Digitalarti Mag #10 (Français)

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#10 Le Magazine International de l'Art Numérique et de l’Innovation

www.digitalarti.com

DAAN ROOSEGAARDE juillet-août-septembre 2012 - 6 € / 8 $ US

digitalarti #10

TECHNO-POÉSIE & ARCHITECTURE INTERACTIVE SIGHT & SOUND ARTS NUMÉRIQUES À NEW YORK SHU LEA CHEANG CORPS CONNECTÉS ELEKTRA - BIENNALE INTERNATIONALE D'ART NUMÉRIQUE MANIFESTE 2012 BAINS NUMÉRIQUES PANORAMA



JUILLET/AOÛT/SEPTEMBRE 2012

DAAN ROOSEGAARDE, DUNE 4.0, 2006 - 2011. © Daan Roosegaarde / Studio Roosegaarde www.studioroosegaarde.net

#10 EDITO

SOMMAIRE 03 EDITO 04 NEWS infos, blogs et liens / Digitalarti.com

07 CHRONIQUES Michel Serres, Jean-Paul Fourmentraux…

08 ART NUMÉRIQUE promenade à New York

12 PANORAMA quatorzième édition

14 SHU LEA CHEANG mythologies interactives

16 CORPS CONNECTÉS et fantasmagories artistiques

18 DAAN ROOSEGAARDE techno-poésie & architecture interactive

22 MANIFESTE 2012 festival international et académie pluridisciplinaire

24 BAINS NUMÉRIQUES si les arts numériques réinventaient la ville ?

26 SIGHT & SOUND systèmes symétriques

28 ELEKTRA biennale internationale d'art numérique

32 AGENDA expositions, festivals…

CORPS CONNECTÉS ET AUGMENTÉS SOUS LE SOLEIL Il y a plusieurs manières de remodeler son corps cet été: courir les skate park des plages de la côte Ouest des Etats-Unis, le transformer en avatar pour interagir sur les réseaux ou s’implanter différents dispositifs (robotiques, puces électroniques…) pour démultiplier ses potentialités. Ce 10e mag Digitalarti présente des artistes qui utilisent les technologies dans une démarche cyber-punk / cyber sex pour explorer notre "devenir cyborg"*. L’artiste Daan Roosegaarde, en couverture, nous offre même des robes "intelligentes" en aluminium qui deviennent transparentes en fonction de notre rythme cardiaque (Intimacy 2.0) ou lorsque l’on nous approche (Intimacy). A l’affiche également, une promenade instructive à New York pour découvrir les lieux de production et de diffusion des arts numériques, et des reportages sur les festivals et expositions à Montréal, Tourcoing, Paris. Pour les voyageurs qui auront l’occasion d’atterrir à l’aéroport Charles de Gaulle en France, Digitalarti a installé les jardins virtuels de Miguel Chevalier, Sur-Natures 2012, dans le nouveau terminal international(CDG 2E) à l’invitation des Aéroports de Paris ! Et pour ceux qui ne partiront pas cet été, venez visiter notre Art Lab dans lequel nous fabriquons notamment le prototype de "Coquillage connecté" de Julien Levesque qui vous permettra d’écouter en temps réel toutes les mers du monde… La nouvelle version du site Digitalarti est en ligne. Dans la rubrique Mag, vous retrouverez les archives des numéros précédents, ainsi que tous nos articles de fond. N’hésitez-pas à nous faire vos commentaires et retours afin d’améliorer encore ce magazine en ligne. Nous allons bien sûr faire évoluer ce nouveau site en continu. Le mois de septembre sera riche en événements: aux Etats-Unis avec la Biennale Zero1 dans la Silicon Valley, et en Europe avec Ars Electronica à Linz, Todays Arts à La Hague, Scopitone à Nantes… Bons voyages et bonne lecture. ANNE-CÉCILE WORMS * une thématique développée également dans Art et Culture(s) Numérique(s), Panorama international, le livre publié par le Centre des Arts d’Enghien-les-Bains, (conception éditoriale : Musiques & Cultures Digitales), dont Digitalarti produit la version ebook qui sortira le 20 septembre.

digitalarti #10 - 03


DIGITALARTI NEWS

DIGITALARTI.COM Best of des dernières news de la communauté Informations, blogs, liens et news à retrouver sur le site la chaîne de l'Art numérique. Sur Digitalarti TV, retrouvez des reportages et interviews, des vidéos d’artistes, les teasers de festivals… Antonin Fourneau, en résidence au Artlab, travaille à la création de Water Light Graffiti. Sur ce mur de led, on peut graffer avec de l'eau. Antonin Fourneau est artiste et professeur à l'ENSAD. Il s'intéresse aux pratiques populaires, la fête foraine, les jeux vidéo, le graffiti… Dans cette vidéo, il explique les processus de recherche et de développement de cette œuvre.

Focus

BOUILLANTS

Focus

SINGULARITÉ EXPOSITION À LA GALERIE H+ La galerie H+ présentera sur Lyon en juillet et août l'exposition Singularités, par le groupe Spectre, fondé en 2011 par Stefano Moscardini et Enrico Viola.Ce groupe s'est déjà illustré par la radicalité de ses installations en réalisant Danse Neurale avec Lukas Spira lors de la Borderline Biennale, et présentera cinq œuvres réalisées spécifiquement pour cette exposition. Venez approcher la singularité, en venant découvrir l'émotion palpable de ces œuvres et machines digitales. Les originaux seront en vente à la galerie, et proposés en séries limitées, sous un format "do it yourself". Les dates et vernissage seront annoncés sur le site de la galerie http://h-pl.us

< http://www.digitalarti.com/fr/blog/digitalarti_mag /exposition_singularit_s_la_galerie_h_lyon >

04 - digitalarti #10

Dédié à l’art numérique, au multimédia et à la citoyenneté, l’espace Bouillants se déplace sur la région Bretagne pour aller à la rencontre des publics et favoriser le dialogue. Les usages, enjeux et contenus artistiques découlant des technologies du numérique sont donnés à voir et à pratiquer. De mars à août 2012, Bouillants #4 aborde un thème de circonstances, Frontières. Profitant d’une année de convictions, d’élections et de mutations, Bouillants #4 fait se croiser des personnes, des artistes, et donc des pensées multiples. Laissez-passer numérique, cette édition veut participer au façonnage d’une liberté artistique transfrontalière. < http://www.digitalarti.com/fr/blog/espacebouillants >

K.DANSE La compagnie K. Danse se distingue par le développement d’une écriture chorégraphique contemporaine basée sur une constante dialectique entre le corps vivant (vécu) et le corps visuel (donné à voir ou virtuel).K. Danse a à son actif, depuis 1983, un vaste champ de réalisations où s’hybrident danse contemporaine et arts numériques. Les œuvres questionnent les frontières entre fiction et réalité, la construction sociale du corps, le rapport aux nouvelles technologies. Une passion : inventer de nouvelles écritures pour le spectacle vivant.

< http://www.digitalarti.com/fr/blog/kdanse >

ACCÈS(S) accès(s) est une association loi 1901 dont l'action est de promouvoir et de soutenir la création contemporaine liée aux cultures électroniques et ce, dans tous les domaines de la création : arts plastiques et visuels, graphisme, architecture, musique, danse, cinéma… accès(s) explore, expérimente et rend compte de démarches artistiques qui font preuve d'acuité face au monde contemporain, en s’attachant plus à la démarche qu’à l’utilisation de l’électronique comme medium, à l'appréciation d'un processus plus qu’à la contemplation d'un objet. < http://www.digitalarti.com/fr/blog/acces_s >


Agenda Sortie du MCD 67 Guide International des festivals numériques 2012-2013 Édition bilingue, ce guide recense plus de 400 festivals de musiques électroniques et art numérique. Cette année, un cahier spécial est dédié aux festivals audiovisuels (A/V).

< www.digitalarti.com/m10_1 >

Kadâmbini par Iduun

Le Cube, centre de création numérique

Kadâmbini est un spectacle audiovisuel et cinéma, un voyage poétique, peuplé de non-sens, d'absurde et de manipulations, une rencontre des arts de la scène et des technologies numériques. Le spectacle mêle vidéos et animations créées en amont puis montées, truquées et sonorisées depuis le plateau.

Le Cube est un lieu ouvert à tous pour découvrir, créer et échanger, tout au long de l’année, autour de formations, expositions, spectacles et rencontres avec les artistes et les acteurs du numérique.

< www.digitalarti.com/m9_6 >

Vida 14.0, concours international "Art et vie Extraball, de la Cie Sound Track artificielle" Extra ball est une création collective, Vida soutient l’excellence dans le cadre de la recherche artistique sur la vie artificielle. Le concours est une nouvelle fois lancé afin de récompenser les projets réalisés au cours des deux dernières années proposant des points de vue innovants sur la vie et ses propriétés. < www.digitalarti.com/m10_2 >

audio, visuelle et interactive, intégrant un gameplay comportemental. Cette installation est centrée autour d'un flipper qui, déconstruit et reconstruit, devient métaphore et expérience de vie et de destin pour les joueurs-spectateurs.

Appel à participation du 10e concours d'art radiophonique Luc Ferrari jusqu'au 25 août

Sennep & Yoke, DANDELION

Tous les deux ans, La Muse en Circuit, Centre national de création musicale, et la SACEM en partenariat avec le Festival Archipel, Radio France, la Radio Suisse Romande - Espace 2 DeutschlandRadioKultur, Radio Campus et Musiq 3 –RTBF, propose aux jeunes compositeurs de postuler au concours Luc Ferrari dont l’intitulé est cette année : Correspondance.

< www.digitalarti.com/m10_3 >

Le festival Futura fête ses 20 ans Ce festival est l'un des rares à être entièrement dédié à l’art acousmatique et aux arts de support (musique acousmatique, vidéo, installations).

< www.digitalarti.com/m10_4 >

Artistes L'été du synesthèseur

< www.digitalarti.com/m10_7 > DANDELION reprend un principe bien connu : celui des pétales qui se dispersent au vent… Cette installation interactive peut être activée par l'intermédiaire d'un sèche-cheveux trafiqué en "télécommande". Une fois actionné, le souffle disperse sur écran les graines de cette fleur de pissenlit (dent de lion) digitale qui rappellera des souvenirs d'enfant…

< www.digitalarti.com/m9_8 >

Festivals, Centres d’Art Master Arts interactifs à l'École européenne supérieure de l’image / Université de Poitiers Le Master spécialisé Arts Interactifs développe en deux ans des enseignements sur l’œuvre numérique interactive s’adressant à des étudiants, des artistes et des scientifiques afin d’établir ensemble une culture théorique et pratique.

Le synesthéseur est un projet de databen< www.digitalarti.com/m10_9 > ding d'Exomène, en collaboration avec Dorianne Wotton. Le synesthèseur pourrait Le Festival EXIT 2012 en image se résumer ainsi : De superbes photographies des œuvres une image => un son => une image animée… exposées lors de l’exposition Low Tech du < www.digitalarti.com/m10_5 > festival Exit. < www.digitalarti.com/m10_10 >

< www.digitalarti.com/m10_11 >

SPAMM En créant le SuPer Art Moderne Muséum (le SPAMM), Musée virtuel, Musée d’un autre temps, Systaime de son vrai nom Michaël Borras et Thomas Cheneseau, ne font que relever à la fois la grande indifférence des autorités culturelles et la nécessité pour notre société d’appréhender le musée d’une autre façon. En 2012 le Musée déplace les enjeux et notre SuPer Art Moderne car une autre façon de voir (et pourquoi pas d’acheter) l’art doit être mise en place. < www.digitalarti.com/m10_12 >

Innovation Quand les créateurs digitaux réinventent la perspective Voici trois vidéos traitant du sujet de la perspective liée aux applications digitales.

< www.digitalarti.com/m10_13 >

Présentation du prototype T "T" est le projet de développement d’une matière vidéo sensible, sculptable, horizontale, verticale et sur toutes les formes imaginé par Pascal Bauer.

< www.digitalarti.com/m10_14 >

ZeroN, le MIT MediaLab dit non à la gravité. Le MIT MediaLab ne finit pas de surprendre le monde de l'innovation digitale. Leur dernière trouvaille, ZeroN, est pleine de promesses : une bille en apesanteur, couplée à un système intelligent.

