Vêtements & proxémie.
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Tome 1
....................................... Marie Chanteur Master Design Global 2008-2010 Ecoles de Condé
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Vêtements & proxémie.
....................................... Marie Chanteur Master Design Global 2008-2010 Ecoles de Condé
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SoMMaiRe
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PaRTie 1 :
RéFLeXioN & ReCHeRCHeS 1. 1. La proxémie
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1. 1. 1. Le mécanisme d’espacement chez l’animal 1. 1. 2. Un concept adapté à l’Homme
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1. 1. 3. Un appel au monde sensoriel
.............. 1. 2. Le vêtement et la proxémie 17 1. 2. 1. Le vêtement un élément sociologique à part entière 18 1. 2. 2. Lien entre proxémie et vêtement 19
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1. 3. Les distances proxémiques en détail 1. 3. 1. La distance intime 1. 3. 2. La distance personnelle 1. 3. 3. La distance sociale 1. 3. 4. La distance publique
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PaRTie 2 :
DéVeLoPPeMeNT
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2. 1. Enjeux de mon projet
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2. 2. Un vêtement mis en quarantaine 2. 2. 2. Monstruosité
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2. 2. 3. Mise en danger
.............. 2. 3. Un vêtement qui sème le trouble 2. 3. 1. Désorientation
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2. 3. 2. Surinformation & mésinformation 2. 3. 3. Contre nature
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2. 4. Un vêtement, une dualité 90
2. 4. 1. Objet de curiosité
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2. 4. 2. Espace personnel
.............. 2. 5. Un vêtement mis à nu 2. 5. 1. Créer du lien 2. 5. 2. Intimité
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2. 5. 3. Distance de fuite
.................... BiBLioGRaPHie .................... ReMeRCieMeNTS ......... 5
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aVaNT
PRoPoS
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Les recherches pour mon travail se sont précisées pour finalement s’axer autour d’un concept défini : la proxémie.
on intérêt pour la mode a constamment été nourri par l’univers de la ville, le quotidien qui nous entoure, mais aussi la relation que l’on peut avoir avec le vêtement. Ce mémoire a donc été le moyen de réfléchir, développer et concrétiser un projet avec la volonté de travailler sur ces sujets qui m’ont toujours inspirés.
Se sentir oppressé dans un ascenseur, choisir de s’asseoir le plus loin de l’autre dans le métro, avoir un sentiment de sécurité en présence d’un proche… Toutes ces situations nous parlent et nous évoquent un déjà vécu. Voilà le point de départ de ma réflexion. Les individus et l’environnement sont étroitement liés, mais comment ? Quel est ce phénomène qui nous rappelle une expérience commune avec ceux qui nous entourent ? Pourquoi pouvons-nous nous sentir menacés, agressés dans certaines situations et en totale confiance dans d’autres ?
A la lecture de l’ouvrage La Mode et ses enjeux de Frédéric Monneyron, une réflexion m’a particulièrement interpellée : « - l’habit ne fait pas le moine – (…) il semble possible de reconsidérer le proverbe pour voir dans le vêtement, non pas une apparence accessoire et souvent trompeuse, mais un modèle social déterminant des comportements et des manières… » Dans cette phrase c’est la relation entre le vêtement et le comportement qui a retenu mon attention. Après avoir considéré différentes autres pistes, mon choix de sujet a donc pris cette direction.
La proxémie est une réponse à ces questions. C’est ce concept, développé par Edward T. Hall, qui sera la base de tout mon travail et qui me permettra de proposer une collection de vêtements.
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iNTRoDuCTioN
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tances qui composent la proxémie de façon plus détaillée. Pour chacune d’elle, il s’agira d’étayer un champ lexical qui la définit, de l’illustrer par des situations de la vie courante, d’analyser et de comprendre quel rôle a le vêtement dans la distance. Enfin je commencerai à explorer des pistes et solutions créatives qui tendent à penser le vêtement comme moyen de déranger notre rapport à l’autre.
a proxémie représente la distance sociale entre deux personnes prises dans une interaction. Elle englobe différents facteurs tels que l’espace, les habitudes culturelles, les humeurs de chacun mais aussi les vêtements que nous portons. C’est à partir de là que j’ai pu mettre en relation proxémie et vêtement. On peut se demander alors : dans quelle mesure le vêtement est-il un élément déterminant dans les interactions entre individus mais aussi un générateur de comportements ?
Dans la deuxième partie, je définirai les enjeux et les partis pris de mon projet. Puis, je m’attarderai sur les différents axes de conceptualisation issus des recherches menées dans la première partie et sur les diverses expérimentations faites en parallèle. Je développerai ainsi quatre pistes divisées elles-mêmes en sous-pistes qui me mèneront vers l’ébauche d’un projet concret.
Tout d’abord il m’a été essentiel de comprendre le concept de proxémie puisque celui-ci est la base de mes recherches et de mon projet ; j’en préciserai alors les principes. Après avoir traité le vêtement dans sa dimension sociologique, j’approfondirai son lien avec la proxémie. Par la suite, j’aborderai chacune des dis-
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....................................... PaRTie 1
RéFLéXioN & ReCHeRCHeS
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1.1.
La PRoXéMie
................................................ 1.1.1.
Le mécanisme d’espacement chez l’animal
................................................ 1.1.2. Un
concept adapté à l’Homme
................................................ 1.1.3.
Un appel au monde sensoriel
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........................................................ 1. 1. 1.
Le MéCaNiSMe D’eSPaCeMeNT CHeZ L’aNiMaL
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d’un même groupe de communiquer et de se signaler la présence de la nourriture ou de l’ennemi, etc. La territorialité assure donc la cohésion du groupe. En plus d’avoir un territoire bien défini, Heini Hediger, spécialiste de la psychologie animale, a découvert et décrit l’existence de zones invisibles, des « bulles» qui correspondent aux différentes distances que l’animal tient avec les autres. Voici quatre des distances déterminées : . La distance de fuite : l’animal fuit lorsqu’un individu s’approche. . La distance critique : zone dans laquelle l’animal est acculé et où il est à portée de son éventuel agresseur. N’ayant plus le choix, plutôt que de fuir il attaque à son tour pour tenter le tout pour le tout. . La distance personnelle : les individus se côtoient sans changement d’attitude tant qu’aucun des deux n’empiète l’espace de l’autre. . La distance sociale : l’individu perd le contact avec son groupe et se trouve en situation d’anxiété, de détresse psychologique.
dward T. Hall (1914-2009) est un anthropologue américain spécialiste de l’interculturel. Dans son ouvrage, La Dimension cachée (1966), E. T. Hall s’intéresse à l’espace social et personnel et à sa perception. La proxémie est le nom qu’il a donné à cette distance qui s’établit entre deux personnes prises dans une interaction. L’auteur part tout d’abord de travaux scientifiques effectués chez les animaux pour analyser et comprendre comment ces derniers utilisent leur espace. La territorialité est une base dans l’étude du comportement animal. Ce concept est apparu pour la première fois dans le livre Territory in Bird Life publié en 1920 par l’ornithologue H. E. Howard. La territorialité est définie comme la conduite caractéristique adoptée par un organisme pour prendre possession d’un territoire et le défendre contre les membres de sa propre espèce. La territorialité assure entre autres la propagation de l’espèce, offre un terrain d’apprentissage, contribue à la sécurité des petits, permet aux animaux
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uN CoNCePT aDaPTé à L’HoMMe
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est souvent une marque de pathologie de l’intégrité psychique ou corporelle de l’individu. Elle peut aussi être la marque d’une violation de l’individu par un social répressif ou agressif. Voici les quatre distances qui comportent deux modes proche et lointain : intime, personnelle, sociale et publique (je reviendrais plus en détails sur chacune d’elles par la suite).
e pas que franchit Edward T. Hall, c’est d’adapter cette proxémie découverte chez les animaux aux comportements de communication humains. « La conduite que nous nommons territorialité appartient à la nature des animaux et en particulier à l’Homme. Dans ce comportement l’Homme et l’animal se servent de leurs sens pour différencier les distances et les espaces. La distance choisie dépend des rapports individuels, des sentiments et des individus concernés. » Il note alors que dans les relations que nous entretenons avec les autres, il existe aussi des « bulles » invisibles qui régissent le comportement de chacun comme des périmètres de «sécurité individuelle». Il définit alors la proxémie comme un modèle d’organisation sociale des interactions. E. T. Hall met en évidence quatre catégories principales de distances entre les individus. Ces « bulles » s’enroulent dans le même ordre autour de l’individu. L’absence d’une bulle ou sa quasi inexistence
La proxémie est un mode d’organisation sociale des interactions, qui évolue selon les pays, les villes, les classes sociales. Elle exprime une identité culturelle. On peut ainsi remarquer des différences notables entre les pays latins où les distances sont raccourcies alors que dans les pays nordiques ou au Japon le contact physique se fait plus rare. Ces zones peuvent ainsi connaître de grandes variations selon chaque personne et selon chaque relation entre individus, mais leur classification globale reste la même.
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uN aPPeL au MoNDe SeNSoRieL
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rentes vivent également dans des mondes sensoriels différents. »
ais la proxémie est aussi un phénomène qui fait appel à nos sens. En effet, nous percevons l’espace grâce à nos récepteurs sensoriels, ce sont eux qui nous permettent d’appréhender notre environnement et de faire le lien entre soi et le monde extérieur.
Nous avons divers récepteurs qui nous permettent de saisir le monde. D’une part les yeux, les oreilles et le nez qui sont les récepteurs dits à distance et d’autre part la peau et les muscles qui sont les récepteurs immédiats. L’appareil sensoriel définit donc notre perception de la réalité et les rapports que l’homme entretient avec son environnement dépendent de la façon dont cet appareil est conditionné à réagir. Ainsi chacun construit sa propre réalité. Comme l’a souligné Franklin P. Kilpatrick, psychologue américain, « jamais nous ne percevrons le monde dans sa réalité, mais seulement le retentissement des forces physiques sur nos récepteurs sensoriels. »
Dans La Dimension cachée, Edward T. Hall précise que « … tout ce que l’homme est, et fait, est lié à l’expérience de l’espace. Notre sentiment de l’espace résulte de la synthèse de nombreuses données sensorielles, d’ordre visuel, auditif, kinesthésique, olfactif et thermique. Non seulement chaque sens constitue un système complexe (…) mais chacun d’entre eux est également modelé par la culture. On ne peut pas échapper au fait que des individus élevés au sein de cultures diffé-
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1.2.
