Vous avez un drôle de public !

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* CONTEXTE....................................................................................03 * “ VOUS AVEZ UN DRÔLE DE PUBLIC “, EXPRESSION LIBRE.........04 * CONCRÈTEMENT................................................................07 * MOTS DE SPECTATEURS....................................................................08 * HYPOTHÈSES.......................................................................................14 * ACTEUR SOCIAL, ACTEUR CULTUREL : CONVERSATION.............. 17 * L’ITINÉRAIRE..................................................................................20 * RENCONTRE AUTOUR DE “ VILLE INVISIBLE “....................22 * “ UN RMI SPECTATEUR ”, ENTRETIEN AVEC V. ...........................................28


Itinéraire(s) d’un groupe de spectateur(s) a été initié suite à des rencontres organisées 03 par la coordination culturelle des 2ème et 3ème arrondissements et la Politique de la Ville en 2005 autour de la question de l’accès à la culture et de la diversification des publics. Ces rencontres qui mettaient en présence l’ensemble des structures culturelles et sociales qui travaillent sur un même territoire ont cherché à impulser des projets communs autour de cette thématique. Dans ce contexte et pour questionner de façon concrète et expérimentale ces enjeux, Itinéraire(s) d’un groupe de spectateur(s) entre 2006 à 2008 a consisté à coordonner un parcours de spectateurs proposé à un groupe d’une quinzaine de personnes bénéficiaires du RMI liées à une structure de réinsertion sociale : le SARA-GHU, - précisément des personnes qui ne sont pas en situation économique, sociale et culturelle de se situer dans une pratique autonome par rapport aux propositions culturelles -. L’itinéraire a consisté d’une part, à accompagner le groupe à plusieurs spectacles à Marseille et en Région et d’autre part, à organiser des rencontres entre les artistes et le groupe, quelques temps après le jour de la représentation, pour débattre et échanger autour de la perception du spectacle avec l’un de ses interprètes ou créateurs. Attaché à mettre en œuvre plusieurs façons de faire se rencontrer ce public, des œuvres et des artistes, ce parcours a engagé à la fois le rapport collectif « aller ensemble au spectacle » et le rapport individuel, la réception intime d’une œuvre. L’ensemble de ce parcours s‘est élaboré dans un souci de dialogue constant et réflexif entre les deux référents de chaque structure (Julie Kretzschmar et Elsa Bernardo). La démarche visait à impulser une dynamique audacieuse pour confronter les rapports de chacune des structures avec son public et à opérer un décloisonnement dans les habitudes et les modalités spécifiques d’accompagnement du public. La réalité du partenariat entre les deux structures a été l’enjeu essentiel du projet. Il s’est agit en effet d’éviter les écueils d’un partage habituel des domaines de compétences de chacun, de questionner les représentations des acteurs dans leur appréhension respective de ce qu’est la culture et le social dès lors qu’il s’agit de mener une action conjointe. La question de l’élaboration d’un vocabulaire commun, celle de la possibilité de mettre en place des temporalités de travail spécifiques à cette expérience, associées à un processus de réflexion continu sur le déroulement de l’action ont été les axes directeurs pour questionner les pratiques de ce groupe de spectateurs.

Le groupe de spectateurs : Charles, Vincent, Jacqueline, Michel, Natacha, Kamel, Olivier, Lydie, Florence, Eliane, André, Laetitia, Elsa et Julie.


Vous avez un drôle de public ! *

04 * EXCLAMATION DE FRANÇOISE B. QUI TRAVAILLE DANS UNE STRUCTURE DÉDIÉE À LA MUSIQUE, DONT LES BUREAUX SONT SITUÉS À LA BELLE DE MAI QUI CONSTATAIT ALORS LA PRÉSENCE CLAIRSEMÉE DU GROUPE DE SPECTATEURS PARMI LE PUBLIC, LORS D’UN CONCERT DE MUSIQUE IMPROVISÉE.

* « APRÈS TOUT, C’EST UN LIEU QUI EST CONSTRUIT POUR ÇA, À LA LIMITE, LES GENS, JE NE SAIS MÊME PAS CE QU’ILS EN PENSENT, S’ILS SE DISENT C’EST QUOI CES PROLOS QUI VONT AU SPECTACLE… JE NE SAIS PAS, J’AI LE DROIT D’Y ÊTRE », M’A DIT MICHEL AU FESTIVAL DE MARSEILLE OÙ NOUS SOMMES ALLÉS VOIR ZEITUNG DE ANNE T. DE KEERSMAEKER, EN JUILLET 2008.

Par le biais de cette expérience menée avec un petit groupe de spectateurs, nous avons voulu tenter d’interroger cette sorte de malentendu quasi originel entre les acteurs du social et ceux de l’art et/ou de la culture. Dans le registre habituel de nos fonctionnements respectifs, ces deux sphères n’ont que peu de rapports, sont même séparées quoi qu’on en dise. Ce déphasage, cette coupure est notamment lié à une perception très différente du travail et de la valeur : le travail que mène chacun, travailleur social, opérateur culturel, artiste. Nous ne parlons pas le même langage, nous ne nommons pas un même objet de façon commune. On pourrait dire aussi que le social de l’artiste n’est pas le social du travailleur social et que les pratiques artistiques ou culturelles de ce travailleur sont rarement en phase avec ceux de l’artiste. Ouvrir la porte, inviter avec toujours cette question... Est-ce qu’il faut faire payer la culture pour créer un sentiment de valeur ? Ce projet a émergé de la volonté de créer un autre type de rapport, une autre relation entre artiste ou pas, travailleur impliqué dans le champ du social ou pas, spectateur ou exclu du champ de la consommation culturelle. Des rapports pour trouver une façon d’être ensemble au spectacle, après le spectacle, plus tard en échangeant autour du spectacle, une façon forcément inédite pour chacun de nous dans ce groupe. Alors bien sûr, il n’a pu être question d’éluder ce malentendu ou de le minimiser mais au contraire de s’ attarder ensemble, concrètement, sur quelques uns des éléments qui le façonnent. Nous avons inscrit ce cheminement en partageant nos réflexions, craintes et utopies, sur les questions les plus immédiates - bien sûr, ce ne sont que des entrées subjectives qui ni n’épuisent, ni ne contiennent toutes les questions - : - l’intimidation culturelle qui empêche de se rendre dans les espaces de la culture où règne l’entre soi. - l’intimidation qui enjoint à penser que certaines des œuvres, notamment les plus contemporaines ne sont pas recevables, compréhensibles par un public profane. - l’intimidation réciproque qui empêche une rencontre entre des artistes et des spectateurs novices. « On ne se mélange pas dans les théâtres, Pour moi, un mélange, c’est des carottes avec du céleri, des pommes, de la poudre et des boulons. Dans les théâtres, nous sommes juste des carottes assises à côté d’autres carottes. Et ça ce n’est pas un mélange. ». Ces mots de Rodrigo Garcia que j’emprunte, parce qu’ils nous disent que c’est la question de l’accueil et de l’hospitalité qui doit être re-placée au centre pour pouvoir penser la diversité des spectateurs. Chacun s’accorde sur l’idée que l’effacement des seuils symboliques est un de nos enjeux essentiels. L’expérience, elle, témoigne de la nécessité de ré-ouvrir des espaces de disponibilité au sein des salles et des lieux où toutes les règles et les façons d’être sont connotées par l’entre soi.*


Penser la diversité des spectateurs invite donc à repenser conjointement la question de l’opportunité et celle de l’accompagnement : offrir l’opportunité, c’est activer la condition même du désir, mais oublier de l’accompagner c’est empêcher à ce désir de se réaliser.

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un drôle de public ! des drôles de spectacles !

* « ÇA M’A PERMIS DE PRENDRE CONFIANCE SUR, COMMENT ÇA S’APPELLE… DE MA VALEUR AUSSI, PRESQUE DE MON BAGAGE CULTUREL. PARCE QUE JE N’EN AI PAS DU TOUT CONSCIENCE. C’EST AVEC LES ÉCHANGES AVEC LE GROUPE QUE J’EN AI PRIS CONSCIENCE. ÇA A L’AIR IDIOT MAIS DANS LES MILIEUX OÙ ÇA N’EST PAS RECONNU, ÇA N’EXISTE PAS. » V.

La question des spectacles met à jour la tension qui existe dans la façon de choisir les sorties. Cette tension, entre les exigences liées à la nature sociale de la démarche et celles liése à une véritable rigueur dans le choix des œuvres, est l’un des fils que nous avons tenus tout au long de cette expérience. Il y a eu une forme d’obstination à penser que se risquer au pouvoir de déstabilisation de certains spectacles était la condition même du déplacement de chacun. Dès lors qu’il ne s’agit pas d’adhérer coûte que coûte à la posture bien pensante qui consiste à assigner à l’art et à la culture des fonctions cathartiques, il a été plus que stimulant de partager avec ce groupe les premiers effets d’une rencontre avec de l’inconnu. Un inconnu qui nous sépare et nous singularise avant tout... Avant de nous rassembler. Souvent, le geste contemporain artistique n’a pas forcément de noyau de signification immédiat. Et c’est le contact avec cette altérité rugueuse qui nous incline à inventer de nouvelles ressources sensibles. Cette épineuse question de l’accessibilité à l’œuvre - qui pourrait se traduire simplement par comment se rendre disponible et confiant pour aller vers de l’inconnu - pose à elle seule toutes les questions sous jacentes à celle d’une pratique de la culture. Dans le cadre des rencontres avec les artistes, parfois des semaines après la représentation à laquelle nous avions assisté, nous avons partagé des moments qui rompent avec l’idée de la consommation culturelle, avec celle d’un artiste caricatural qui montre et donne à digérer son œuvre à un public indistinct. Ces rencontres, auxquelles pas un n’a manqué de venir, ont été autant de moments de mise en valeur de la possibilité de chacun d’être émetteur de culture, pour reprendre les termes de Gilles Deleuze. Ou en empruntant les mots d’un spectateur, V., mots qui affirment avec singularité cette idée de l’émetteur de culture.* alors encore et enfin, vous avez un drôle de public !

« IL NE PEUT Y AVOIR D’INTERMÉDIAIRE ENTRE UN PUBLIC, VOUS ET UNE ŒUVRE, SON CRÉATEUR, MOI. » Patrice Chéreau rencontré à Aix-en-Provence avant de voir De la maison de morts.

