| le design graphique au service du langage des corps tome 1 réflexions & recherches du corps vers la corporéité Angèle Fachan 2011 | 2013 Mastère de Design Global, Recherche, Innovation Écoles de Condé | Paris
un projet de fin d'ĂŠtudes dirigĂŠ par Dominique Beccaria et Apolline Torregrosa
Remerciements Je remercie Dominique Beccaria et Apolline Torregrosa qui m'ont accompagnée tout au long de ce projet et dont les conseils toujours avisés et sensibles m'ont aidée à construire ma pensée et à accomplir ce travail. Je tiens également à remercier les professeurs de l'École de Condé que j'ai pu rencontrer lors de ces cinq dernières années, Isabelle Gibert et Lionel Hager, pour la richesse de leur enseignement, leur patience et leur bienveillance. Merci à Vincent Bizien, Justine Ferrer, Emmanuel Rohmer, Pascal Pillard et Pierre-Gaël Steunou, qui ont su m'éveiller graphiquement et plastiquement. Merci à ma famille pour son soutien inconditionnel et sa confiance sans faille, merci à Fanette Castellou pour son amitié et sa présence, merci à Colombe Dary pour sa fidélité et sa curiosité graphique.
avant-propos Dans une culture occidentale où le corps n’est plus tabou, on parle de sexualité, on montre, on informe, on éduque. Le corps est visible partout, dénudé, affiché, mais il reste soumis à une tension entre libération et oppression quand persistent des phénomènes de perte de contact immédiat avec sa réalité sensible. On en oublie souvent la dimension vivante, animée, pour ne donner à voir qu'un corps matériel, en faire un objet d’évaluation, d’attention, d’exposition, de contrôle, ne communiquant pas un corps vécu. Pourtant ce corps vécu, non-dit, difficilement communicable, resurgit malgré lui et manifeste des intentions, volontairement ou non. Ce sont ces signes du corps non maîtrisés que je cherche à interroger en tant que designer graphique, afin de manifester la primauté du corps dans le rapport au monde, au-delà des codes normatifs de représentation visuelle, notamment dans l'expression éditoriale. Le corps n'est pas seulement objet d'études, il est aussi sujet d'expériences, il s'exprime sans dire, émetteur de signes et porteur de sens. Ce projet propose d'assumer graphiquement ce langage des corps.
| sommaire
tome 1 réflexions & recherches
du corps vers la corporéité
11
| i ntroduction
12 - 13
| définition des enjeux | design graphique - langage - corps
14 - 15
| Un héritage culturel | corps objet et corps sujet
16 - 19
| design graphique & langage des corps | corps et re-présentation
- du corps vers la corporéité 23
| du corps objet au corps sujet | 01
24 - 31
| la mimesis | d e la représentation du corps objet à la présence d'un corps sujet
32 - 41
| l'anatomie | des fonctions du corps objet à l'expérience d'un corps sujet
42 - 51
| la déconstruction en partie | d e la fragmentation du corps objet à l'unité d'un corps sujet
52 - 57
| lA décomposition du mouvement | de la fixité du corps objet à la temporalité d'un corps sujet
58 - 61
| la codification symbolique | d es caractéristiques du corps objet à la singularité d'un corps sujet
65
| du corps matériau au corps sujet | 02
66 - 69
| le corps comme matériau | d e la matérialité de l'objet à la sensorialité d'un sujet
70 - 73
| le corps comme support | de la surface de l'objet à l'interface d'un sujet
74 - 79
| le corps comme geste | de la marque de l'objet à la trace d'un sujet
83
| du corps signe au corps sujet | 03
84 - 91
| la corporéité, SIGNES d'une expérience | au-delà de l'image du corps
92 - 97
| la corporéité, signes d'une temporalité-spatialité | l'expression d'un espace-temps | la corporéité, SIGNES d'une histoire | le récit d'un vécu
98 - 105
108
| conclusion tome 1
110
| bibliographie
tome 2 développements du projet corporéité & verbalisation
7
| i ntroduction | u n projet éditorial | la corporéité, définition - le livre est un corps
8-9
| u n livre somatique | pour une valorisation de la corporéité
10 - 11
- corporéité & verbalisation 17
| la corporéité dans les mots | 01 | langage des corps et micro-typographie
18 - 41
43
| la corporéité dans les textes | 02 | langage des corps et macro-typographie
44 - 59
61
| la corporéité dans les livres | 03 | langage des corps et interaction éditoriale
62 - 75
- développements du projet 82
| la corporéité comme langage graphique | 01
85 - 103
| design éditorial et introversion
105 - 119
| design éditorial et extraversion
122
| le langage graphique comme corporéité | 02
125 - 133
| design éditorial et sympathie
135 - 147
| design éditorial et empathie
150
| conclusion tome 2
introduction
| définitions des enjeux
| le design graphique “ Le design graphique peut être défini comme le traitement formel des informations et des savoirs. Le designer graphique est alors un médiateur qui agit sur les conditions de réception et d’appropriation des informations et des savoirs qu’il met en forme.” Annick Lantenois
| langage Faculté que les hommes possèdent d’exprimer leur pensée et de communiquer entre eux au moyen d’un système de signes conventionnels vocaux et/ou graphiques constituant une langue. D’une manière générale, le langage peut être défini comme la faculté d’instituer un objet quelconque comme signe. Vendryes note du langage : “La définition la plus générale qu’on puisse donner du langage est d’être un système de signes (…). Par signe, il faut entendre tout symbole capable de servir de communication entre les hommes. Les signes pouvant être de nature variée, il y a plusieurs espèces de langage (…).” TLFI - Trésor de la Langue Française Informatisé
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TOME 1 | introduction
| des corps La philosophie distingue deux corps : le corps objet, regardé, analysé, évalué, dans sa matérialité inanimée, objet de représentation ou d’études, scientifiques par exemple, et le corps sujet, ou corps propre en phénoménologie, vécu, traversé d’affects, de pulsions, dont la pluralité des expériences subjectives le rendent indicible. “L'importance attachée au corps [se relie] à un drame plus général qui tient à la structure métaphysique de mon corps, à la fois objet pour autrui et sujet pour moi.” Maurice Merleau-Ponty
“Cette différence entre les deux corps -le nôtre qui s'éprouve soi même en même temps qu'il sent ce qui l'entoure d'une part, un corps inerte de l'univers d'autre part (...) nous la fixons dès maintenant dans une terminologie appropriée. nous appellerons chair le premier, réservant l'usage du mot corps au second.” Michel Henry | Incarnation, une Philosophie de la chair
"Le design graphique au service du langage des corps" est une tentative d'appropriation et de traduction des signes émis par les corps, non pas envisagés comme un système figé de représentations mais en tant qu'ils expriment une pluralité d'expériences indicibles.
TOME 1 | introduction
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| un héritage culturel La différence phénoménologique entre deux corps (un corps objet de représentation et un corps sujet d'expériences) s'inscrit dans un contexte culturel qui établit une distinction, voire une hiérarchie, entre le corps et l'esprit, héritée de l'histoire des idées et des sociétés occidentales.
corps objet et corps sujet Le corps objet, chosifié par la société contemporaine, qui impose une maîtrise totale de son apparence et de ses représentations, s'inscrit dans la continuité d'une pensée occidentale longtemps marquée par un mépris de la chair. Le phénomène est d'abord hérité de la Grèce antique : la pensée d'un corps lié à l’esprit (quand l’apprentissage philosophique s’accordait encore à l’exercice physique) est remise en cause par la philosophie de Platon distinguant le corps de l’âme comme deux substances capables d’exister séparément l'une de l’autre . Dans Le Phédon, il joue avec le mot grec qui désigne le corps (soma) pour le rapprocher du tombeau (sema) : le corps emprisonne, rive et même cloue l'âme ici-bas, l'empêchant de prendre son envol vers les régions plus élevées de la pure pensée. La dichotomie platonicienne, relayée par la chrétienté, aboutit à une omniprésence de la pensée dualiste qui sépare le corps de l’esprit dans la philosophe classique : Descartes renforce cette considération : “je pense donc je suis” fonde l’existence sur la pensée. La philosophie des Lumières, qui développe le système universitaire, accroît cette primauté de l’esprit sur le corps. Il faudra attendre le milieu du 19ème siècle, puis les grands courants philosophiques modernes au 20ème , pour voir ralentir cette méprise, avec un renversement du dualisme, voire une abolition de la distinction entre corps et esprit : le matérialisme qui ramène au-devant de la scène économique et sociale les exigences du corps contre l'idéalisme, Nietzsche qui s'attaque aux “contempteurs du corps”, Bergson qui propose un champ radical d'immanence, Gilles Deleuze et le corps-sans-organe sous l'influence de Nietzsche et Spinoza, la phénoménologie de Merleau-Ponty, l'existentialisme de Sartre, la corporéité singulière de Levinas, la psychanalyse et ses prolongements dans le champ psychosomatique, etc.
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TOME 1 | introduction
Ces tentatives de réhabilitation du corps revendiquent sa primauté et lui permette d'accéder au statut de sujet. Mais le modernisme, valorisant le progrès en vue d’une société meilleure, maintient cette hiérarchie avec la révolution industrielle qui, inventant la machine, permet de se délier du corps et de travailler uniquement la pensée. À la création des usines, on distingue la conception de la réalisation et de la fabrication : dans Les Temps modernes, le corps face à la machine est maîtrisé, contenu, accomplissant en boucle les même gestes, sans y intégrer la réflexion. Le travail est fragmenté, séparant ceux qui pensent et ceux qui fabriquent : avec le développement de l’intellectualisme, la pensée est valorisée aux dépends du corps toujours dénigré. Après différentes manifestations d’un besoin de retour au corps (mai 68, mouvement hippie qui réclame une libération sexuelle... ), la société cherche à renouer, à récréer des liens perdus par la modernité, trop hiérarchisé et trop axé sur la pensée. Une quête de fusion entre corps et esprit, culture et nature, imaginaire et rationnel, que l’on retrouve par exemple dans le cadre scolaire avec l’organisation d’ateliers de danse, de théâtre, d’écriture... car c’est aussi l’art qui permet de repenser et de se ré-approprier le corps.
“Notre siècle a effacé la ligne de partage du corps et de l’esprit et voit la vie humaine comme spirituelle et corporelle de part en part, toujours appuyée au corps. (…) Pour beaucoup de penseurs, à la fin du 19ème, le corps c’était un morceau de matière, un faisceau de mécanismes. Le 20ème a restauré et approfondi la question de la chair, c’est à dire du corps animé.” Maurice Merleau-Ponty | Signes
TOME 1 | introduction
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| design graphique & langage des corps
“Il est urgent que le corps et l'esprit se retrouvent impliqués.” Pina Bausch
corps et re-présentation Le corps humain a toujours été présent en art. Incarnant dieux, déesses, saints, rois, mythologie et histoire, il est représenté sous toutes ses formes. C’est au 20ème siècle que l’image du corps bascule avec une remise en cause des idéaux de beauté, de vraisemblance et de proportions. Dès la révolution cubiste, suivi de l’art brut, d’Alberto Giacometti à Francis Bacon, l'image du corps ébranle la représentation picturale et sculpturale. Cette révolution plastique est une réponse aux événements tragiques du 20ème siècle -guerres mondiales, génocides, massacres…- renversant les codes figuratifs traditionnels et défiant la représentation humaine. Ce bouleversement s’inscrit dans un courant de remise en cause de la pensée cartésienne, évoqué précédemment, où il ne convient plus de rendre exclusif un sujet conscient mais de révéler, un sujet plus complexe, symbiose d’instances conscientes et inconscientes. Traces tangibles de l’artiste dans les drippings de Jackson Pollock ou empreintes véritables du corps-pinceau de Yves Klein, le corps s’affranchit de la représentation et se donne désormais à voir comme présence. L’assomption d’un corps vécu, habité, chargé d’histoire, qui transparaît à travers de nouveaux modes de représentation. Le design graphique peut s'inscrire dans la continuité de cette recherche d'une présence des corps, au-delà de leurs représentations, par sa capacité de traduction d'un langage.
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TOME 1 | introduction
Autrement que par la parole, le corps se manifeste, il émet de signes, volontairement ou non : il exprime en excès au-delà d’un langage construit. Cette expression s’inscrit dans la matière du corps et participe du processus de communication : un langage corporel difficilement assumé dans une société contemporaine marqué par un impératif de contrôle de la chair. Il convient de revendiquer la primauté au corps, son privilège dans le rapport entretenu avec les autres. Le projet consiste en la transposition graphique des expressions du corps pour rendre visible - lisible - ce corps habité. Pour y parvenir, nous nous intéresserons d'abord aux expressions visuelles de la corporéité, pour observer les manières dont on peut éviter les représentations du corps comme un objet, son exploitation comme matériau, son utilisation comme signe, pour le saisir comme un sujet, dans son immédiateté, son unité et sa pleine présence. Dans ce premier temps de notre démarche de réflexion et de recherches, il s'agira d'articuler l'analyse de références à des tentatives d'expérimentations d'une expressivité graphique de la corporéité.
TOME 1 | introduction
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| Dans le cadre de ce projet, le design graphique occupe une fonction de traduction d’un langage corporel, s’engageant à développer en modalités d’expressions graphiques les signes du corps. | Un langage graphique qui assume le corps comme générateur de sens.
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du corps vers la corporÉité
“Réaliser la représentation de l'irreprésentable, voir l’invisible, toucher et percevoir l’impalpable.” Novalis | La Mission du peintre
01
du corps objet au corps sujet
de la représentation à la présence d'un corps Le corps humain a toujours été présent en art. Traité au cinéma, dans la littérature, la poésie, le design… dire le corps, l’écrire, le signifier est un enjeu de création initial. Objet de représentation, il est le reflet des valeurs érigées par une société, le réduisant souvent à de simples apparences extérieures. Par la mimesis, l’étude anatomique, la déconstruction en parties, la décomposition du mouvement ou sa codification symbolique, le corps est souvent représenté comme réduit à ses fonctions mécaniques, balayant alors ses dimensions sensorielles, motrices, pulsionnelles et imaginaires. Plasticiens, designers, chorégraphes ont développé des alternatives, cherchant à dépasser ces modes de représentations réducteurs afin de générer des effets de présence d’un corps.
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la mimesis
Jusqu’à une récente révolution plastique, l’art a toujours été essentiellement figuratif, s’efforçant de représenter le monde qui l’entourait. Un désir de délivrer une copie, de la façon la plus fidèle possible, érigeant au premier rang la notion de ressemblance définie comme “le rapport entre la chose et son modèle, tel que la chose donne l’image fidèle, l’illusion du modèle”. Cette conception de la mimesis, qui induit une copie du réel, invite à comprendre le corps par son extériorité, restreint à ses critères physiques. À cette saisie du corps par ses apparences, des artistes développeront des alternatives, pour saisir la présence d'un corps, assumé dans la singularité de sa rencontre.
Au départ, le terme de “mimesis” ne référait qu’au mime, à la danse, à la musique, aux activités visant à exprimer la réalité intérieure et non à reproduire une réalité extérieure. À partir du 5ème siècle, il désigne la reproduction du monde extérieur. Platon distingue deux sortes de mimesis : une mimesis eikastiké et une mimesis phantastiké. La première consiste à reproduire le modèle en respectant ses proportions et les couleurs qui lui conviennent. La seconde, pratiquée pour des œuvres en grandes dimensions impliquant d’être vues de loin, déforme les proportions et les couleurs afin de reproduire le réel non pas tel qu’il est, mais tel qu’il apparaît au spectateur compte tenu de son point de vue. Une logique qui ne reproduit non pas l’être mais l’apparaître. Une traduction de la vision du réel répondant à un ensemble de signes et de conventions. Ainsi, pour réaliser L’Apoxyomène, le sculpteur Lysippe respecte des normes de représentation : en rupture avec ses prédécesseurs, il établit une nouvelle règle de proportion de la tête, qui doit désormais mesurer un huitième de la taille du corps.
“Travail incessant de la culture sur la nature, action continue du corps idéal sur le corps réel, conformations canoniques poussant aux déformations les plus violentes et aux réformations les plus insidieuses (comme l’ascèse du régime alimentaire) : il s’agit toujours d’arracher à l’apparence humaine sa trop humaine apparence, de la socialiser en la dénaturant, de la sublimer (…) afin d’en détourner le seul destin biologique, d’en faire aussi un instrument symbolique.” Philippe Perrot | Le Travail des apparences
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TOME 1 | du corps vers la corporéité
L’Apoxyomène - Lysippe - 4ème siècle av. J.-C.
des apparences du corps objet à la présence d’un corps sujet
Spooning Couple - Ron Mueck - 2005
Repoussant les limites de la ressemblance, Ron Mueck nous confronte “à l'inquiétante étrangeté du rapport au corps et à l'existence”, en saisissant des instants ordinaires et intrigants du quotidien, nous donnant à voir une relation intime entre deux êtres. La précision dans les gestes, l'authenticité de la chair qui plisse et la profondeur de l'épiderme représente des corps presque vivants. Mais, par les dimensions irréelles de ses représentations - de la miniature à la sculpture monumentale - l'artiste dépasse le réalisme de la vraisemblance pour conférer aux corps un effet troublant de présence, à rencontrer.
“Travaillant lentement dans son atelier londonien, Ron Mueck fait du temps un élément privilégié de sa création. Ses figures humaines, réalistes à l'excès mais qui jouent sur des changements d’échelle surprenants, demeurent aussi éloignées du naturalisme académique que du pop art ou de l'hyper-réalisme”. Fondation Cartier pour l'art contemporain | Catalogue de l'exposition 2013
“La vision classique ne me semble pas une vision immédiate et affective des choses, mais une reconstitution raisonnée.” L'homme qui marche - Alberto Giacometti - 1960
Alberto Giacometti | Je ne sais ce que je vois qu’en travaillant
Souffrant d’une insatisfaction à créer avec les moyens de la mimesis, Alberto Giacometti développe des principes alternatifs à cette saisie de l’extériorité du corps comme objet : “la mimesis a engendré la fiction qui satisfait le désir et fait oublier la mort”. L’artiste se pose la question de ce qu’il voit, de la présence d’un être en face de lui, se détachant de cette mimesis du savoir, ce qu’il sait du corps, de ses proportions, de ses mesures… à la recherche d’un nouvelle ressemblance. Par l’abstraction du signe, la simplification des apparences, la saisie du mouvement et de la matérialité de la chair, l’artiste génère un effet de présence, permettant d’éprouver un corps et ne plus se limiter à une représentation des apparences. Dans sa sculpture l’Homme qui marche, Alberto Giacometti dresse la matière, creuse des figures minces, filiformes et infiniment allongées qui semblent se mesurer à l’espace qui les entoure. Contrairement à la statuaire classique, ses figures ne s’imposent pas mais, comme rongées par l’espace, elles se présentent et s’annulent en même temps.
