Pratique des Arts Generaliste

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N° 90

Pratique

ARTS

DES

E. BEGARAT

Le renouveau impressionniste

DESSIN

Carnet de voyage naturaliste DOSSIER PASTEL

Secrets d’atelier d’un grand maître

STAGE DE SCULPTURE

Ce que vous pouvez en attendre

TOUT SAVOIR SUR LA REPRODUCTION NUMÉRIQUE

GUIDE PRATIQUE p. 43 ■

Aquarelle : atmosphère en lavis colorés Couteaux à peindre : les bons gestes Mieux composer sa nature morte Marine : jouer avec le premier plan Testez le glacis aux crayons de couleur

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ENQUÊTE

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peinture, sculpture, gravure


Portfolio Pastel

13 pastellistes à découvrir

D’un bout à l’autre du globe, sur tous les continents, le pastel sec suscite des vocations et inspire les artistes. Paysage, nature morte, portraits, scènes de rue… découvrez dans notre portfolio exclusif un tour d’horizon des praticiens et de leur univers respectif.

Colette Odya Smith ÉTATS-UNIS Waterborne #1. 76,2 x 76,2 cm.

www.coletteodya.smith.net E-mail : coletteodya@smith.net

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Pratique des Arts n° 91 / Avril-Mai 2010

Richard McKinley ÉTATS-UNIS Sapphire Afternoon. 45,7 x 30,5 cm.

www.mckinleystudio.com E-mail : web@mckinleystudio.com


Pratique des Arts n° 90 / Février-Mars 2010

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Portfolio Pastel

Sophie Amauger

Christine Bodnar

FRANCE

ÉTATS-UNIS

Houle 1. 26 x 27 cm.

Sunset Salute.

http://sophieamauger.com E-mail : info@sophieamauger.com

www.christinebodnar.com E-mail : cbodn59@yahoo.com

D’abord graphiste, Sophie a ensuite embrassé la peinture, dont la nature, simple et sans artifices, lui fournit l’essentiel de ses sujets au pastel.

Native du Massachusetts, les paysages côtiers ont sa faveur : elle en capte les changements de tons au fil des saisons et cette lumière si particulière.

Tony Allain NOUVELLE-ZÉLANDE New Plymouth. 25,4 x 30,5 cm.

www.tonyallainfineart.com E-mail : tony.allain@yahoo.co.nz « Chaque nouvelle peinture m’émeut toujours autant. Je ne sais jamais qu’elle sera l’orientation que prendra une peinture mais je sais que que son cheminement me procurera beaucoup de plaisir. »

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Pratique des Arts n° 91 / Avril-Mai 2010


Louise Corke Australie Mona Thinks. www.louisecorke.com E-mail : lou2345@bigpond.net.au « Mona a été ma voisine pendant plusieurs années. Je me suis attelée à son portrait sur un papier Canson Mi-Teintes : c’est lorsque j’ai ressenti sa présence sur la feuille que j’ai su que le portrait était terminé.»

Christine Ivers ÉTATS-UNIS Unexpected Shroud. 40,6 x 61 cm. www.christineivers.com E-mail : cdivers@iversassocllc.com « Découvrir ce qui se trouve entre les ombres et les lumières réfléchies, voilà d’où provient mon excitation à peindre la nuit. »

Carolyn Caldwell ÉTATS-UNIS Interior With Red Pillow.

www.carolyncaldwell.com E-mail : carolyncaldwellstudio@gmail.com « Pourquoi est-ce que je peins ? Pour partager ma perception avec les autres. Nous voyons tous le monde différemment et partager notre vision nous enrichit et nous aide à nous comprendre les uns les autres. »

Pratique des Arts n° 91 / Avril-Mai 2010

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Portfolio Pastel

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Cheryl Culver

Ken Elliot

GRANDE-BRETAGNE

ÉTATS-UNIS

Golden Hedgerow.

Up To The Yellows. 55 x 50 cm.

www.cherylculverpaintings.com E-mail : cherylvculver@btinternet.com

www.kenelliott.com/pastels.htm E-mail : elliottken@comcast.net

« Nous avons un camping-car et adorons traverser la Manche pour visiter la France. Ce tableau a été peint près de Chalon-sur-Saône. »

« La peinture n’est jamais un procédé linéaire. J’ai toujours dans mon atelier plusieurs œuvres en cours, au pastel et à l’huile. »

Pratique des Arts n° 91 / Avril-Mai 2010


Astrid Volquardsen

Sangita Phadke

Sarah Wilson

ÉTATS-UNIS

BERMUDES (ROYAUME-UNI)

Apricots. 30,5 x 30,5 cm.

Kelly and Son. 48 x 63,5 cm.

www.sangitaphadke.com E-mail : sangita@sangitaphadke.com

www.sharonwilsonart.com E-mail : sharonwilson@cwbda.bm

Essentiellement autodidacte, Sangita Phadke est aujourd’hui membre de la prestigieuse Pastel Society of America.

Artiste vivant aux Bermudes, Sarah Wilson tente de retranscrire la beauté simple des actes et des gestes quotidiens.

Astrid Volquardsen ALLEMAGNE Rau See. 30 x 78 cm.

www.pastellbilder.de E-mail : a.volquardsen@pastellbilder.de « Je reste fascinée par les paysages du Nord et leur lumière si particulière. Tenter de la traduire est pour moi une des choses les plus importantes qui soient. »

SI VOUS AVEZ AIMÉ CES ARTISTES, DITES-LE NOUS SUR : redaction@pratiquedesarts.com

RETROUVEZ CE PORTFOLIO ENRICHI D’ŒUVRES INÉDITES SUR NOTRE SITE ➔www.pratiquedesarts.com Pratique des Arts n° 91 / Avril-Mai 2010

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couleurs Philippa Davison L’univers des découverte

Cadrage, matière et couleur

La nature morte

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Pratique des Arts n° 95 / Décembre 2010-Janvier 2011


revisitée Philippa compare ses natures mortes à des paysages. Non pas qu’elles en prennent l’apparence mais parce qu’elles émanent selon elle de la même source : la nature et son observation.

Sujet C’est le motif floral et japonisant du fond (une serviette en papier décorative) qui a fourni le point de départ de cette composition. J’y ai vu une alternative aux tissus imprimés que j’emploie habituellement. L’idée était d’opposer les fleurs stylisées du fond à un motif réaliste. J’ai essayé différents fruits tels que des abricots avant de me décider pour ces mangues juteuses.

Petite histoire Quand je vivais à Londres, j’étais souvent fourrée chez Fortnum & Mason sur Piccadilly, ce magasin de luxe où l’on trouve les plus beaux spécimens de fruits. J’allais aussi sur le marché plus populaire de Berwick Street dans Soho pour les fruits et les tissus. Ces deux lieux m’ont inspiré beaucoup de sujets.

Composition À chaque œuvre son défi. Ici, j’ai voulu rendre la composition plus saisissante en agrandissant les mangues. Rien d’exagéré pour autant mais le regard est attiré par elles grâce à leur légère disproportion.

Couleurs J’aime les atmosphères chaleureuses, d’où ces fruits longuement choisis sur l’étal pour leur rouge chaud qui se marie bien avec les ocres du fond. Le tout est refroidi par des bleus, dont ce superbe turquoise (le bleu turquoise de cobalt clair de Old Holland), inévitablement présent dans chacune de mes œuvres.

Fibonacci J’équilibre mes teintes selon un ratio approximatif basé sur la suite de Fibonacci (1-2-3-5-8…). Par exemple, l’ocre jaune occupe 70 % de la toile, puis sont venus le rouge cramoisi, le bleu turquoise, les verts et enfin le blanc.

Support Je travaille sur bois, du MDF en particulier, que je recouvre de tarlatane et que je fixe sur un châssis. La trame de l’étoffe agit comme accroche pour la peinture. Puis j’applique 3 à 5 couches de gesso. Je ne fais ici qu’adapter une vieille technique propre à la peinture a tempera et qui convient parfaitement pour l’huile.

Fruity. 2008. Huile sur bois, 33 x 41 cm.