Non pas un public mais une part de notre public, des spectateurs en groupe, un groupe : du public exclu, du public éloigné, du public spécifique… Le nommer contient en germe des contradictions difficiles à dénouer. Des contradictions qui nous intiment des déplacements géographiques, mentaux, et nous poussent à expérimenter des situations au sein desquelles chacun de nous fasse naître des relations en dehors des configurations sociales auxquelles nous nous rattachons. S’éloigner d’un sentiment de reconnaissance et ne pas être en terrain de fausse familiarité est une autre façon de dire les itinéraires empruntés par nous, spectateurs. Julie Kretzschmar


La Rabbia, de Pippo Delbono au Merlan Scène Nationale, 03.2008


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CONCRÈTEMENT L’échec d’une première expérience : une tentative a d’abord été menée avec l’association La Fraternité Belle de Mai. Deux sorties/rencontres avec des artistes ont ainsi été réalisées. L’ensemble des discussions a eu lieu à la FRAT, puisqu’il s’agit d’une association qui fonctionne aussi comme un lieu de vie. Cette tentative a été interrompue par les Bancs Publics en raison de l’absence d’un relais au sein de la structure, malgré l’enthousiasme de la direction affichée au prime abord. Le constat dressé rapidement consistait à mettre en exergue qu’en l’absence de coordination commune autour de ce projet entre les structures, ce dernier s’en trouvait dénaturé et ne se présentait alors plus que comme un dispositif de médiation culturelle auprès d’une structure sociale, et s’apparentait même à un travail de relations publiques. Le partenaire effectif depuis mars 2006 est l’association le SARA-GHU, en la personne d’Elsa Bernardo, éducatrice spécialisée. Chargée du suivi de personnes rmistes, elle anime également des ateliers d’expression artistique avec des groupes sur une durée de 6 mois. C’est d’ailleurs avec ces groupes constitués par les ateliers que le projet s’est enraciné. Cependant notre démarche et ces ateliers de pratique sont restés totalement dissociés dans leurs objectifs. La méthodologie qui a guidé le partenariat entre les deux structures a reposé sur l’idée que la démarche serait évolutive. Elle requérait donc une capacité de la part des deux référents à auto-ajuster leurs attentes et, plus encore, à mettre en débat tout au long de manière très concrète les questions soulevées par le déroulement du projet. Ainsi, des entretiens entre les deux coordinateurs ont été retranscrits et portent la mémoire de l’évolution du projet et de sa redéfinition pragmatique. Ensemble d’acteurs mobilisés autour de ce projet : Depuis janvier 2006, le groupe de spectateurs a fluctué entre dix et quinze personnes, dont les deux accompagnateurs. Une partie de ces personnes, 6 d’entre elles exactement, sont inscrites dans cette démarche dès son initiation. Elles ont donc largement contribué à en dessiner les contours. Il est essentiel de souligner l’une des singularités du groupe ainsi constitué d’une partie « d’anciens » qui ne sont plus « suivis » dans leur parcours d’insertion par le référent social. * 53 personnes ont été mobilisées et impliquées à des degrés divers * 30 spectateurs * 13 artistes * 3 personnes chargées des relations avec le public dans des structures (Le Merlan Scène Nationale, Festival d’Avignon, Festival d’Art Lyrique d’Aix-enProvence). * 5 personnes de l’équipe des Bancs Publics * 2 personnes pour le SARA-GHU Entre janvier 2006 et juillet 2008, 18 sorties assorties de rencontres ont été organisées. Ce qui a correspondu à 30 rendez-vous.


MAINTENANT JE PEUX ME RENDRE FACILEMENT AU SPECTACLE, SANS QUE ÇA ME DÉRANGE. AVANT NON. IL Y AVAIT UNE PEUR TRÈS PROFONDE ET LE FAIRE SEUL... IL Y A DEUX ANS ET DEMI, ÇA M’A PERMIS DE PRENDRE CONFIANCE.

MA SEULE AMIE, JE CROIS, VA VOIR DES SPECTACLES, MAIS PLUS CLASSIQUES JE CROIS.

LE THÉÂTRE, PAS DU TOUT. J’AI DÛ VOIR UN OU DEUX SPECTACLES DE DANSE QUAND J’ÉTAIS PETITE, MAIS C’EST TOUT. JE NE SAIS PAS, JE N’AVAIS PERSONNE AVEC QUI ALLER AU THÉÂTRE, NI DANS MA FAMILLE. PERSONNE N’ALLAIT AU THÉÂTRE.

AVANT, J’AIMAIS MAIS SANS LE SAVOIR PRESQUE.

C’EST PAS UN LUXE, NON. ON PEUT ÉCONOMISER SUR D’AUTRES CHOSES...

MOI, JE N’AI PAS CETTE DÉMARCHE. JE SAIS QU’IL Y EN A QUI SE DÉBROUILLENT POUR TROUVER LES FICELLES, POUR TROUVER DES PLACES PAS CHÈRES. MON RÉFÉRENT SOCIAL, IL M’EN A DÉJÀ PROPOSÉ, DES PLACES, MAIS JE NE LES AI PAS UTILISÉES.

JE RENCONTRE DES GENS, C’EST LE PRINCIPAL, C’EST LE GESTE QUI COMPTE. AU DÉPART, JE NE SORS PAS NATURELLEMENT. SI LA MAISON DOIT S’ÉCROULER UN JOUR, CE SERA SUR MA TÊTE.

AVANT, J’ALLAIS UN PEU AU CINÉMA. AU THÉÂTRE ? NON, ENFIN PEUT-ÊTRE, J’Y ÉTAIS ALLÉ UNE OU DEUX FOIS, VOIR RICHARD BORHINGER ET FABRICE LUCHINI.

JE NE SUIS PAS VRAIMENT QUELQU’UN QUI SORT BEAUCOUP, À UN CERTAIN POINT, ÇA DEVIENT CRITIQUE. JE RESTE ENFERMÉ. POUR MOI, ALLER VOIR DES SPECTACLES, C’EST POUR ME SOCIALISER, POUR FRÉQUENTER DU MONDE. IL FAUT UN PEU ME POUSSER, SINON J’AI MES RÉFLEXES QUI REVIENNENT, JE VAIS ME CALFEUTRER ET PAS BOUGER. C’EST POUR ÇA QUE C’EST IMPORTANT.

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JE PEUX REGRETTER QUE PARFOIS CE NE SOIT PAS ACCESSIBLE, LES PIÈCES DURES À COMPRENDRE : ON A VU UNE PIÈCE IL N’Y A PAS LONGTEMPS OÙ ÇA MARCHAIT PENDANT UN QUART D’HEURE, ÇA TRAÎNAIT DES PIEDS, JE N’ARRIVAIS PAS VRAIMENT À RENTRER DEDANS. DES FEMMES QUI CRIAIENT. APRÈS JE SUIS EMBÊTÉ SI JE DOIS EN DIRE DU MAL...

DANS MON LIEU D’ACCUEIL RMI, ON EST ALLÉ UNE FOIS AU BALLET NATIONAL DE DANSE, C’ÉTAIT DES DIAPOS AVEC DE LA MUSIQUE ET UNE EXPO À LA MAISON DE L’ARTISANAT, DES CHOSES GRATUITES... ILS SONT ALLÉS VOIR LES SERRES AU PARC BORÉLY ET UNE RANDONNÉE AUSSI... MAIS J’AI PAS FAIT TOUTES LES SORTIES. LA DERNIÈRE FOIS ON EST ALLÉ VOIR UN SPECTACLE DE RUE ET ILS ONT REÇU UNE PROPOSITION DE CONCERT AU GRAND THÉÂTRE DE PROVENCE, L’ORCHESTRE DES JEUNES, DE LA MUSIQUE CLASSIQUE, ÇA M’A PAS TROP PLU. ILS AVAIENT INVITÉ BEAUCOUP D’ADHÉRENTS DE CENTRES SOCIAUX POUR QUE CE SOIT OUVERT À DES GENS QUI N’ONT PAS L’HABITUDE D’ALLER À L’OPÉRA...

JE FAIS PARTIE D’UN AUTRE GROUPE, MAIS OÙ IL Y A DES GENS PAS SYMPA, ALORS ÇA NE ME DONNE PAS TROP ENVIE D’Y ALLER. EN FAIT C’EST UN GROUPE D’ACCUEIL DES RMISTES, QUI PROPOSE DES ATELIERS DANS LE 8ÈME. ILS ONT FAIT UN ATELIER RELOOKING. C’EST UNE DAME QUI VENAIT POUR L’IMAGE DE SOI : COMMENT S’HABILLER, SE PRÉSENTER. C’EST PLUTÔT RIGOLO. ET PUIS, COMME ILS SONT ABONNÉS À CULTURES DU CŒUR, ON FAIT DES SORTIES, À 5 OU 6.

C’EST PRINCIPALEMENT LES SOUS. APRÈS QUELQUES FOIS, JE NE SUIS PAS TRÈS MOTIVÉE POUR Y ALLER TOUTE SEULE… JE ME DIS JE VAIS Y ALLER ET PUIS JE N’Y VAIS PAS.

C’EST UN PROBLÈME DE TRANSPORT. À MARSEILLE, IL N’Y A PAS LE MÉTRO LE SOIR. DE LA ROSE À CHÂTEAU GOMBERT, J’AI MARCHÉ PENDANT TROIS QUARTS D’HEURE. C’EST UN PROBLÈME POUR LES STRUCTURES CULTURELLES DU CENTRE VILLE, APRÈS 21H, IL N’Y A PLUS RIEN. SI ON NE M’AVAIT PAS RACCOMPAGNÉ, JE NE SERAIS PAS VENU, JE N’AURAIS PAS PU. C’EST PLUS QUE SYMPA. C’EST PRIS SUR LE TEMPS DES CHAUFFEURS, SUR LEUR CARBURANT PERSONNEL. ON APPRÉCIE LE GESTE.

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J’AI BIEN AIMÉ AUSSI PIPPO DELBONO. CELUI DE DANSE AU FESTIVAL DE MARSEILLE, J’AI PAS TROP AIMÉ NON PLUS, IL Y AVAIT BEAUCOUP DE GENS AUTOUR DE MOI QUI S’ENNUYAIENT.