TOME 1 | du corps vers la corporéité
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| Expérimentations
TOME 1 | du corps vers la corporéité
EXPÉRIMENTATIONS VISUELLES Altération de la représentation photographique d'un corps érotisé : l'image, extraite d'un magazine, est déchirée partiellement, la surface est altérée, puis réinvestie par le dessin pour substituer à l'image du corps objet de désir, l'expression d'une subjectivité. Une fissure pour déceler un sens à partir de l'intériorité. | Image photographique déchirée dans sa verticalité, au niveau de la trachée du personnage. | Collage du fragment photographique et réincarnation par le dessin.
TOME 1 | du corps vers la corporéité
Expérimentations |
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l'anatomie
Le corps intérieur qui recouvre organes, tissus fibreux et matière sanguine, est isolé du monde extérieur par la peau, à la fois surface d’échange avec les autres et espace de délimitation qui protège et contient la matière. L’étude de l’anatomie consiste à franchir ce seuil afin de parvenir à une saisie du corps par son intériorité. Une césure de l’épiderme pour comprendre le corps, sa mécanique, sa structure, son fonctionnement... Mais l'anatomie peut révéler autre chose du corps que la connaissance des fonctions organiques, pour en exhiber l'expérience d'une sensibilité.
Le dessin anatomique offre au regard du spectateur le spectacle d’un lieu inconnu, une cartographie à corps ouvert. Une représentation d’un réel inatteignable qui s’ancre dans une démarche d’exploration scientifique, une quête du savoir, de découverte, de connaissance. L’art anatomique est réduit à un savoir rationnel ou le cognitif est à son apogée tandis que la dimension sensible de l’être n’est pas prise en compte. Sous la tutelle de la raison scientifique, l’art anatomique met à disposition un savoir essentiel sur le corps comme objet de connaissance, non incarné, dénué de son unité. Par ses dessins anatomiques, Léonard de Vinci donne à voir le corps de l’intérieur, dans sa profondeur, selon une approche fonctionnelle, comme dans ses représentations des organes de reproduction.
“Ce n’est plus une vision du corps qu’ils avaient, mais une compréhension du corps humain.” Alberto Giacometti | Je ne sais ce que je vois qu’en travaillant
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TOME 1 | du corps vers la corporéité
Dessins anatomiques - Léonard de Vinci - 1508
des fonctions du corps objet à l'expérience d'un corps sujet
“Il n’y a pas d’image du corps sans un imaginaire de son ouverture.”
Clitotype, ouvrage 16 pages - Crisitna Chiappini - 2009
Georges Didi-Hubermann | Ouvrir Vénus
Pour dire la sexualité, Cristina Chiappini dépasse la représentation des fonctions anatomiques et organiques, pour dévoiler la dimension sensible de cette expérience à un public adolescent. Clitotype est le témoignage d’une expérience sur le corps typographique et le corps fonctionnel, mécanique et sensible de l’être. Dans un âge où les adolescents découvrent leur corps et sont sujets à toutes sortes de désirs et pulsions, Christina Chiappini pense fondamental d’instruire et d’informer sur le sexe “réel et vrai”, à l’heure où les garçons apprennent tout de la sexualité à travers la pornographie. Par ses modalités de représentations simplifiées, ses jeux de transparences, de superpositions, de couleurs, les tailles des colonnes et les corps typographiques basés sur les tailles d’organes génitaux humains, le designer graphique matérialise des sensations et aborde la question de la sexualité chez les adolescents comme une expérience sensible, plutôt que comme un fonctionnement organique.
TOME 1 | du corps vers la corporéité
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EXPÉRIMENTATIONS VISUELLES Détournement des codes du dessin anatomique et de l'illustration médicale d'un corps objet, pour retrouver la sensibilité d'un corps sujet, parlant. | Dessins de cellules et tissus organiques, légendés d'extraits de textes littéraires manuscrits.
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| Expérimentations
TOME 1 | du corps vers la corporéité
TOME 1 | du corps vers la corporéité
Expérimentations |
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EXPÉRIMENTATIONS VISUELLES Exprimer l'indicible en creusant la matière la plus profonde du corps (les cellules et les matières organiques) pour dépasser au maximum les modes de représentations du corps. | Dessin de cellules et tissus organiques superposés, déchirés, dépouillés.
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| Expérimentations
TOME 1 | du corps vers la corporéité
TOME 1 | du corps vers la corporéité
Expérimentations |
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| Expérimentations
TOME 1 | du corps vers la corporéité
TOME 1 | du corps vers la corporéité
Expérimentations |
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la deconstruction en partieS
Par la reconstruction de son apparence ou de sa mécanique, les traditions de la mimesis ou de l'art anatomique ont permis une compréhension du corps objet à laquelle certains artistes tentent de substituer une appréhension de sa subjectivité. Pour donner à voir le corps en échappant aux codes de représentation normatives, la focalisation sur certaines de ses parties permet de valoriser des formes d'intimité, invisibles au quotidien. Ce principe de représentation peut tendre à fragmenter le corps, provoquant une perte de sa totalité, de son unité, le réduisant à un simple objet. Mais la réduction à des parties du corps peut aussi, selon un processus métonymique, signifier sa subjectivité, en l'inscrivant dans un rapport aux autres et au monde.
Contre le savoir anatomique, rationnel, qui éloigne de la réalité du corps, Courbet a opposé un simple voir. Si L'Origine du monde est toujours conduite par les critères de ressemblance et l'héritage réaliste de la mimesis, Courbet franchit une limite en imposant le sexe féminin comme sujet de sa peinture : gros plan sur le lieu du coït, de la conception et de la naissance.
L'origine du monde - Gustave Courbet - 1866
de la fragmentation du corps objet à l'unité d"un corps sujet
En cadrant sur le sexe, c'est toute la réalité charnelle de la femme qui est saisie. Mais cette focalisation sur une partie peut aussi être pervertie au profit d'une objectivation du corps comme dans l'esthétique pornographique. John Waters, dans son œuvre 12 Assholes and a dirty foot, présente en série un corps fragmenté, objet de fantasme, l’oubliant dans son intégralité, son unité. Les fesses y sont ouvertes aux spectateurs, ne lui donnant à voir rien d’autre qu’une fente, une zone d’accès, une entrée vers un intérieur, invitant à ne voir du corps qu’un objet sexuel.
12 Assholes and a dirty foot - John Waters - 1992
“Je suis une fille de la génération ‘en bas là’. Ce sont les mots - rarement prononcés et toujours à voix basse par lesquels les femmes de ma famille désignaient les organes sexuels féminin, internes ou externes.“ Eve Ensler | Monologues du vagin
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TOME 1 | du corps vers la corporéité
À corps découvert - IMA - 2012
L’IMA présentait en juin 2012, une grande exposition d’art moderne et contemporain sur le thème de la représentation du corps et du nu dans les arts visuels arabes qui constituait une matière jusqu’ici ignorée, une sorte de terra incognita pour le moins inexplorée. L’affiche de cet évènement, évoque la sexualité chez les femmes par métonymie: ne suggérant que très subtilement la naissance des fesses, on convoque ainsi l’imaginaire d’un corps dans son intégralité. Une représentation de la découverte du corps, dans un contexte ou le sexe féminin n’a pas le droit de se dire. Une fente à peine amorcée qui ne dévoile pas la profondeur, l’intérieur inconnu d’un corps mais qui témoigne du non-dit qui pèse sur la sexualité féminine dans la société orientale.
TOME 1 | du corps vers la corporéité
Mes vœux - Annette Messager - 1989
Hostile à tout académisme, Annette Messager construit Mes vœux comme une myriade de photographies de corps fragmentés, assemblées de manière à constituer un rond suspendu par des ficelles où les différents formats photographiques et les différents détails de visages et de corps se juxtaposent. Contrairement à d’autres installations, où les différents éléments de l’œuvre -jouets en peluche, photos, inscriptions murales- sont espacés et accrochés au mur (Mes petites Effigies), ou dressés agressivement sur des longues tiges d’acier (Les Piques), ici, les gros plans des bouches, des sexes, des genoux, des pieds, etc., se recouvrent souvent les uns les autres. Disposés comme au hasard d’une chute, ils sont néanmoins reliés à des fils qui en orchestrent habilement la composition. Mais le portrait se révèle impossible. Le miroir, invoqué par la forme globale de l’œuvre ainsi que par l’éclat du verre qui recouvre chaque photo, est désavoué par l’image éclatée. Par l’esthétique du fragment l’œuvre révèle un univers de l’intime à l’écoute des mouvements contradictoires de l’inconscient : au-delà de la singularité des individus, le corps est saisie dans sa globalité, comme siège de l'intime et du rapport à l'autre.
TOME 1 | du corps vers la corporéité
Charlotte - Steve Mc Queen - 2004
Ainsi, selon son usage, le cadrage sur une partie du corps peut le réduire au statut d'objet fragmenté, mais il peut aussi ouvrir à sa totalité, voire à évoquer son interaction avec les autres. A la rétrospective Steve Mc Queen au Art Institut of Chicago, le cinéaste nous présente en vidéo deux corps, le sien et celui de Charlotte Rampling. Le doigt de l’un provoque l’œil de l’autre, le taquine, le manipule, et joue avec la chair. La paupière est modelée, la peau est triturée, pincée, la chair retient les formes que lui applique le doigt pour ensuite reprendre son état premier. Une confiance est instaurée entre les deux êtres : Charlotte Rampling ne rejette pas le doigt de Steeve Mc Queen quand celui-ci vient toucher directement la surface intérieure de son œil. Elle abandonne son corps à l’autre.
- Tu vois mes pieds dans la glace ? - …Oui - Tu les trouves jolis ? - Oui, très ! - Et mes chevilles, tu les aimes ? - Oui… - Tu les aimes mes genoux aussi ? - Oui, j’aime beaucoup tes genoux - Et mes cuisses ? - Aussi ! - Tu vois mon derrière dans la glace ? - Oui - Tu les trouves jolies mes fesses ? - Oui, très ! - Je me mets à genoux ? - Non, ça va… - Et mes seins tu les aimes ? - Oui, énormément ! - Doucement, pas si fort ! - Pardon ! - Qu’est ce que tu préfères mes seins ou la pointe de mes seins - Je sais pas ; c’est pareil - Et mes épaules tu les aimes ? - Oui - Je trouve qu’elles sont pas assez rondes - Et mes bras ? Et mon visage ? - Aussi ! - Tout ? - Ma bouche, mes yeux, mon nez, mes oreilles ? - Oui, tout ! - Donc tu m’aimes totalement - Oui, je t’aime totalement, tendrement, tragiquement - Moi aussi Paul ! Jean-Luc Godard | Le Mépris
Par ce cadrage, ce gros plan qui intègre l’ensemble du corps dans le rapport à l’autre, ce n'est pas un œil qui est représenté, mais la complicité et la proximité de deux corps qui sont signifiées.
TOME 1 | du corps vers la corporéité
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EXPÉRIMENTATIONS VISUELLES Par la décomposition et la déstructuration, on suggère la totalité par la partie. Le pli de la peau évoque le pli du corps intérieur. | Photo de peau pliée, dépouillée par le scotch.
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| Expérimentations
TOME 1 | du corps vers la corporéité
EXPÉRIMENTATIONS VISUELLES Travail du détail, focalisation sur un point, un espace afin de signifier l'ensemble. | Intervention plastique sur des zones du corps définies.
TOME 1 | du corps vers la corporéité
Expérimentations |
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la décomposition du mouvement de la fixité du corps objet à la temporalité d'un corps sujet
A la fin du 19ème, Eadweard Muybridge ou Étienne-Jules Marey étudient le mouvement des corps par des procédés chronophotographiques de décomposition en séries, témoignages scientifiques et objectifs. Cependant ce procédé séquentiel fige le corps dans des états d’objet, successifs, sans ancrage dans une temporalité éprouvée, au profit d'une vision analytique du corps.
“Il y eut transformation de la vision de tout… Comme si le mouvement n’était plus qu’une suite de points d’immobilité.” Alberto Giacometti | Écrits
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Femmes à la toilette - Eadweard Muy Bridge - 1887
Plusieurs tentatives de représentation des déplacements du corps ont été développées afin d’atteindre un corps présent, d’en saisir sa vie, son animation et son mouvement. Mais ces opérations de décomposition du mouvement ont souvent figé le corps dans des postures d'immobilité mortifère, tandis que l'ancrage dans une temporalité permettait d'en valoriser la vie.
Figure Studies - David Michalek - 2012
David Michalek a filmé des hommes et des femmes en mouvement à une cadence de 3000 images par seconde, ce qui produit un ralenti des corps exceptionnel. Les sujets filmés sont représentatifs d’un large éventail d’âges et de morphologies, d’origines culturelles et ethniques ; ils sont soient façonnés par l’athlétisme, la danse, le travail physique ou sont tout simplement des corps ordinaires. Exposé au Laboratoire, Figure Studies est projeté sur grands écrans. Le visiteur découvre la force attractive de gestes décomposés par un ralenti de l’image qui, entre fantasmagorie et décryptage scientifique, invite le regard dans une suspension du temps, permet de ressentir la présence d’un corps vivant.
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EXPÉRIMENTATIONS VISUELLES Afin de ne pas figer le mouvement, mais de valoriser la tendance vivante d'un corps, cette série s'est construite en trois phases: le corps face à l'ouverture de la boîte noire du sténopé se veut d'abord suspendu, accomplissant de simple mouvement du haut du corps, puis mobile il se déplace légèrement de gauche à droite, passant toujours par le point central, pour finir sur un passage vif et unique dont la trace est à peine perceptible. | Pratique du sténopé - série de 3 clichés.
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La codification SYMBOLIQUE de la réduction aux caractéristiques à la singularité d'un corps sujet
Au début du 20ème siècle, considéré comme l’un des fondateurs de la danse moderne, Laban invente un système de notation du mouvement pour avoir des référents objectifs. Il a construit son système autour des quatre éléments essentiels constitutifs d'un mouvement : l'espace, le temps, le poids et la force. Les signes sont placés le long d'une ligne verticale centrale qui définit l'appui au sol. Ainsi, un même signe indique : la direction du mouvement en fonction de sa forme (avant, arrière, gauche, droite, diagonales, sur place), sa hauteur en fonction de son remplissage (noir pour bas, blanc pour intermédiaire et hachuré pour haut), sa durée en fonction de la longueur du signe, la partie du corps concernée par le mouvement selon le symbole de la partie du corps qui est juxtaposé au signe. Le placement des signes sur la portée donne la simultanéité des mouvements (lecture horizontale) et leur succession (lecture verticale). Les distances, les relations avec des partenaires ou avec des objets, le centre de gravité, la dynamique, les tours, sauts, trajets et déplacements au sol sont indiqués par des signes spécifiques. Laban développe ainsi une vision analytique, un outil d’exploration du geste chorégraphique, dans un langage symbolique qui signifie le corps comme un objet de manipulation par le chorégraphe.
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Notation du mouvement - Laban - 1928
Principalement dans la danse, des tentatives de notation du mouvement ont permis une écriture du corps. Cependant, ces codes symboliques ont tendance à réduire le corps à ses caractéristiques : positions, coordination des mouvements… À moins que ces systèmes de transcription du geste chorégraphique ne parviennent à respecter la singularité d'un corps sujet d'expression.
“J’estime qu’il est important de penser au-delà du mouvement, de la gestuelle, d’englober l’espace, la scène. Au fond, le corps lui-même devient sens ; il n’est plus une mécanique simple au service d’une idée.”
Life Form - Merce Cunningham - 1980
Pina Bausch
Merce Cunningham est un chorégraphe qui crée la transition entre danse moderne et dans contemporaine. Il utilise le hasard pour composer les danses : un moyen de se surprendre soi-même, d’aller au delà de son propre ego, de sortir de ses habitudes. Le but de sa danse est de donner à voir le mouvement et son organisation dans le temps et l’espace. Il élabore la création d’un logiciel d’écriture du mouvement life form, s’établissant en trois rôles : enregistrer des exercices ou des enchaînements à partir de cellules chorégraphiques informatisées se substituant aux notations chorégraphiques, générer à partir de ses données une chorégraphie originale et aléatoire, créer des images à partir de capteurs de mouvements posés sur les danseurs et traitées par l’ordinateur. Le logiciel permet donc de noter le mouvement improvisé des corps dans leur ensemble, sans réduire à des postures contraintes. Avec ce procédé de transcription, l'interprète devient alors le chorégraphe et le corps du danseur un sujet singulier.
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Le corps représenté est un objet - d'études, d'analyse, de désir... Pourtant, de nombreux artistes, designers, chorégraphes, cinéastes, ont développé des alternatives à ces modes de représentations réducteurs du corps, afin d'éprouver la présence d'un corps plutôt que de le connaître.
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“L'homme n'est plus artiste, il est devenu œuvre d'art (…). Ici se pétrit l'argile la plus noble, se sculpte le marbre le plus précieux : l'homme lui-même.” Nietzsche | La Naissance de la Tragédie
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du corps matériau au corps sujet
le corps, matière de l'expression visuelle Dans l’art du 20ème siècle, le corps n'est pas seulement objet de représentation comme nous l’avons vu précédemment mais il est parfois matière même de l’expression visuelle. Cet usage du corps le réduit souvent à être utilisé en tant qu’objet : le corps devient lettre, matériau du langage, ou papier, support d’une œuvre ou pinceau, outil d’une écriture. Différemment, le corps disparaît parfois en tant qu’image et devient perceptible sur la toile comme trace réelle du vivant. Le geste renvoie à un corps unique, habité et fait signe.
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Le corps comme matériau de la matérialité de l'objet à la sensorialité d'un sujet
Le corps des lettres s’anime est une application conçue par la Typothèque, fonderie et studio de design hollandais dirigé par Peter et Johanna Bil'ak, en étroite collaboration avec Nikola Djurek pour le développement de nouvelles typographies. En 2009, lors de la biennale de design “Experimenta Lisbon”, ils avaient réalisé une installation interactive baptisée “Dance Writer”. Celle-ci convertissait des textes en séquences de mouvements de danse chorégraphiées reproduisant chacune des lettres. Ce concept est désormais accessible à tous grâce à l’application iPhone et iPad qu’ils viennent de sortir. Le corps humain, présent, vivant, devient un instrument de communication directe, en prenant la forme de chaque lettre de l’alphabet pour construire des mots. Il est réduit à sa stricte matérialité formelle, plastique, sans considération pour ses valeurs subjectives.
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le corps des lettres s'anime - Typothèque - 2009
Pour passer du corps figuré au corps réel, la matière même du corps, par son entité ou par sa chair, devient une substance de l’expression, parfois un outil de création. L'exploitation de la matérialité du corps comme matière d'expression peut entretenir son statut d'objet, quand elle est faite sans maintenir ses valeurs d'incarnation.
Aurore - Éphémère - Lionel Sabatté - 2012
Lionel Sabatté récolte des fragments de peau humaine, rognures d’ongles, parcelle de chair morte, dont il fait le matériau de sa création. Il envisage ces petites sculptures comme une exploration structurée de sensations et de ressentis, de dialogues avec la matière. Ces dialogues physiques jouent avec la vie propre de ce matériau à la fois réel et symbolique, dont la puissance d’évocation est liée au rapport au temps, à l’éphémère, aux notions d’impertinence, de transformation et de continuité. L’artiste se laisse guider par la spontanéité et la liberté des propriétés physiques du corps pour ouvrir à l'imaginaire. Le corps n’est pas ici réduit à sa seule matérialité objectale mais, par l'exacerbation de sa sensorialité détournée, convoque sa fragilité, son caractère éphémère, sensible, incarné.