La PRoXéMie & Le VêTeMeNT
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1.2.1.
Le vêtement, un élément sociologique à part entière
................................................ 1.2.2. Le
lien entre proxémie et vêtement
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a proxémie est définie par de multiples facteurs tels que l’espace, le mobilier, la lumière, le vêtement, etc. En tant que designer de mode, c’est donc ce dernier élément qui m’a intéressé et avec lequel je vais travailler.
< Ari Versluis & Ellie Uytenbroek . Exaxtitudes . Depuis 1994 Analyse picturale des codes vestimentaires des différents groupes sociaux.
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uN VêTeMeNT SoCioLoGiQue à PaRT eNTièRe
C
élément premier et fondateur, déterminant les comportements individuels comme les structures sociales » soit d’envisager qu’au «commencement était le vêtement».
omme l’a souligné Condorcet, philosophe, mathématicien et politologue français du 18ème siècle, l’acte de se vêtir est le « signe qui sépare l’homme de l’animal ». Il est un élément fondateur de chacun de nous à l’instar de l’alimentation et la sexualité. Il est aussi un moyen de se sociabiliser en échappant à toute rationalisation. Il fait ainsi appel aux symboles et à l’imaginaire. Pourtant, le vêtement et la mode ont longtemps eu du mal à devenir des sujets d’étude sérieux. En effet le caractère frivole du vêtement et le fait qu’il soit un élément qui fait partie de notre quotidien ont fait de lui un objet qui est passé au second plan.
Dès lors le vêtement occupe une place centrale dans la construction, la déconstruction et la reconstruction des identités sexuelles et sociales. S’il est une protection contre les agressions climatiques, s’il s’adapte aux activités physiques de celui qui le porte, c’est surtout une manifestation évidente de valeurs esthétiques, une manière de montrer l’appartenance à une idéologie, une culture. Il permet aussi d’afficher la place de l’individu dans la hiérarchie sociale comme c’était le cas au Moyen-Age où le costume était un moyen clair de différencier les trois ordres existants : le clergé, la noblesse et le tiers état. C’est indéniable le vêtement est un élément essentiel dans la construction de l’identité sexuelle et sociale.
Il a donc fallu envisager le vêtement sous un autre angle de vue pour lui redonner toute sa valeur sociale. Dans son ouvrage La Mode et ses enjeux (2005), Frédéric Monneyron, professeur de littérature générale et comparée, propose de considérer le vêtement « non plus comme élément second, accessoire mais comme
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Le LieN eNTRe PRoXéMie eT VêTeMeNT
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e vêtement et la proxémie se rejoignent en un même point, tous deux marquent l’identité de chacun.
dans la proxémie : par exemple, le sentiment d’intimité avec l’autre ne se fera pas tout à fait à la même distance, selon que l’on porte une combinaison de ski ou des sous-vêtements.
Comme on l’a expliqué précédemment, le vêtement a un caractère fondateur du comportement. Valerie Steele, conservatrice de musée de la Mode à New York, considère que «les ambivalences de la culture sont mises en relief par la mode». Le vêtement a un rôle essentiel à la fois dans l’ Histoire, la culture et la construction de chaque individu.
Dans La Quizaine littéraire du 16 Juillet 2006, le journaliste Jean-Pierre Corbeau évoque le travail de David Le Breton et son ouvrage La Saveur du Monde, une anthropologie des sens. Pour David Le Breton « le corps est non seulement une matière des sens, mais l’instrument premier pour appréhender le monde ». Dans cette idée, on pourrait donc penser le vêtement comme une seconde peau qui peut changer de forme, de couleur et de texture ; et qui a aussi un rôle déterminant dans la proxémie.
La proxémie est une distance qui est déterminée grâce à de multiples facteurs. Le pays, la ville où nous vivons, la classe sociale à laquelle nous appartenons, nos humeurs, notre culture. Le vêtement est aussi un élément à prendre en compte
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eS DiSTaNCeS PRoXéMiQueS eN DéTaiL
1.3. L
................................................ 1.3.1. La
distance intime
................................................ 1.3.2. Le
distance personnelle
................................................ 1.3.3.
La distance sociale
................................................ 1.3.4.
Le distance publique
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J
effet les humeurs de chacun, les relations particulières que nous entretenons peuvent faire varier les distances mais l’organisation globale reste la même. J’ai tenté alors de déterminer de manière assez générale quelles situations et relations illustrent les distances.
’ai divisé et organisé mes recherches selon chaque distance proxémique définie par Edward T. Hall. A chaque fois, j’ai suivi la même démarche : J’ai tout d’abord effectué un sondage auprès de différentes personnes en leur demandant ce que chaque distance leur faisait ressentir ou penser. A partir de leurs réponses j’ai élaboré un champ lexical qui m’a permis d’avoir un aperçu plus objectif des distances et d’enrichir mes recherches.
Puis j’ai cherché quel type de vêtements et matières on peut retrouver dans chaque distance et quel en est leur impact. J’ai entamé mes expérimentations, croquis, idées en pensant le vêtement comme un moyen de venir troubler, déranger ces relations induites entre individus.
D’après mes observations, j’ai recadré chaque distance dans des contextes précis sans pour autant faire du cas par cas. En
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a DiSTaNCe iNTiMe
1. 3. 1. L
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A
cette distance, la présence de l’autre s’impose, elle peut même devenir envahissante par son impact sur le système réceptif. En effet cette distance implique une forte intensité sensorielle.
Elle est réservée au contact intime et tout autre intrusion est considérée comme une agression, elle peut aussi être la distance de la lutte. Elle n’est pas pratiquée dans les espaces publics.
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Mode proche : - Le contact physique domine. - Les perceptions olfactives et thermiques sont très fortes. - Les muscles et la peau communiquent. - Les bras peuvent encercler. - La vision est brouillée, sauf en son champ le plus loin où l’image est agrandie, louchement. - La voix a un rôle mineur, chuchotement.
Mode lointain : - Têtes, cuisses et bassins ne sont pas en contact. - Le contact par la main est limité par la longueur des bras. - Possibilité de focaliser facilement, distinction des pores, à 15° distinction du haut ou du bas du visage de façon agrandie, le nez, la bouche et les dents paraissent déformées). - Vision périphérique qui englobe la tête, les épaules voire les mains. - Louchement. - Contact olfactif maintenu mais celui thermique est plus faible.
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LeS SiTuaTioNS CoNCRèTeS
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forcées. Ce sont des situations d’ordre social mais qui prennent une tournure intime du fait de devoir être très proche d’une personne étrangère, voire même de dévoiler son corps. Par exemple dans un métro ou un bus bondé, ou bien dans un ascenseur, on peut se sentir oppressé, angoissé. La plupart du temps on ne sait pas où regarder de peur de croiser le regard de l’autre, il est impossible de bouger, de se tourner. Cette situation crée un grand malaise car des étrangers rentrent dans la bulle intime alors qu’ils n’y sont pas «conviés». C’est une sorte d’agression où plusieurs personnes sont poussées à rentrer en contact. On retrouve encore ce genre de situation chez le médecin. Par obligation, une personne inconnue vient toucher le corps, le palper. Même si on connaît le docteur, ce moment peut devenir gênant. Cette situation est poussée à l’extrême chez un gynécologue où on doit dévoiler son corps entièrement.
a distance intime implique des relations dans lesquelles tous les sens sont en émoi telles que les relations amoureuses ou parents/enfants. S’étreindre, se câliner, s’effleurer, se frôler , se caresser, se cajoler, s’enlacer, allaiter, protéger : ces relations sont de nature très tactile, la communication passe par le geste, le toucher. Cette distance intime peut aussi se retrouver dans des situations beaucoup plus violentes où il y aura une lutte, un corps à corps. Ces situations ne se passent, en général, pas dans un espace public, mais au contraire dans un endroit intime comme une maison, un appartement, un foyer ; un lieu qui concentre ces sentiments de confort, de protection, de cocon, un lieu où les repères sont connus, où l’on se sent en confiance. Bien évidemment, ce type de relations, qui induit une grande proximité, n’est pas restreint à l’espace intérieur. Il existe des situations de distance intime
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LeS VêTeMeNTS LiéS à La DiSTaNCe
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office de cache sexe dans une optique de pudeur mais il a aussi un grand pouvoir érotique, il protège du climat, de la transpiration, il a une fonction d’hygiène aussi. Mais c’est surtout le corps ici qui est mis en avant, le corps nu qui ne cache rien. Le vêtement sert de lien puisqu’il est une seconde peau, c’est lui qu’on touche, au lieu de toucher le corps, c’est à travers lui qu’on devine le corps. D’un point de vue textile, ce sont des matières fines, légères, des matériaux qui dévoilent le corps aussi comme la résille, la dentelle, des matériaux confortables, aux textures douces et agréable au toucher. Ce sont des textiles qui permettent le contact et qui aussi permettent de se sentir bien dans ses vêtements.
a distance intime entraîne une grande proximité avec l’autre, c’est une zone de contact physique. De ce fait, le vêtement tend à disparaître jusqu’à dévoiler un corps nu. Le vêtement fait office de seconde peau, il se veut fin et c’est ainsi le sens du toucher entre autre qui est le plus utilisé. Cette distance intime évoque aussi la confiance en l’autre, on ose lever ses barrières, ses protections, on laisse l’autre rentrer dans sa « bulle ». Les vêtements représentatifs de cette distance sont les sous-vêtements, les vêtements pour dormir (chemise de nuit, pyjama, nuisette… ) mais le vestiaire ne se limite pas qu’à ce types d’habits. Le sous-vêtement avait pour fonction de protéger la peau des frictions et la gêne provoquées par les costumes, il fait aussi
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eXPéRiMeNTaTioNS
+ Eviter le contact
tion. » (Le toucher, une affaire de peau et de rites, Le Monde, 26/08/2000). La distance intime est donc plus que tout celle qui relie un individu à un autre. Dans cette optique, mes recherches tendent à trouver des principes qui vont aller à l’encontre du tactile.