CELUI QUE J’AI PRÉFÉRÉ, C’EST PIPPO DELBONO MÊME SI JE N’AI PAS TOUT COMPRIS. IL Y AVAIT UNE CERTAINE AMBIANCE. IL ESSAYAIT D’ÉVOQUER L’ITALIE DES ANNÉES 60 ET J’AI UNE CERTAINE NOSTALGIE DE MON ENFANCE. MOI, J’AI GRANDI EN FRANCE MAIS J’AIMAIS BIEN CETTE PÉRIODE. JE TROUVAIS ÇA RAFRAÎCHISSANT. J’ÉTAIS TRANSPORTÉ.

CEUX QUI M’ONT LE PLUS PLU C’EST « LE CLOWN DE MAC DONALD »... ET « LA VILLE INVISIBLE » ET LES DEUX SPECTACLES DE DANSE DANS LE CADRE DE DANSEM… LA MUSIQUE IMPROVISÉE, ET EMILIE LESBROS… EN FAIT TOUS CEUX QU’ON A VU.

J’AI ÉTÉ SURPRIS DE VOIR QU’IL Y A DES GENS QUI FONT DU THÉÂTRE QUI NE SONT PAS CONNUS.

LÀ OÙ NORMALEMENT ÇA AURAIT DU ÊTRE BIEN, C’ÉTAIT L’OPÉRA, IL Y A UN AN. C’ÉTAIT EN TCHÈQUE AVEC LES SOUS TITRES PROJETÉS SUR LES MURS. J’AI EU UN PROBLÈME DE VUE, ÇA M’A GÊNÉ. JE PRÉFÈRE LE GENRE D’EXPRESSION ASSEZ DIRECTE. C’EST POUR ÇA QUE L’HUMOUR ME TOUCHE.

JE TROUVAIS PARFOIS QUE C’ÉTAIT TRÈS CONTEMPORAIN. COMME JE NE SUIS JAMAIS ALLÉE AU SPECTACLE, AU DÉBUT JE N’AVAIS PAS L’HABITUDE DE L’INTERACTIVITÉ AVEC LES SPECTATEURS, JE SAIS PAS SI C’EST QUELQUE CHOSE DE NOUVEAU...

LES DERNIERS SPECTACLES QUE J’AI VU DE L’ERAC, JE LES AI TOUJOURS PAS COMPRIS... MAIS PAR EXEMPLE CELUI DE PIPPO DELBONO, IL N’Y AVAIT PAS BEAUCOUP DE PAROLES CONTRAIREMENT À CEUX DE L’ERAC... L’ÉVOCATION DE LA PLAGE, DES ANGES, C’ÉTAIT UN UNIVERS PLUS FAMILIER, PLUS DOUX.

C’EST EMBÊTANT POUR LES ARTISTES. MAIS NON, JE NE PEUX PAS DIRE TOUT EST BEAU, JE LES MÉNAGE, JE RESTE CORRECT. 10


NOUVELLEMENT, ON EST ALLÉ VOIR UN SPECTACLE DE SERGE VALETTI AU THÉÂTRE DE LENCHE, C’ÉTAIT INTÉRESSANT MAIS CE QUI M’A GÊNÉ C’EST QU’AVANT ON A FAIT UN JEU AVEC LES COMÉDIENS. AVANT LE SPECTACLE ON POUVAIT JOUER AVEC DES EXTRAITS. ET ALORS, PENDANT LE SPECTACLE, ÇA ME REVENAIT. C’EST PEUT ÊTRE INTÉRESSANT POUR DES SCOLAIRES. MOI, JE N’EN AI PAS BESOIN.

« CET ENFANT », ÇA M’AVAIT PLU. EN PLUS, LA DAME QUI ÉTAIT ENCEINTE, ELLE SEMBLAIT COMME MOI. JE VEUX PAS D’ENFANTS, JE CROIS. ET ELLE, IL SEMBLAIT QUE SON ENTOURAGE LUI AVAIT DIT « IL FAUT QUE TU AIES UN ENFANT, ÇA T’APPORTERA PLEIN DE CHOSES » ET PUIS APRÈS ELLE DONNE CET ENFANT. EN FAIT, ÇA MONTRE QU’ELLE AVAIT ÉTÉ INFLUENCÉE ET QU’ELLE VOULAIT PAS D’ENFANT. IL Y A DES CHOSES QUI M’ONT MARQUÉ PARCE QUE J’AI EU UNE ENFANCE ET UNE ADOLESCENCE DIFFICILE, ET LÀ DANS LE SPECTACLE, LA RELATION AVEC LES PARENTS ÇA M’A PARÛT ASSEZ NORMAL...

ET MOI, J’AIME BIEN QUAND QUELQU’UN PEUT PARLER À MA PLACE POUR DIRE CE QUE JE PENSE. ÇA PERMET DE LÂCHER CE QUE NOUS, ON NE PEUT PAS DIRE. EUX, ILS SONT SUR LES PLANCHES.

LA PIÈCE DE BRECHT, ELLE EST PEUT ÊTRE EX ÆQUO AVEC LE SPECTACLE DE PIPPO DELBONO. ELLE FAISAIT RÉSONNER DES CHOSES DE L’ACTUALITÉ.

LA PIÈCE RUSSE À AVIGNON. C’ÉTAIT LONG. MAIS LE FAIT D’ÊTRE À AVIGNON, J’AI DÉCOUVERT L’AMBIANCE. ÇA ME PLAISAIT DE MARCHER DANS LES RUES. PUIS J’AI AIMÉ LE DIALOGUE AVEC CHRISTOPHE GRÉGOIRE PARCE QU’IL NOUS A BIEN EXPLIQUÉ COMMENT IL FAISAIT, QU’IL TRAVAILLAIT DIX HEURES PAR JOUR. J’AIMERAIS UNE FOIS ÊTRE À LEUR PLACE, PARCE QUE C’EST ASSIDU D’ÊTRE TOUS LES JOURS DEDANS.

CE QUE J’AI PRÉFÉRÉ, C’EST « LE CLOWN DE MAC DONALD ». ON NE S’ENNUIE JAMAIS, C’EST ASSEZ LONG, ON SE POSE PLEIN DE QUESTIONS...

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LES HABITUÉS ONT UNE AISANCE. MAIS MOI, JE NE SUIS PAS COMPLEXÉ. JE SUIS UN SPECTATEUR POINT. SI QUELQU’UN ME FAIT UNE REMARQUE, IL VA RECEVOIR. MÊME SI JE SAIS QUE ÇA NE SE FAIT PAS. IL N’Y A PAS DE RAISON DE SE SENTIR HUMILIÉ, NI REJETTÉ.

PARFOIS DANS LE LOT DES PUBLICS, IL PEUT Y AVOIR AUSSI DES ARTISTES ET ILS N’ONT PAS FORCÉMENT BEAUCOUP D’ARGENT, ILS PEUVENT ÊTRE AU RMI, EUX AUSSI.

NON. MOI, JE NE SUIS PAS MAL À L’AISE AVEC LE GROUPE. JE SUIS RESTÉE TROIS ANS AU RMI DONC J’AI L’HABITUDE D’ÊTRE AVEC DES GENS QUI S’HABILLENT PAS TROP BIEN. MAIS J’ÉTAIS COMPLEXÉE.

MOI, JE SUIS UN SPECTATEUR LAMBDA. L’ENDROIT, ÇA NE ME GÊNE ABSOLUMENT PAS.

LE PLUS INTIMIDANT, LE PLUS, C’EST L’OPÉRA. MAIS À LA LIMITE, JE NE VOLE LA PLACE DE PERSONNE EN M’ASSEYANT. JE NE VOIS PAS POURQUOI JE ME SENTIRAIS COUPABLE DE QUOI QUE CE SOIT EN M’ASSEYANT.

PEUT-ÊTRE ILS ONT VOULU AVOIR L’AVIS DE GENS QUI N’ONT PAS TROP LES MOYENS D’ALLER AU THÉÂTRE

NOUS, ON N’EST PAS DES SPÉCIALISTES DONC LES QUESTIONS PEUVENT PARAÎTRE ININTÉRESSANTES.

JE ME RAPPELLE, IL (PATRICE CHÉREAU) ÉTAIT ASSIS, IL JOUAIT AVEC SES JAMBES. PEUT-ÊTRE QUE C’ÉTAIT UN GESTE DE GÊNE. JE NE ME SUIS PAS POSÉ LA QUESTION SUR LE MOMENT. IL ÉTAIT HABILLÉ TRÈS RELAX.

PATRICE CHÉREAU, JE L’AI REVU IL N’Y A PAS LONGTEMPS À LA TÉLÉVISION. IL FRÉQUENTE LE GRATIN DU GRATIN. ET NOUS RENCONTRER SIMPLES SPECTATEURS, ÇA FAIT UN DÉCALAGE.

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Les Barbares, de Maxime Gorki par Eric Lacascade, Festival d’Avignon, 07.2006


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“ Il ne faut pas se borner à concevoir une offre artistique, il faut se pencher sur les questions des modalités de l’offre. “ *Jean-Claude Wallach, La Culture, pour qui ?

UN BILAN ET QUELQUES HYPOTHÈSES POUR S’OUVRIR À D’AUTRES EXPÉRIENCES. En examinant ce qui a été fait et cherché, en mesurant la validité des hypothèses principales qui ont servi de fil conducteur à notre démarche, le projet mené depuis 2006 nous a souvent pleinement satisfait. Sûrement le fait qu’une partie de ces personnes continuent de faire vivre ce groupe sans qu’elles ne soient plus en lien avec la structure sociale partenaire, qu’elles témoignent ainsi d’un rapport personnel à la pratique culturelle, cela nous conforte. Sans faire l’impasse sur des questions complexes et donc ouvertes, nous posons en premier lieu pour réfléchir ensemble les 3 hypothèses suivantes : H1 - LA COLLABORATION ÉTROITE ET LE DÉCLOISONNEMENT DES MODES OPÉRATOIRES DU TRAVAILLEUR SOCIAL ET DU TRAVAILLEUR CULTUREL SONT ESSENTIELS À LA RÉALISATION D’UN PROJET D’OUVERTURE SOCIALE DES PRATIQUES CULTURELLES.