“J'ai fait venir parfois, à côtés des têtes humaines, des objets, des arbres ou des animaux parce que je ne pas sûr encore des limites auxquelles le corps du moi humain peut s'arrêter.” Antonin Artaud | Le Visage humain
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Le corps comme support de la surface de l'objet à l'interface d'un sujet
Le corps peut être un lieu d’expérimentations, un support d'expression, d'une écriture, parfois limité à la peau comme délimitation d'une forme exploitable en tant qu'objet.
Elaboré par le designer et chercheur espagnol Manel Torres au sein du Department of Chemical Engineering de l’Imperial College de Londres, le Spray-On Fabric est une matière textile que l’on vaporise à l’aide d’un pistolet à peinture directement sur le corps ou sur une structure. Le tissu obtenu peut se laver et être à nouveau porté. La technique consiste à mélanger des fibres (acrylique, laine ou lin) à un polymère et à un solvant. Ici, le corps qui conditionne la forme du vêtement est réduit à n'être qu'une forme, un support du modelage, un objet de mesure.
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Spray-On Fabric - Manel Torres - 2010
Mais l'épiderme devient parfois une interface, un espace d'échanges entre un corps intérieur et un monde extérieur, qui le considère comme sujet.
Sagmeister Inc. On a Binge - Stefan Sagmeister - 2003
Pour concevoir l'affiche de l’exposition “Sagmeister Inc. On a Binge”, présentée successivement à la galerie DDD d’Osaka et la galerie GGG à Tokyo en 2003, Sagmeister prendra 11 kilos afin de réaliser une parodie du classique avant/après, mettant son corps à l'épreuve d'une consommation alimentaire excessive. Plus tard, c’est explicitement au body-art que fait référence l’affiche réalisée pour une conférence de l’AIGA (American Institute of Graphic Art) : Sagmeister inscrit à la lame de rasoir le texte sur son torse nu, manière de symboliser les souffrances que requiert la création. Le corps est ici support spectaculaire d'une écriture, littéralement, non plus seulement comme surface d'un corps objet, mais comme interface entre le créateur et son environnement.
“Nous voici dans ce qui, d'habitude, n'est qu'une surface de contact invisible, un lieu immatériel de transfert du sens d'un support à un autre, d'un code à un autre, d'une forme à une autre. L'interface est un entre-deux, tournée vers l'un rétrospectivement, et vers l'autre par anticipation, appartenant à l'un comme à l'autre, parlant de l'un comme de l'autre. (…) Car cet espace que nous parcourons en ce moment même n'est pas celui d'un transfert, d'un report, mais celui d'un transport, d'un voyage, le parcours, la découverte d'une distance.”
AIGA - Stefan Sagmeister - 2010
Alain Fleischer
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Le corps comme geste de la réduction à l'objet à la trace d'un sujet
Le corps peut imprimer sa marque, réduit à n'être qu'une forme. Parfois, se dissimulant, l’image du corps se soustrait et seule la trace le rend perceptible : la toile est support d’une création qui ne tient qu’au geste d’un corps unique.
Sur le blanc de la toile, des jeunes femmes, dont les corps nus sont enduits de peinture bleue, réalisent, sous la forme d’une performance publique à la Galerie internationale d’art contemporain, ces tableaux où Yves Klein orchestre comme le note Catherine Millet “la rencontre de l’épiderme humain avec le grain de la toile”. Cette rencontre se fait par simple contact, la couleur passant directement du corps-pinceau à la toile et de la toile au regard du spectateur. Le savoir-faire du peintre n’existe plus dans ces œuvres où s’efface la facture. Les corps de chair, eux-mêmes réduits à des tampons, semblent disparaître devant une autre vérité que ces empreintes de seins, de ventres, de cuisses amènent à la surface, celle de la trace réelle, donnant à voir l’immédiateté du contact. Travail de négatif et d’aplatissement des corps niant tout effet de profondeur, l’empreinte est en deçà de la représentation, trace du travail du modèle, en même temps médium et motif. Le corps de l’artiste peignant ainsi que le corps figuré manquent ici. Contrairement à Pollock, dont la peinture était le résultat de son geste et de son corps à l’œuvre, il s’agit ici, comme le souligne Klein, de “projeter ma marque hors de moi”.
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Anthropométrie - Yves Klein - 1960
À la frontière du matériel et de l'immatériel, la représentation de la chair exige parfois d'utiliser le corps comme un outil, un instrument de création dont ne subsiste que le geste.
“L’écriture, elle, est physique, corporelle, champ d’un enjeu de chair. on écrit comme l’on peint, en s’aidant de ses membres (…) Le style c’est l’homme dit-on communément. l’écriture est bien plus que cela : son corps.”
Sans titre - Cy Twombly - 1970
Marie-Claire Brancquart | Rituels d’emportements
Expressionniste abstrait, Cy Twombly évoque la cursivité d’une écriture par ces tracés, griffonnés, brouillés, effacés. “A l’écriture Twombly garde le geste, non le produit”, écrit Roland Barthes, “et le geste est pour lui inimitable” car “ce qui est inimitable finalement, c’est le corps”. La trace de Twombly met en scène le trait “en tant qu’il est trace de la pulsion et de sa dépense”. L’intérêt ne réside non pas dans l’objet fini mais dans l’action même mise là en évidence. Si le geste est là, non maîtrisé, il est propre à son auteur tout comme écriture et signature. La pulsion du geste témoigne de l’être et de l’inconscient. Un langage qui s’inscrit dans un prolongement du corps. Les tracés gardent en mémoire, témoignent du geste.
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EXPÉRIMENTATIONS VISUELLES La buée, substance de l’éphémère, de l’expression du souffle, de la vie du corps. Prolongement, trace d’un corps comme un espace de signification qui s’étend au delà de l’image même du corps. | Photos, captures de buée, matière éphémère.
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Utilisé comme matériau, support ou geste, le corps peut être un moyen d’expression et de signification permettant, par des moyens détournés, de traduire visuellement un corps sujet,chargé d’histoire, d'expériences. Le corps devient espace d’expérimentations, parfois publiques ; l’art une rencontre avec la matière corporelle, tendant à exprimer un corps sujet. Cet espace d’expériences définit une “corporéité” : la corporéité ne désigne pas une entité déterminée de façon exhaustive par sa physiologie mais “un réseau plastique instable à la fois sensoriel, moteur, pulsionnel, imaginaire et symbolique.”
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“Nous habitons notre corps bien avant de le penser.” Albert Camus | Le Mythe de Sisyphe
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du corps signe au corps sujet
la corporéité comme espace de signification L’usage du terme “corporéité” implique les dimensions sensorielles, motrices, pulsionnelles, imaginaires et symboliques du corps. Il ne convient plus de réduire le corps à ses fonctions mécaniques et chimiques mais d’envisager celui-ci comme la symbiose d’une matière organique et d’une affectivité. Dire la corporéité, c'est traduire ce que dit le corps en étendant son expression au-delà de l’image, vers un espace de signification : la signification des expériences du corps, de sa temporalité, de son histoire vécue.
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la corporeité, signes d'une expérience au-delà de l'image du corps
L'expression de la corporéité ne se limite pas à la saisie du corps matériel mais elle implique aussi la lisibilité de ses expériences vécues. Le traumatisme indicible, la maladie invisible, peuvent se donner à voir. Au-delà de l'image du corps objet, c'est le langage d'une corporéité qui se manifeste en tant qu'expression d'un sujet.
En juillet 1991, Sophie Ristelhueber se rend avec l’écrivain Jean Rolin en Yougoslavie ; elle ne rapporte pas d’images du conflit serbo-croate, mais deux ans plus tard, après une longue réflexion, elle entreprend une travail photographique dans un hôpital parisien, qui fera aussi l’objet d’un livre. Avec ses quatorze photographies de corps marqués d’une suture récente, tirées en très grand format et sans rapport apparent avec la guerre, cette série Every One en constitue une allégorie.
“Le souvenir commence avec la cicatrice.” Alain | Propos sur l’éducation
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Every One - Sophie Ristelhueber - 1991
la corporéité, signes d'une expérience au-delà de l'image du corps
Depuis une dizaine d’années, Anne Mars a entamé un travail plastique et graphique sur le thème de la maladie. Elle a comme outil de travail les 149 microbes qui se donnent à voir en tant que langage de la Maladie. Ils représentent ce qui est de l’ordre de l’Invisible, du Mal-à-dire. Les parasitages de lieux publics et privés avec des techniques éphémères (formes découpées et collées) ont été une première étape de ce travail. Ensuite, les microbes sont devenus confettis : confettis de mars, confettis de scène, confettis d’artistes, confettis de marques. En papier coloré, éphémères, reproductibles à l’infini, ils envahissent notre espace ambiant en saturant l’air, le rendant irrespirable. Ils se présentent sous forme de silhouettes microbiennes. Les microbes se sont inscrits, en parallèle, dans le langage. Alphabet muet, sa présence visuelle est une façon de montrer ce qui se dérobe à la parole ; il peut s’adapter à n’importe quelle langue, tel un virus, au cœur même de la pensée. La Maladie, le Mal-à-dire, se manifeste sous la forme d'un langage qui donne à voir la corporéité.
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DĂŠtail d'un parasitage chez un particulier - Anne Mars - 1997 Alphabetmicrobes - Anne Mars - 1997
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| Expérimentations
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EXPÉRIMENTATIONS VISUELLES Déploiement d'un récit, d'une expérience qui provient de l'intérieur et émerge du corps objet. Le texte se substitue ici au sexe, à la représentation image. Une voix provenant de l’intérieur, qui revendique le plaisir féminin | Texte inscrit sur papier plié en forme triangulaire, se substituant au sexe du la femme.
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Expérimentations |
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une immensité toujours brumeuse
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| Expérimentations
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EXPÉRIMENTATIONS VISUELLES Le corps induit un territoire de sens, un espace de signification, indéfini. Le sens à recevoir dépasse le cadre de l'image du corps.
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la corporéité, signes d'une temporalité l'expression d'un espace-temps
En tant que manifestations d'expériences vécues, l'expression de la corporéité inscrit le langage des corps dans le temps, la durée, la mémoire, mais aussi dans l'espace.
L’ensemble de la démarche de Roman Opalka pourrait se résumer dans la formule que l’artiste en donne : 1965/1-∞. En effet, à partir de 1965, Opalka s’attache à matérialiser, à travers la peinture, la durée. A côté de ses autoportraits photographiques, où se lit dans la modification de la figure, le temps qui passe, l’artiste présente son travail pictural, véritable “lieu d’inscription du temps compté”, qui va de un à l’infini. Traçant des chiffres blancs avec un pinceau toujours identique, d’abord sur fond noir, Opalka ajoute depuis 1972, 1% de blanc supplémentaire à la préparation du fond de chaque toile. Le jour où le blanc de la toile rencontrera celui des chiffres peints, l’œuvre deviendra illisible, mais le processus, soulignait l’artiste, continuera encore. Travaillant tous les jours et photographiant son visage une fois la toile terminée, chaque tableau d’Opalka est la suite immédiate de celui qui précède, les nombres se suivant dans un calcul qui n’a comme limites que la disparition de son auteur. Tracés au pinceau N°0 à la peinture blanche, sur des fonds de plus en plus blancs, chaque toile est le “détail” d’un tout, celui du temps dans lequel s’inscrivent l’expérience picturale et la vie de l’artiste. Regarder l'expression de la corporéité d’Opalka, c’est éprouver le passage du temps qui se mesure au blanchiment progressif de la toile, vivre une expérience qui renvoie à notre condition mortelle soumise à la finitude.
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“Je passe tout mon temps à comprendre le temps.”
Autoportrait - Roman Opalka - de 1965 à 2011
Alain Bosquet | Avoir empêche d’être
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la corporéité, signes d'une spatialité l'expression d'un espace-temps
“Regardez-les jouer et vous saurez qui ils sont.” Fernand Deligny | Lignes d'erre
Les lignes d’erre permettent de voir “ce qui ne se voit pas” Fernand Deligny propose de transcrire les déplacements et les gestes d’enfants autistes dans une cour de récréation, cherchant à laisser en mémoire, garde trace des trajets éprouvés, d’un corps investissant l’espace, parlant à travers ses mouvements, ses gestes, ses détours, ses rencontres, et non par la parole... Lorsqu’il évoque les enfants avec lesquels il travaille, Deligny substitue au mot autiste celui de “mutiste”. D’un côté il y a l’autisme qui désigne une pathologie, et de l’autre il y a le mutisme, expression volontaire d’un refus de parole. La corporéité est ici signifiée par le tracé d'une cartographie mentale, inscrite dans le temps et dans l'espace.
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Lignes d'erre - Fernand Deligny - 1974
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| Expérimentations
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EXPÉRIMENTATIONS VISUELLES Spatialisation de l’image du corps, qui se déploie, se propage, se répand, s’étend... | Image d’homme découpé, puis reconstitué.
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la corporéité, signes d'une histoire le récit d'un vécu
Gardant les traces physiques et psychologiques de ses expériences, inscrit dans une temporalité et une spatialité, le corps est porteur d'une histoire. La corporéité peut se manifester par l'expression des signes de ce récit.
“J’ai reçu un mail de rupture. Je n’ai pas su répondre. C’était comme s’il ne m’était pas destiné. Il se terminait par ces mots : Prenez soin de vous. J’ai pris cette recommandation au pied de la lettre. J’ai demandé à cent sept femmes – dont une à plumes et deux en bois –, choisies pour leur métier, leur talent, d’interpréter la lettre sous un angle professionnel. L’analyser, la commenter, la jouer, la danser, la chanter. La disséquer, l’épuiser. Comprendre pour moi. Parler à ma place. Une façon de prendre le temps de rompre. A mon rythme. Prendre soin de moi” Sophie Calle L’artiste, sans montrer son corps, se met en scène pour raconter son aventure et relayer une histoire individuelle, en demandant à 130 femmes d’interpréter selon leur métiers ou pratique une lettre de rupture lui étant adressée et qu’elle n’a pas su élucider. L'expression de la corporéité la plus intime passe ici par le récit et le partage d'une expérience.
“C'est une œuvre universelle. tout le monde peut à la fois se retrouver, y être sensible, sans pour autant entrer dans l'histoire personnelle de l'artiste.” Daniel Buren
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Prenez soin de vous - Sophie Calle - 2008
la corporéité comme porteuse d'une histoire ou l'expérience d'un vécu
“La honte n'a pas pour fondement une faute que nous aurions commise, mais l'humiliation que nous éprouvons à être ce que nous sommes sans l'avoir choisi, et la sensation insupportable que cette humiliation est visible de partout.” Milan Kundera | L'Immortalité
L'affiche du film Shame donne à voir la trace, l'empreinte d'un corps dans des draps, sur laquelle s'inscrit la honte du personnage, soumis à une addiction compulsive au sexe, qui le réduit à un corps objet, privé de tout rapport social qui en ferait un sujet. Cette souffrance éprouvée douloureusement se manifeste par une absence de représentation du corps. La corporéité ici exprimée est celle d'une fuite permanente des pulsions qui le condamnent. La trace encore visible d'une corporéité raconte l'histoire intime d'une oppression et d'une aliénation.
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Shame, scène d'ouverture - Steve Mc Queen - 2011
La scène d'ouverture est un plan fixe d'une cinquantaine de secondes : Le corps est longuement immobile, à l’exception du mouvement des paupières, signe d'introspection silencieuse. Puis le personnage sort du champ, laissant apparaître l'empreinte de son corps dans les draps : Un fondu fait émerger la “honte” des traces de cette présence, par un contraste de luminosité croissante qui révèle typographiquement le titre.
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EXPÉRIMENTATIONS VISUELLES Disparition de l'image du corps derrière l'angoisse. Identité d'un vécu et non d'une image. | Photo d'identité altérée à l'acétone
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Expérimentations |
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| Expérimentations
TOME 1 | du corps vers la corporéité
EXPÉRIMENTATIONS VISUELLES L'image d'un corps comme outil pour signifier au delà de son apparence, l'histoire vécue. Un corps chargé d'histoire, de traces. L’intérieur du corps qui se dévoile, s’extériorise, s’élève. | Photos de famille, marquées par le temps, l’usure. Interventions plastiques et graphiques pour ouvrir de nouvelles interprétations.
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Expérimentations |
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Les signes de la corporéité manifestent un espace d’expériences, la temporalité d'un vécu, la singularité d'une histoire, qui disent le corps sujet, au-delà de ses représentations ou de son utilisation comme matériau d'expression.
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| conclusion tome 1
La recherche d'une construction d'un langage des corps par le design graphique nous a mené à explorer les modalités d'expression du corps à travers la mimesis, l'étude de l'anatomie, la déconstruction en partie, la décomposition du mouvement ou la codification symbolique. Ces modes de représentation, réduisant souvent le corps à ses fonctions mécaniques ont été, pour de nombreux artistes du 20ème siècle, un tremplin pour développer de nouvelles modalités d'expression donnant cette fois à voir un corps vécu et habité. D'une même façon, quand le corps est matière même de l'expression visuelle, il peut dépasser sa fonction d'outil, disparaître en tant qu'image, et donner à voir la trace d'un corps vivant, animé.
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TOME 1 | conclusion
Cette démarche de réflexions et de recherches nous a conduit à considérer le corps non plus comme un objet de représentation mais comme sujet d'expression : une corporéité qui étend les limites du corps à la multiplicité des expériences éprouvées, un ancrage dans le temps et dans l'espace, au récit d'un vécu. Il s'agira maintenant de développer un projet de design graphique qui permette de formaliser ce langage des corps entendu comme corporéité, inscrit dans un processus de communication. Nos recherches se focaliseront sur l'expressivité du corps qui vient contaminer un discours ou se substituer à la parole. Le développement du projet s'amorcera par une considération de cette corporéité dans son rapport avec la verbalisation, dans une tension entre le dicible et l'indicible.