< www.digitalarti.com/m10_15 >

digitalarti #10 - 05


Cette publication est co-éditée par le Centre des arts d'Enghien-les-Bains et l'Institut Français Avec le soutien du Ministère de la Culture & de la Communication Conception éditoriale : Centre des arts & Musiques & Cultures Digitales (MCD) Sortie du livre le 11 juin. Présentation le 14 juin, à 10h, à l’occasion des Rencontres Professionnelles du festival Bains numériques #7 – le festival international des arts numériques d’Enghien-les-Bains. Avec les contributions éditoriales de : Yves Michaud, Louise Poissant, Caroline Seck Langill, Peter Murvai & Dominique Scheel-Dunand, Dooeun Choi, Jean-Luc Soret, Jean-Paul Fourmentraux, Marco Mancuso, Zhang Ga, Jean-Marie Dallet, Annick Rivoire, Anne Laforet, Dominique Moulon, Maurice Benayoun… Et la participation de : Fred Forest, Edmont Couchot, Guy Tortosa, Geert Lovink, Jakob + MacFarlane, Hiroko Tasaka, Malcom Levy, Alif Riahi, Bruce Benderson, Michel Jaffrenou, Martine Neddam, Emmanuel Guez, Anne Huybrechts…

w w w. b a i n s n u m e r i q u e s . f r


NEWS LIVRES

PORTRAIT DE L'ARTISTE EN MUTATION Après avoir radiographié le net-art, le sociologue Jean-Paul Fourmentraux s'interroge sur les liens qui unissent création artistique et recherche technologique. Une "nouvelle alliance" qui bouscule les frontières entre art et science, et remet en question le statut même de l'artiste. La création artistique et la recherche technologique, qui constituaient autrefois des domaines nettement séparés et quasiment imperméables, sont aujourd’hui à ce point intriqués que toute innovation au sein de l’un intéresse (et infléchit) le développement de l’autre. La "classe créative" a vu ainsi émerger des artistes de laboratoire. Des plasticiens épaulés par des ingénieurs, des vidéastes "encadrés" par des groupes industriels, etc. Le tout selon une "logique de projet" dûment budgétisée… Il s’en dégage des formes moins hiérarchiques de fragmentation et d’attribution des œuvres mises en scènes et régulés à travers des dispositifs renouvelés de co-signatures. Nous sommes loin de l'artiste solitaire, plus ou moins inspiré par quelques muses, survivant grâce à des mécènes au gré d'expo-ventes… Ce mariage entre art et science masque des divergences. Ces deux pôles ne "coïncident" pas forcément. Ne serait-ce que par le tempo de leur logique intrinsèque entre le rythme inhérent à la production d’une œuvre d’art originale et du caractère davantage évolutif et incrémental de la recherche scientifique ou leur finalité supposée. Toute la difficulté se situe dans la possibilité d’articulation de ces points de tensions qui orientent et divisent la recherche/création entre des intérêts artistiques, technologiques et commerciaux. Ces différents plans qui séquencent le processus de fabrication et de monstration de l'art numérique désintègrent l'œuvre qui ne s'offre plus dans une singularité esthétique, mais dans une pluralité de sens, de valeurs, de déclinaisons. Dans certains cas, le rapprochement artiste/informaticien vise la mise en œuvre d’une situation collective d’énonciation et d’opération qui n’est plus

dirigée vers un résultat unique l’œuvre d’art mais encastrée dans un processus évolutif et incrémental, dans lequel ces acteurs investissent, individuellement et collectivement, une "œuvre-frontière". […] Ce morcellement du travail créatif engendre également des modes pluriels de désignation de ce qui fait œuvre : les installations et dispositifs successifs pouvant être diversement désignés comme des "produits" dissociables de l’œuvre en tant que fragments d’applications logicielles ou algorithmes informatiques, ou comme "œuvre globale" intégrant alors la part informatique du programme. A cela s'ajoute une culture, si ce n'est un culte, de l'inachevé, du "work in progress", du "prototypage généralisé" qui rompt définitivement avec l'ancien paradigme artistique. Le concept de prototype introduit donc l’idée d’une version non aboutie du projet créatif, donné ou soumis à l’expertise des pairs les mieux à même d’en évaluer la portée esthétique et le caractère novateur au regard de son inscription dans l’histoire de la pratique artistique. Cette dernière devenant plus collective et interdisciplinaire, on comprend que la communication du projet, avant sa diffusion publique, puisse constituer un gage "d’artisticité" […] Par conséquent, ce ne sont plus les œuvres qui constituent l’objectif ultime de la recherche artistique, au sens où le régime de finalité exclusive de l’œuvre d’art y est mis à mal. Le "pire", c'est peut-être que la mythologie perdure, que l'artiste demeure nimbé d'une aura liée à la magie de la création alors que cet acte est désormais partagé… La figure de l’artiste ne cesse d’être (sur)valorisée et tend à contaminer l’ensemble d’un monde professionnel en mutation qui magnifie plus que jamais les vertus de la liberté d’entreprendre et du pouvoir d’innovation ou de "créativité" dont l’artiste semble encore détenir le monopole…

Les nouvelles technologies de communication, et singulièrement Internet, cristallisent une certaine forme de pensée réactionnaire. Un ressentiment qui s'exacerbe avec l'âge… A rebours, de vieux sages, tout en actant "le déclin de l'Occident", du papier et de l'écrit, ont une autre vision du monde numérique. C'est le cas de Michel Serres qui fait entendre une autre voix, non pas celle de la discorde, mais de la concorde, à propos de la génération qui a le pouce crispé sur l'écran tactile des smartphones…

dans Libération. Premier constat, le livre comme support et modèle du savoir, fait partie de la problématique. Nos complexités viennent d'une crise de l'écrit […]. Il faut changer. L'informatique permet ce relais. Mais est-ce vraiment la fin de la civilisation Gutenberg ? Ce format-page nous domine […], les nouvelles technologies n'en sont pas sorties. L'écran de l'ordinateur le mime […]. Les innovateurs cherchent le nouveau livre électronique, alors que l'électronique n'est pas encore délivrée du livre, bien qu'elle implique tout autre chose que le livre, tout autre chose que le format transhistorique de la page… Reste que nous observons bien une rupture fondamentale : celle de la fin d'un monde entérinée dès le milieu du siècle dernier avec bouleversement complet de tous nos repères; qu'ils soient physiologiques, sociologiques, technologiques ou métaphysiques. Par voyages, images, Toile et guerres abominables, ces collectifs ont à peu près tous explosé. Ceux qui restent s'effilochent. Nous vivons désormais dans une société pluri-culturelle et urbaine qui n'a plus rien à voir, ou presque, avec celle de nos grands-parents. Un nouvel humain est né… La langue, véhicule du savoir, est également soumise à des transformations sans précédent. Le savoir lui-même évolue vers une nouvelle forme de distribution. C'est la fin du savoir surplombant des Mandarins, au "profit" du savoir distributif, non concentré, de l'open-source et du Réseau. Oui, mais que transmettre ? Le savoir ? Le voilà, partout sur la Toile, disponible, objectivé… Mais pas forcément objectif… Le transmettre à tous ? Désormais, tout le savoir est accessible à tous. Comment le transmettre ? Sans être donnée, la réponse est à rechercher dans l'impact que vont continuer à avoir nos extensions cognitives : nos téléphones et ordinateurs portables par lesquels le réel est sans cesse codifié, "médié", réifié… L'objectif, le collectif, le technologique, l'organisationnel se soumettent plus, aujourd'hui, à ce cognitif algorithmique ou procédural qu'aux abstractions déclaratives (de) la philosophie… Mieux, c'est ce protocole de codification qui fait office désormais de philosophie. J'existe donc je suis un code, calculable, incalculable comme l'aiguille d'or plus le tas de paille où, enfouie, elle dissimule son éclat. Il suffira sans doute d'une ou deux générations pour que cette "grande transformation" du numérique s'accomplisse complètement… Ce petit livre n'est pas une étude, mais un regard. Un regard attendri : je vois que nous vivons une période comparable à l'aurore de la paideia après que les Grecs apprirent à écrire et démontrer… À 82 ans, Michel Serres observe "Petite Poucette" avec bienveillance : je voudrais avoir dix-huit ans […] puisque tout est à refaire, puisque tout est à inventer.

Michel Serres nous livre la version "extended" de sa réflexion amorcée dans un article publié

Michel Serres, Petite Poucette (Éditions Le Pommier ! / coll. Manifestes)

Jean-Paul Fourmentraux, Artistes de laboratoire : recherche et création à l'ère numérique. Préface de Pierre-Michel Menger (Hermann Éditeurs). Infos : < www.editions-hermann.fr >

AU DOIGT ET À L'ŒIL…

digitalarti #10 - 07


ART NUMÉRIQUE NEW YORK

PROMENADE DES ARTS NUMÉRIQUES

À NEW YORK À l’ère du numérique, tout se confond : les arts avec les médias, les technologies avec les jeux, les expériences avec les espaces, les installations avec les architectures urbaines. Promenade artistique, numérique, historique et géographique à travers la ville de New York. Commençons par le début de l’histoire des arts et des “nouvelles technologies” : l’image en mouvement. The Museum of the Moving Image, installé dans le Queens depuis 1988, occupe un des 13 immeubles qui constituaient les Astoria Studios construits par Paramount en 1920 pour produire des centaines de films muets et sonores. En 1989, ce musée pionnier fut le premier à proposer une exposition consacrée aux jeux vidéo (Hot Circuits : a video arcade). En 2004, il a collaboré avec Ars Electronica pour présenter l’expo Interactions/Arts and Technology. Le musée a récemment rouvert ses portes suite à une rénovation et expansion architecturale en janvier 2011. Aujourd’hui, on y retrouve aussi bien des expositions permanentes d’artefacts issus des coulisses du cinéma classique ou actuel, que des installations de réalité virtuelle ou augmentée, des concerts de musique électronique, des collections ludiques d’images 08 - digitalarti #10

manipulées ou de graphiques animées piochées du Web… Le circuit historico-numérique muséal continue son chemin dans le Upper East Side de Manhattan jusqu’au Whitney Museum of American Art. Connu pour sa fameuse Biennale d’art contemporain américain, c’est le premier musée consacré aux artistes américains vivants et le premier musée new-yorkais à proposer, en 1982, une grande exposition solo pour un artiste vidéo (Nam June Paik). En 2011, ce bloc de granit Bauhaus à l’échelle humaine présente une généreuse rétrospective du jeune artiste du numérique par excellence, Cory Arcangel. Pas besoin de chercher loin un des musées les plus célèbres, les plus fréquentés et sans doute le musée le plus branché de New York, le Museum of Modern Art (MoMA).

Situé dans la foule d’activité à Midtown, le MoMA reçoit touristes, professionnels, amateurs et étudiants à longueur de journée, toute l’année. Plus que consciente de sa popularité cosmopolite, l’institution prend très au sérieux sa mission de rapprocher tradition et modernité, formes anciennes et technologies de dernière heure. En plus de commander et d’accueillir des installations numériques souvent spectaculaires, en 2011 le musée a présenté l’expo Talk to Me : design and the communication between people and objects, où l’on pouvait contempler par exemple une interface de jeu vidéo minimaliste à côté de jouets en forme d’animaux qui se transforment respectivement en caractère japonais (kanji) qui les représente (Mojibakeru). Étant donné son statut à la fois institutionnel et populaire, c’est le MoMA que les artistes Mark Skwarek et Sander Veenhof ont choisi d’“envahir” en octobre 2010 avec leur intervention de réalité augmentée We AR in MoMA, exposition virtuelle d’œuvres non-invitées visibles uniquement sur smartphone dûment équipé à l’intérieur même du musée. Le vernissage de cette expo pseudo-hactiviste a eu lieu dans le cadre du festival annuel Conflux, qui explore la psychogéographie à travers des propositions artistiques aussi simples que des pistes de QR codes et aussi insolites que des chiens en laisse.


© PHOTO D.R.

High Line, Gansevoort Street. Un peu plus au sud du MoMA sur la 6e avenue, la Big Screen Plaza anime une place ouverte de 930 m3 sur laquelle trône un grand écran LED hautedéfinition de 9m x 5m. Depuis 2010, l’écran expose nombre d’œuvres vidéo et animées, y compris par les étudiants des écoles d’art new-yorkaises, ainsi que des courts-métrages art et essai et des films classiques, dans une ambiance tantôt intello-chic, tantôt grand public. Début 2012, c’est l’artiste français Maurice Benayoun qui était à l’honneur pour fêter le quatrième anniversaire du Streaming Museum, avec ses séries numériques Occupy Wall Screen et Emotion Forecast. En se dirigeant vers le sud-ouest, on tombe sur Chelsea, le quartier des nouveaux-galeristes, là où Manhattan mérite sa réputation de vitrine par rapport aux autres boroughs. S’y trouvent non seulement les grandes galeries du milieu d’art traditionnel new-yorkais, directe-

ment accessibles au rez-de-chaussée entre murs blancs et cadre industriel, mais aussi des espaces plus restreints à l’étage, au fond d’un labyrinthe de couloirs, où l’on risque de trouver un peu tout et n’importe quoi, y compris quelques œuvres numériques, parmi d’autres objets insolites, projets conceptuels et montages chocs. Il y a aussi la galerie Bitforms qui se consacre à l’art contemporain et nouvelles technologies, en représentant une quinzaine d’artistes. Il va sans dire que l’ouverture “downtown” du nouveau musée Whitney, conçu par l’architecte Renzo Piano et prévue pour 2015, va radicalement changer la face (et la fréquentation) du quartier. En attendant, nous apprécions toujours le High Line, ce parc converti à partir d’un chemin-de-fer élevé abandonné, qui s’étend de la 12e rue à la 30e rue au-dessus de West Chelsea. Le High Line accueille toute l’année

des œuvres d’art in situ, dont la plus harmonieuse était sans doute A Bell for Every Minute de Stephen Vitiello, une installation sonore qui de juin 2010 à juin 2011 faisait entendre, dans le paysage sonore urbain déjà animé, un enregistrement de sonnerie new-yorkaise différente à chaque minute. Mais le quartier galeriste de Chelsea est également le siège d’au moins deux centres d’art importants. Electronic Arts Intermix, une des premières associations américaines dédiée à l’art vidéo à sa création en 1971, poursuit sa mission de développer les arts vidéo et numériques en proposant ressources, éducation, projections, distribution et conservation. Depuis 1997, Eyebeam Art+Technology Center propose aux artistes et technologistes travaillant dans le numérique des résidences et des bourses accompagnées d’expositions, ateliers, performances et autres programmes publics.