Le décloisonnement des pratiques qui est la condition même de l’expérience, est crucialement liée à la connaissance réciproques des langages et des enjeux des deux parties. Ce qui suppose que le travailleur culturel ne se fige pas dans une posture de relations publiques ou de médiation culturelle auprès du public lié à l’action du travailleur social. Ce qui implique également que le travailleur social ait une connaissance et manifeste un intérêt réel pour l’action culturelle et artistique. Ce processus de décloisonnement est le seul qui permette, dans le temps, l’évolution du projet de manière réflexive. ? – Comment améliorer la connaissance mutuelle des acteurs sociaux et culturels ? Comment partager ensemble une conviction sur la place de la culture ? Comme préalable nécessaire, la connaissance et la confiance réciproques des travailleurs sociaux et culturels, et la construction d’un langage partagé. Et, un premier paradoxe (à titre exemplaire) observé est la contradiction, - volontairement un peu grossie - qui préside au rapport de chacun des acteurs avec « son » public : toute la mission du référent social vise à autonomiser les personnes, en quelque sorte à faire sortir ces personnes à plus ou moins moyen terme des dispositifs d’accompagnement dans lesquels ils se rencontrent. L’acteur culturel inscrit au contraire son action dans une logique de fidélisation de son public et toute la stratégie de communication des lieux de culture va dans ce sens. La collaboration entre les partenaires ne peut faire l’impasse sur la nécessité de proposer une ou des modalités communes d’accompagnement, d’invitation de ces publics sans nier cet écart, mais, au contraire, en l’activant de manière réfléchie et concertée.


H2 - LE FAIBLE ACCÈS DES PUBLICS ISSUS DE MILIEUX DÉFAVORISÉS AUX15 FORMES CONTEMPORAINES DE L’ART VIVANT N’EST PAS INTRINSÈQUEMENT LIÉ AUX ESTHÉTIQUES PROPOSÉES. AUTREMENT DIT, CE NE SONT PAS LES SPECTACLES QUI SONT EN SOI INACCESSIBLES. Cette affirmation qui va à l’encontre d’un sens commun hégémonique, a largement été illustré par l’expérience de l’ensemble de ces spectateurs, socialement très défavorisés, ayant vu des spectacles radicalement contemporains avec une curiosité et une sensibilité manifestes dont ont témoignés les discussions/débats avec les artistes. ?? - Si ce n’est pas l’esthétique des spectacles qui est cause, comment agir sur les autres facteurs de la faible diversité sociale des publics ? Il s’agit de contrarier le lieu commun qui opposerait culture légitime/culture populaire et de réfléchir aux présupposés des opérations de médiation. Le dispositif « Itinéraire(s) d’un groupe de spectateur(s) », dans sa conception même, neutralise trois obstacles matériels à la sortie culturelle : accès à l’information, transports, coût de la sortie. Il s’est attelé à agir sur une autre dimension, immatérielle, celle de la sortie culturelle comme espace de socialisation légitime pour soi. H3 - LA SORTIE AU SPECTACLE EST UNE PRATIQUE SOCIALE. À CE TITRE, LA PISTE D’UNE SORTIE RITUALISÉE EN GROUPE DOIT ÊTRE PRIVILÉGIÉE SUR UNE DÉMARCHE INDIVIDUELLE, PEU SOCIALISANTE ET FORT INTIMIDANTE. La notion de groupe, centrale dans le dispositif, distingue ce dernier des principales tentatives menées autour de la question de l’accès à la culture des publics défavorisés. Or c’est bien le groupe, et ce qu’il implique d’organisation et d’accompagnement, qui a joué le rôle socialisant nécessaire, protecteur du sentiment d’intimidation culturelle et facteur assurant la reproductibilité de la sortie (sa ritualisation). “ L’aspect collectif permet de faire déplacement , c’est-à-dire de se trouver dans un espace dans lequel on a tout lieu de penser que l’on est « dé-placé » ou plutôt « dé-classé ».” * ??? – Comment constituer les groupes et s’assurer de leur pérennité ? Comment inscrire les conditions d’une pratique c’est à dire le déroulement dans le temps ? Il est légitime que la question du prolongement d’une pratique de spectateur pour ces personnes, hors d’un dispositif d’accompagnement tel que celui mis en œuvre par ce projet, ou dans une modalité qui est plus à voir avec de l’incitation qu’avec « de la prise en charge », soit clairement posée. Cette problématique sous-tendue par celle de la mesure de l’utilité de l’action décline d’autres questions : comment l’utilité sociale de ce type de projets peut être balisée ? Comment ce type d’accompagnement peut et doit viser à l’autonomisation des personnes ?


Sainte Jeanne des Abattoirs, cie Parnas, ThĂŠatre de la CriĂŠe, Marseille, 03.2007.


ÉLÉMENTS DE CONVERSATION entre Julie KRETZSCHMAR et Elsa BERNARDO 11.2007. Julie Kretzschmar / Comment tu définirais ta place au sein de ce projet, qu’est-ce que tu fais concrètement ? Elsa Bernardo / J’ai l’impression d’être un lien “ facilitant ” entre les gens qui me connaissent, un peu ou plus, et le monde du théâtre qui est une lieu plus étranger à eux. J’ai l’impression d’être une passerelle. Qu’est-ce que ça veut dire une passerelle ? Je suis peut-être rassurante, je suis là pour prendre en compte la spécificité de chacun, penser à tous les éléments annexes qui pourraient être un frein pour eux, par exemple le transport après. Les spectacles ou les craintes qu’ils pourraient avoir. Je pense à N., ses craintes par rapport au trajet pour aller à Avignon, je pense à O. aussi. Et puis pour leur donner l’envie, leur dire que c’est possible. (...) Est-ce que tu as l’impression si on parle en terme positifs, même si c’est un peu bizarre de formuler les choses pour moi de cette façon, que ça leur fait du bien ? Les sens-tu moins intimidés ? C’est pas évident, je ne sais pas jusqu’à quel point ils sont à l’aise, je ne sais pas s’ils pourraient le faire tous seuls en fait. J’allais y venir… As-tu le sentiment que ce que nous tentons c’est bien de le faire pour ce qui se passe à chaque fois, mais que ça ne dépasse pas nécessairement le moment présent ? Ou qu’il y a quelque chose qui s’incruste un peu plus, même si c’est utopique… Tu ouvres des portes vers un extérieur, vers la possibilité d’aller seul et de façon autonome voir un spectacle ? J’ai l’impression de plus en plus que ça m’échappe, que ça nous échappe ce qui se passe. Je suis persuadée que si V. va parfois tout seul voir des choses, c’est parce que ça existe. Avec le temps, ils se donnent le droit de parler des spectacles, de donner leur avis, de dire qu’ils n’aiment pas même. (...) Tu parles des moments de rencontres avec les artistes, là. De mon point de vue, ces moments imposent aux artistes qui acceptent de jouer le jeu de se décaler. Je m’aperçois d’ailleurs que c’est parfois difficile pour un artiste de se soumettre et de se confronter à leurs regards, à leurs questions qui ne sont pas formulées par des spectateurs genre “ abonnés à Télérama ”. Je sens qu’il ne s’agit pas du tout d’un atelier de libre parole, comme nous en avions eu la crainte. Il en ressort véritablement une parole sensible sur ce qu’on a vu ensemble. Oui, ce sont des moments très actifs et personnels. Des moments pour eux, dans lesquels ils affirment une identité. Ils se valorisent sans rendre des comptes. Pour moi, c’est vraiment comme ça que le lien social est en train de se construire pour eux. On leur permet de faire exister un truc qu’on ne leur demande jamais… Parler d’une chose culturelle ou artistique, réfléchir et de prendre du temps pour ça, ça les fait exister autrement. (...) Si je reviens sur notre sortie au festival d’Avignon, sur notre surprise à constater que le groupe ce jour là était complètement insaisissable, bref qu’ils n’avaient aucune envie d’être en groupe. Nous nous étions même demandés si chacun d’entre eux n’avait pas en fait envie d’être seul ou en duo avec nous. Comme si à Avignon, ils résistaient à être perçus de l’extérieur comme un groupe de rmistes... J’avais aussi été étonnée qu’aucun n’apporte quelque chose pour le repas collectif. Et toi, de me répondre que sur toute cette journée, ils avaient été tellement assistés. Et que tu pensais que l’intervention sociale est tellement quelque chose qui est de l’ordre de l’assistance que même si on essaie d’initier d’autres attitudes, on ne sort pas de ce shéma de l’assistance. Alors qu’est-ce qu’on va faire ? C’est une question de temps d’imaginer que ça pourrait se partager autrement ? Je trouve qu’on les assiste beaucoup, je pense que c’est beaucoup moi, peu importe… Ils sont très assistés sur ce projet, aussi, parce que c’est gratuit, qu’on prend en charge les trajets de retour. Enfin tellement on veut qu’ils viennent, on veut enlever toutes les barrières. Ça enlève un peu de la réalité. Parce que pour moi, l’objectif final, c’est qu’ils arrivent à le faire tous seuls après. Peut-être de leur dire que le but aussi c’est d’arriver à faire émerger une envie d’y aller tout seul ou ensemble mais sans nous… Par exemple, pour le repas en Avignon, l’idée était que chacun amène quelque chose de lui, on aurait du le dire plus clairement.

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18 J’ai eu l’impression de le dire clairement. Mais je me suis trompée et pourtant

