MUNDANEUM : Jules Verne - Exposition

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Jules Verne

MUNDANEUM

savoir rêver savoirs rêvés


JULES VERNE : SAVOIR RÊVER, SAVOIRS RÊVÉS Une exposition Ville de Mons - Mundaneum

Dans le cadre de l’exposition “Jules Verne : savoir rêver, savoirs rêvés”, du 7 octobre 2005 au 24 mars 2006 au Mundaneum. Exposition réalisée en collaboration avec l’Université de Mons-Hainaut, Amiens Métropole, l’Observatoire de l’Espace du CNES, le Mundaneum et le Service général des Affaires pédagogiques et du Pilotage du réseau d’Enseignement organisé par la Communauté française - Administration générale de l’Enseignement et de la Recherche scientifique. Avec le soutien de la Communauté française et de la Ville de Mons. Coordination scientifique du catalogue : Gabriel Thoveron Scénographie : Alok Nandi Commissariat : Charlotte Dubray et Manuela Valentino Comité scientifique : Michel De Reymaeker (Ville de Mons), Charlotte Dubray (Mundaneum), Alain Fauconnier (asbl Nivelles Laboratoires), Alfred Frère (CFWB), Pierre Gillis (UMH), Michel Grodent (Le Soir), Robert Halleux (ULG), Jean-Claude Janssens (CFWB), Francesco Lo Bue (UMH), Alok Nandi, Johnny Robert (UMH), Claude Semay (UMH), Gabriel Thoveron (ULB), Manuela Valentino (Mundaneum), Michel Wautelet (UMH). Lieu et date d’édition : Mons, octobre 2005. © Mundaneum, Centre d’archives de la Communauté française Rue de Nimy 76 - 7000 Mons - Belgique


Jules Verne savoir rêver, savoirs rêvés

Direction scientifique : Gabriel Thoveron

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Dans mes romans, j’ai toujours fait en sorte d’appuyer mes prétendues inventions sur une base de faits réels et d’utiliser pour leur mise en œuvre des méthodes et matériaux qui n’outrepassent pas les limites du savoir-faire et des connaissances techniques contemporaines.

Jules Verne

photographie de Jules Verne par Desmaret © Bibliothèques Amiens Métropole


Avant-propos Jean-Paul DEPLUS , Président du Mundaneum et Echevin de la Culture de la Ville de Mons

L' exposition “Jules Verne : savoir rêver, savoirs rêvés” est le fruit de nombreuses synergies. Je me réjouis de l'excellente collaboration mise en place autour de ce projet avec les institutions partenaires que sont l'Université de Mons-Hainaut, Amiens Métropole, l'Observatoire de l'Espace du Cnes, Nivelles Laboratoires, l'Ambassade de France et la Communauté française, mais aussi le Manège.Mons, le Plaza Art, le Jardin Géologique d'Obourg, l’asbl La Malogne, le PASS, le Dynamusée, Matéria Nova et la Maison de la Métallurgie et de l'Industrie de Liège. Il me faut tout particulièrement remercier Amiens Métropole grâce à qui nous sommes en mesure de montrer des documents exceptionnels issus des collections de la ville où l'écrivain résida jusqu'à sa mort et de la Communauté française, qui nous permet de découvrir pour la première fois une série extraordinaire d’instruments anciens destinés à l'étude des sciences. Je tiens encore à souligner le travail exemplaire de Gabriel Thoveron, professeur émérite de l'Université Libre de Bruxelles, qui a accepté d'assurer la direction scientifique de ce catalogue et qui, depuis près de deux ans, a participé activement à la préparation de cette commémoration. A ses côtés, historiens, spécialistes de l'œuvre du romancier et scientifiques ont permis de nourrir ce catalogue et contribué à la réalisation de l’exposition. Parmi ceux-ci, je voudrais tout particulièrement remercier : Michel Wautelet, Professeur, Claude Semay, Chercheur qualifié FNRS, Francesco Lo Bue, Président du Centre du Centre de Didactique des Sciences et Johnny Robert, Assistant de recherche, de l'Université de MonsHainaut; Robert Halleux et Pascal Durand, Professeurs de l'Université de Liège, ainsi qu'Alfred Frère et Jean-Claude Janssens, de l'Administration Générale de l'Enseignement et de la Recherche scientifique de la Communauté Française, JeanClaude Vantroyen et Michel Grodent du journal Le Soir, Frédéric Kaplan, chercheur au Computer Science Laboratory de Paris, Manuela Valentino du Mundaneum et Michel De Reymaeker, Conservateur en Chef des Musées communaux de Mons. Dans l'esprit de cette exposition, rappelons combien le Mundaneum, lieu d'utopie et de transmission du savoir, est fier d'appartenir au réseau européen “universutopia” qui le lie à des centres tels que Le Cyprès (Marseille), La Saline Royale (Arc et Senans), Le Familistère Godin, L'Université de Bologne et Le Ciant

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(Prague). Deux personnes de ce réseau se sont d'ailleurs également impliquées dans le projet, Louis Bec (Le Cyprès) et Alok Nandi, qui a accepté d'être le scénographe de l'exposition. Que tous ceux qui ont permis à cette exposition d'exister soient ici remerciés, parmi ceux-ci l'équipe du Mundaneum. Mais mes remerciements s'adressent particulièrement à Pierre Kutzner et Charlotte Dubray, sans qui ce projet n'aurait pu voir le jour.

Les objets scientifiques anciens qui illustrent l'exposition “Jules verne : savoir rêver, savoirs rêvés” font partie de la collection de matériel didactique de la Communauté française Wallonie-Bruxelles. Rassemblés ces dernières décennies au départ du matériel scientifique devenu obsolète dans les établissements d'enseignement de la Communauté française, ces appareils représentent aujourd'hui un témoin précieux, souvent irremplaçable, du développement des sciences et des techniques depuis le XXVIIIe siècle. Actuellement en cours d'inventaire, la collection fait l'objet de recherches documentaires, parfois de restauration. Outre sa dimension historique, le précieux patrimoine pourra, sous une forme nouvelle, retrouver sa vocation pédagogique originelle. Jean-Claude JANSSENS Directeur honoraire

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Le roman de la science Gilles DE ROBIEN, Ministre français de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche Président d’Amiens Métropole

2005 est incontestablement une année de rêves, de voyages, d'explorations, tels qu'aimait les imaginer Jules Verne. À Amiens, où Jules Verne écrivit l'essentiel de son œuvre romanesque, nous célébrons son centième anniversaire à travers un véritable tour du monde artistique, renouant ainsi avec un imaginaire littéraire foisonnant, curieux du monde et débordant d'aventures. Une œuvre d'une étonnante modernité. Jules Verne vécut la seconde moitié de sa vie à Amiens. Les journées passées depuis son cabinet de travail et l'hôtel de ville d'Amiens nous firent voyager jusqu'au "Phare du bout du monde". Inventant la publicité dans les nuages, la conquête de la lune, la vie sous les mers, Jules Verne avait une capacité fantastique d'émerveillement qui lui permettait de mêler le vrai et le faux, la fiction et le réel. Il n'anticipait pas l'avenir, il le rendait plausible. Ecrivant un roman de la science plus qu'il ne créait des inventions, il mettait en scène sous-marins, avions, dirigeables, fusées… en compilant avec talent personnages et aventures. La façon dont il décrit le mode de propulsion du sous-marin du Capitaine Nemo fait ainsi penser à l'énergie nucléaire, mais la source de son énergie provient du sodium issu du sel de mer. En organisant une exposition “Jules Verne : savoir rêver, savoirs rêvés”, le Mundaneum nous donne l'occasion de redécouvrir les trésors les plus insolites des collections Jules Verne des Bibliothèques d'Amiens Métropole. L'exposition nous permet de confronter l'œuvre de Jules Verne au projet de Paul Otlet (le père de la documentation) et de Henri La Fontaine. Les pièces de la Collection Jules Verne d'Amiens Métropole prêtées à cette occasion témoignent de la notoriété mondiale de l'écrivain et la manière dont il met en scène la science à travers ses romans. Le Mundaneum, outil de connaissance pour la paix, s'affirme plus que jamais comme une institution culturelle sans équivalent dans le Nord-Ouest de l'Europe.

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Sommaire p. 09 p. 13 p. 17 p. 25 p. 29 p. 33 p. 37 p. 43 p. 47 p. 51 p. 55 p. 59 p. 63 p. 66

Introduction De Jules Verne à l'espace : aux sources du récit Gérard Azoulay L'imaginaire technologique comme transgression Robert Halleux Entre éducation et récréation Gabriel Thoveron Jules Verne et l'épopée didactique Michel Grodent Orphée aux enfers Pascal Durand Les sciences, les techniques et la science-fiction contemporaine Jean-Claude Vantroyen Habiter l'espace Claude Semay Les nanotechnologies ou le rêve de Feynman Johnny Robert et Michel Wautelet Téléportations et métamorphoses chez les robots Frédéric Kaplan Avatars et autres extensions Alok B. Nandi Art au vivant Louis Bec Science et imaginaire Johnny Robert Jules Verne et son temps - Bibliographie sélective —8—


La cité mondiale, Paul Otlet Collection Mundaneum

Le Mundaneum ne pouvait manquer la célébration du centenaire de la mort de Jules Verne. Enfants du XIXe, Paul Otlet et Henri La Fontaine, les fondateurs de l'Institution, Verne et son éditeur Hetzel partagent la sensibilité d'un siècle positivement engagé dans la découverte de ce que beaucoup croyaient être les derniers territoires inexplorés. L'intérêt qu'ils portent aux domaines les plus divers de la connaissance, des sciences et techniques, de même que leur souci de contribuer à la diffusion des savoirs nouveaux, ne contredisent en rien leur goût de l'utopie.

Introduction Les Voyages extraordinaires ont connu, en leurs temps, un fabuleux succès. Succès des livres, succès aussi du Magasin d'éducation et de récréation, où ils sont préalablement publiés. Créée en 1864 par l'éditeur Pierre-Jules Hetzel et son ami Jean Macé, le futur fondateur de la Ligue de l'enseignement, cette publication bimensuelle a de larges ambitions. Elle doit offrir à ses jeunes lecteurs, en la présentant de manière agréable, une information sur les découvertes scientifiques et techniques qui ne cessent alors de se multiplier. Macé se voit confier la partie éducative, Stahl (c'est le pseudonyme littéraire d'Hetzel) la partie récréative, et Jules Verne est engagé pour assumer la vulgarisation scientifique, “l'enfant ne devant rien ignorer du monde où il vit.“ Hetzel insiste pour que les romans que publie le Magasin répercutent ses idées. Il y veille, et Verne tient scrupuleusement compte de ses remarques, répondant, par exemple, à une de celles-ci : “Soyez sans inquiétude, je refais Sandorf voulant la justice et non la vengeance.” Il s'agit de développer une morale laïque et, particulièrement après la défaite de 1870, une instruction civique : “l'enfant et l'écolier doivent travailler à devenir des hommes, des citoyens sages et actifs, courageux, instruits pour le bien public et capables de le réaliser”. Des patriotes, certes, mais ouverts au monde : “Le grand défaut de notre pays a été longtemps de n'être pas assez curieux des pays étrangers et de ne pas se rendre compte de ce que l'ignorance d'autrui a de fâcheux pour soi-même.” Cette action éducative aura une influence considérable sur les jeunes du temps, non seulement en France, à travers le Magasin, auquel Le Temps (l'ancêtre du Monde) fera une vive propagande, mais aussi en Europe, grâce aux romans traduits en de multiples langues.

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Les fondateurs du Mundaneum, Paul Otlet et Henri La Fontaine, nés respectivement en 1868 et 1854, n'ont pas rencontré Jules Verne, mais il est plus que probable qu'ils ont découvert ses œuvres dans leur jeunesse, et que comme bien d'autres, ils en ont subi l'influence. On doit d'ailleurs à Otlet le scénario d'un film intitulé “Voyage autour du monde en 80… et quelques secondes”, le voyage des jeunes éclaireurs Mundaneum à la recherche des cent et une merveilles dispersées de par la terre, un film destiné à “préparer ou à rappeler la visite du Mundaneum”, et où ne manquent ni globe terrestre, ni instruments scientifiques, ni moyens de communication… Ajoutons que l'idée qu'a Hendrik Christian Andersen (né en 1872) de bâtir une nouvelle Babel, une Cité mondiale dont il a établi les plans, suscite un très vif enthousiasme chez les fondateurs du Mundaneum. La réalisation de ce projet sera, après 1912, la principale préoccupation d'un Paul Otlet, qui y voit “à la fois un mémorial du temps présent, un symbole de l'Unité et de l'Entente des Peuples, un instrument pratique à l'échelle des grandes œuvres qui de toutes parts, sollicitent l'activité associée et trustifiée des hommes.” Jules Verne, en ses romans, se plaît à imaginer des villes nouvelles, souvent cités de perdition, mais aussi villes idéales, telle surtout la France-ville qu'a établie le Docteur Sarrazin. Cité modèle bâtie sur “des données rigoureusement scientifiques”, où les artistes affluaient, pendant que “dans des congrès se réunissaient les plus illustres savants des deux mondes”. Sarrazin, comme La Fontaine, apôtre de la paix (“ce que j'exècre le plus, la guerre”), dénonce ainsi son adversaire, Schultze, un marchand de canons dont la Stahlstadt semble un microcosme protonazi : “Pourquoi cet homme aux facultés puissantes .... n'a-t-il pas mis ses rares qualités intellectuelles au service du bien ? Que de forces perdues, dont l'emploi eût été si utile si on avait pu les associer avec les nôtres et leur donner un but commun ! ” L'activité de Jules Verne chevauche deux longues périodes économiques liées à des révolutions technologiques successives. La première s'ouvre en 1848, où l'on assiste à la généralisation de l'usage des moteurs à vapeur, fabriqués mécaniquement, dans toutes les branches industrielles : c'est alors que se tisse le réseau des chemins de fer. La seconde débute en 1895 : moteurs électriques et moteurs à explosion s'imposent à leur tour et provoquent une forte augmentation de la productivité. Eric Hobsbawm s'est attaché à donner un sens aux mutations

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sociales et politiques accompagnant ces bouleversements économiques, évoquant successivement une Ère du capital (1848-1875) et une Ère des empires (18751914). Jules Verne suit cette évolution du monde, et le réseau ferroviaire qu'emprunte Claudius Bombarnac s'est déjà enrichi depuis Le Tour du Monde en 80 jours. Hobsbawm est donc amené à citer l'écrivain, ici et là, pour témoigner, par exemple, de ce que “le professeur acquérait peu à peu dans l'industrie une place beaucoup plus importante que par le passé.” L'exposition plaide pour une réconciliation des rêves et des savoirs. Elle est une incitation aux voyages, voyages dans les mondes connus et inconnus, voyages extraordinaires entre passé et avenir. Elle se présente en deux parties, enquête sur les sources scientifiques des voyages. TECHNIQUES ET VOYAGES La première escale proposée a lieu au XIXe siècle. Le visiteur est invité à un retour sur les mondes rêvés de son enfance à travers l'œuvre de Jules Verne et les explorations d'ordre géographique qui y sont contées : parcourir le monde, découvrir les abysses, voyager dans l'espace, approcher les mondes invisibles… Dans l'exposition, les instruments scientifiques qui ont inspiré ou permis ces aventures sont replacés dans l'univers vernien. TECHNOLOGIES ET TERRITOIRES La seconde escale a lieu au XXIe siècle. Le visiteur est invité à un tout autre voyage dont la référence n'est plus la Terre mais les territoires nouveaux amorcés par les sciences d'aujourd'hui. Ainsi, les mondes virtuels, le vivant de synthèse, la matière animée et l'espace sont les voyages proposés. D'un genre très différent, ils interpellent de manière radicale notre humanité et son devenir. Ils relèvent de technologies révolutionnaires telles que les nanotechnologies, les biotechnologies et les technologies de l'information et de la communication et les sciences cognitives.