J’ai cherché à perturber les situations de l’intimité telles que les étreintes ou les relations sexuelles, grâce au volume. A partir du vestiaire de la distance intime, mes recherches s’articulent autour de vêtements qui modifient la forme du corps. Le volume impose une distance entre deux personnes, distance physique mais aussi psychologique puisque cela donne un certain recul face à ce corps « mons-
trueux » qui n’a plus les normes esthétiques connues. On retrouve cette idée de corps mutant dans le travail des designers Lucy and Bart. Ainsi les vêtements et les sous vêtements qui tendaient à dévoiler le corps a suggérer la nuditié ou à la dévoiler complètement, deviennent volumineux, couvrent le corps et compliquent le contact.
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a distance intime est surtout celle du toucher. Selon Pierre Le Hir, journaliste scientifique, « le toucher est le premier des cinq sens qui permet de distinguer le moi du non-moi. Associé au développement des facultés de préhension, il est aussi le sens de la socialisa-
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J’ai aussi fait des recherches sur la fraise comme un élément qui vient à dissimuler le corps. En effet, la fraise est un col de lingerie formé de plis placé autour du cou qu’elle cache pour mettre en valeur le visage. J’ai réutilisé la fraise, comme l’a fait Gareth Pugh dans sa collection Printemps Eté 2009, comme un vêtement à part entière qui cache la nudité et qui, de ce fait, crée une certaine distance entre deux personnes. Toujours dans l’emploi du volume pour éviter le contact, j’ai étudié la crinoline. La crinoline est un sous-vêtement datant du 19ème siècle qui apparut sous forme de jupons puis d’armature métallique ou en osier. Elle rendait la marche difficile, contraignait le corps et donnait à la femme des valeurs d’oisiveté, de frivolité et d’inutilité. On peut envisager de réutiliser cette «cage» pour créer des volumes gênant aussi bien pour celui qui la porte, en limitant la mobilité, que pour celui qui est spectateur du vêtement. J’ai souhaité aborder l’éloignement dans une dimension plus psychologique à travers le rejet, la répulsion. Inspirée par les tenues prothèses de la collection Printemps Eté 1997 de Rei Kawakubo pour Comme des Garçons, j’ai voulu travailler sur la monstruosité. J’ai joué avec la prolifération pour rendre le corps hybride. Les pièces des vêtements correspondent aux parties du corps (manche, jambe, col ..), en multipliant ces éléments, on donne l’impression d’un corps difforme.
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........................................................ + L’agression
’agression est un comportement social intentionnel qui vise à blesser et qui implique le désir d’évitement. On ressent cette notion de violence et d’agression dans la collection Printemps Eté 2009 de Gareth Pugh. Les formes
anguleuses, l’apparence robotique et cartonnée, le contraste froid du noir et du blanc de ses tenues donnent l’impression que les vêtements sont dangereux, blessants. J’ai moi-même fait des recherches de volumes qui rendent cette idée de silhouette agressive.
Dans cette direction, j’ai aussi réfléchi à la notion de sécurité et d’insécurité. La sécurité est l’absence de danger. C’est un besoin psychologique fondamental de l’homme. Une situation d’insécurité suscite le malaise, le stress. L’être humain éprouve un sentiment d’insécurité lorsqu’il estime qu’un élément extérieur peut modifier, perturber ou anéantir ses attentes. Le sentiment d’insécurité est
individuel ou collectif, il combine le danger réel ou imaginé. Ainsi, le but est d’éveiller ce sentiment d’insécurité à travers le vêtement, sans pour autant qu’il soit réel. C’est grâce à l’imagination que ce malaise va pouvoir s’instauré. Il serait possible alors d’utiliser de la mousse, des matières matelassées pour donner seulement l’impression de danger sans que cela soit réellement le cas.
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«Exploted View» series . Lucy & Bart . 2008
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a DiSTaNCe PeRSoNNeLLe
1. 3. 2. L
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’est une zone limite de non contact physique direct. Cette distance marque l’affectivité et la proximité quotidienne des individus dans leur vie publique. C’est aussi la distance qui correspond à la confidence, la complicité.
Elle permet à chacun de toucher l’autre si les deux tendent la main: le contact corporel est possible, mais la communication s’établit surtout sur un registre facial. Cet espace est qualifié d’espace de connivence.
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Mode proche : - Contact kinesthésique par extension des membres. - Pas de déformation visuelle, netteté à son maximum. - Possibilité de distinguer les détails et les textures du visage, plans et volumes accentués.
Mode lointain : - Limite de l’emprise physique sur autrui. - Dimension de la tête perçue, les traits apparaissent clairement. - Les moindres détails sont visibles (texture de peau, cheveux blancs, imperfection des dents). - Vision de la totalité du corps d’une personne assise. - Distinction du mouvement des mains mais sans pouvoir compter les doigts. - Perception olfactive possible. - Perception des voix modérées.
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LeS SiTuaTioNS CoNCRèTeS
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personnes se trouvent au minimum à 45 cm l’une de l’autre pour communiquer. Il peut y avoir des contacts avec les mains (toucher l’épaule) selon la relation qu’on entretient avec l’autre. Une discussion peut avoir lieu dans un espace privé ou public, et elle sera plus ou moins intimiste selon l’endroit.
a distance personnelle est illustrée par des relations amoureuses, familiales, amicales. Discuter, se réunir autour d’un repas de famille, se promener, faire les magasins entre amis sont des situations de la vie quotidienne où l’on retrouve cette distance personnelle. Lorsqu’on discute avec quelqu’un, que ce soit avec un conjoint, un ami ou un membre de la famille, on peut adopter plusieurs positions : face à face, à 45° ou côte à côte. Généralement les deux
Plus il y a de monde autour, plus la communication s’avère difficile, plus on se rapproche.
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LeS VêTeMeNTS LiéS à La DiSTaNCe
O
n passe d’une situation de grande proximité, tactile, voire charnelle, à une relation personnelle où le contact n’est pas aussi important. Les relations entretenues ne sont plus avec des personnes très intimes.
shirt ou le jean, sont représentatifs des relations où l’on retrouve une distance personnelle. L’un comme l’autre sont les vêtements les plus universels et les plus mythiques du 20ème siècle. Chaque année 2 milliards de t-shirts sont vendus dans le monde ( T-shirt, Charlotte Brunel, 2002)
Le vêtement que l’on retrouve dans les situations personnelles ne joue pas un rôle entre les personnes. C’est plutôt le rapport entre la tenue et celui qui la porte qui est importante. On peut associer le vestiaire de la distance sociale est celui du confort, du pratique, du casual, de la simplicité, du décontracté, de l’agréable, du douillet. Des vêtements «casual», tels que le T-
Les matières utilisées sont celles qui ont des textures douces et confortables telles que le jersey coton, le molleton, la viscose. Le type de vêtements et de tissus va également être défini selon le lieu, et aussi le climat, de la situation. En effet, la distance personnelle ne se situe pas forcément dans un lieu privé.
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eXPéRiMeNTaTioNS
+ Rompre les habitudes
a distance personnelle implique des situations où on acquiert des habitudes, une routine. Les relations entre conjoints, amis et famille permettent d’avoir des repères auxquels on se rattache. On parle d’un cercle familial, d’un cercle d’amis, il représente une sorte d’unité de base.
Le but ici est de créer la surprise, perturber la routine , mais aussi imposer un certain inconfort de l’habit dont le corps ne respecte pas forcément des positions naturelles. Aussi, le vêtement sur le corps n’a plus la même apparence. Un t-shirt avec le col sur le devant et des manches plus ou moins déplacés ne ressemblera plus vraiment à un t-shirt une fois porté.
Dans cette optique de bouleversement, j’ai commencé à chercher des principes qui viennent perturber la forme habituelle du vêtement. L’idée principale est de destructurer la silhouette en partant d’habit de base. La multiplication, la répétition, l’accumulation, modifient le vêtement jusqu’à créer un volume inattendu. La symétrie et l’asymétrie permettent de reproduire une partie du vêtement, ou le
vêtement lui-même, afin de donner une nouvelle apparence et inviter à voir l‘habit sous un autre angle. Le changement d’échelle de certains des éléments du vêtement permet le rendre complètement disproportionné. La réduction peut provoquer une gêne dans le port du vêtement alors que l’agrandissement, quant à lui, peut donner le sentiment d’isolement en se sentant « perdu » dans un habit gigantesque.
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........................................................ + Insécurité
aussi dangereux (griffant, piquant…) Elisa Strozyk a travaillé le textile en le rendant rigide avec ses Wooden textiles (2009). On peut aussi éveiller l’imaginaire en créant des imprimés textiles trompe l’œil, qui donnent l’impression de textures dures alors que ce n’est pas le cas.
+ Brouiller la communication
quant à elle, a utilisé le trompe l’oeil dans sa collection Automne Hiver 2009 2010 en redessinant des forme d’habits avec du scotch. Elle joue ainsi avec notre perception du vrai et du faux. Georges Rousse, quant à lui, tente de transformer notre perception de la réalité via la photographie comme dans ses oeuvres Genève (2003) ou Sargadelos (2001).
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out comme dans la distance intime, il est possible de jouer aussi avec le sentiment de malaise, d’inconfort, de danger, en proposant des statures impressionnantes qui empêchent tout contact et par extension toute complicité. A travers la texture, il est possible aussi de rendre un vêtement froid, rigide mais
L
a distance personnelle amène à des relations basées sur l’honnêteté, le naturel, la complicité, l’échange. De plus c’est aussi la distance où l’acuité visuelle est la meilleure. Utiliser l’illusion vient donc à l’encontre de la relation car il s’agit de duper l’autre et de brouiller la communication. En 1927, Elsa Schiaparelli, créatrice de mode italienne, connu un fort succès avec ses pulls trompe-l’oeil. Dans leur collection Printemps Eté 2009, Viktor & Rolf ont joué avec l’illusion d’optique en créant des robes dont les formes semblent modifier le corps. Rei Kawakubo,
J’ai orienté mes recherches vers le patchwork comme principe d’illisibilité. La multiplicité de tissus, de motifs, de couleurs renvoie un message confus car il y a trop de données.