“Un corps non-dit est un corps parlant.” Roland Barthes
TOME 1 | conclusion
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| bibliographie
ARDENNE Paul | Image Corps | Éditions du regard, 2001 BARTHES Roland | Fragments d'un discours amoureux | Éditions du Seuil, 1977 BARTHES Roland | L'Obvie et l'obtus | Éditions du Seuil, 1982 BAYLON Christian, FABRE paul | Initiation à la linguistique | Éditions Nathan, 1990 BAYLON Christian, MIGNOT Xavier | La Communication | Éditions Nathan, 1999 BRANCQUART Marie-Claire | Rituels d’emportements | Presses Universitaires de France, 2001 CALAFERTE Louis | La Mécanique des femmes | Éditions Gallimard, 1992 CALAFERTE Louis | Septentrion | Éditions Gallimard, 1963 CHARLIAC Chloé | De la salle de spectacle à l'espace créatif | Thèse pour l'obtention du doctorat de sociologie, 1963 CORBIN Alain, COURTINE Jean-Jacques, VIGARELLO Georges (dir.) | L'histoire du corps du XXème siècle | Éditions du Seuil, 2005 DIDI-HUBERMAN Georges | Ouvrir Vénus | Éditions Gallimard, 1970 DURAS Marguerite | L'Homme assis au fond du couloir | Éditions de Minuit, 1980 DURAS Marguerite | La Maladie de la mort | Éditions de Minuit, 1982 ENSLER Eve | Monologue du vagin | Éditions Balland, 1999 GIACOMETTI Alberto | Écrits | Hermann - Éditons des sciences et des arts, 2007 GIACOMETTI Alberto | Je ne sais ce que je vois qu'en travaillant | Éditions L'Échoppe, 1993 HERVEL-BRZOZOWSKA Agneszka | La Communication non verbale et para-verbale | Université pédagogique de Cracovie, Pologne, 2008 KANE Sarah | Anéantis | Arches Éditeurs, 2004 KEROUANTON Joël | Troubles 307 23 | Champ Social Édition, 2011 MAFFESOLI Michel | Aux Creux des apparences | Éditions Plon, 1990 MARZANO Michela | La Philosophie du corps | Presses Universitaires de France, 2009 MARZANO Michela (dir.) | Le Dictionnaire du corps | Presses Universitaires de France, 2007 MERLEAU-PONTY Maurice | Signes | Éditions Gallimard, 1960 MONNIER Mathilde, NANCY Jean-Luc | Allitérations - conversation sur la danse | Éditions Galilée, 2005 MOUNIER Emmanuel | Traité du caractère | Éditions Seuil, 1946 NIETZSCHE Friedriech | Ainsi parlait Zarathoustra | Presses Universitaires de France, 1988 NOËL Bernard | Château de Cène | Éditions Gallimard, 1992 NOVALIS | La mission du peintre | La nouvelle revue, 1924 PERELMAN Marc (dir.) | Le livre au corps | Presses Universitaires de Paris Ouest, 2012 POE Edgar | L'homme des foules | Éditions Manucius, 2011 PERROT Philippe | Le travail des apparences | Éditions Seuil, 1991 SAND Georges | Histoire de ma vie | classique de poche, 2004 VELTER André | Poésie d'aujourd'hui à voix haute | Éditions Poésie Gallimard, 1999
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TOME 1 | bibliographie
CRONENBERG David | The Dangerous Method | 2011 Daldry Stephen | The Hours | 2001 DELEUZE Gilles | Abécédaire | 1995 MALICK Terrence | À la merveille | 2013 MC QUEEN Steve | Shame | 2011 VON TRIER Lars | Antichrist | 2009
ART INSTITUT OF CHICAGO | Rétrospective de Steve Mc QUEEN | Chicago, 2012 Centre Pompidou | Festival du nouveau langage | Paris, 2013 CENTRE DE LA GRAVURE DE LA LOUVIÈRE | “Circle of dreams” David Lynch | La Louvière, 2013 Institut du monde arabe | À corps découvert | Paris, 2012 LE LABORATOIRE | Figures Studies | Paris, 2013 LES RENCONTRES DE LURE | Corps neuf | Lurs, 2013 MAISON ROUGE | sous influences | Paris, 2013 MUSÉE D'ORSAY | L'ange du bizarre | Paris, 2013 théâtre chaillot | Octopus - P. Découflé et Nosfell | Paris, 2013
PHILO POUR TOUS | http://philo.pourtous.free.fr/Atelier/Textes/sympathie.htm OFFICE QUÉBÉCOIS DE LA LANGUE FRANÇAISE | http://66.46.185.79/bdl/gabarit_bdl.asp?id=3829 PHILOSOPHIE INITIATION | http://philosophie.initiation.cours.over-blog.com/article-empathie-n-est-pas-que-sympathie-47729001.html Centre pompidou | http://mediation.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-corps-oeuvre/ENS-corps-oeuvre.htm fabula, la recherche en littérature | http://www.fabula.org/actualites/le-livre-au-corps-deux-journees-d-etudes-en-juin-2010_29344.php fabula, la recherche en littérature | http://www.fabula.org/actualites/corps-parlant-corps-parle_38606.php fabula, la recherche en littérature | http://www.fabula.org/actualites/le-corps-parlant_2644.php
TOME 1 | biliographie
111 |
| le design graphique au service du langage des corps tome 2 développements du projet corporéité & verbalisation Angèle Fachan 2011 | 2013 Mastère de Design Global, Recherche, Innovation Écoles de Condé | Paris
un projet de fin d'ĂŠtudes dirigĂŠ par Dominique Beccaria et Apolline Torregrosa
| sommaire
tome 1 réflexions & recherches
du corps vers la corporéité
11
| i ntroduction
12 - 13
| définition des enjeux | design graphique - langage - corps
14 - 15
| Un héritage culturel | corps objet et corps sujet
16 - 19
| design graphique & langage des corps | corps et re-présentation
- du corps vers la corporéité 23
| du corps objet au corps sujet | 01
24 - 31
| la mimesis | d e la représentation du corps objet à la présence d'un corps sujet
32 - 41
| l'anatomie | des fonctions du corps objet à l'expérience d'un corps sujet
42 - 51
| la déconstruction en partie | d e la fragmentation du corps objet à l'unité d'un corps sujet
52 - 57
| lA décomposition du mouvement | de la fixité du corps objet à la temporalité d'un corps sujet
58 - 61
| la codification symbolique | d es caractéristiques du corps objet à la singularité d'un corps sujet
65
| du corps matériau au corps sujet | 02
66 - 69
| le corps comme matériau | d e la matérialité de l'objet à la sensorialité d'un sujet
70 - 73
| le corps comme support | de la surface de l'objet à la surface d'un sujet
74 - 79
| le corps comme geste | de la marque de l'objet à la trace d'un sujet
83
| du corps signe au corps sujet | 03
84 - 91
| la corporeité, SIGNES d'une expérience | au-delà de l'image du corps
92 - 97
| la corporeité, signeS d'une temporalité/spatialité | l'expression d'un espace temps | la corporeité, SIGNES d'une histoire | le récit d'un vécu
98 - 105
108
| conclusion tome 1
110
| b ibliographie
tome 2 développements du projet corporéité & verbalisation
| i ntroduction
7
| u n projet éditorial | la corporéité, définition - le livre est un corps
8-9
| u n livre somatique | pour une valorisation de la corporéité
10 - 11
- corporéité & verbalisation | la corporÉité dans les mots | 01
17
| langage des corps et micro-typographie
18 - 41
| la corporÉité dans les textes | 02
43
| langage des corps et macro-typographie
44 - 59
| la corporÉité dans les livres | 03
61
| langage des corps et interaction éditoriale
62 - 75
- développements du projet 82
| la corporÉité comme langage graphique | 01
85 - 103
| design éditorial et introversion
105 - 119
| design éditorial et extraversion
122
| le langage graphique comme corporÉité | 02
125 - 133
| design éditorial et sympathie
135 - 147
| design éditorial et empathie
150
| conclusion tome 2
INtroduction
| u n projet éditorial
“Corps, je ne suis que corps.” Nietzsche | Ainsi parlait Zarathoustra
une corporéité au sein du livre Selon Michel Bernard, inspiré des théories de Maurice Merleau-Ponty, la corporéité tient compte des “dimensions sensorielles, motrices, pulsionnelles, imaginaires, et symboliques du corps, permettant alors d’échapper à la vision simpliste d’un corps machine, dénué de toute affectivité et tout juste propre à exécuter sa partition.” Ce projet propose de donner à voir cette corporéité, s’engageant à trouver des modalités d’expression graphique d’une existence charnelle en traduisant visuellement son sens et sa valeur. Pour cela, il ne convient pas d’effectuer un travail de décryptage du langage des corps, qui, par son intention de maîtrise générerait une instance de contrôle transcodant un corps figé, mais de créer un espace d’expression des signes de la corporéité. Afin d’explorer un espace non systémique, pour éviter de figer un langage normatif inapproprié, le champ d’action coïncidant sera de l’édition. Selon Husserl, “le livre est un corps”. En s’interrogeant sur la composition de cet objet, les termes qui définissent le livre l’associent immédiatement au corps et relèvent d’un vocabulaire organique - colonne, en-tête, en-pied, nerfs, dos, coiffe, main, œil, tête - traduisant la corporéité du livre, son essence corporelle.
| 8
TOME 2 | introduction
“Le livre est incarné par ce lecteur, un corps vivant, nomade ou sédentaire, l’un des protagonistes d’une très longue chaîne d’intervenants fédérés par des métiers ou des corporations : éditeur, maquettiste, imprimeur, parfois relieur, traducteur, correcteur, libraire, bibliothécaire… Le livre est ainsi pris en mains au fur et à mesure de son élaboration et de sa constitution et constamment mis en œuvre par des corps agissants qui le façonnent à leur image. Le livre est de fait une façon de prolongement ou d’extension du corps propre. Il se définit encore comme une projection du corps correspondant. (…) Le livre est l’enjeu de métaphores corporelles mais il est surtout la partie intégrante de notre identité corporelle et mentale. Le livre est comme un corps protégé par sa couverture adaptée en tant que surface d’isolation de la partie sensible, de cette chair feuilletée et mise à vif que constitue le papier de la page, cette peau plus ou moins fine, granuleuse, lisse, que les doigts caressent tout en la déchiffrant.” Marc Perelman | Le Livre au corps
TOME 2 | introduction
9 |
| u n livre somatique
pour une valorisation de la corporéité À travers gestes, mimiques, attitudes, comportements dans l’espace, le corps manifeste des émotions, des sensations, une multitude d’états en relation avec une expérience forte. Trembler de peur, brûler de désir, étouffer de rage, notre corps ne cesse de parler, de signifier et constitue l’essentiel des processus de communication. Les études menées par le professeur émérite de psychologie à l’Université de Californie Albert Mehrabion, ont établi que 55% de la communication tiendrait aux expressions du corps, 38% à la voix et seulement 7% au sens des mots. Le professeur a mené des expériences et note que cette équation concernant l’importance relative d’un message verbal et d’un message non verbal, vient d’expériences concernant la communication de sentiments et d’états d‘esprit. Cette communication dite non-verbale, qui n’emploie pas la parole, porte alors sur le langage corporel mais aussi sur l’ensemble de l’environnement qui nous entoure. Ces signes émergeant du corps et chargés de sens accompagnent la parole, appuyant un discours ou se plaçant à son encontre. Il convient ici de s’intéresser à ce langage qui échappe, surgissant d’un corps et générateur de sens ; l’objet éditorial se propose d’être le relai d’un corps s’exprimant, prenant en charge ces manifestations somatiques.
| 10
TOME 2 | introduction
“Ce que cache mon langage, mon corps le dit. Mon corps est un enfant entêté, mon langage est un adulte très civilisé.” Roland Barthes | Fragments d’un discours amoureux
TOME 2 | introduction
11 |
corporÉitÊ & verbalisation
| corporéité & verbalisation
pour une expression de la corporéité Avant de se confronter au design éditorial proprement dit, il convient d’explorer ici les possibilités d’expressions visuelles de la corporéité dans les formes graphiques de la verbalisation. Cette démarche propose le développement d’un langage des corps : d’abord à l’échelle des mots par un travail micro-typographique ; pour ensuite comprendre de quelles façons un corps infléchit un discours, par un travail macro-typographique, à l’échelle du texte ; enfin, pour s’engager dans la manifestation de cette corporéité et du rapport à l’autre dans l’interaction avec l’objet livre.
| 14
TOME 2 | corporéité & verbalisation
“Qu’est ce qu’un livre en effet, sinon l’occasion de poser la question dans son rapport au corps.” Mars Perelman | Le Livre au corps
TOME 2 | corporéité & verbalisation
15 |
“Au Royaume des belles lettres, s’ajoute une analogie de signification et non pas seulement de forme avec le corps humain.” Marc Perelman | Le Livre au corps
01
la corporéité dans les mots
corporÉité & micro-typographie Dans toutes les formes de communication le corps se lie, s’articule aux mots. Au sein d’une relation épistolaire, le corps se manifeste par l’écriture, lors d’un échange téléphonique, l’expression vocale est signe du corps, dans une situation de face à face le corps entier est en jeu. Afin de revendiquer cette place du corps au cœur du processus de communication il convient d’axer ces premières recherches autour de la micro-typographie en vue de manifester une corporéité au sein même de la lettre. La lettre à elle seule est déjà un corps, ce terme même qui désigne la taille du caractère d’imprimerie. On utilisera ici la matérialité du dessin de caractère pour dire la corporéité et l’éprouver, en plus de la réception du contenu textuel que nous offre le livre. La corporéité dépasse le corps de la lettre, se dégage, émane de celui-ci. C’est à travers ce travail à l’échelle du caractère que l’on signifie l’engagement du corps qui se joint aux mots, investissant un espace plus large, moins discernable et difficilement définissable.
17 |
EXPÉRIMENTATIONS VISUELLES Au sein d’une lecture l’expérience ne se restreint pas a la réception d’un contenu, mais implique d’autres phénomènes qui dessine un territoire de signification indéfini. | Découpe d'un caractère typographique générant différents espaces et différentes zones.
TOME 2 | corporéité & verbalisation
Expérimentations |
19 |
EXPÉRIMENTATIONS VISUELLES Reconstruction de la lettre par degrés d’opacité. Nécessité de la matérialité du calque, de sa transparence pour opérer la transformation du sens. | Décomposition d'un caractère typographique sur différents supports superposés.
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| Expérimentations
TOME 2 | corporéité & verbalisation
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Expérimentations |
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| Expérimentations
TOME 2 | corporéité & verbalisation
EXPÉRIMENTATIONS VISUELLES La lettre devient un “corps” et déploie un degré de signification plus complexe. Une multiplicité des formes émerge : dépassement de la lettre comme caractère alphabétique. | Caractère typographique auquel s'intègre un fil piqué sur des points de tension de la lettre.
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Expérimentations |
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EXPÉRIMENTATIONS VISUELLES L’espace blanc s’intègre dans le caractère et non plus entre deux caractères, pour valoriser les phénomènes existant autour des lettres et revendiquer une primauté du corps sur le texte dans la parole. | Expérimentation typographique qui comble les espaces entre les lettres, afin de matérialiser ce qui se passe à l’intérieur des mots.
| 24
| Expérimentations
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Expérimentations |
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| Expérimentations
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EXPÉRIMENTATIONS typographiques En superposant la lettre capitale, signe du discours et de la représentation et le bas de casse, signe de l’intime et d’un contact plus immédiat, cette expérimentation typographique donne à voir distance et proximité. En occultant la distance, une intimité est rendue présente, fragilisée par cette éclipse gardant la trace de la représentation. | Superposition du même caractère en bas de casse et capitale puis disparition de la capitale, perceptible en défonce.
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Expérimentations |
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| Expérimentations
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EXPÉRIMENTATIONS VISUELLES Épuisement des mots, par la matérialité de la lumière et de l’ombre, réapparition, résurgence des mots. Reconstitution, réapparition de la parole. | Plaquette de letraset usagé, dont l'empreinte de la lettre et du geste du grattage laisse passer la lumière. De cette ombre instable, reconstitution des caractères, non intégrale et informe.
TOME 2 | corporéité & verbalisation
Expérimentations |
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EXPÉRIMENTATIONS VISUELLES L’incrustation de nouveaux signes génère un nouveau sens. | Au mot “dire” s’insère des lettres occupant l’espace blanc pour “induire”.
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TOME 2 | corporéité & verbalisation
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Expérimentations |
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EXPÉRIMENTATIONS VISUELLES Nouvelles dimensions données au caractère. Plusieurs niveaux de lectures, par la matière extraite de son support initial (papier) et qui génère par la lumière de nouvelles formes. | Découpe du caractère dans son axe de symétrie.
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Expérimentations |
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EXPÉRIMENTATIONS VISUELLES Transpiration du corps, corporéité (matière) au-delà de ce qui peut être dit (écrit). Organicité du langage qui se diffuse au delà de l’objet. Territoire, cartographie d’une corporéité. | Papier arche, papier chromolux, encre et eau.
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Expérimentations |
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EXPÉRIMENTATIONS VISUELLES Émanation d’un corps sujet. La lumière comme matériau, impalpable, insaisissable, pour exprimer le corps. L’insubstantiel de ce phénomène est légitime pour traduire un corps confus, difficilement perceptible et discernable. La diffusion d’un corps et la multiplicité d’interprétations. | Découpe et recherches à partir de la lumière et de ses répercussions. Projection lumineuse.
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Expérimentations |
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| Expérimentations
TOME 2 | corporéité & verbalisation
TOME 2 | corporéité & verbalisation
Expérimentations |
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“Les mots traversés de significations sont comme le corps transi d’intentionnalité.” Marc Perelman | Le Livre au corps
02
la corporéité dans les textes
corporéité & macro-typographie La corporéité porte en elle les états du corps, une histoire, des expériences qui conditionnent ce qui est dit, ce qui est pensé. Ce corps perpétuellement en jeu dans la communication contamine le sens d’une parole. Afin de transcrire les différents états du corps qui empiètent sur le discours, il convient d’interroger la macro-typographie qui traite de la typographie et de la mise en page à l’échelle du paragraphe, pour développer des modalités d’expression des affects, états de corps au sein du texte, transcription du discours, et de sa mise en page. La réception du texte est conditionnée par le traitement formel établi. Par différents détours et perturbations du cheminement généralement linéaire de la lecture, on interroge la lisibilité, le confort de lecture par différents degrés d’accessibilité au texte. Une qualité de réception soumise au traitement graphique du texte.
43 |
’ ’..’,..,,,,.,,.,,....,,,,..- ,. -. . . . , . , . . , . , . EXPÉRIMENTATIONS VISUELLES L'unique présence de ces signes ne disent que la respiration, le rythme, la matière de la parole plus que les mots. | Suppression des mots, conservation unique de la ponctuation à partir du texte de Marguerite Duras, l’homme assis dans le couloir.
| 44
| Expérimentations
TOME 2 | corporéité & verbalisation
L
’ .
homme aurait été assis dans l
dehors
’
ombre du couloir face à la p orte ouverte sur le
Il regarde une femme qui est couchée à quelques mètres de lui sur un chemin
de pierres
.
Autour d
’
eux il y a un jardin qui tomb e dans une décliv ité brutale sur
une plaine de large vallonnement sans arbres On voit le paysage jusqu’au fleuve a un espace indécis mer
. ,
,
.
Après
,
,
très loin
elle ne p eut pas voir l’homme
,
,
face au couloir
,
il y
entrouverts ou fermés est vêtue
de soie claire
Sous la soie le corps était nu ancienne
passé
différemment rien dit
Ainsi aurait
elle n’aurait rien regardé
ses paupières elle est enfermée
.
Elle sait qu’il la regarde
, . . c o m m e j e l e s a is moi
.
La rob e aurait été p eut
.
,
être d’un blanc
Elle
n’aurait
TOME 2 | corporéité & verbalisation
,
sous
oit transparaître la lumière brouillée
q u ’i l v oit tout
.