Gabriel Thoveron, Charlotte Dubray, Manuela Valentino

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De la Terre à la Lune, Feu !! , Ed. Hetzel, 1868 Illustration de Henri de Montaut © Bibliothèques Amiens Métropole

Lunette astronomique Collection Ministère de la Communauté française

“On va aller dans la lune, on ira aux planètes, on ira aux étoiles, comme on va aujourd'hui de Liverpool à New York, facilement, rapidement, sûrement.

Jules Verne De la Terre à la lune


De Jules Verne à l’espace : aux sources du récit Gérard Azoulay, Observatoire de l'Espace / Centre National d'Etudes Spatiales

L'aventure spatiale, en dépit de sa récente inscription dans le temps, — à peine un demi siècle, s'inscrit déjà dans une histoire culturelle qui reste largement à écrire. Dégagés d'une pure approche apologétique, les éléments culturels qu'elle a engendrés se proposent aujourd'hui comme une source de récits scientifiques, à l'instar de la science du XIXe siècle qui avait su inspirer Jules Verne pour écrire des romans qui furent à l'origine de rêves et vocations. Jules Verne entretenait un rapport bien particulier avec la science de son époque. Les analyses littéraires, les articles de presse, et les différentes expositions réalisées à l'occasion des commémorations du centenaire de sa mort n'ont pas manqué d'interpréter diversement ce lien. Certains ont pointé le caractère visionnaire de l'écrivain - nous avons en mémoire l'emplacement “prémonitoire” de Cap Canaveral en Floride dans De la Terre à la Lune, d'autres ont souligné le souci pédagogique qui enrichit ces romans au travers des nombreuses énumérations et exposés techniques, d'autres encore l'installent dans la posture de “passeur” entre les générations. Cette figure tutélaire semble encore riche d'une résonance qui a trait à la paternité du récit scientifique, c'est-à-dire d'un texte contenant des éléments scientifiques susceptibles de devenir moteur romanesque. L'origine de ces récits ne peut être appréhendée sans d'abord s'interroger sur la manière dont il était possible d'accéder à la science et au patrimoine scientifique pour un homme qui n'exerçait pas son activité au sein d'une communauté scientifique mais qui cependant s'intéressait aux implications culturelles et sociales de la science dans son environnement. A l'examen de son emploi du temps, on s'aperçoit que Jules Verne est fréquemment au contact des découvertes scientifiques et techniques de son époque. Il travaille tous les jours à la constitution de fiches documentaires. Il va aux conférences scientifiques, lit des ouvrages de vulgarisation - La Nature, Le Moniteur - , visite des expositions universelles, fréquente les savants de son époque, accumule de nombreuses informations scientifiques et techniques. Nombre de ses romans témoignent de la dernière découverte dont il vient de prendre connaissance. Nous sommes là au cœur de l'entreprise de Jules Verne qui, et c'est ainsi que la qualifie le philosophe Michel Serres, “était vraiment une entreprise culturelle, comme a été culturelle la tentative de Platon au moment où la science naissait…”

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Les fruits de cette entreprise, les récits, ont par la suite tenu une place considérable dans la vocation de nombreuses générations qui se sont engagées dans l'arpentage du monde. Pour beaucoup, les ouvrages de Jules Verne ont inspiré désirs de découverte et rêves de savoir.

«De la Terre à la Lune», L’intérieur du projectile Ed. Hetzel, 1868, Illustration de Henri de Montaut

Qu'en est-il de l'aventure spatiale comme source de récits scientifiques ? Force est de constater qu'à la fin du XIXe siècle, le savoir technique disponible sur l'espace est encore restreint et inspire donc peu de récits. Encore faut-il préciser que même si l'aventure spatiale est une histoire récente, elle a pris ses racines dans les rêves des siècles précédents scandés par les observations des astronomes tels que Galilée et Kepler, et les récits des auteurs littéraires qui souhaitaient aller sur la Lune ou explorer l'Univers, que l'on évoque Cyrano de Bergerac ou Fontenelle.

La conquête de l'espace, entamée d'abord théoriquement par les pionniers du XX siècle comme Tsiolkovski, devra attendre la deuxième guerre mondiale avec la mise au point des V2 par Werhner Von Braun dans l'Allemagne nazie, pour trouver une sombre concrétisation. De ce moment, l'accès à l'espace est définitivement ouvert : l'aventure spatiale évoluera désormais entre découvertes scientifiques, affrontements symboliques et suprématie stratégique. e

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Durant des décennies, une partie de cette épopée a été perçue comme la réalisation des récits de Jules Verne et de ses émules tels Robida ou Wells. L'écrivain avait imaginé atteindre la Lune, l'homme s'y est posé en 1969, il avait décrit une balade dans le système solaire à bord d'une comète dans Hector Servadac, et les sondes Voyager ont accompli cette exploration; demain une sonde européenne se posera à la surface d'une comète. Jusqu'à récemment, les étapes spectaculaires s'enchaînant les unes aux autres, peu de gens s'intéressaient aux traces de cette aventure qui, dans le fracas des lanceurs quittant la Terre, anéantissait presque entièrement les témoignages terrestres de son existence et ne restituait jamais les objets envoyés dans l'espace, ou bien très rarement. Et pourtant, cette épopée a engendré un patrimoine d'une grande richesse. Les éléments qui le composent, outre leur propre histoire technique, sont potentiellement porteurs d'une multiplicité de récits. Celui de leur invention au premier chef, mais aussi celui des différentes composantes historiques, sociales, politiques et symboliques dont ils sont le foyer. “Aucune chose ne saurait venir à l'existence sans l'éclairage d'un Verbe…” énonçait Clément Rosset dans Le Philosophe et les sortilèges. Ni pédagogiques, ni didactiques, ces récits n'apportent pas toujours de précisions scientifiques supplémentaires, ils s'emparent de l'objet pris dans son acception la plus large et le restituent dans sa dimension culturelle. A tout bien considérer, chacun de ces éléments est susceptible d'être explicité par sa fonction, ses performances et les résultats auxquels il a donné lieu, mais tous peuvent, à l'image des découvertes qui ont irrigué l'œuvre de Jules Verne, être aussi sources de récits scientifiques et faire rêver sur le savoir dont ils ont été porteur lors de leur conception ou durant leur existence. Le patrimoine de l'espace pourra ainsi engendrer des récits qui ensemenceront à nouveau les esprits; c'est en cet endroit précis, au point focal de cette boucle qui relie le réel, le savoir et l'imaginaire, que se situe le projet inauguré par Jules Verne et qui nous fait rêver encore.

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Les Cinq Cent millions de la Bégum, «L’intérieur du projectile», illustration de Léon Benett Ed. Hetzel, 1879 © Bibliothèques Amiens Métropole

Bobine de Ruhmkorff Collection Ministère de la Communauté française

“Jules Verne ! Combien cette génération lui doit de reconnaissance ! Il lui inspira la curiosité de l’univers, le goût de la science, le culte des mâles énergies. Michel Corday


L’imaginaire technologique comme transgression Robert Halleux, Professeur à l'Université de Liège

Un des articles du contrat qui liait Jules Verne et son éditeur Pierre-Jules Hetzel lui prescrivait de “résumer toutes les connaissances géographiques, géologiques, physiques, astronomiques, amassées par la science moderne et refaire sous la forme attrayante et pittoresque qui lui est propre l'histoire de l'univers“. Lorsqu'il parle de science, Jules Verne est un vulgarisateur probe, minutieux, bien documenté, séduisant. Avec les auteurs de la Bibliothèque de Merveilles, d'Edouard Charton, avec Louis Figuier et bien d'autres, il s'inscrit dans un courant puissant qui entend tourner la jeunesse studieuse vers les carrières scientifiques, industrielles et coloniales. Lorsqu'il parle de technique et d'industrie, il n'en va pas tout à fait de même. Certes, il décrit en grand détail des procédés et des inventions de son temps, souvent bien oubliés aujourd'hui, ce qui le rend quelquefois difficile à lire. Mais il en esquisse d'autres, qui n'existaient pas de son temps et qui furent seulement mis au point dans le nôtre. Pour en rendre compte, le concept d' ”anticipation” est bien vague, et celui de “précurseur” est épistémologiquement faux, car le précurseur serait ainsi un homme de deux temps, dont Georges Canguilhem disait “celui dont on sait après qu'il était là avant“. Et que dire alors de machines ou d'inventions impossibles, qui ne pouvaient être réalisées pour des raisons purement techniques ? C'est tout le rapport entre culture technique, imagination et innovation qui est ici en cause. DANS LA TRANSITION DES SYSTÈMES TECHNIQUES Né le 8 février 1828 et mort le 24 mars 1905, Jules Verne a connu deux systèmes techniques successifs. Le concept de système technique, défini par Bertrand Gille, recouvre l'ensemble organique constitué par des énergies, des matériaux, des mécanismes de transformation. Ainsi, le système technique de l'Ancien Régime est commandé par la métallurgie au charbon de bois, l'énergie de l'homme, des animaux, de l'eau et du vent, la machinerie en bois. Les systèmes techniques peuvent plafonner ou saturer, c'est-à-dire atteindre le maximum de leurs performances. D'autres matériaux et d'autres énergies prennent alors le relais avec des performances d'abord plus basses. Ainsi, au milieu du XVIIIe siècle, la vapeur

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détrône peu à peu l'énergie hydraulique, la fonte au coke remplace la fonte au bois. C'est la première révolution industrielle. A l'époque où Jules Verne écrit son premier roman scientifique Cinq semaines en ballon (1863), une deuxième révolution industrielle s'amorce. Du côté des énergies, la vapeur est peu à peu écartée des usines. De Cugnot (1770) à Amédée Bollée (1873), elle ne s'impose pas dans le transport routier, mais triomphe sur le rail jusqu'à la Deuxième Guerre Mondiale. L'électricité pénètre dans l'industrie grâce à l'invention de la dynamo par Zénobe Gramme en 1870, mais surtout la découverte de sa réversibilité en 1878. L'électricité bouleverse l'éclairage avec la lampe Edison (1879), la lampe à arc (1887). Avec l'invention du télégraphe, puis du téléphone (1876), puis de la radio (Marconi 1899), l'électricité resserre les liens entre les régions du monde et contribue à mondialiser l'économie, en même temps qu'elle en accélère le rythme. Dérivé de la machine à vapeur, le moteur à combustion interne devient son concurrent le plus sérieux. Le moteur à gaz est mis au point par Lenoir en 1859, perfectionné avec l'invention du compresseur par Beau de Rochas en 1862 et du moteur Otto en 1877. Moins utile en usine, mais plus léger, le moteur à essence de pétrole ouvre à l'homme la route et les airs. En 1883, Delamare Deboutteville fait fonctionner un véhicule à essence, Gottlieb Daimler dépose le brevet de son premier moteur et en 1886, Benz crée sa première voiture, un monocylindre à trois roues. En 1897, Rudolph Diesel réalise le moteur à huile lourde qui porte son nom et qui concurrencera l'essence sur la route, l'électricité et la vapeur sur le rail, l'électricité et le gaz dans les usines. Du côté des matériaux, si la première industrialisation est l'âge du fer, la seconde est l'âge de l'acier, un matériau incomparablement supérieur par ses propriétés physico-chimiques. Rare et réservé, à l'époque précédente, aux pièces mécaniques subissant de fortes contraintes, il devient un matériau commun. Henry Bessemer (1813-1898) prend son premier brevet le 12 août 1859 ; le procédé SiemensMartin est déposé en 1868 ; le procédé Thomas et Gilchrist en 1878 ; en 1880, Siemens propose d'utiliser l'énergie électrique pour la fabrication de l'acier. Enfin, un nouveau secteur industriel apparaît, celui des industries chimiques. L'industrie chimique se développe d'abord en aval de la fabrication du coke avec la production de la soude par le procédé Solvay (1862), puis de l'ammoniaque synthétique, puis la synthèse organique.