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© PHOTOS D.R.

Stephen Vitiello, A bell for every minutes (detail).

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© PHOTO DUMBO ARTS FESTIVAL

Immersive surfaces, videomapping @ Manhattan Bridge. Dumbo Arts Festival 2011.

10 - digitalarti #10

En 2011, l’espace brut de Eyebeam sur la 21e rue a notamment accueilli le festival Blip, rendez-vous annuel incontournable des amateurs de chiptunes, ou musique 8-bit. On y retrouvait tous les pionniers du genre, ainsi que les nouveaux talents de la jeune génération post-console, de Bit Shifter à 4mat, de l’électronique vintage au pur numérique en passant par l’acoustique, dans une ambiance ludique de rave intello-geek. Descente à SoHo, ancien quartier des artistes bohèmes devenu quartier des boutiques chics, où Harvestworks Digital Media Arts Center se trouve effectivement juste au sud de Houston Street. Créée par un collectif d’artistes en 1977, l’association expose des œuvres numériques dans son petit espace sur Broadway, tout en proposant des ateliers et des résidences d’artistes pour enseigner et promouvoir la maîtrise des technologies dans la création artistique. Harvestworks organise notamment le New York

Eyebeam, West Street. Electronic Art Festival qui réunit chaque année installations numériques, concerts de musique électronique, performances multimédia, etc., dans plusieurs lieux à travers la ville.

ge d’une modeste contribution de dix dollars payable en liquide à l’entrée 100% de la recette de la soirée étant remis directement à l’artiste ou aux artistes en question.

Juste à l’est de NoHo dans le East Village, The Stone représente le concept du minimalisme DIY mené jusqu’au bout. Conçu et dirigé par John Zorn, compositeur et musicien culte de l’avant-garde new-yorkais, The Stone est avant tout un espace, diminutif et dénué de tout accessoire sauf un piano Yamaha, des haut-parleurs, une quarantaine de chaises pliantes et une table au rez-de-chaussée bétonné d’un vieil immeuble anonyme au coin de l’avenue C et la 2e rue, comme une tanière secrète où seuls les initiés se retrouvent pour écouter la musique avant-garde et expérimentale pure. En fait, le lieu est ouvert à tout un chacun, qu’il soit curieux ou converti, qui vient apprécier un set dédié en échan-

Pas de scène, pas de bouffe, pas de bière, rien que de la musique acoustique, électronique et électroacoustique en performance live dans l’intimité du lieu. Au programme, beaucoup de musiciens accompagnés de leur violoncelles, trombones, accordéons ou percussions, souvent augmentés en électronique, mais également quelques artistes newyorkais parmi les plus expérimentaux de nos jours : Laurie Anderson, pionnière dans son genre, ou le jeune Tristan Perich, toujours fascinant (sinon hypnotisant) avec ses compositions synthétisées, “électro-organiques” et autrement inspirées des mathématiques et du code informatique, dont sa célèbre “1-Bit Symphony”. En traversant l'East River, on quitte Manhattan pour atterrir à Brooklyn, et plus précisément à Dumbo quartier acronyme de “Down Under the Manhattan Bridge Overpass” qui occupe le petit territoire riverain entre les deux ponts. Ancienne zone industrielle devenue friche occupée par artistes squatteurs fauchés et plus récemment embourgeoisée avec Starbucks. West End avec des immeubles historiques convertis en résidences de luxe… et une concentration de start-ups et de petites entreprises travaillant avec les technologies numériques dans les secteurs du design, du jeu, des applications mobiles, de la communication, de l’édition, etc. En effet, ils opèrent dans les mêmes immeubles où des étages entiers sont occupés par des galeries, des associations d’art et des studios d’artistes en résidence. Il en résulte une cohabitation curieuse; ces mondes parallèles se croisant surtout à l’occasion de manifestations grand public, où l’on explore son entourage habituel avec une autre perspective.


© PHOTO D.R.

ART NUMÉRIQUE NEW YORK

Imprimante 3D, Makerbot Industries. C’est le cas du Dumbo Arts Festival, qui transforme les rues pavées en kermesse de printemps avec performances le jour et projections la nuit, en plein air, pendant que les studios ouvrent leurs portes et la technologie est recadrée par des expositions d’art numérique. Le point culminant de l’édition 2011 était le spectacle de vidéomapping Immersive Surfaces par une vingtaine d’artistes sur le pont de Manhattan, où les images fluides semblaient trembler sous chaque passage de métro. Composante réseau social oblige, on encourageait les spectateurs à tweeter des images de l’installation ; ces images étaient ensuite visibles sur smartphone flottant autour du pont en réalité augmentée. Autre lieu de rencontre du quartier surtout connu pour sa “Floating Kabarette” au-dessus d’un vrai lac intérieur, cocktails à la main, le Galapagos Art Space organise des présentations et conférences autour de l’industrie du numérique, et parfois des performances live de music électroacoustique, comme celles de Tristan Perich ou du compositeur-programmeur hongkongais Samson Young, qui intègre souvent des sons 8-bits dans ses compositions pour orchestre. En se promenant plus vers l’intérieur du borough, au-delà de Brooklyn Heights dans le quartier plutôt familial de Boerum Hill, The Invisible Dog Art Center est une oasis de création artistique contenue dans un ancien entrepôt de laisses en plastique rigide pour chien “invisible”. À peine retouché, cet espace brut à trois étages et un sous-sol est habité par plusieurs œuvres permanentes directement inspirées du lieu, artistes du théâtre et plasticiens en résidence, expositions et performances éclectiques d’artistes émergents, installations provocantes et mini festivals d’expérimentation en tous genres. Parmi les œuvres augmentées de technologie numérique, on se souvient de Prana, conçue et réalisée sur place par

Chris Klapper, une installation lumineuse qui réagit à l’approche des visiteurs et aux vibrations ambiantes comme un cœur qui palpite, ou au repos comme un poumon qui respire. Quatre rues plus loin à l’est, au 4e étage d’un petit immeuble sur la 3e rue, on pénètre dans NYC Resistor, un espace partagé par une collective de hackers multidisciplinaires. Ce hackerspace abrite notamment Makerbot Industries, fabricant d’une imprimante 3D de bricolage commerciale, le Microcontroller Study Group, qui travaille sur des projets utilisant Arduino et autres applications de l’électronique intégrée à des objets, ainsi qu’un laser professionnel. NYC Resistor propose également des cours d’initiation aux techniques et reste ouvert à tout collaborateur intéressé. La promenade se termine là où l’exploration personnelle commence, au cours de mouvements, de communautés et de cultures alternatives et underground. Pour ce qui est des jeux indépendants DIY, la collective Babycastles, créée par Kunal Gupta et Syed Salahuddin en décembre 2009 pour coïncider avec le festival Blip, a relancé le concept de l’arcade indé nouvelle génération qui donne lieu à une culture avant-garde de

jeux artisanaux, joués en société dans une ambiance rétrocyberpunk. Après avoir quitté des lieux qui finalement n’étaient pas permanents, leur cabines de jeu bricolées sont actuellement réparties dans plusieurs espaces : le quartier hipster de Williamsburg (Death By Audio et Public Assembly), le quartier artistique émergent de Bushwick (Secret Project Robot) et au NYU Game Center, galerie vitrine de la très sérieuse formation à la conception de jeux vidéo en tant que création artistique, qui siège sur le campus de la New York University à Manhattan. L’évolution future de Babycastles est à suivre à la rentrée 2012. À l’heure de la nouvelle arcade, d’Arduino, du vidéomapping et de la réalité augmentée, c’est à chacun de trouver son propre chemin de création numérique dans la jungle urbaine de la grosse pomme : rendez-vous à New York !

Chris Klapper, Prana @ Invisible Dog Art Center.

CHERISE FONG

+ D’INFO : Babycastele : < http://babycastles.tumblr.com > Big Screen Plaza : < http://bigscreenplaza.com > BitForms : < www.bitforms.com > Blip Festival : < http://blipfestival.org > Conflux : < http://confluxfestival.org > Dumbo Arts Festival : < http://dumboartsfestival.com > EAI (Electronic Arts Intermix) : < www.eai.org > Eyebeam (Art+Technology Center) : < www.eyebeam.org > Galapagos Art Space : < http://galapagosartspace.com >

Harvestworks (Digital Media Arts Center) : < www.harvestworks.org > MoMA (Museum of Modern Art) : < www.moma.org > Museum of the Moving Image : < www.movingimage.us > NYC Resistor : < www.nycresistor.com > NYU Game Center : < http://gamecenter.nyu.edu > The High Line : < www.thehighline.org > The Invisible Dog (Art Center) : < www.theinvisibledog.org > The Stone : < www.thestonenyc.com > Whitney Museum of American Art : < http://whitney.org >

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FEEDBACK PANORAMA

PANORAMA LE QUATORZIÈME Le Fresnoy, ou Studio national des arts contemporains, s’articule autour d’une école dirigée par un artiste, Alain Fleischer, qui en invite d’autres pour en former encore. Cette année, c’est le commissaire d’exposition Benjamin Weil, dont on sait l’expérience à l’international, qui a relevé le défi de faire émerger un sens commun à plus d’une cinquantaine de propositions artistiques allant du performatif au filmique en passant par l’installation ou le dispositif. Ensemble, ils ont empilé quelques milliers de flacons d’un vin pétillant pour lui faire obstacle. Alors la coque de bois, vers 19h45, est lâchée pour se précipiter vers les bouteilles qu’elle fait exploser avant de provoquer l’effondrement du support de parpaing. Le premier choc fut cristallin, le second plus sourd. Monsieur Moo et Louise sont heureux et le public exulte. Quant aux spectateurs qui viendront plus tard sur les lieux de la performance, ils observeront les indices : Yolande échouée sur un sol jonché de bouteilles, cassées pour la plupart, mais pas toutes. Tel les membres d’une police scientifique, ils tenteront alors d’imaginer, de se reconstituer la scène, sans pour autant saisir le mobile d’un tel renversement artistique.

© PHOTO DOMINIQUE MOULON

Monsieur Moo & Louise Drubigny, Yolande, 2012. Production : Le Fresnoy.

La couleur seule Conjurer le sort On dit d’un bateau "qui n’a pas goûté au vin" qu’il "goûtera le sang" ! Mais alors pourquoi baptiser les navires au champagne quand on peut faire l’inverse ? Il est 19h30 et le public s’impatiente en ce jour d’inauguration de la quatorzième exposition Panorama. Monsieur Moo, en collaboration avec Louise Drubigny, s’est préparé pendant des mois pour ce qui va durer moins d’une seconde. Il a sollicité une entreprise de levage locale pour qu’elle suspende Yolande, c’est le nom du bateau, à plus de quinze mètres de haut.

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Alexandre Rodtchenko, en 1921, a recouvert trois toiles de couleur pure, l’une de rouge, l’autre de jaune et la dernière de bleu. Or le voyage immersif intitulé DSLE -3- que l’artiste néerlandais Edwin van der Heide propose sur le plateau de tournage pourrait être considéré tel un hommage, par la transition, aux monochromes de Rodtchenko. Il y a, au commencement, de la lumière rouge, tout autour. Et de la lumière bleu, partout, à la fin. Le son, au début du voyage, est aussi pur que la lumière, mais il va progressivement se complexifier, jusqu’à devenir granuleux pour perturber enfin l’image.

La large fente de lumière colorée qui entoure les spectateurs est alors balayée selon des rythmes qui évoluent, s’accélèrent, puis décélèrent. Nous pourrions tout aussi bien être les passagers d’un vaisseau spatial. On pense alors à cette transition sans fin du chef d’œuvre de Stanley Kubrick, 2001: a Space Odyssey, cet autre voyage dans la couleur seule. Il en est ainsi, plus les œuvres sont abstraites, plus on s’y projette en y injectant les souvenirs qu’elles déclenchent en nous.

Dans l’espace Entrons maintenant dans l’espace de l’exposition où toutes les œuvres dialoguent entre elles car c’est ainsi que le commissaire l’a souhaité : point de black box, sauf à l’entrée où l’œuvre Mol de Ryoichi Kurokawa est quelque peu isolée. Deux projections quasiment similaires nous suggèrent qu’il est peut-être un monde parallèle au nôtre où tout est semblable, ou presque. Les images flottent littéralement dans l’espace sans que l’on sache exactement d’où elles proviennent. Deux parallélépipèdes, le temps d’un instant, évoluent dans le vide avant de se fragmenter en d’innombrables particules taillées comme des diamants. Comme en apesanteur, elles sont soumises aux accidents sonores d’une musique de bruits. Les monolithes en trois dimensions que nous avons vus sont encore dans nos esprits, ils sont encore là devant nos yeux sans que l’on puisse les identifier dans le chaos visuel que des accidents sonores tentent en vain d’ordonner. Ces particules qui flottent dans les espaces d’images sans support nous rappellent que le vide, dans l’univers, prédomine, de l’infiniment petit à l’infiniment grand.