Elle
qui lai laisse
Face à l’homme assis dans le couloir sombre
moi qui regarde
.
Parfois aussi elle aurait fait très
C,’est ce que je vois d’elle
Au travers elle v e
,
Le soleil est déjà très fort
par le devant déchirée
elle fait parfois
Différemment toujours
dans le soleil
On ne p eut pas dire si des yeux sont
On dirait qu’elle se rep ose
d’une rob e claire
,
elle est séparée de l’ombre intérieure de la
. . . , , , . . , . . . . , . . .
du ciel
et jusqu’à l’horizon
La femme s’est promenée sur la crête de la p ente face au fleuve et puis elle
maison par l’aveuglement de la lumière d’été
voir
,
.
une immensité toujours brumeuse qui p ourrait être celle de la
est revenue là où elle est maintenant, allongée Elle
des champs qui b ordent un fleuve
.
E lle le sait les yeux fermés
Expérimentations |
45 |
L’homme auraitétéassisdans l’ombre du couloir face à l a p o r t e o u v e r t e sur le dehors.
Ilregardeunefemmequiestcouchéeàquelquesmètresdeluisurunchemindepieres.
s a n s a r b res , desch am p s qui bordent un fleuve. O n
Autour d’eux il y a un jardin qui tombe dans une déclivité brutale sur une plaine de large vallonnement
v o i t
l e
p a y s a g e
j u s q u ’ a u
f l e u v e .
Après,-très-loin,-et-jusqu’à-l’horizon,-il-y-a-un-espace-indécis, une immensité toujours brumeuse qui pourrait être celle de la mer.
L a
s u r e t
f e m m e
l a
c r ê t e
p u i s
e s t
s ’ e s t d e
e l l e
p r o m e n é e
l a
e s t
p e n t e
r e v e n u e
f a c e l à
a u
o ù
m a i n t e n a n t , a l l o n g é e , f a c e
d a n s
l e
s o l e i l . E l l e , e l l e
s é p a r é e
d e
l ’ o m b r e
l u m i è r e
n e
f l e u v e
e l l e a u
p e u t
i n t é r i e u r e
c o u l o i r , p a s
d e
l a
v o i r
l ’ h o m m e , e l l e
m a i s o n
p a r
e s t
l ’ a v e u g l e m e n t
d e
l a
d ’ é t é .
On ne peut pas dire si des yeux sont entrouverts ou fermés. O n dir ait qu’el le se re pose. Le so leil est dé jà très fort. El le est vê tue, d’une ro be clai re, de soie clai re, par le
de vant déchirée, ne.inac ,éspanacblund’ertêqui -puetététlai iauaroberalaisse L nu.tiatépsorcvoir. el eoisal Sous
A i n s i aurait -elle fait par fois.
P
a
r
e
l
l
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u
r
t
r
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a f
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m
a
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m
s
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t
.
t e
D i ff é re m m e n t tou j ou r s . C’estcequejevoisd’ele.
Elle rna’urait rien rdit,elle rna’urait rien regardé.
Face
à
l’
homme assis
dans
le
couloir
sombre,
soussespaupièreselleestenfermée.Autraversellevoitransparaîtrelalumièrebrouilée
duciel.Ellesaitqu’ilaregarde,qu’ilvoitout.Ellelesaitlesyeuxferméscommejelesaismoi,moiquiregarde.
| 46
I l
s’agit
| Expérimentations
d’une
certitude.
TOME 2 | corporéité & verbalisation
EXPÉRIMENTATIONS VISUELLES Travail sur le gris typographique pour générer du sens par les différents blancs. L'expression matérielle de la parole. | Unité de caractère et de corps typographique, variation exagérée des espaces et des approches.
TOME 2 | corporéité & verbalisation
Expérimentations |
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| Expérimentations
TOME 2 | corporéité & verbalisation
EXPÉRIMENTATIONS VISUELLES Recherches de variations du gris typographique par l’intervention de plusieurs médium, afin de traduire une pluralité d’expression au sein d’un même discours. Variation de tonalité de voix, de comportement, de gestuelle, d’état d’affect. | Composition d’une grille de mise en page. fusain, encore, bic, steadler, pierre noir, feutre, craie, cirage.
TOME 2 | corporéité & verbalisation
Expérimentations |
49 |
EXPÉRIMENTATIONS VISUELLES Une tonalité en mouvement, qui chuchote, puis s’affirme, une variation d’expression, de clarté et de limpidité dans l’émission des signes. | Phrase dont chaque mot est inscrit sur un calque différent
| 50
| Expérimentations
TOME 2 | corporéité & verbalisation
TOME 2 | corporéité & verbalisation
Expérimentations |
51 |
EXPÉRIMENTATIONS VISUELLES Donner au texte une corporéité par une forme anatomique : la parole est ancrée dans l’intérieur du corps pour une coïncidence de la communication corporelle et verbale. | Texte recouvert de scotch en lamelles, figure d’une colonne vertébrale.
| 52
| Expérimentations
TOME 2 | corporéité & verbalisation
TOME 2 | corporéité & verbalisation
Expérimentations |
53 |
EXPÉRIMENTATIONS VISUELLES Le lapsus, dire sans vouloir dire, quand le corps échappe aux mots. Juxtaposition de deux langages. Double discours en jonction : le caractère avenir affirme un discours maîtrisé, auquel se greffe le baskerville italic symbole d’un discours non contenu qui s’ancre entre les lignes. | Superposition de deux textes, deux propos distincts.
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| Expérimentations
TOME 2 | corporéité & verbalisation
L’homme aurait été assis dans l’ombre du couloir face à la porte ouverte sur le dehors.
Il regarde une femme qui est couchée à quelques mètres de lui sur un chemin de pierres.
Autour d’eux il y a un jardin qui tombe dans une déclivité brutale sur une plaine de large vallonnement sans arbres, des champs qui bordent un fleuve. On voit le paysage jusqu’au fleuve. Après, très loin, et jusqu’à l’horizon, L’homme auraitilété l’ombre du couloir face à la immensité porte ouverte sur letoujours dehors. y assis a undansespace indécis, une brumeuse qui pourrait être celle de Il regarde une femme qui est couchée à quelques mètres de lui sur un chemin de pierres. Autour d’eux il y a un jardin qui tombe dans une déclivité brutale sur une plaine de large vallonnement sans arbres, des champs qui bordent un fleuve. On voit le paysage jusqu’au fleuve. Après, très loin, et jusqu’à la mer. l’horizon, il y a un espace indécis, une immensité toujours brumeuse qui pourrait être celle de la mer. La femme s’est promenée sur la crête de la pente face au fleuve et puis elle est revenue là où elle est maintenant, allongée, face au couloir, dans le soleil. Elle, La femme s’est promenée sur la crête de la pente face au fleuve et puis elle est revenue là où elle ne peut pas voir l’homme, elle est séparée de l’ombre intérieure de la maison par l’aveuglement de la lumière d’été. On ne peut pas dire si des yeux sont entrouverts ou fermés. On dirait qu’elle se repose. Le soleil est déjà très fort. Elle est vêtue, d’une robe claire, elle est maintenant, allongée, face au couloir, dans le soleil. Elle, elle ne peut pas voir l’homme, elle est de soie claire, par le devant déchirée, qui lai laisse voir. Sous la soie le corps était nu. La robe aurait été peut-être d’un blanc passé, ancienne. Ainsi aurait-elle fait parfois,. Parfois aussi elle aurait fait très différemment. Différemment toujours. C’est ce que je vois d’elle. séparée den’aurait l’ombre maison l’aveuglement desombre, la lumière d’été. elle est enfermée. Au travers elle Elle rien intérieure dit, elle n’auraitde rienla regardé. Face àpar l’homme assis dans le couloir sous ses paupières voit transparaître la lumière brouillée du ciel. Elle sait qu’il la regarde, qu’il voit tout. Elle le sait les yeux fermés comme je le sais moi, moi qui regarde. On ned’une peutcertitude. pas dire si des yeux sont entrouverts ou fermés. On dirait qu’elle se repose. Le soleil Il s’agit
est déjà très fort. Elle est vêtue, d’une robe claire, de soie claire, par le devant déchirée, qui lai laisse voir. Sous la soie le corps était nu. La robe aurait été peut-être d’un blanc passé, ancienne.
TOME 2 | corporéité & verbalisation
Expérimentations |
55 |
EXPÉRIMENTATIONS VISUELLES Expérience du bégaiement. La linéarité comme valorisation de la difficulté à dire, à s'exprimer. Perte du sens de lecture, difficulté d'accès au texte. Paradoxe entre la linéarité de la parole et la difficulté a s'exprimer. | Passionnément de Ghérasim Luca inscrit de façon linéaire sur une bande étroite.
| 56
| Expérimentations
TOME 2 | corporéité & verbalisation
TOME 2 | corporéité & verbalisation
Expérimentations |
57 |
EXPÉRIMENTATIONS VISUELLES Dépassement de la syncope du mot dans le bégaiement par la syncope de la lettre. | À partir d’un extrait de Passionnément de Ghérasim Luca, découpe et enchevêtrement des lettres dans le mot.
| 58
| Expérimentations
TOME 2 | corporéité & verbalisation | corporéité dans les textes
TOME 2 | corporéité & verbalisation | corporéité dans les textes
Expérimentations |
59 |
“Quand je suis confronté au corps d’autrui ou au livre, qui sont bien, au premier abord, des objets dans l’espace, des choses matérielles accessibles à la perception quelque chose d’autre transparaît dans l’expérience, qui excède la perception.” Marc Perelman | Le Livre au corps
03
la corporéité dans les livres
corporéité & interaction éditoriale Le discours est influencé par une corporéité qui fait signe, elle-même sensible à l’autre, face auquel elle se situe. Dans une situation de communication, le corps émet des signes, indices d’états, d’affects, d’histoires, dont l’opacité est variable selon le rapport entretenu avec cet autre et avec l’espace environnant. Afin de concevoir cette dynamique d’échange et de dialogue entre deux corps, il convient d’interroger le livre, comme sujet, interagissant avec le lecteur, l’espace, le temps, le moment. Une expérience de lecture qui génère un rapport de corps à corps de plus en plus étroit, un lecteur en totale prise avec l’objet éditorial.
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EXPÉRIMENTATIONS VISUELLES Expression d’une complexité des rapports. La continuité du texte est rompue, sa lecture linéaire n’est plus, le livre se mue en ©un espace à parcourir, impliquant un autre rapport au temps. | Texte plié sur une grille triangulaire générant un volume
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| Expérimentations
TOME 2 | corporéité & verbalisation
TOME 2 | corporéité & verbalisation
Expérimentations |
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EXPÉRIMENTATIONS VISUELLES Dépecer le texte de sa matière pour atteindre une nouvelle dimension. | Texte recouvert d’un scotch, partiellement déchiré.
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| Expérimentations
TOME 2 | corporéité & verbalisation
EXPÉRIMENTATIONS VISUELLES Double parole, le corps révèle autre chose. Papier déchiré qui laisse entrevoir un texte au dessous. L'incision d'un corps pour atteindre le texte. | Texte recouvert d’un papier à l’intérieur duquel s’inscrit un nouveau texte, dévoilé par la fissure.
TOME 2 | corporéité & verbalisation
Expérimentations |
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EXPÉRIMENTATIONS VISUELLES Au sein d’un même papier, d’une seule et même matière, surface, on opère deux niveaux de lectures par une zone recouverte d’huile laissant transparaître la lumière. Le corps influence l’opacité de la communication. Différents degrés de compréhension, de réception. Selon la réaction de la matière, le sens est plus ou moins limpide. | Tâche d’huile sur papier, créant un effet de transparence + impression de texte.
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| Expérimentations
TOME 2 | corporéité & verbalisation
TOME 2 | corporéité & verbalisation
Expérimentations |
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| Expérimentations
TOME 2 | corporéité & verbalisation
EXPÉRIMENTATIONS VISUELLES Cette nouvelle matière infléchit la lecture selon le point de vue adopté. Le caractère typographique est déformé, allongé, condensé, étendu, sa forme varie selon l’angle d’approche et propose une multitude d’expériences de lecture. | Superposition de verre sur le texte
TOME 2 | corporéité & verbalisation
Expérimentations |
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EXPÉRIMENTATIONS VISUELLES Image d’une anxiété, la matière est modulée par la chaleur, jusqu’à être percée. Mouvement du plastique qui se dirige au-delà de sa forme initiale, rompt avec la linéarité de la matière, une éclosion sous la pression. | Rhodoïd soumis à une source de chaleur
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| Expérimentations
TOME 2 | corporéité & verbalisation
TOME 2 | corporéité & verbalisation
Expérimentations |
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| Expérimentations
TOME 2 | corporéité & verbalisation
EXPÉRIMENTATIONS VISUELLES Transpiration, propagation,. émanation corporelle du texte. | Dessin à la pierre noire et texte de journal superposés à d’autres feuilles au milieu desquelles une capsule de solvant est explosée.
TOME 2 | corporéité & verbalisation
Expérimentations |
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EXPÉRIMENTATIONS VISUELLES L’intervention de l’eau fusionne les deux papiers, donne à lire le texte jusque là troublé par la couche supérieure. | Texte recouvert d’un papier de soie, matière transparente et souple, puis imbibé d’eau.
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| Expérimentations
TOME 2 | corporéité & verbalisation
TOME 2 | corporéité & verbalisation
Expérimentations |
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Après une démarche expérimentale de manifestation d’une expression de la corporéité dans de processus verbalisation, à trois niveaux d’intervention -le mot, le texte, le livre- le projet s’oriente vers la conception d’un objet éditorial “somatique”.
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developpements du projet
| orientations du projet
Les différentes possibilités d’expressions visuelles de la corporéité, traitées précédemment, au sein du caractère typographique, du texte, puis du livre, orientent le projet vers la création d’un livre “somatique”. Il convient en effet ici de développer une expressivité graphique de la corporéité dans des objets éditoriaux, permettant un accès sensible au contenu, au delà de la verbalisation du texte , pour concevoir l’expérience de lecture comme un rapport de corps à corps. Pour ce faire, le projet s’engagera dans deux directions complémentaires. La corporéité comme langage graphique proposera la création d’objets éditoriaux à partir de signes du corps. Le langage graphique comme corporéité développera un langage des corps à partir des signes graphiques.
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TOME 2 | développements du projet
“Le corps est de fait une façon de prolongement ou d’extension du corps propre, mais non pas à la manière d’une prothèse comme le téléphone portable. Il se définit encore comme une projection non organique du corps.” Marc Perelman | Le Livre au corps
TOME 2 | développements du projet
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| La corporéité comme langage graphique
langage de l’introversion & de l’extraversion Le corps signifiant est prédominant dans le processus de communication, son importance surpassant même parfois celle du sens des mots. Le projet consiste en la manifestation d’une corporéité portée par le texte. Le livre éprouve ce que le texte exprime sans dire, et prend en charge la part non dite, occulte, et complémentaire. Reclu, replié, silencieux ou déployé, expansif, effronté, le corps exprime en excès, au-delà d’un langage construit et instaure une proxémie chaque fois singulière avec l’autre. C’est cette distance physique entre deux personnes prises dans une interaction que l’on interroge ici, à travers deux projets éditoriaux, l’un introverti, l’autre extraverti.
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TOME 2 | développements du projet
“L’introversion et l’extraversion ne sont pas deux tempéraments innés, mais un couple de mécanismes solidaires qui existent tous deux en chacun de nous, et peuvent être tour à tour mis en œuvre par nous. Ils ne deviennent des caractères typiques que par l’habitude acquise de n’en développer qu’un seul, à laquelle nous cédons à vrai dire généralement.” Emmanuel Mounier | Traité du caractère
TOME 2 | développements du projet
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“L’introversion, qui n’est pas l’intériorité, mais la disposition la plus favorable à l’intériorité.” Emmanuel Mounier | Traité du caractère
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design éditorial et introversion
Composé des mots latin intro “à l’intérieur“et versus “tourné”, l’introversion désigne la propension à se tourner vers son monde intérieur, à vivre centré sur ses pensées, ses émotions, ses rêveries et à se détourner du monde extérieur. Il s’agit ici de concevoir un objet éditorial qui manifeste et exprime l’introversion, l’orientation de la corporéité vers l’intérieur de soi, renvoyant à des valeurs de pudeur, d’intimité occultée… Pour ce faire les recherches s’orienteront en premier temps sur le respect d’une intimité, sa préservation pour ensuite s’intéresser à la manifestation d’une gêne, d’un état de honte, de malaise, afin de traduire à travers le livre le “non-dit”, en deçà des mots.
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la préservation de l’intimité
Odis voluptatibea eatiis eatem lams ipsumquo consecto dolore volest, quidem fuga. Me vidit dem dent in consenemolut doluptat et quam dolorehenis et ommolo min consedi et quamSum, qui conseque cum simaion sequasperum et exceatur acimus quiaspedic te nem di beaquam, similiq uidit,m dolorehenis et ommolo min consdolorehenis et ommolo min cons Odis voluptatibea eatiis eatem lams ipsumquo consecto
dolore volest, quidem fuga. Me vidit dem dent in consenemolut doluptat et quam dolorehenis et ommolo min consedi et quamSum, qui conseque cum simaion sequasp erum et exceatur acimus quiasped ic te nem di beaquam, similiq uidit,Et eaquiae deliqui nonsequaero ehenis et ommolo min m lams ipsumquo consecto dolore volest, quidem fuga. Me vidit dem dent in consenemolut doluptat et quam dolorehenis et om
Expérimentations éditoriales Expression d’une timidité, d’un discours en réserve, verbalisation discrète et pudique. L’espace blanc “vide“ a son importance et génère calme et silence. | Intégration d’un encart d’une dimension de 3 cm sur 3 au sein d’un format de livre de poche.
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| Expérimentations
TOME 2 | développements du projet
TOME 2 | développements du projet
Expérimentations |
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la préservation de l’intimité
Expérimentations éditoriales Altération de l’objet livre dans son ouverture, un objet signe d’une corporéité en réserve, difficilement abordable, à la limite de l’inaccessibilité. La lecture s’opère par une ouverture étroite des pages et un effort du lecteur. Plus le lecteur tente d’ouvrir et d’étendre les pages, plus le calque se soulève et rend le texte opaque, illisible. | Surface de calque relié à la tranche de deux pages, contraignant l’ouverture.
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| Expérimentations
TOME 2 | développements du projet
TOME 2 | développements du projet
Expérimentations |
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la préservation de l’intimité
Expérimentations éditoriales Principe d’ouverture une fois encore contraint, le texte est lisible par une simple mise en place de l’objet. Ce principe d’attache génère une forme de repli sur soi plus souple au niveau des pages qu’un pli exécuté par la pratique d’un rainage. | la pointe du haute de deux pages liées par un fil.
