22 & 23 mars 2013 - Lyon
colloque international
1883 - 2013 Sous la direction de Cyril Devès
Centre de Recherche et d’Histoire InterMédia de l‘Ecole Emile Cohl
Ecole Emile Cohl
Actes du
Colloque international Gustave Doré 1883-2013 22 & 23 mars 2013 Lyon
Centre de Recherche et d’Histoire InterMédias de l‘Ecole Emile Cohl
Thibaut Matras Atelier de Françoise Lorson La forêt dans l’œuvre peint et gravé de Gustave Doré, vue par les jeunes artistes d’Émile Cohl.
REMERCIEMENTS Le CRHI souhaite exprimer sa plus vive reconnaissance aux différents intervenants et aux présidents de séance pour l’adhésion à ce projet et pour la qualité des propos et des échanges : Maria Aivalioti, Amaya Alzaga, Laurent Baridon, Magali Briat-Philippe, Laurence Danguy, Cyril Devès, Sandrine Doré, Audrey Doussot, Anne-Isabelle François, François Fossier, Delphine Gleizes, Agnès Juvanon du Vachat, Philippe Kaenel, Dominique Laporte, Christophe Leclerc, Ségolène Le Men, Jean-Michel Nicollet, Carole Rabiller, Maria Luisa Ramirez Lopez, Annie Renonciat, Emmanuelle Riand, Isabelle Saint-Martin, Elisabetta Sibilio, Caroline Zioko, Nicholas-Heni Zmelty. Nous remercions chaleureusement les enseignants de l’école de dessin Émile Cohl et leurs étudiants pour la qualité de leur réflexion plastique et pour la mise en place de l’exposition lors de ce colloque : Gilbert Houbre, Frédérique Mansot, Françoise Lorson, Dominique Simon, Jean Claverie, Jean Mulatier, Hervé Vadon et Dominique Gardrat.
Les présents actes sont le résultat du colloque Gustave Doré. 1883-2013 organisé par le CRHI les 22 et 23 mars 2013 dans les locaux de l’école Émile Cohl à Lyon.
Nous tenons à exprimer toute notre gratitude à la direction de l’école de dessin Émile Cohl, notamment M. Rivière, pour la confiance et le soutien dans la mise en place de ce projet. Projet qui n’aurait pas pu voir le jour sans le travail fourni par Marie-Pierre Bonnet et toute l’énergie de Caroline Chaix et Aurélie Borel. Nos remerciements vont également à toutes celles et ceux qui ont apporté leur précieux concours à la réalisation et au bon déroulement de ce colloque. Un remerciement admiratif pour le travail de Letizia Goffi, en charge de la mise en page de ces actes.
Direction scientifique du projet : Cyril Devès Collaborateur : Marie-Pierre Bonnet Communication, diffusion et site internet : Letizia Goffi et Aymeric Hays-Narbonne Mise en page des actes du colloque : Letizia Goffi réation du visuel de couverture : Alexis Jarret (étudiant en 2e année à l’école Émile Cohl), C sous la supervision de Jean Claverie. Impression : Fouquet Simonet Imprimerie (38) Partenaires scientifiques : IUF, HAR EA/4414, LARHRA, Monastère Royal de Brou à Bourg-en-Bresse Partenaires institutionnels et privés : Bibliothèque de la Part-Dieu, CIC Lyonnaise de Banque
monastère royal à Bourg-en-Bresse
de
Brou
église & musée
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PRÉSENTATION Ce colloque inaugure la création du CRHI, le Centre de Recherche et d’Histoire Intermédia de l’école d’art Émile Cohl. Le phénomène de l’illustration, de la publicité, de la bande dessinée, du cinéma, du dessin animé est tel que l’Ecole de dessin Émile Cohl a jugé utile de se doter d’un centre de recherche pour prendre part aux débats universitaires qui portent sur ces notions de médias, de médiation, de création et d’arts visuels. Le CRHI souhaite favoriser le dialogue et l’échange entre les universités, les institutions culturelles et les artistes de manière à ce qu’il devienne une véritable plateforme d’échange et de recherche sur les arts visuels. Pour sa première manifestation scientifique, le choix s’est porté tout naturellement sur Gustave Doré. Nous souhaitions nous inscrire dans une actualité scientifique en nous situant entre l’exposition Gustave Doré, un peintre né, consacrée à son œuvre peint au musée de Brou à Bourg en Bresse du 12 mai au 16 septembre 2012 et l’exposition Gustave Doré, l’imaginaire au pouvoir au musée d’Orsay du 18 février au 11 mai 2014. Le choix de G. Doré dont la carrière embrasse la majorité des arts graphiques de son époque (caricature, illustration, gravure, peinture, sculpture) s’intègre parfaitement dans la problématique et la pédagogie de l’école Émile Cohl qui forme aux métiers du dessin dans le domaine de l’illustration, la BD, l’infographie multimédia, le dessin d’animation, de 3D et du jeu vidéo. Cela explique le titre de ce colloque Gustave Doré – 1883-2013. Nous n’avons pas voulu signifier, comme il est d’usage, les dates de vie et de mort d’un artiste. Par ces dates, nous souhaitions souligner l’objectif de ce colloque : dresser un bilan quant à l’influence et la postérité de Gustave Doré depuis le XIXe siècle. Que s’est-il passé à sa mort ? Peut-on parler d’un avant et d’un après Gustave Doré ? C’est pour l’ensemble de ces questions que le CRHI a souhaité faire intervenir le corps enseignant et les étudiants de l’école Émile Cohl. Pendant plusieurs mois, ils ont travaillé sur cet artiste, sur son œuvre dans le but d’offrir au colloque une réflexion plastique et graphique. La volonté du CRHI est d’intégrer le travail des artistes d’aujourd’hui, tous médias confondus, au discours scientifique et ce, pour comprendre de quelle manière leur recherche plastique et personnelle peut s’intégrer dans la recherche historique et comment cette jeune génération de créateurs se réapproprie des notions, des concepts, des techniques ou l’œuvre d’un artiste pour les faire évoluer. En questionnant le legs des arts et des artistes du passé, c’est toute la production artistique d’aujourd‘hui qui est mise en branle. Cette exposition dont vous pouvez voir quelques visuels dans ce volume est visible dans son intégralité sur le site du CRHI (http://le-crhi.fr). Ces actes témoignent de ce vibrant hommage à Gustave Doré en lui offrant ce dialogue entre universitaires et artistes, entre l’écrit et le figuré.