+Inconfort
collection Printemps Eté 2008. Le corset est un sous-vêtements comportant des baleines pour modeler le buste suivant des critères esthétiques variables. L’idée n’est pas de réutiliser le corset tel quel, mais plutôt sa fonction, le fait qu’il façonne le corps et le contraint.
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ans la distance personnelle, on retrouve des situations où l’on se sent à l’aise, les rapports avec les autres sont naturels. J’ai travaillé autour du corset et j’ai exploré des manières de le réinterpréter tout comme l’a fait Nicolas Ghesquière pour Balenciaga dans la
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a DiSTaNCe SoCiaLe
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a frontière entre le mode lointain de la distance personnelle et le mode proche de la distance sociale est «la limite du pouvoir sur autrui». C’est une relation interpersonnelle directe. Elle permet d’intégrer plusieurs personnes dans le cercle, mais plus aucun détail intime n’est perceptible et les contacts physiques sont impossibles.
C’est la zone de la neutralité et de la diplomatie : on respecte le territoire personnel de chacun. L’accent est mis sur les gestes et non plus sur l’expression faciale. Sur un mode proche on débat de sujets impersonnels. Sur un mode lointain on prend du recul, on toise, on juge.
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Mode proche : - Tête perçue normalement. - A 1,20m la tête, les épaules et le haut du corps sont visibles. - A 2,10m le corps est totalement visible. - La voix porte et est entendue sans effort. - Pas de contacts physique direct.
Mode lointain : - Plus formel que le mode proche. - Pas de distinction des détails subtils du visage, mais la texture de la peau, la qualité des dents sont visibles. - La chaleur corporelle et l’odeur ne sont pas détectées. - Le corps est perçu avec un certain espace autour. - Il faut parler avec une voix un peu plus haute.
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LeS SiTuaTioNS CoNCRèTeS
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un bureau qui nous sépare du jury illustre cette distance sociale. A l’extérieur, en ville par exemple, les individus laissent naturellement entre eux des espaces pour circuler. Mais la surpopulation devient source de stress, d’anxiété, car on ne souhaite pas être confronté à l’autre lorsque les distances sont réduites. Dans les rues bondées, sur les passages piéton, la traversée peut devenir un vrai chassé croisé où il faut éviter les obstacles. Si la personne est pressée, elle va plus facilement s’agacer du moindre imprévu.
a distance sociale est l’avant dernière distance, avant la publique. Elle permet encore un échange avec l’autre mais sans pour autant entretenir une relation amoureuse ou amicale. Cette distance existe dans des situations auxquelles nous sommes confrontés tous les jours dans la rue, les magasins quand nous passons à la caisse, au travail avec ses collègues. La distance sociale est souvent matérialisée par des guichets, des bureaux, des meubles vitrines, des caisses qui éloignent les deux individus. Passer un oral dans une petite salle avec
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LeS VêTeMeNTS LiéS à La DiSTaNCe
T
à la personne. S’il cache le corps nu, le vêtement permet aussi de cacher ou de tromper la personnalité de chacun.
ous les vêtements sont utilisés sauf ceux du vestiaire de l’intimité, les sous vêtements eux sont cachés pars la tenue. Le vêtement permet d’être et d’évoluer dans la société. Il est la manifestation évidente de l’identité d’un groupe, de l’expression des valeurs esthétiques d’une culture, il affiche aussi l’individu dans la hiérarchie sociale. « L’habit ne fait pas le moine » pourtant le vêtement est un signe ostentatoire à travers lequel on observe, juge et catégorise une personne. Si on va plus loin, il peut aussi servir de protection dans le sens où il ne permet pas un accès direct
Dans la distance sociale, le vêtement porté pour le milieu professionnel est particulier. Il définit une fonction, un statut et aussi un comportement. Il se différencie selon chaque métier, et dans chaque métier il différencie la hiérarchie. Il peut donc déterminer un vestiaire très spécifique : infirmier, policier, militaire, boucher, éboueur, avocat, serveur… Il donne à voir ce que l’on fait plutôt que ce que l’on est.
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eXPéRiMeNTaTioNS
+ Expérience in situ
éloigner jusqu’à frôler les murs. La tenue attire les regards, agace, intrigue, gêne. Les réactions se font à double sens, en effet la « balloon girl » s’est aussi sentie mal à l’aise d’être un obstacle et d’être regardée par tous.
J
’ai créé une tenue assez volumineuse à base de ballons de baudruche, portée dans le métro afin de voir la réaction des gens qui circulent autour. Les personnes ont contourné cet « obstacle » dès que c’était possible pour s’en
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........................................................ + Etrangeté
qui était anodin, c’est rendre particulier ce qui est banal, c’est aussi dévoiler ce qu’on ne voit pas pour attirer l’attention. En montrant l’artifice utilisé, on oblige le spectateur à ne plus faire fusion avec le spectacle, à ne plus s’identifier et donc se rapprocher, il est obligé de prendre de la distance et donc une distance critique. Par rapport à cette notion, j’ai fait des recherches pour trouver des façons de dévoiler et rendre singulier ce qui peut-être banal : dévoiler la construction du vêtement avec le patron, laisser le vêtement monté.
L’effet d’étrangeté utilisé par Bertolt Brecht à partir de 1923, « consiste en ce que la chose qu’il s’agit de faire comprendre, sur laquelle on veut attirer l’attention, est transformée, de chose habituelle, familière, immédiate qu’elle était, en une chose singulière, frappante (voire choquante), inattendue. Ce qui se comprenait de soi-même est devenu incompréhensible afin de le rendre compréhensible. » C’est l’effet de distanciation qui permet de prendre du recul sur ce que l’on voit et de poser un regard intéressé sur ce City Magazine Fall Fashion Issue . Ted Sabarese
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........................................................ + Attiser la curiosité
propose de découvrir une image sousjacente. On peut jouer avec le pli comme moyen d’attirer le regard, en effet, le plissé a une partie cachée qui peut être découverte au fil des mouvements. Dans cette idée de captiver le regard et de rendre curieux, l’agence d’architecture Fantasic Norway a conçu le projet Walking in Berlin en 2009 où il s’agit de faire voyager les maisons. Ces maisons en bois, situées en pleine ville, intriguent complètement.
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a plupart du temps, on passe à côté d’un étranger sans faire attention à lui, c’est une personne qui fait parti du décor. Il s’agit donc d’attirer l’œil sur celui qui porte le vêtement, d’inciter à découvrir pour éviter l’ignorance, le détour. C’est aussi une façon de créer une connexion, un lien entre deux inconnus. On retrouve cette idée de caché/dévoilé chez Abigail Reynolds, artiste anglaise, qui a travaillé sur la dualité d’une image, et qui par le découpage et le pliage,
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way . 2009
n . Fantasic Nor
rli Walking in Be
Centrepoint . Abigail Reynolds . 2008
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........................................................ + Caméléon
peut s’observer, se scruter malgré la distance qui nous sépare de l’autre.
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es situations de distance sociale amènent à passer inaperçu mais aussi à être confronté constamment à des personnes qu’on ne connaît pas. En sortant de son chez soi, on est en contact avec l’extérieur, l’autre, l’inconnu jusqu’à se sentir mal, oppressé, stressé. De plus la rue est un lieu ouvert où tout le monde
Inspirée par des designers textiles telles que Ritta Ikonen et ses Human Nylon (2005) ou Sarah Ross et ses Archisuit (2006), une solution serait alors de devenir caméléon, de s’intégrer dans l’environnement urbain afin d’être invisible.
Evolution Crocodile . Emma Hack . 2008 >
Human Nylon . Ritta Ikonen . 2005
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Archisuit . Sarah Ross . 2006
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a DiSTaNCe PuBLiQue
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C
ette distance entraîne des changements sensoriels importants. En effet alors que la distance intime est une zone intense de sensorialité, la distance
publique perd de l’acuité. Les détails ne sont plus aussi précis, il y a une perte de l’odorat, du toucher, l’ouïe diminue. L’individu n’est plus directement concerné.
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Mode proche : - Voix haute. - Implique un certain vocabulaire, des transformations grammaticales. - Le corps est perçu perd son volume, devient plat. - Seul le blanc des yeux est visible. La tête semble plus petite. - Le sujet a la possibilité de fuir.
Mode lointain : - Voix et détails de la gestuelle sont difficilement perceptibles, il faut les accentuer et les exagérer. - Communication assurée par les gestes et la posture. - Le corps semble petit. - Le corps fait partie intégrante d’un cadre.
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LeS SiTuaTioNS CoNCRèTeS
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a distance publique impose un certain éloignement, elle représente la plupart du temps une situation où il y a un orateur et un public. Ainsi l’échange est unilatéral, l’orateur s’adresse au public.
concerné. La personne compte moins que son discours. On fait face à un public et doit alors porter la voix, ralentir le débit et articuler, amplifier et ralentir les gestes, ou travailler avec des technologies adaptées.
On retrouve cette distance dans les meetings, les congrès, les conférences de presse, avec des personnes politiques, ou lors d’un oral dans un amphithéâtre; les concerts, les spectacles, les pièces de théâtre impliquent aussi une distance publique. C’est la distance située hors du cercle où l’individu est directement
Cette distance qui implique des situations de représentation, de paraître. D’ailleurs, le parallèle avec le théâtre est plutôt évident : la distance est une mise en scène organisée, avec des réunions répétées, des discours préparés. Un public est là pour recevoir le discours.
