaucoup plus importants. La numérisation nous a permis de changer la dynamique de nostransactions–de70 %réaliséesen agence et 30 % aux guichets automatiquesauparavantàseulement6%-7% réaliséesaujourd’huienagence,contre 45 % via les canaux numériques et le resteparlescartesdepaiement.Notre stratégie de numérisation nous a également permis d’être prêts à travailler et à fournir des services lorsque la crise liée au Covid-19 est survenue et que, dans certains cas, jusqu’à 50 % de nosemployéstravaillaientdepuisleur domicile.

A-t-il été aisé de convaincre les équipes de vous suivre? Les changements que vous évoquez ne sont pas anodins, en matière d’effectifs et d’organisation professionnelle…

A.A.:Ilfauts’assurerinfinequeces changementsnesontpassimplement uneséried’actions,maisbeletbienles composantes d’une stratégie. Il était important d’énoncer clairement la stratégie que nous poursuivons en tant qu’organisation dont l’objectif est que, dans le plus grand nombre de pays, un maximum de personnes soient connectées. En tant qu’institution bancaire attachée à servir uniformément ses clients – quelles que soient leur classe sociale ou l’endroit

Seule la technologie peut nous permettre d’offrir à notre clientèle des prestations d’une qualité optimale.

où ils se trouvent –, seule la technologie peut nous permettre de leur offrir des prestations d’une qualité optimale. Une fois que nous avons pu ancrer cette stratégie dans l’objectif de l’organisation, il a été plus facile pour mes collègues d’être prêts à nous suivre dans cette voie. Nous avons obtenu l’adhésion des gens et, dès que nous avons commencé à produire des résultats visibles, un plus grand nombre de mes collègues « Ecobankers » ont été convaincus. La voie du progrès technologique dans laquelle nous nous sommes engagés a permis de convaincre les gens que nous pouvons devenir un groupe beaucoup plus stable, rentable et ayant un impact important.

Quellesévolutionsanticipez-vous quantaufuturdelabanqueetdes servicesnumériques?

A. A. : La numérisation et la mondialisation sont des tendances clés que nous avons observées au cours de ce siècle. La numérisation, en particulier, permet aux organisations et aux entreprises de mettre en œuvre leur stratégie. Pour les années à venir, la première chose dont nous nous rendons tous compte est que les vies numérique et financière des consommateurssontdésormaisliées. Qu’ils regardent un film ou utilisent l’application Amazon, s’ils voient quelque chose et veulent l’acquérir, ils veulent pouvoir le faire directement. La consommation de services bancaires se fait donc en arrière-plan. À l’avenir, le client sera en mesure de choisiretdeconfigurersesfacilitésde paiement et ses services bancaires. Nous deviendrons de plus en plus sophistiqués : aujourd’hui, plus de 80 % du temps consacré à l’ouverture d’un compte consiste à valider votre identité, et cette identité numérique nous permettra de faire les choses plus rapidement.

Quel regard portez-vous sur les difficultés auxquelles l’écosystème de la fintech africaine fait face, avec plusieurs régulateurs financiers – au Kenya par exemple – leur imposant des sanctions?

A.A.:Lesfintechssontunecomposante essentielle de l’industrie financière. Nous comprenons également les questions réglementaires que les banques centrales veulent résoudre en matière d’intégrité de l’information, et nous ne voulons pas d’une situation dans laquelle la politique monétaire perdrait en efficacité. La combinaison de la connaissance et de la technologie nous permet toutefois de répondre à ces préoccupations et à ces souhaits dans la conception et la fourniture de services de fintech. Et ce afin de nous assurer que nous bénéficions de ce que la fintech peut faire, sans que la réglementation en pâtisse. Nous devons amener la communauté fintech à travailler avec les régulateurs pour que la qualité de la prestation de services continue d’être pour tout le monde à un niveau de satisfaction maximal. Cette conversationentrelespartiesprenantesdoitse poursuivre.

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