Victoria Morel 6
Atelier de Gilbert Houbre & Frédéric Mansot Les étudiants de 2e année abordent l’oeuvre dessinée de Gustave Doré par les différentes techniques de gravure (lino, zinc, cuivre).
AVANT PROPOS Trente ans après les expositions et publications qui ont marqué le centenaire de sa mort (1983), Gustave Doré suscite un nouvel ensemble de manifestations : exposition de son œuvre peint au musée de Brou à Bourg-en-Bresse en 2012, rétrospective programmée au Musée d’Orsay à Paris en 2014, colloque international organisé par l’École Émile Cohl à Lyon en 2013, sous la direction de Cyril Devès, dont le présent volume réunit les communications. Cette rencontre scientifique constitue à bien des égards un temps fort de ces célébrations. Réunissant les principaux – anciens et jeunes – spécialistes de l’artiste, elle atteste d’abord que l’art de Gustave Doré continue de mobiliser et de passionner les chercheurs. L’œuvre considérable de ce virtuose, qui a créé dans tous les genres et exploré toutes les techniques, offre en effet un inépuisable champ de recherche, et sa découverte progressive appelle une constante réévaluation du personnage, de son art, et des légendes qu’il a fait naître. Les intervenants s’y sont appliqués en réinterrogeant la nouveauté, la portée et la réception de la création de l’artiste, envisagée sous ses différentes facettes – illustration littéraire et de voyage, peinture, bande dessinée, chronique historique. Par sa dimension internationale, cette rencontre a aussi rendu hommage à l’illustrateur de textes majeurs de la littérature étrangère, qui en a été aussi le passeur en France et dans le monde. Elle a fait écho à la double carrière, franco-anglaise, du peintre, mésestimé dans son pays mais largement collectionné outre-Manche et outre-Atlantique. Autre apport remarquable de ces échanges, dont l’objectif était de dresser un bilan de l’influence et de la postérité de Doré sur l’art du XIXe siècle jusqu’à nos jours : les exposés ont mis en évidence son empreinte sur les générations d’artistes qui l’ont suivi, et souligné les réinvestissements ou réemplois de ses motifs dans de nombreux domaines de la création au XXe siècle : illustration, bande dessinée, peinture, photographie, cinéma. Cette puissance d’inspiration et de séduction n’a rien perdu de ses pouvoirs : les belles expositions en marge du colloque, issues d’une réflexion plastique sur l’œuvre de Doré menée par les professeurs et les élèves de l’École, en ont fait la preuve. Il était réjouissant d’apprécier à cette occasion la qualité, et la variété d’une jeune création contemporaine inspirée par cet artiste du XIXe siècle. Parce qu’il nous livre ce dernier état de la recherche sur l’œuvre de Doré, sa réception et sa fortune, le présent volume renouvelle notablement l’historiographie de l’artiste. On le découvrira avec bonheur dans les pages qui suivent. Annie Renonciat Professeur à l’École normale supérieure de Lyon
Benjamin Blasco-Martinez 8
Atelier de Gilbert Houbre & Frédéric Mansot Les étudiants de 2e année abordent l’œuvre dessinée de Gustave Doré par les différentes techniques de gravure (lino, zinc, cuivre).