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| Expérimentations
TOME 2 | développements du projet
TOME 2 | développements du projet
Expérimentations |
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la préservation de l’intimité
Expérimentations éditoriales L’usage du papier calque établit une distance entre le texte et le lecteur, une sorte de peau, espace de délimitation qui protège le discours. Le calque est aussi ici une surface d’échange que le lecteur est donc amené à déplier, à soulever, pour accéder au texte. | Papier calque recouvrant le texte
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| Expérimentations
TOME 2 | développements du projet
TOME 2 | développements du projet
Expérimentations |
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la préservation de l’intimité
Expérimentations éditoriales L’intégration d’un papier de soie instaure une distance entre le texte et le lecteur, un espace intermédiaire non franchissable | Papier de soie collé a la page au niveau du texte
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| Expérimentations
TOME 2 | développements du projet
la manifestation d’une gêne
“La honte n’a pas pour fondement une faute que nous avons commise, mais l’humiliation que nous éprouvons à être ce que nous sommes sans l’avoir choisi, et la sensation insupportable que cette humiliation est visible partout”
Expérimentations éditoriales Dans la poursuite d’une intention de préservation de l’intimité, il convient de développer un objet éditorial dont la lecture se veut exclusive. L’accès au texte s’effectue lorsque l’objet se situe devant le lecteur, le livre dans ses mains, les deux corps sont en face à face : cela génère une lecture exclusive et personnelle. Un tiers qui tenterait de lire “par dessus l’épaule”, à côté, ne verrait qu’une feuille immaculée. | Texte visible selon un point de vue frontal, page vierge selon un point de vue angulaire.
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| Expérimentations
TOME 2 | développements du projet
TOME 2 | développements du projet
Expérimentations |
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la manifestation d’une gêne
Odis voluptatibea eatiis
ptatibea eatiis
Odis voluptatibea eatiis
Expérimentations éditoriales Tentative de camoufler, cacher un état, une gêne, une honte, par une lisibilité en surface. L’effort du lecteur est sollicité pour accéder au texte en profondeur. | Page pliée et repliée sur elle-même, le texte est lisible dans sa linéraité à l’ouverture de chacun des volets.
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| Expérimentations
TOME 2 | développements du projet
TOME 2 | développements du projet
Expérimentations |
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la manifestation d’une gêne
Expérimentations éditoriales Dans une volonté de manifester au sein du livre l’expression d’un malaise, on envisage ici un objet éditorial invisible, mais lisible. La honte, le malaise, la gêne sont des états du corps difficilement dicibles, moins verbaux que la culpabilité ceux-ci sont plus sensoriels. Ton sur ton, gaufrage, découpe, c’est de la matière que va naître la signification d’un corps.
“Le silence permettant au livre de vivre sa corporéité dans son intériorité.” Marc Perelman | Le Livre au corps
| Texte imprimé ton sur ton, gaufrage…
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| Expérimentations
TOME 2 | développements du projet
TOME 2 | développements du projet
Expérimentations |
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la manifestation d’une gêne
Expérimentations éditoriales L’expression d’un malaise se révèle ici derrière une tentative manquée de dissimuler, de cacher. Le texte apparaît par transparence, enchassé dans une page reliée sur elle-même. | Texte imprimé à l’envers, sur papier 80gr, il se prête à la lecture par transparence ou apparaît dans le sens convenu.
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| Expérimentations
TOME 2 | développements du projet
TOME 2 | développements du projet
Expérimentations |
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“Je me tais parce que je suis épuisé par tant d’excès : ces mots, ces mots, tous ces mots sans vie qui semblent perdre jusqu’au sens de leur son éteint. Je me demande si quelqu’un est encore près de moi à m’écouter ?” Louis-René des Forets | Le Bavard
02
design éditorial et extraversion
Si la corporéité s’introvertit, elle peut aussi s’extravertir, sortir des limites de son corps. Composé de l’élément préfixe extra- et du substantif version, l’extraversion désigne un comportement orienté vers le monde extérieur, la sociabilité, la recherche d’échanges affectifs et intellectuels avec les autres. Afin de signifier ce phénomène d’extraversion, l’expression d’une corporéité “tournée vers l’extérieur”, nous orienterons le développement vers une exhibition du livre, un objet qui se met à nu, pour ensuite se concentrer sur la sortie de soi, un déploiement au-delà même de l’objet livre, traduisant le “dit en excès”, au-delà des mots.
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une corporéité exhibée
Expérimentations éditoriales Le texte envahit l’espace de la page et plus loin encore, le texte en marge à la coupe, les lettres de fin de lignes sont tronquées, ne laissant apparent que l’essentiel du signe permettant son identification. | Texte en corps 30 à la coupe.
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| Expérimentations
TOME 2 | développements du projet
TOME 2 | développements du projet
Expérimentations |
107 |
une corporéité exhibée
Expérimentations éditoriales Investissement d’un espace jusque là immatériel au sein de l’objet éditorial, une nouvelle dimension volumique est donnée à la tranche du livre. Bien que fermé, le livre laisse apparaître certains signes de son intérieur. Un objet qui, même replié, ne cache jamais totalement sa profondeur. | Les tranches de chaque page s transforme en dos.
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| Expérimentations
TOME 2 | développements du projet
TOME 2 | développements du projet
Expérimentations |
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une corporéité exhibée
EXPÉRIMENTATIONS ÉDITORIALES À partir de l'unité d'une surface, une pluralité d'accès au contenu selon la forme donnée à la matière. L’intérieur ne se restreint pas a un format standard et adopte une multitude de directions. | Format international A4, plié, replié de façon aléatoire.
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| Expérimentations
TOME 2 | développements du projet
TOME 2 | développements du projet
Expérimentations |
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une corporéité exhibée
Expérimentations éditoriales Un livre au corps ouvert, où les codes de la conception de l’objet sont inversés : la couverture ayant généralement pour fonction de protéger l’objet dans sa surface est ici déplacée en situation où elle est elle-même protégée par les pages dites “intérieures”, mises a vif. | Les pages prennent la place de la couverture, et la couverture s’implante au milieu.
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| Expérimentations
TOME 2 | développements du projet
TOME 2 | développements du projet
Expérimentations |
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une corporéité exhibée
Expérimentations éditoriales Livre infermable, sans couverture. Par son principe de reliure de 15mm de large au milieu d’un bloc de feuilles, l’objet se manipule, les pages se tournent comme dans un livre mais le pli central ne peut pas s’effectuer et ne permet pas une fermeture de l’objet. À l’image d’un colonne vertébrale centrale, la reliure maintient un corps ouvert. | Reliure cousue au centre d’un bloc de pages
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| Expérimentations
TOME 2 | développements du projet
TOME 2 | développements du projet
Expérimentations |
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un corps excessif
Expérimentations éditoriales Un échantillon de la page se déplie et déploie son corps, dépassant le territoire de l’objet livre, exhibant une phrase. | Déploiement d’une parcelle de la page jusqu’à l’extension d’un territoire.
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| Expérimentations
TOME 2 | développements du projet
TOME 2 | développements du projet
Expérimentations |
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un corps excessif
Source lumineuse Forme en découpe Projection lumineuse
Expérimentations éditoriales Un corps en excès qui exprime au-delà même de son propre corps matériel, et investit l’espace environnant. Le texte, envisagé en découpe, se propage et se répand bien au-delà de son territoire préalablement défini. | Projection lumineuse du verso de la première feuille sur le recto de la suivante, découpée.
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| Expérimentations
TOME 2 | développements du projet
TOME 2 | développements du projet
Expérimentations |
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À partir de la traduction d’une corporéité introvertie ou extravertie, ces formes éditoriales placent le lecteur en position de récepteur d’un langage des corps, pour valoriser et accompagner la compréhension d’un texte, de la même façon qu’une personne pudique ou exubérante contamine la réception de sa parole. Ce principe d’objets éditoriaux qui manifestent une corporéité peut s’étendre à des formes complexes d’expressivité graphique qui permettent d’éprouver, dans l’acte de lecture, un rapport aux corps.
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| le langage graphique comme corPoRéité
sympathie et empathie éditoriales Afin de générer des rapports de corps à corps de plus en plus étroits, il convient de mettre à l’épreuve l’acte de lecture pour développer une corporéité signifiante. La démarche s’oriente ici sur le développement de signes graphiques pour parvenir à exprimer une corporéité chargée de sens, un corps disant. La conception d’objets éditoriaux s’engage d’abord dans une traduction du langage des corps comme modalité de communication des affects dans un livre “sympathique”, pour tendre ensuite vers la traduction d’un langage du corps comme expression d’une expérience de lecture dans un livre “empathique”.
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TOME 2 | développements du projet
“J’écrivais des silences, des nuits, je notais l’inexprimable, je fixais des vertiges” Arthur Rimbaud | Une Saison en enfer
TOME 2 | développements du projet
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“Quelquefois, il y a des sympathies si réelles que, se rencontrant pour la première fois, on semble se retrouver.” Alfred de Musset |
01
design éditorial et sympathie
Le nom sympathie vient du latin “sympathia”, luimême dérivé du grec “sumpatheia”, formé de sun “avec, ensemble” et de pathos “ce qu’on ressent”. La conception d’un objet éditorial “sympathique” propose de conditionner le lecteur dans une disposition favorable à l’égard d’un autre, celui qui dit, en traduisant le langage des corps comme communication des affects. Le lecteur est ici en position de récepteur d’un corporéité signifiante. L’élaboration de cet objet veut faire signe d’une corporéité par un espace, un environnement sensible dont les traitements par le volume, la lumière, la texture permettent la signification d’une pluralité d’expériences du corps.
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design éditorial et sympathie
Pudipis alibea sequi volore duciis digendi dis ex eres core alita verum que exceptat et exernatur ? Equatibero bla nulpa perumqui consequo
Pudipis alibea sequi volore duciis digendi dis ex eres core alita verum que exceptat et exernatur ? Equatibero bla nulpa perumqui consequo
Expérimentations éditoriales “les angoisses sont déjà là, comme le poison préparé, elles attendent simplement qu’un peu de temps passe pour pouvoir décemment se déclarer (…) L’angoisse monte, j’en observe la progression.” Roland Barthes | Fragments d’un discours amoureux
Expérimentation éditoriale sur l’expression de l’angoisse. La contamination du texte par une encre qui se propage des lettres. L’encre émerge des mots pour investir le blanc environnant, puis à mesure étouffer la page entière. | Du texte émerge de l’encre qui se propage progressivement sur la page entière.
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| Expérimentations
TOME 2 | développements du projet
TOME 2 | développements du projet
Expérimentations |
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design éditorial et sympathie
Expérimentations éditoriales “il y a une scénographie de l’attente (…) je constate, j’enregistre le retard de l’autre“ Roland Barthes | Fragments d’un discours amoureux
Expérimentation éditoriale sur l’expression de l’attente. Afin que le lecteur éprouve l’attente, il convient de mettre en place des conditions qui lui feront endurer le temps, des circonstances de patience. La page blanche est d’abord immaculée, le restant durant quelques secondes, signe d’une absence ; le texte se déclare en retard, apparaissant progressivement. | Apparition du texte sur la page banche après quelques secondes.
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| Expérimentations
TOME 2 | développements du projet
TOME 2 | développements du projet
Expérimentations |
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design éditorial et sympathie
Expérimentations éditoriales “Tout contact pour l’amoureux, pose la question de la réponse : il est demandé à la peau de répondre” Roland Barthes | Fragments d’un discours amoureux
Les rapports charnels créent du sens et posent de nouvelles questions. Il s’agit d’inscrire le lecteur dans un rapport sensuel avec l’objet relevant d’une nouvelle proximité. Le lecteur, toujours dans un rapport de corps à corps avec l’objet éditorial, est face à une peau, espace d’échange avec l’autre, qu’il touche, manipule, caresse, triture afin d’accéder au texte. | Texte recouvert d’un papier de soie, matière transparente et souple, manipulable.-
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| Expérimentations
TOME 2 | développements du projet
TOME 2 | développements du projet
Expérimentations |
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design éditorial et sympathie
Tout état qui suscite chez le lecteur la métaphore de l’obscurité (affective intellective, existentielle) dans laquelle il se débat ou s’apaise
Tout état qui suscite chez le lecteur la métaphore de l’obscurité (affective intellective, existentielle) dans laquelle il se débat ou s’apaise
Tout état qui suscite chez le lecteur la métaphore de l’obscurité (affective intellective, existentielle) dans laquelle il se débat ou s’apaise
Expérimentations éditoriales “le plus souvent je suis dans l’obscurité même de mon désir; je ne sais ce qu’il veut, le bien luimême m’est un mal, tout retentit, je vis au coup par coup“ “et la nuit était obscure et elle éclairait la nuit“ “obscurcir cette obscurité, voilà la porte de toute merveille“ Roland Barthes | Fragments d’un discours amoureux
Pour parvenir à saisir le texte dans son intégralité le lecteur doit mettre en place un espace nécessaire et distinct, qui dépasse l’objet éditorial afin d’éprouver la nuit dont parle Roland Barthes. C’est donc à l’obscurité que le texte se révélera. Certains indices graphiques de la phrase résident sur le papier exposé à la lumière mais l’ensemble du texte est accessible uniquement à l’ombre. | Encre n’apparaissant qu’a l’ombre.
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| Expérimentations
TOME 2 | développements du projet
TOME 2 | développements du projet
Expérimentations |
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“Le livre nous lit mieux que nous le lisons, il est notre intimité même, la chair de notre chair.” Georges Steiner
02
design éditorial et empathie
L’empathie, du grec ancien signifiant “dans, à l’intérieur“ et “souffrance, ce qui est éprouvé“ désigne la faculté intuitive de se mettre à la place d’autrui, de percevoir ce qu’il ressent et de comprendre ses sentiments tout en conservant une certaine objectivité. Le livre empathique reçoit les signes d’un corps lisant, les absorbe et les manifeste, afin de traduire le langage des corps comme expression d’une expérience de lecture. Un objet qui perçoit les signes d’un corps, et à son tour fait signe et témoigne d’une corporéité à la pluralité d’états.
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design éditorial et empathie
Expérimentations éditoriales Cette conception éditoriale propose une lecture sensible de textes poétiques en faisant de la page un espace de libre interprétation plastique, ouverte à chacun ou confiée à un plasticien pour l’édition originale d’un livre d’artiste. Pour différentes expériences de lectures et d’interventions on envisage plusieurs grammages et plusieurs qualités de papier. | Mise en page qui génère un espace blanc principal
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| Expérimentations
TOME 2 | développements du projet
Expérimentations éditoriales Collection de livres de poche qui libère des espaces dédiés à la réflexion lors de la lecture : les annotations personnelles s’agrègent en marge du texte littéraire pour faire de l’acte de lecture un geste d’écriture. | Mise en page en deux colonnes, dont l’une reste vierge à destination du lecteur.
TOME 2 | développements du projet
Expérimentations |
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design éditorial et empathie
ici en deux
ici en deux
… que tu te déplaces alors ou non
… plage
sur l’enjambée
comme
la hauteur ici reprend
du plus haut
sans qu’ici le vent ait à reprendre souffle moi-même arrêté.
ici en deux
… plage
sur l’enjambée
comme
reprend
… plage
sur l’enjambée
comme
la hauteur ici reprend
du plus haut
sans qu’ici le vent ait à reprendre souffle moi-même arrêté.
ici en deux
… que tu te déplaces alors ou non
la hauteur ici
… que tu te déplaces alors ou non
du plus haut
sans qu’ici le vent ait à reprendre souffle moi-même arrêté.
… que tu te déplaces alors ou non
… plage
sur l’enjambée
comme
la hauteur ici reprend
du plus haut
sans qu’ici le vent ait à reprendre souffle moi-même arrêté.
Expérimentations éditoriales Le livre absorbe les signes de l’oralité et les manifeste à travers une densité de noir variant selon la fluidité d’énonciation, les tonalités de voix, les décibels… Un objet qui reçoit les signes d’un corps lisant et en fait preuve. Pour ce faire on envisage un contenu littéraire nécessitant une lecture à voix haute. | Densité de noir au sein de chaque lettre variant à la lecture à voix haute du texte, un système sensible aux ondes sonores.
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| Expérimentations
TOME 2 | développements du projet
TOME 2 | développements du projet
Expérimentations |
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design éditorial et empathie
Expérimentations éditoriales L’expérience de lecture ne se limite pas simplement de la réception d’un contenu, mais prend en compte de nombreuses autres dimensions dîtes “para-texte”, autour de l’objet livre, qui participe à ce temps de lecture. Cette hypothèse de projet propose la conception d’un objet sensible à son environnement : une mise en page variant selon l’exposition à une lumière naturelle ou artificielle, attestant respectivement d’un environnement extérieur ou intérieur. Au soleil, le texte est plus expansif, occupant un espace vaste, au contraire de la mise en page soumise à un environnement intérieur qui propose un texte plus confiné, dont l’espace est bien défini. | Mise en page et gestion du texte variable selon l’environnement de lecture.
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| Expérimentations
TOME 2 | développements du projet
TOME 2 | développements du projet
Expérimentations |
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design éditorial et empathie
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| Expérimentations
TOME 2 | développements du projet
EXPÉRIMENTATIONS VISUELLES Le corps manipule l’objet et développe un rapport sensuel avec celui-ci. Il convient d’étudier les relations physiques que ces deux corps entretiennent, lors d’une lecture. De quelle manière le corps tient-il le livre, comment tourne-t-il les pages, comment celles-ci fontelles résistance, quel espace est plus souvent sollicité aux dépends d’un autre… Le livre est témoin d’une expérience de lecture singulière prenant en compte les signes du corps. | Les mains imbibées de sable noir on observe le rapport du corps avec le livre dans l’acte de lecture sur deux formats standards A3 et A6
TOME 2 | développements du projet
Expérimentations |
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design éditorial et empathie
Expérimentations éditoriales Afin de manifester la corporéité du lecteur au sein du livre, il convient de concevoir un objet éditorial sensible aux phénomènes physiologiques du corps, eux-même signes d’une corporéité. Les pages du livre seront ici sensibles à la perception du flux sanguin du lecteur par la pression des doigt exercée sur les pages. Ces variations de pressions varient selon la nature des émotions générées par les propriétés d’un texte, par les différents types de littérature, poésie, roman, polar… | Tache de noir apparaissant progressivement sous la pression des doigts sur la page.
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| Expérimentations
TOME 2 | développements du projet
TOME 2 | développements du projet
Expérimentations |
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design éditorial et empathie
Expérimentations éditoriales Dans la poursuite d’une intention d’un objet sensible aux manifestations somatiques du corps lisant, le livre se veut ici faire preuve de la corporéité du lecteur par une réaction à la chaleur ou à la transpiration émise par son corps. Il ne s’agit pas d’intégrer un thermomètre au sein du papier indiquant la température du corps lisant, mais d’énoncer des nuances de chaleur, signe de changements d’états et d’émotions diverses provoqués par la lecture, à travers une opacité du papier qui évolue au toucher. | Opacité du papier variant selon la chaleur émise du corps lecteur.
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| Expérimentations
TOME 2 | développements du projet
TOME 2 | développements du projet
Expérimentations |
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En générant des formes sensibles de corporéité, l’objet éditorial peut susciter de la sympathie (un partage de sentiments et l’établissement de liens affectifs) en permettant d’éprouver une multiplicité d’affects ou permettre une forme d’empathie (capacité de comprendre précisément les sentiments d’autrui tout en conservant une distance affective par rapport à l’autre) en manifestant la corporéité de son lecteur.