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LeS VêTeMeNTS LiéS à La DiSTaNCe
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Le but étant d’avoir une certaine allure, une prestance en restant discret. Le costume, d’aspect austère, strict, donne une contenance à celui ou celle qui le porte.
e vêtement le plus généralement retrouvé dans cette distance est le costume (complet, complet-veston, costume de scène…) «... le 19ème siècle, on le sait, consacre l’apparition d’une tenue masculine qui, austère, rigide et sombre, «symbole d’un deuil perpétuel», dira Charles Baudelaire, s’oppose en tous points au vêtement féminin, seul encore marqué par la couleur et la frivolité.» (La Mode et ses enjeux, Frédéric Monneyron, 2005)
On peut créer un lien entre le costume (cravate) et le costume de scène (au théâtre par exemple), non pas au niveau de l’aspect minimaliste car le costume de scène ne cherche pas la discrétion, mais plutôt dans le fait que tous les deux sont des vêtements d’apparence. Celui qui porte le costume, quel qu’il soit est dans la représentation.
Le costume ou tailleur n’est plus seulement destiné aux hommes mais aussi aux femmes. Ce n’est plus un vêtement qui permet de faire la différence entre les deux sexes. Il s’agit plus d’un habit de représentation car en effet la distance publique joue sur les apparences, sur l’image que l’on renvoie Dans les situations de distance publique ce n’est pas donc pas le confort du vêtement qui prime mais la façon dont on apparaît au public.
Il faut noter que les vêtements qu’on retrouve dans la distance publique ne se résume pas au costume-cravate. Comme nous l’avons précisé précédemment, le spectacle, les concerts, les messes impliquent une distance publique. Ces situations induisent des parures particulières ; on peut même retrouver le sous-vêtement dans les spectacles érotiques.
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eXPéRiMeNTaTioNS
+ Communication, lien social
place le discours verbal par une communication tactile, en créant des vêtements collectifs. A l’instar de Lucy Orta et ses vêtements refuges, ou encore Issey Miyake et sa collection « Just Before » où une seule et même étoffe relie les personnes.
+ Empêcher de fuir
Pour aller à l’encontre de ce sentiment de sécurité, j’ai fait des recherches autour de principes qui pourraient empêcher de bouger et donc donner l’impression qu’il n’est plus possible de fuir. Pour rendre difficile tout mouvement, toute gestuelle par le vêtement, il est possible d’imaginer des empiècements à l’entre-jambe, sous les aisselles qui empêchent de bouger librement.
Les situations de distance publique impliquent une relation de supériorité de l’orateur envers le public. Pour rompre ce rapport, il faut créer un lien entre les deux personnes (voire plusieurs personnes), les rapprocher pour qu’elles soient au même niveau. On rem-
La distance publique permet aux personnes une possibilité de fuir et de ne pas être sujette à l’intrusion. Cette distance géographique est aussi psychologique, car on n’entretient pas de relation intime avec cette personne, il n’y a ni complicité, ni proximité. Cette distance permet d’acquérir aussi une certaine assurance puisqu’on se sent en sécurité.
Just Between You and Me . Keetra Dean
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Dixon . 2009
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........................................................ + Fragilité, vulnérabilité
On peut retranscrire cette fragilité dans le vêtement : créer des tenues fragiles, mal cousues, « qui ne tiennent qu’à un fil ».
Dans Géographie de la nudité (2003), Francine Barthe-Deloizy démontre que ce n’est pas le nu qui pose problème, mais le lieu dans lequel se trouve ce corps nu. La nudité obéit donc a des pratiques sociales et culturelles.
nus et même des personnes plus proches ne sont pas censés avoir accès. Le fait d’exposer sa nudité provoque une intrusion imaginaire.
Cette impossibilité de fuir amène aussi à une fragilité de la personne puisque qu’elle n’est plus dans une situation sûre. De l’angoisse, du malaise peuvent apparaître.
Pour Pina Baush, danseuse et chorégraphe allemande, le fait que ses danseurs soient nus sur scène crée un lien direct avec le public, une certaine authenticité s’en dégage. Pour autant le nu au théâtre peut susciter une gêne pour le public qui n’est pas habitué à être confronté à une telle intimité.
Pour rendre vulnérable celui qui porte le vêtement, j’ai pensé à dévoiler le corps, à travers des imprimés de corps nus par exemple, comme l’a fait Nicole Tran Ba Vang avec ses Vêtements Peau. Ainsi on révèle la partie la plus intime de la personne, à laquelle les étrangers, les incon-
ole Tran Ba Vang
Vêtements Peau . Nic
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....................................... PaRTie 2
DéVeLoPPeMeNT
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eS eNJeuX De MoN PRoJeT
2. 1.L
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E
n tant que designer de mode, j’ai choisi d’aborder ce projet à travers l’habit, puisqu’il est lui aussi un élément culturel. C’est un moyen d’expression, un révélateur d’identité, il est donc à prendre en compte dans les rapports entre individus. Mon projet est de créer des vêtements qui puissent générer des comportements, des relations différentes en me servant des codes de la proxémie. Tout au long de ce travail, il s’agira donc de proposer une réflexion sur la relation entre le vêtement, celui qui le porte et celui qui en est spectateur.
gement d’apparence que seul le spectateur observera, il s’agit aussi de transformer la relation entre le vêtement et celui qui le porte. Chaque personne qui sera confrontée au vêtement devra prendre ses distances selon la manière dont elle perçoit le vêtement et ce que cela lui fait ressentir. Ainsi il est possible de jouer sur différents aspects. Le vêtement peu servir aux besoins de celui qui le porte ou au contraire le gêner, voire même le fragiliser et il peut choquer ou attirer celui qui observe. Il y a donc deux facettes à prendre en compte dans la conception des tenues.
La proxémie est la base de mon travail, une sorte de matière première que j’utilise pour façonner des vêtements. En effet les distances proxémiques et tous les codes qu’elles impliquent sont les points de départ de mon travail.
C’est également la sensorialité du corps qui est à prendre en compte dans la démarche créative. « Le corps est non seulement une matière de sens, mais l’instrument premier pour appréhender le monde (David LeBreton – La Saveur du monde). Les perceptions sensorielles enchevêtrées à des significations dessinent les limites fluctuantes de l’environnement dans lequel nous vivons. Elles en expriment l’étendue et la saveur » (JeanPierre Corbeau – La Quinzaine littéraire 16/07/2006).
A partir de là, mon but est de venir bouleverser ces codes, sans parler de modifier les distances, car elles sont immuables, et de proposer de nouveaux comportements, de nouvelles relations par rapport à l’autre. Ces modifications prennent plusieurs dimensions. Il ne s’agit pas que d’un chan-
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2.2.
uN VêTeMeNT MiS eN QuaRaNTaiNe
................................................ 2.2.1. Monstruosité
................................................ 2.2.2. Mise
en danger
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A
lors que dans des situations de distance intime, le toucher est le premier sens pour communiquer avec l’autre, pour cet axe il va être question de trouver des moyens d’aller à l’encontre de cette dimension tactile. Pour cette
piste, mes recherches s’orientent vers des principes qui empêchent ou dissuadent tous contacts dans le but que les deux individus pris dans une interaction se sentent éloignés l’un de l’autre.
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2. 2. 1. M
oNSTRuoSiTé
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E
D’un part, une distance physique se crée car les volumes éloignent celui qui regarde le vêtement et gênent aussi celui qui porte la tenue ; d’autre part, on a aussi une distance plus psychologique car ces silhouettes « monstrueuses » peuvent être repoussantes, anormales, inquiétantes.
n envisageant le vêtement, et surtout les sous-vêtements, comme une seconde peau, j’ai travaillé autour de la difformité du corps. Le vêtement est doté de volumes irréguliers, asymétriques, et donne à voir des silhouettes hybrides qui ne correspondent plus aux normes esthétiques. Je me suis inspirée des formes de la crinoline, qui est, rappelons le, un sousvêtement du 19ème siècle, ainsi que de la fraise, pour proposer des formes qui transforment le corps.
Je me suis aussi intéressée à la répulsion à travers le textile en travaillant des textures gluantes, dégoulinantes, abîmées, mitées, usées, déchirées. Le but étant de donner un aspect repoussant qui dissuade toute envie d’approcher l’autre.
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2. 2. 2. M
iSe eN DaNGeR
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’agressivité est une manière d’éviter tous contacts. La sensation de danger dissuade de s’approcher, de toucher au risque de se blesser. J’ai repris des formes pointues, anguleuses, des lignes qui paraissent blessantes pour susciter une certaine angoisse auprès de celui qui voit la tenue. L’imaginaire a son importance puisque il s’agit de suggérer un danger sans qu’il soit vraiment réel.
d’employer des formes faites de mousse qui donnent une impression de danger mais qui ne le sont pas. Ce danger peut aussi être suggéré par la couleur et notamment le noir qui «semble anguleux et dur.» ( Psychologie de la couleur, effets et symboliques, Eva Heller, 2009). De plus, les contrastes de couleurs peuvent apporter une dureté et une violence visuelles supplémentaires. J’ai ainsi travaillé des imprimés textiles qui combinent formes anguleuses et contrastes.
A l’instar de Gareth Pugh qui a utilisé des volumes gonflables dans sa collection Printemps Eté 2009, on peut envisager
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2.3.
uN VêTeMeNT Qui SèMe Le TRouBLe
................................................ 2.3.1. Désorientation
................................................ 2.3.2.
Surinformation & désinformation
................................................ 2.3.3.
Contre nature
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L
a distance personnelle implique des situations où règnent la confiance, les habitudes, le naturel, l’échange, la détente... Il est donc question de rompre ou tout du moins de perturber ces relations de complicité. Ainsi, dans cette partie, je
propose des solutions créatives qui tendent à bouleverser les relations entre les personnes et à pousser chacune d’entre elles à changer de comportement, à se perdre, à se méfier.
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2. 3. 1. D
éSoRieNTaTioN
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L
’habitude est une disposition acquise, relativement permanente et stable, qui devient une seconde nature. Elle permet d’avoir des repères notamment avec sa famille ou ses amis.
unisexe de la décontraction» (T-shirt, Charlotte Brunel, 2002). Ainsi j’ai élaboré mes recherches dans le but de bouleverser ces 3 types de repères. Je suis d’abord partie sur la déstructuration du t-shirt pour s’éloigner de sa forme connue en T, et donner à voir une silhouette différente J’ai ensuite entrepris de perturber le port du vêtement et induire en erreur l’individu qui souhaitera l’enfiler par le haut. Utiliser des matériaux autre que le textile tels que le bois, le plastique ou l’acier trompe aussi celui qui est spectateur du vêtement.