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La Mort de Gustave Doré Annoncée dans la Presse
LA MORT DE GUSTAVE DORÉ ANNONCÉE DANS LA PRESSE Cyril Devès, Docteur en Histoire de l’art Enseignant à l’École Émile Cohl - Coordinateur scientifique du CRHI Lorsqu’un artiste fait l’objet d’une étude, il est habituel de s’intéresser à sa vie, son œuvre, à son legs aux générations suivantes. Notre propos n’est pas de voir comment ce dernier a vécu mais de s’interroger sur ce moment si particulier de l’existence, où finalement tout bascule, je veux bien évidemment parler du décès de Gustave Doré et de l’annonce faite de sa mort dans la presse. Quoi de mieux en introduction à ce colloque consacré à la question de la postérité de Gustave Doré que de s’intéresser à son décès. L’artiste succombe le 23 janvier 1883 des suites d’une angine de poitrine. Du vivant d’un artiste, la presse se fait critique. Une fois décédé, cette même presse amorce les tendances de ce qui deviendra la postérité. Ces témoignages de contemporains fixent pour un temps le souvenir d’un artiste avec leur parti pris, leur amitié, leur inimitié. Tout cela participe au mythe de l’artiste. Revenir sur ces écrits permet de voir comment a été perçue la mort de Doré mais cela est un prétexte à une question plus large. Les recherches scientifiques, universitaires et toutes les problématiques actuelles à son égard ne sont-elles pas héritières de cette presse ? Ne se trouvent-elles pas contenues, dissimulées, dispersées dans toute cette littérature posthume ? « Il y a deux moyens principaux d’arriver à la gloire en ce pays de France : le premier, c’est d’aller chercher le succès jusqu’à l’étranger […] ; le second, et le meilleur, c’est de mourir. » Ce constat du peintre Guillaume Dubufe est à lire dans son article consacré à la mort de Gustave Doré dans La Nouvelle Revue du 1er avril 1883. Il poursuit en précisant qu’« après avoir usé pendant longtemps du premier moyen, non sans succès, mais non aussi sans amertume, il vient de se décider à employer le second »1. Trouver la reconnaissance soit à l’étranger, soit dans la mort est une idée qui se retrouve dans bon nombre de journaux comme dans le Correspondant du 23 mars 1883 : « Combien de fois avons-nous dit qu’il ne manquait à Gustave Doré pour être mis à son vrai rang, au premier, que d’être étranger ou mort ! Il ne lui manque plus rien maintenant. »2 Gustave Doré, cet étranger ! Cela fait référence à la reconnaissance outre-Manche et outre-Atlantique de sa peinture tant décriée en France. En toile de fond, c’est toute la question de savoir si, à présent qu’il est mort, son pays allait l’accueillir en tant que peintre ou s’il était condamné à demeurer dans les esprits comme ce prolifique illustrateur. C’est un véritable débat qui s’ouvre lors de sa subite disparition et dont les échos vont être relayés dans les journaux du XIXe siècle. Le romancier, critique, essayiste, bibliophile Charles Monselet dans La Vie artistique de février 1883 relativise ce manque de considération de l’œuvre de Gustave Doré en France. Pour lui, sa renommée viendra avec le temps. Il explique qu’ « il sera mieux compris plus tard, dans un demi-siècle par exemple. Dans un siècle, il passera à l’état de grand homme. C’est la règle ordinaire »3. En attendant, sa mort survient. Il est à peine âgé de 51 ans. C’est la consternation. Sa disparition équivaut à « un coup de foudre inattendu » pour l’Univers illustré : « En trois jours couché au cercueil ! Lui, le créateur rayonnant de vie, de jeunesse et de force, et qui ne paraissait pas moins exubérant de vigueur et de sève que les productions mêmes de son génie. »4
« dans sa personne comme dans son talent, l’image même de la vie »6, lui qu’« on trouvait toujours le crayon ou le pinceau à la main »7. Dans le journal L’Artiste daté de novembre 1883, Jean Alboize rappelle comment dès 1856, Théophile Gautier était admiratif de « cette fécondité incessante, inépuisable, qui écume et déborde par nappes toujours renouvelées, venant d’une source profonde »8. Gautier en faisait appel au latin portentum pour qualifier le travail de Gustave Doré d’« anormal, excessif, prodigieux »9. Les témoignages de son abnégation au travail abondent dans ce sens, jusqu’à son inhumation, le 25 janvier 1883 où Dalloz, dans son discours sur la tombe de l’artiste, déclare : « Quelles expressions pour louer ce rêveur éveillé que l’aurore matinale trouvait déjà au travail, et que la tombée de la nuit retrouvait sous la lumière de sa lampe. »10 La presse déplore cette disparition soudaine car il est « mort trop tôt pour la nature et trop tôt pour l’art »11. Cette idée se retrouve dans de nombreux journaux comme dans le Monde illustré du 27 janvier 1883 : « Sa fin prématurée augmente encore les regrets qu’il laisse après lui, lorsqu’on songe à cette belle inspiration, en pleine vigueur, dont on attendait encore les plus grandes et les plus audacieuses productions. »