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Cette mutation a des répercussions importantes sur les savoirs. Le rapport entre science, technique et industrie s'en trouve modifié. A la première industrialisation, le savoir-faire traditionnel reste la clé du succès. Le temps est venu désormais des ingénieurs. Il n'y a pas d'avancées industrielles majeures sans étude scientifique préalable. La technique fait un appel croissant au laboratoire. C'est le processus que Peter Weingart et François Caron appellent “la scientification de la technique”. JULES VERNE ET LA DEUXIÈME INDUSTRIALISATION Le passage du fer à l'acier se reflète d'abord, chez Jules Verne, dans l'industrie de l'armement. Le canon Columbiad braqué vers la lune est une énorme pièce de fonte, coulée à même le sol floridien par douze cents cubilots (De la terre à la lune, 1865). Seule sa taille le distingue d'autres mortiers contemporains. En revanche, l'obusier du docteur Schulze, avec ses trois cents tonnes et son calibre de 1500 mm, se charge par la culasse, repose sur un affût d'acier et possède des ressorts d'acier qui en annulent le recul (Les Cinq cents millions de la Begum, 1879). La ville-usine de Stahlstadt (la ville de l'acier), construite par le fanatique privatdozent prussien, est la copie conforme des usines intégrées d'Outre-Rhin. Après la défaite de 1870, c'était en France un fantasme récurrent d'attribuer la supériorité prussienne à la qualité de l'acier d'armement. On voit pourquoi Stahlstadt, après sa déconfiture, sera repris par l'ingénieur alsacien Marcel Bruckmann qui le reconvertira en fabrications pacifiques. De même, si le Great Eastern (un bateau réel) est encore en plaques de fer rivetées (Une Ville flottante, 1871), la double coque du Nautilus est en acier laminé réuni par des poutrelles en T (Vingt mille lieues sous les mers, 1870). La chaloupe démontable pour explorer l'Afrique est en acier galvanisé et ressemble furieusement à celles construites par Cockerill pour Stanley (Aventures de trois Russes et de trois Anglais, 1872). Mais l'obus qui emporte vers la Lune Michel Ardan et ses compagnons est en aluminium, un métal connu depuis 1827, réputé précieux et sans utilité véritable (De la terre à la lune, 1865; Autour de la Lune, 1869). Les romans de Jules Verne marchent à toute vapeur. La mer est le théâtre d'une concurrence acharnée entre les plus fins voiliers (le Saint-Enoch, la Tankadère, la Savaréna, la Syphanta, le Sloaghi, l'Alert, le Chancellor, l'Halbrane, le Brick de Sacratif) et les voiliers-steamers comme l'Abraham Lincoln, l'Alaska ou la Henrietta

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dont Phileas Fogg fera passer tout le bois à la chaudière. Si le Tour du monde en quatre-vingt jours est possible, c'est que les express à vapeur commencent à ceinturer le monde. En revanche, la Maison à vapeur (1879-1880) est déjà un archaïsme. Deux pagodes sont tractées par une locomobile à vapeur en forme d'éléphant, équipée d'une chaudière tubulaire offrant 60 m2 de surface de chauffe et de deux cylindres développant 80 CV. Le gigantisme de la machine contraste avec sa puissance relativement faible et reflète la saturation de la technique. Il est curieux que Jules Verne n'ait pas tiré parti des moteurs à combustion interne. Certes, des moteurs à gaz équipent des taxis (les gaz-cabs) dans Paris au XXe siècle (1860), mais le pétrole ne sert qu'à incendier l'Angara (Michel Strogoff, 1876) ou à brûler en briquettes dans des chaudières (L'île à hélice, 1895). Jules Verne est fasciné par l'électricité, “cet agent qui sera un jour l'âme du monde industriel” (Robur le Conquérant, 1886). Certains effets sont connus depuis longtemps. Les projectiles électriques lancées par le fusil sous-marin du capitaine Nemo sont des bouteilles de Leyde (Vingt mille lieues sous les mers, 1869-70). L'électrification du pont du Nautilus pour repousser les sauvages (1869-70) se répète sur les chaînes du pont-levis du Château des Carpathes (1892) pour empêcher Nick Deck d'y pénétrer. L'électricité assure l'éclairage souterrain de Coal City (Les Indes Noires, 1877), mais aussi l'éclairage individuel des vulcanologues (Voyage au centre de la Terre, 1864) et des scaphandriers autonomes (Vingt mille lieues sous les mers, 1869-70). Des circuits électriques connectent les instruments de bord à la machinerie du Nautilus, un fil télégraphique relie sa chaloupe à la timonerie, mais aussi le Château des Carpathes à l'auberge du roi Mathias (1892). C'est le télégraphe qui permet aux journalistes de transmettre, dans l'instant, nouvelles de Sibérie, versets de la Bible ou chansons parisiennes (Michel Strogoff, 1876). Il s'agit toujours de courant continu produit par des piles de divers systèmes, Bunsen ou Rahmkorff. Seule L'île à hélice (1895) a son courant produit par des dynamos actionnées par des machines à vapeur. Qu'il s'agisse de vapeur ou d'électricité, le substrat énergétique est le charbon, dont les Indes noires (1877) pressentent l'inévitable épuisement.

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LES MACHINES IMAGINÉES

Robur-le-Conquérant, “L’Albatros rejoignit le Go ahead”, Ed. Hetzel, 1886, Illustration de L. Benett

Il est facile, et pour tout dire, assez vain de rappeler que les machines imaginées étaient, en son temps tout au moins, irréalisables (sinon l'écrivain aurait pris un brevet). Ainsi, le ballon Victoria, dont l'hydrogène est dilaté par la chaleur d'un chalumeau, est une vraie bombe volante (Cinq semaines, 1863). Pour pister le cheminement de l'imagination vernienne, il faut confronter la machine imaginée avec le système technique dont elle est inévitablement issue. On peut ainsi faire l'anatomie du Nautilus (1873) et de l'Albatros (Robur le Conquérant, 1886) sous l'angle des matériaux, des énergies, des moyens de propulsion. Entre les deux vaisseaux, treize ans et une invention, la réversibilité de la dynamo, c'est-à-dire le moteur électrique (1878).

Le Nautilus est, on l'a vu, en acier. Il résiste aux pressions des grands fonds par son assemblage de poutrelles en T, ce qui est pour le moins optimiste “Son bordé ne peut céder ; il adhère par lui-même et non par le serrage des rivets, et l'homogénéité de sa construction, due au parfait assemblage des matériaux, lui permet de défier les mers les plus violentes”. Le sous-marin est mû par l'électricité produite par des piles au sodium “C'est ce sodium que j'extrais de l'eau de mer et dont je compose mes éléments (…). Mélangé avec le mercure, il forme un amalgame qui tient lieu de zinc dans les éléments Bunzen. Le mercure ne s'use jamais.

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Le sodium seul se consomme, et la mer me le fournit elle-même. Je vous dirai, en outre, que les piles au sodium doivent être considérées comme les plus énergiques, et que leur force électromotrice est double de celle des piles au zinc”. Le romancier extrapole ici à partir de recherches menées en son temps pour remplacer l'acide des batteries et accroître leur puissance et leur longévité. Quant au moteur, “l'électricité produite se rend à l'arrière, où elle agit par des électro-aimants de grande dimension dans un système particulier de leviers et d'engrenages qui transmettent le mouvement à l'arbre de l'hélice”. Bien informé des électro-aimants, Verne entrevoit une sorte de système bielle-manivelle où les bielles sont tour à tour attirées et repoussées et leur mouvement alternatif transformé en mouvement rotatif. L'Albatros, comme tous les plus lourds que l'air, à cette époque, pose un double défi : la légèreté des matériaux, le rapport poids-puissance du moteur. Le vaisseau est fait de “papier sans colle, dont les feuilles sont imprégnées de dextrine et d'amidon, puis serrées à la presse hydraulique”. Pour les hélices “la fibre gélatinée en avait fourni la substance résistante et flexible à la fois”. L'analogie avec les matières plastiques d'aujourd'hui est forcée. Verne exploite les performances de la presse hydraulique et les travaux menés dans le textile et la papeterie pour imprégner les matières fibreuses. L'énergie qui meut les trente-neuf hélices est toujours l'électricité, mais l'auteur est plus discret sur les piles “d'un rendement extraordinaire” et sur les accumulateurs. Dans les deux cas, l'imaginaire apparaît comme rigoureusement contenu et circonscrit. Jules Verne tient son imagination en bride, s'interdit les dérives marginales, se borne à extrapoler à partir des potentialités d'un système technique qu'il maîtrise, mais dont il gomme les contraintes et les limitations. UN THÉÂTRE DE MACHINES Puisque l'imaginaire technologique est ici en cause, il n'est pas interdit d'enjamber les siècles. Sans prétendre à une quelconque filiation, il faut comparer les textes et les images de Verne avec les Théâtres de Machines des XVIe et XVIIe siècles. Il s'agit, on s'en souviendra, de recueils illustrés, issus des cahiers d'ingénieurs médiévaux, où coexistent archaïsmes hérités, machines observées, inventions efficaces, machines rêvées ou impossibles. Taccola, Ramelli, Besson, Salomon de Caus

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illustrent une tradition à laquelle Léonard n'est pas étranger. Luisa Dolza en a décodé la rhétorique. Exploitant les virtualités du système technique eau-bois, métallurgie au bois, ils en combinent inlassablement les éléments, quitte à en transgresser les limites techniques. L'hélicoptère de Léonard est fondamentalement une vis d'Archimède qui marche à l'envers. Convenablement élargie et munie d'un propulseur adéquat, elle se vissera dans l'air au lieu de faire monter l'eau. L'Albatros dérive, paraît-il, de l'hélicoptère miniature à trois hélices construit par Ponton d'Amécourt et de La Landelle. L'imaginaire est la transgression des contraintes techniques poids-puissance. Transgression légitimée par une sorte de force d'expansion de la technique, analogue à celle de la vapeur. “Tout ce qui est dans la limite du possible doit être et sera accompli” (La Maison à vapeur, 1880).

Vingt mille lieues sous les mers, “La chambre des machines nettement éclairées”, Ed. Hetzel, 1871, Illustration de Alphonse de Neuville

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J. Hetzel & Cie, étrennes 1889 Voyages extraordinaires, œuvres complètes de Jules Verne, affiche publicitaire © Bibliothèques Amiens Métropole

“Jules Verne écrit à la manière de

“De la Terre à la Lune; Autour de la Lune”, Cartonnage dit “à la sphère Armillaire, Ed. Hetzel, vers 1883. © Bibliothèques Amiens Métropole

Dickens dans Le Rayon vert; d’Erckmann-Chatrian dans Le Chemin de France; d’Hoffmann dans Le Château des Carpathes ou Maître Zacharias; de Jack London dans Le Volcan d’or. Il s’inspire de MonteChristo de Dumas dans Sandorf (...) Seconde Patrie et Le Sphinx des glaces sont explicitement construits comme des “suites” du Robinson suisse de Wyss et d’Arthur Gordon Pym... Jean Chesneaux, Une Lecture politique de Jules verne.


Jules Verne : entre éducation et récréation Gabriel Thoveron, Professeur émérite de l'Université Libre de Bruxelles

Dans sa Bibliothèque d'éducation et de récréation, Jules Hetzel publie de nombreux livres de vulgarisation, signés par de célèbres savants, dont Élisée Reclus, Flammarion, Fabre… Dans le Magasin d'éducation et de récréation, l'information se veut moins sévère, prend des formes diverses. Le rôle dévolu à Jules Verne y est de faire découvrir le savoir à travers des fictions didactiques. L'éditeur l'annonce : “Ces romans, qui vous amuseront comme les meilleurs d'Alexandre Dumas, vous instruiront comme les livres de François Arago.” Il s'agit de “résumer toutes les connaissances géographiques, géologiques, physiques, astronomiques amassées par la science moderne et de refaire (…) l'histoire de l'univers.” Les chapitres où se développe la fiction alternent avec des parties documentaires, et les parents ont le sentiment de remplir leur devoir éducatif en offrant de ces bons livres à leurs enfants - même si ceux-ci, souvent, ont tendance à sauter les digressions qui interrompent l'action. C'est l’une des sources du rapide succès que remporte l'auteur. Comme le note Antonio Gramsci dans ses notes sur les Problèmes de la vie culturelle, “Il y a chez Verne l'alliance de l'intelligence humaine et des forces matérielles; chez Wells et chez Poe, c'est l'intelligence humaine qui prédomine et c'est pourquoi Jules Verne a été plus populaire, parce que plus compréhensible.” Parce qu'il s'attache, aussi, à suivre les curiosités du moment, lit les journaux en même temps qu'il s'informe des dernières découvertes. Aussi conjectural soit-il, De la Terre à la Lune (1865) est, doublement, d'actualité; la Guerre de Sécession (1861-1865) s'achevant, on nous montre des artilleurs yankees démobilisés, donc préoccupés de trouver un nouvel usage du canon ; Henri Sainte-Claire Deville, en 1854, ayant mis au point un procédé pour la fabrication industrielle de l'aluminium, c'est ce métal qui formera les parois de l'obus. Verne est assez scrupuleux pour signaler parfois qu'un de ses romans a été dépassé. Dans Claudius Bombarnac, il note par exemple que la journaliste Nellie Bly, bouclant le tour du monde en soixante-douze jours, a pu faire mieux que Phileas Fogg.