J’ai décidé de travailler autour de la notion de repère dans le vêtement : la forme, la façon de le porter et la matière. J’ai pris le t-shirt comme forme de base. «Dès les seventies, le magazine Elle avait anticipé la tendance en pariant qu’il deviendrait «un vêtement de base indémodable parce que hors mode». Car en un rien de temps, la simplissime pièce de coton a fait son entrée au panthéon des basiques (...) dans le rôle de l’uniforme
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uRiNFoRMaTioN & DéSiNFoRMaTioN ........................................................ 2. 3. 2. S
A
l’heure d’aujourd’hui, nous vivons dans une société de surconsommation envahie par la publicité, les logos et les marques. Le studio H5 (François Alaux, Hervé de Crécy et Ludovic Houplain) a réalisé en 2009, Logorama, un court métrage d’animation. Le film détourne près de 3 000 logos, utilisés pour constituer à la fois les personnages et le décor dans lequel ils évoluent et met en scène la surabondance des marques.
Cette saturation entraîne une certaine confusion. C’est à partir de ce principe de surinformation que j’ai axé mes recherches. J’ai travaillé l’accumulation afin de brouiller la lecture du vêtement. Cet agrégat d’éléments du t-shirt (manches, bord-côtes, cols...) forme des silhouettes ne ressemblant plus du tout au vêtement de base.
U
n patchwork est un ouvrage constitué d’un assemblage de morceaux de tissus de tailles, formes et couleurs différentes. Plus généralement, le patchwork est un assemblage d’éléments hétéroclites.
C’est un moyen d’illustrer cette surinformation qui implique une désinformation. En effet la multiplicité des imprimés textiles et matériaux apporte une illisibilité.
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L
maison des faux-monnayeurs. Jaune aussi, l’étoile qui désignait les Juifs et les destinait à la déportation... Aucun doute, le jaune n’a pas une très belle histoire ni une bonne réputation.»
e jaune est une couleur solaire, chaude, joyeuse pourtant dans l’ouvrage Le petit livre des couleurs (2005), Michel Pastourneau et Dominique Simmonet expliquent que le jaune n’est pas une couleur très appréciée : « Dans le petit monde des couleurs le jaune est l’étranger, l’apatride, celui dont on se méfie et que l’on voue à l’infamie. Jaune comme les photos qui palissent, comme les feuilles qui meurent, comme les hommes qui trahissent... Jaune était la robe de Judas. Jaune, la couleur dont on affublait autrefois la
Il me semble alors pertinent d’utiliser le jaune comme couleur dominante pour les vêtements. Cette ambiguïté entre couleur attractive mais qui symbolise la traîtrise correspond à cette idée de mésinformation, de tromperie.
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oNTRe NaTuRe
2. 3. 3. C
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e corset, du vieux français cors, luimême dérivé du latin corpus (corps), est un sous-vêtement féminin porté du 15ème siècle au début du 20ème siècle. Il est constitué de baleines et destiné à modeler le buste suivant des critères esthétiques variables au fil des époques. Il façonne le corps (poitrine et taille) mais aussi le contraint.
J’ai travaillé sur la rigidité dans le vêtement pour créer de l’inconfort. En utilisant de la feutrine épaisse thermoformée, des matières textiles matelassées, du Néoprène® ou voire même du plastique souple comme du Priplak®, il est possible de créer des formes assez raides qui contraignent celui qui porte le vêtement à avoir des positions peu naturelles et commodes.
C’est pour ces caractéristiques de gêne et de modelage que je me suis inspirée du corset dans mes recherches.
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2.4.
uN VêTeMeNT, uNe DuaLiTé
................................................ 2.4.1. Espace
personnel
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Objet de curiosité
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a distance sociale est intermédiaire, elle est la dernière «bulle» avant la distance publique. Elle permet l’échange entre deux personnes sans pourtant inclure une quelconque relation intime ou amicale. Cette distance implique des relations ambivalentes. D’une part, nous sommes confrontés à l’autre chaque jour à travers son regard, des échanges froids, des
contacts trop oppressants qui amènent à avoir envie de retrouver son propre espace, son intimité ; d’autre part nous subissons un réel anonymat qui pousse à ressentir le besoin de ne plus passer inaperçu. Dans cet axe, je vais donc m’attacher à entreprendre des recherches sur cette dualité.
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2. 4. 1.
eSPaCe PeRSoNNeL
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L
On n’aurait plus à faire face à ce monde extérieur hostile mais à en faire partie, comme une façon de l’apprivoiser pour se protéger.
es situations de distance sociale peuvent être perçues comme agressives. En effet le fait d’être confronté à l’autre à tout moment, de manière assez distante peut paraître stressant, oppressant. On se bouscule, on se juge, on s’épie, on se scrute dans les moindres détails. Chacun d’entre nous peut éprouver le besoin de retrouver une certaine intimité, un espace personnel auquel personne ne peut accéder.
Ainsi j’ai travaillé autour de l’impression textile qui reprend des éléments, des prises de vue de la ville, des bâtiments, des magasins, de la foule, du monde extérieur en général. Ces imprimés permettent de devenir caméléon et de se fondre dans l’environnement.
J’ai envisagé tout d’abord de créer un espace personnel matérialisé, un volume qui permettrait d’écarter physiquement l’autre, mais ce principe n’empêcherait pas les regards. Il est même possible que l’individu soit encore plus susceptible d’être attiré visuellement par celui qui porte ce «volume». Dès lors j’ai appréhendé cette piste sous un autre angle. Plutôt que d’étendre cet espace personnel en le matérialisant, il serait question d’intégrer l’individu dans son environnement afin qu’il passe inaperçu.
Concernant le vêtement, je suis restée dans des formes minimalistes qu’on retrouve dans les créations de designers dans les années 90 tels que Calvin Klein ou Issey Miyake. Les tenues sont alors dépouillées de tout élément superflu afin d’avoir une silhouette la plus lisse possible. J’ai aussi fait des recherches autour de la cape et de la capuche qui permettent de se dissimuler et de retrouver son espace personnel dans le vêtement.
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2. 4. 2.
oBJeT De CuRioSiTé
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C
omme je l’ai précisé auparavant, la distance sociale implique des situations assez ambivalentes voire radicalement opposées. Si nous éprouvons le besoin de retrouver notre intimité, demeure aussi l’envie de ne plus être anonyme, d’être considéré comme une personne à part entière et non comme un individu lambda.
ce qui nous paraît habituel, singulier. En ce sens j’ai établit mes recherches autour des éléments du vêtement à mettre en valeur. Ainsi j’ai utilisé le changement d’échelle, et notamment l’augmentation, pour attirer l’attention sur des parties du vêtements. De plus, cet agrandissement apporte une seconde dimension aux tenues. Comme un zoom, cela donne l’impression au spectateur d’être proche de la personne, comme dans une distance intime où tous les détails sont grossis.
Dans cette voie, j’ai décidé de reprendre la notion d’«étrangeté» que j’ai abordée dans la première partie. Ce concept définit par Bertolt Brecht consiste à rendre
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2.5.
uN VêTeMeNT MiS à Nu
................................................ 2.5.1.
Créer du lien
................................................ 2.5.2. Intimité
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de fuite
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L
a distance publique induit un certain éloignement aussi bien physique que psychologique. L’échange ne se fait que dans un sens, l’orateur parle au public qui l’écoute. La distance exclut tout contact entre les deux personnes, elle apporte une certaine assurance à l’orateur.
Pour cet axe, je me suis donc attachée à rechercher des moyens de créer une connexion entre les individus mais aussi de donner une certaine fragilité à l’orateur.
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éeR Du LieN
2. 5. 1. CR
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L
a distance publique instaure environ 9m entre chaque individu. Ainsi tout lien est impossible. J’ai donc voulu recréer une connexion entre l’orateur et le public afin d’effacer le sentiment de supériorité hiérarchique, d’offrir une proximité, de mettre en avant l’aspect collectif.
où l’habit ne peut pas être porté seul. J’ai poussé ces recherches vers différents moyens de lier l’habit comme le nœud, l’aimant et le Velcro. J’ai aussi abordé le lien différemment, en jouant sur l’imitation. Ce principe permet de rapprocher car il crée de l’empathie. J’ai alors proposé des costumes où l’on retrouve des codes du vestiaire du public, c’est-à-dire des vêtements de tous les jours.
J’ai tout d’abord travaillé sur le vêtement qui permet de contenir plus d’une personne. On retrouve même l’idée de codépendance dans le sens
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2. 5. 2.
iNTiMiTé
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D
ans une situation où le paraître est primordial, j’ai choisi de dévoiler la nudité pour bousculer les rapports entre l’orateur et le public. La situation d’ordre publique se transforme alors en situation intime. La bienséance est bouleversée. Le malaise est installé pour celui qui est nu, qui dévoile son anatomie, son intimité, mais aussi pour celui qui regarde . Le corps nu est imposé dans une situation où il ne devrait pas.
J’ai ainsi repris le principe d’imitation évoqué précédemment pour travailler la nudité. C’est une façon d’afficher le corps dans son plus simple appareil et d’exprimer à travers le vêtement «je suis comme vous». J’ai surtout recentré mes recherches vers les complexes et les particularités du corps : les rides, les bourrelets et les poils. J’ai tenté de retraduire ces caractéristiques à la fois dans la forme du vêtement, dans la texture et dans l’imprimé.
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2. 5. 3. D
iSTaNCe De FuiTe
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L
a distance publique permet, comme chez l’animal, d’avoir un périmètre de sécurité qui offre la possibilité de fuir s’il y a une intrusion. Elle permet aussi à l’orateur d’avoir une certaine assurance. J’ai donc cherché à mettre en péril cette
confiance en soi et à imposer un certain malaise en travaillant sur la fragilité du vêtement. Les tenues paraissent alors mal cousues, prêtes à se déchirer au moindre mouvement.