Fig.1
La mort du sculpteur Clésinger12, survenue peu de temps avant celle de Doré, offre à quelques critiques la possibilité de comparer un artiste vieillissant à un artiste plein d’avenir. Victor Fournel révèle combien « Clésinger avait dit depuis longtemps tout ce qu’il avait à dire [à la différence de] G. Doré, que la mort frappait en pleine activité créatrice, dans toute la force de l’âge, lorsqu’il venait d’accomplir sa cinquante et unième année »13. La production de Gustave Doré était telle que sa disparition subite laisse un goût de non fini, une impression de promesses non tenues. Comme le souligne Dalloz dans son discours funéraire, la mort « fauche les plus hauts épis, elle semble choisir de préférence ceux-là mêmes dont la vie intellectuelle avait une telle intensité qu’elle leur promettait de plus longs jours ». Ce sentiment de malaise se ressent jusque dans les images servant à illustrer les articles nécrologiques. Au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, c’est une pratique courante que soient immortalisés, par la photographie, écrivains, artistes, hommes politiques sur leur lit de mort. Ce dernier portrait devient une véritable convention dans ce qu’il est habituel d’appeler, en cette IIIe République, « le culte des grands hommes »14. Si nous regardons les journaux consacrés à la disparition de personnalités, la plupart sont représentées de la sorte. C’est le cas de Léon Gambetta, Victor Hugo, Blum, Rodin, pour n’en citer que quelques-uns. Le photographe Nadar a réalisé le dernier portrait de Doré15 et celui-ci aurait pu, comme cela a été le cas pour celui de Victor Hugo, servir à la presse. Le milieu journalistique a préféré se servir d’une série de photographies de Nadar, réalisée peu de temps avant sa mort. C’est notamment le cas des premières pages du Monde illustré du 27 janvier 1883 (Fig.1), du Journal illustré du 4 février 1883 (Fig.2) et de l’Univers illustré du 3 février 1883 (Fig.3). Il ne faut surtout pas y voir un quelconque refus de l’honorer comme un grand homme mais comme un témoignage de cette difficulté de le considérer mort. C’est le souvenir que l’on souhaite afficher en première page,
Fig.2
Paul Dalloz, directeur de journaux comme le Monde illustré et le Moniteur universel, grand ami de Doré, raconte sa surprise en apprenant la mort de ce dernier : « J’ai couru chez lui et je n’ai trouvé qu’un cadavre, déjà chargé de fleurs, sur son lit. On dirait qu’il se repose, lui qui ne s’est jamais reposé de sa vie. »5 Bien plus que la mort, c’est le fait de l’imaginer ne rien faire qui dérange. Cela est à mettre en relation avec cette pensée commune que ses contemporains ne le voyaient pas vieillir comme en témoigne le Journal des Goncourt ou Théodore de Banville qui, dans ses Camées parisiens, s’interroge : « comment, lui, l’image de cette jeunesse éternelle, de cette vitalité, comment l’imaginer étendu, paisible, inactif… ». Lui, qui était, comme le souligne Victor Fournel dans le Correspondant du 25 février 1883,
1 Guillaume Dubufe, « Gustave Doré », La Nouvelle Revue, 1er avril 1883, p. 623. 2 Victor Fournel, « Les œuvres et les hommes », Le Correspondant, 25 février 1883, p. 754. 3 Charles Monselet (1883-1888), La Vie artistique, février 1883, N° 7, p. 197. 4 Robert Vallier, « Gustave Doré », L’Univers illustré, 3 février 1883, p. 69. 5 Paul Dalloz, Le Moniteur Universel, 24 janvier 1883
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6 Victor Fournel « Les œuvres et les hommes », Le Correspondant, 25 février 1883, p. 743. 7 Ibidem, p. 752. 8 Jean Alboize, « Les livres », L’Artiste, novembre 1883, p. 430-431. Article à l’occasion de la parution du livre « Gustave Doré » par Jules Clarétie, Paris, Librairie des Bibliophiles, 1883. 9 Nous renvoyons à l’article de Gautier, « Gustave Doré », L’Artiste, 1856. Victor Fournel reprend cet exemple dans son article « Les Œuvres et les hommes », op. cit., p. 754. « Théophile Gautier, qui l’admirait sans réserve, a écrit de lui : C’est un portentum, selon le mot des anciens, - une force, un miracle de la nature. » 10 Anonyme, « Gustave Doré », Le Monde illustré, 3 février 1883, p. 70. 11 Anonyme, « Chronique de l’art », Les Livres, novembre 1883, p. 500. 12 Clésinger est mort le 5 janvier 1883 à l’âge de 68 ans. 13 Victor Fournel, op. cit., p. 743. 14 Nous renvoyons ici au catalogue d’exposition Le Dernier portrait, Paris, Musée d’Orsay, 5 mars – 26 mai 2002. Catalogue établi sous la direction d’Emmanuelle Héran, Paris, RMN, 2002, 240 p. 15 Nadar, Gustave Doré sur son lit de mort, 1883, épreuve en gélatino-bromure d’argent, Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Estampes et de la Photographie, Eo15, f 6. Elle est reproduite dans le catalogue d’exposition, Le Dernier portrait, op. cit., p. 116.