Dans l’invisible Et puis, au centre de l’exposition, il est un cartel qui annonce l’installation Hand-held de David Rokeby. Plus que tous les autres cartels, celui-ci s’impose puisque l’œuvre est invisible. Les spectateurs, pour l’activer, doivent entrer dans son espace que l’on imagine cubique à postériori. Dans ce cube de rien, notre corps déclenche la projection d’images de mains et de cartes à jouer, entre autres objets. Alors, naturellement, on tend les bras pour recevoir ces images.


© PHOTOS D.R.

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1. Edwin van der Heide, DSLE -3-, 2012.

2. Ryoichi Kurokawa, Mol, 2012.

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3. David Rokeby, Hand-held, 2012.

4. Arthur Zerktouni, In memoriam, 2012.

5. Maya Da-rin, Horizon des événements, 2012.

6. Dorothée Smith, Cellulairement, 2012. Production : Le Fresnoy.

Avec des mouvements allant de haut en bas, on fait la netteté. L’artiste connaît les fresques du couvent San Marco de Florence où Fra Angelico a représenté des mains coupées. Mais il fait aussi référence à ceux qui, dans la rue, marchent en regardant fixement le téléphone qu’ils tiennent à la main. Dans l’espace cubique de son œuvre, l’artiste canadien a empilé les images pour que d’autres les cherchent, les trouvent. Sait-il encore luimême où il les a dissimulées comme on cache un trésor pour mieux l’oublier ? Quant aux spectateurs, ils commentent les images qui apparaissent au creux de leurs mains pendant des chorégraphies improvisées pour l’occasion. Ils habitent l’espace de l’œuvre que l’artiste a taillé à même le vide.

Miroir de pluie L’histoire de l’art est peuplée de miroirs, de Vélasquez à Pistoletto. Et Arthur Zerktouni, avec son installation intitulée In memoriam, d’allonger la liste des surfaces miroitantes artistiques. Mais c’est dans les goutes d’un écran d’eau que les spectateurs se reflètent. De prêt, elles sont comparables à des pixels, de rouge, de vert ou de bleu. De loin, elles forment le miroir qui renvoie notre image avec une certaine latence. Nos silhouettes, en creux, sont des plus fluides et mettent un laps temps à disparaître. Le miroir d’Arthur semble agir sur le temps, pour le ralentir quelque peu. De ce fait, nous pouvons jouer avec l’ombre de cet autre soit que l’on précède de peu. Les spectateurs s’apercevant de cette latence font des mouvements latéraux, comme pour éprouver cette installation définitivement interactive.

L’eau, que l’on imagine en circuit fermé, n’a de cesse de rafraichir l’image de ceux qui l’observent tout en évoquant les dispositifs vidéo participatifs de pionniers comme Peter Campus ou Dan Graham.

Perdue dans la ville Il est un dispositif, dans le domaine de l’architecture carcérale, qui permet à un homme d’en surveiller quantité d’autres. Il se nomme panoptique et date de la fin du XVIIIe siècle alors que les satellites d’aujourd’hui, qu’ils soient civils ou militaires, autorisent quelques hommes à surveiller tous les autres. L’installation audiovisuelle Horizon des événements de Maya Da-rin s’articule autour de la technologie GPS, pour Global Positioning System, dont on sait qu’elle a été inventée par des militaires. Partant d’une colline, dans les hauteurs de Marseille, elle est équipée pour communiquer sa position en temps réel à la caméra qu’elle a laissée sur place. C’est ainsi que la caméra, continuellement renseignée par satellites, suit l’artiste au fur et à mesure qu’elle s’éloigne pour rejoindre le rivage en contre bas. Les spectateurs aussi tentent de la suivre du regard, mais ces derniers doivent deviner la présence de celle qui est cachée par les bâtiments de la ville. On l’imagine au centre du cadre qui se déplace par àcoups. La passante est aussi équipée d’un dispositif de captation audio qui permet au spectateur de recouper les informations pour mieux deviner la position de celle qui se sait traquée. Mais ne sommesnous pas tous, en permanence, sous la surveillance d’une constellation de satellites invisibles et silencieux ? Quand regarder en l’air, c’est imaginer celui ou celle

qui, derrière son écran, possiblement nous épie sans même savoir qui nous sommes.

Chaleur humaine Enfin, il y a Cellulairement, une installation d’une apparente complexité qui s’articule pourtant autour d’un concept simple : fusionner la chaleur, sans contact, de deux corps distants. L’espace de l’œuvre est occupé par un appareillage dont une caméra thermique qui permet aux spectateurs de découvrir leurs représentations au travers des quantités variables de chaleurs qu’ils génèrent. Mais ces données sont aussi archivées et transmises à l’artiste qui perçoit la chaleur de l’autre au travers, nous dit-on, d’une puce électronique implantée. L’idée même que l’on puisse correspondre avec autrui au travers de la chaleur corporelle que nous émettons sans pour autant la contrôler est intéressante. Car la communication à distance, bien souvent, induit l’acceptation de filtrages par les mots comme par les silences. Or ici, c’est la chaleur qui nous échappe et nous maintient en vie que l’on peut envisager de partager, de fusionner avec celle de l’autre devenue l’hôte. DOMINIQUE MOULON

+ D’INFO : Le Fresnoy: < www.lefresnoy.net > Panorama 14: < www.panorama14.net > Monsieur Moo: < www.monsieurmoo.com > Edwin van der heide: < www.evdh.net >

Ryoichi Kurokawa: < www.ryoichikurokawa.com > David Rokeby: < www.davidrokeby.com > Dorothée Smith: < www.dorotheesmith.net > Cellulairement: < http://cellulairement.net > digitalarti #10 - 13


PORTRAIT SHU LEA CHEANG

MYTHOLOGIES INTERACTIVES © PHOTOS JOAN TOMAS

Depuis ses débuts, la Taïwanaise pionnière de l’art multimédia Shu Lea Cheang bâtit des fictions interactives empruntant aux grands thèmes de notre époque, le genre, la sexualité, la science-fiction et les médias. Ses fictions mythologiques participent de l’intime autant que du public, interrogeant sa propre histoire autant qu’elle suppose une participation du spectateur/visiteur.

IKU, performance.

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On ne garde souvent de l’artiste multimédia Shu Lea Cheang que son film, le fameux et ultra-commenté, I.K.U. découvert en 2000. Une œuvre qui fit autant de bien à la Taïwanaise qu’elle l’a desservit puisque la plupart des amateurs d’art transgressif et la majorité des critiques n’ont finalement retenu que ce long métrage érotico-pornographique - voire "cyber-porno" - et futuriste, que l’aspect scandaleux, pour finalement négliger tout un pan de son œuvre et ses thèmes.

Si Shu Lea Cheang est certainement une pionnière dans le domaine des arts multimédia, c’est avant tout une vraie artiste pluridisciplinaire, une militante, dont le travail s’étend du cinéma au net art en passant par la performance (en ligne, dans des galeries) et l’installation vidéo en solo ou en collaboration.

Shu Lea Cheang, d’un média à l’autre Actuellement basée à Paris, Shu Lea Cheang se considère une artiste nomade (elle a vécu un peu partout en Euro-

pe, en Asie et aux Etats-Unis) dont les thématiques s’imposent au gré des voyages et pérégrinations. En tant qu’artiste majeure Cheang a véritablement émergé durant la dernière décennie, et elle s’est rapidement imposée comme l'une des voix les plus importantes dans le domaine des "arts médiatiques". Son travail explorant à travers toute la panoplie contemporaine d’outils et de technologies mis au service de l’artiste, des questions aussi bien sociales que politiques (dans le sens de ce qui "gère l’humain"), tout en affichant des préoccupations esthétiques singulières et extrêmement intimes héritées de son parcours personnel. Sa vision participative de l’art, son engagement concernant l'interaction du spectateur et ses modes de production collaborative en font un exemple dans le champ désormais encombré des artistes multimédia. Un domaine qu’elle aborde très tôt, s’intronisant ainsi pionnière du genre. Membre du collectif Paper Tiger Television, elle produit dés 1981 pour la chaine du réseau national de télévision par satellite Deep Dish. Elle créé de nombreuses installations vidéo pour les galeries d’art, et devient réalisatrice de film en 35mm.


© PHOTO ROCIO CAMPAÑA

IKU, performance.

Cyberporn, virus et mythologies futuristes Son œuvre la plus remarquée reste certainement l’incontournable I.K.U. (orgasme en japonais), l’histoire de la séduisante Reiko, poupée mécanique (cybernétique) chargée de recueillir le plus de données possible sur la sexualité humaine. Un film volontairement pornographique inspiré de scènes clés du Blade Runner de Ridley Scott (la scène finale dans l’ascenseur est la scène d’introduction d’I.K.U.) Cette suite cyberpunk parodique sera suivie de UKI viral performance, une préquelle apocalyptique cyber et biopunk débutée en 2009 (sur laquelle des artistes bruitistes furent invités à intervenir en mars 2012 au Festival ElectroPixel de Nantes). Si I.K.U. est purement cyberpunk, UKI s’inspire de la science-fiction biopunk, prétextant l’effondrement d’internet dans le futur et la création d’un réseau biologique (bionet) infectant les cellules sanguines et l’ADN en créant de l’Organismo, un orgasme virtuel et chimique, sans contact charnel. Ce projet faisait lui-même suite à une commande du musée Guggenheim de New York présenté sous le titre Bran-

don, et réalisé en ligne entre 1998 et 1999. Fasciné par la guerre des genres qui œuvrait sur internet, terre d’accueil des identités floues, Cheang s’intéresse au cyber-féminisme et se connecte en particulier au groupe des Australiennes VNS Matrix. Brandon se présentait comme un site Internet (inaccessible aujourd’hui même si des copies écrans sont consultables) et s’inspire de l’histoire de Teena Brandon, transsexuel assassiné en 1993 dans le Nebraska, après que son identité fut dévoilée. Cette œuvre Internet fut la première œuvre commissionnée par le fameux musée. Shu Lea Cheang dira qu’elle souhaitait présenter l'histoire tragique de Teena Brandon d'une manière expérimentale exprimant toute la fluidité et l'ambiguïté des genres et de l'identité dans les sociétés contemporaines et sur le réseau.

Aux "racines" de l’art éco-conscient Sa dernière intervention, La Graine et le Compost dévoile encore une autre facette de l’artiste et de ses préoccupations. Après UKI qui traitait déjà de notre "futur biologique" et de l’impact de l’environnement sur l’organisme humain, Cheang renverse l’équation

de manière décalée et lance un projet cyber-biologique. Organisé par la Gaité Lyrique (+ Petit Bain) en mai 2012, La Graine et le Compost propose de changer le paradigme économique en vogue en imposant le compost et le recyclage en tant que nouvelle monnaie. Les déchets remplaceraient donc l’euro en tant que monnaie. Cheang propose ainsi de transformer la ville en ferme à compost en dispersant des containers dans la cité, en invitant les citoyens à s’impliquer dans le jardinage pirate en milieu urbain (jardinage "hacktif") et à composer des groupes surveillant et entretenant les jeunes pousses à distance par le biais des réseaux. Cette performance éco-citoyenne, technique et artistique réalisée sous la houlette des collectifs Greenrush et Re:Farm The City illustre le côté "aborigène hi-tech" comme elle aime à se nommer ellemême, de Shu Lea Cheang, une artiste qui n’a pas fini, semble t-il, de nous étonner. MAXENCE GRUGIER

+ D’INFO : < www.mauvaiscontact.info >

vidéos : < http://vimeo.com/user5349216 > digitalarti #10 - 15


ART NUMÉRIQUE CYBER

CORPS CONNECTÉES © YANN MINH

ET FANTASMAGORIES ARTISTIQUES Yann Minh, Nooscaphe X groupe.