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L'écrivain ne s'intéresse pas qu'aux sciences mises par Hetzel à son programme. Tout fait farine au moulin de sa curiosité. Ainsi, avant d'arriver à Salt Lake City, Passepartout, dans le train qui emmène Phileas Fogg à travers l'Amérique, ne manque pas de se rendre au wagon où un missionnaire donne une conférence sur l'histoire des Mormons. Et le premier chapitre de Famille sans nom s'intitule Quelques faits, quelques chiffres et nous dit ce qu' “était la situation du Canada en l'année 1837, au début de cette histoire.” Car l'histoire est aussi chose à vulgariser. Les romans, de même qu'ils abordent tous les domaines du savoir, font le tour de tous les genres littéraires. Verne Vingt mille lieues sous les mers, est légitimement connu comme écrivain “Le Capitaine Némo prit la hauteur du soleil”, Ed. Hetzel, 1871, Illustration de Alphonse de Neuville d'anticipation : Pierre Versins, dans son Encyclopédie de l'utopie et de la S-F, lui attribue 31 titres comportant des éléments conjecturaux, et c'est sans doute la part la plus personnelle de son œuvre. Mais, pour le reste, il s'inspire, sans le dissimuler, de tous les auteurs à succès, d'Alexandre Dumas, comme d'Edgar Poe. Poe auquel il a consacré une étude, en 1864, dans Le Musée des Familles, Poe dont La Semaine des trois dimanches inspire le coup de théâtre final du Tour du monde en 80 jours, Poe dont la fréquentation aurait peut-être pu conduire Verne à devenir un des pères de la fiction policière. Il y a dans Les Enfants du capitaine Grant (1867-68), une brève apparition d'un policier qui semble le chaînon manquant entre le Chevalier Dupin (créé en 1841) et Sherlock Holmes (apparu en 1887) : “un homme grand et maigre, d'un imperturbable sang-froid” et qui était “comme un mathématicien devant un problème; il cherchait à le résoudre et à en dégager l'inconnue.” Les forces de l'ordre, dans les romans de Verne, sont généralement ridicules ou antipathiques, mais l'inspecteur Fix du Tour du monde a un caractère ambigu, comme le Javert des Misérables : Javert, note Gramsci, a tort du point de vue de la vraie justice, mais c'est un homme de caractère attaché à son devoir, c'est de lui “que naît peut-être une tradition selon laquelle même le policier peut être respectable.“ Au moins, Un

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Drame en Livonie et Les Frères Kip sont des romans d'énigmes et d'erreurs judiciaires. Le Château des Carpathes est un roman ténébreux, et si le fantastique y est expliqué, c'est de manière scientifique. Ce roman peut aussi se rattacher, en marge, au genre sentimental (alors que Verne est surtout lu par les garçons), comme Le Secret de Wilhelm Storitz (ici la femme aimée est invisible, comme elle était morte dans Le Château). Nombre de romans se couronnent par un mariage, Les Indes noires, Un Billet de loterie ou Le Rayon vert - rayon que les amoureux n'ont pas vu, ils ont Vingt mille lieues sous les mers, vu mieux puisqu'ils ont vu “le bonheur même.” “Voyez-vous là quelque chose ?”, Ed. Hetzel, 1871, Illustration de Alphonse de Neuville Jules Verne cultive presque tous les genres… Comme il a beaucoup emprunté, il sera beaucoup pillé. A. de Lamothe entame en 1877 une série de Voyages et aventures par terre, par air et par mer, publiés dans les magazines catholiques qui trouvent Hetzel bien trop laïque. Georges Le Faure commence en 1892 Les Voyages scientifiques extraordinaires et Paul d'Ivoi, en 1894, Les Voyages excentriques. Mais la morale a changé, le patriotisme devient chauvinisme (le premier voyage de Le Faure s'intitule Mort aux Anglais ! ) et l'information scientifique disparaît, ou se réduit à peu de chose. C'est le salgarisme - Salgari est le Verne italien -, dénoncé par Umberto Eco dans son Apostille au Nom de la Rose : les informations proposées ne répondent à aucun plan d'ensemble et sont parsemées au fil de l'action. Qu'un héros trébuche sur une racine de baobab, cela suffit pour nous offrir quelques lignes de sommaire botanique. Les aventures - Hetzel n'aimait pas ce mot - remplacent les voyages, et donc les découvertes. Non sans succès, et Sartre, dans Les Mots, avoue : “À Jules Verne trop pondéré, je préférais les extravagances de Paul d'Ivoi.” Cependant, aujourd'hui, c'est Jules Verne qu'on n'a pas oublié, et qui nous fait encore rêver…

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Machine de Ramsden Collection du Ministère de la Communauté française

“Mon but a été de dépeindre la Terre, et pas seulement la Terre, mais l’univers, car j’ai quelquefois transporté mes lecteurs loin de la Terre dans mes romans.

Jules Verne

Affiche du cinéma Eclair annonçant une série jamais réalisée sur les Voyages Extraordinaires © Bibliothèques Amiens Métropole


Jules Verne et l’épopée didactique Michel Grodent, Journaliste

Jules Verne, créateur du roman scientifique, l'affaire est plus ou moins entendue. Mais n'est-il pas abusif dans l'absolu de le décréter fondateur du roman géographique ? Aussi bien l'idée de combiner la fiction et la géographie est-elle aussi neuve qu'on l'imagine ? Ne peut-on repérer dans l'œuvre vernienne une lointaine tradition qui, datant de l'Antiquité gréco-romaine, associe justement l'art de raconter à un souci topographique ? Bien plus, avant Jules Verne, la scientificité et la narrativité n'ont-elles pas agi de concert dans des œuvres anciennes qui pratiquaient ouvertement le mélange des genres ? Toutes ces questions pourraient se résumer à une seule : y a-t-il une filiation, fûtelle ténue, entre le roman vernien et l'épopée didactique, telle qu'elle a été pratiquée dans l'Antiquité et singulièrement à l'époque hellénistique ? Comparaison n'est pas raison, c'est un fait, mais la comparaison expérimentale avec les formes du passé doit avoir pour but de faire ressortir le mode de fonctionnement singulier d'une écriture de bibliothécaire, fondée sur le rassemblement d'informations puisées à des sources diverses. Partons de Jules Verne pour remonter le cours d'une tradition. Considérons rapidement deux ouvrages, typiques d'une forme d'écriture, La maison à vapeur (1880) et le tardif Village aérien (1901). Roman sur l'Inde, le premier repose sur une savante combinatoire de discours, historique, journalistique, scientifique et romanesque. C'est à ce mélange qu'il doit sa magie propre. Le lecteur est soumis à différents types de styles, du plus didactique au plus poétique, les uns et les autres devant se renforcer pour que triomphe la science amusante et "prodigieuse", pour que s'équilibrent plaisir d'apprendre et plaisir de s'identifier aux personnages. Grâce à leur locomotive éléphantesque, qualifiée comme le Great Eastern de "Géant d'acier", grâce à ce compromis de nature et de culture, les héros de la fable parcourent avec un maximum de confort un pays exotique à souhait. Mais le cœur mythologique du livre, c'est une folle, la Flamme Errante, objet de "vénérations superstitieuses". Le second roman décrit un voyage dans la barbarie "nègre", au cœur de la Grande Forêt labyrinthique de l'Afrique équatoriale.

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Très sensible, comme le précise le romancier, à la poésie de la nature, Max Huber entraîne son compagnon John Cort dans une quête de l'extraordinaire qu'il résume en un vers emprunté à Baudelaire, "fouiller dans l'inconnu pour trouver du nouveau". Cette transgression des limites sous le signe de la poésie (Verne parle de "rêveries scientifico-fantaisistes") aura pour conséquence la rencontre avec des êtres fabuleux, une race intermédiaire, comparable à certaines figures mythologiques, mélanges d'humanité et d'animalité. Une expérience d'essence religieuse (les explorateurs sont guidés par une lumière surnaturelle) qui ne manque pas de faire songer à celle que vit le narrateur de la célèbre nouvelle de Joseph Conrad, Heart of Darkness ("Au cœur des ténèbres"), parue en 1902. De fait, c'est avec la folie du docteur Johausen que les voyageurs ont rendez-vous. En résumé, dans ces deux romans comme dans beaucoup d'autres, Jules Verne se soumet à deux tentations, le naïf qui dérive chez lui de l'art du conteur, fantastique notamment, et le savant qui le définit comme vulgarisateur. Ces deux tentations ont été repérées et analysées avec beaucoup de finesse par André Hurst dans les Argonautiques d'Apollonios de Rhodes1, la grande épopée didactique de la période hellénistique, composée au IIIe siècle avant notre ère. C'est l'époque où le poète compte sur l'érudition pour renforcer l'effet poétique, où "le beau s'allie au vérifiable", où le lecteur est prié de décoder des jeux de mots. Mais c'est aussi l'époque où se manifeste la passion "réaliste" pour le folklore de la vie quotidienne, où le citadin raffiné se plaît à cultiver un sentiment de la nature qui trahit sa nostalgie de la réalité. J'ajoute que la géographie est trop manifestement le foyer autour duquel s'organisent les différents épisodes des Argonautiques pour que le nom de Verne ne vienne pas naturellement à l'esprit. De part et d'autre, il y a un projet géographique bien attesté2.

(1) Cfr. André HURST, Apollonios de Rhodes, manière et cohérence. Contribution à l'étude de l'esthétique alexandrine, Genève, 1967. (2) Cfe. Émile DELAGE, La Géographie dans les Argonautiques d'Apollonios de Rhodes, ParisBordeaux, 1930. Rappelons que Verne avait écrit une Histoire des grands voyages et des grands voyageurs (1878) qui avait “pour but de résumer l'histoire de la découverte de la terre”. Il y traite succinctement des voyageurs d'avant l'ère chrétienne (Hannon, Hérodote, Pythéas, Néarque, Eudoxus, César, Strabon, Pausanias).

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On objectera non sans raison que le contexte culturel, "alexandrin" d'un côté, "postromantique" de l'autre, l'un nourri de mythologie, l'autre fondé en dernière instance, malgré l'exaltation du progrès, sur la croyance en un Dieu providentiel, interdit des rapprochements trop précis entre l'époque d'Apollonios et celle de Verne, autrement dit que l'horizon d'attente des lecteurs n'est pas identique, puisqu'il est conditionné par une esthétique et une religiosité différentes. L'esthétique ancienne est à base de variations sur un canevas partagé par les lettrés (Homère, dans le cas d'Apollonios). L'esthétique moderne est théoriquement faite de ruptures, on pourrait presque dire de chantages à l'originalité. La religiosité païenne a des visées centripètes, l'expérience du divin se fait dans le cadre de la cité, infiniment regrettée par les exilés. La religiosité chrétienne a des visées centrifuges, l'expérience du divin se fait, dans le meilleur des cas (le monachisme), en dehors de la cité. Elle a tendance à inspirer aux créateurs des personnages en rupture de ban et côtoyant la folie, comme Nemo qui, en dépit de son surnom (Personne), est bien un retournement d'Ulysse, puisque, loin de toute civilisation, il ne se sent bien que dans le royaume de Poséidon, ennemi juré du fils de Laërte. Tout cela est vrai, mais, au delà des divergences de style et de convictions subsiste, je crois, un fond commun de pratiques discursives qu'il serait bon d'analyser en détails. Les Anciens fantasmaient sur les limites du monde (les eschatiai) et nourrissaient des ambitions géographiques dans une perspective que l'on pourrait, me semble-t-il, désigner comme "pré-vernienne"3. Lorsqu'ils décrivaient les confins de l'univers restreint où ils habitaient, ils n'étaient pas capables de distinguer clairement le mythe de la science. Par souci de captiver son lecteur, tout en demeurant crédible à ses yeux, Jules Verne ne devait-il pas forcément marcher sur leurs traces au point d'occuper un jour, auprès des Modernes, la place dévolue à Homère par les Anciens ?

(3) Cfr. James S.ROMM, The Edges of the Earth in Ancient Thought. Geography, exploration and fiction, Princeton, 1992. Je note à la page 31: "Even the Argonautica of Apollonius of Rhodes, despite its vastly higher narrative ambitions, reveals a certain independent interest in roundthe-world geographical description”.

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Le Château des Carpathes, Ed. Hetzel, 1892, Illustration de Léon Benett, © Bibliothèques Amiens Métropole

Phonographe, Collection Ministère de la Communauté française

“Jules Verne a conçu, il a tenté, Anatole Le Braz

il a, dans une large mesure, réalisé la Légende de la science.


Orphée aux enfers Pascal Durand, Professeur à l'Université de Liège

“Cette histoire n'est pas fantastique, elle n'est que romanesque”. Ainsi commence, en 1892, Le Château des Carpathes. Par là également s'insinue dans l'imaginaire de Jules Verne une veine sombre que la suite de l'œuvre verra s'élargir. Bien sûr, dénier le fantastique c'est approuver le réel et reconduire, apparemment, le credo positiviste que l'œuvre récitait sans réserve. Mais cette dénégation ne laisse pas indemne le genre du roman - qui se voit placé sous le signe de la privation : “cette histoire n'est que romanesque” - ni l'intention de célébrer par la fiction les pouvoirs de l'imagination scientifique et les vertus civilisatrices de la technique. Franz de Télek voyage pour fuir la mort de sa fiancée, la cantatrice Stilla, foudroyée sur la scène du théâtre San-Carlo. Poursuivi par la malédiction du baron Rodolphe de Gortz, son rival - “C'est vous qui l'avez tuée !… Malheur à vous, comte de Télek ! ” -, il arrive à Werst, village de Transylvanie placé dans l'ombre d'un château autour duquel circulent légendes et superstitions. Une expédition est décidée à l'auberge. Une voix menaçante se fait entendre : “Nicolas Deck, ne va pas demain au burg ! […] ou il t'arrivera malheur !”. L'expédition a néanmoins lieu : les deux aventuriers sont tenus en respect par d'invisibles forces sous les murailles du burg. Franz en fait à son tour l'ascension. Emprisonné dans l'enceinte du château, il entend la Stilla, puis l'aperçoit sur une estrade, vivante, chantant la même aria qu'au moment de sa mort. Il se précipite pour l'enlacer. Gortz s'interpose et poignarde la diva, qui disparaît dans un fracas de verre brisé. Le burg explose et l'on retrouve Franz frappé de folie. Les manifestations surnaturelles protégeant le château des intrus - apparitions, foudroiements, voix sépulcrales - n'étaient que des leurres électriques; la Stilla ressuscitée n'était que l'effet d'un téléphote, né de l'assemblage d'un phonographe et d'un appareil de projection, conçu par le savant Orfanik, l'âme damnée du baron de Gortz. Curieuse histoire, curieux montage. Pour n'être pas fantastique, le récit n'en recycle pas moins les figures obligées du roman frénétique : ruines, cryptes, spectres, voix d'outre-monde, manifestations inexplicables (et pour finir trop bien expliquées, hélas, dans la logique de douche froide que le sous-genre du fantastique expliqué orchestre depuis Ann Radcliffe). Un genre dans un autre, un merveilleux gothique remplacé par un merveilleux scientifique : telles sont d'une part la structure et, de l'autre, l'intention manifeste. “Nous sommes, continuait Verne, d'un temps où tout