Texte et photos : Stéphanie Portal.

Philippa Davison

S

i elle préfère aujourd’hui le confort de son atelier aux sessions en plein vent en haut des falaises cornouaillaises, c’est pourtant là, dans les hauteurs de Falmouth, qu’elle a appris à regarder et décrire son sujet. Elle se souvient de ce professeur qui a instillé en elle ce désir de peindre sur nature. Pour aller plus loin encore, elle a voulu « faire » la Royal Academy quelques années plus tard. Malheureusement, les temps avaient changé et les cours de multimédia remplaçaient dorénavant ceux d’anatomie et de perspective. « J’ai dû me battre pour continuer à peindre des natures mortes et me convaincre que je pouvais leur apporter un regard neuf. » C’est donc en classe de modèle vivant qu’on pouvait la trouver, dessinant sans relâche, se concentrant sur la ligne, la forme et reculant le plus possible le moment de passer à la couleur. Aujourd’hui, Philippa n’a même plus besoin de dessin préparatoire : elle part directement au pinceau sur le support préparé à l’ancienne. Elle a déménagé aussi, passant du grand appartement-atelier qu’elle occupait à Londres à une chaleureuse maison en pierre dans le Gloucestershire. Sa petite cabane d’été dans le jardin qui lui sert d’atelier a ainsi vu ses sujets (et ses pinceaux) se réduire : « Un petit espace vous force à être plus intime avec votre sujet. » La lumière a changé, d’où une palette éclaircie, moins contrastée, et une pâte encore plus fluide et transparente. Plus libre enfin, elle va vers un travail qui gagne chaque jour en concision. Aujourd’hui, elle n’a qu’une envie : « Se laisser emporter par les formes, la lumière et la couleur. » ■ Pratique des Arts n° 95 / Décembre 2010-Janvier 2011

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couleurs Philippa Davison L’univers des découverte

Les reflets et la brillance Le Cor. 2006. Huile sur bois, 53 x 61 cm.

Composition Un cor sur fond de tissu. Rien de plus simple. Pourtant, si on regarde bien, on peut distinguer un hibiscus (feuille et bourgeon) au second plan, en partie recouvert par les motifs du fond. Le cor m’intéressait par la beauté de ses formes mais aussi par l’éclat du métal et ses reflets.

Petite histoire Le cor fait référence à mon mari, musicien, tandis que l’hibiscus me rappelle ma mère, australienne. Deux motifs qui exercent un pouvoir de fascination sur moi et symbolisent deux personnes importantes dans ma vie.

Reflets Je me suis laissée engloutir par ce fabuleux instrument dont les reflets sont aussi fascinants qu’une étendue d’eau. Le cor réfléchit mon atelier de l’époque avec ses grandes fenêtres et sa lumière zénithale, jusqu’aux couleurs des fleurs du tissu qui lui sert de fond.

Couleurs Ma palette est toujours chaude et claire, avec une majorité de couleurs transparentes. Je limite les mélanges afin de garder des teintes propres. Je m’autorise en revanche des petites touches plus audacieuses (bleu de cobalt, jaune citron) car il s’agit aussi de se faire plaisir.

Processus J’utilise l’huile comme l’aquarelle, avec des premières couches claires et fines, très diluées (huile de lin et white-spirit) puis je monte en densité (couleur et matière) en opposant au final des zones opaques et translucides, fines et épaisses. Le médium me sert aussi à fondre les lignes de contour : je les affine en effaçant ou en adoucissant la couleur au pinceau.

Huile La possibilité de retravailler son œuvre sans fin est ce qui m’attire dans l’huile. J’aime ce processus qui respecte mes changements d’avis car, pour moi, cela fait partie de l’acte de création. La composition est fixe mais la peinture évolue, comme son auteur.

SECRET DE PEINTRE Mon médium à peindre Je dilue la couleur avec mon propre médium, un mélange d’une part de standolie à 5-6 parts de white-spirit. La térébenthine a tendance à jaunir avec le temps ; or, si le white-spirit est à éviter tout seul (il sépare les pigments), quand il est mélangé avec l’huile, il retrouve son équilibre. Un procédé approuvé par les restaurateurs de la Tate Gallery et que j’utilise depuis douze ans. De haut en bas : - Ma couleur préférée : le bleu turquoise de cobalt clair (Old Holland). - Colle de peau de lapin et craie pour préparer mon support. - Mon musée idéal.

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Pratique des Arts n° 95 / Décembre 2010-Janvier 2011

PORTRAIT Philippa Davison-Fox a suivi une première formation au College of Art de Falmouth (Cornouailles) de 1991 en 1994. Elle retourne ensuite dans son Cheshire natal pour essayer de trouver sa voie artistique. En 1997, elle décide de compléter son apprentissage à l’illustre Royal Academy de Londres. Installée aujourd’hui dans le Gloucestershire, elle se consacre à la nature morte. Elle est représentée par la galerie Genty (www.galerie-genty.com).


Cadrage et composition La série des théières Sujet C’est avec cette série que tout a commencé. Je suis passée du paysage à la nature morte et ai profité de la liberté de manipulation des objets pour choisir un point de vue plongeant. Ainsi, le titre de l’œuvre ci-contre joue à la fois sur l’angle choisi et suggère le moment partagé autour d’une tasse de thé. Un sujet très anglais, donc !

Les objets J’ai tout d’abord été attirée par leurs formes voluptueuses, puis je me suis intéressée aux motifs floraux qui les décorent. Dans mes compositions, j’aime l’alliance (et l’ambiguïté visuelle) entre éléments manufacturés et naturels. Je n’achète pas de théière sans penser d’abord à son association avec une fleur ou un fruit.

Over tea. 2003. Huile sur bois, 41 x 33 cm.

Fleurs Je suis une accro du jardinage et introduire une fleur dans mes natures mortes est une manière de faire entrer la nature dans mon atelier. Ainsi, les fleurs qui même dans un vase continuent à se développer, posent un challenge pour le peintre qui est obligé de suivre le flétrissement des pétales, la densification des tons, l’assèchement des étamines. Le motif et donc la composition évoluent et c’est avec plaisir que je les suis.

Dans mes compositions, j’aime l’alliance (et l’ambiguïté visuelle) entre éléments manufacturés et naturels. Over tea III. 2004. Huile sur bois, 33 x 41 cm.

Over tea IV. 2004. Huile sur bois, 36 x 28 cm.

Fond De fonds unis et vagues, je suis passée aux motifs géométriques et désuets qui contredisaient les formes organiques de mes fleurs et théières, pour arriver à ces fonds floraux qui jouent sur la confusion des plans. Je continue en revanche à opposer les traitements : assez lâche ici, quitte à laisser des traces de pinceaux, mais plus défini dans les contours des motifs principaux.

Bonnard Il reste mon influence principale, pour ses couleurs et ses lumières. J’aime la fraîcheur et la vitalité de ses œuvres ainsi que sa manière d’associer une palette chaude (bruns, gris, tons rompus) à des petites touches froides (bleu souvent) qui donnent une véritable pulsation à la toile.

Pratique des Arts n° 95 / Décembre 2010-Janvier 2011

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Rencontre Pedro Cano

PORTRAIT Né en 1944 à Blanca en Espagne, il reçoit d’abord une formation à l’École des beaux-arts San Fernando à Madrid. En 1969, il séjourne à l’académie d’Espagne à Rome, où il développe un travail exclusivement orienté vers la peinture à l’huile. Voyageur invétéré, l’artiste réside ensuite une année en Amérique latine, puis à New York pour cinq ans à partir de 1984. Parallèlement, son travail est régulièrement exposé en Europe. En 2000, il décide d’intégrer dans sa pratique le dessin et l’aquarelle, techniques délaissées depuis les Beaux-Arts. Aujourd’hui, l’artiste partage son temps entre Blanca, sa ville natale, et Anguillara, village situé à trente kilomètres de Rome. Très inspiré par les paysages de Méditerranée, il continue de sillonner la Grèce, le Maroc et une grande partie du Moyen-Orient, pour puiser « des visions du réel inédites ». Son travail fait aujourd’hui l’objet d’expositions et de publications d’envergure, à l’exemple de la série inspirée du livre d’Italo Calvino, « les Villes invisibles », et exposée à Rome en 2005, ou encore l’exposition en 2008 de vingt silhouettes peintes sur des toiles de 2 x 1,40 m dans les thermes de Dioclétien à Rome. À droite : Figues. 2003. Détail. 45 x 114 cm.