Les corps humains technologisés, hybridés, connectés, hantent les imaginaires et les représentations depuis plusieurs décennies. Dans les romans, les œuvres d’art, les mangas et bandes dessinées, au cinéma, dans la publicité, ces images ont opéré un glissement sensible d’une pure fiction à des projections de futurs en devenir. Car la fantasmagorie de ces figurations d’un virtuel technologique se redouble d’un virtuel incarné, en préparation dans le très réel monde des laboratoires et des entreprises. 16 - digitalarti #10

Dans la façon qu’ont des artistes d’aborder ces questions, cet aspect, pourtant crucial, est souvent ramené au second plan, voire inexistant. Alors que le corps modifié de la littérature de science-fiction ou du cinéma se confronte aux idéologies politiques et aux pouvoirs techno-scientifiques industriels. L’univers cyberpunk est, à cet égard, exemplaire de l’exploration des dystopies possibles à partir de l’envahissement technologique des corps et des esprits. Ces romans se situent sur notre planète dévastée, dans une société hautement technologique mais pauvre (catégorie réinventée par des sociologues pour envisager la situation du Japon après Fukushima), à l’exclusion de ceux qui, contrôlant les industries de pointe, ont pouvoir et argent. C’est un univers en perdition où les technologies ont triomphé pour le malheur des humains. Ainsi, lorsqu’on s’intéresse au travail de Yann Minh, on ne peut qu’être frappé par la distance qui sépare ses propositions des sociétés chaotiques et souvent post-apocalytiques de l’angoissant univers cyberpunk dont il se réclame pourtant. Non seulement dans la forme (un travail en 3D très lisse et précis pour ses films ou Second Life et son esthétique de jeu vidéo un peu ancien), mais aussi dans le contenu, très optimiste quant à la transformation en cours. La fusion entre humain et machine y est envisagée comme un développement utile et nécessaire. La techno-accélération (concept cyberpunk de dépassement de l’humain par la machine) est gommée au profit d’un corps ayant des capacités augmentées, comme si cela allait de soi. Pourtant, par exemple quand on regarde son film Noogenesis, ce qui vient à l’esprit est une scène de Matrix montrant la réalité de la non-vie des humains, utilisés comme énergie par les machines qui ont pris le contrôle et leur induisent un rêve programmé de vie dans le monde réel, plutôt

qu’une puissante transe érotique pleine de liberté, arrachée à l’industrie, qui est la fiction dans laquelle on se trouve. Le cybersexe est un des thèmes qui inspire ces artistes (autre exemple, I.K.U. de Shu Lea Cheang). C’est aussi celui qui devrait amener à poser des questions importantes sur l’humain, non comme pure matière et organisme, mais aussi être de désir et d’émotions. Là aussi la réflexion tourne court. Dans ces projections, la fusion entre humain et machine dans les aspects du plaisir intime semble donner une double hybridation avec la mécanisation de l’humain et l’humanisation des machines. Mais la puissante évocation de l’objet vouée à son maître et du malheur qu’elle en ressent, qu’on a pu voir dans Blade Runner par exemple, est absente, au profit d’une acceptation extasiée, et un peu morbide selon moi, de la machinisation de la sexualité qui passe aussi par la question de sa tarification. Pourtant les réflexions argumentées sur ce sujet ne manquent pas et datent même parfois un peu. Bien entendu, le Manifeste Cyborg d’Haraway (1985) qui a pourtant l’avantage de ne pas être à charge et envisage la question du devenir machine des humains en la mettant dans des perspectives politiques et sociales qui se sont largement renforcées depuis sa publication. Donna Haraway conçoit un devenir technologique qui apporterait une accélération des compréhensions et de l’action, notamment en brisant les grilles binaires d’analyse du monde pour faire apparaître les complexités créatrices qui se trouvent dans les interstices. Ou bien, beaucoup plus récemment, Cyborg Philosophie de Thierry Hoquet, justement sous-titré "penser contre les dualismes". Je crois qu’il s’agit bien de cela, chasser les représentations binaires pour ajouter de l’acuité et s’approprier les discours des techno-


© YANN MINH

Yann Minh, Le Scanner.

A cet égard, le film de Gwenola Wagon et Stéphane Degoutin, Cyborgs dans la brume, est particulièrement réussi et éclairant. Plutôt que de créer une nouvelle fiction à partir du concept de cyborgs ou de corps connectés, ils ont exploré les effets du "devenir cyborg" dans une rue de Saint-Denis en Ile-de-France. La puissance d’action des machines y est démontrée par la simple visite commentée des divers lieux et activités de cette rue : la première maison en béton armé, un data center, une usine de farines animales ou une église évangéliste. Le discours analysant les images que l’on voit opère une élucidation critique de ce qui fait le lien entre ces espaces au premier abord disparates.

Yann Minh, Media ØØØ méduse.

Yann Minh, Athanor.

En particulier avec l’idée du Laboratoire LOPH (Lutte contre l’Obsolescence Programmée de l’Humain) qui travaille sur le Transhumanisme. Car c’est bien là que mènent toutes ces pistes, la mise en place d’un post-humanisme décidé par certains et peut-être demain subi par tous. Il s’agit d’un projet de transformation structurelle intense, robotique et chimique, qui fait basculer l’humain dans un autre devenir, et une autre entité. Prenant au pied de la lettre l’idée d’"esclavage du corps" de Timothy Leary, le Transhumanisme explore la faisabilité d’un "corps-sans-organe" comme pur cyborg. Cyborg n’est pas la machine. (…) Il le serait en toute rigueur, l’organisme dirigé par la machine (Thierry Hoquet). C’est cette figure-là qui me semble nettement apparaître. En tant que philosophe particulièrement intéressée par les sciences et les tech-

niques, j’ai été nourrie d’auteurs faisant le constat de la possible fin des humains confrontés à leurs propres créations (de Gunther Anders à Jacques Ellul). Malgré le profond respect que j’ai pour ces analyses souvent intenses et prophétiques, je m’en suis beaucoup éloignée car le pessimisme ne nous fera jamais avancer. Néanmoins, la fascination béate pour les technologies que l’on peut voir chez certains artistes me laisse plus que dubitative. On peut penser que l’homme est un dieu quand il rêve, un mendiant quand il pense (F. J. Ossang), mais faut-il s’en satisfaire ? Il me semble que lorsque le rêve de l’artiste utilise des réalités de son temps, il doit aussi se confronter au difficile exercice de la pensée critique. Sinon il court le risque d’être un illustrateur, voire pire, le porteur du message édulcoré de la techno-industrie sur les expériences extrêmes qui changent notre monde. MANUELA DE BARROS

Yann Minh, Neuro-Portrait.

© YANN MINH

industries sans cette sidération devant la puissance d’évocation de mondes possibles que la science actuelle génère. L’artiste doit jouer le rôle de celui qui interprète, clarifie, ôte les ambiguïtés, détourne la manipulation.

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Daan Roosegaarde, Dune 4.1 Maastunnel, Rotterdam, 2007.

LA TECHNO-POÉSIE DE DAAN ROOSEGAARDE © PHOTOS DAAN ROOSEGAARDE / STUDIO ROOSEGAARDE > WWW.STUDIOROOSEGAARDE.NET

Murs de fleurs en aluminium "intelligentes", plantes numériques s’illuminant et réagissant au passage des passants, mais aussi vêtements communicants, les pièces du créateur néerlandais Daan Roosegaarde témoignent d’une étrange synergie entre le technologique et l’humain sur fond de poésie architecturale organique. Entretien. le Maastunnel. Je trouve justement ce projet qui prend la forme de "plantes" digitales réagissant lumineusement en fonction des sons produits et du passage du public très représentatif de votre travail par ce mélange subtil d’éléments numériques et de références organiques. Il semble que vous êtes particulièrement intéressé par ce principe d’interaction dans l’espace public, comme en témoigne également votre ouvrage "Interactive Landscape". Qu’est-ce qui vous intéresse particulièrement dans cette approche ? En quoi votre parcours, votre goût pour l’architecture, et plus précisément le design architectural a-t-il influé dessus ? Daan Roosegaarde

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Daan, vous mettez en scène des dispositifs tactiles et hautement technologiques où perce une intéressante idée de rencontre entre la ville, la nature et l’humain. Je pense notamment à cette série, "Dune", que vous aviez développée au début dans un passage souterrain des environs de Rotterdam,

Je vais remonter à l’âge de 16 ans, quand j’étais encore au lycée. J’étais parti avec ma classe visiter le Netherlands Architecture Institute (NAi). Il y avait là-bas une grande exposition qui présentait des maquettes en bois incroyables réalisées par Arata Isozaki. J’étais complètement fasciné. C’est à ce moment-là que j’ai com-

pris que je voulais "créer des choses", être en quelque sorte associé au monde. Mon premier intérêt est venu pour les notions d’échelle et d’espace, en particulier dans le rapport que peut avoir le corps avec son environnement immédiat. Puis quelques années après, mon intérêt s’est porté sur la notion de temps et les calculs allant avec. C’est là que j’ai commencé à travailler sur des principes d’interactivité. En 2008, je suis allé au Japon pour rencontrer les commissaires du YCAM (The Yamaguchi Center for Arts and Media) à propos de notre pièce interactive Liquid Space 6.0. Dès que je suis sorti du taxi et que j’ai vu le musée, j’ai reconnu le bâtiment comme l’une des maquettes d’Isozaki. On l’a donc invité pour l’ouverture et il est venu. J’ai une photo d’Isozaki et moi au cœur de Liquid Space, en train de discuter de comment l’architecture pouvait créer du lien avec le public en termes d’expérience en temps réel.


ART NUMÉRIQUE DAAN ROOSEGAARDE

Ça le passionnait et cela stimulait visiblement sa réflexion toujours aussi affûtée ! Pour moi, cette discussion, c’était un peu comme boucler la boucle. Ceci dit, avant cette visite charnière au NAi, j’ai toujours beaucoup aimé les immeubles et fabriquer des choses. J’ai grandi en Hollande, entouré par les digues et l’eau. Certaines de ces digues étaient particulièrement pentues et, avec ma sœur, on s’amusait à mettre des roues sur des meubles puis à dévaler ces pentes. Quand j’y repense, c’était plutôt dangereux. On ne pouvait pas vraiment freiner. On aurait vraiment pu se briser le cou. Mais, comme tous les enfants, on était fascinés par le côté sauvage de la nature autour de nous. On créait nos propres équipements improvisés, comme tirer un câble à travers la zone marécageuse. En fait, déjà à cet âge, je réfléchissais comme m’adapter à l’environnement qui m’entourait. Aujourd’hui, il est vrai que la technologie joue un rôle important dans mes travaux. Dans mon studio avec mon équipe, on passe beaucoup de temps à développer tout ça. Mais, en même temps, on ne fait pas un déballage de machines et d’ordinateurs. On essaye surtout d’utiliser la technologie pour personnaliser ou socialiser l’espace. La question est : comment marier la nature et la technologie ? Je me demande toujours comment on peut améliorer ce monde fonctionnant en mode analogique, avec cette idée qu’il puisse fonctionner comme l’extension de ce que nous sommes. La clé pour moi, c’est de réinventer, d’"updater" la réalité. En un mot, de la rendre encore plus humaine.

Mais au-delà de cette idée d’"updating" de la réalité, la plupart de vos pièces dont "Dune" fonctionnent comme une série, avec des versions évolutives. C’est un peu comme si le code devenait ADN chez vous et induisait une logique de "work-in-progress", dans lequel pointerait aussi une touche de poésie; celle du mur organique

et réactif constellé de fleurs d’aluminiums "intelligentes" de "Lotus" par exemple… Oui, je dirai que la plupart de mes créations fonctionnent comme des séquences d’histoires interactives. J’ai toujours ce désir que l’art ne s’arrête jamais. C’est essentiellement pour cela que j’utilise la technologie depuis que je suis en âge d’ouvrir une boîte de conserve. Et que je fais du spectateur un élément direct de l’identité artistique de mon travail. Pour en revenir à Dune, c’est un travail qui m’a été directement inspiré par un voyage au Maroc quand j’avais une vingtaine d’années. J’étais en train d’observer la ligne d’horizon du désert. À première vue, tout semblait complètement statique. Mais j’ai fini par remarquer que cette ligne était sans cesse interrompue par les silhouettes mouvantes de nomades traver-

sant le paysage. Ces silhouettes étaient rendues totalement floues par l’air chaud du désert, ce qui donnait un effet formel curieux. Ça m’avait fasciné et je me suis toujours demandé ce qu’un tel rendu donnerait dans notre environnement urbain, sur des villes comme Shanghai par exemple. Comment mélanger ce sens naturel tactile des choses et la technologie dans des paysages futuristes qui resteraient émotionnellement connectés à nous ? Mon idée est justement de concilier cette interactivité et cette poésie à nos sens. Et j’ai donc pensé des pièces comme Dune et Lotus comme des propositions de "paysages" futurs. Dans cette idée de série, il y a d’ailleurs un autre point important. On ne fait pas du copier-coller d’une même pièce quand on la retravaille pour un nouveau lieu d’exposition. On fait plutôt du "copy-morph", je dirais. C’est aussi une manière d’apprendre de nos expositions précédentes, des différentes interactions avec les visiteurs. Cela nourrit nos mises à jour. Du coup, si on présente Dune à Shanghai, l’expérience interactive sera légèrement différente de la précédente qui aurait été présentée à Hong Kong par exemple. Je crois que ce sont ces petits détails qui créent une véritable interaction avec le public. Je pense que la nature et la technologie ont beaucoup de points en commun. Quelle que soit leur évolution, les composants de ces deux entités vivent et meurent. C’est pour cela que j’aime resituer des éléments de la nature dans des approches nouvelles, à la fois futuristes et organiques. Cette sorte de "nouvelle nature" est au cœur même de mon travail. C’est une forme de techno-poésie.

A LIRE : Interactive Landscape, Daan Roosegaarde, Adele Chong, Timo de Rijk (éditions NAi Uitgevers, 2010)

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Daan Roosegaarde, Lotus 7.0, 2010-2011.

Daan Roosegaarde, Liquid Space 6.1, 2009.

digitalarti #10 - 19


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ART NUMÉRIQUE DAAN ROOSEGAARDE

Daan Roosegaarde, Marble, 2012.

présenté au printemps dans le cadre de l’exposition "Imagine" au Musée Den Bosch de Stedelijk. Ou qu’il s’agisse de la mobilité de l’œuvre elle-même, comme dans la série "Liquid Space", où la pièce interagit physiquement, en grandissant, en rapetissant ou en s’illuminant comme dans une sorte de ballet robotique chorégraphié… Le principe reste le même : réactualiser nos sens, en les reconnectant avec la nature. Nous avons besoin de cette "nouvelle grammaire" car le rythme général de nos vies est quotidiennement affecté par la surexposition aux multiples formes médiatiques. Je m’intéresse à ce qui se passe lorsque la technologie sort en quelque sorte de l’écran pour devenir un élément intégrant de nos murs, de nos paysages urbains, et même de nos corps. À quoi ressemblerait une place Facebook ? Serions-nous capables de créer des "autoroutes intelligentes", qui seraient capables de générer leur propre électricité ? Voilà autant de sujets qui m’inspirent, toujours dans cette idée de rendre le monde plus interactif, plus durable.