Fig.3
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La Mort de Gustave Doré Annoncée dans la Presse
Fig.4
un homme bien en vie, le regard qui se perd au loin. C’est une image qui correspond en tout point à cette impossibilité de croire en l’inactivité de cet homme. Toujours dans ce même numéro de l’Univers illustré, se trouve une illustration de Beaurepaire représentant l’atelier de l’artiste (Fig.4). Il est difficile de ne pas y voir une certaine volonté de réaliser, d’une certaine manière, un dernier portrait. Voici l’homme comme semble le suggérer le tableau Ecce Homo16 à gauche de la composition. La représentation de l’atelier privé de son artiste comme substitut du dernier portrait sur le lit de mort est à mettre en lien avec cette difficulté de le croire mort, avec ce sentiment que l’artiste vient de sortir et qu’il ne devrait pas tarder à revenir. Le détail de l’ouvrage de Dante ouvert au pied de son tableau Ecce Homo comme pour rappeler que l’art de la peinture fut son propre enfer. La présence d’éditions illustrées dans son atelier semble être un détail ajouté à la composition puisque Gustave Doré possédait deux ateliers. Celui de la rue Bayard consacré à sa peinture et sa sculpture tandis qu’il avait fait aménager un atelier dans sa résidence rue Saint-Dominique pour ses illustrations et aquarelles : « Cet atelier ne recevait pas le jour du dehors. Un immense lustre, composé de plus de cinquante becs de gaz, muni d’un réflecteur à facettes multiples, projetait une lumière aveuglante sur une vaste table carrée à hauteur d’appui et à pans coupés formant pupitre. L’artiste, après avoir croqué ses bois, formant la série d’illustrations du volume, les juxtaposait successivement l’un à l’autre, tournant autour de la table, donnait çà et là un coup de pinceau, et menait ainsi de front son gigantesque travail avec une étonnante rapidité »17. Beaurepaire a recomposé l’atelier de manière à révéler un panorama de son art. Cet atelier recomposé pour mettre en avant le talent de Doré pour les arts de l’illustration, de la peinture et de la sculpture est un témoignage graphique des appréciations disséminées dans la presse. L’artiste est perçu comme « poète avant tout, il a chanté les rêves de son imagination avec le crayon d’abord, puis avec la couleur, avec la pointe et avec l’ébauchoir »18. La presse lui reconnait alors le mérite d’avoir tenté l’ascension des « trois montagnes » que sont l’illustration, la peinture et la sculpture et c’est ce que nous révèle cette illustration de l’Univers illustré : « Il était né poète, il fut peintre, et il mourut sculpteur. Ce n’est pas dire, à coup sûr, que ce fût un homme sans génie ni un médiocre artiste, puisqu’il laisse un vide qu’on n’a pas encore songé à combler. Beaucoup n’ont pas osé gravir ces trois montagnes, sont restés dans la vallée, et n’ont pas vu de là-haut le Grand Pays : il est beau et noble de l’avoir seulement tenté ; ceux-là, quelles que soient leurs faiblesses, méritent le nom d’artistes, et s’ils ont connu du voyage idéal la fatigue et les chutes, du moins en ont-ils senti le vertige sublime et en garderont-ils tout l’honneur. »19 Après la consternation vient l’acceptation, le moment du bilan. La presse s’empare de sa vie. Elle compile et utilise les anecdotes et les souvenirs de ses contemporains pour mettre en place une reconnaissance posthume. Cette recherche de postérité n’est pas sans poser des problèmes car, comme le rappel Le Correspondant du 25 janvier 1883, il faut « envisager successivement en lui le dessinateur, le peintre et le sculpteur ». C’est là toute la difficulté de la tâche car, comment saluer l’artiste, louer cet homme, alors que la critique lui refuse l’honneur d’être peintre. Les articles paraissant après sa mort tentent de comprendre et d’analyser l’échec de Gustave Doré en France, tous s’accordent sur un point : l’absence de formation. Autodidacte, l’artiste s’en est toujours félicité. Pierre Véron rappelle comment Charles Philipon, même s’il était fasciné par le jeune Doré, était conscient de ses lacunes. Ce qui pouvait tenir du génie chez le très jeune artiste, à peine 16 ans lorsque Philipon l’embauche, pouvait devenir problématique pour un artiste arrivé à sa maturité ; comment la facilité exceptionnelle et déconcertante du dessin chez lui allait devenir son principal défaut, s’enfermant dans son savoir et ne cherchant pas à le remettre en question par l’étude : « Ce garçon-là a l’étoffe d’un maître. Il ira loin, très loin. Je ne redoute qu’une seule chose pour lui, doué comme il l’est, il ne comprenne pas assez la nécessité de l’étude. »20
16 Ecce Homo, huile sur toile, 1877, Paris, musée du Petit Palais. 17 Anonyme, « Les Echos de Paris », L’Événement, 26 janvier 1883. 18 V. Ch., Le Moniteur universel, 24 janvier 1883. 19 Guillaume Dubufe, op. cit., p. 631. 20 Pierre Véron, « Gustave Doré », Journal Amusant, 27 janvier 1883, p. 2. Véron retranscrit les propos de Philipon.