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Pratique des Arts n° 92 / Juin-Juillet 2010


Pedro Cano L’empreinte de la lumière

Chez cet artiste espagnol italien d’adoption, huile et aquarelle se partagent le même terrain de création depuis quelques années. Fasciné par le passé prestigieux du monde antique et respectueux des œuvres de la nature, le peintre a trouvé dans l’aquarelle une écriture d’équilibre entre beauté surannée et représentation inédite. Pratique des Arts n° 92 / Juin-Juillet 2010

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Rencontre Pedro Cano

Grenades. 2003. 45 x 114 cm.

« Je suis très sensible à la peinture romaine à la fois dans ce qu’elle recèle de mystérieux et dans son évidence plastique. »

Pratique des Arts : Pedro Cano, votre œuvre se caractérise par l’usage de deux techniques distinctes, l’huile et l’aquarelle. Cette dernière n’apparaît que tardivement dans votre carrière puisque le corpus aquarelle ne se construit véritablement qu’à partir des années 1990. Comment et pourquoi avezvous intégré ce médium dans votre parcours ? Pedro Cano : Lors d’un séjour à New York, j’avais alors 39 ans, j’ai senti naturellement le besoin de revenir à une forme essentielle d’écriture picturale. Comme une sorte de voyage initiatique à rebours, je retournai vers les instruments les plus rudimentaires, à savoir le fusain et, pour la couleur, le crayon et l’aquarelle. Vécue au départ comme une expérience, cette nouvelle façon de travailler s’est rapidement imposée comme une expression inédite qui partageait désormais le terrain de la peinture à l’huile. Dans ce sens, je voudrais insister sur le fait que l’aquarelle dans mon travail est un médium à part entière, très éloignée du principe de la pochade ou de l’essai.

Je me sens aussi à l’aise dans les croquis rapides d’une atmosphère fugace que dans le long travail de lavis superposés de mes grands formats.

Dans ma trousse d’aquarelle, les éponges sont aussi essentielles que les pinceaux. Je peux à tout moment moduler la lumière en passant une simple éponge humide sur les couches de pigment sèches.

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Citrons. 2003. 45 x 114 cm.

PDA : Pourtant, il vous arrive, dans le cadre de grands projets à l’huile, d’effectuer des séries d’études à l’aquarelle. Je pense notamment à cette nouvelle série sur le thème de Pompéi actuellement en préparation. P. C. : Oui, tout à fait. Mais à la différence des études préparatoires généralement menées à l’aquarelle, je ne l’utilise pas comme instrument de repérage. Chaque élément est réalisé en atelier avec un soin particulier. Il s’agit plus d’une transposition du mental sur le matériel. Le mûrissement du projet doit passer par l’épreuve de la matière. Pour exemple, la série « Pompéi » s’appuie sur un nombre déterminé de tableaux calqués sur la déclinaison des ambiances lumineuses du lieu. Ici, la valeur prime sur la couleur. Seuls le noir et le rouge me suffisent pour mener ma recherche. Je superpose patiemment les lavis. J’observe l’évolution des pigments alors que l’eau s’évapore. Je reviens à l’éponge humide. Et ainsi de suite jusqu’à saisir parfaitement la lumière juste, référence d’un instant précis. Ces

aquarelles sont ainsi si précisément réalisées qu’elles deviennent un véritable corpus d’œuvres. Souvent, je les expose « en annexe » du projet final. PDA : Depuis l’émergence de l’aquarelle dans votre travail, Rome, ville où vous avez élu résidence à temps partiel, est un sujet qui jalonne votre création. Et cela non seulement par la représentation même de l’architecture, mais également par le traitement plastique de vos tableaux, évocation directe de l’art de la fresque et de la Rome antique. P. C. : Depuis mon installation à Rome en 1969, je demeure fasciné par la ville, ce qu’elle me révèle du monde antique et de ses modes de représentation artistiques. Que cette admiration se reflète dans mon travail n’est donc en rien surprenant. Je suis par ailleurs très sensible à la peinture romaine, aussi bien dans ce qu’elle recèle de mystérieux que dans son évidence plastique. Représenter Rome, et par extension les natures mortes librement inspirées de l’art romain,

Afin de saisir toute la force de l’instant, je commence par isoler la valeur la plus claire et guide l’eau et les pigments autour de cette source lumineuse. Je superpose les lavis ou les délave à l’éponge jusqu’à obtenir la gamme de valeur souhaitée.

Les éléments colorés de ce tableau se résument à une terre verte, du jaune de cadmium clair, du noir d’ivoire et la blancheur du papier. Fond et sujet sont traités en simultané, j’alterne l’application des lavis successifs des parties ombrées et la ciselure des formes centrales au pinceau fin. Tout au long du travail, je déroule une sorte de fil d’Ariane propre à révéler la lumière juste de la composition entière.

Études pour le projet « Pompéi » où les silhouettes et les corps pétrifiés côtoient les architectures en lumière. Elles peignent l’instant fugace d’une lumière changeante qui se pose sur un lieu. En même temps, c’est un lieu figé dans son sarcophage de cendres.

Pratique des Arts n° 92 / Juin-Juillet 2010

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Rencontre Pedro Cano

produit justement du sens quand il s’agit de le dire en aquarelle. Vous avez évoqué le rappel de la fresque antique. C’est juste, car je considère le papier comme un mur. Je dois lutter contre la paroi, et m’en faire aussi un allié, cette fois contre le temps. Travailler dans l’immédiateté et imaginer l’évolution du pigment une fois libéré de l’humidité. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, l’aquarelle est pour moi un art « sec », tel le mur peint à la tempera qui devient cette matière à la fois sèche, âpre et fine, tout en offrant une profondeur transparente et opaque. L’équivalence des deux médiums me semble en ce sens très révélatrice, et elle légitime une certaine logique entre mes goûts et ma création. PDA : Le format de vos œuvres, très large, reste assez atypique dans le domaine de l’aquarelle. Estce encore un rapprochement avec l’idée de la peinture de fresque ? P. C. : Ce serait évidemment un peu réducteur de voir dans le choix des formats une analogie aussi directe, même si je ne la renie pas. Cela dit, le grand format correspond à ma façon de manier techniquement le médium. L’aquarelle n’existe que par sa lumière, dont la source unique est le papier. J’ai en ce sens besoin de grandes plages d’aération dans mes tableaux, même si certaines ont tendance à disparaître sous les voiles successifs de couleurs. Par exemple, quand je compose en monochrome la vue d’une porte romaine en contrejour, je pars d’un ruban central, le montant le plus exposé, qui conservera la blancheur pure du papier. Puis je navigue autour de ce référent sur le bout d’une martre fine. À ce stade, la fluidité émerge de la cohérence de la lumière entre la clarté source du support (le papier blanc), le dessin en touche fine et les lavis transparents superposés. Ces espaces qui dissèquent et fragmentent la lumière m’aident à dilater le réel. PDA : Dans vos natures mortes notamment, l’aspect à la fois vaporeux et dense des fonds accentue la présence du sujet, lequel, plus proche du spectateur,

Adelma (série « les Villes Invisibles »). 2005. En référence au livre d’Italo Calvino, ce tableau illustre Adelma, ville où chaque visiteur peut, dans les visages des habitants, reconnaître des membres de sa famille disparus. Reconnaissables, les visages que j’ai peints restent dans le même temps partiellement dissimulés par l’exagération des contrastes, des ombres barrant les figures et des lavis brouillant la bouche, une joue, une oreille.