Du coup, ce n’est pas surprenant de vous retrouvez dans un programme dédié aux colonnes lumineuses et sonores interactives comme "Sensor Valley 8.0", commandé par le centre culturel d’Assen aux PaysBas. Vous aviez déjà développé des formesobjets de cet acabit dans les projets "Lunar et Marbles"…

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Sur plusieurs de vos pièces, l’idée de mouvement semble au cœur du principe d’interaction. Qu’il s’agisse de la mobilité du public autour de l’œuvre comme pour "Flow 5.0" que vous avez encore récemment

Sensor Valley est la plus grande concentration jamais réalisée en Europe de colonnes utilisant des senseurs interactifs pour déclencher des séquences de lumière et de sons interagissant avec le public. Les gens de la ville les appellent des "knuffelpilaren"

[littéralement, les piliers qu’on prend dans ses bras] étant donné qu’ils réagissent directement au mouvement mais aussi au toucher. La ville d’Assen a une longue histoire avec la technologie des senseurs. L’expérience en termes de design social et de recherche innovante autour du LED du Studio Roosegaarde nous a permis d’être sélectionné parmi 125 autres projets pour être placé de façon permanente dans le hall d’entrée du nouveau centre culturel. C’est un projet très intéressant car il contribue de façon très concrète à cette idée d’amélioration du monde à travers le comportement au quotidien des habitants, par le biais de ces paysages tactiles intégrant à la fois la ville, la lumière et la population. C’est très stimulant. Il y a même un restaurant qui a mis à sa carte un dessert représentant ces colonnes lumineuses.

Un autre de vos projets les plus récents s’accorde lui avec le domaine de la mode. "Intimacy" s’intéresse en effet à cette ligne du vêtement communicant en proposant des robes composées de feuilles d’aluminium "intelligentes", qui deviennent transparentes en vertu de ces fameux principes d’interaction… Intimacy explore la relation entre l’intimité et la technologie sous la forme d’une seconde peau. La question est de savoir jusqu’où on peut pousser l’expérience, en sachant bien sûr que l’idée reste que cet usage technologique serve à nous rendre plus humain. Ces robes ont eu un succès incroyablement rapides. Nous travaillons d’ailleurs déjà à la série 3.0. C’est fascinant car je ne suis pas familier de l’univers de la mode. C’est génial de pouvoir y entrer via ce projet.


Des peintres immenses comme Rembrandt ou Rubens travaillaient aussi au sein de collectifs artistiques. C’est idéal pour transcender l’approche visionnaire et technique. Je m’inscris complètement dans ce principe, même si l’époque n’est plus la même, et que le médium a changé. Le studio fonctionne comme un méga outil pour développer et exprimer les émotions ou les idées que je peux avoir avec mon équipe de designers et d’ingénieurs. On est très enthousiastes à l’idée de créer des choses spéciales. Dans l’équipe, certains sont là pour développer notre propre système Microchip, pour les contrôleurs et le logiciel. D’autres sont spécialisés sur les matériaux et l’interaction. Gérer un studio créatif quand on est artiste, c’est comme suivre un régime équilibré. Si je choisissais de me concentrer sur des choses qui ne font que ramener de l’argent, en négligeant le paramètre créatif, je crois que les pièces créées seraient ennuyeuses. D’un autre côté, si je ne m’in-

téresse qu’à la pratique artistique, je ne pourrai pas développer la technologie qui l’alimente. C’est le fait de mettre au diapason ces deux approches qui crée la tension nécessaire. Une forme de suspense d’où émerge le côté magique. Un peu comme dans un laboratoire du rêve.

Dans quelle direction le rêve va-t-il donc encore prochainement se matérialiser ? Nous travaillions actuellement sur plusieurs installations interactives à grande échelle et à longue durée sur les villes de Shanghai, Eindhoven et Stockholm. Mais mon dernier "bébé" est la création de cette "autoroute intelligente" que j’évoquais précédemment. Un projet interactif et durable développé avec la société de BTP Heijmans. Et puis nous travaillons que quelques installations in situ. La plus intrigante étant sans doute la rénovation d’un grand tunnel minier pour la Biennale de l’art à Sydney où nous exposerons toutes nos moutures de Dune.

Daan Roosegaarde, SDF (Sustainable Dance Floor), Sustainable Dance Club, 2008.

PROPOS RECUEILLIS PAR LAURENT CATALA

+ D’INFO :

Daan Roosegaarde, Flow 5.0, 2007 (TodaysArt) - 2011.

site: < www.studioroosegaarde.net >

© PHOTOS DAAN ROOSEGAARDE / STUDIO ROOSEGAARDE > WWW.STUDIOROOSEGAARDE.NET

J’ai remarqué que vous employez souvent le pronom "nous". Bien que vous soyez connu en tant qu'artiste solo, l’importance de votre noyau de collaborateurs au sein du Studio Roosegaarde semble grande…

Daan Roosegaarde, Intimacy, 2010-2011.

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FEEDBACK MANIFESTE

MANIFESTE 2012 Premier Festival symbiotique entre l’IRCAM et le Centre Acanthes, Manifeste 2012 s'impose comme le nouveau lieu du jaillissement créatif des arts et de la musique contemporaine…

Echo-Daimonon

MANIFESTE 2012 festival académie, 1er juin - 1er juillet, ircam, Centre Pompidou

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Avec tout d'abord la magnifique soirée d'ouverture à la Salle Pleyel le 1er juin, mettant sous une même perspective les œuvres de Ligeti, Manoury et Mahler. Ligeti fût donné en début de soirée avec une magistrale interprétation par l'orchestre de Paris de son Atmosphères, œuvre micro-polyphonique créée en 1961, inspiré directement par la musique électronique. Ce fût un ravissement dès le premier accord, neuf minutes d'ascension tout en nuances, l'orchestre devenant ce lieu organique, polymorphe bruissant et évolutif, capable d'un raffinement et d'un sens du détail de la matière sonore parfaitement maîtrisé et spatialisé. Manoury prit la suite avec sa création Echo-Daimonon, concerto pour piano et orchestre et électronique en temps réel. Une œuvre virtuose pour pianiste soliste, véritable épopée, course poursuite entre le piano et ses avatars numériques, les 4 pianos fantômes. L'orchestre fait office de décor, entoure le piano qui va se diffracter au fur et à mesure que les pianos fantômes vont prendre le dessus, se démultiplier envahissant l'espace et se rendant à la fin, non sans avoir au préalable pris possession du pianiste. Une œuvre libre et sauvage, tout en énergie. La deuxième partie du programme enchaînait Lontano de Ligeti directement avec l'Adagio de la 10ème de Mahler, mettant en

parallèle le nourrissage perpétuel induit par la technique du canon du premier avec celui des mélodies alternées, jamais identiques et progressant sans fin, se résolvant telle une goutte d'eau tombée du ciel pour le second. L'art de la polyphonie était à l'honneur sous toutes ses formes.

Workshop MIR and Creation Le 2 juin se tenait à l'IRCAM une journée entière de workshop consacrée aux problématiques du MIR — le concept de Music Information Retrieval ou l'extraction d'information. Le workshop faisait un état des lieux sur les recherches en cours à l'IRCAM qui utilisent le principe d'extraction de données dans les processus d'écoute, d'analyse ou de création sonore. Gérard Assayag qui est à la tête de l'équipe de recherche Représentations Musicales de l'IRCAM a présenté les principes d'analyses et d'extractions de l'information gérés par l'extraordinaire logiciel d'impro-

Night Light 3 juin. Un spectacle, trois créateurs. Alban Richard pour la chorégraphie,

Alban Richard, Night Light.

© PHOTO AGATHE POUPENEY

Cette édition faisait la part belle cette année au compositeur Français Philippe Manoury. Un compositeur encore trop largement méconnu du grand public mais qui a pu montrer tout au long de ce festival, l'immense richesse et la créativité qui habitent ses œuvres. La présence de Manoury aura littéralement dominé Manifeste 2012. Petit tour d'horizon de la première partie, celle du Festival qui précédait le temps de l'Académie.

visation en temps réel Omax et sa nouvelle version B.OMax. Diemo Schwatz, chercheur développeur du groupe Musique et Interaction Temps Réel présentait le logiciel CataRT et les principes de la synthèse concatenative par corpus. Ce principe de synthèse granulaire de très haut niveau commence à percer petit à petit et permet de travailler les textures et les ambiances sonores, la synthèse instrumentale, la resynthèse audio et toutes sortes d'explorations de synthèses interactives. La session de la matinée s'est terminée sur une intervention de Philippe Manoury évoquant la relation instrument / machine et les différents procédés de description audio utilisés pour faire interagir de façon cohérente sons acoustiques et sons électroniques dans l'élaboration d'une œuvre. Ce workshop ainsi que la journée d'étude autour du travail de Philippe Manoury ou encore l'excellent colloque "Produire le temps" sont de manière générale ouverts à tout public et en accès libre. Il ne faut pas hésiter à venir pousser la porte de l’IRCAM pour profiter de ces formidables partages d'expériences.


© PHOTO LUC VLEMINCKX

Thomas Hauert & Fabian Barba / Cie ZOO. You've Changed.

Raphael Cendo pour la musique et Valérie Sigward pour la lumière. L'idée était de reprendre possession du célèbre Espace de projection de l’IRCAM, une salle aujourd'hui mythique et d'en revisiter les possibilités expressives. Night Light tient à la fois du concert, de l'installation et de la performance. Dépouillement total, mise en scène minimaliste, voir stérile, incarnant une sorte de panic room gigantesque dans laquelle le danseur matelassé, emporté dans un mouvement perpétuel essaie de dialoguer avec les sons et la lumière. La pertinence de la proposition artistique de départ, à savoir dérouter le spectateur, l'immerger dans un bain de sensations, en soi, fonctionnait parfaitement. Au fur et à mesure du développement, les trois voies se perdaient, devenaient parfois complètement étrangères les unes aux autres. Installant une schizophrénie dans l'espace réellement palpable. Supportable pour les uns, moins supportable pour les autres.

You've Changed 7 juin. Un spectacle intrigant créé par le chorégraphe Suisse Thomas Hauert et Fabian Barba pour la compagnie de danse ZOO. You've Changed se place dans le prolongement du spectacle précédent de Thomas Hauert Accords, dans lequel il avait exploré avec sa compagnie de danse l'idée de l'organisation de groupe en tant qu'entité autonome. You've changed est la suite de ces recherches et renforce cette impression en

s'appuyant sur des critères de gestion de l'interaction collective : contrôle, lâcher prise, liens, chemins. La mise en scène utilise également un dialogue entre les danseurs et deux couches d'écran vidéo, créant une mise en abîme ponctuelle tout en diffractant l'espace scénique. L'ensemble donne une suite de tableaux étranges, à l'intérieur desquels évoluent avec virtuosité des danseurs en pyjama, à mi-chemin entre Teletubbies ou les Bisounours. La musique composée par Dick Van der Harst et Peter van Hoesen installe un climat où s'entrecroisent des morceaux jazz-rock seventies presque lyriques, avec des bribes électro-acoustiques et des guitares électriques minimalistes très travaillées.

Digital 8 juin. Soirée placée autour de l'hybridation entre l'instrument acoustique et l'usage de l'électronique comme moyen d'augmentation. De cette soirée, on retiendra surtout Pluton une pièce aujourd'hui historique, qui avait conduit Philippe Manoury en 1988 à élaborer la base de ses principes de suivi et de détection du jeu instrumental de l'interprète grâce à l'intervention de la programmation informatique. La collaboration avec Miller Puckette donna naissance à Max, le plus célèbre logiciel de programmation modulaire au monde. Créée il y a 25 ans, Pluton étonne encore par sa fraicheur, son lyrisme, mais surtout par sa grande rigueur et la finesse apportée à la répartition entre l'instrument initial, le piano et sa projection

numérique spatialisée. Manoury nous enchantera de la même façon avec Neptune donné le 9 juin à la Cité de la Musique. Pièce pour trois percussions et système interactif composée en 1991, Neptune repose entièrement sur le contrôle de la musique de synthèse par les instrumentistes.