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arrive - on a presque le droit de dire où tout est arrivé. Si notre récit n'est point vraisemblable aujourd'hui, il peut l'être demain, grâce aux ressources scientifiques qui sont le lot de l'avenir, et personne ne s'aviserait de le mettre au rang des légendes. D'ailleurs, il ne se crée plus de légendes au déclin de ce pratique et positif XIXe siècle”. La science révoque les démons, la technique soumet le monde à sa transparence rationnelle. Le romancier se trompe, ou bien il trompe à dessein son lecteur; en quoi il est bien romancier et non metteur en roman. Car s'il est une chose dont tout son texte témoigne, c'est qu'il se crée encore du légendaire à la fin du XIXe siècle. Il faut, pour s'en aviser, laisser de côté le référent technique du roman (le téléphote, préfiguration supposée de la télévision) pour ne s'intéresser qu'à la techno-logie dont cette technique est enveloppée, c'est-à-dire la mythologie dont l'écrivain la rend comptable. Mythologie au sens propre, d'abord. Comme souvent chez Verne, Le Château des Carpathes est récriture d'un mythe, celui d'Orphée et d'Eurydice (et le nom d'Orfanik est là pour le signaler à qui ne l'aurait pas compris). Encore cette récriture n'est-elle que la forme à la fois décorative et obsédante d'une stratégie plus générale de l'enchâssement. Le mythe antique dans un récit moderne ? Pas seulement : tout va par deux et par contradictions dans ce petit roman duplice, dans cette histoire de hantise elle-même hantée. Emboîtement d'espaces et de temporalités : un village archaïque encastré dans la modernité, des superstitions et des savoirs traditionnels maintenus en dépit de la science, un burg médiéval défendu par un système électrique ou encore le poète Orphée revenu en Orfanik le savant fou, c'est-à-dire le mythe converti en machinerie d'avant-garde. Emboîtement de langages : combien de mots d'argot, de langages spécialisés, de termes ruraux dans la langue froide comme l'acier que manie Verne ? Emboîtement surtout de la technique dans la technologie qui la porte, dont les autres formes d'enchâssements ne sont que des variantes établies à différents niveaux du récit. Que dit, dans le roman, cette techno-logie ? Non que la technique est augmentation de la vie et de la raison et, simultanément, promesse d'ubiquité et d'éternité, comme le veut la vulgate qui, du positif XIXe siècle à notre crédule XXIe siècle, entend nous convaincre des mirobolantes vertus des machines à communiquer. Mais qu'elle a bien plutôt affaire avec la mort, la contrainte, la régression en deçà du principe de réalité, l'invincible irrationalité du sentiment de puissance. Le microphone, le téléphone ? Vulgaires moyens de surveillance ou d'intimidation. Le téléphote ? Une machine à illusions, qui saisit le vif et ne ferait

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resurgir, au mieux, qu'un pathétique cadavre. Le rêve d'ubiquité promis par les communications ? Un fantasme qui conduit à la démence. Orphée ? Un nécrophile scientifiquement assisté, doublé d'un monomaniaque. Oui, semble bien dire Verne en contradiction ironique avec son exorde, il se crée encore des légendes en notre siècle. Ce ne sont plus fantômes, vampires, stryges; ce sont les vapeurs d'illusion que la propagande des ingénieurs et de leurs escortes politique et médiatique diffuse autour des objets techniques. Peu importe le signe de ces illusions; c'est leur halo qui fait sens, l'épaisseur qu'elles interposent entre le réel et l'imaginaire, entre la chose qui peut être utile et l'inutile croyance dont elle fait l'objet. Le Château des Carpathes n'est pas seulement, au fond, une allégorie glauque des médias (et de la téléprésence : pauvre Télek, pris de folie). En dévoilant la religion de la technique, le romancier hiérophante y met en crise, à son corps peut-être défendant, le positivisme magique dont toute son œuvre avait jusque-là suivi les prescriptions.

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Vue extérieure du cylindre d’O’Neill AC 75-1921 © Nasa Ames Research Center

Vue intérieure du cylindre d’O’Neill AC 75-1883 © Nasa Ames Research Center

Lanterne de projection Collection Ministère de la Communauté française

“Le seul moyen de cerner les limites du possible est de s'aventurer un peu au-delà, dans l'impossible.

Deuxième loi de Clarke Arthur C. Clarke (Profils du futur)


Les sciences, les techniques et la science-fiction contemporaine Jean-Claude Vantroyen, Journaliste

“Très bien. Il est mort. Allez, parlez-lui.” Telle est la première phrase du roman de Greg Egan, L'énigme de l'univers (1995). Le héros est journaliste. Sa caméra est greffée sur le cerveau, prise vidéo sur le nerf optique. Il lui suffit de voir pour réaliser des reportages. Dans la morgue qui sert de premier décor au roman, le journaliste assiste à l'interrogatoire d'un assassiné. Une dose de neuropréservatif empêche ses cellules cérébrales de se détruire. Stimulateur cardiaque temporaire, alimentation sanguine de substitution, sang artificiel rempli de milliards de liposomes : c'est ça la résurrection. Bien éphémère. Dix minutes, de quoi soumettre le mort à la question. Une batterie de capteurs piézoélectriques, reliés à sa gorge, permet de transférer les impulsions vers un ordinateur, qui affiche les mots sur un écran. Greg Egan est un écrivain australien. Ses romans ne cessent de rêver la science d'aujourd'hui. C'est-à-dire de l'interroger, la développer, l'amplifier, la prolonger. En effet, rien de tel que la fiction pour questionner le monde tel qu'il sera, ou plutôt tel qu'on le façonne aujourd'hui pour demain. Greg Egan est loin d'être le seul auteur de science-fiction à jouer ce rôle. Aujourd'hui, la SF interroge particulièrement cinq domaines scientifiques : la nanotechnologie, les manipulations génétiques, la réalité amplifiée et la réalité virtuelle, plus ce qui a fait son essence-même : l'exploration spatiale et ses dérivés. La nanotechnologie met en scène les atomes et les molécules. Elle travaille sur des machines de l'ordre du milliardième de mètre. Le point qui surmonte ce i, c'est 100.000 nanomètres. La science-fiction s'est évidemment emparée des énormes possibilités de cette technologie. Dans La Musique du sang (1985), Greg Bear imagine un jeune chercheur atypique qui s'injecte des bio-logiques, des espèces de bio-chips, des ordinateurs biologiques vivants de la taille d'une cellule. Ces biologiques prolifèrent évidemment, dans le corps du chercheur, puis passent de corps en corps. Mais c'est sans doute chez Neal Stephenson que la nanotechnologie est le plus interrogée. Dans son roman L'Âge de diamant (1995), elle fait partie de la vie. Les nanomachines purifient l'air et l'eau, désagrègent les ordures pour en faire des produits alimentaires, entrent dans la composition des médicaments, sculptent les muscles, etc.

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Les manipulations génétiques ouvrent un gigantesque champ fictionnel. Le clonage est au centre de nombre de romans et de nouvelles de science fiction. Dans Les Olympiades truquées (1980), Joëlle Wintrebert met en scène Maël, le clone de sa mère morte. Jean-Michel Truong dépeint, dans Reproduction interdite (1999), le monde de 2037, envahi de milliers et de milliers de clones, réalisés à partir d'embryons, et qui servent de guerriers dociles et faciles à remplacer, de pourvoyeurs d'organes, d'ouvriers ultraperformants ou même de prostitué(e)s à l'image d'une star. Avec Mosa Wosa (2004), un roman pour la jeunesse, Nathalie Le Gendre expose avec subtilité et émotion les relations entre l'être et son clone et le droit à la différence : le clone est aussi, comme l'extraterrestre, la métaphore de l'autre. Manipuler le vivant pour construire des esclaves. Comme dans Féerie (1995) de Paul McAuley : un concepteur de virus psychoactifs fabrique des hormones qui donneront la faculté de se reproduire aux “poupées”, ces esclaves biologiques créées à partir d'ancêtres simiens pour amuser les riches. C'est le thème du bioengineering, du mutant usiné, qu'on retrouve dans nombre de romans et de nouvelles. Manipuler le vivant pour construire d'autres soi-mêmes. C'est le vieux thème du surhomme, complètement réinventé par la SF ces dernières années. Dans Forteresse (2005), Georges Panchard imagine un ninja qu'on a génétiquement fabriqué pour sentir et localiser dans son environnement les sensations des gens : la peur, la joie, l'angoisse, la dissimulation, la haine, l'amour… Ce qui lui donne un atout considérable dans sa mission de tueur. Ou manipuler le vivant pour se construire une nouvelle espèce. Et là, on imagine jusqu'au vertige le saut darwinien qui donnerait un homo post sapiens. Greg Bear et Greg Egan le tentent dans L'Échelle de Darwin (1999) pour le premier et Téranésie (2000) pour l'autre. Chez Bear, des gènes s'expriment soudain en faisant naître une nouvelle espèce, plus adaptée au stress du monde contemporain. Chez Egan, les hommes eux-mêmes font choix de la meilleure évolution dans les possibles d'une superposition quantique, des mondes futurs parallèles en quelque sorte. La réalité amplifiée a fourni une belle quincaillerie à la SF. C'est le journaliste de Greg Egan, dont nous avons parlé plus haut. Le routier dont le cerveau est directement relié à son panzer à coussins d'air, dans Câblé (1986), de Walter Jon

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Williams. Membres artificiels, implants biomécaniques, interfaces cerveauordinateur. Ce sont les hommes-plus, hybrides bardés de prolongations biologiques ou mécaniques, dont on ne sait plus s'ils sont encore des hommes ou déjà des machines. Comme les répliquants de Philip K. Dick, dans Blade Runner (1968), adapté par Ridley Scott au cinéma (1982). La réalité virtuelle, la téléprésence, la vision à distance. Là aussi, la SF exploite ou précède. Dans Neuromancien (1984), William Gibson met en place un réseau planétaire d'ordinateurs constituant un univers, le cyberespace, où existe la vie, où l'on peut plonger, d'où l'on peut ne pas revenir. C'est l'image forte de cet enragé de l'ordinateur, directement pluggé à la machine, dont les fonctions physiologiques subsistent dans son corps physique mais dont la vraie vie n'existe que dans le cyberespace. Jean-Michel Truong décrit, dans Le Successeur de pierre (1995), une société où chacun reste dans son cocon et ne communique avec l'extérieur que par le réseau, le web, via des reproductions virtuelles qui bougent dans le cyberespace jusqu'à pouvoir rencontrer d'autres avatars. Avec Idoru (1996), William Gibson donne un rôle d'héroïne à une star de la chanson totalement artificielle, créée dans la web et par le web. Le film Matrix (1999) des frères Wachovsky pousse cette idée encore plus loin puisque les machines ont pris le monde en mains, si l'on ose dire, en occultant la réalité triste et polluée de la surface de la Terre et en emplissant chaque être humain d'une réalité virtuelle qui fait leur vie de tous les jours, dans le but de se nourrir de l'énergie produite par les humains. Daniel Galouye, dans Simulacron 3 (1964), imaginait d'ailleurs que la Terre n'était qu'un vidéo game pour des êtres supérieurs. Le plus connu des thèmes de la SF, c'est sans doute l'espace. Là aussi, elle a rêvé sur la science. Jules Verne évidemment, et Herbert George Wells, avec leurs voyages vers la Lune. Dès 1895, Konstantin Tsiolkovsky, le père de l'aéronautique soviétique, imaginait de construire un “château” orbital au bout d'un câble à une distance de 35.800 km de la Terre ; on accèderait par le câble à cette station spatiale libérée de la pesanteur. Cette idée d'ascenseur spatial a germé dans l'humus fertile de la science-fiction. C'est Arthur C. Clarke avec Les Fontaines du paradis (1979) ou Charles Sheffield avec La Toile entre les mondes (1979). Depuis, la Nasa a réalisé plusieurs études à ce sujet, l'Agence spatiale européenne (ESA) aussi, et des ingénieurs planchent sur les composés de carbone qui seraient le matériau de ce câble.

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Dans sa fameuse trilogie martienne (Mars la rouge, Mars la verte, Mars la bleue, 1993-97), Kim Stanley Robinson en construit un pour accéder facilement à Mars. Les idées de science-fiction sont d'ailleurs tellement riches en matière de technologie spatiale (voiles solaires, sphères de Dyson, terraformation, propulsion ionique, etc.) que l'ESA a chargé, il y a quatre ans, la Maison d'ailleurs (le musée de la science-fiction d'Yverdon) et la Fondation Ours, tous deux en Suisse, d'une étude rassemblant les plus belles idées de science-fiction à ce sujet, pour alimenter l'imagination des ingénieurs spatiaux et ouvrir des horizons scientifiques. Une belle chasse à l'imaginaire.

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SITES La Maison d'ailleurs : www.ailleurs.ch La Fondation Ours : www.ours.cITSF > www.itsf.org BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE : LA SCIENCE FICTION CONTEMPORAINE Science-fiction - Intuitions et fantasmes, RDT Info, magazine de la recherche européenne, mars 2004. Etude ITSF (Innovative Technologies from Science Fiction for Space Applications) menée par l'ESA. Une synthèse sur le site: www.itsf.org. Think big - ingéniérie cosmique et mégastructures, Mario Tessier, dans “Solaris” n°142, été 2002. Préface de Gérard Klein à L'échelle de Darwin de Greg Bear, Livre de poche, 2005. Intelligence artificielle et science-fiction, Michel Nachez, conférence au 3e congrès européen des sciences de l'homme et société, Paris, 2002. A lire sur www.nachez.fr.

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Vue extérieure du cylindre d’O’Neill © NASA Ames Research Center AC75-1921

“La Terre est le berceau de l'humanité, mais on ne passe pas toute sa vie dans un berceau.

Konstantin Tsiolkovski

De la Terre à la Lune, Trajet direct en 93 heures 20 minutes, Ed. Hetzel, 1865, Gravure sur bois de A. Pannemaker © Bibliothèques Amiens Métropole


Habiter l’espace Claude Semay, Chercheur qualifié FNRS, Université de Mons-Hainaut

Un peu plus d'un siècle après la parution, en 1865, du célèbre roman de Jules Verne De la Terre à la Lune, un homme mettait pour la première fois le pied sur notre satellite. Cela se passait le 21 juillet 1969. Un an auparavant, Stanley Kubrick nous enchantait avec son film 2001 : L'Odyssée de l'espace. C'était alors l'époque des rêves les plus fous de la conquête spatiale. Personne ne doutait qu'on irait bientôt sur Mars, qu'une base permanente serait construite sur la Lune, et qu'une grande station orbitale annulaire servirait de relais aux fusées pour des missions interplanétaires lointaines. Certes, il a fallu déchanter. En lieu et place d'une base lunaire, nous devons nous contenter des “restes” des missions Apollo. La station spatiale internationale n'est que bien peu de chose par rapport à la magnifique “roue” que Wernher von Braun projetait de placer en orbite terrestre. Quant à une mission habitée au-delà de Mars, aucune agence spatiale n'ose l'envisager, même dans ses projets lointains. L'espoir de voir l'homme prendre son véritable envol vers l'espace n'est pourtant pas mort. Mais, le pragmatisme a pris le pas sur la poésie. Les progrès en matière spatiale sont lents car les problèmes technologiques sont souvent très ardus. De plus, il ne faut pas se le cacher, l'espace coûte cher, très cher. Certains visionnaires l'ont cependant bien compris : l'avenir de l'homme se trouve dans l'espace. Ce milieu est riche en ressources; énergie solaire et matières premières météoritiques y sont disponibles en abondance. A priori si hostile à la vie, l'espace ne demande pourtant qu'à se laisser domestiquer pour permettre à l'humanité un essor comme elle n'en a jamais connu. Telle est la vision du physicien Gerard K. O'Neill qui, dans son livre The High Frontier publié en 1977, développe l'idée que l'homme s'installera un jour de manière permanente dans l'espace. Mais pour que cela soit possible, il faut reconstituer sur place une pesanteur normale, un cycle diurne et nocturne de 24 heures, et un environnement aussi proche que possible de notre biosphère. La solution la mieux adaptée à toutes ces contraintes a été proposée par O'Neill : la construction d'un gigantesque cylindre, animé d'un mouvement de rotation autour de son axe pour créer une sensation de pesanteur sur sa paroi interne.

