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Tient tête en solo

Interview: Pascal Grolimund, texte: Judith Brandsberg

Bien qu’elle n’ait pas les conditions physiques typiques pour être une rameuse de pointe, Jeannine Gmelin (30 ans) a accepté le défi et poursuivi son objectif avec constance, ambition et persévérance. Dans l’interview, elle parle de son parcours, de l’entraînement difficile et des sacrifices qui sont parfois nécessaires pour être parmi les meilleurs – d’une manière sympathique et terre-à-terre pour laquelle la championne d’Europe et du monde est connue.

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Avez-vous toujours su que vous vouliez faire de l’aviron? Je viens d’une famille d’artistes et la musique aurait donc été l’option la plus proche

■ L’objectif à long terme est clair: une médaille aux Jeux olympiques de Tokyo en 2021 …

«Ce sport, ainsi que l’entraînement qui l’accompagne, me fascine.»

■ Surtout dans les sports qui demandent un tel effort d’entraînement, comme l’aviron, vous devez accepter des limites dans votre vie personnelle.

pour moi. Cependant, mon lien avec la nature m’a fortement influencée. J’ai grandi près du Greifensee et j’étais dehors par tous les temps. J’ai aussi souvent passé du temps dans les montagnes avec ma famille. Lorsque j’ai ensuite, en fait assez tard, cherché un passe-temps sportif, j’ai commencé avec mon frère un cours pour débutants au club d’aviron d’Uster. J’ai aussi essayé l’escalade, mais l’aviron m’a rattrapée et le passe-temps est devenu ma passion.

Vous avez alors opté pour le skiff plutôt que pour les courses d’équipe. Pourquoi? Au tout début, je me suis également entraînée dans le quatre de couple. Mais le club d’aviron d’Uster était très petit et il n’y avait donc pas d’autres filles avec lesquelles j’aurais pu former une équipe. Lorsqu’il s’est agi de participer à des compétitions, il était donc rapidement clair que le skiff était fait pour moi. Même si j’ai eu un peu de mal à l’accepter au début – il faut admettre que ce n’était pas un «coup de cœur». Mais comme le succès est arrivé relativement vite, la joie est venue et il était logique pour moi de continuer dans cette catégorie.

Un passage au quatre de couple serait-il encore possible? Je m’entraîne en tant qu’athlète individuel depuis si longtemps que c’est normal pour moi. En outre, ma carrière en solo est déjà bien avancée. Quand je pense à l’aviron aujourd’hui, j’ai automatiquement l’image du rameur en solo dans mon esprit – bien que l’aviron soit aussi un sport d’équipe. Cependant, je ne connais pas du tout cette variante. Mais en attendant, je pourrais bien imaginer qu’un bateau d’équipe, le deux de couple, serait le nouveau défi le plus probable pour moi. Bien que je n’y aurais pas vraiment penser il y a quelque temps encore.

Un de vos anciens entraîneurs a dit un jour que vous n’étiez pas assez bonne pour l’équipe nationale. Maintenant, vous faites partie des meilleurs athlètes du monde.

Lorsque j’ai décidé d’entreprendre une carrière professionnelle, on m’a dit que je n’avais pas la bonne constitution physique pour la compétition d’aviron – j’étais trop petite. J’ai d’abord dû me battre contre cette idée fausse et faire mes preuves. Parce qu’il était clair pour moi que je voulais essayer d’être rameuse professionnelle. Comment aurais-je pu le savoir si je n’avais pas tenté ma chance? Je ne voulais pas avoir à me demander plus tard ce qui se serait passé si … C’était ma motivation.

Vous avez dit dans une interview que l’entraînement et la passion suffisaient pour devenir bon. Pourquoi si peu de personnes parviennent-elles encore à atteindre votre niveau de performance? La routine quotidienne d’entraînement est assez dure et devient également monotone avec le temps. D’autre part, beaucoup de gens imaginent que les athlètes peuvent faire ce qu’ils veulent, qu’ils peuvent gérer leur temps librement et qu’ils ont simplement fait de leur hobby une profession. Cependant, surtout dans les sports qui exigent un niveau d’entraînement aussi élevé que l’aviron, les athlètes doivent accepter des restrictions considérables. Par exemple, il ne reste pas beaucoup de temps pour la famille et les amis, il est donc important de fixer des priorités claires entre l’entraînement et le temps libre. Parfois, les gens ne sont pas assez passionnés pour faire ces sacrifices. Et la passion diminue avec le temps ou le plaisir se perd.