j’ai eu l’impression de le faire. Et j’ai immédiatement contrebalancé en précisant que je m’adressais à ceux qui peuvent. Pour revenir sur la question de la gratuité… Est-ce qu’ils auraient suffisamment pour participer et venir quand même si ça coûtait quelques euros ? Il faudrait qu’ils prennent conscience de ce que ça implique en termes d’assistanat. Et sûrement questionner une façon de vivre. Il faudrait en parler avec eux. En plus, nous n’avons que des préjugés : que peut-être ne rien payer, c’est rester passif et attendre. Et qu’au contraire devenir autonome c’est s’engager notamment financièrement. Ce que je relève d’étrange dans cette façon de voir les choses, c’est que je considère qu’être spectateur justement, si on ne parle pas d’une pratique sociale banalisée qui s’apparente à un rapport de consommation, ça ne peut pas être passif. Je me dis souvent que passer le cap de l’intimidation, c’est déjà en soi énorme. Cet acte est le contraire de la passivité. Mais peut-être que je me trompe. Et pourtant, à Avignon, alors que je n’aurais jamais imaginé qu’on parvienne à organiser cette journée, qu’ils soient tous là, qu’ils adorent un spectacle dans la cour d’honneur qui dure quatre heures et demi… Mais c’est vrai que nous avons tout fait ! Comment déclencher autre chose dans ce projet, le prolonger autrement, pour ne pas piétiner sur ce constat que l’on prend absolument tout en charge et que ce fonctionnement pourrait s’incruster. Qu’est ce qu’on peut faire ? Oui, en fait c’est un peu ça. Parce que là dessus je me sens arrêtée. Je n’ai pas d’ouverture. Je crois qu’à un moment le côté incroyable de leur venue, de leur régularité me satisfait absolument. Et que ça me suffit d’être étonnée de la qualité de leur réception. Il faudrait discuter avec eux. Comment imaginer leur participation active à ce projet ? J’aurais le sentiment qu’on leur demande de rendre quelque chose, d’échanger leur venue contre…. Mais participer, c’est aussi rendre… Comme l’espèce de point d’orgue de cette première saison de l’itinéraire du groupe de spectateurs, c’était la journée au festival d’Avignon… C’est évidemment curieux de relever la passivité du groupe à cette occasion, leur individualisme lors de cette journée. Pendant le repas ils n’ont pas discuté entre eux, d’ailleurs la personne qui nous a accueillis dans son jardin m’a dit plus tard qu’elle pensait qu’ils ne se connaissaient pas . Je les imaginais chacun chez eux. Ils sont tout le temps tous seuls et soudain, là, Avignon, ce monde. Et au moment du repas, ce monde. J’imagine que quand on est tout le temps seul, quand tout s’ouvre comme ça, c’est trop d’efforts, même tenir une discussion, c’est trop lourd. Mais ce jour là, je ne comprenais pas. (...) Le terme qu’on a utilisé pour leur présenter ce projet, commun à toutes les deux, c’était un engagement à participer, un engagement collectif et sur la durée. Est-ce que ce mot là, engagement, est juste ? Oui. Ça signifie qu’on leur demande d’engager quelque chose, une parole. Ils ne choisissent pas les spectacles, on ne leur en parle pas beaucoup. C’est de s’engager vers de l’inconnu, même si c’est un inconnu qui peut être plaisant. On leur demande de nous faire confiance. Sur cette problématique du choix des spectacles, c’est parfois choquant de revendiquer que ce ne sont pas les gens qui choisissent. Je reste assez ferme. Pour moi, ce choix ne correspond à rien du réel de ces gens. Qu’est ce que ça veut dire choisir ? Sur quoi peuvent se porter le désir et la curiosité, quand on sait à peine de quoi il s’agit, quand on n’a pas idée de ce qu’est un spectacle ? Je leur parle peu de ce que nous irons voir ensemble et il n’est pas question pour moi d’aller voir les spectacles avant. Je me souviens, quand je vous ai proposé d’aller voir « L’histoire de Ronald, le clown de mac Donald » de Rodrigo Garcia, tu avais des réticences. Tu étais inquiète de leur montrer une pièce qui traite notamment du rapport à l’alimentation de façon très provocatrice. J’ai dû défendre ma position qui était de revendiquer « cette absence de nécessité de protéger ces spectateurs », de ne pas avoir peur à leur place, en quelque sorte. Mais c’est bien pour ça que nous sommes deux à mener ce projet, pour que tu me dises ce qui te heurte. C’était mon interrogation première sur la conduite sur ce projet, la façon dont se déplaceraient mes velléités protectrices. J’avais dans l’idée de gommer un peu ce travers professionnel, que ça me contraigne à ne pas regarder ces personnes d’abord


sous l’angle de leurs problèmes. C’est le défaut des travailleurs sociaux et là dessus, 19 j’apprends à me mettre de plus en plus en retrait. (...) J’ai envie de croire que tout le monde peut tout aller voir. C’est une sorte de conviction intime. Tu me suis ? Non, j’aurais par exemple des réticences à leur proposer des formes interactives qui interpellent le spectateur à participer. Mais c’est encore une fois, la représentation que je me fais de ces personnes. (...) La base de notre démarche, c’est en partie de chercher à observer ce que ça peut signifier concrètement de mélanger des spectateurs, de se mélanger. Je me demande, est-ce que dans le cadre des sorties, tu fais abstraction du fait que le groupe se voit, c’est à dire qu’il revêt des signes ostensibles de pauvreté, d’exclusion. Pour moi, c’est toujours un élément très présent Non, je suis tellement habituée. Au concert, je me rappelle plutôt d’un autre groupe, des gens que tu avais invité par la FRAT. Ils étaient pour moi encore plus visibles. Pour certaines de ces personnes, on est sur une frontière un peu floue. Je crois que c’est le groupe qui est visible. Oui, c’est peut-être là qu’il y a un paradoxe. C’est le fait d’être en groupe, qui nous rend plus visible alors que le projet tend justement à combattre leur intimidation... Tu m’avais dit que tu aimerais essayer de voir comment ça se passerait si on était pas présentes à l’une des sorties. Je ne sais pas si ils iraient, en fait. (...) Alors qu’est-ce qu’on fabrique à faire ça. Si je me resserre sur ma pratique, ma problématique c’est de faire rencontrer des artistes et ces gens. C’est mon travail. Ou alors qu’ils aillent avec toi, sans moi. Si on enlève la passerelle, le lien du travailleur social. Est-ce que tu penses que c’est si évident la distinction entre nos positions à toutes les deux ? Bien sûr, notre langage, notre comportement. Et puis je la fais la différence quand je leur parle de toi. (...) Comment ce projet s’insère dans ton travail, comment tu peux le revendiquer, le valoriser ? Déjà dans la formation d’éducatrice, c’est prégnant, ce travail sur le groupe. Ce projet, c’est très flou pour tout le monde, c’est un peu à la limite. Pour moi, ça ne fait aucun doute que c’est une partie de mon métier. Est-ce que tu sens que tu as la place pour te sentir spectatrice ? Progressivement, je me demande moins pendant les spectacles comment les gens vivent et reçoivent le projet. Au début du spectacle, je pense à chacun. Avec le temps, de moins en moins. Comment tu peux accommoder ton emploi du temps avec celui du projet, tes horaires n’incluent pas la possibilité que tu travailles le soir. Dans mon domaine, la culture, c’est normal. Je fais en sorte de récupérer. Ça devient plus évident au sein de ma structure que je récupère et… Enfin, pour moi aussi. Même si je me sens obligée de le justifier à chaque fois. J’ai besoin d’entendre que chaque collègue sait et comprend, que ce soit légitime que je récupère les heures consacrées aux soirs de sorties pour aller voir des spectacles. Qu’est ce qui ne serait pas légitime ? Parce qu’un spectacle a à voir avec du loisir ? Oui bien sûr, il faut composer avec les réflexions du genre “ Oh ! Ça va, tu t’amuses.” Il faut toujours appuyer sur le sens et le re-préciser. Je me le demande à chaque fois. Par exemple, à la fin de la soirée à Avignon, ils m’ont dit merci. Je ne sais pas si c’est bien ou mal de dire merci peu importe. Je me suis dit, tiens est-ce que c’est le signe qu’ils perçoivent qu’il s’agit de notre côté, d’une part de travail... Je me sens à l’intérieur mais aussi à l’extérieur de ce groupe, forcément. Il y a une chose objective c’est qu’ils parlent beaucoup plus d’une fois à l’autre. Le « j’aime », « j’aime pas » ne se pose plus en ces termes. Il n’y a pas de méfiance. Qu’est ce qui s’éveille ? Ça me donne envie de les questionner. Sur les spectacles mais aussi sur la forme...


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L’ITINÉRAIRE 03.2006 04.2006

05.2006 06.2006 07.2006 10.2006

IL Y A DES TROUS DANS LE DÉROULEMENT DU TEMPS, cie émile saar, aux Bancs Publics - lieu d’expérimentations culturelles Solo Emilie LESBROS et concert MANUCELLO aux Bancs Publics - lieu d’expérimentations culturelles L’HISTOIRE DE RONALD, LE CLOWN DE MAC DONALD, de Rodrigo garcia, Le Merlan Scène Nationale, à la Friche Belle de Mai VILLE INVISIBLE du Théâtre de l’Arpenteur, Le Merlan Scène Nationale, quartiers nords, Marseille LES BARBARES, de Maxime Gorki par Eric Lacascade, Festival d’Avignon TOY TOY, Sabine de Vivies et POUSSÉE, Nejib Ben Khalfallah (Festival dansem)


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05.2007 02.2007 03.2007 05.2007 07.2007

02.2008 01.2008 02.2008 03.2008 05.2008 06.2008 07.2008

TOUT MON PETIT UNIVERS EN MIETTES, AU CENTRE QUOI ? cie L’orpheline est une épine dans le pied aux Bancs Publics CET ENFANT, Joël Pommerat, Théâtre du Gymnase, Marseille SAINTE JEANNE DES ABATTOIRS, de Catherine Marnas, cie Parnas, Théatre de la Criée, Marseille. HAMLET EXHIBITION, de Thomas Gonzalez, aux Bancs Publics. DE LA MAISON DES MORTS, de Janacèk, Patrice Chéreau, Pierre Boulez, Festival d’Art Lyrique d’Aix-en-Provence, Grand Théâtre de Provence ELLE CRIAIT TOUT BAS, de Sharmila Naudou, cie Träumerei aux Bancs Publics. SQUAWS, cie 2B2B aux Bancs Publics BLANC SEING, de Vinciane Saelens, cie Madgique Pool, Théâtre des Argonautes, Marseille au Merlan Scène Nationale, Marseille LA RABBIA, de Pipo Delbonno au Merlan Scène Nationale OUI OU NON AVONS NOUS TRAVERSÉ LA MER ? cie L’orpheline est une épine dans le pied aux Bancs Publics CARGO SOFIA – MARSEILLE, de Rimini Protokoll, spectacle itinérant en bus, Festival de Marseille ZEITUNG, cie Rosas, hangard du port autonome, Festival de Marseille