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Celle-ci est divisée dans le sens de la longueur en six sections d'égale surface : trois zones habitables séparées par des verrières équipées de miroirs, envoyant les rayons du Soleil à l'intérieur de la colonie. L'épaisse coque protège efficacement les occupants des météorites et des rayons cosmiques. Les calculs de résistance des matériaux montrent qu'il est possible de fabriquer, avec la technologie actuelle, une colonie de plus de 300 km2 de surface habitable, capable d'abriter confortablement une population d'au moins 100.000 habitants. Avec de telles dimensions, les parois intérieures sont tapissées de plaines, de forêts, de rivières et de lacs, voire même de petites montagnes. Plusieurs agglomérations y tiennent à l'aise, au milieu d'un paysage naturel parfaitement reconstitué. Les activités agricoles, quant à elles, se déroulent dans des modules séparés du grand cylindre. Évidemment, le premier cylindre sera de taille plus petite. La plupart des matériaux de construction viendront de la Lune, à l'exception de certains éléments comme l'eau ou l'oxygène qui seront importés de la Terre. Même de taille “modeste”, la première colonie aura un coût “astronomique”. Les cylindres suivants seront cependant assemblés par les habitants de la première colonie, à partir de matériaux prélevés directement dans l'espace sur des astéroïdes ou des comètes. Selon O'Neill, l'homme s'installera dans l'espace pour plusieurs raisons, et d'abord dans l'intérêt de la Terre. De gigantesques panneaux solaires, directement construits dans l'espace à partir de matériaux spatiaux, fourniront de l'électricité qui sera transmise au sol sous forme de micro-ondes. De fabuleuses quantités de minéraux vitaux pourront être facilement extraites des astéroïdes proches de la Terre. Des activités industrielles dangereuses et polluantes trouveront naturellement leur place en orbite. Mais finalement, le but ultime de cette entreprise sera de fonder dans l'espace des sociétés nouvelles et dynamiques, indépendantes des gouvernements terrestres, réalisant enfin le rêve des utopistes. On peut trouver ce dernier raisonnement naïf et penser qu'un effort général en vue d'améliorer notre mode de vie pourrait être conduit sur Terre. Force est de constater que, dans l'état actuel du monde, ce projet social est probablement encore plus utopique que les projets de colonisation de l'espace.

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Que penser d'une telle entreprise - que penserait un homme des cavernes à qui on décrirait notre civilisation du XXIe siècle ? Mais faisons un rêve, encore plus audacieux que celui décrit par Jules Verne dans son roman Hector Servadac. Dans un lointain futur, on peut imaginer que des hommes ayant vécu toute leur vie dans l'espace n'auront plus que peu d'attaches avec la Terre. Certaines des colonies spatiales pourront alors s'équiper de puissants moteurs thermonucléaires pour s'arracher à l'emprise du Soleil et voguer vers les étoiles lointaines. Après des siècles de voyage dans l'espace interstellaire, les colons s'approvisionneront en matières premières auprès des comètes du nouveau système solaire qu'ils viendront d'atteindre. Une fois leur arche remise à neuf, les voyageurs pourront s'élancer à la découverte de nouveaux mondes qui seront autant d'étapes de leur voyage sans fin. Des humanités, isolées les unes des autres par des milliers d'années-lumière, vivant dans des multitudes d'environnements aux quatre coins de la Galaxie, connaîtrontelles alors des évolutions différentes au point que, comme le suggère le physicien Freeman Dyson, l'espèce humaine ne sera plus unique ? Seul l'avenir apportera la réponse…

BIBLIOGRAPHIE : L'ESPACE - Nicolas Prantzos, Voyages dans le futur : l'aventure cosmique de l'humanité, 1998. - Gerard K. O'Neill, The colonization of space, Physics Today, septembre 1974, p. 32-40. - Gerard K. O'Neill, The High Frontier, Human Colonies in Space, Apogee Books, 3e éd., 2000. - John S. Lewis, Mining the Sky, Helix Books, 1996. - A. R. Martin édit., Special issue on world ships, Journal of the British Interplanetary Society, vol. 37, n° 6, juin 1984. - Ben R. Finney et Eric M. Jones édit., Interstellar Migration and the Human Experience, University of California Press, 1985. - Gregory Matloff, Deep-Space Probes, Springer/Praxis, 2000. - M. G. De San, “The ultimate destiny of an intelligent species - everlasting nomadic life in the Galaxy, Journal of the British Interplanetary Society, vol. 34, 1981, p. 219-237. - Freeman Dyson, Infinite in All Directions, Penguin Books, 1990.

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Microscope, Collection Ministère de la Communauté française

“ Les assembleurs moléculaires apporteront une révolution sans précédent depuis l'apparition des ribosomes, les assembleurs primitifs de la cellule. La nanotechnologie qui en résultera peut aider la vie à se répandre au-delà de la terre - une étape sans précédent depuis que la vie s'est répandue au-delà des mers. Elle peut aider l'esprit à émerger des machines, - une étape sans précédent depuis l'émergence de l'esprit chez les primates. Et elle peut conduire nos esprits à renouveler et reconstruire nos corps, - une étape sans aucun précédent.

Éric Drexler

Autour de la Lune, Ed. Hetzel, 1870, Illustration d’Émile Bayard. © Bibliothèques Amiens Métropole


Les nanotechnologies ou le rêve de Feynman Michel Wautelet, Professeur à l'Université de Mons-Hainaut Johnny Robert, Assistant de recherche à l'Université de Mons-Hainaut

À l'époque de Jules Verne, nul ne sait que la matière est constituée d'atomes, lesquels sont faits d'un noyau entouré d'électrons. Ce n'est que plusieurs années après le décès de Verne que la composition de la matière est déterminée. Dans les années 1960, il se trouve encore des scientifiques éminents pour prétendre que les électrons n'existent pas, qu'ils ne sont qu'un concept permettant d'expliquer certaines propriétés de la matière. Heureusement, la plupart des scientifiques de l'époque ne sont pas de cet avis. En 1958, le physicien Richard Feynman (futur prix Nobel) prononce une conférence devant l'American Physical Society : “There's Plenty of Room at the Bottom”. Il imagine le chemin technologique pour écrire sur une tête d'épingle l'Encyclopedia Britannica. Il entrevoit notamment de meilleurs microscopes électroniques pour les biologistes, des procédés de gravures, des ordinateurs miniaturisés et finalement l'ultime capacité d'organiser les atomes à notre gré. A l'époque, il s'agit de science-fiction. Cette fiction commence à devenir réalité dans les années 1980. 1981 voit l'invention du microscope à effet tunnel. Cette invention vaut à ses créateurs, G.K. Binnig et H. Rohrer, d'IBM Zurich (CH), de recevoir le prix Nobel de Physique en 1986. Grâce à un effet quantique, l'effet tunnel, des électrons peuvent passer de la pointe à la surface. En déplaçant la pointe sur la surface de manière contrôlée, on parvient à “voir” les atomes à leur propre échelle. La dimension d'un atome est de l'ordre du dixième de nanomètre. Une étape supplémentaire est franchie en 1990, lorsque D. Eigler et E. Schweizer réussissent à déplacer des atomes de xénon un à un et à les arranger sur une surface de nickel pour dessiner le sigle IBM. Il devient ainsi possible de manipuler la matière, atome par atome. C'est le point de départ d'un nouveau domaine d'activités : les nanotechnologies. A la même époque, la découverte de nouveaux matériaux vient contribuer à la motivation des chercheurs en nanotechnologies. En 1986, des chercheurs des universités de Tucson et Heidelberg découvrent des molécules composées de 60 atomes de carbone, avec une structure en ballon de football, où chaque atome est situé à l'intersection de trois coutures. Les atomes de carbone sont situés aux sommets de pentagones et d'hexagones. En 1966, cette découverte vaut le prix

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Nobel de Chimie à R. Smalley, H. Kroto et R. Curl. Par la suite, de nombreuses études démontrent les propriétés physiques et chimiques étonnantes de ces molécules et de quelques autres similaires, connues maintenant sous le terme de “fullerènes”. Un peu plus tard, en 1991, au Japon, S. Ijima détecte incidemment l'existence des “nanotubes de carbone”. Leur structure est celle d'un feuillet de graphite enroulé sur lui-même. Un tel tube ne mesure que 1,5 nm de diamètre, mais sa longueur peut atteindre plusieurs microns. On découvre que ces nanotubes de carbone présentent des propriétés électriques et mécaniques stupéfiantes. Ainsi, leur résistance mécanique est supérieure à celle de fils d'acier. Ces découvertes, et bien d'autres depuis, donnent lieu à maintes supputations. Même si beaucoup sont exagérées, elles ont permis de mettre en avant l'existence de nouveaux matériaux et de créer, dans l'esprit du public et des décideurs, un nouveau domaine d'intérêt : les nanotechnologies. Le champ des nanotechnologies est si vaste, les applications potentielles tellement étonnantes, que les imaginations se sont mises à échafauder des scénarios divers, du meilleur au pire. Nul doute que, s'il était encore là maintenant, Jules Verne s'en serait servi pour écrire de nouveaux romans. De plus, à l'échelle nanométrique, les propriétés de la matière sont différentes de celles de la matière ordinaire. Il y a là matière à imagination, à rêves, mais aussi à cauchemars. On sait, depuis 1990, comment manipuler la matière atome par atome. Aujourd'hui, on ne sait le faire que dans des cas bien particuliers, mais bien des extrapolations sont permises. Cela permettra(it) de fabriquer des molécules, des objets nanométriques aux propriétés particulières et nouvelles, désirées, localement. On pourrait fabriquer des nanosystèmes intelligents, des détecteurs locaux (au niveau de l'atome), des moteurs moléculaires… Mais ce qui attise le plus les imaginaires, c'est la rencontre des nanotechnologies, de l'informatique et de la biotechnologie. Au carrefour de ces savoirs et technologies, une conception de la vie est véhiculée, la condition matérielle du vivant et plus particulièrement de l'homme est interrogée. Depuis quelques décennies, l'homme n'habite plus le monde horloger des modernes tel une exception par son improbable complexité ; les sciences “exactes”, rebaptisées en chemin “dures”, le placent, avec la cosmologie, les

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évolutions de la thermodynamique, au centre de l'histoire de la matière dont les processus locaux de complexification sont inéluctables. Cette créativité “naturelle” retrouvée inspire à présent les scientifiques qui cherchent à comprendre, ou tout au moins reproduire, les comportements organisationnels de systèmes vivants, dans la matière ou le logiciel. C'est évidemment avec les images mentales déposées par la pratique de ses outils, que l'homme s'imagine, conceptualise son ancrage dans la matière. Depuis la machine de Turing, machine universelle au comportement logique programmable (nos ordinateurs de bureau entre autres), le modèle dominant, car tant pratiqué, opère une séparation, un credo d'indépendance entre le calcul logique, logiciel, et le matériel. Le scientifique Drexler, diplômé du MIT, ne se départit pas de cette image dans son ouvrage sur les nanotechnologies, publié en 1986, Engine of Creation. Dans son livre, il s'appuie sur une nature ingénieuse pour montrer l'existence de machines moléculaires, composées de programmes (l'ADN), d'assembleurs (les ribosomes), de réplicateurs… toute une logique de composition qui visent des 'mêmes' : l'ADN fait des muscles et de la bouche et du cerveau pour reproduire de l'ADN. Drexler vient alors à étayer la faisabilité d'assembleurs universels, non réduits au monde des protéines et autres biomolécules observées, programmables, qui nous permettront de conduire le monde des atomes aux innombrables formes qu'autorisent les lois de la nature et non encore investies par la création. Et donc puisque la vie - entendez l'esprit ne résulte selon l'auteur que de l'agencement comportemental de nanocomposants en “mêmes”, voici venir l'ère des nanomachines, corps aux esprits nouveaux, alternative corporelle pour le destin de nos esprits incarnés, alternatives de reproduction pour une colonisation au-delà de notre habitat Terre. Indépendamment de la justesse du découpage conceptuel hérité de nos pratiques informatiques, sujet évidemment à de nombreuses critiques philosophiques et épistémologiques, voici dans cette vision le corps devenu chemin pour l'homme. Aussi, ne devrions-nous pas restaurer son énigme avant de l'emmener par science à l'abri de notre ignorance, destin combien funeste ?