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Vision prophétique de cette mise en garde contre cette faculté pouvant se muer en défaut puisqu’à sa mort, c’est ce même constant qui revient régulièrement pour résumer la carrière de Gustave Doré. Eugène Véron loue la « véritable nature d’artiste, prodigieusement doué » mais regrette sa totale absence de formation artistique. La fertilité d’imagination n’est pas remise en question mais elle ne peut suppléer au dessin, à l’anatomie ou à la couleur. Ce sont les notions « d’orthographe » et de « grammaire » plastiques, pour reprendre les termes de Dubufe, qui lui manquent. Doré devient dans un article du Courrier de l’art de 1883, ce « merveilleux improvisateur à qui la science faisait défaut »21 : « Alors qu’il était jusque-là saluer pour son invention féconde, son ordonnance majestueuse, sa fantaisie puissante, le voici dénigré au nom du naturalisme ambiant. Ce qui a manqué à Doré, c’est le travail, l’étude. » Comme le souligne Guillaume Dubufe, cette critique sur la pratique artistique de Doré équivaut à poser « le problème moderne » : « Sa fantaisie prenant la place de la réalité, il gagna insensiblement l’habitude d’inventer au lieu de sentir, de penser au lieu de voir, désertant ainsi le terrain même des arts plastiques, qui sont limités à l’interprétation dans le réel et soumis à des nécessités de forme et de vérité, sous peine de ne plus rien exprimer clairement. » Dans sa nécrologie paraissant dans La Chronique des Arts et de la Curiosité, le critique regrette que Doré ait « dépensé, gaspillé » son temps à faire de l’illustration. Il eut mieux valu pour lui qu’il le consacre à l’étude : « Sa verve pittoresque, son esprit, son extrême facilité de sa main, en l’empêchant de se livrer à des études sérieuses, l’ont tenu trop loin de la nature, c’est-à-dire en dehors de l’esthétique de l’art moderne : de là son insuccès aux expositions annuelles. » 22 Depuis les critiques de Jules-Antoine Castagnary dans les années 1860 condamnant le romantisme pour avoir fait de la peinture « la servante de la littérature », Gustave Doré devient en quelque sorte l’un des représentants de ce que l’art ne doit pas être. Son absence de formation, son dessin approximatif en ce qui concerne le rendu de la nature, l’anatomie, sa reconnaissance en tant qu’illustrateur et ses tableaux littéraires font de lui, la victime parfaite du réalisme et du naturalisme. Cela explique certains revirements impressionnants de la part des critiques dans les appréciations de son œuvre. Zola, élogieux à son égard lorsqu’il débute sa carrière journalistique, devient l’un de ses plus virulents détracteurs dès qu’il se tourne vers le réalisme et ce, à peine en deux ans d’intervalles. Comme pour se dédouaner de ce changement d’opinion et pour affirmer ses prises de position littéraire et esthétique qui se retrouvent en opposition avec l’œuvre de Doré, Zola écrit dans un article daté de 1865 : « Tel est le jugement d’un réaliste sur l’idéaliste Gustave Doré. »23 Avec la disparition de l’artiste et en réponse à ces critiques, se met en place une défense de l’artiste comme pour tenter une réhabilitation posthume. Gustave Doré devient, un esprit libre, loin des discours, des écoles et s’étant battu toute sa vie pour valoriser et défendre son art. En cela, Guillaume Dubufe reconnait en lui « un artiste remarquable, un chanteur du crayon, un indépendant charmant, qu’on n’enrôla dans aucune de nos petites armées rivales […]. En un mot, il avait tout ce qui nous manque, nous avons tous ce qui lui manquait : le métier. Est-ce une excuse pour lui, est-ce une consolation pour nous ? »24. D’autres journalistes, proches de l’artiste, voient dans cette absence de métier, une critique bien injuste et ne font que perpétuer ce sentiment de persécution que ressentait Doré de son vivant. Il n’en faut pas plus pour que le groupe de La Gloire (Fig.5), deviennent la sculpture emblématique de la mort de Doré, celui dont la vie était faite pour la gloire mais, comme le souligne Dubufe, « la réussite était toujours à côté du danger ». L’auteur de l’article paraissant dans Le Correspondant du 25 février 1883 voit dans « ce groupe de la Gloire, […] un symbole prophétique de sa propre destinée : la Gloire présente au monde le génie triomphant ; mais, tandis qu’elle le couronne d’une main, de l’autre, elle lui enfonce un poignard dans le cœur »25. René Delorme, publiciste, collaborateur à divers journaux, auteur en 1879 de l’ouvrage, Gustave Doré, peintre, sculpteur, dessinateur, graveur reprend cette idée dans Le Clairon du 24 janvier 1883. Il signe l’article de son pseudonyme d’écrivain, Saint-Juirs. Ici, c’est l’écrivain qui rend hommage à l’artiste. Il érige cette sculpture en « symbole de sa vie contée en peu de mots. Il fut le martyre de sa gloire. Non pas que la gloire lui fut rebelle. Elle l’a couronnée de vert
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« Nécrologie », Courrier de l’art, 25 janvier 1883. A. de L., « Nécrologie », La Chronique des Arts et de la Curiosité, supplément à la Gazette des Beaux-Arts, N° 4, 27 janvier 1883, p. 29. 23 Émile Zola, « Gustave Doré », Le Salut Public, 14 février 1865. 24 Dubufe, La Nouvelle Revue, p. 626. 25 Le Correspondant, 25 février 1883, p. 751.