22 Rencontre avec Marie Lelardoux, assistante artistique

autour du spectacle La Ville invisible, par le Théâtre de l’Arpenteur programmé par le Merlan, Scène Nationale, 07.2006 V. : Au départ, on s’est retrouvé avec Jacqueline et les autres dans une espèce d’aquarium avec l’accueil. On nous a dit que le spectacle était déplacé… Ça, j’ai cru que c’était vrai. Après dans les taxis les choses semblaient normales, sauf à un moment donné, le taxi parlait du lycée Nord qui était éclairé entre deux et trois heures du matin... Connaissant un peu le quartier... Mais c’est possible que quelqu’un entre dedans et l’éclaire, c’était vraisemblable. Là où c’était un peu compliqué, c’est quand il a dit qu’une des tours de La Viste allait être transformée en résidence artistique. J’ai vécu à La Viste donc je sais que c’est quasiment impossible. Ce qu’il y a d’intéressant pour moi c’est lorsque la voiture est passée vers les Aygalades, c’est un endroit dans le passé où j’ai beaucoup marché, donc j’y ai beaucoup de souvenirs. Par rapport au spectacle c’est les souvenirs personnels qui vont revenir à ce moment-là, plutôt que d’être à l’écoute de ce qui est dit. C’est pareil pour le quartier Saint-Antoine, j’ai aussi beaucoup marché dans le coin... Ce qui était étonnant aussi, c’est lorsque le taxi part, on lui téléphone, enfin on l’appelle pour lui dire qu’il y a un relais et il dit que c’est dommage qu’il y ait un relais... C’est complètement bizarre, même l’histoire du relais : c’est n’importe quoi, ça n’existe pas... Enfin c’est amusant, c’est pas mal. Julie Kretzschmar (J) : Donc tu as pensé que c’était vraiment un taxi jusqu’au café ? V. : Disons qu’à partir de l’histoire de la tour de la Viste qui doit être transformée en résidence... avec les lumières... je commençais à douter beaucoup. (…) J’avais tendance à penser qu’il disait n’importe quoi ! Je n’ai pas pensé que c’était le spectacle. C’est à la fois impossible, mais c’est tellement délirant des fois les actions que peut mener la ville de Marseille que... C’était très peu probable, mais je me posais la question quand même, j’étais dans l’interrogation. C’était un peu choquant d’ailleurs, parce que c’est des logements sociaux là-bas, chasser des gens pour faire ça. Marie Lelardoux (M): Vous êtes intervenu dans le taxi ? V. : Non, non, je ne lui ai rien dit, mais je trouvais ça très étrange. Là aussi, je pense que c’était difficile d’intervenir parce que, après coup, on se dit qu’on aurait pu déranger le spectacle. Pour les acteurs, je pense que c’est une tension supplémentaire parce qu’il peut y avoir des gens qui ont de la repartie... K. : Moi, ça m’a plu parce qu’à un certain moment, il faisait participer le public, comme ils étaient indécis. Ça m’a plu parce que j’ai bien senti Marseille, que je connais très bien comme Notre Dame Limite. Ça m’a recalé dans le patrimoine marseillais, avec la sensation d’appartenir à ce patrimoine. Ça m’a vraiment touché. Et les acteurs étaient formidables... sérieux ! Ils avaient un sens de fantaisie, très très bien... V. : Celui qui joue le rôle du promoteur, il a le rôle un peu ingrat parce que c’est un rôle réaliste. Pour moi, c’était ingrat aussi parce qu’il représentait un matérialiste nostalgique dans le sens qu’on a l’impression qu’il est devenu promoteur parce que, d’après ce qu’il racontait, il y avait une maison où il avait habité et qui n’était plus là… N. : Il y avait une partie d’invention comme la rue dont je ne me rappelle plus le nom... PIGALA... on dirait que c’est lui qui a inventé que ça reprenait les deux premières lettres des trois propriétaires de maisons. Elsa Bernardo (E) : Est-ce que les deux racontaient la même histoire ?


M. : Le spectacle repose sur ces principes de vrai et de faux. Par exemple, l’impasse Pigala, c’est une réalité invraisemblable ! K. : Le début ressemble un peu à Alfred Hitchcock, le mec me parlait de la fenêtre... C’est là que j’ai senti que j’étais dans le spectacle. N. : Au début je croyais vraiment être dans un taxi... On a fait un détour et après il a pris un carnet de croquis, il faisait une perspective, je croyais alors encore que j’étais dans un taxi. Puis on a pris une voie rapide et après il a dit « là, c’est une fenêtre qui s’éclaire toujours à 11 heures du soir, c’est un homme qui commence a écrire... », je me suis alors rendu compte qu’on était dans une vision poétique. (…) Je suis tombée dans le panneau. Je pensais vraiment que le spectacle avait été reporté ailleurs « pour des problèmes techniques » (Répète ce qui était alors annoncé aux spectateurs). V. : On était nombreux aussi, il n’y avait donc rien d’inquiétant. Les personnes n’étaient pas affolées. M. : Ça questionne la confiance qu’on doit accepter d’accorder, le jugement aussi qu’on doit conserver en tant que spectateur. K. : Pourquoi avoir choisi Saint-Antoine ? M. : Ça part de questions assez pratiques. Dans chaque ville, la contrainte de départ pour Hervé Lelardoux, c’est le lieu final. Il lui faut un endroit assez grand pour accueillir cette ville de sable, ce que vous avez vu à la fin. À partir de là, il va chercher un café, et il faut que la distance entre les deux puisse être parcourue à pied par les comédiens qui jouent les agents immobiliers. Ensuite, encore, il faut déterminer les points de départ. Les structures qui ont accueilli le spectacle à Marseille ont cherché, puis proposé différents périmètres en fonction de ces contraintes. K. : Je pensais que c’était un choix plus historique... M. : Non, même si ça pouvait intéresser Hervé Lelardoux, d’aborder ces fameux quartiers nord... Pour le parcours des taxis, il s’agit de repérer des fenêtres, puisqu’ils placent dès ce premier voyage ce rapport intime à la ville. Et cette frontière intérieur/extérieur. (…) K. : Moi je pense que les fenêtres, c’est les yeux du monde, les yeux qui entrent à l’intérieur du monde et les gens se voient à travers. Je l’ai senti ancien. Le metteur en scène, c’est un poète ou un écrivain. Ça a été un peu ... Xfiles. Le décor, il y est déjà... Sauf celui de la fin, c’est pour ça que le poème du départ (« Chaque ville est un livre, dont chaque fenêtre est une page »), c’est comme le final. J. : Et cette fin ? V. : Le moment le plus fort, c’est le moment où je suis rentré dans cette pièce avec... N. : Les boîtes aux lettres... V. : Pour moi, ça avait un aspect très religieux, c’est comme si on passait du côté du promoteur et c’est comme si on entrait dans une église. C’était des boîtes aux lettres en bois avec une lumière à l’intérieur, ça faisait penser à des espèces de tabernacles. Ça avait un rapport avec la religion pour moi... avec l’hostie consacrée... ça veut dire que « le livre est sacré ». Et même la suite, puisque après, il y avait une lecture, ça ressemblait un peu à une messe où il y a aussi une lecture d’un passage de la Bible, ça rejoint ça pour moi. Et à la fin, la ville de sable, ça faisait penser à une espèce de crèche.

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N. : Ça me faisait penser à l’archéologie. La dernière ville... après j’ai davantage pensé que c’était une sculpture, puisqu’au début, je croyais que la fille travaillait à la truelle. Au début, je pensais que c’était de l’archéologie, et en fait c’était de la sculpture. (…) K. : C’est un mélange de villes, j’ai reconnu les styles byzantins, greco-romain… E. : Ça m’a fait penser au site d’un jeune autiste qui a créé toute une ville imaginaire, avec l’histoire de la ville... V. : Ce que je retiens, c’est qu’il s’agit d’un spectacle qui a tendance à sacraliser la ville. Donc, toujours cet aspect religieux. D’autant plus qu’à la fin, on nous propose de marquer sur une feuille de papier une phrase accrochée par rapport à une rue, comme une forme d’ex-voto pour moi. (Ici le spectateur fait référence à un « jeu » mis en place par le Merlan qui proposait à l’issue de la représentation une grande carte de Marseille sur laquelle chacun pouvait associer un endroit à une histoire qu’il écrivait sur un papier.) C. : Au début ça ne m’a pas trop branché, je me suis dit que ça allait me gaver. Je me suis dit que le taxi était complètement jobard, après j’ai compris que c’était un spectacle... Et puis, chemin faisant... quand on a commencé à se promener dans les rues, je me suis dit ça va être gonflant... et puis ça m’a plu... tout de suite. M. : Et ce rôle dont vous ne parlez absolument pas ? V. : Celui qui parlait italien ? Je l’ai trouvé extraordinaire. D’abord de la manière dont il débouche, il tombe quasiment d’une échelle. Il a un rythme extraordinaire. N. : Avec nous, il est arrivé de façon différente, il nous a dit: « il y a les taxis qui attendent...» V. : Nous pareil, mais il est descendu d’un mur quand même ! C’est un rôle qui est très riche. Le texte est d’une poésie très forte. E. : Et même trop dense, je n’arrivais pas à tout saisir. V. : Mais je pense que c’est fait exprès, parce que sur le moment, on ne peut pas trop réfléchir... un texte percutant comme ça… À mon avis, la richesse c’est fait exprès car on pourrait faire autrement. Je me souviens d’une phrase qui est revenue 2 ou 3 fois : « ce qui est important ce n’est pas ce qui est dit, mais l’oreille qui écoute... ». Je pense aussi que le récepteur est plus important... N. : Je n’ai pas trop écouté la partie sur Marco Polo. Et ce que j’ai retiré des lectures près de la « sculpture », c’est qu’il y a des jeux de miroirs dans la ville (Retour sur le parcours avec le passeur). Il nous montrait une petite plante, enfin des herbes sauvages. Je pense que le thème du spectacle c’était que dans un univers familier on peut voir des choses, un microcosme. J’ai fait des études d’histoire de l’art et je visite beaucoup de quartiers de Marseille. Dans cette ville, il y a toujours des choses à découvrir, qu’on ne voit pas à la première visite. M. : C’est un spectacle qui ne repose effectivement pas du tout sur le spectaculaire. II donne à observer l’ordinaire. N. : À la sortie du bar, il nous montre le palmier aussi, l’arbre centenaire...