Comment maintenir la tension et se motiver?

Ce sport et l’entraînement qui l’accompagne me fascinent énormément. J’aime cette interaction entre l’endurance, la force, la technique et les exigences mentales. C’est pourquoi je veux toujours m’améliorer et me

Jeannine Gmelin à propos d’elle-même

Mon monde de l’aviron 2000 mètres, soit un peu moins de sept minutes et demie. Perçu depuis le rivage comme un élégant sillon en solo. Pour moi, 250 coups de concentration et de puissance, me poussant à la limite. Quand le feu de départ passe du rouge au vert, il n’y a plus que moi et mon bateau. Au premier quart du parcours – pouls maximum de 200 – les poumons brûlent, des douleurs de lactate, comme des aiguilles qui piquent, s’installent. Mi-temps. La voix qui veut vous tenter de céder à la douleur devient de plus en plus forte. Je dois l’ignorer. Conduire le bateau coup par coup vers le but. Se concentrer sur le moment présent, sur mon souffle. 70 % de travail pour les jambes, 20 % pour le torse, 10 % pour les bras. La fin approche et le rythme passe d’un peu plus de 30 à près de 40 coups par minute. Puis le klaxon rédempteur. Au premier moment, paralysée par la douleur, j’ai besoin de quelques minutes jusqu’à ce que mes sens soient plus ou moins rétablis et que je puisse bouger. L’aviron était autrefois un hobby, puis une passion et maintenant c’est ma profession. J’ai grandi à Uster, la ville au bord de l’eau, dans l’Oberland zurichois – avec mes trois frères et sœurs, le Greifensee était ma deuxième maison. Aujourd’hui, ma maison se trouve partout où je peux éprouver cette sensation indescriptible de légèreté en glissant sur l’eau. La recherche du coup parfait est sans fin. Ça me motive, on pourrait presque dire que j’en suis obsédée. L’interaction entre l’endurance, la force, la technique et les aptitudes mentales est unique pour moi et fait ma fascination pour ce sport. Attendre dans les starting-blocks le «attention – go». La tension qui m’entoure, sachant toute la douleur qui va m’accompagner. Curiosité de savoir comment je vais pouvoir réaliser mon plan de course du premier au dernier coup de rame. Et puis, juste avant le départ, la grande gratitude de pouvoir montrer ce pour quoi je travaille dur chaque jour, avec beaucoup de passion et sans compromis. La route vers le sommet est semée d’embûches. Indispensable à tous les niveaux: engagement, feu sacré et volonté de fer. Inévitable: des hauts et des bas. Mais l’objectif à long terme est clair: une médaille aux Jeux olympiques de Tokyo en 2021. www.jeanninegmelin.ch Instagram: @jeanninegmelin développer davantage. Aussi parce que cela correspond à une valeur fondamentale de ma vie pour élargir mes horizons. Je le fais actuellement dans mon sport, plus tard, ce sera peut-être dans un autre domaine.

Outre un entraînement efficace, qu’est-ce qui est important pour votre réussite sportive? L’alimentation et le repos sont également des aspects importants. Un sommeil suffisant, par exemple, est une condition de base pour pouvoir faire face à la routine quotidienne d’entraînement. C’est pourquoi j’ai besoin d’au moins huit heures de sommeil par jour. De plus, la formation mentale est très importante pour moi.

Qui vous soutient dans votre entraînement? Le coach, en tant que contact central, occupe naturellement une place importante dans ce processus. Surtout pour me montrer d’autres

«Mon objectif pour les Jeux olympiques est de faire de mon mieux.»

points de vue. Après tout, je me vois souvent différemment que ne me perçoivent les gens autour de moi. Par exemple, je suis très sévère dans mon jugement de moi-même. Le retour d’information de l’entraîneur peut équilibrer cela.

A quelle période de l’année préférez-vous vous entraîner? Sur le lac, je ressens très intensément les différences de température parce que je suis exposée aux intempéries. C’est pourquoi il est plus agréable de s’entraîner quand il fait chaud. Mais j’aime aussi l’hiver et la neige. En fait, chaque saison a ses beaux côtés.