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BiBLioGRaPHie
........................................................ LiVReS / eSSaiS
La Dimension cachée . Edward T. Hall
Editions du Seuil . Collection Points . 1966 La Mode et ses enjeux . Frédéric Monneyron Editions Klincksieck . Collection « 50 questions » . 2005 La Sociologie de la mode . Frédéric Monneyron Presses Universitaires de France . Collection «Que sais-je» . 2006 Psychosociologie de la mode . Marc-Alain Descamps Presses Universitaires de France . 1979 La Distanciation, Essai sur la société médiatique . Jean-Luc Michel Editions l’Harmattan . 1991 Géographie de la nudité, être nu quelque part . Francine Barthe-Deloizy Collection « D’autre part » . 2003 Le Petit Livre des couleurs . Michel Pastourneau avec Dominique Simonnet Editions Panama . 2005 Psychologie de la couleur : effets et symboliques . Eva Heller Editions Pyramid . 2009 Tangible, High Touch Visuals . Collectif DVG . 2009
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aRTiCLeS Une pensée qui a du corps . Sébastien Lapaque Le Figaro Littéraire . 09.03.2006 Le toucher, une affaire de peau et de rites . Pierre Le Hir Le Monde . 26.08.2000 Fait de l’étoffe de nos sens . Jean-Pierre Corbeau La quinzaine littéraire . 16.07.2006
.............. WeB http://www.psychologie-sociale.com/ http://vmabillot.free.fr/interactivite/these/online/annexes01.htm http://territoiredessens.blogspot.com/
.............. FiLMS / MuSiQueS Elephant man . David Lynch 1980 Freaks . Tod Browning Titre français : La monstrueuse parade . 1932 Clip « Misift » . Bumblebeez http://www.youtube.com/watch?v=-iyyB8g8cWM
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ReMeRCieMeNTS
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Merci à Lionel Hager et Florence Schmidgen, pour leur disponibilité et leurs conseils. Merci à Ludo et à ma Parraine, pour leur patience et leur assiduité dans les nombreuses relectures. Merci à Redbull d’avoir tenté de me donner des ailes au fil des nuits. Merci à Amélie, Céline, Charlotte, Jennifer et Marine pour leur soutien à toute heure du jour et de la nuit et pour tous ces précieux moments de «craquage» plus que nécessaires. Et merci Maman.
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Vêtements & proxémie.
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Tome 2
....................................... Marie Chanteur Master Design Global 2008-2010 Ecoles de Condé
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SoMMaiRe
........................................................ eNJeuX Du PRoJeT .................... PaRTie 3 : FiNaLiSaTioN 7 3. 1. La marque
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3. 1. 1. anticode
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3. 1. 2. Identité visuelle
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3. 2. Collections
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3.2. 1. Mise en quarantaine 3. 2. 2. Trouble
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.............. CoNCLuSioN
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3. 2. 3. Dualité 3. 2. 4. Nude
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eNJeuX Du PRoJeT
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L
e mémoire que j’ai élaboré consiste à proposer une collection dans le cadre d’une création d’une marque de prêt-àporter moyen haut de gamme. Le projet présenté est la première collection de cette marque, développée selon 4 lignes. Mon travail se base sur la proxémie, concept développé par Edward T. Hall, qui représente la distance sociale entre deux personnes prises dans une interaction. La proxémie est déterminée par divers facteurs tels que l’espace, les classes sociales, les humeurs de chacun, mais aussi l’habit, élément culturel social et culturel à part entière.
que seul le spectateur observera, il s’agit aussi de transformer la relation entre le vêtement et celui qui le porte, d’insister sur cet aller-retour entre regardeur et regardé. C’est également la sensorialité du corps que j’ai prise en compte dans ma démarche créative. Les sensations que procurent les vêtements sont une sorte de fil conducteur dans mon travail. Je me suis ainsi appliquée à jouer sur différents aspects. Le vêtement peut servir aux besoins de celui qui le porte ou contraire le gêner, voire même le fragiliser et il peut choquer ou attirer celui qui observe. Je me suis inspirée de ce principe de proxémie et des 4 distances qui la composent afin de dégager des thèmes et des principes de création. Pour chaque thématique, j’ai créé une tenue « icône » qui met en scène les codes poussés à l’extrême. J’ai ensuite décliné les principes dans 4 mini collections de prêt-à-porter pour la femme et l’homme. Voici les 4 lignes proposées. Elles peuvent fonctionner ensemble mais être aussi indépendantes l’une de l’autre : .Homewear/lingerie .T-shirts . Basique .Costumes
En tant que designer de mode, j’ai choisi d’explorer la proxémie à travers l’habit, puisqu’il est lui aussi un élément culturel. C’est un moyen d’expression, un révélateur d’identité, il est donc à prendre en compte dans les rapports entre individus. Le but de mon projet est de proposer des vêtements qui puissent générer de nouveaux comportements entre les individus en bouleversant les codes qui découlent de la proxémie. Tout au long de mon travail, je me suis attachée à aborder les tenues selon deux dimensions : il ne s’agit pas que d’un changement d’apparence
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....................................... PaRTie 3
FiNaLiSaTioN
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3.1.
La MaRQue
................................................ 3.1.1.
anticode
................................................ 3.1.2. IdentitĂŠ
visuelle
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........................................................ 3. 1. 1.
aNTiCoDe
A
nticode. Ce n’est pas conforme, attendu, sérieux, morose, commun, raisonnable, logique, insipide, ordinaire, triste, commode, convenable, complaisant, facile, ennuyeux. anticode ne se borne pas aux limites imposées, ne respecte pas les habitudes, ne se gêne pas pour s’amuser des codes établis.
appréhender l’environnement/le monde autrement. Elle propose un autre d’angle de vue, une approche à contre-courant, une manière d’être et de paraître en décalage. Les matières se veulent simples et basiques et ce sont les détails qui sont travaillés pour donner une plus-value aux vêtements.
La marque ne s’adresse pas qu’à une seule cible mais aussi bien à l’homme qu’à la femme ; à des personnes sensibles à la nouvelle création, en quête de singularité. Des personnes qui souhaitent ne pas se plier à la conformité et expérimenter le vêtement différemment.
Pour être cohérente avec la philosophie d’anticode, c’est-à-dire de prendre les codes à contre-pieds, j’envisage de distribuer la marque par le biais de boutiques éphémères dont les collections peuvent être exposées sur des périodes plus ou moins longues. L’idée est de commercialiser les collections de façon ponctuelle afin d’aller à l’encontre du calendrier saisonnier du monde de la mode.
anticode est une marque de prêt-à-porter moyen/haut de gamme qui s’attache à
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........................................................ 3. 1. 2.
iDeNTiTé ViSueLLe
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e logotype de la marque s’inscrit également dans une démarche en sens contraire. En effet par les découpes
Etiquettes tissus
effectuées dans la typographie Times New Roman, on retrouve cette idée de bouleversement de codes établis.
m s
m l
nude
dua
m
m
litÈ
en mise aine rant qua
Etiquette prix
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body . dégoûlinant medium 140,00 €
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3.2.
LeS CoLLeCTioNS
................................................ 3.2.1.
Mise en quarantaine
................................................ 3.2.2. Trouble
................................................ 3.2.3.
DualitĂŠ
................................................ 3.2.4. Nude
......... ......... 13 13
........................................................ 3. 2. 1.
MiSe eN QuaRaNTaiNe
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ans des situations de distance intime, telles que les relations amoureuses ou entre parents et enfants, le toucher est le premier sens pour communiquer avec l’autre. J’ai choisi alors de créer une collection homewear/lingerie qui sont des vêtements représentatifs de la distance
intime. Pour cette ligne, j’ai donc proposé des tenues qui vont à l’encontre de cette dimension tactile en apportant un univers hostile. J’ai travaillé autour de l’altération, du dégoût, de l’agressivité, dans l’idée d’éloigner les individus les uns des autres.
PRiNCiPeS & FoRMeS
P
répulsif, certains vêtements sont dégradés en étant troués, mités. J’ai également réalisé un imprimé « dégoulinant » qui suggère l’aversion. J’ai utilisé différentes teintes de verts salis ainsi qu’un gel en relief pour accentuer l’idée de dégoût.
our rendre le corps « monstrueux », j’ai travaillé sur le volume qui suggère une silhouette qui ne correspond plus vraiment aux normes esthétiques. Le vêtement icône présente ces « excroissances » et donne à voir une peau qui gonfle, s’étend et déforme le corps. On a à la fois une distance physique car les volumes éloignent celui qui regarde le vêtement et gênent celui qui porte la tenue ; et une distance plus psychologique car cette silhouette « mutante » peut être repoussante, anormale, inquiétante.
Afin de dissuader l’autre de s’approcher de celui qui porte le vêtement, j’ai créé des tenues reprenant des formes anguleuses, des lignes qui paraissent blessantes. Certains vêtements sont dotés de volumes pointus qui suscitent le danger.
Dans la collection de prêt-à-porter, j’ai décliné ces volumes à une plus petite échelle. Certains ressemblent même à des cloques de peau. Pour renforcer l’aspect
De plus, les contrastes de couleurs peuvent apporter une dureté et une violence visuelles supplémentaires.
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........................................................ GaMMe De CouLeuRS
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our garder l’idée de vêtement comme seconde peau, j’ai choisi de décliner la gamme colorée dans des tons chair plus ou moins foncés qui vont jusqu’au beige.
J’utilise le noir, couleur dure, en touche, pour créer un fort contraste visuel et appuyer le côté agressif de certaines tenues. Le blanc est également utilisé en touche.
MaTéRiauX
J
’ai utilisé essentiellement des jersey mélangés coton et lin pour son toucher agréable mais aussi car il offre une légère transparence. J’ai également utilisé une Jersey coton 70% lin 30 % Jersey coton peigné 60% lin 40% Maille Nylon 90% Elasthane 10%
maille Nylon pour la femme, qui elle, est très transparente et dévoile le corps.