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| conclusion tome 2
Les signes de la corporéité, entendue comme la somme des expériences sensibles, participent du processus de communication, comme complément ou substitution de la verbalisation. Cette communication non verbale, ce langage des corps, peut être exploitée graphiquement pour donner au livre une corporéité signifiante. À partir des signes d’un corps introverti ou extraverti, l’objet éditorial peut manifester un sens, en-deçà ou au-delà des mots. Par ailleurs, l’objet éditorial peut graphiquement manifester une corporéité selon un processus de sympathie, quand il transmet des affects, ou un processus d’empathie quand il absorbe et retranscrit des percepts. Cette démarche aboutira à un projet expérimental de création éditoriale, qui manifestera ces potentialités d’expression corporelle de l’objet livre pour une expérience de lecture sensible.
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TOME 2 | conclusion
“Le langage est une peau, je frotte mon langage contre l’autre.” Roland Barthes
TOME 2 | conclusion
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| le design graphique au service du langage des corps tome 3 finalisation dU projet fragments d’un discours amoureux Angèle Fachan 2011 | 2013 Mastère de Design Global, Recherche, Innovation Écoles de Condé | Paris
un projet de fin d'ĂŠtudes dirigĂŠ par Dominique Beccaria et Apolline Torregrosa
Remerciements Je remercie une fois encore Dominique Beccaria et Apolline Torregrosa pour leur disponibilité et leur bienveillance. Je remercie également Marc Perelman pour son inspiration, Solange de Verbizier pour sa collaboration, sa patience et la qualité de nos échanges, et Colombe Dary pour son soutient et sa présence.
| sommaire
tome 3 finalisation de projet
fragments d’un discours amoureux
7
| i ntroduction | intentions du projet | LA manifestation d'une corporeité
8-9
| c hoix du texte | fragments d'un discours amoureux
10 - 11
- fragments d'un discours amoureux 15
| présentation du livre | 01
16 - 17
| comment est fait ce livre
18 - 19
| LES FIGURES
20 - 21
| édition du seuil, collection tel quel
- une ré-édition expérimentale 23
| présentation du projet | 01
24 - 27
| projet graphique & éditorial
28 - 29
| format & volume
30 - 31
| choix de la reliure et de la couverture
32 - 35
| choix des papiers
36 - 38
| choix typographiques
38 - 39
| choix de la composition
40 - 43
| entrées de chapitre
44 - 47
| texte courant
48 - 67
| espaces intermédiaires
68 - 70
| extension
72
| conclusion tome 3
INtroduction
| intentions du projet
la manifestation de la corporéité A l'heure où les modes de représentation du corps renversent les codes figuratifs traditionnels, le design graphique s'engage dans la recherche d'une présence des corps, au-delà de leur image, par sa capacité de traduction d'un langage somatique. Après une démarche de recherches et de réflexion qui nous a mené à explorer les modalités d'expression visuelle du corps, représenté comme objet d'études, d'analyse, de désir, utilisé comme matériau ou support, et les alternatives à ses modes de représentation réducteurs, le projet s'est orienté vers le développement d'une expressivité graphique d'un langage des corps, conduisant à la manifestation d'une corporéité à travers l'objet livre.
| 10
TOME 3 | introduction
La lecture est “mise en jeu du corps, inscription dans un espace, rapport à soi et aux autres. Lire est tant une activité intellectuelle qu'une série de gestes physiques mettant en scène un corps, réel, figuré, qui éprouve cet acte de lire.” Le projet s'engage à exploiter ce rapport physique entre deux corps dans la pratique de la lecture. Cette démarche de travail aboutit à un projet expérimental de création éditoriale d'un objet somatique : le design éditorial comme exploitation des potentialités d'expression de la corporéité par le livre pour permettre que l'expérience de lecture ne soit pas seulement une expérience cognitive de compréhension du texte, mais aussi une expérience sensible qui signifie au delà et en deçà des mots.
“Les paroles, que sont-elles ? Une larme en dira plus.” Roland Barthes | Fragments d'un discours amoureux
TOME 3 | introduction
11 |
| c hoix du texte
"Je puis tout faire avec mon langage, mais non avec mon corps.” Roland Barthes | Fragments d'un discours amoureux
fragments d'un discours amoureux Cette exploitation des potentialités expressives d'une corporéité par l'objet éditorial n'est pas adapté à tous les textes mais s'oriente ici vers la valorisation d'un contenu qui induit une corporéité, des textes chargés en terme d'affect ou d'implication corporelle (poésie, témoignage…), des textes sous-tendus par une dimension charnelle. C'est pourquoi, au terme de ce projet, nous proposons une ré-édition expérimentale de Fragments d'un discours amoureux, de Roland Barthes. Par cet ouvrage, Roland Barthes donne la parole à un sujet, l'amoureux, par le langage : ce texte est la verbalisation d'une corporéité — la corporéité tenant compte des “dimensions sensorielles, motrices, pulsionnelles, imaginaires, et symboliques du corps, permettant alors d’échapper à la vision simpliste d’un corps machine, dénué de toute affectivité et tout juste propre à exécuter sa partition”.
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TOME 3 | introduction
Roland Barthes donne un espace d'expression à la verbalisation amoureuse, induisant alors une corporéité qui mérite d'être valorisée et prise en charge graphiquement. Ce livre est publié en 1977, il est le fruit d'un séminaire sur le discours amoureux animé pendant plus de deux ans à l'École pratique des Hautes études par Roland Barthes, intellectuel engagé, théoricien du structuralisme et du post-structuralisme, essayiste. C'est un livre dit “sans concept, presque sans idée, plus proche du romanesque que du traité des passions” qui déconcerte le public universitaire et intellectuel. Sa spécificité réside dans son caractère indéfinissable : il n'est ni un roman, ni une étude, c'est un livre hors genre qu'on ne peut rattacher à aucune catégorie existante.
TOME 3 | introduction
13 |
fragments d’un discours amoureux
| présentation du livre
comment est fait ce LIVRE En guise de préface, Roland Barthes éprouve la nécessite d'expliquer au lecteur “comment est fait ce livre”. Le livre est composé de fragments, 80 chapitres autonomes et interdépendants : chaque chapitre détermine un état du corps amoureux qui s'incarne et s'exprime dans une figure, singulière ; l'ensemble des chapitres dresse le portrait d'un sujet amoureux, universel. Ces figures sont agencées selon un ordre absolument insignifiant, l’ordre alphabétique, afin de bien faire entendre qu'il ne s'agit pas d'une histoire d'amour, qu'il n'y a pas de construction narrative. Enfin, ce discours amoureux est emprunté à plusieurs univers de références : le fictif et l'imaginaire littéraire, le réel et l'expérience personnelle de l'auteur, se confondent au sein de chaque figure.
| 16
TOME 3 | fragments d'un discours amoureux
Qu'elles soient de l'ordre de l'affect, de la locution, du verbe d'action, de l'état de passivité… l'ensemble que forment les figures est le signe d'une corporéité complexe et instantanée qui entend une multiplicité d'états. L'organisation arbitraire de cette pluralité de figures, qui traduit le caractère instable de leurs manifestations, permet une diversité d’accès au texte. Les références diverses qui se croisent sans cesse renvoient, elles aussi, à une multiplicité de voix, de supports de cette corporéité. Le projet propose d'assumer éditorialement les caractères mouvant et variable, de coexistence et de simultanéité, d'unités et de différences, d'émergence et d'immersion qui donnent vie au texte de Roland Barthes.
“Tout le long de la vie amoureuse, les figures surgissent dans la tête du sujet amoureux sans aucun ordre, car elles dépendent chaque fois d’un hasard.” Roland Barthes | Fragments d'un discours amoureux
TOME 3 | fragments d'un discours amoureux
17 |
| les figures
“On a donc substitué à la description du discours amoureux sa simulation, et l'on a rendu à ce discours amoureux sa personne fondamentale qui est le je, de façon à mettre en scène une énonciation, non une analyse. (…) Les figures se découpent selon qu'on peut reconnaître, dans le discours qui passe, quelque chose qui a été lu, entendu, éprouvé.” Roland Barthes | Fragments d'un discours amoureux
S‘abîmer : Bouffée d'anéantissement qui vient au sujet amoureux, par désespoir ou par comblement. Absence : Tout épisode de langage qui met en scène l‘absence de l‘objet aimé — quelles qu'en soient la cause et la durée — et tend à transformer cette absence en épreuve d'abandon.
Contingences : Menus événements, incidents, traverses, vétilles, mesquineries, futilités, plus de l'existence amoureuse; tout noyau factuel d'un retentissement qui vient traverser la visée du bonheur du sujet amoureux, comme si le hasard intriguait contre lui. Corps : Toute pensée, tout émoi, tout intérêt suscités dans le sujet amoureux par le corps aimé.
Adorable : Impossibilité du sujet amoureux de nommer la spécialité de son désir pour l'être aimé. Affirmation : Envers et contre tout, le sujet affirme l'amour comme valeur.
Déclaration : Propension du sujet amoureux à entretenir abondamment, avec une émotion contenue, l'être aimé, de son amour, de lui, de soi, d'eux : la déclaration ne porte pas sur l'aveu de l'amour, mais sur la forme, infiniment commentée, de la relation amoureuse.
Altération : Production brève, dans le champs amoureux, d'une contre-image de l'objet aimé. Au gré d'incidents infimes ou de traits ténus, le sujet voit la bonne Image soudainement s'altérer et se renverser.
Dédicace : Épisode de langage qui accompagne tout cadeau amoureux, réel ou projeté, et, plus généralement, tout geste, effectif ou intérieur, par lequel le sujet dédie quelque chose à l'être aimé.
Angoisse : Le sujet amoureux, au gré de telle ou telle contingence, se sent emporté par la peur du danger, d'une blessure, d'un abandon, d'un revirement- sentiment qu'il exprime sous le nom d'angoisse.
Démons : Il semble parfois au sujet amoureux, qu'il est possédé par un démon de langage qui le pousse à se blesser lui-même et à s'expulser — selon un mot de Goethe- du paradis que, dans d'autres moments, la relation amoureuse constitue pour lui.
Annulation : Bouffée de langage, au cours de laquelle le sujet en vient à annuler l'objet aimé sous le volume de l'amour lui-même : par une perversion proprement amoureuse, c'est l'amour que le sujet aime non l'objet.
Dépendance : Figure dans laquelle l'opinion voit la condition même du sujet amoureux, asservi à l'objet aimé.
Ascèse : Soit qu'il se sente coupable à l'égard de l'être aimé, soit qu'il veuille l'impressionner en lui représentant son malheur, le sujet amoureux esquisse une conduite ascétique d'autopunition (régime de vie,...)
Dépense : Figure par laquelle le sujet amoureux vise et hésite tout à la fois à placer l'amour dans une économie de la pure dépense, de la perte «pour rien». Déréalité : Sentiment d'absence, retrait de réalité éprouvé par le sujet amoureux, face au monde.
Atopos : L'être aimé est reconnu par le sujet amoureux comme “atopos” (qualification donnée à Socrate par ses interlocuteurs), c'est-à-dire inclassable, d'une originalité sans cesse imprévue.
Drame : Le sujet amoureux ne peut écrire lui-même son roman d'amour. Seule une forme très archaïque pourrait recueillir l'événement qu'il déclame sans pouvoir le raconter.
Attente : Tumulte d'angoisse suscité par l'attente de l'être aimé, au gré de menus retards (rendez-vous,téléphones, lettres, retours).
Écorché : Sensibilité spéciale du sujet amoureux, qui le fait vulnérable, offert à vif aux blessures les plus légères.
Cacher : — Figure délibérative — le sujet amoureux se demande, non pas s'il doit déclarer à l'être aimé qu'il l'aime (ce n'est pas une figure de l'aveu), mais dans quelle mesure il doit lui cacher les “troubles” (les turbulences) de sa passion : ses désirs, ses détresses, ses excès.
Ecrire : Leurres, débats et impasses auxquels donne lieu le désir d' “exprimer” le sentiment amoureux dans une “création” (notamment d'écriture).
Casés : Le sujet amoureux voit tous ceux qui l'entourent “casés”; chacun lui paraissant pourvu d'un petit système pratique et affectif de liaisons contractuelles, dont il se sent exclu, il en éprouve un sentiment ambigu d'envie et de dérision. Catastrophe : Crise violente au cours de laquelle le sujet, éprouvant la situation amoureuse comme une impasse définitive, un piège dont il ne pourra jamais sortir, se voit voué à une destruction totale de lui-même. Circonscrire : Pour réduire son malheur, le sujet met son espoir dans une méthode de contrôle qui lui permettrait de circonscrire les plaisirs que lui donne la relation amoureuse : d'une part, garder ces plaisirs, en profiter pleinement, et, d'autre part, mettre dans une parenthèse d'impensé les larges zones dépressives qui séparent ces plaisirs : “oublier” l'être aimé en dehors des plaisirs qu'il donne. Coeur : Ce mot vaut pour toutes sortes de mouvements et de désirs, mais ce qui est constant, c'est que le cœur se constitue en objet de don, soit méconnu, soit rejeté. Comblement : Le sujet pose, avec obstination, le vœu et la possibilité d'une satisfaction pleine du désir impliqué dans la relation amoureuse et d'une réussite sans faille et comme éternelle de cette relation : image paradisiaque du Souverain Bien, à donner et à recevoir.
Errance : Bien que tout amour soit vécu comme unique et que le sujet repousse l'idée de le répéter plus tard ailleurs, il surprend parfois en lui une sorte de diffusion du désir amoureux; il comprend alors qu'il est voué à errer jusqu'à la mort, d'amour en amour. Etreinte (enlacer) : Le geste de l'étreinte amoureuse semble accomplir, un temps, pour le sujet, le rêve d'union totale avec l'être aimé. Exil : Décidant de renoncer à l'état amoureux, le sujet se voit avec tristesse exilé de son Imaginaire. Fâcheux : Sentiment de menue jalousie qui saisit le sujet amoureux lorsqu'il voit l'intérêt de l'être aimé capté et détourné par des personnes, des objets ou des occupations qui agissent à ses yeux comme autant de rivaux secondaires. Fading : Epreuve douloureuse selon laquelle l'être aimé semble se retirer de tout contact, sans même que cette indifférence énigmatique soit dirigée contre le sujet amoureux ou prononcée au profit de qui que ce soit d'autre, monde ou rival. Fautes : En telle ou telle occasion infime de la vie quotidienne, le sujet croit avoir manqué à être aimé et en éprouve un sentiment de culpabilité. Fête : Le sujet amoureux vit toute rencontre de l'être aimé comme une fête.
Compassion : Le sujet éprouve un sentiment de compassion violente à l'égard de l'objet aimé, chaque fois qu'il le voit, le sent ou le sait malheureux ou menacé, pour telle ou telle raison, extérieure à la relation amoureuse elle-même. Comprendre : Percevant tout d'un coup l'épisode amoureux comme un nœud de raisons inexplicables et de solutions bloquées, le sujet s'écrie : “Je veux comprendre (ce qui m'arrive)!” Conduite : — Figure délibérative — le sujet amoureux se pose avec angoisse des problèmes, le plus souvent futiles, de conduite : devant telle alternative, que faire ? Comment agir ? Connivence : Le sujet s'imagine parlant de l'être aimé avec une personne rivale, et cette image développe bizarrement chez lui un agrément de complicité. Contacts : La figure réfère à tout discours intérieur suscité par un contact furtif avec le corps (et plus précisément la peau) de l'être désiré.
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Fou : Le sujet amoureux est traversé par l'idée qu'il est ou devient fou. Gêne : Scène à plusieurs, dans laquelle l'implicite du rapport amoureux agit comme une contrainte et suscite un embarras collectif qui n'est pas dit. Gradiva : Ce nom, emprunté au livre de Jensen, analysé par Freud, désigne l'image de l'être aimé pour autant qu'il accepte d'entrer un peu dans le délire du sujet amoureux afin de l'aider à s'en sortir. Habit : Tout affect suscité ou entretenu par le vêtement que le sujet a porté lors de la rencontre amoureuse, ou porte dans l'intention de séduire l'être aimé. Identification : Le sujet s'identifie douloureusement à n'importe quelle personne (ou n'importe quel personnage) qui occupe dans la structure amoureuse la même position que lui.
TOME 3 | fragments d'un discours amoureux
Image : Dans le champ amoureux, les blessures les plus vives viennent davantage de ce que l'on voit que de ce que l'on sait.
Regretté : S'imaginant mort, le sujet amoureux voit la vie de l'être aimé continuer comme si de rien n'était.
Inconnaissable : Efforts du sujet amoureux pour comprendre et définir l'être aimé “en soi”, au titre de type caractériel, psychologique ou névrotique, indépendamment des données particulières du rapport amoureux.
Rencontre : La figure réfère au temps heureux qui a immédiatement suivi le premier ravissement, avant que naissent les difficultés du rapport amoureux.
Induction : L'être aimé est désiré parce qu'un autre ou d'autres ont montré au sujet qu'il est désirable : tout spécial qu'il soit, le désir amoureux se découvre par induction. Informateur : Figure amicale qui semble cependant avoir pour rôle constant de blesser le sujet amoureux en lui livrant, comme si de rien n'était, sur l'être aimé, des informations anodines, mais dont l'effet est de déranger l'image que le sujet a de cet être. Insupportable : Le sentiment d'une accumulation des souffrances amoureuses explose dans ce cri “Cela ne peut pas continuer”. Issues : Leurres de solutions, quelles qu'elles soient, qui procurent au sujet amoureux, en dépit de leur caractère souvent catastrophique, un repos passager, manipulation fantasmatique des issues possible de la crise amoureuse. Jalousie : “Sentiment qui naît dans l'amour et qui est produit par la crainte que la personne aimée ne préfère quelque autre” (Littré). je-t-aime : La figure ne réfère pas à la déclaration d'amour, à l'aveu, mais à la profération répétée du cri d'amour. Langueur : Etat subtil du désir amoureux, éprouvé dans son manque, hors de tout vouloir-saisir. Lettre : La figure vise la dialectique particulière de la lettre d'amour, à la fois vide (codée) et expressive (chargée de l'envie de signifier le désir). Loquèle : Ce mot, emprunté à Ignace de Loyola, désigne le flux de paroles à travers lequel le sujet argumente inlassablement dans sa tête les effets d'une blessure ou les conséquences d'une conduite : forme emphatique du “discourir” amoureux. Magie : Consultations magiques, menus rites secrets et actions votives ne sont pas absents de la vie du sujet amoureux, à quelque culture qu'il appartienne. Monstrueux : Le sujet se rend brusquement compte qu'il enserre l'objet aimé dans un réseau de tyrannies : de pitoyable, il se sent devenir monstrueux.