E. : Ce qui était assez drôle aussi, c’était de passer devant des gens qui mangeaient, qui faisaient leur vie... il y avait écrit « accès interdit » d’ailleurs ! On ne savait plus trop quel rôle on avait : spectateur, groupe... V. : Ce qui est amusant aussi, c’est quand l’acteur qui joue le promoteur traverse la rue. Il nous invite à traverser, mais il ne fait pas trop attention à la circulation, il est resté au milieu et s’est fait insulté par des automobilistes pas trop méchamment, mais quand même... Il s’en foutait complètement. II y avait quand même une petite prise de risque, là. À mon avis, ça fait partie du spectacle, c’est intéressant... Ce qui est certain, c’est que c’est volontaire de sa part, parce que sinon il aurait fait attention que le feu soit bien rouge… J. : Et quand je vous ai ramené en voiture, vous m’avez dit « maintenant je vais vous montrer les vrais quartiers nord » et tu as refait le spectacle, tu as fait comme le type du taxi, tu détaillais... mais en disant: « là, c’est les vrais quartiers nord... » K. : Extrême nord... Parce que sinon, c’était en zone franche, mais les vrais quartiers nord, c’est là. C’est à partir du 14ème vous montez jusqu’au Castellas, vous descendez les Arnavaux, c’est un petit tour, c’est le 14ème les vrais quartiers nord. Ce qui veut dire que vous, vous étiez dans la zone 8, non ? moi, je suis dans la zone 7. Je vous aurais montré… Je vous aurais emmené devant un arbre qui a été planté par Gaston Deferre. Ils ont cassé la route autour. Ils ont fait un petit rond-point, ils l’ont gardé. Ça fait 40 ans qu’il y est. M. : Est-ce qu’il vous est arrivé de repenser à ce spectacle ? K. : Depuis ce spectacle, j’aime plus la mer. À la fin quand ils nous demandaient de déposer des nouvelles, que chacun situe son endroit préféré, c’est là que j’ai revu qu’on a la chance d’avoir la mer. Pour les pauvres, pour les riches, la mer et le soleil, ça fait tout. J’aime bien parce que c’est un parcours, on marche. II y a des endroits qu’on ne voyait pas avant et qu’on voit maintenant. C : Moi, je ne connaissais pas. Il faut avoir envie d’y aller, si on n’y vit pas. Et puis ce sont des quartiers qui n’ont pas bonne réputation entre guillemets... les quartiers du nord... mais je ne savais pas qu’il y avait des coins sympas quand même, des coins de verdure... J’ai bien apprécié la fin, pas parce que c’était fini, mais le cadre, etc. (…) V. : La question que je posais par rapport à un spectacle classique, c’est qu’à la fin, ils n’ont pas le droit d’être applaudis. Ça doit peut-être leur manquer. E. : Ils n’ont pas de retours. V. : Ils doivent bien ressentir ce qui se passe. (…) C’est la grande différence avec un spectacle classique. Un spectacle classique, une fois qu’on est assis, normalement, on reçoit tranquillement alors que là, on ne sait pas de quelle manière on risque d’être sollicité, donc il y a une certaine méfiance presque naturelle. N. : Il y avait un côté un peu précieux. Et après, c’était une partie un peu humoristique quand il présentait le projet avec les fenêtres où les notions de convivialité sont maximales. Après il racontait un souvenir d’enfance, c’était comme un roman, ou une sorte de névrose. Puis le petit lutin est arrivé. J. : Est-ce que vous aviez déjà vu des spectacles en extérieur ? TOUS : Non ! (…)

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V. : J’ai été beaucoup plus touché par la poésie... Le passeur. Pour moi, ça ne change pas grand chose pour le regard sur la ville. Mais c’est une poésie qui me touche profondément. Peut-être que la ville ne me touche pas vraiment, ce qui me touche vraiment, c’est la poésie. (…) E. (à un nouveau spectateur de ce groupe qui n’a pas vu Ville Invisible) : D’en entendre parler sans l’avoir vu, ça vous donne quelle impression ? M. : Comme une série télévisée dont j’aurais raté les 3 premiers épisodes. J’essaie de reconstituer à partir des témoignages de chacun, de reconstituer le puzzle. Sinon, j’ai l’impression que ça se passe dans la ville elle-même, c’est ça ? C’est du théâtre en dehors du théâtre. J’aime assez ça. Si les gens ne vont pas trop au théâtre, c’est le théâtre qui vient à eux. E. : Moi, je n’étais toujours pas convaincue que c’était un vrai comédien, je l’apprends enfin ! Pour moi, le dispositif avait été loué, avec des chauffeurs briffés avec un petit texte... L’équipe leur aurait dit « si vous pouvez divaguer un peu… » K. : Le taxi qu’on a pris me disait « Mais toi, tu le sais ». E. : C’est un exercice d’impro. V. : Ça fait partie du risque de ce genre de spectacle. (…) Si le comédien qui est dans son rôle me parle, il me donne le droit de lui répondre. K. : S’il t’a choisi, c’est que tu es bien dans le spectacle ! C’est l’école des fans ! (…) E. : Au niveau Subventions, tout ça... C’est Marseille ? Parce que ça représente beaucoup d’argent... (…) V. : Le fait qu’on sépare les gens, c’est quand même étrange.

J. : Ça fait quand même un petit mois que vous l’avez vu. Et je suis surprise de tout ce dont vous vous souvenez. Par exemple, la fin, je ne m’en rappelle pas. Je me rappelle très bien de la ville (de sable) mais les textes... Je ne les ai pas entendus, parce que j’ai trop regardé l’espace, avec les boîtes aux lettres... V. : Les textes étaient tellement denses, que c’était très difficile à retenir. Certaines phrases étaient répétées plusieurs fois, et comme elles m’avaient touché la 1ère fois, j’y fais ensuite attention. Je la capture un petit peu. (…) K. (à propos de la scène finale) : Je croyais que c’était la brocante de la mémoire en entrant. J’ai senti des trucs, comme du temps des druides... C’est à ce moment que le spectacle prend de l’ampleur... Avec les jumelles et tout, et quand on sort de là, on se rend compte qu’on est à Marseille, je crois. J. : Vous n’êtes pas venu avec nous tout de suite après le spectacle. Tu as mis un moment à revenir avec nous… K. : Oui, j’ai pris, j’ai pris. J’ai essayé de prendre. Des impressions... Des impressions. Ce qui me plaît, c’est la diversité de voir comment les gens se comportent, des fois on est mal surpris, et, sans instinct, on y va, et après on est installé. Ça a fait un plafond d’horizon, et je n’ai jamais vu ce côté de Marseille. Disons que je l’ai vu mais je ne l’ai jamais regardé.


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Zeitung, Anne Teresa de Keersmaeker, cie Rosas, Festival de Marseille, hangard du port autonome, 07.2008


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Un RMI spectateur

(...) Avant non. Il y a une peur très profonde et le faire seul… Non, j’aurais eu beaucoup de mal même s’il y avait une envie très profonde. Ça aurait été me forcer. Il y a deux ans et demi, ça m’a permis de prendre confiance sur, comment ça s’appelle… De ma valeur aussi, presque de mon bagage culturel . Parce que je n’en ai pas du tout conscience. C’est avec les échanges que j’ai pu avoir que j’en ai pris conscience. Ça a l’air idiot, mais dans les milieux où ça n’est pas reconnu, ça n’existe pas. Et le plus intéressant pour moi, avec les échanges que j’ai eu autour des spectacles, c’est que c’est très valorisant. Je ne sais pas ce que j’en ferai ensuite. Avant j’aimais mais sans le savoir presque. J’allais te demander ce que ça t’avait apporté au-delà… Pour moi, c’est très important. Actuellement, ce qui me tient debout, c’est d’aller voir des spectacles. C’est très fort, c’est vraiment vital. Enfin vital... C’est vitalisant, ça donne une énergie. Après ce que je pourrais en faire… C’est beaucoup plus difficile, je reste avec mes problèmes comme tout le monde. Avant, tu ne savais pas… Ce n’était pas du tout valorisé. Donc pas possible. Avant, par exemple je pouvais écouter une émission sur France Culture et me retrouver avec ce qui se disait. Puis ne rien en faire. Rencontrer des artistes, c’est beaucoup plus humain. Ça permet de prendre confiance et prendre conscience que ça existe. Une conscience que le monde artistique me touche beaucoup, que ça peut me faire beaucoup de bien. C’est très difficile à expliquer. Tu as dit que tu n’avais pas conscience que c’était quelque chose qui pouvait être valorisant. Dans le milieu dans lequel je suis, ce n’est pas du tout valorisé et j’ai besoin de prendre conscience de ma propre sensibilité artistique. C’est très important pour moi. C’est un cheminement, savoir que ce que je dis, peut- être reconnu par des autres. C’est qui, les autres ? Je me suis aperçu par rapport aux autres spectateurs que j’avais une richesse, une ouverture. Je crois qu’on ne peut pas rationnellement dire pourquoi les choses nous touchent en profondeur. Dans la vie, il y a beaucoup de choses qui me dégoûtent profondément et j’arrive à trouver dans les spectacles des choses tellement difficiles de la vie courante… Ou alors, au contraire dans le spectacle de Brecht, une critique de la société qui me touche intimement, c’est un discours. C’est aussi très affectif, ce n’est pas forcément rationnel. On peut recevoir les choses. Je pense qu’il y a une transmission d’énergie. Moi si je suis touché, c’est parce qu’il y a quelque chose de presque inconscient, de presque irrationnel. Aujourd’hui, si je compte je crois que nous avons déjà vu 16 spectacles ensemble. As-tu l’impression de les regarder différemment, d’habituer ton regard ? Je vois ça comme une sorte d’aliment. Au début, je ne connais pas un produit et je goûte. Et au bout d’un moment, ça commence à me plaire... Avant ce n’était pas du tout connu dans mon milieu ou alors par le bais de l’éducation nationale, mais là c’est très éducatif. Et à mon avis la force de frappe du théâtre, c’est pas du tout éducatif. C’est une énergie. Tu sais, il y a des expériences trés diverses qui s’appellent les écoles de spectateurs. Tu penses que pour regarder certains spectacles, il faut éduquer le spectateur ? Moi avec vous, Elsa et toi, j’ai découvert le théâtre contemporain. J’imaginais que c’était pour une élite. Ce qui m’a frappé c’est le côté spectacle vivant, qui est une valeur très forte et très spécifique. Moi, je n’aime pas Sardou, mais j’irais voir si on me donnait une place. Et je suis capable d’aimer, pas parce que j’aime Sardou, mais parce qu’il y aura une ambiance.