se révèle dans une impression de détails. Comment combinez-vous l’imbrication des différents plans ? P. C. : Sur l’apparente distinction du fond et de son sujet, l’œil est trompé. Je ne travaille en effet jamais les deux éléments séparément. Aussi cette distance dont vous parlez entre les deux plans n’existe pas en soi. Ma technique consiste à créer une certaine fluidité entre les tons et les touches : je commence par circonscrire les blancs purs par une série de petites touches rapides. Je mouille ensuite le pinceau rapidement, je prélève la couleur et je la dépose. Ainsi je construis les familles de tons, généralement du centre de la feuille, où le sujet est exposé en pleine lumière, vers ses marges. Avant même de commencer le travail, j’analyse les dominantes colorées, les valeurs et je comprends comment les articuler selon l’application. Ainsi, pendant la construction du tableau, je suis sur tous les fronts ! Sur les touches de couleurs vives des fleurs du premier plan comme sur les lavis superposés des angles les plus sombres et jusqu’aux passerelles de tons, où dessins et couleurs se font traces. PDA : Nature morte, architecture et plus récemment le nu, aucun sujet ne vous laisse indifférent. L’aquarelle peut-elle donc tout traduire ? P. C. : Matériellement, l’aquarelle par sa nature même de fulgurance, se révèle un excellent capteur d’émotion. Dans ce sens, elle me permet d’enregistrer l’essence des choses. Je peux ainsi mettre en évidence le passage d’un état à un autre, du passé au présent en opérant une sorte de feuilletage des sensations : chaque couche se pose en amorti et révèle celle qui la sous-tend. Ainsi, je peux cristalliser en une même écriture nostalgie et présent. Texte : Alexandra Bourré. Photos : Sylvie Durand (sauf mentions).

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Pratique des Arts n° 92 / Juin-Juillet 2010


« Je considère le papier comme un mur. Je dois lutter contre la paroi, et m’en faire aussi un allié, cette fois contre le temps. » Ci-contre, de haut en bas : Fleurs rouges. Détail. 45 x 114 cm. Poires. Détail. 45 x 114 cm. Courtesy Galleria del Leone

LE PAPIER EN DEUX ÉPAISSEURS

UNE PALETTE RESTREINTE

J’oscille généralement entre deux types de papiers : l’Arches Torchon 300 g, et le papier Meirat 150 g. Le premier est idéal pour un travail de longue haleine. Il subit alors des applications de couleurs successives, aussi bien dans le frais que sur la surface séchée, comme c’est le cas par exemple dans la série des « Portes de Rome ». Il convient parfaitement à une recherche ciblée sur les contrastes : le pigment couvre sans occulter la source lumineuse. Tel un buvard, le papier absorbe l’eau alors que sa blancheur et son moelleux restituent la puissance colorée et la transparence. Le papier Meirat, fabriqué à la main à San Sebastian en Espagne, allie résistance et légèreté. J’utilise un grammage moyen afin d’exploiter la transparence du support et la surface accidentée due au pressage artisanal. Il convient particulièrement aux aquarelles dessinées, telle la série « Villes invisibles. »

Avec seulement 5 teintes, je passe des fonds au sujet, du clair au sombre en gardant une concordance de tons subtile. Une palette trop fournie a tendance à bloquer la créativité. J’ai toujours privilégié une relation plus intuitive à la couleur. En cours, je conseille à mes élèves de s’en tenir à cinq couleurs principales : ocre jaune, bleu de cobalt, rouge anglais, terre verte et noir d’ivoire. De cette base, on peut obtenir une infinité de mélanges riches et subtils. J’use seulement de pigments naturels, les couleurs industrielles, trop violentes, étant difficiles à maîtriser. Le choix de la marque est crucial. Entre Winsor & Newton et Sennelier, je trouve le juste équilibre des couleurs transparentes ou opaques, dans tous les cas résistantes à la lumière. Pratique des Arts n° 92 / Juin-Juillet 2010

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Rencontre Pedro Cano

À la loupe… Petites Grenades

1990. 70 x 25 cm.

Pour la réalisation de cette nature morte, j’ai mis en scène deux branches de grenadier sur un fond sombre. Les fleurs à peine écloses me contraignent à un travail rapide, car à peine quelques heures plus tard, elles seront déjà complètement épanouies.

LE VERT POSE SES JALONS Deux dominantes s’expriment dans cette scène : le vert et le jaune. Chacune s’oriente vers les extrêmes lumineux, et diverge pour finir par se rejoindre. À l’aide d’un pinceau souple moyen, je balise l’ensemble de la surface de vert sombre, pose les zones d’ombre et cadre mon sujet. Au centre, de larges zones demeurent intactes : le blanc du papier sera la source lumineuse de ma composition. Les touches fluides et longues s’entremêlent d’une façon spontanée. Le feuillage se dessine dans ce brouillage abstrait.

DES FLEURS-TACHES Je repère à présent toutes les fleurs par des taches de rouge anglais pur. Ce ton rouille entre en résonance avec le vert foncé, comme si ces deux teintes renfermaient dans les plis les plus assombris la même intensité et valeur de ton.

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Pratique des Arts n° 92 / Juin-Juillet 2010


LES COULÉES SOMBRES J’encadre la composition de coulures et de touches très sombres, tirant vers le violet dans la partie inférieure de la feuille afin de ne pas boucher la perspective. Je suggère ainsi la continuité du sujet dont j’ai choisi de ne montrer qu’une parcelle ; il se poursuit dans l’ombre, on le devine hors du cadre que je me suis fixé. Au-dessus, les traces noires opaques, qui recèlent l’ensemble des couleurs du tableau, encadrent le sujet et animent la matière ombrée.

LE RÉVÉLATEUR DE LUMIÈRE

LE CISELÉ DU VÉGÉTAL Je parcours la composition sur la pointe d’un pinceau martre très fin afin de mettre en évidence certains détails, tels qu’un écheveau de feuilles longues, les nervures rouges des pétales. Les formes ainsi nourries de détails sont les plus exposées à la lumière, d’où l’application parcimonieuse de teintes pâles et transparentes de façon à laisser transparaître la blancheur du papier sous-jacent. Les dominantes jaunes et vertes se rejoignent. Tantôt les jus clairs et foncés se superposent, tantôt ils se mêlent en subtils dégradés, trait d’union entre ombre et lumière.

Je couvre la source lumineuse du papier blanc restée intacte d’un lavis jaune de cadmium clair, en prenant soin de laisser de minuscules espaces en réserve. Le jus se répand en transparence sur l’ensemble du feuillage et vient animer les zones de vert sombre. Ce feuilletage de teintes agit comme un révélateur de lumière et dessine les volumes. Les différents plans se superposent, suggérant la profondeur des zones d’ombre.

Pratique des Arts n° 92 / Juin-Juillet 2010

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Dans l’atelier de… Philippe Morel

Au cœur d’un jardin d’Éden s’élève une vieille bâtisse prolongée par une architecture de verre et de bois. Philippe Morel a bâti son atelier de ses propres mains en privilégiant les subtiles nuances de la lumière normande. C’est là que, depuis quarante ans, le sculpteur, riche de ses passions, dialogue avec la terre et le feu, mû par une quête profonde de la beauté. Visite à ciel ouvert.

Philippe Morel

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La sculpture en liberté Pratique des Arts n° 93 / Août-Septembre 2010


Texte et photos : David Gauduchon.

Pratique des Arts n掳 93 / Ao没t-Septembre 2010

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Dans l’atelier de… Philippe Morel

SAVOIR-FAIRE Sculpture, travail du bois, jardinage : Philippe Morel partage son quotidien avec bien des passions. De toute évidence, cet homme déterminé, à la pensée lumineuse, aime travailler autant avec ses mains qu’avec sa tête. Peut-il en être autrement lorsqu’on a épousé la sculpture ? Chaque espace de l’atelier est organisé en fonction des nombreux savoirfaire que requiert cet art de l’agencement des volumes, des pleins et des vides. Le travail du bois est indispensable, non seulement pour réparer le toit de l’atelier – à l’apparition d’une « voie d’eau » –, aménager des espaces fonctionnels et des rangements pour

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les moules, échafauder une pièce en cours de réalisation, consolider un moule en plâtre ou encore fabriquer un socle sur mesure. Le travail de la terre proprement dit semble a priori moins exigeant en matériel : quelques mirettes, un compas de report et, bien entendu, une bonne paire de mains… Quant au martinet suspendu sur le panneau d’affichage empirique – où se côtoient factures officielles, invitations en bonne et due forme, citations griffonnées, photos en noir et blanc – « il n’a pas vocation à fouetter les modèles mais servait, jadis, à dissuader ma chienne saint-bernard de venir perturber une séance de pose ».