Retentissement : Mode fondamental de la subjectivité amoureuse : un mot, une image retentissent douloureusement dans la conscience affective du sujet. Réveil : Modes divers sous lesquels le sujet amoureux se retrouve, au réveil, réinvesti par le souci de passion. Scène : La figure vise toute “scène” (au sens ménager du terme) comme échange de contestations réciproques. Seul : La figure renvoie, non à ce que peut être la solitude humaine du sujet amoureux, mais à sa solitude “philosophique” , l'amour-passion n'étant pris en charge aujourd'hui par aucun système majeur de pensée (de discours). Signes : Soit qu'il veuille prouver son amour, soit qu'il s'efforce de déchiffrer si l'autre l'aime, le sujet amoureux n'a à sa disposition aucun système de signes sûrs. Souvenir : Remémoration heureuse et/ou déchirante d'un objet, d'un geste, d'une scène liés à l'être aimé, et marquée par l'intrusion de l'imparfait dans la grammaire du discours amoureux. Suicide : Dans le champ amoureux, l'envie de suicide est fréquente : un rien la provoque. Tel : Appelé sans cesse à définir l'objet aimé, et souffrant des incertitudes de cette définition, le sujet amoureux rêve d'une sagesse qui lui ferait prendre l'autre tel qu'il est, exonéré de tout adjectif. Tendresse : Jouissance, mais aussi évaluation inquiétante des gestes tendres de l'objet aimé, dans la mesure où le sujet comprend qu'il n'en a pas le privilège. Union : Rêve d'union totale avec l'être aimé. Vérité : Tout épisode de langage rapporté à la “sensation de vérité” que le sujet amoureux éprouve en pensant à son amour, soit qu'il croie être le seul à voir l'objet aimé “dans sa vérité”, soit qu'il définisse la spécialité de sa propre exigence comme une vérité sur laquelle il ne peut céder. Vouloir-saisir : Comprenant que les difficultés de la relation amoureuse viennent de ce qu'il veut sans cesse s'approprier d'une manière ou d'une autre l'être aimé, le sujet prend la décision d'abandonner dorénavant tout “vouloir-saisir” à son égard.
Mutisme : Le sujet amoureux s'angoisse de ce que l'objet aimé répond parcimonieusement, ou ne répond pas, aux parole (discours ou lettres) qu'il lui adresse. Nuages : Sens et usage de l'assombrissement d'humeur qui saisit le sujet amoureux au gré de circonstances variées. Nuit : Tout état qui suscite chez le sujet la métaphore de l'obscurité (affective, intellective, existentielle) dans laquelle il se débat ou s'apaise. Objets : Tout objet touché par le corps de l'être aimé devient partie de ce corps et le sujet s'y attache passionnément. Obscène : Discréditée par l'opinion moderne, la sentimentalité de l'amour doit être assumée par le sujet amoureux comme une transgression forte, qui le laisse seul et exposé, par un renversement de valeurs, c'est donc cette sentimentalité qui fait aujourd'hui l'obscène de l'amour. Pleurer : Propension particulière du sujet amoureux à pleurer : modes d'apparition et fonction des larmes chez ce sujet. Potin : Blessure éprouvée par le sujet amoureux lorsqu'il constate que l'être aimé est pris dans un “potin“, et entend parler de lui d'une façon commune. Pourquoi : En même temps qu'il se demande obsessionnellement pourquoi il n'est pas aimé, le sujet amoureux vit dans la croyance qu'en fait l'objet aimé l'aime, mais ne le lui dit pas. Ravissement : Épisode réputé initial (mais il peut être reconstruit après coup) au cours duquel le sujet amoureux se trouve “ravi” (capturé et enchanté) par l'image de l'objet aimé (nom populaire : coup de foudre)
TOME 3 | fragments d'un discours amoureux
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| ÉDITION DU SEUIL
édition du seuil, collection tel quel Le livre est publié aux Éditions du Seuil dans la collection Tel quel en 1977. Le format du livre est de 140 mm sur 205 mm. La grille de mise en page est composée en une colonne, avec une marge plus importante à gauche, laissant place à l’inscription des références. La première de couverture de l'ouvrage propose un détail de l’œuvre Tobias et l'Ange, tableau d'Andrea del Verrocchio, réalisé entre 1470 et 1480, détrempe sur bois de 84,4 cm sur 66,2 cm, aujourd'hui conservée à la National Gallery de Londres. L'idée du fragmentaire, déjà présente dans le titre mais aussi dans la composition même de l'ouvrage, apparaît ici par le détail seul de l’œuvre picturale reproduit ici. Ce cadrage du tableau attribué à la première de couverture, se resserre sur deux mains qui se frôlent subrepticement, faisant écho au chapitre du livre “quand mon doigt par mégarde”. Aussi, ce tableau renvoie peut-être à un passage de la bible où Tobias accompagné d'un ange lui dit : “Puis-je encore avoir du bonheur ? Je suis un aveugle, je ne vois plus l’éclat du ciel, je suis plongé dans l’obscurité, comme les morts qui ne contemplent plus la lumière. Je suis un enterré vivant, j’entends la voix des gens sans les voir.” On pourrait ici y voir la voix de l'amoureux en souffrance, isolé du monde réel, comme le présente Roland Barthes.
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TOME 3 | fragments d'un discours amoureux
Mais cette présentation du geste, du contact de la peau, du corps en mouvement… renvoie surtout à l'idée sousjacente de l’œuvre de Roland Barthes qui tend à comprendre le discours amoureux en un sens plus large , tenant compte du langage des gestes, du son d'une voix, de l'expression d'un regard… Le discours amoureux envoie donc des messages de la langue mais aussi du corps. Au chapitre intitulé l'entretien, Roland Barthes écrit : “Le langage est une peau : je frotte mon langage contre l’autre. Comme si j’avais des mots en guise de doigts, ou des doigts au bout de mes mots”. Somme toute, cette édition, dite classique, permet parfaitement d'accéder au texte, par la lecture, tandis que la ré-édition expérimentale proposée, est une valorisation du texte par l'objet, afin de générer une expérience de lecture différente.
TOME 3 | fragments d'un discours amoureux
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une ré-édition expérimentale
| projet graphique & éditorial
“La langue crée les mythes, le corps les authentifie, l'espace les recouvre.” Roch-Gérard Salager | Corps gisant, lisse et nu.
réflexions et conception éditoriales Fragments d'un discours amoureux peut se lire comme la tentative d'une verbalisation de la corporéité qui, dans ce contexte d'un “amoureux qui parle et qui dit”, entend une multitude d'états, d'affects, de pulsions, d'imaginaires, dont les manifestations se veulent imprévisibles. Ces multiples états qui traversent le corps amoureux naissent, se développent, persistent, meurent, resurgissent… se déclarant selon des degrés de limpidité variables. L'un se présente, l'autre s'annule, dans un chaos permanent : ils opèrent des mouvements toujours simultanés, complémentaires ou contradictoires. Dans une intention de manifester, par la matérialité du livre, la corporéité du sujet amoureux, il ne convient pas de proposer un travail d'illustration de ces états du corps, mais de signifier leur coexistence, le mouvement et l'agitation qui résident au sein du discours amoureux, en créant une coïncidence entre la corporéité du livre et la corporéité du texte.
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TOME 3 | une ré-édition expérimentale
L'objet éditorial est l'espace d'expression de la corporéité de l'amoureux, une corporéité sous-tendue, induite par les mots de Roland Barthes, caractérisée par son aspect universel et singulier, variable, confus, compulsif, décousu et excessif. La construction de l'objet respecte l'organisation établie par Roland Barthes avec, en surcroît, une volonté de rompre la continuité du texte par des espaces intermédiaires, seuils entre l'intérieur et l'extérieur du livre. Une fragmentation des fragments qui propose de diversifier les expériences de lecture par une dilatation des accès au texte, plus variés, permettant d’entrer dans le texte par différents biais afin de saisir l’aspect non figé et mouvant des figures du corps.
“Les figures, elles, s'agitent, se heurtent, s'apaisent, reviennent, s'éloignent, sans plus d'ordre qu'un nid de moustique. Le discours amoureux n'est pas dialectique, il tourne comme un calendrier perpétuel, une encyclopédie de la nature affective.” Roland Barthes | Fragments d'un discours amoureux
TOME 3 | une ré-édition expérimentale
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TOME 3 | une ré-édition expérimentale
Le projet consiste à ré-éditer le texte de Roland Barthes en respectant son intégralité et son intégrité. Le travail éditorial ne doit ni altérer ni se substituer au travail d'écriture mais proposer des accès au texte pour générer une expérience de lecture, sensible. Cette démarche de valorisation du texte implique un respect à la fois de son unité et de sa fragmentation, de sa stabilité et de son mouvement, propre à l'expression d'une corporéité.
TOME 3 | une ré-édition expérimentale
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| format & volume
L'objet se définit par un format fermé de 175 mm sur 245 mm : un format permettant un espace d'expression suffisamment vaste tout en conservant des dimensions convenues et accessibles pour un rapport intime à l'objet. Une épaisseur de dos de 55 mm, importante compte tenu du format, annonce la concentration et la densité d'un livre-somme, en contradiction avec la tranche qui révèle son aspect fragmentaire, perceptible à la vue (variations de teintes) et au toucher (différences de grammages de papiers — du 45 au 280 gr).
fragments d’un discours amoureux
ro l a n d b a rt h e s
1ère de couverture — échelle 1/1 | 28
29 |
| Choix de RELIURE & de couverture
La reliure est un dos carré toile noire et papier main Johannot 120 gr, réalisée par Solange de Verbizier. Solange de Verbizier — reliure, dorure — 75, rue Buffon 75005 PARIS
| 30
| c hoix des papiers
La gamme chromatique des papiers est composée de blanc, ivoire et noir : une retenue volontaire de la couleur afin d'éviter ses valeurs symboliques qui risquerait de donner au corps un sens métaphorique. L'utilisation de ses teintes de papiers, associées à une variation de leur texture et de leur grammage, permet de jouer avec la lumière ; immatérielle et perceptible, la lumière est ici un moyen pour dire l'indicible. Cette exploitation des potentialités expressives de la lumière — signifiante par son caractère intangible et mouvant, dont les variations d'intensité sont conditionnées par les gestes de lectures — est également permise par différentes techniques d'impression et de découpe, qui jouent sur les qualités de réflexion et de transparence des papiers.
— BFK rives, blanc, 300 gr, vélin — BFK rives, blanc, 250 gr, vélin — Rivoli, blanc, 160 gr, vélin — ELEMENTA SUPER BLANC, 45 gr — Joahnnot, blanc, 120 gr — rivoli, ivoire, 300 gr, vélin — rivoli, ivoire, 240 gr, vélin — Rivoli, Ivoire, 120 gr, vélin — Curious matter, black, 270 gr , mat — Curious skin, Noir, 270 gr, lisse
“Est-il possible d'écrire le corps en tant que lieu ou l'ombre ni la lumière ne résident ?” Roch-Gérard Salager | Corps gisant, lisse et nu.
| 32
| 34
| c hoix typographiques
Deux choix typographiques principaux ont été opérés, le Baskerville et l'Avenir afin de générer une tension et une rupture dissociant de façon très nette le texte du métatexte (on entend par méta-texte, tout ce qui est “au-delà” du discours amoureux : préface, notes, références…). Le Baskerville (dessiné par John Baskerville en 1750) est une typographie réale au contraste fort entre plein et déliés. C'est un caractère de transition entre une typographie du type Garamond aux caractéristiques chaleureuses et une typographie didone type Bodoni, plus froide et austère. Le Baskerville, très souvent associé au littéraire, assure donc stabilité et sérieux tout en proposant une élégance entière et un confort de lecture certain. L'Avenir est une typographie linéale du 20 ème siècle dessiné par Adrien Frutiger. Ce caractère à l’aspect rationnel, équilibré et simple est alors réservé pour tout ce qui relève du méta-texte.
Baskerville MT — Regular a b c d e f g h i j k lm n o p q r s t u v w x y z A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T U V W X Y Z .
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Avenir Next — Ultra-light a b c d e f g h i j k lm n o p q r s t u v w x y z A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T U V W X Y Z . , ; : ? ! / ( ) - 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9
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| choix DE COMPOSITION
La gestion du texte respecte l'organisation originelle du travail d'écriture de Roland Barthes et l'intégrité du texte. Afin de souligner et de valoriser l'organisation initiale et d'insister sur l’aspect fragmentaire nous opérons un traitement graphique différencié des entrées de chapitre et du texte courant, du texte et du metatexte. Le choix d'une absence de pagination valorise un refus de la narration et de la continuité. De plus, l'insertion d'espaces intermédiaires vient à nouveau fragmenter l'objet, créant des ruptures mais proposant aussi des seuils d'entrée dans le texte. Pour équilibrer la fragmentation de sa composition, l'objet est soutenu dans son intégrité par un vocabulaire formel récurrent : le point. Unité graphique minimale, il est le signe d'une manifestation matérielle et permet une variabilité inépuisable de densité et d'organisation, investissant ou ponctuant l'espace de façon aléatoire ou structuré, en territoire incontrôlé ou maîtrisé en trame : il fait signe de la corporéité.
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| les entrées de chapitre
Chaque entrée de chapitre donne à lire, un titre, une figure et un argument. Un pli à la française sur papier Elementa 45 gr, permet, par sa capacité de transparence, sa souplesse et sa finesse, de construire un principe de grille de composition “en profondeur” et établir différents niveaux d'accès au texte. Une opacité variable s'opère par la mise en page du titre, de la figure et de l'argument sur trois plans distincts, rendant compte des mouvements intérieurs du corps, des états qui s'éveillent et s'épuisent et resurgissent dans un désordre inopiné. Cette discontinuité est d'abord visuelle, par les nuances d'opacité et de limpidité : la vue, primordiale dans la pratique de lecture, est par excellence “le sens qui transcende le dualisme corps-esprit. Elle jette un pont entre le moi et le monde. Elle donne réalité sensible à l'invisible.”
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| Expérimentations
Dans un second temps, c'est par la dimension tactile que l'accès au texte pourra se faire dans son intégralité. Le toucher opère comme un moyen d'éprouver la lecture et de se rapprocher des mots qui pénètrent les corps et l'esprit. Le lecteur rentre en contact avec le sujet corps et dans un rapport charnel avec l'objet éditorial : il rencontre le sujet amoureux. Plusieurs variantes développées à partir de ce principe : différentes dispositions des titres, figures et arguments sur les trois plans. La figure en Avenir 24 pt, et l'argument en Baskerville 18 pt, sont invariablement calés au centre de la surface. Le titre de chapitre en Baskerville 44 pt se meut dans l'étendue de la surface au fil des chapitres. — ELEMENTA SUPER BLANC, 45 gr —
| le texte courant
La gestion du texte courant se fait par une grille de mise en page sur une colonne, placée à l'extérieur de l'objet — petit fond de 65 mm, grand fond de 15 mm —, signe d'une affirmation, d'une déclamation (que Roland Barthes précise nécessaire dans son incipit) qui émane des personnes ou des personnages en références en marge intérieure. Le texte de labeur est en Baskerville 10,5 pt, un interlignage de 11,8 pt. Le texte est justifié avec un espace minimal a 88%, optimal à 100%, maximal à 105% et un interlignage minimal à -3%, optimal à 0% et maximal 5%. La force du corps du texte de labeur associé à un interlignage comparativement plus faible génère un gris typographique plutôt dense, demeurant confortable pour une lecture courante. L'Avenir Next Ultra Light Condensed en capitales offre une stabilité à la composition des références en marge intérieure, sans pour autant entraver la lecture linéaire du texte. Les notes associées aux références sont exportées en fin de chapitre, pour, une fois encore, hiérarchiser l'accès aux informations métatextuelles.
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L'absence de pagination tout au long de l'objet poursuit une volonté d'inciter une errance dans l'acte de lecture. Cependant, Roland Barthes ayant pris soin d'assigner des numéros aux différents paragraphes constituant chaque chapitre afin de dissocier les énoncés entre eux, nous proposons ici de substituer à ces numéros, un système de points permettant de ne pas contaminer la lecture, mais de conserver cette intention de dissociation des paragraphes entre eux. Aussi, ils permettent de renvoyer les références des personnages en marge aux notes de fin de chapitres. La gestion de la Préface et des Tables répond aux mêmes distinctions graphiques et typographiques, renforcées par un choix de papiers différents. — Rivoli, blanc, 160 gr, vélin — — Rivoli, Ivoire, 120 gr, vélin —
| le texte courant
| les espaces intermédiaires
Emprunté au vocabulaire architectural, l'espace intermédiaire est un lieu propice au contact ou à une première rencontre. C'est un espace de transition entre deux sphères, l'espace intime et l'espace public qui assure une “transformation symbolique et matérielle entre continuité et rupture.”
Une mise en jeu primordiale de la matière — gaufrage, découpe, impression ton sur ton — manifeste le corps induit par ces extractions du texte.
Dans cet objet les espaces intermédiaires sont des seuils d’accès au texte : caractérisés par des grammages nettement supérieurs aux entrées de chapitre et au texte courant (entre 240 et 300 gr), ils sont discernables par la tranche du livre, d'abord visuellement, mais aussi et surtout par le toucher.
Ces espaces sont des lieux manifestes d'une corporéité singulière, présente mais non dite par le texte : l'indicible est ici mis en forme pas le design graphique.
L'entrée dans le texte est donc plurielle : ces espaces sont investis par des citations extraites du texte, choisies pour leur portée autonome et la force de la corporéité sousjacente : des fragments de fragments, dont la position dans l'objet n'est pas déterminée par la linéarité de la lecture.
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Les choix typographiques, les compositions sont variables pour une pluralité d'expressivités.
— BFK rives, blanc, 300 gr, vélin — — BFK rives, blanc, 250 gr, vélin — — rivoli, ivoire, 300 gr, vélin — — rivoli, ivoire, 240 gr, vélin — — Curious matter, black, 270 gr , mat — — Curious skin, Noir, 270 gr, lisse —
| extensions
La nature spécifique du texte de Roland Barthes qui traite du vécu amoureux induit un désir de partage et de contact avec l'autre, une rencontre, qui invite à générer des extensions complémentaires à l'objet éditorial, permettant de s'adresser à l'autre, l'être aimé, comme une manière de substituer à la parole un objet graphique, quasi épistolaire, chargé de corporéité. Objet subsidiaire, le texte est dilaté en 80 objets indépendants reprenant les mêmes principes que l'objet initial : chaque chapitre est contenu dans un feuillet, une enveloppe qui donne à voir, à lire sur plusieurs niveaux, le titre du chapitre, la figure et l'argument. Le texte courant, en feuillets non reliés à l'intérieur de ces enveloppes et composé sur une colonne totalement similaire à celle proposé dans l'objet premier, comme une extraction directe, moyen d'échange, de communication avec l'autre.
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| Expérimentations
| conclusion tome 3
Ce projet expérimental a consisté en une exploitation des dimensions corporelles de l'objet éditorial (spatialités et matérialités), de ses interactions avec l'environnement (gestes et lumières) pour construire un langage graphique, visuel et tactile, du mouvement continu, de la profondeur indicible, de la variabilité et de l'unité, de la simplicité et de la complexité, qui signifie la pluralité des états du corps : une corporéité manifeste, induite par ce texte, qui participe d'une lecture sensible, au-delà de la verbalisation.
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