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La Mort de Gustave Doré Annoncée dans la Presse Fig.5
Fig.7
laurier ; elle lui a donné une popularité immense, universelle […] mais sa gloire était armée. Elle lui avait fait une cruelle blessure au cœur ». Edgar Courtois dans la Revue Politique et littéraire de la France et de l’étranger du 10 novembre 1883 assimile la Gloire à la Mort et se demande si « en sculptant ce groupe allégorique, le Génie et la Mort, d’une expression si pénétrante, [il n’avait pas] le pressentiment qu’il travaillait pour lui-même, et la vraie place de ce chef-d’œuvre ne serait-elle pas sur son tombeau ? »26. C’est dans cette même idée qu’elle se retrouve dans l’illustration de Beaurepaire (Fig.4). Toujours dans cet état d’esprit, ce dessin préparatoire à une sculpture où il est difficile de ne pas voir dans ce jeune homme au flambeau le génie victorieux piétinant la mort (Fig.6). L’on comprend d’autant mieux pourquoi celui-ci figure sur la couverture du catalogue de la vente Doré de 1885. Telle la revanche de l’artiste et en réponse au souhait de Doré d’être reconnu, son génie semble lui survivre. Une revanche à l’encontre de ses détracteurs. Le choix de ce dessin répond au testament de l’artiste qui souhaitait que son atelier soit vendu deux ans après sa mort. Cette dernière volonté témoigne de la préoccupation constante qu’avait l’artiste à propos du prix auquel ses œuvres se vendaient. Les anecdotes des ventes de ses toiles avortées au motif d’un prix trop bas ou Doré, refusant de montrer une toile au public français de peur que la critique négative l’écorne et qu’elle ne perde de la valeur pour des acheteurs anglais ou américains, abondent dans sa biographie. Il ne pouvait se résoudre à vendre trop bas ses œuvres car cela revenait à mettre à mal ses talents de peintre, à donner raison à la critique. Si la vente avait eu lieu dès la mort de Doré, ses tableaux auraient eu à subir « l’épreuve impitoyable d’une enchère publique ». Le journaliste et critique d’art Pierre Véron27 voit dans cette clause la peur de Doré « que le marteau du commissaire-priseur ne frappe des coups trop durs sur son cercueil ». En souvenirs de leurs conversations et de leur amitié, il imagine ce que Doré a pu penser lors de la rédaction de son testament :
Fig.6
« En deux ans les hostilités de parti pris auront eu le temps de désarmer. Après deux ans, on commencera peut être à m’apprécier avec moins de mauvais vouloir ; on fera des mea culpa ; on m’accordera tout au moins le bénéfice de circonstances atténuantes. »28 Il semble que deux ans n’aient pas suffit. C’est ce que révèle l’article de Victor Fournel daté du 25 avril 1885. Les aquarelles, les dessins et les tableaux de petits formats ont connu un véritable engouement, à la différence des grandes peintures et des sculptures qui n’ont pas trouvé grâce aux yeux des acheteurs français : « Aquarelles et dessins se sont admirablement vendus ; plusieurs ont atteint et même dépassé 2000 francs. Il en a été de même pour les paysages et quelques tableaux de petite dimension, mais non pour les toiles immenses, de 20 à 25 pieds de long, ni pour les statues, dont les plâtres jaunis par le temps, incrustés et noircis d’une poussière indélébile, faisaient assez triste figure. À défaut de l’Etat, qui n’a rien acheté, la Doré Gallery de Londres, […], eût pu seule acquérir dans de bonnes conditions La Mort d’Orphée ou l’Enfer de Dante. »29 Pierre Véron déplore cela est va jusqu’à regretter la mise en vente des tableaux : « N’eût-il pas mieux valu, par respect pour la mémoire de Doré, ne pas les faire figurer à la vente que de les exposer à être vendues 1350 et 2400 francs ? »30 Pierre Véron est de ceux qui œuvrent à ce que la mémoire de Gustave Doré se perpétue. A travers de nombreux articles, il se fait un devoir de veiller à la notoriété de l’artiste. Dès le 3 février 1883, il rappelle que c’est par « ses contemporains », que commence la « postérité ». Il engage tout le monde à se réunir pour « lui composer un immortel dossier et lui faire une apothéose ». Deux ans, plus tard, il rappelle ce devoir de mémoire :
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Dès son discours funéraire, Dalloz en appel à tous les écrivains, à tous les héros qu’il avait illustrés, toutes les créatures jusqu’aux anges qu’il avait révélés de son crayon pour l’aider à rendre le dernier hommage. Dalloz, tel un prédicateur, les voit, tenant « une palme, et la [déposant] sur le cercueil de ce mécontent de lui-même qui les contenta tous ». Telle une vision prophétique, il poursuit son discours jusqu’à apercevoir « une main lumineuse tracer le signe de la croix blanche sur le fond noir de cette tombe béante. C’est le Christ, tel que Doré nous l’a fait apparaître dans sa Bible, œuvre de son âme plus encore que de son talent ». Cet appel aux génies de la littérature, aux créatures, aux figures bibliques est, pour Dalloz « l’apothéose » qu’il entrevoit pour Gustave Doré. C’est là, « le chœur qui chante sa gloire ». Ce discours aura un impact