Patricia timide. Bronze.


TECHNIQUE DE L’ESTAMPAGE

La terre ou les différentes terres, point sur lequel Philippe Morel ne s’étendra pas, sont préparées à l’avance dans un pétrin de boulanger recouvert avec précaution pour préserver le bon degré d’humidité. Dans sa préparation, le sculpteur ajoute de la chamotte (de l’argile séchée concassée plus ou moins finement selon la taille ses pièces) afin d’aérer la terre et obtenir des effets de griffures lors de la phase de l’estampage. L’artiste ne fait jamais une empreinte à partir du corps de son modèle. Il réalise un modelage très poussé, à partir duquel il tire un moule unique en plâtre. C’est sur la paroi intérieure de ce moule que l’artiste applique des boulettes de terre qui prennent forme sous ses doigts. Selon la pression exercée et la grosseur de la chamotte choisie, les effets de craquelures, si chère à l’artiste, seront plus ou moins prononcés.

Chaque espace de l’atelier est organisé en fonction des nombreux savoir-faire que requiert cet art des pleins et des vides.

MOULES ET EMPREINTES lls constituent la mémoire du travail du sculpteur. Stockés, rangés, ils peuvent être ressortis pour les besoins d’une création ou d’une nouvelle composition, de groupe par exemple. Des rayonnages en bois permettent de rationaliser leur rangement.

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Dans l’atelier de… Philippe Morel

UN ART DU FEU

La technique de la cuisson de la terre fait appel à un four de type Sèvres à flamme renversée. Philipe Morel en a construit deux de contenance différente (0,60 m3 et 3,50 m3) selon la taille des pièces. L’enfournement est à la fois un rendez-vous attendu, le couronnement de mois de travail dans la perspective d’une exposition, prétexte souvent à inviter les amis proches. Ce procédé de cuisson, somme toute complexe et délicat à maîtriser, est aussi un moment de doutes et d’inquiétudes. Tous les quarts d’heure environ, le four réclame d’être rechargé en bois. La maîtrise de la température est capitale ; il faut donc approvisionner les alandiers en bûches préparées à l’avance. Les statues ont été auparavant placées dans le foyer, bassinées. Le défournement – action de les retirer du foyer – est une étape cruciale où bien des illusions partent en fumée. Le travail de la patine est en effet très subtil dans sa maîtrise d’œuvre. Il faut savoir s’en remettre à une forme de hasard et à une expérience personnelle accumulée au fil d’années de pratique.

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La terre, matériau naturel et vivant, se patine et se confond bientôt avec l’univers minéral et végétal.


AU RYTHME DE LA NATURE

La nature fait aussi partie intégrante de la vie de l’atelier, au gré de ses incursions à l’intérieur, qui intéressent beaucoup notre sculpteur : il y perçoit une sorte d’hommage à la vie, une ode à la beauté.

CONTACT RENDEZ-VOUS P. 82 ET SUR NOTRE SITE : www.pratiquedesarts.com

SCULPTURES À CIEL OUVERT Avant de nous quitter, Philipe Morel se propose de nous faire visiter un peu plus son jardin d’Éden. Là où les sculptures, en plein air, se découvrent au détour d’une allée, d’un bosquet. La terre, matériau naturel et vivant, se patine et se confond bientôt avec l’univers minéral et végétal.

PORTRAIT Né en 1948 à Isigny-sur-Mer, Philippe Morel est profondément attaché à son département du Calvados. Élève des Beaux-Arts de Caen, il se passionnera pendant une quinzaine d’années pour la poterie d’art. Le travail de la terre et du feu n’ayant alors plus de secrets pour lui, il évoluera vers un travail de sculpture très vite récompensé et reconnu par les collectionneurs et de nombreuses galeries. Il expose aujourd’hui à la galerie Gantois à Cannes et à la galerie Van Loon & Simons à Vught, aux Pays-Bas.

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Rencontre Éric Roux-Fontaine

Éric Roux-Fontaine

L’ouverture au monde Cet infatigable bourlingueur passionné par la notion d’infini et par la culture tsigane parcourt le monde pour essayer de le comprendre. Ses paysages imaginaires témoignent d’une ferveur toute particulière à réinventer la nature.

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SĂŠrie Eden. Acrylique, poudre de marbre et pigments sur toile, 100 x 120 cm.

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Rencontre Éric Roux-Fontaine

Série Eden. 60 x 120 cm, Acrylique, poudre de marbre et pigments sur toile

PDA : Réalisez-vous des dessins préparatoires ? É. R.-F. : Je dessine en fait assez peu. Tout au plus quelques croquis de valeurs après une journée de peinture, afin de conserver mes idées pour une prochaine session. Je travaille directement sur la toile, sans crayonné préalable, car j’aime l’idée de garder les portes ouvertes. Parce que si la préparation prend une importance trop conséquente, je serais tributaire de cette trame sous-jacente ; il n’y aurait plus de place pour l’accident, celui qui emmène le tableau ailleurs. Le rôle de l’artiste est de donner quelques clés ; libre ensuite au spectateur de créer sa propre histoire au sein du théâtre que j’ai mis en scène.

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PDA : Vous chérissez donc cette part d’inconnu qui peut surgir dans le tableau ? É. R.-F. : Quelqu’un a dit, l’artiste Alfred Kubin je crois, que l’art de la peinture et du dessin consistait à maîtriser les défauts. Il est important de ne jamais se laisser piéger par le métier. En d’autres termes, de ne jamais être bluffé par sa propre dextérité mais, bien au contraire, de laisser les conditions propices à ce que j’appelle l’accident maîtrisé. PDA : Est-ce cela qui vous permet d’alterner, dans votre peinture, des parties plus dessinées et des zones plus libres, à la limite de l’abstraction ? É. R.-F. : Je travaille à partir d’une grammaire et d’un vocabulaire que j’enrichis à chaque tableau. En tant que peintre figuratif, le défi pour moi consiste à me confronter à des sujets qui peuvent parfois être perçus comme des poncifs de la peinture et être aussi

PORTRAIT Né en 1966, il sort diplômé des Beaux-Arts de Saint-Étienne en 1986. De nombreux voyages à la rencontre des cultures tsigane et gitane nourrissent son œuvre : Pologne, Roumanie, Bosnie et Inde. Il a collaboré avec le musicien Thierry Robin et Rajko Djuric, scénariste du Temps des Gitans d’Emir Kusturica. Une première monographie, aux éditions Critères, lui est consacrée en 2010 ; il travaille actuellement à une interprétation du Livre de la jungle de Kipling, inspirée de ses voyages. Il vit près de Villefranche-sur-Saône. www.rouxfontaine.com

Photo : © Eric Roux-Fontaine

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ratique des Arts : De l’Inde au Brésil en passant par l’Europe de l’Est, vous voyagez beaucoup ; en quoi ces périples nourrissent-ils votre œuvre ? Éric Roux-Fontaine : La gageure de ma peinture est de proposer un réenchantement du monde. Il est beaucoup plus facile en art de faire peur ou de faire pleurer que de rendre le sentiment de merveilleux. Que ce soit une prêtresse tsigane dans les Carpates ou un chasseur de tigre en Inde, chaque culture me procure ce sentiment d’émerveillement. Au même titre que les Tsiganes, dont je me sens très proche, et qui ont cheminé à travers le monde, lors d’un exode séculaire de leur berceau au Nord de l’Inde jusque – pour certains – aux États-Unis, j’arpente notre planète. Ce qui me motive, c’est la façon dont ces cultures perçoivent la vie. Chaque tableau est un fragment, une parcelle. Il appartient au spectateur de recréer mentalement la toile qui se poursuit en haut, en bas, à gauche et à droite du cadre. Le tableau est sans fin. Cette notion d’infini est quelque chose qui m’obsède presque et que j’essaye de retranscrire, que ce soit la complexité infinie de la jungle indienne ou la vastitude incommensurable de la plaine de Banat, à l’ouest de la Roumanie.