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Récepteur téléphonique Collection Ministère de la Communauté française

© Aibo® de Sony

“Je m'arrêtai à contempler ce chef-d'œuvre, où l'on semblait avoir surpris les secrets de la création divine. C'est que nous avons ici, me dit-on, le feu primitif qui anima les premiers êtres…

Gérard de Nerval, Aurelia


Téléportations et métamorphoses chez les robots Frédéric Kaplan, Chercheur au Computer Science Laboratory, Paris

À quoi rêvent les constructeurs de robots aujourd'hui ? Frédéric Kaplan, chercheur au Sony Computer Science Laboratory à Paris, travaille depuis une dizaine d'années à la conception de nouveaux prototypes de robots capables d'apprendre et de découvrir leur environnement un peu à la manière d'un jeune animal. Dans ce texte, il décrit des perspectives technologiques inédites liées à l'arrivée de ces nouvelles machines : des robots capables de se téléporter, de se métamorphoser et de s'incarner dans des corps différents selon les moments... “Les robots de loisir se présentent aujourd'hui sous des formes diverses. À côté des robots quadrupèdes qui rappellent des morphologies félines ou canines, les magasins accueillent déjà dans leur arche de Noé des robots tortues, kangourous, singes, serpents, tapirs, fourmis, poissons ou méduses. Même si les machines inspirées par les formes du monde animal restent les plus nombreuses, certains laboratoires travaillent aussi sur des robots qui ne ressemblent à rien de connu : plantes extraterrestres, meubles qui “respirent” et qui s'adaptent à leur environnement. La variété des formes, des senseurs et des modes de locomotion, est potentiellement immense. Certains robots volent à la manière de petits zeppelins, d'autres utilisent des nez artificiels pour sentir les odeurs de leur environnement. Chaque nouvelle créature, membre d'un zoo utopique qui d'année en année s'enrichit de nouvelles espèces, questionne de manière différente notre perception du vivant. Mais l'espèce qui suscite le plus d'espoirs et de craintes est sans doute celle des premiers robots humanoïdes. Plusieurs constructeurs ont déjà présenté leurs prototypes. À chaque nouvelle saison, leur marche devient plus assurée. Ils dansent, courent, montent et descendent les escaliers, saisissent les objets et se relèvent lorsqu'ils tombent. Plus que tout autre, ces machines à forme humaine sont troublantes. L'interaction avec elles peut se faire selon des modalités très proches de celles que nous utilisons dans nos échanges entre humains. Nous lisons dans leurs gestes comme dans ceux de nos congénères. Pourtant, ce n'est pas dans cette multiplication des corps que réside la profonde originalité de ces entités. Une fois l'illusion des premiers temps passée, nous serons forcés de nous rendre à l'évidence : ces nouvelles créatures qui cohabiteront peutêtre avec nos compagnons vivants ne sont pas faites du même bois. Elles sont d'un genre profondément différent. [...]

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Dans les années 1950, Norbert Wiener introduit une créature surnaturelle dans le monde de la technologie : l'être informationnel. Pour le cybernéticien, ce qui compte chez un animal ou une machine, c'est sa structure. Cette structure est plus importante que le support matériel qui l'accueille. Seule son organisation compte. Pour cette raison, Wiener envisageait même de pouvoir un jour télégraphier un être humain. Les robots que nous construisons aujourd'hui peuvent être décrits comme la combinaison d'une structure matérielle mécanique, le corps, et d'un logiciel qui assure le contrôle de ce corps. […]. Ce sont des ordinateurs sur pattes. Or ce qu'il y a de singulier dans cette séparation technologique, c'est qu'il est en théorie possible de prendre le logiciel, la créature informationnelle qui contrôle un corps, et de le transférer dans un nouveau corps robotique. Dans le cas général, le logiciel sera incapable de contrôler le nouveau corps dans lequel il est introduit, mais, si les corps sont compatibles, d'intéressantes applications peuvent être envisagées. […] La téléportation entre deux corps robotiques identiques ne pose que peu de problèmes techniques, mais pourrait-on envisager qu'une créature informationnelle puisse s'incarner dans un corps différent de celui dont elle est issue ? Imaginons par exemple que la créature qui d'ordinaire vit dans mon robot puisse prendre place sur une plate-forme beaucoup plus mobile, comme un appareil photo numérique ou un assistant personnel muni d'une petite caméra. Je parlerais dans ce cas d'une métamorphose. La difficulté principale dans une telle métamorphose est de continuer à pouvoir utiliser une partie des compétences développées dans un corps différent. Gregor Samsa, le personnage de Kafka, transformé en monstrueux insecte, en fait la douloureuse expérience. […] Il est donc envisageable de construire des créatures capables de s'incarner successivement dans des corps de types différents, apprenant ainsi de nouvelles modalités de perception et d'action, mais gardant malgré tout leur intégrité historique. Une telle créature peut suivre son maître au travail ou dans sa voiture, dans le métro, se transformant à chaque fois dans le corps le plus approprié. Il est également possible d'envisager d'interagir avec elle sous la forme de personnages virtuels dans des jeux vidéos. Au fil de ses aventures dans des univers imaginaires, la créature continue à apprendre et dans la mesure du possible réutilise ses

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compétences lorsqu'elle retourne s'incarner dans le monde matériel. Le robot de loisir est donc bien autre chose qu'un compagnon de plus dans la maison. Il est d'une autre nature, capable de sortir de son corps, de se téléporter et de se métamorphoser. Cette nature duale aura sans doute des conséquences étonnantes pour son apprentissage et son évolution. Changer de corps n'est pas anodin. Peut-être verra-t-on apparaître certaines tares comportementales liées à des séquences de métamorphoses inappropriées ? Dans tous les cas, des perspectives intéressantes s'ouvrent pour ces créatures étranges, ces anges technologiques d'un genre nouveau.”

Extrait de “Les Machines apprivoisées : Comprendre les robots de loisir ”, Vuibert, 2005

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“Pour redonner à la culture le caractère véritablement général qu'elle a perdu, il faut pouvoir réintroduire en elle la conscience de la nature des machines, de leurs relations mutuelles et de leurs relations avec l'homme, et des valeurs impliquées dans ces relations.

Gilbert Simondon, Du mode d'existence des objets techniques

Télégraphe de Bréguet (récepteur) Collection du Ministère de la Communauté française

Michel Strogoff, “Le poste télégraphique est envahi par des soldats tartares”, Ed. Hetzel, 1876, Illustration de Jules Frérot. © Bibliothèques Amiens Métropole


Avatars et autres extensions Alok B. Nandi, Artiste-chercheur

Les impacts et les implications des sciences et des technologies sur la société, dans la société, sont difficiles à décoder : des amorces, des points d'ancrage permettront de baliser les territoires des “nouvelles” technologies qui se “révèlent” pendant qu'on les parcourt (révélation au sens photographique et chimique du terme : voir une image se dévoiler - rapidement ou lentement - reste toujours fascinant). Y importe la notion d'émergence : lire le monde pendant que celui-ci se fait. Est-ce une utopie ? Les explorations aujourd'hui dans ces terrains émergents, entre sciences et sociétés, requièrent une transversalité, une multidisciplinarité, de multiples dimensions qui imposent de se chercher, de se trouver des axes de lecture du monde qui nous entoure. Dans le cadre de Savoir rêver, savoirs rêvés, ceci nous ramène à l'interrogation : quelles découvertes pour quels rêves ? Les passeurs qui dévoileront les clés de lecture seront les avatars. D'anecdotes en artifices, de paradoxes en articulations, un voyage aujourd'hui ne couvre pas que la terre, que la mer, que l'espace à la Jules Verne au XIXe siècle; on s'enfonce dans le “non-visible”, le perceptible, le cognitif, le social. Le concept d'avatar dans un contexte lié à Jules Verne peut surprendre. Ces avatars proposent de nouvelles relations, de pertinentes réincarnations entre techniques et voyages extraordinaires. De la somme couverte par l'écrivain, un de ses premiers écrits, et pourtant dernier ouvrage exhumé, Paris au XXe siècle, retrouvé en 1994 seulement, soutient le côté visionnaire, tant par ses descriptions des moyens de transport, par la place des arts et de la littérature, et jusqu'à la mention des pianos électriques mis en réseau. L'écrivain, en 1863, nous parle de Paris en 1960, avec une pléthore de détails sur les comportements sociaux qu'il prévoyait. On pourrait en citer une longue liste. Parlons plutôt de quelques anecdotes d'aujourd'hui, incitant à des réflexions “à la Jules Verne”. Ainsi, un quotidien en juin 2005 nous parle du “chien qui répond” en Corée : le téléphone portable interprète les aboiements d'un chien et les transforme en langage humain et inversement, transforme les paroles du propriétaire en sons compréhensibles pour l'animal. Les sons de cinquante-cinq races canines ont été analysés et permettront de générer des SMS disant “Je t'aime”, “Tristesse”,… Ce même journal mentionne des braqueurs d'une bijouterie à Belfast qui ont été aspergés d'une “eau intelligente” contenant un composé

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chimique unique, qui permettra de prouver leur culpabilité. Enfin, depuis janvier 2005, plus de sept millions d'Américains ont un souci commun : leur “identité” a été volée. Une caisse de bandes électroniques contenant leurs noms avec les informations bancaires et de sécurité sociale a été égarée. Malgré les dix cas similaires cette année, il ne s'agit pas d'un phénomène nouveau. Une nouvelle loi californienne impose, aux sociétés perdant l'information, d'alerter leurs clients. La crédibilité financière et sociale se vend dans les marchés clandestins, sur Internet …” Les exemples cités supra nous dévoilent en fait des territoires fascinants à parcourir, espaces aux incarnations multiples, nécessitant des avatars spécifiques, afin de les appréhender au mieux : - les interactions entre humain, machine, vivant - l'intelligence distribuée, contextuelle (ubiquitous computing) ou la matière intelligente - l'intelligence collective, l'espace des “communs”, l'éthique pour le collectif - les relations entre technologies, perception et religion “L'état de la question” se complexifie lorsqu'on sait que tous ces terrains de recherche, de réflexion, de pratique s'entremêlent. Et rêver des perspectives s'avère périlleux. Dans un monde hybride, où humains, animaux et machines se meuvent dans tous les sens, au sens propre comme au sens figuré, dans des espaces de réalités et de virtualités mixtes ou augmentées, en ces temps qui se rétrécissent pour une productivité où l'ubiquité est permanente, le savoir peut être rêvé, en symbiose avec des moments de poésie. Les avatars nous offrent une clé de lecture, une interface efficace, intemporelle. Quant aux perspectives rêvées, certaines commencent à être réalités. Une “société de la connaissance” émerge, et ce grâce à un facteur vital : le réseau Internet. Il permet le partage de connaissance (web). Il permet le dialogue, que ce soit synchrone (skype, instant messaging) ou asynchrone (e-mail). Il permet la création concertée de connaissance (wikipedia). Il nous fait tendre vers le film Matrix, un moment clé vers de nombreux rêves : “Trinity devait piloter un hélicoptère et Néo demanda, "Sais-tu comment faire voler ce machin ?" et elle répondit, "Pas encore..."? Elle donna un coup de fil et ce fut réglé. La connaissance avait directement été chargée dans son cerveau.”

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Rêve ou cauchemar dans la Matrice ? L'extrapolation est un exercice particulièrement difficile, lorsque la toile (web) y est impliquée et que la connaissance est distribuée. Une invention militaire (le réseau ARPANET) permet aujourd'hui à des sans-voix de s'exprimer comme il permet à des terroristes de collaborer pour frapper de manière imprévisible. Les implications oscillent entre des valeurs tantôt positives, tantôt négatives, en fonction de l'évolution du contexte qui, dans la saturation des médias et des canaux d'accès à l'information, crée des masses polarisées, caricaturales. Le pendule médiatique oscille en “temps réel” alors que de nombreux changements semblent imperceptibles. Inutile d'extrapoler. On y est déjà, sans le savoir, sans le lire, sans que cela se révèle. Le voyage extraordinaire d'aujourd'hui et de demain est de trouver l'avatar qui correspond, le média pertinent, avec l'esprit critique plus que jamais aiguisé. Et, pour ce faire, connaître les histoires du passé devrait aider, connaître les histoires de Jules Verne devrait encore faire rêver et révéler des vocations. Les avatars s'occuperont des extensions, des mutations, des métamorphoses …

Le terme d'avatar vient du sanskrit avat_ra, littéralement “descente” (du radical tar-, “traverser” - même radical indo-européen que l'on trouve dans le latin terminus - préfixé par ava-, “de haut en bas”). Dans l'hindouisme, l'avat_ra est la descente d'un dieu sur terre, c'est-à-dire son incarnation provisoire dans un corps. De son sens de descente de dieu sur terre, dans l'hindouisme, le terme avatar est passé en français au XIXe siècle pour signifier “transformation, métamorphose”. Par contresens, il est parfois employé dans l'acception de “mésaventure”. Avatar a connu un nouvel élan grâce au jargon informatique, où il désigne l'apparence que prend un internaute dans un univers virtuel voire dans des forums de discussion. Il est, là, bien plus proche de son sens originel. Choisi par l'utilisateur lui-même (dans une liste, par exemple), l'avatar le représentant apparaît à chaque fois que celui-ci se connecte à un univers virtuel ou écrit un message dans un forum, afin qu'on l'identifie visuellement. > Sur base de l'encyclopédie en ligne Wikipedia, accédée le 18 juin 2005

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ne sommes pas “ Nous en train de parler des multiples solutions de remplacement d'un monde réel mais de la multiplicité des mondes réels.

Nelson Goodman, Manières de faire des mondes.