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MiSe eN QuaRaNTaiNe ............................ FeMMe
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MiSe eN QuaRaNTaiNe ............................ HoMMe
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ouBLe
3. 2. 2. TR
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a distance personnelle est illustrée par des relations amoureuses, familiales, amicales. Discuter, se réunir autour d’un repas de famille, se promener, jouer, faire les magasins sont des situations de la vie quotidienne où l’on retrouve cette distance. Celle-ci implique des situations où règnent la confiance, les habitudes, le naturel, l’échange, la détente... J’ai
alors choisi de créer une collection de TShirts. Le T-Shirt est un vêtement phare du vestiaire casual et traduit cette idée de confort et décontraction. Il est donc question de jouer sur le bouleversement des habitudes, de perturber les repères concernant la forme, la matière et la façon de porter le vêtement.
PRiNCiPeS & FoRMeS
J
codes ou des éléments, on arrive à une illisibilité, une incompréhension. J’ai alors créé des modèles qui représentent cette prolifération d’éléments tels que le bord côté ou les manches, le corps, etc. Ce décuplement amène à troubler la forme du vêtement mais aussi la manière de le porter. Le vêtement icône est un T-shirt fait de multiples manches qui induit en erreur celui qui doit enfiler le vêtement mais aussi d’une certaine façon celui qui en est spectateur.
’ai utilisé le T-Shirt qui est un basic de nos vestiaires et qui est aussi d’une certaine manière un repère dans notre garderobe, une pièce universelle et simple. J’ai d’abord travaillé sur différentes façons de bouleverser le vêtement. J’ai ainsi déstructuré la forme basic en T pour proposer une autre silhouette. J’ai aussi utilisé un matériau différent du textile, le plexiglas. On le retrouve par fragment directement intégré au T-Shirt. J’ai choisi de brouiller également la façon de porter le T-shirt en offrant la possibilité de mettre le vêtement dans n’importe quel sens.
J’ai aussi abordé la notion d’inconfort dans le vêtement pour aller à l’encontre du bien-être. J’ai créé un tissu matelassé et je l’ai utilisé au niveau de l’emmanchure. Son épaisseur gêne le mouvement et rend le port du T-Shirt contraignant.
En jouant sur la surinformation, j’ai pu apporter une certaine confusion dans le T-Shirt. En effet à force de multiplier des
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e jaune est une couleur solaire, chaude, joyeuse mais historiquement elle n’est pas une couleur très appréciée. Le jaune est l’étranger, celui dont on se méfie. Il me semble alors pertinent d’utiliser le jaune comme couleur dominante pour
cette ligne de T-Shirts. Cette ambiguïté, entre couleur attractive mais traîtresse, correspond à cette idée de mésinformation, de tromperie. Les T-Shirts se retrouvent donc déclinés en trois tons de jaune : jaune moutarde, jaune primaire et jaune miel.
MaTéRiauX
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our rester dans l’idée du T-Shirt comme modèle de base, j’ai utilisé 3 jer-
seys coton de jauges différentes afin de confectionner la collection.
Jersey 100%
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TRouBLe ............................ FeMMe
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TRouBLe ............................ HoMMe
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3. 2. 3. D
uaLiTé
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a distance sociale est intermédiaire, elle est la dernière «bulle» avant la distance publique. Elle permet l’échange entre deux personnes sans pourtant inclure une quelconque relation intime ou amicale. On retrouve cette distance entre collègues, en payant ses courses à la caisse, dans le métro… Cette distance implique des relations ambivalentes. D’une part, nous sommes confrontés à l’autre chaque jour à travers
le regard de l’autre, des échanges froids, des contacts trop oppressants qui amènent à avoir envie de retrouver son propre espace, son intimité ; d’autre part nous subissons un réel anonymat qui pousse à ressentir le besoin de ne plus passer inaperçu. Je me suis donc inspirée de cette dualité pour élaborer une collection constituée de basiques.
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C
devient une broderie appliquée sur des éléments du vêtement.
ette collection est constituée de deux notions contradictoires : attirer l’attention et passer inaperçu. Afin de captiver le regard pour devenir une curiosité, j’ai orienté mes créations sur la façon de rendre des éléments habituels, singuliers. J’ai créé des vêtements où les détails sont amplifiés pour les rendre remarquables. On passe du micro au macro, d’un élément qui devient un tout. On retrouve des éléments des vêtements surdimensionnés: les cols, les poches, les manches, les boutonnières deviennent gigantesques. Dans la tenue icône, cet effet est poussé à l’extrême : l’agrandissement du col de la chemise empêche toute visibilité. J’ai également joué avec ce changement d’échelle à travers le tissage des tissus et de la maille. Le tressage est maximisé et
A contrario, dans le but de passer inaperçu, je me suis inspirée de la capuche pour créer des sortes de vestes unisex. En effet la capuche permet de se protéger des intempéries. C’est cet attribut de protection que j’ai réutilisé pour proposer des vestes dotées de fermetures à glissière qui vont de haut en bas. Il est donc possible de se cacher complètement et de ne plus avoir à faire face aux autres. Pour renforcer cette notion d’invisibilité, chaque veste est totalement imprimée d’une photographie de l’environnement urbain comme la rue, le métro, le supermarché. On retrouve l’idée de caméléon qui se fond dans le décor.
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P
our les tenues dont le but est d’attirer l’attention, j’ai choisi d’utiliser des nuances de gris colorés. En effet le gris est une couleur sans force, ni caractère, elle représente le conformisme.
On retrouve donc cette idée de dualité entre un habit qui se doit d’être remarqué alors que sa couleur est faite pour passer inaperçu.
MaTéRiauX
P
our garder une certaine discrétion et ne laisser ressortir que les détails zoo-
més, les étoffes choisies sont basiques.
Popeline coton 100% Sergé coton 100% Molleton coton 100% Voile coton 100%
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DuaLiTé ............................ MiXTe
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DuaLiTé ............................ FeMMe
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DuaLiTé ............................ HoMMe
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3. 2. 4. N
uDe
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a distance publique induit un certain éloignement aussi bien physique que psychologique. L’échange ne se fait que dans un sens, l’orateur parle au public qui l’écoute. La distance exclut tout contact entre les deux personnes, elle apporte une certaine assurance à l’orateur. On retrouve cette distance dans les spectacles, les pièces de théâtres, les cérémonies religieuses mais aussi lors de réunions, de congrès, de meetings…
J’ai choisi de créer une collection de costumes qui sont représentatifs des situations de réunions, de conférences de la distance publique. Alors que ces situations impliquent une grande distance, j’ai cherché à créer un lien entre orateur et public, à introduire une certaine proximité visuelle.
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S
La distance publique permet, comme chez l’animal, d’avoir un périmètre de sécurité qui offre la possibilité de fuir s’il y a une intrusion. Elle permet aussi à l’orateur d’avoir une certaine assurance. J’ai cherché à donner l’impression que cette distance de fuite n’existe plus, à mettre en péril cette confiance en soi et à imposer un certain malaise en travaillant sur la fragilité du vêtement. Les tenues créées sont en morceaux, donnent l’impression d’être mal cousues voire décousues, comme si elles ne tenaient qu’à un fil. On aperçoit ainsi des parties du corps. Les malfaçons sont volontairement apparentes, on peut voir les fils. Cela peut provoquer un malaise pour celui qui porte le vêtement prêt à tomber et pour ceux qui en sont spectateurs et qui ne souhaitent pas faire face à une nudité imposée.
ans pour autant recréer une distance physique réelle, je me suis attachée à jouer sur le principe d’imitation pour rapprocher. En effet, l’imitation est un moyen de produire de l’empathie. C’est un reflet de l’autre en qui on peut se retrouver. J’ai orienté ce principe vers la nudité. C’est une façon d’afficher le corps dans son plus simple appareil et d’exprimer à travers le vêtement «je suis comme vous». Je me suis inspirée des complexes et des particularités du corps tels que les rides, les bourrelets et les poils. Je les ai retranscrit à travers la forme du vêtement et la texture. On retrouve des vestes dotées de bourrelets de cuir, des manches tombantes, des broderies poilues, des jupes fripées.
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A
fin de mettre la nudité en avant, j’ai utilisé des teintes de chair pour la gamme de couleurs de la collection.
Cette impression de nudité est amplifiée lorsqu’on observe ces tenues de loin, ce qui est le cas de la distance publique.
MaTéRiauX
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’ai souhaité retrouver une impression de peau dans les matériaux. J’ai utilisé la microfibre, la suédine et le cuir, pour leur toucher velouté, « peau de pêche »
qui se rapproche de la peau. J’ai choisi le crêpe de soie et la mousseline de soie pour leur apparence plus ou moins transparente qui laisse apercevoir la peau.
Microfibre 100% Suédine Cuir Crepe soie 100 % Mousseline soie 100 %
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NuDe ............................ FeMMe
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NuDe ............................ HoMMe
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CoNCLuSioN
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peut encore nourrir des collections à venir, il est possible de développer plus amplement l’impression textile. Par la suite, il est également envisageable de se plonger dans d’autres thèmes de création, en gardant une démarche qui tend à bousculer les codes et à déborder des limites.
’ensemble de mon mémoire a été élaboré en axant ma réflexion autour du rapport entre le vêtement, les individus et l’environnement qui nous entoure. J’ai notamment orienté mes recherches vers la proxémie. Je me suis inspirée de ce concept comme d’un véritable thème de création afin de concevoir une collection de vêtements. Tout au long de ce travail, j’ai entrepris de bouleverser tous les codes établis par la proxémie afin de mettre en avant les relations entre celui qui regarde le vêtement et celui qui le porte et toutes les sensations qui peuvent en découler.
Souhaitant encadrer ce projet dans la création d’une marque, j’ai eu la possibilité de collaborer avec un photographe et une graphiste afin d’obtenir un travail abouti qui s’inscrit dans la pluridisciplinarité. Cette rencontre entre différents domaines de création m’a permis de faire écho à ma formation de Master de Design Global.
Les solutions que j’ai proposées ne sont pas exhaustives ; cette thématique de proxémie
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modèles photographie graphisme