Qu’est-ce qui vous aide à déconnecter et à faire le plein d’énergie? En plus de dormir suffisamment, j’aime me faire masser. En outre, je me rends régulièrement dans la chambre de glace – trois minutes à –110 degrés. Et j’aime aller aux bains. Il est également important pour moi d’être dans la nature et de passer du temps avec ma famille et mes amis les plus proches lorsque cela est possible.

Une course dure environ huit minutes. Quelles sont les phases que vous traversez pendant cette période et quelle est l’intensité de chacune d’entre elles?

Le début est extrêmement intense et associé

à beaucoup de puissance – une phase qui me convient moins car, comme je l’ai déjà mentionné, je suis plutôt petite. Ce désavantage doit ensuite être compensé dans la section du milieu. Cette section exige une bonne technique, de la force mentale, de la ténacité et la volonté de persévérer; des qualités dont je dispose. La dernière partie ne fait alors que causer de la douleur.

Quand la première douleur commence-t-elle? Au bout d’une demi-minute environ, ensuite elle devient de plus en plus forte. C’est pourquoi il est important de se préparer avant la course au fait que ce sera inconfortable. Au final, c’est tout le corps qui souffre, y compris les poumons; le pouls est de 200 battements par minute. Il faut juste tenir.

Notre programme vise à utiliser l’énergie de manière efficace. Comment faites-vous dans l’aviron?

Je dois également utiliser mon énergie de manière efficace dès le premier instant et

 La recherche du coup parfait est sans fin.

 La route vers le sommet est semée d’embûches.

 Interview au restaurant Libelle près du lac Rouge. l’utiliser pleinement pendant la durée relativement courte de la course. Pour y parvenir, il est important de manger correctement un ou deux jours avant une course afin de reconstituer au mieux votre niveau d’énergie. Cependant, je ne dois pas en faire trop. Le but est d’utiliser au maximum mon énergie pendant la course et de pouvoir me régénérer le plus rapidement possible après.

L’aviron est considéré comme un sport sain. Est-il possible de se blesser? Les blessures au sens strict du terme sont en effet rares – les surcharges, en revanche, sont plus fréquentes. Parce que l’aviron professionnel est toujours un chemin de crête entre beaucoup et trop d’entraînement. Les conséquences typiques sont des surcharges du dos, des genoux ou des côtes, ainsi que des inflammations de la gaine des tendons.

Lorsque vous ramez, vous vous déplacez en tournant le dos à la direction du trajet. Les collisions ne se produisent-elles pas de temps en temps? Cela peut arriver. Cependant, il existe des règles de conduite, par exemple, selon lesquelles vous devez monter au milieu du lac et descendre le long du bord. De plus, pendant l’entraînement, vous devez faire attention aux baigneurs, surtout sur un petit lac où il y a peu de place. Vous avez pu célébrer de nombreux succès: championne d’Europe, gagnante de la Coupe du monde à plusieurs reprise, championne du monde. De quel titre êtes-vous particulièrement fière? En fait, ce n’est pas un titre spécifique dont je suis la plus fière. Lorsque je me suis qualifiée pour la finale des Championnats du monde en 2015 et donc aussi pour les Jeux olympiques, ce fut ma plus grande réussite. J’étais en fait une inconnue, peu de gens m’en avaient donné le crédit. J’espérais moimême un exploit, mais je n’étais pas encore aussi confiante que je le suis aujourd’hui. Cette compétition a donc représenté un grand pas pour moi – aussi parce qu’elle a réellement signifié ma percée. C’est là que j’ai réalisé que je pouvais vraiment le faire. Ce fut un moment très important de ma vie qui a eu un grand impact sur moi. La victoire individuelle, par contre, ne compte pas autant pour moi.

Vous étiez en Australie l’année dernière pendant les incendies, et à peine de retour en Suisse, le confinement suite au COVID-19 …

Lorsque j’ai dû quitter l’Australie à cause des incendies, j’ai été très touchée. Enfin, je pouvais partir de là et être en sécurité à la maison, alors que les gens qui y vivent devaient rester. Cependant, j’ai été contrainte d’annuler les

«Dans la course, il faut de la force mentale, de la persévérance et de la constance.»

sept semaines d’entraînement prévues. C’était comme si on abandonnait, ce qui laissait un goût amer. J’étais à peine arrivée chez moi que la pandémie de coronavirus a éclaté et mes plans n’ont à nouveau pas fonctionné.

Y a-t-il eu des changements dans la routine d’entraînement quotidien à cause de cela?