Synapse et Inferno Yann Robin clôturait avec Philippe Manoury cette première partie de Manifeste 2012 avec la dernière soirée Réel/Virtuel donné le 13 juin à la Cité de la Musique. Synapse de Manoury d'abord : un travail complexe sur la transformation d'information par motifs évolutifs, uniquement géré par l'orchestre qui n'est pas sans faire penser au Jeu de la vie développé par Conway en vie artificielle. Puis, en deuxième partie, Inferno de Yann Robin, pièce pour grand orchestre symphonique et électronique en temps réel. Yann Robin a su transfigurer l'orchestre symphonique dans une adaptation spectaculaire de L'Enfer de Dante, à la fois graphique et organique. Empruntant, par touches, aux effets de sound design cinématographique, avec un travail particulier donné aux basses fréquences, Yann Robin donne corps et puissance à la descente vertigineuse imaginée par Dante. Une très belle réussite. CHRISTINE WEBSTER

+ D’INFO : Manifeste: < http://manifeste.ircam.fr > digitalarti #10 - 23


FEEDBACK BAINS NUMÉRIQUES

ET SI LES ARTS NUMÉRIQUES RÉINVENTAIENT LA VILLE ? Les enjeux sociaux et politiques de la création numérique dans l'espace public étaient donc au cœur des rencontres professionnelles organisées pour cette édition 2012 des Bains Numériques, qui avaient lieu du 9 au 16 juin dernier. Au programme, des tables-rondes sur des thèmes tels que "les nouveaux usages de la ville et les nouvelles pratiques numériques citoyennes" et "la coopération entre artistes, collectivités locales et secteur privé" réunissant des acteurs internationaux qui pouvaient ainsi partager leurs expériences, confronter leurs regards et présenter

Pour sa septième édition, les Bains Numériques, biennale portée par le Centre des Arts d'Enghienles-Bains, questionnait les arts numériques au regard de la ville. L'inscription de la "culture digitale" dans le tissu urbain, et les nouvelles pratiques que ce "pari" implique, ouvre en effet un vaste champ de possibles aussi bien à l'échelle locale que globale puisque cette révolution artistique et technologique se déploie dans un monde interconnecté. échanges. Sans oublier un aperçu des festivals et projets artistiques relayés par le RAN (Réseau des Arts Numériques).

leurs projets. Parmi les participants à ces débats modérés notamment par certains de nos collaborateurs (Dominique Moulon, Véronique Godé…), on citera Wei-gong Liou (membre de la Commission des affaires culturelles du gouvernement de Taipei / Taiwan), Jean-Paul Fourmentraux (sociologue, maître de conférence à l'Université de Lille III) ou Malcom Levy (artiste et commissaire du New Forms Festival à Vancouver, Canada), par exemple, afin de souligner la diversité des profils et la richesse des expériences exprimées dans le cadre de ces

© PHOTO SIMON JONES

Simon Jones, Perfect vehicule (2006), exposition MACHines @ Bains Numériques 2012.

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De la théorie à la pratique, il n'y avait qu'un pas au propre comme au figuré puisque les Bains Numériques proposaient un parcours au travers d'œuvres disséminées dans la ville d'Enghien. Des pièces pour la plupart interactives, obligeant parfois le public à d'étranges pantomimes devant de grands écrans LED afin de déclencher des cascades de mots (HP Process, Words City), de mouvoir un "théâtre" d'ombres en 3D auquel pouvaient répondre d'autres "avatars" par la magie de la téléprésence (Joseph Hyde, Me & My Shadow) ou de déplacer des points dessinant une silhouette stylisée évoquant un fantôme numérique (Zhan Jia-Hua, Soma Mapping II). Cette dernière installation ayant été primée lors des compétitions internationales mise en place par le festival afin de révéler et soutenir de nouveaux talents dans 3 champs disciplinaires distincts : arts sonores, arts visuels et arts chorégraphiques. Dans ce domaine, moment d'émotion avec le "pas de deux" entre une danseuse et un petit robot proposé par Emmanuelle Grangier (Link human/robot, ≠1 territoires).


© PHOTO NICOLAS LAVERROUX

Carl Craig pres. 69 @ Bains Numériques 2012.

On ne peut d'ailleurs que se réjouir de voir la danse mise à l'honneur dans le contexte d'un festival numérique, ce qui n'est pas si fréquent. Mais légitime, comme nous le rappelait Dominique Roland, directeur du Centre des Arts et des Bains Numériques : dans le domaine du spectacle vivant, les arts chorégraphiques ont été précurseurs dans l'utilisation esthétique comprenant l'utilisation des technologies. On peut se référer ainsi à Merce Cunningham, à Trisha Brown et plus récemment à Carolyn Carlson et Michèle Noiret… Événement structurant de ces Bains Numériques 2012, l'exposition MACHines, élaborée en partenariat avec le festival Elektra, proposait une sélection pancanadienne d’artistes dont le propos interpelle l’humain dans sa relation ambiguë avec les technologies qu’il conçoit. Soit, comme l'indique le nom de cette expo, des dispositifs et artefacts où le son, les ondes, la résonance et la vitesse étaient pour l'essentiel prédominants. Des pièces parfois déroutantes ou tout simplement amusantes, low-tech ou high-tech, conçues par Steve Daniels, Amélie

Brisson-Darveau, Nichola FeldmanKiss, Adad Hannah, Graeme Patterson, David Rokeby et Pavitra Wickramasinghe. Pour autant, à rebours de la thématique "véhiculée" par l'intitulé, la pièce maîtresse de cette exposition constituait plutôt une "éloge de la lenteur" : le Perfect vehicle de Simon Jones, censé tourner au ralenti sous l'impulsion du souffle de son conducteur allongé et engoncé dans une combinaison bleuvert, évoquait une ambiance steampunk noyée dans un désert de sensation… Ultime paradoxe, les prises de vues réalisées pour la déclinaison vidéo de ce projet rétro-futuriste furent réalisées dans le fameux désert de sel de Bonneville dans l'Utah, aux États-Unis, qui a servi de piste à tant de records de vitesse… Dans un autre registre, on pouvait aussi découvrir, si ce n'est expérimenter, le Tropique d'Étienne Rey qui jouait sur les ondes lumineuses et sonores. Oppressante comme (presque) toutes les œuvres immersives, ce projet invitait le public à pénétrer dans une "chambre noire"

transpercée par trois faisceaux de lumière diffractée. Désorientation et trouble sensoriel garanti dès la porte franchie : ce n'est pas un hasard si ce dispositif a été conçu notamment avec le concours de Laurent Perrinet (chercheur en neuroscience). Enfin, comme tout festival qui se respecte, les Bains Numériques comportaient un volet musical avec des lives (Lucky Dragons), DJ-sets (Pilooski, Matthias Tanzmann, Very Mash'ta) et performances audio-visuelles (Collectif Mu, Livecode Performances). Et, en point d'orgue, les concerts d'ouverture et de clôture avec Carl Craig — arborant au début de son set un masque digne de la Comedia del Arte pour revenir sur son passé prestigieux (ses productions siglées Planet E sous le pseudo 69) — et Arnaud Rebotini dans un déluge de son et lumières (tri repetita) se reflétant dans les eaux noires et dormantes du lac sur lequel se dressait la scène. LAURENT DIOUF

+ D’INFO : Site : < www.cda95.fr/programme/bains-numeriques > digitalarti #10 - 25


ART NUMÉRIQUE EASTERN BLOC

SIGHT & SOUND © PHOTO J. GUZZO DESFORGES

Du 23 au 27 mai dernier, le festival Sight & Sound explorait le thème des "systèmes symétriques" en présentant une quinzaine d’œuvres d’artistes canadiens et internationaux dont les pratiques se situent à l’intersection entre les arts et les technologies. Cette quatrième édition a été organisée par le centre de production et de diffusion des nouveaux médias Eastern Bloc de Montréal. Eliane Ellbogen, la directrice artistique, raconte l’événement tandis que certains des artistes qui y étaient présentés — chdh, Valentina Vuksic, Robyn Moody — évoquent leur travail.

sur l’expérience viscérale comme sur l’exploration des limites physiques des médias numériques.

chdh, vous avez donné la performance "Vivarium" entre 2009 et 2011 avant celle intitulée "Égrégore". En quoi votre univers esthétique a-t-il évolué ?

Un festival, comparé à un centre d’art, est-il plus adapté à la présentation de certaines œuvres ?

chdh : La performance issue du projet Vivarium se concentre sur l'utilisation d'instruments audiovisuels. Chacun de ces instruments s’articule autour d'un algorithme de comportement spécifique contrôlant l'image et le son afin de créer une créature abstraite possédant ses propres possibilités de mouvement. Le développement temporel de la performance est basé sur le jeu de ces instruments comme sur leur succession et leur superposition. Le postulat de base d'Égrégore, c’est l'exploitation de comportements de foule. Nous disposons de plusieurs algorithmes qui sont inspirés de phénomènes naturels comme les bancs de poissons ou les vols d'étourneaux. Ainsi, il n'existe plus qu'une seule forme : une macro-structure prenant naissance grâce à une foule de micro-éléments qui créent un espace visuel et sonore. La composition n'est qu'une évolution de ces interactions, du désordre vers l'harmonie.

Eliane Ellbogen : un festival, par son contexte, permet davantage de présenter des œuvres éphémères ou performatives. Même si la durée très condensée d’un tel événement est une contrainte pour les artistes comme pour leurs œuvres.

Robyn Moody, Wave Interference, @ Sight + Sound 2012.

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Sight & Sound se déroule entre deux festivals montréalais très fréquentés. Quelles sont ses spécificités ? Eliane Ellbogen : Sight & Sound est complémentaire à Elektra et à Mutek. L’une des spécificités de notre festival réside dans le fait que nous y présentons essentiellement des nouveaux projets, considérés parfois comme des “travaux en cours” et qui n’ont pas encore été présentés au sein d’autres festivals. Nous proposons les œuvres d’artistes émergents, non établis, dont les pratiques sont fondamentalement expérimentales, ancrées dans le processus. Notre programmation, en grande partie, est dédiée à l’appréhension des arts numériques en se basant

Repérez-vous, chez les grandes institutions muséales québécoises, un début d’intérêt pour les pratiques artistiques émergentes ? Eliane Ellbogen : Nous commençons à voire émerger les travaux d’artistes numériques établis dans des expositions de musées. En revanche, la présence de leurs œuvres dans des collections muséales est plus rare, puisque qu’elles sont souvent intangibles, difficiles à présenter comme à entretenir ou à conserver. Je remarque toutefois que les institutions muséales européennes, comparées à celles d’Amérique du Nord, ont une relative capacité à intégrer les travaux d’artistes nouveaux médias.

Valentina Vuksic, vous définissez votre pratique artistique comme de la "vraie"


© CHDH

chdh, Égrégore (2011).

musique d’ordinateur. Pouvez-vous nous expliciter cette pratique ? Valentina Vuksic : Les transducteurs captent les radiations électromagnétiques des ordinateurs pour les rendre audibles. La source des sons réside au sein du matériel physique qui constitue mes dispositifs électroniques, mais aussi dans les différents types d’applications qui s’exécutent : du microprogramme de bas niveau au système d’exploitation avec tous ses pilotes, jusqu’au logiciel de bureau et autres clics souris des utilisateurs. Les actions utilisateur, passées ou présentes, influencent les sons émis. C’est pourquoi j’appelle cela de la “vraie” musique d’ordinateur.

Robyn Moody, les technologies, dans bon nombre de vos œuvres, sont dissimulées,

presque invisibles, alors que celles des installations que vous présentez à Eastern Bloc sont mises en scène. Comment avez-vous recours aux technologies pour faire œuvre et plus précisément à celles de l’électromécanique ? Robyn Moody : Je me pose toujours la question de savoir à quel point la technologie doit être révélée, puisque je ne veux jamais que l’œuvre traite des technologies que j’ai utilisées pour la créer. C’est comme l’art de la marionnette. L’effet est souvent perçu en même temps que la cause, mais nous choisissons en tant que public d’ignorer le marionnettiste, d’être bernés. Il y a toujours danger quand les mécanismes sont trop présents dans une œuvre, car ils sont aussi d’une certaine beauté.

Les mécanismes qui font fonctionner mes œuvres sont accessibles pour les curieux qui veulent les voir. Cela me fait penser au potentiel d’une enquête scientifique. Il y a bien des réponses qui ne sont accessibles qu’aux plus curieux, alors que souvent nous acceptons de ne voir que ce qui est à la surface tout en croyant à la magie plutôt qu’aux explications qui sont à notre portée. PROPOS RECUEILLIS PAR AURÉLIEN POULAIN

+ D’INFO : Eastern Bloc < www.easternbloc.ca > Sight & Sound < http://sightandsoundfestival.ca > chdh < www.chdh.free.fr > Valentina Vuksic < http://harddisko.ch > Robyn Moody < www.robynmoody.ca > digitalarti #10 - 27


FEEDBACK ELEKTRA

BIENNALE INTERNATIONALE

D'ART NUMÉRIQUE La première Biennale Internationale d’Art Numérique a émergé en avril 2012 en divers lieux de Montréal dont le Musée des Beaux-Arts, celui d’Art Contemporain le DHC et la SAT. Alain Thibault, son fondateur, est aussi le directeur artistique du festival Elektra et l’initiateur du Marché International de l’Art Numérique. En mai, le colloque Syncretic Transcodings, organisé par Hexagram CIAM, est venu s’ajouter à ces événements montréalais. Retour sur quelques temps forts. Trop humaines La Black Box du laboratoire de recherche Hexagram de l’université Concordia compte parmi les espaces investis par la Biennale Internationale d’Art Numérique (BIAN). On y découvre les dernières créations robotiques de l’artiste Bill Vorn. Des barres métalliques contraignent nos déplacements dans un espace envahi par les machines. Celles qui sont au pourtour de la salle semblent émettre le désir de communiquer alors que celles situées au centre nous apparaissent davantage menaçantes. Parce que plus humaines, peut-être trop même ?