Los Marevillas del fonds del mar, d’après Vingt mille Lieues sous les mers, d’après A. Figuer. Série d’images publicitaires, chromomitohographie, vers 1900 © Bibliothèques Amiens Métropole

Octopus vulgaris Collection du Ministère de la Communauté française


Art au vivant Louis Bec, Zoosystémicien

Le vivant est. Le vivant communique. Il se transforme et s'invente dans et par son propre langage. Le code génétique devient chair. Ainsi, les artéfacts de la représentation du vivant font place à sa présence, exigeante et manifeste. Par ce retournement, le vivant se constitue en matière expressive à part entière. Il se déleste des contraintes abusives d'une logique physico-chimique abstraite, des modes de représentations de substitution et de lourds héritages métaphysiques. Une “bio-logique” devient possible. Cette bio-logique ne se constitue pas seulement à partir des connaissances scientifiques, ni du seul fait du travail des biologistes ou des généticiens, de ses concepts, de ses mesures, de ses méthodes, de ses modèles… Elle se constitue parce que le vivant tend à s'imposer comme sujet matériel qui traite de lui-même, au-delà des représentations et des catégories scientifiques et artistiques courantes. Si bien que toute recherche se construit comme une expression et que toute expression se construit comme une recherche, à travers des méthodes composites et des réalisations hybrides. Cette bio-logique est concevable, parce que le discours même du vivant, en tant qu'il se définit comme une activité rendue autonome par son système de régulation interne et par les relations interactives et cognitives qu'il entretient avec le milieu, le révèle comme une entité agissante, ayant une intentionnalité expérimentale, distincte de l'artificiel inerte. Si cette bio-logique devient effective, il est réaliste qu'elle génère des pratiques heuristiques, concrètes et déclaratives et qu'elle procure au vivant, l'art de la manipulation des processus comme outil efficace de transgression, d'exploration et d'auto-transformation. C'est pourquoi, l'affirmation de cette nouvelle condition du vivant est explosive. — 59 —


Surtout lorsque les pratiques artistiques et biologiques convergent pour créer les nouvelles conditions d'un vivant tel qu'il pourrait être ou tel qu'il sera. Les redéfinitions du vivant que le vivant engendre à travers les biotechnologies, la génétique, la transgénèse, le clonage, les cultures d'organes, de tissus, les xénogreffes, les machines biologiques, ouvrent cet espace inconnu et dangereux dont chacune des productions devient un révélateur vertigineux et terrorisant. Un “Art au Vivant” s'est élaboré depuis la nuit des temps, à partir de la pratique de l'élevage et de la domestication, basée sur la modification intentionnelle de certaines espèces d'animaux en annonçant déjà les débuts du forçage de l'évolution. La domestication a introduit progressivement les manipulations reproductives des espèces et leurs améliorations par croisement des races, puis par insémination artificielle. Elle a montré que toute intervention dans les processus métaboliques du vivant peut être considérée comme un acte générateur de formes nouvelles , d'espèces nouvelles et de comportements nouveaux. Allant du pilotage des processus naturels jusqu'aux manipulations intentionnelles des mécanismes de la transmission héréditaire, jouant sur des aspects morphologiques, chromatiques et comportementaux, visant la variété dans la variation, l'art de la manipulation a agi et agit de façon similaire à tout type de production artistique et devrait tout “naturellement” s'inscrire dans un champ culturel élargi. Or, si la représentation de l'animalité occupe une place déterminante et fantasmatique dans l'art et les cultures de toutes les civilisations, les manipulations visant à la transformation “harmonieuse” du vivant et à son adaptation, se sont poursuivies parallèlement dans le seul cadre de l'agriculture et non de la culture. Cependant, certains courants de l'art contemporain n'ont pas hésité à introduire, ces dernières années, des animaux dans des installations, des chorégraphies, des mises en scène théâtrales et plus récemment dans des dispositifs technologiques interactifs, déléguant à ces animaux des libertés d'intervention aléatoires ou de créations dirigées à partir de leurs comportements. Un grand nombre d'activités artistiques trouvent des relais de création et des modes d'expression dans les domaines de la zoologie, de la botanique, de l'écologie,

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de l'éthologie, de la robotique comportementale, de la vie artificielle et de la bioinformatique à travers certaines formes d'interactivité “anima /machine“. L'art biotechnologique en intervenant, directement dans la syntaxe génomique du vivant, voudrait produire, avec l'aide des généticiens, des “construits ” c'est-à-dire des organismes vivants transformés génétiquement, répondant à un cahier des charges précis et à des objectifs poïétiques ambitieux . Un pas décisif est en train d'être franchi, la technofacture du vivant, la transgénèse, les arts biotechnologiques s'introduisent dans le camp culturel et dans les lieux authentificateurs de l'art. Cette sortie des laboratoires des activités transgéniques en direction du grand public, pose de réelles interrogations éthiques et esthétiques. Elles débordent largement le cadre des censures artistiques et des interdits scientifiques et ouvrent une série de questions sur le développement futur de la société humaine. Les pouvoirs médiatiques, qui s'en emparent, en déforment le sens et la teneur par des propos sensationnalistes et amplifient les inquiétudes latentes.

Art au Vivant : terme générique qui associe les pratiques artistiques et scientifiques qui utilisent la matière du vivant à des fins d'expression. Ce qui signifie qu'il existe un art qui appartient au vivant, qui est fait de la matière du vivant. Comprenant des végétaux et des animaux, peuplement d'espace et biodiversité. Kounelis avec Beuys a été un des premiers artistes à exposer des formes vivantes dans une galerie. Graz : Animal Art Steirischer herbst 87 Artistes : Marina Abramovic, Terry Allen, Eric Bainbridge, Luis Benedit, Beuys, John Billingsley, Ian Breakwell, Helen Chadwick, Kate Graig, Stefan Demary, Hubert Duprat, Valie Export, Werner Fenz, Lili Fischer, Terry Fox, Hans Haacke, Felix Hess, Jannis Kounellis, Tony Labat, Mark Thompson, Elke Town.... Techboteratogènes : nom donné aux animaux transgéniques qui sont élaborés génétiquement selon un programme d'expérimentation. Alba : lapine transgénique réalisée par Edouardo Kac et Louis Marie Houdebine dans le cadre d'AVIGNonumérique (juin 2000), a été censuré pour des raisons diverses, dont l'une pourrait être liée au lobbying des éleveurs de lapin.

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Le village aérien Ed. Hetzel, 1901, Illustration de Georges Roux. © Bibliothèques Amiens Métropole

Sextant Collection Ministère de la Communauté française

“ L’imaginaire est ce qui tend à devenir réel. André Breton


Science et imaginaire Johnny Robert, Philosophe, mathématicien, informaticien

IMAGINAIRE ET RÉEL Science et imaginaire nous évoquent d'emblée des mondes distincts. Au scientifique, créateur de théories, de modèles, d'analyses, de concepts, d'instruments, d'expérimentations, de simulations, nous ne pouvons certes refuser l'ingéniosité. Toutefois, nous avons peine à lui reconnaître l'imagination qui auréole l'artiste. Chez l'un, tout concourt à une quête de conformité avec le monde où se tient le corps du chercheur, tout est outil au service d'une tentative d'invasion de la matière où se réfléchit notre existence corporelle. Chez l'autre, l'œuvre tente d'ouvrir un ailleurs étranger au réel habité, fenêtre ouverte dans le monde fermé de nos répétitions, de nos évidences. Pourtant, si nous adoptons un point de vue évolutionniste, celui de la genèse de notre humanité, nous remarquons que l'avènement d'un imaginaire comme lieu rêvé où se joue l'aventure de nos craintes et désirs constitue la condition préalable d'une rencontre avec le réel. Peu importe son statut, collectif ou individuel, chimie de nos cerveaux ou autre, l'imagination partage l'histoire de nos corps, est concomitante à notre humanisation. A titre d'exemple, nous ne nous serions pas dits glaise modelée de Dieu, si nous n'étions devenus au préalable cultivateurs, charrieurs de glaise, artisans potier de surcroît. Le fabriquant d'outils que nous sommes n'a cessé de rendre compte de son existence corporelle qu'à travers les images déposées par la pratique de techniques, artistiques et scientifiques. Ces techniques au travail, prolongements d'une main, matérielle ou virtuelle, plissent une chair, y inscrivent les croyances, le poids des valeurs, les forces de convictions, les exercices de justifications - l'écriture pour autre exemple et la justification par le texte. Avant de rêver, je propose donc une excursion en cet imaginaire, tissu de nos corps, appelé rationnel pour s'être conformé au réel de nos membres jusqu'à l'accord de l'évidence. DE L'IMAGINAIRE RATIONNEL Interrogeons d'abord l'animal pensant. Avant même d'être doté d'une oralité élaborée, s'est tissé en la chair de notre primate un sens du réel, un accord avec le pluriel, propice et conforme au déplacement et à la préhension : le voir.

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Cet ancêtre de notre imaginaire, lieu de l'image, habitat de l'animal borné à un rayon d'action, tissu non raisonné de l'accord avec ses congénères, fut déchiré lorsque l'animal jeté dans l'humanité éprouva la dualité de sa chair, se vit et se dit deux. L'irruption de la conscience, nouée au langage, déchire le tissu du visible, le monde s'étend au-delà de la préhension ; un vide, un lointain se montre d'une nature étrangère à l'habitat désormais perdu. Le poids des valeurs se distribue, l'homme repousse le nouveau à l'endroit d'un vide, débordement soudain d'un visible sur le monde de la préhension. Il se presse d'évacuer cet écart sans image, son retard d'imagination pour revenir à l'expérience confortante d'un voir parcouru de la main, à la mesure de la promenade du corps, configuration d'un recouvrement de l'espace de la préhension sur le visible qui lui apporte conviction. Prenons à présent l'avènement des sciences de la Modernité Bruno (1548-1600) s'autorise de fendre les orbes emboîtés, sublunaire et céleste, autour de notre habitat. L'aventure transgresse et restaure. L'orbe terrestre est fendu, mais le vide ouvert est immédiatement fermé par cette course rêvée avec l'aventure du corps qui restaure en l'imaginaire le recouvrement du monde des déplacements et du visible, délogement d'une croyance et restauration du pli animal d'autrefois, propice à recueillir l'image de l'espace isotrope en tout point des géomètres grecs. Galilée (1564-1642) avance que la nature parle les mathématiques, une langue en fait étrangère à l'oralité, qui ne se parle pas, tout entière inscrite dans un imaginaire qui vise à couvrir par le calcul, aventure d'une main virtuelle, l'étendue visible. Une discipline qui se joue dans un univers hérité de l'accord du passé, libre de la confrontation au monde physique, un rêve, une contemplation, une spéculation. Descartes (1596-1650) se réfugie solitaire dans son poêle, introduit un doute méthodique sur les sens, cherche l'être de son existence dans une pensée pure, qui ne se mêle pas à l'altérité du monde, à l'accord pluriel ; il s'éprouve existant tout entier dans la lumière de son imaginaire, se défend de lâcher une idée claire et distincte sans tenir la suivante. Ici encore le raisonnement se tient dans la lumière, aucun débordement du visible sur le calcul n'est autorisé. De se tenir en ce lieu d'autrefois, élevé au rang du Dieu Raison, dynamise une si forte conviction qu'il en vient à énoncer : je pense, donc je suis. — 64 —


Huygens (1629-1695), dans la veine de l'idéalisme cartésien, construira sa théorie des chocs par une expérimentation mentale dans l'imaginaire d'un lieu isotrope et tirera ses lois des propriétés de symétrie de l'espace et des événements mis en scène. Et il conclut : si l'expérience venait à montrer le contraire, c'est encore à la Raison qu'il faudrait s'en remettre. Newton (1642-1727) va ouvrir avec un succès immédiat, fait sans précédent, l'imaginaire rationnel lové dans les plis de la chair de l'animal pensant. Avec les lois de la dynamique et de la gravitation, le calcul infinitésimal et l'expérimentation, un monde rêvé, où se jouent les mathématiques et la mise en scène de l'expérimentation, réunit le mouvement des astres, monde de l'Eternel, et la chute des corps du monde sublunaire des mortels. Et Dieu dit : Que la lumière soit ! Et Newton fut. Le calcul des mouvements, préhension pour la main virtuelle de la Raison, couvre à présent tout le visible dans un accord de conformité avec le réel articulé par l'observation et la mesure expérimentale. Une croyance est délogée, le corps de l'homme s'est transformé pour exercer une pratique de raison. L'imaginaire rationnel réalise l'accord d'autrefois, le recouvrement de l'espace de la préhension sur le visible. D'avoir mis brièvement en perspective la mise en place des sciences d'une Modernité naissante sur fond du pli hérité en notre chair d'un écart du visible sur la préhension nous renvoie au corps charnel, inscrit dans l'histoire de la matière, des croyances qui président à nos pratiques de justifications. En cette période de postmodernité, les pratiques des techniques d'aujourd'hui, artistiques et scientifiques, combien prolifiques, plissent et déplissent une chair pour y nouer de nouvelles forces de convictions, lieu de croyances pour des exercices de justifications en mutation. Aurons-nous encore à nous convaincre que la lumière de nos rationalités supplante le croire, relégué à la nuit ? Comprendre sera-t-il encore tenir sous la lumière du regard le calcul du raisonnement, évacuant le vide de l'ignorance, nuit de l'image, pour faire lieu de l' “é-vidence” ? Quels outils feront jour - et nuit - pour la justification de nos croyances ?

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Jules Verne en son temps - Bibliographie sélective A. Parménie & C. Bonnier de la Chapelle, P-J Hetzel, Histoire d'un éditeur et de ses auteurs, Paris, Albin Michel, 1953; Pierre Versins, Encyclopédie de l'Utopie et de la Science-Fiction, Lausanne, L'Âge d'homme, 2e édit. 1984; Alain Fourment, Histoire de la presse des jeunes et des journaux d'enfants, Paris, Éole, 1987; Herbert R. Lottman, Jules Verne, Flammarion, 1996; Claude Aziza & Cathy Boëlle-Rousset, Le Tour de Jules Verne en 80 mots, Le Pré aux Clercs, 2005; Daniel Compère, Jules Verne, parcours d'une œuvre, Encrage, Les Belles Lettres, 2005; Marcel Moré, Le Très Curieux Jules Verne, Paris, Gallimard, Le promeneur, nouvelle édition, 2005; Michel Serres, Jules Verne, la science et l'homme contemporain, Editions Le Pommier, 2003; Olivier Sauzereau, Le Monde illustré de Jules Verne, Actes Sud, 2005; Simone Vierne, Jules Verne et le roman initiatique, Sirac, 1973.

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Copyright 2005 : Mundaneum asbl Editeur responsable : Jean-Paul Deplus, rue de Nimy 76, 7000 Mons, Belgique ISBN : 2-930178-20-5 / EAN : 9782 9301 78 202 Dépôt légal : D/2005/744/1 Coordination scientifique du catalogue : Gabriel Thoveron Conception et réalisation graphique : www.donaldgeorge.com Illustrations de l’oeuvre de Jules Verne: Bibliothèques Amiens Métropole Photographies des instruments scientifiques de la Communauté française : Alain Breyer Corrections : Gabriel Thoveron, Charlotte Dubray, Manuela Valentino, Catherine Gillis, Stéphanie Manfroid et Delphine Jenart Impression : 4Marc - 0498 30 93 70 Le Mundaneum asbl est un centre d’archives subventionné par le Ministère de la Communauté française Wallonie-Bruxelles, Direction générale de la Culture, Service du Patrimoine. Les partenaires médias de “Jules Verne : savoir rêver, savoirs rêvés” sont : La Première et La Deux (RTBF), Jeudi Soir / Groupe Vlan, Télévision Mons Borinage et le Vif L’Express.



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