Au début de la crise, j’étais encore en Slovénie. Je ne savais pas encore très bien ce qui allait se passer et je devais me préparer au mieux pour le prochain objectif, les Jeux olympiques. Lorsque les jeux ont été annulés, j’ai dû décider si je devais retourner en Suisse ou rester en Slovénie pour une période indéterminée. J’ai opté pour l’isolement et suis restée trois mois. L’aviron n’était pas toujours autorisé, l’entraînement physique était limité et je devais me passer complètement de mes partenaires d’entraînement.

Qu’est-ce que cela signifie pour vous que les Jeux olympiques n’aient pas eu lieu? Lorsqu’il était clair que les Jeux olympiques ne se tiendraient pas et que tout s’arrêtait, cela signifiait avant tout un soulagement pour moi, car c’était la certitude de savoir comment les choses allaient se poursuivre pour moi. J’ai aussi réalisé que j’avais eu deux années épuisantes physiquement et mentalement. Maintenant, j’ai eu l’occasion de ralentir et de me donner un peu de temps. Quels sont vos objectifs cette année concernant les Jeux olympiques? Je suppose que les jeux auront lieu, bien que sous une forme modifiée. J’aimerais certainement dépasser mon dernier résultat, ce qui rendrait une médaille possible. Mon objectif premier, cependant, est de donner le meilleur de moi-même. Je suis beaucoup plus heureuse du résultat quand j’ai fait ce que j’ai pu que lorsque je gagne une course et que je sais que je n’ai pas fait de mon mieux.

Vous vous entraînez principalement autour du lac de Sarnen. Pourquoi? Je me sens très bien à Sarnen – aussi parce que le lac est entouré de montagnes. Elles me fascinent beaucoup parce qu’elles rayonnent la force et le calme. Avoir une nature aussi merveilleuse à ma porte est quelque chose dont je peux me nourrir, cela me donne de l’énergie. Des levers et des couchers de soleil, de beaux nuages, je vis tout cela de manière beaucoup plus intense qu’à Uster, par exemple.

Comment financez-vous votre vie?

J’ai deux sponsors principaux, ainsi qu’un garage à Kriens qui me met une BMW à disposition. En outre, je suis employée par l’armée à 50% avec un poste de militaire contractuel sportif d’élite pour les sports d’été. En outre, je peux compter sur le soutien de l’Aide sportive. Que ferez-vous à la fin de votre carrière? Serait-ce une option pour vous de traverser l’Atlantique en bateau à rames, par exemple? L’aspect mental serait très attrayant pour moi. Je ne sais pas encore si ce sera la traversée de l’Atlantique ou un autre défi mental. Mais avec un tel challenge, je serais certainement en mesure de poursuivre mon objectif d’élargir mes horizons.

Y a-t-il un rêve que vous aimeriez réaliser?

J’ai quasiment tout ce que je souhaite. Ce serait donc certainement bien si je pouvais trouver quelque chose d’aussi satisfaisant après mon temps actif dans l’aviron.

Conseils d’une professionnelle de l’aviron pour le débutant

Que m’apporte l’entraînement à l’aviron?

L’aviron est un sport qui ménage les articulations et convient donc à tous les âges. La charge peut être ajustée individuellement et l’entraînement se déroule principalement dans la nature – ainsi, en plus de l’entraînement physique, on profite de l’air frais, du soleil et de la sensation de liberté sur le lac.

A quoi dois-je faire attention en tant que «débutant», quelles erreurs dois-je éviter?

En tant que débutant, il est certainement important d’acquérir les bases dans un cours (dans un club d’aviron), car on y apprend non seulement les aspects techniques de l’aviron, mais aussi le maniement des bateaux. En tant que débutant, on devrait plutôt s’entraîner en groupe jusqu’à ce qu’on se sente suffisamment en sécurité dans le bateau. Les ampoules sur les mains doivent être bien soignées, par exemple avec Bepanthen Plus – à appliquer de préférence en couche épaisse pendant la nuit – jusqu’à ce qu’elles se transforment en callosités lors d’un entraînement régulier à l’aviron. A quelle fréquence et pendant combien de temps dois-je m’entraîner?

Cela dépend du but à atteindre. Pour se faire du bien mentalement et physiquement, deux à quatre sorties d’aviron par semaine suffisent certainement. Idéalement, elles durent entre 60 et 75 minutes.

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