Série Babel. Acrylique, poudre de marbre et pigments sur toile, 100 x 120 cm. « Il y a quelque chose de Jérôme Bosch dans cette peinture, avec tous ces multiples personnages, chahutés par la peinture. Il y a aussi ce sentiment de l’attente, de la peinture qui ne se contente pas de représenter une scène mais qui, au contraire, peut être annonciatrice d’un événement qui peut peut-être se dérouler. C’est quelque chose que l’on retrouve souvent dans la peinture d’Edward Hopper. Un tableau comme celui-ci demande beaucoup de recherche, car je ne peux pas peindre quelque chose que je ne connais pas, même si ce que je représente – un manège en pleine jungle – est le fruit de mon imagination. Tout dépend en fait du regard de l’artiste à qui il appartient de transformer le banal en onirique. » Série Babel. Acrylique, poudre de marbre et pigments sur toile. 100 x 120 cm.

Série Babel. Acrylique, poudre de marbre et pigments sur toile, 100 x 100 cm.

Éric-Roux Fontaine confesse une fascination pour le monde des arts forains et des cirques zingari : « Les premiers artistes des arts forains étaient les mêmes que ceux qui décoraient les églises. » Pour l’artiste, l’attrait de cette série réside dans la juxtaposition de cet univers avec la jungle au premier plan. « Cette grande roue n’estelle pas une métaphore de la vie, avec tous ces personnages suspendus autour du même axe, liés entre eux par leurs désirs et leurs envies ? »

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Rencontre Éric Roux-Fontaine

rabâchés qu’un arbre en fleur et d’en sortir un morceau de peinture… de pousser le sujet vers une forme d’abstraction, en quelque sorte. PDA : En parlant ainsi, on pourrait penser que vous vous considérez comme un peintre classique ? É. R.-F. : Oui, c’est une question que je me suis posée. Notamment à une époque où la peinture, figurative de surcroît, n’avait pas nécessairement bonne presse. Mais c’est un statut que j’accepte désormais volontiers… sans doute devient-on plus philosophe avec l’âge ! L’important est de partir de ses points forts. De ne renier ni ses amours, ni ses origines. Au final, mes œuvres sont figuratives mais montées comme des tableaux quasi abstraits. À partir de mon idée d’arbre, j’arrive à rendre sur la toile une impression d’écorce. PDA : On a un sentiment d’abstraction face à vos toiles, ou au moins le sentiment qu’il en faudrait peu pour qu’elles basculent vers l’abstraction pure. É. R.-F. : Effectivement, j’aime bien briser les échelles. Plus on s’en rapproche, plus la peinture apparaît abstraite, faite de matières, de textures et de coulures; plus on se recule, et plus le sujet se révèle au spectateur : on passe alors dans la figuration. PDA : Quel est le point de départ d’une œuvre ? É. R.-F. : Un élément déclencheur que je mets en scène en faisant un montage à partir de quelques photos découpées ou bien à l’aide de Photoshop ou encore grâce à des croquis très succincts. Puis je me lance. Je suis alors guidé dans ma peinture par cette idée de rythme apporté par les branches, l’étagement des différents plans et les lumières. La série représentant des papillons a été une tentative de retranscription d’un sentiment onirique : celui de marcher sur un tapis de papillons qui s’envolent à notre passage. PDA : Chaque œuvre, ou série, tire-t-elle ainsi son inspiration d’un tel élément déclencheur ? É. R.-F. : Oui, ça peut être un morceau de musique entendu à la radio, un extrait de livre, une phrase…

« Partout où je travaille, j’emmène mon “autel” avec moi. Il rassemble plusieurs divinités : le dieu des Tsiganes, sur un cheval qui traverse le désert ; la Vierge noire des Gitans ; Kali, qui est à la fois la divinité indienne de la construction et celle de la destruction ; un dindon tsigane des Carpates. Et Yazaiel, ange de la création dans la Torah. Tous les matins, en arrivant dans mon atelier, deux de mes premiers gestes sont d’allumer un bâton d’encens près de mon autel, et de me faire une tasse de café. »

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Nocturne indien. Acrylique, poudre de marbre et pigments sur toile, 80 x 100 cm.

Je travaille beaucoup à l’instinct : l’explication vient ensuite en cours de peinture, en cours de travail. Par exemple, l’idée pour un tableau montrant un banc de sable au milieu d’une rivière dans la jungle m’est venue d’un passage de Bourlinguer de Blaise Cendrars : l’auteur, en bateau, passe à côté d’une île qu’il sait qu’il ne visitera jamais. Il écrit qu’il avait alors voulu lancer ses godillots sur la plage de manière à pouvoir, symboliquement, y poser le pied !

Le Silence sans étoiles. Acrylique, poudre de marbre et pigments sur toile, 60 x 60 cm.

PDA : Malgré la variété des thèmes abordés, on a le sentiment que la Nature agit comme un leitmotiv… É. R.-F. : Oui, mais il s’agit d’une Nature réinventée. L’Homme tente de dominer la Nature ; j’inverse ce discours et montre au contraire une nature qui tolère l’Homme. Ma peinture fait ressortir sa place fragile. Nous faisons partie d’un tout; de cette constatation, j’ai fait le matériau brut à partir duquel je bâtis mes œuvres. Je crois que je me situe vraiment sur le faîte entre la nature et peinture.

un paysage, il est le fruit de mon imagination. En revanche, ce qui est amusant, c’est que les spectateurs ont parfois le sentiment, face à mes peintures, de reconnaître un paysage qui n’existe pas : untel y verra une forêt d’Inde, tel autre une partie de l’Amazonie… PDA : Concrètement, comment procédez-vous dans l’élaboration de vos tableaux ? É. R.-F. : Durant la première phase, la peinture est à plat, posée sur le sol. C’est une phase très en eau, où je cherche. Je tourne autour, un peu comme s’il s’agissait d’un tapis. Je fouille, je touille, je racle, je gratte… et puis, à un moment donné, quelque chose se passe et les prémices de l’œuvre apparaissent, car je n’ai fait que les dévoiler. C’est pour cela que je ne fais plus d’étude. Des études tirées au cordeau ne m’intéressent pas ; pour moi, chaque toile est un processus en cours, nourri de ce que la précédente m’a apporté. Durant la seconde phase, la toile est posée sur mon chevalet. J’aime pousser la matière dans ses retranchements. C’est là qu’elle dégage son énergie.

« Nous faisons partie d’un tout; de cette constatation, j’ai fait le matériau brut à partir duquel je bâtis mes œuvres. »

PDA : Chaque élément de vos paysages est reconnaissable : variétés de fleurs, essences d’arbre… É. R.-F. : C’est effectivement important. Chaque élément constitutif doit être reconnaissable, sinon comment distinguerait-on un arbre d’un brin d’herbe ? Chaque arbre est en fait un portrait et leur succession donne un rythme à la composition. Les branches de cerisier ont une musique différente de celles d’un pommier. En même temps, je ne retranscris pas fidèlement

PDA : Dans vos toutes dernières œuvres, qui ont pour thème commun les nuages (cf. p. 28), seules prévalent la matière de la peinture et l’énergie déployée au-dessus de la toile. É. R.-F. : Avec cette série, je voulais retranscrire l’idée de calme, de silence, de temps suspendu à l’ombre d’un nuage. Ce qui, on peut en convenir, n’est pas un des sujets les plus simples à rendre en peinture ! Ce sont Pratique des Arts n° 96 / Février-Mars 2011

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Rencontre Éric Roux-Fontaine

À la loupe au sens où il est assujetti à la Nature. C’est une notion que l’on retrouve dans la poésie soufie et c’est un peu ce que j’ai voulu exprimer dans une petite toile inspirée du Livre de la jungle : Mowgli et Bagheera y sont représentés et ils occupent tous deux la même surface sur la toile, demeurant ainsi à égalité. Les règnes humain et animal y sont égaux.