très fort sur l’imaginaire des écrivains et des artistes présents lors de l’inhumation de l’artiste. À ces mots, ils ne peuvent s’empêcher d’avoir en mémoire l’une des dernières toiles qu’il était en train de terminer dans son atelier, celle de la Vallée des Larmes32. Ce tableau s’inspire de l’Évangile selon Saint Matthieu qui rapporte ces paroles du Christ : « Venez avec moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi je vous donnerai le repos »33. Ce tableau devient l’œuvre salutaire de l’artiste. Celle qui permet de rassurer ses amis les plus intimes sur le fait qu’il ne souffrira plus des mauvaises critiques. Dans Le Correspondant du 25 février 1883, le tableau de la Vallée des larmes est ainsi décrit : « Dans une gorge escarpée, que bordent des montagnes d’une désolation sinistre, se presse une foule suppliante où se trouvent réunies toutes les conditions sociales, ceux qui souffrent de la misère et ceux qui souffrent de la richesse, la mère en deuil, l’ascète desséché par le jeûne, le philosophe ravagé par le doute, le soldat las de tuer, le roi accablé du poids de sa couronne, l’artiste et le poète que leur génie dévore et que l’envie insulte, les délaissés, les opprimés, les victimes de l’ingratitude et de l’injustice. […] La nature impassible ne répond à ce long cri d’angoisse de l’humanité que par un silence lugubre, des images de désolation et de ruine. Mais là-bas, sur la cime, regardez cette vision lumineuse qui se lève comme une aurore après la nuit : c’est le Christ consolateur, montrant la croix avec laquelle il a racheté le monde, transformé la souffrance en joie et fait de l’humiliation une gloire. »34
Fig.8
À cette lecture, il est difficile de ne pas penser à Doré, qui se retrouve parmi cette foule d’opprimés. Sa mort devient une libération. Cette mort soudaine finit à n’être que « justice » 35 dans un texte de Dalloz du 24 janvier 1883. Elle met un terme à la persécution, l’injustice. Ce même rapprochement entre la fin de son calvaire et de celui du Christ se retrouve dans le dessin réalisé par Jundt pour le Monde illustré du 3 février 1883 (Fig.7), où en toile de fond de la chambre mortuaire, au-dessus de Doré sur son lit de mort, apparaît le Christ tout droit sorti du tableau de la Vallée des larmes. Pierre Véron en dit ceci : « Que de poésie dans cette chambre mortuaire, où le regretté artiste disparaît sous les fleurs, à travers la silhouette cassée de sa pauvre vieille nourrice et de ses deux sœurs de la Charité qui prient près de sa dépouille mortelle ! La dernière œuvre de Doré, le Christ consolateur, entouré d’une auréole lumineuse, apparaît au-dessus de cette scène de deuil comme la dernière pensée du maître s’envolant dans l’infini. »36 Jundt était présent lors du discours de Dalloz et il en était marqué (Fig.8). S’il s’est refusé à montrer le Christ au-dessus de sa tombe, comme dans le discours, c’est sans nul doute pour éviter que cela ne fasse trop penser à un Christ au tombeau. Il aurait pu cependant représenter autour de la tombe fleurie, les figures fantasmagoriques des poètes et personnages évoqué dans ce discours. Il semble que l’artiste y aurait songé mais Pierre Véron explique qu’il y aurait renoncé en disant ceci : « il n’y aurait eu que Doré qui ai pu évoquer tous ces génies et les rendre »37.
« Il fut de mode au début de l’admirer. Il fut de mode ensuite de le contester. Maintenant c’est la postérité impartiale qui prend la parole, en dehors des caprices du moment. Elle consacre le maître. »31
Si Jundt se garde de montrer l’apothéose de Gustave Doré, telle qu’elle fut prononcée par Dalloz, l’illustrateur Motty semble éprouver moins de scrupule ou de gêne à la proposer l’année suivante à ce même journal38 (Fig.9). Autour de la tombe de Doré, une profusion de personnes et de personnages rendent le dernier hommage à l’artiste. Créateurs et créatures se mêlent car l’une des forces de Doré n’est-elle pas d’avoir immortalisé certains personnages littéraires. N’est-il pas arrivé à rendre auto-
Edgard Courtois, Revue politique et littéraire de la France et de l’étranger, 10 novembre 1883, p. 600. 1833-1900. Littérateur, journaliste et critique d’art, il dirige Le Charivari à partir de 1865. Pierre Véron, « Courrier de Paris », Le Monde illustré, 3 mars 2013, p. 131 « À moins de bâtir une maison tout exprès, où un simple particulier pourrait-il loger des toiles à peu près aussi grandes que les Noces de Cana ? » Victor Fournel, « Les œuvres et les hommes », Le Correspondant, 25 avril 1885, pp. 357. Pierre Véron, « Courrier de Paris », Le Monde illustré, 7 mars 1885, p. 154.
32 Gustave Doré, La Vallée des Larmes, huile sur toile, 1883, Paris, Petit Palais. 33 Saint Matthieu, Évangile, 11 ; 28. 34 Le Correspondant, 25 février 1883, p. 750. 35 Paul Dalloz, Moniteur universel, 24 janvier 1883. 36 Pierre Véron, Le Monde illustré, 3 février 1883. 37 Pierre Véron, Le Monde illustré, 3 février 1883. 38 « Hommage à Gustave Doré », Le Monde illustré, 2 février 1884, p. 70-71.
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