Sculptures vibratoires C’est en traversant la rue Sainte Catherine que l’on se rend aux galeries d’art contemporain du Belgo où est localisé un autre partenaire de la BIAN : le Centre des arts actuels Skol. Peter Flemming y a disposé quatre sculptures de grandes tailles qui ne sont autres que des haut-parleurs résolument low-tech puisqu’apparemment non amplifiés. Le titre Instrumentation de cette installation sonore faite d’objets détournés prend tout son sens lorsque l’on pénètre dans la pièce adjacente. Car c’est là que les sons émergent d’un étrange instrument.

Peter Flemming, Instrumentation, 2011.

© PHOTOS CONCEPTION PHOTO, D.R.

Bill Vorn, DSM-VI, 2012.

Les membres inférieurs des robots qui sont au sol s’animent désespérément dans le vide alors qu’ils continuent de scruter l’espace avec leurs têtes lumineuses. Le titre de l’exposition DSM-VI fait référence au Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux dont la version V est attendue avec impatience par tant d’utilisateurs entre autres détracteurs. Nous devrions peut-être envisager la reconsidération de nos relations aux robots qui investissent nos sociétés. Mais faudra-t-il aller jusqu’à nommer les troubles qu’ils continuent à ignorer ?

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© PHOTOS PAUL LITHERLAND, D.R.

Zimoun, Prepared DC-motors on cardboard, 2012. Des cordes à piano y sont mises en vibration par un dispositif complexe où capteurs et actionneurs côtoient des objets de récupération. La musique de bruits qui se joue dans le temps de notre écoute semble avoir été composée, la machine se chargeant d’y injecter sa part d’aléatoire et le bois, comme dans l’autre pièce, est prédominent. La démesure des hautparleurs, cette musique de bruits non amplifiée, la prédominance du bois, tout ici nous évoque l’audace d’une autre époque, celle de l’artiste inventeur Luigi Russolo et ses “Intonarumori” de 1913.

La somme de tous ces battements est constante, mais elle est aussi évolutive selon nos positions dans l’espace. Observer un instrument, tout comme dans la fosse d’un orchestre, c’est l’entendre, quand le quitter des yeux c’est en perdre le son. Ce son qui participe humblement du chaos sonore dont il émerge toutefois un rythme, précisément ici et maintenant. Quand il est encore quelques battements d’avance ou de retard. Après un temps, il semble que tous tendent pourtant à s’accorder, à moins que notre perception ne soit altérée par notre désir, même inavoué, d’ordonner le chaos.

La musicalité du nombre Il convient de s’élever quelque peu dans les hauteurs de Montréal pour se rendre au centre Oboro dont l’une des galeries a été partiellement recouverte de cartons par l’artiste suisse Zimoun. Et à chaque module son moteur à courant continu et sa tige métallique terminée par une boule de liège. À distance, on croirait entendre l’écho d’un tonnerre lointain. En s’approchant, les motifs sonores générés par cette multitude de dispositifs évoquent davantage une pluie de grêle.

Révolutions perpétuelles Une exposition entière est venue de la région Île-de-France pour participer à cette première BIAN. Elle s’intitule Out of the Blue/Into the Black et est présentée à l’ancienne école des Beaux-Arts. C’est là que les vingtquatre cordes de l’installation luminocinétique et sonore Tripwire de JeanMichel Albert et Ashley Fure ne cessent de tourner verticalement. Et leurs révolutions dans l’espace produit autant de formes.

Nous savons qu’il ne s’agit que de lignes, mais nous y voyons des objets comparables à ceux que l’on obtient au sein d’application 3D. L’installation semble figée dans le temps, bien que la composition sonore soit là pour nous avertir quant à ses possibles mutations. Car Tripwire, à bien y regarder, n’est faite que de transitions, allant d’une pose à l’autre. La relative instabilité des sinusoïdes qui la compose lui confère une souplesse que le temps ne fait qu’étirer. Quant aux lumières, elles participent du spectacle que l’on pourrait qualifier de pré ou post cinématographique.

Jean-Michel Albert & Ashley Fure, Tripwire, 2011.

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© PHOTOS CONCEPTION PHOTO, D.R.

Projet Eva, Cinétose, 2011.

mouvements de la bête participe à oppresser les spectateurs quand le plafond tout entier s’approche de leurs têtes. Notre espace vital est donc menacé par la machine qui se fait de plus en plus envahissante et que l’on souhaite par conséquent le moins autonome possible. Dans le public, il en est qui restent debout, bravant la menace, tandis que d’autres plus sereins s’étendent sur le sol pour apprécier le spectacle sans appréhension aucune, ou presque.

À bonne échelle

l’image comme dans le son, est une des composantes essentielles de cette création datant de 2006 bien qu’optimisée pour l’occasion. Un simple regard sur ceux qui nous entourent, confortablement couchés, totalement absorbés, suffit à nous dire l’influence de l’œuvre sur les corps comme sur les êtres. À mi-parcours, la Satosphère semble s’élever, littéralement décoller, amorçant ainsi l’apparente chute sans fin de nos corps qui s’abandonnent. Images et sons participent à nous propulser vers le bas au fur et à mesure que nos chairs désormais incontrôlables s’alourdissent. Hemisphere est une expérience sensorielle à vivre et qui suffit à justifier la construction d’un espace écran si particulier que d’autres artistes, à l’instar de Luc Courchesne, ont déjà commencé à investir.

Alva Noto, univrs, 2012.

Une esthétique de l’oppression

Ulf Langheinrich, Hemisphere, 2006.

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> Descente infernale

La Société des Arts Technologiques (SAT) s’est récemment doté d’un dôme, une Satosphère qu’Ulf Langheinrich a recouvert d’images le temps de donner sa performance audiovisuelle intitulée Hemisphere. Le bruit, d’une chaleur intense, dans

Quand arrive le soir, c’est à l’Usine C accueillant le festival Elektra que le public de la Biennale Internationale d'Art Numérique (BIAN) et les participants au Marché International de l’Art Numérique (MIAN) se retrouvent. C’est dans la petite salle que le collectif Projet Eva donne sa performance robotique Cinétose. Le spectacle se déroule au-dessus de nos têtes, au travers de ce que les architectes nommeraient “faux plafond”. Les dalles métalliques composant le dispositif sont comparables à des écailles dans les liens qui les unissent entre elles. Or cette peau suspendue ne tarde pas à s’animer au rythme des puissants sons métalliques qu’elle génère. La lumière filtrée par les

Durant la BIAN, le Musée d’Art Contemporain de Montréal a offert l’un des murs de sa black box à l’artiste allemand Carsten Nicolai qui s’est empressé de l’étendre à l’infini avec un système de miroir. Et le temps d’une soirée, l’installation audiovisuelle Unidisplay est devenue le théâtre de la performance Univrs donnée par le même artiste, mais sous son nom de scène bien connu des amateurs de musique électronique minimale : Alva Noto. Les sons du jour sont à peine perceptibles alors qu’ils ébranlent nos tympans durant la soirée. Les couleurs dessaturées de la journée se font plus pures le soir. Quant à la lenteur inhérente à l’installation Unidisplay, elle est remplacée par des flux ininterrompus pendant la performance Univrs. Il est toutefois un point commun à ces deux œuvres qui se présentent tel des paysages de propositions sur lesquels une caméra virtuelle avance pour les magnifier, les unes après les autres. C’est donc un voyage dans l’espace comme dans le temps que Carsten Nicolai aka Alva Noto nous propose quand les images et les sons, inévitablement enchevêtrés, évoluent au gré de séquences plus radicales les unes que les autres.

Profondes mutations C’est avec la performance Sirens donnée par Ryoichi Kurokawa et Novi Sad que le festival Elektra se termine. Dès le début, dans l’image comme dans le son, il semble y avoir plusieurs niveaux d’activité selon de multiples temporalités. Dans le détail, les médias sont d’une extrême instabilité, comme animés par d’infimes radiations perpétuelles. Avec un peu de recul, il apparaît que des fragments de corps, de monuments ou de paysages entiers se liquéfient, plus lentement.


FEEDBACK ELEKTRA

Ryoichi Kurokawa & Novi_Sad, Sirens, 2012.

Il y a du bruit dans l’image comme il y a du grain dans le son d’une musique alliant le traitement numérique de données industrielles ou économiques à l’usage d’instruments plus traditionnels. Le monde qui s’offre à nous est un monde en transition où les métamorphoses s’enchaînent au rythme des tableaux se succédant. Et la frénésie, dans le détail ne s’oppose nullement à la lenteur de ce qui se liquéfie, se fragmente ou se dessèche à plus grande échelle. Mais comment interpréter les recherches ces deux artistes, l’un provenant du Japon, l’autre de Grèce, deux pays en profonde mutation dans un monde en quête de solu-

tions politiques, énergétiques et économiques durables ?

Condamnées à disparaître Le festival Elektra est terminé mais la BIAN 2012 se poursuit jusqu’à la mi-juin. Et c’est à la Maison de la Culture Frontenac que l’on se rend enfin pour assister à une performance audiovisuelle donnée par des ampoules de 1000W dégageant plus d’énergie dans la production de chaleur que dans celle de lumière. C’est du reste la raison de leur interdiction à la vente dans un nombre croissant de pays ce qui causera, à terme, la disparition de l’installation Condemned Bulbes. Ces ampoules condamnées émettent pourtant leurs derniers cris avant de s’allumer les unes après les autres selon une composition écrite par les membres du collectif québécois qui les alimentent avec un courant électrique spécialement traité à cet effet. Les filaments des ampoules dont on a déjà remarqué la démesure, tels les instruments d’un orchestre, entrent progressivement en vibration. Il n’y a que la pleine lumière qui les rend silencieuse, sans vibrations aucunes.

Et quand elles sont toutes allumées, c’est la fin d’un spectacle qui en annonce un autre, pour encore quelque temps. DOMINIQUE MOULON

+ D’INFO : Elektra < www.elektrafestival.ca > BIAN < http://bianmontreal.ca > Alva Noto < http://www.alvanoto.com > Artificiel < http://www.artificiel.org > Ashley Fure < http://www.ashleyfure.net > Bill Vorn < http://billvorn.concordia.ca/menuall.html > Carsten Nicolai < http://www.carstennicolai.de > Hexagram < http://hexagramciam.org > Jean-Michel Albert < http://www.jmalbert.com > MACM < http://www.macm.org > Novi sad < http://novi-sad.net > Oboro < http://www.oboro.net > Peter Flemming < http://peterflemming.ca > Projet Eva < http://www.projet-eva.org > Ryoichi Kurokawa < http://www.ryoichikurokawa.com > SAT < http://www.sat.qc.ca > Skol < http://www.skol.ca > Ulf Langheinrich < http://ulflangheinrich.com > Usine C< http://www.usine-c.com > Zimoun < http://www.zimoun.ch >

© PHOTOS D.R.

Artificiel, Condemned Bulbes, 2003.

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EVENTS COMING SOON

(AGENDA)

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NEW FORMS FESTIVAL Montréal, canada 13 au 16 septembre < www.newformsfestival.com >

A-PART FESTIVAL Alpilles, France 5 au 31 juillet < www.festival-apart.com >

H2T Helsinki, Finlande 14 au 18 septembre < http://h2t.munstadi.fi >

CELLSBUTTON Yogyakarta, Indonésie 15 au 23 juillet < www.natural-fiber.com/cellsbutton/ >

NAME FESTIVAL Tourcoing & Dunkerque, France 15 au 22 septembre < www.lenamefestival.com >

FESTIVAL FUTURA Crest, France 22 au 26 août < www.festivalfutura.fr >

SCOPITONE Nantes, France 19 au 23 septembre < www.scopitone.org >

BOUILLANTS #4 Bretagne, France Mars à août < www.bouillants.fr >

ARS ELECTRONICA Linz, Autriche 30 août au 3 septembre < www.aec.at >

FILMER LA MUSIQUE Paris, France 20 au 23 septembre < www.filmerlamusique.com >

DIG@RAN Val d’Arran, Spain Jusqu’au 8 juillet < www.digaran.org >

CITY SONIC Mons, Bruxelles, Belgique 31 août au 15 septembre < www.citysonics.be >

TODAYS ART La Haye, Pays Bas 21 & 22 septembre < http://todaysart.org >

LES TRANSNUMÉRIQUES Bruxelles, Mons, Belgique Jusqu’au 15 juillet < www.transnumeriques.be >

GOGBOT Enschede, Pays-Bas 8 au 11 septembre < www.gogbot.nl >

DECIBEL 9 Seattle / Washington, États-Unis 26 au 30 septembre < http://dbfestival.com >

FESTIVAL DIÈSE Dijon, France 2 au 7 juillet < www.festivaldiese.com >

ZERO1 BIENNAL San Jose, Etats-Unis 12 septembre au 8 décembre < www.zero1biennial.org >

THIS IS NOT ART Newcastle, Australie 27 septembre au 1er octobre < http://thisisnotart.org >

SOUND ART. SOUND AS MEDIUM OF FINE ART Exposition au ZKM Karlsruhe, Allemagne Jusqu'au 6 janvier 2013 < www.zkm.de > FORM SPECIAL Exposition à CAM Raleigh Raleigh, USA Jusqu’au 8 octobre < http://camraleigh.org > FORM@TS Exposition dans l’espace virtuel du Jeu de Paume Paris, France Jusqu’au 9 septembre < http://espacevirtuel.jeudepaume.org >

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