Clair matin. Acrylique, poudre de marbre et pigments sur toile, 120 x 100 cm.

PDA : On peut imaginer qu’avec une telle approche de la peinture, vous avez peint en extérieur ? É. R.-F. : Oui, c’est exact, même si je ne le fais plus. Outre le fait que je n’aime pas m’encombrer de tout mon matériel lors de mes voyages, peindre en atelier et en extérieur sont deux approches complètement différentes. J’ai en tête cette anecdote au sujet de Van Gogh et de Gauguin : le premier aimait se rendre sur le motif pour peindre la turbulence des champs de blé écrasés de soleil, tandis que le second ne voyait dans leurs sorties ensemble qu’une occasion de s’imprégner du sujet et il lui répétait : « Maintenant, on rentre et on peint » ! Je me rangerais du côté de Gauguin : il faut avoir le temps de digérer ce que l’on voit et expérimente. Mes voyages m’enrichissent. Un souvenir du Brésil avec une image de l’Inde et des effluves d’alcool tsigane : je tamise le monde que je ■ distille ensuite sur la toile, dans mon atelier.

Rapid Eye Movement. La jungle est un élément récurrent dans la peinture d’Éric Roux-Fontaine. Il nous détaille ici les différents points forts d’une de ses toiles récentes.

LA MATIÈRE La matière parle d’ellemême : cette trouée lumineuse sur le drap du lit en est un exemple criant. La forme est ainsi uniquement définie par les couleurs, et non le dessin. Cela renvoie implicitement au côté primaire, organique de la peinture : un simple mélange de pigments, de liants et d’eau… Acrylique, poudre de marbre et pigments sur toile, 80 x 100 cm.

Texte : Laurent Benoist. Photos : Michel Joly. des œuvres qui tiennent uniquement par la peinture, sur le fil entre l’abstraction et la figuration. Taraudé par l’envie de me lancer dans des tableaux grand format, je me suis tout d’abord essayé à des dimensions plus petites. L’élément déclencheur de cette série a été ce que j’ai pu ressentir sous les nuages chargés de chaleur et d’électricité dans le ciel au-dessus de la jungle. PDA : Il y a donc toujours, on y revient, le réel comme point de départ ? É. R.-F. : On a déjà écrit au sujet de ma peinture qu’elle était « sans heure ni saison », ce qui est une expression que l’on réserve généralement à la peinture orientale. Il est vrai que j’ai peut-être une sensibilité plus orientale qu’occidentale dans la mesure où je considère que les vides – bien que, soit dit en passant, la peinture ne soit jamais complètement vide – apportent autant d’énergie que les pleins. Traditionnellement dans l’art d’Occident, le vide a été considéré comme anxiogène, avant que cette notion ne soit mise à bas dans l’art conceptuel. Tout l’art de la peinture consiste à retenir ou laisser partir. Zao Wou-ki, peintre que j’admire, manie à mon sens parfaitement ce mélange d’accidents et de maîtrise, de pleins et de vides. PDA : Voyager vous donne donc la possibilité d’enrichir votre peinture de l’apport d’autres cultures… É. R.-F. : Parcourir le monde m’aide dans ma manière d’envisager ma peinture. Et voyager est aussi une manière d’apprécier la position fragile de l’Homme au sein d’une Nature qui le tolère – ce que j’ai voulu montrer dans mes tableaux représentant des roues de fête foraine en pleine forêt. Dans mes tableaux, l’Homme ne domine pas, il en est au contraire le sujet,

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Acrylique, poudre de marbre et pigments sur toile, 120 x 140 cm.


LA LUMIÈRE La lumière dans le tableau ne permet pas de nous renseigner sur le lieu et le moment de la scène. Aube ou crépuscule ? Elle n’est là que pour révéler et altérer en même temps. Elle vient fondre et désagréger les formes, elle peut brûler, faire couler et dévoiler les strates successives.

LA FORÊT Dans beaucoup de cultures, la forêt est le lieu originel de la pensée, le siège de tous les mystères et de toutes les peurs enfantines. C’est dans la forêt que se cache le loup, à la fois le prédateur qui attend sa proie et celui, maternel, qui recueille Mowgli. La forêt est la demeure des dieux à travers les cultures : en Inde, ils se cachent dans les troncs. Et regardez le personnage joué par Yves Montand dans IP5 de Beneix : il parle lui aussi aux arbres…

LA TRACE DE L’ARTISTE Pour moi, il est important que l’on ne voit pas la trace des coups de pinceau sur la toile, comme si l’image n’était pas de la main de l’homme. Au contraire, il est plus intéressant de magnifier ce que j’appelle les accidents maîtrisés : les coulures, le jaillissement de la matière…

ROUX-FONTAINE ACTUALITÉ LYON « Eden » à la galerie le Soleil sur la place du 17 mars au 16 avril. www.lesoleilsurlaplace.com

PARIS Exposition collective à la galerie Felli Jusqu’au 24 février. www.galeriefelli.com

AVIGNON « Ponts »,exposition collective au Palais des Papes jusqu’au 30 juin. www.palais-des-papes.com

Par Marlène Girardin, 174 pages. En vente dans notre librairie p. 74.

En pratique J’élabore mes peintures en deux étapes. Durant la première, très en eau, la toile est travaillée au sol, à la spatule ou à la brosse larges. La seconde phase correspond au travail des glacis, des finitions et des rehauts : la toile est alors posée sur le chevalet. 1. Je mélange des pigments industriels à des médiums et des résines afin de pouvoir créer des empâtements. Je ne prépare pas la toile. Je la travaille par superposition de couches. Au bout de plusieurs passages, le fond se densifie avec des bleus et des gris très profonds et très denses. Je vais du sombre vers la lumière.

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2. Je peins à l’eau parce que j’ai trouvé le rendu qui me convenait – même s’il y avait au départ une raison pratique : je travaillais chez moi et la peinture à l’huile s’accommode mal avec une vie de famille ! Je travaille désormais moins en matière maintenant et plus en subtilité ; aussi dosé-je mon mélange en conséquence : à l’aide d’un vaporisateur, je contrôle parfaitement la quantité d’eau. 3. Une fois ce travail de départ effectué et les grandes masses placées, je reviens ensuite par des glacis – jusqu’à une quinzaine. Les couches successives apportent à la fois vibration et profondeur.

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couleurs Claude L’univers des découverte Didier Grare Guibert

À la recherche des valeurs

Toutes les nuances

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du blanc Pour l’artiste, il n’est pas besoin d’être une amoureuse des fleurs pour prendre plaisir à les peindre. Savoir les regarder, apprécier leur infinie variété mais surtout trouver le moyen de les sublimer : de cadrages audacieux en fine exploration des blancs, elle nous explique comment elle en a finalement fait son sujet de prédilection. Texte et photos : Stéphanie Portal.

Tulipes blanches et jaunes. Huile, 100 x 100 cm.

FAIRE COHABITER LES SUJETS La luminosité ainsi que le contraste entre jaune et blanc sont les deux éléments qui m’ont attirée vers ce sujet. Je suis allée acheter ces tulipes chez le fleuriste et les ai volontairement disposées en deux rangées. La difficulté, lorsque l’on se trouve face à un bouquet de fleurs identiques, est de donner de l’importance à chacune tout en créant un tout. Le bouquet doit former une fleur unique, non un assemblage composite.

Composition Le bouquet occupe bien l’espace et forme une composition équilibrée sans pour autant créer de systématisme. Les couleurs chaudes et froides s’organisent harmonieusement. Pour donner plus d’intensité, j’ai coupé les bords du sujet, laissant les fleurs sortir hors cadre. Le regard rentre ainsi mieux dans la toile.