La question, c’est simplement comment on y accède, non ? 29 À condition qu’il y ait une certaine liberté. Dans la cour d’honneur, tu nous avais dit que ce n’était pas grave si on s’endormait. Si on va à un spectacle comme on va à un cours, c’est le problème. Si on demande à une personne de venir et de faire comme elle veut…. Je me ne rappelle pas que je vous avais dit que vous pouviez dormir ! Tu nous avais dit qu’il arrivait que des gens dorment et que ce n’était pas grave du tout. Je ne sais pas si un spectateur, ça s’éduque, un enfant peut-être... Mais sur un adulte... On peut amener les gens vers une sorte de curiosité. Mais le mot éducation... Toi, cette curiosité, tu l’avais déjà ? Elle n’était pas ouverte même si j’avais une grande soif. Tu n’avais pas identifié jusque-là que ça pouvait être amené par des spectacles, ce dont tu parles, c’est ça ? Ça prend beaucoup de temps de prendre confiance en soi du point de vue de la culture. De l’expérience. C’est quoi ce manque de confiance ? C’est lié aux difficultés que tu rencontres par ailleurs ? C’est difficile. Une fois par exemple, je suis venue aux Rencontres à l’Échelle, aux Bancs Publics. Il y avait la possibilité de se mettre où l’on voulait dans la salle. Ça m’aurait dérangé de ne pas savoir le faire. Mais autrement je pense que ce qui prend du temps, c’est d’identifier qu’est ce que ça apporte. C’est très difficile à définir. Tu te poses quand même des questions que beaucoup de spectateurs accomplis ne se posent pas ou plus ! Notamment celle de la réception. Au mois d’août, je suis beaucoup allé au ciné. J’ai presque tout aimé mais je fais très attention de ne pas tomber dans la consommation. Ça dépend le ressenti que j’ai, ça répond à une sorte de nécessité, que des gens doivent trouver ailleurs dans la vie. Pour moi, c’est vitalisant. As-tu eu le sentiment que parfois ce que je vous proposais était un peu difficile à recevoir justement ? Difficile de parler au nom de groupe. Le seul truc que j’ai ressenti, avec J. pendant le spectacle de Rodrigo Garcia, elle ne pouvait pas s’empêcher de parler, de commenter. Peut-être qu’elle a l’habitude de regarder la télévision. On en a reparlé de ce fada de Garcia deux ans après, elle a été très marquée. C. par exemple, il est très ouvert. En pratique il est très ouvert. Il est quand même réceptif, même s’il s’endort. Je te pose ces questions parce qu’il s’agissait d’une sorte de conviction intime que l’on peut tout aller voir sans le vérifier. On peut aller voir tout, parce que c’est du spectacle vivant. Il y a quelqu’un là et donc il se passe quelque chose. Tu te sens bien accueilli dans les lieux de spectacles ? Moi je dis que oui. J’en ai fait l’expérience. Ce n’est pas intimidant ? Pour moi, l’intimidation vient de la peur d’être jugée par une sorte d’élite qui peut être intimidante. Avant la peur principale, c’est d’être jugé par des gens que je ne connais pas, des bobos, de me sentir inférieur. Ce qui compense, c’est la soif de voir le spectacle. C’est plus fort que la peur. Le problème, c’est d’aller au-devant. Je ne vois pas de quelle manière les organisateurs de spectacles peuvent inviter des gens. Avec des tarifs très bas par exemple. Mais, je pense que c’est très difficile d’aller voir quelqu’un. Pour notre groupe, il y avait un lien préexistant avec Elsa. Je crois qu’il ne faut pas culpabiliser les gens. C’est très difficile d’intéresser les gens. Patrice Chéreau nous a dit la même chose. Le problème, c’est la télévision. (…) Ce que je veux dire, c’est que c’est très difficile de faire changer le regard des gens. Pour moi, c’est une chance. Enfin ce n’est pas une chance, c’est un besoin qui comble des manques. Ça reste très difficile. C’est une forme d’utopie de les faire changer de visions... Par exemple, j’ai horreur des rmistes qui ont des opinions de droite et quelque part je ne les comprends pas. C’est difficile de faire comprendre à quelqu’un. Pour moi, c’est du même ordre.


As-tu déjà fait, l‘expérience de proposer à quelqu’un de venir voir un spectacle avec toi, à quelqu’un qui n’en a jamais vu ? Je compte le faire, je connais deux personnes. J’aimerais le faire par curiosité. Mais c’est par curiosité. C’est plus difficile de voir un spectacle seul qu’à deux. (…) Des souvenirs ? Chaque spectacle est riche. C’est impossible de mettre des notes à un spectacle Ce qui m’a le plus touché, c’est la rencontre avec Patrice Chéreau. Lui-même, son œuvre est désespérée voire désespérante. Il a une certaine joie de vivre, il travaille beaucoup. Une grande dureté. Quand on est allé voir cet opéra à Aix-en-Provence, tu te souviens du public ? Là, c’est parti en plus, il y avait Boulez. Et il y a une chanson de Léo Ferré dans laquelle il se moque de Boulez, je me rappelle plus trop laquelle. Moi, ce qui me touche le plus dans les spectacles, c’est la résonance que ça peut avoir par ailleurs. Par exemple à la mort de Youssef Chahine, j’ai vu à la télé le film Adieu Bonaparte et le rôle est tenu par Chéreau. Et je me suis rappelé notre rencontre. C’est idiot mais c’est très fort. Est-ce que tu parles « d’avoir de la culture » ? Oui et pour moi, c’est affectif. C’est une sorte de résonance. Quand j’ai entendu Emilie Lesbros, que j’ai reconnu sa voix, c’était amusant. Même il n’y a pas longtemps, j’ai entendu sur France Culture, un dimanche très tard une pièce de création radiophonique avec le nom de Marie Lelardoux sur le dégât des eaux. C’était affectif mais c’est très marrant. Le côté affectif, c’est très important. D’une certaine manière, Boulez, je m’en fous mais c’est la chanson de Léo Ferré. Puis j’ai vu quelques pièces de l’Egrégore au théâtre de Lenche et parfois je croise un des acteurs dans les rues de Marseille, ça reste impressionnant. C’est tout con mais... Toi, tu parlais facilement au moment des rencontres avec les artistes. C’est extrêmement intéressant parce qu’il y a beaucoup de peur et d’admiration. C’est très difficile de dire à quelqu’un qu’on a aimé son travail. (…) Dans nos discussions sur ce projet de groupe de spectateurs, une des premières questions qu’on nous pose est celle de l’utilité. En gros de nous rétorquer que ça ne va pas faire sortir les gens du RMI d’aller voir des spectacles ! Ça, je comprends, le fameux discours de l’efficacité. Alors, si on répondait quelque chose sur l’efficacité, au lieu de dire que ce n’est pas notre vocabulaire et donc d’éviter la question... Pour moi, c’est très fort. C’est très difficile mais il y a une forme d’efficacité. Mais après, c’est une question de rentabilité. Après le spectacle, je rentre chez moi, je retrouve les problèmes. La culture du résultat pour moi, c’est absurde. Si je formule simplement, en quoi ça aide à vivre ? C’est retrouver des émotions, partager une sorte d’intimité liée à un spectacle, et retrouver une intimité que je ne trouve pas ailleurs. Ça peut être très riche. J’ai vu un spectacle de Brecht. Et il y a un personnage qui dit “ quand il n’y a pas de danger, il n’y a pas de courage ”. Pour moi le courage, ça n’existe pas. Le courage, c’est un désir entouré de difficultés. On met l’attention sur le désir. Pour moi, le courage, c’est même une valeur très pervertie. Et d’un coup j’entends ça au théâtre, quelqu’un qui dit quelque chose que je pensais avant, qui a été capable de l’écrire. Là, ça, ça m’aide. (…) Mais, si ponctuellement, ça m’aide à vivre. Le temps du spectacle, je suis bien. Après, quelque chose de plus radical, ça me paraît difficile. D’un seul coup, je ne vais pas me mettre à aimer la société.En pratique ça me permet de rencontrer les autres, des gens. Tu parles d’un espace à partager ? Dans mon cas, c’est un moyen de rencontrer des gens sinon je reste chez moi. Je vais être relativement moins mal. En pratique, ça me permet de rencontrer des gens, d’être plus ouvert.

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Moi, ça m’a donné une sorte de joie de vivre. Ça vaut le coup de vivre pour voir du cinéma. 31 Au dernier renouvellement du RMI en février, j’ai dit que c’était le fait d’avoir vu des spectacles qui m’avaient permis de vivre. J’ai dit au référent que mon RMI, ça me servait à aller voir des spectacles pour vivre. Bon, je la connaissais alors je pouvais prendre le risque. Là, je vais changer de référent. Tu as l’impression que ça serait prendre un risque de le dire ? Ça dépend sur qui je tombe, la prochaine, je ne la connais pas. En principe, les assistantes sociales sont assez ouvertes mais c’est pas une obligation. Disons qu’en pratique, si on pouvait mettre sur la feuille : le RMI de monsieur X lui est utile pour qu’il aille voir des spectacles de théâtre et des films au cinéma… Alors que le conseil de validation du centre est très dur, à mon avis. On m’a posé beaucoup de problèmes. Il serait bien que les référents rmistes soient plus informés. Mais on doit penser que c’est ultra-secondaire. C’est la seule chose qui me fait du bien. Moi je pourrais dire que j’ai un RMI spectateur. J’étais très replié alors je me suis engouffré dans les spectacles. (…) Moi, ce n’est pas du jour au lendemain. Ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que c’est naturellement difficile. C’est une forme d’utopie…. Moi, je pense que ça vaut le coup. Extrait d’un entretien avec Vincent mené par Julie Kretzschmar aux Bancs Publics, 09.2008.

Rédaction : Julie Kretzschmar Maquette : Blandine Cordellier Impression : Les Bancs Publics - Lieu d’expérimentations culturelles Remerciements : Marie Lelardoux, Franck Manzoni, Christophe Grégoire, Patricia Plutino, Patrice Chéreau, Vinciane Saelens, Sharmila Naudou, Frédérique Teyssier, Annie Eraud, Emilie Lesbros, Claire Rommelaere, Fathi Kamoun et Benoît Paqueteau.


Les Bancs Publics - Lieu d’expérimentations culturelles Direction : Julie Kretzschmar et Guillaume Quiquerez 3, rue Bonhomme / 10, rue Ricard 13003 Marseille +33(0)4 91 64 60 00 http://lesbancspublics.com contact@lesbancspublics.com Les Bancs Publics - Lieu d’expérimentations culturelles reçoivent le soutien du Conseil général des Bouches-du-Rhône, de la Ville de Marseille, de la Région Provence-Alpas-Côte d’Azur et, sur des projets spécifiques, de la DRAC Provence-Alpas-Côte d’Azur, de l’Acsé et de la Politique de la Ville. Itinéraire(s) d’un groupe de spectateur(s) a été réalisé avec le soutien du Contrat Urbain de Cohésion Sociale, du Conseil général des Bouches-du-Rhône et de la Région Provence-Alpas-Côte d’Azur dans le cadre de la Politique de la Ville.


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