Lumière Les tulipes blanches sont marquées de reflets jaunes et chauds. Celle qui s’avance au premier plan reçoit une lumière plus rosée due à l’éclairage et que l’on retrouve, de manière plus subtile, sur les tulipes jaunes. Les ombres plus froides du fond permettent de marquer la profondeur. Pour faire paraître les pétales plus blancs, je les ai refroidis de bleu.

Zoom Je me souviens de cet élève à l’atelier de Lesbouni, qui avait tendu au mur le dessin immense d’une omoplate d’oiseau. Ainsi agrandi, le motif devenait tout autre chose. Je m’en suis rappelée beaucoup plus tard quand je cherchais un moyen de dépasser la simple représentation de la fleur. Mais on n’agrandit pas n’importe quoi : de par leurs formes rondes, les fleurs s’y prêtent bien. Et pour laisser du recul au spectateur, je ne dépasse par le 80F, un 50F ou un 100 x 100 cm étant parfaits.

Claude Guibert

C

elle qui s’était jurée ne plus jamais y toucher, après sept années passées à en dessiner à la chaîne pour une société textile, s’est fait une raison : c’est bien dans le thème des fleurs qu’elle excelle. Un ami venu dîner un soir à la maison l’a remise sur la voie et, si elle s’y est engagée à contrecœur, elle a bientôt réalisé qu’elle avait affaire là à un sujet inépuisable. Pour qui aurait besoin de s’en convaincre, il n’est qu’à se rendre à l’incontournable marché aux fleurs de Nice. Là, l’artiste a pu y découvrir « mille sortes de pivoines, des violettes aux noires, épanouies ou en bouton, avec leur cœur jaune ou pourpre et leurs pistils chevelus… » Les photographiant sous toutes les coutures et les lumières possibles, elle cherche ensuite un « coup de cœur » avant de se jeter à l’eau sur un châssis au format imposant. Cadrage audacieux, vision rapprochée semblent ensuite leur donner une réalité autre, « une manière de les sublimer ». Se souvenant un jour de cette élève présentant à l’assistance un paysage de neige sur fond blanc, elle s’est lentement laissée séduire par les variétés blanches. Celle qui s’habille tout de noir avoue « aimer le blanc mais surtout les nuances du blanc ». Ses premières fleurs furent donc réalisées sur un fond clair avant qu’elle ne découvre qu’un fond sombre avait le pouvoir de révéler les blancs de manière bien plus subtile. Tout repose ensuite sur la lumière qui jette un voile froid ou chaud sur les pétales et transforme leurs teintes en une infinie variété de nuances rosées, bleutées ou vertes. C’est par un long processus en lavis superposés que Claude Guibert s’attelle alors à révéler leur beauté avec poésie et délicatesse.

PORTRAIT Après avoir appris le dessin à l’Académie Colarossi, Claude Guibert a intégré un atelier de dessin pour textile et, pendant sept ans, dessine des fleurs, notamment du liberty, seul style pour lequel elle se sent véritablement douée. Elle arrête pour se consacrer à sa famille puis devient coloriste pour les illustrations de son mari. Ce n’est qu’en 1989 qu’elle reprend la peinture et s’attache au thème des fleurs, qui lui donne beaucoup de satisfaction. Elle est représentée par les galeries Anagama (Versailles) et Marie-Claude Goinard, à Paris (www.galerie-mc-goinard.com). Pratique des Arts n° 96 / Février-Mars 2011

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couleurs Claude L’univers des découverte Didier Grare Guibert

La série des pivoines Pivoine blanche. Huile sur toile, 81 x 100 cm.

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TROUVER SON SUJET

Créer un fond sombre

De passage à Nice, j’en ai profité pour me rendre sur le marché aux fleurs et acheter toutes les pivoines que j’ai trouvées. Je les ai ensuite photographiées pendant cinq jours. De toutes les variétés, couleurs et formes choisies, je savais qu’une seule me donnerait envie de la peindre. Je mitraille mon sujet au numérique en lumière naturelle et en me focalisant sur la composition. Je multiplie les points de vue (plongée et contre-plongée) et, comme Monet, reviens à différentes heures de la journée afin de saisir des lumières variées. Je suis aussi tous les stades de leur épanouissement. Sur une sélection d’une trentaine de photos, je cherche celle qui va susciter un véritable coup de cœur.

Je pars d’un fond teinté à l’acrylique : gris, bleu ou brun-rouge selon le motif. Puis je dessine mon sujet au crayon blanc à partir de la photo agrandie ou en m’aidant d’un projecteur sur le principe de la chambre claire. Parfois, j’ajoute à ce fond des dégoulinures et taches à l’huile.

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Reporter le dessin Dès la prise de la photo, j’ai envisagé mon motif de manière abstraite. Je le dessine sur la toile grâce à une méthode qui implique le cerveau droit et donne priorité aux volumes sur les contours, invisibles dans la réalité. En effet, un motif n’existe que par rapport à celui qui se trouve à côté.


Pivoine rose. Huile sur toile, 100 x 100 cm.

Travailler nuances et valeurs

Ma palette

Pour obtenir des teintes intéressantes, je mélange généralement trois couleurs : deux froides et une chaude, ou le contraire. Tous les mélanges se font sur la palette, de manière intuitive et à mesure de mes besoins. Je travaille motif par motif, sans ordre préétabli, tout en essayant de globaliser. Couleurs et valeurs sont donc montées en même temps, par succession de lavis superposés.

Elle se compose principalement de rouge indien, de violet de Bayeux (aujourd’hui disparu, remplacé par un violet-rose), de jaune de Naples clair et d’ocre jaune pour un bel orangé. Parmi les couleurs froides, j’utilise du bleu de manganèse, de l’outremer clair et, en quantité minime, du vert cinabre clair. Le sépia et / ou la terre d’ombre me sont indispensables pour salir toutes ces couleurs qui ne sont jamais utilisées pures. Si je n’emploie jamais de noir, je le fabrique parfois par mélange. Enfin, le blanc intervient en fin de travail pour les rehauts.

Aller plus loin Poser les bonnes teintes et les bonnes valeurs ne veut rien dire : la phase la plus délicate intervient lorsque tout est installé. Lentement et en prenant du recul, il faut alors tout remodeler et redessiner : corriger les températures, affiner les dégradés, adoucir les passages, faire tourner les pétales, suggérer leur transparence, etc. C’est un travail de précision.

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couleurs Claude L’univers des découverte Didier Grare Guibert

Tête de géranium blanc. Huile sur toile, 100 x 100 cm.

UN SUJET COMPOSÉ Alors qu’une pivoine possède énormément de pétales, un géranium n’offre pas grand-chose à raconter. Au lieu d’une seule fleur, j’ai donc opté pour une tête qui donne l’occasion à l’œil de se promener à l’intérieur de l’inflorescence. J’aime ici l’équilibre entre couleurs chaudes et froides. Il est rare qu’elles s’organisent aussi bien dans une composition donnée. Chaque fleur semble entourée d’un halo coloré. Les nuances roses à gauche ne sont autres que le reflet du pot dans lequel je les avais placées. Le fond, noir à l’origine, a été finalement rougi pour mieux faire ressortir les verts.

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Pratique des Arts n° 96 / Février-Mars 2011

Les blancs

Le format

Les nuances des fleurs fluctuent du blanc rosé au blanc verdâtre, le blanc pur étant ici presque absent. Tout est donc dans l’éclairage du sujet : on est toujours dans le danger du trop (qui écrase les volumes), jamais dans celui du trop peu (qui multiplie les nuances). La difficulté est de créer le volume, d’où une progression en couches successives jusqu’à éliminer toute impression de dureté.

Je n’aurais jamais pensé au format carré si un jour, lors du Marché d’art à la Bastille, un couple de visiteurs ne m’avait commandé une œuvre au format 100 x 100 cm. Je n’ai jamais revu ce couple mais j’ai continué dans cette direction qui apporte une touche contemporaine. C’est un format qui convient à beaucoup de fleurs, excepté les iris, et dans lequel tout s’organise facilement.


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