HABITER DIALOGUER COMPOSER PENSER CONSTRUIRE DISLOQUER BRISER RECOMPOSER définir écrire DISTANCER RECONSTRUIRE Décanter
SOMMAIRE 006 INTRODUCTION 009 LA Poésie 010 EN quête d’une définition 012 LA POésie aujourd'hui
015 VERS UNE SPATIALISATION 017 METTRE LA Poésie en matière 020 Entre écriture poétique et écriture spatiale
029 ÉTUDE DES COURANTS Poétiques et mise en dialogue : OUTILS SPATIAUX 030 LE ROMANTISME 054 LE PARNASSE 064 Décadence & modernité 076 Le symbolisme 094 apollinaire & l’esprit nouveau 106 le surréalisme 120 les poètes chrétiens 132 LES CONTEMPORAINS 134 1950 Habiter 144 1960 figurer 154 1970 décanter 162 1980 ARTICULER 170 1990-2000 Déconstruire / Aggraver
178 CONCLUSION ET TRANSITION
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187 BIBLIOGRAPHIE
AVANT-PROPOS
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En tant que créateur, je me nourris de nombreux domaines différents et puise mon inspiration dans diverses disciplines. La poésie étant très présente dans mon quotidien, je me suis interrogée sur les raisons qui me poussaient à en lire et sur les éventuelles influences qu’elle pouvait apporter à mon travail de designer d’espace. Mon désir est de mettre en musique ces deux disciplines. L’une, la poésie, appartenant donc à l’expression littéraire, et l’autre, la création d’espace, au domaine du design. L’intérêt étant de voir ce qu’elles peuvent s’apporter l’une à l’autre. Ainsi, je souhaite travailler ici sur le développement d’un langage spatial poétique. En obser vant et en analysant l’écriture poétique avec le regard d’un créateur d’espace, j’espère caractériser une poétique pouvant être source de création spatiale. Créer alors une poétique spatiale en mettant l’expressivité poétique en parallèle avec l’écriture spatiale. En partant de l’idée que la poésie manque largement de considération dans notre société, il peut être intéressant de l’aborder dans une autre dimension que celles que lui apportent l’écriture, la lecture et l’écoute. Il sera question d’approcher la poésie d’une autre manière que les limites avec laquelle le public l’appréhende aujourd’hui. Le but étant de donner, au public, à voir, à lire et à vivre la poésie différemment et à une autre échelle. Cette entreprise se voudra non exhaustive et à caractère expérimental. Elle aura pour visée d’ouvrir une voie d’expression possible d’un langage spatial poétique sans se vouloir péremptoire ni même absolue. De plus, la poésie étant mouvement continu, il ne peut y avoir de réponse fixe et définitive. Il s’agira de créer une percée dans le domaine de la poésie pour tenter de mettre en matière et de retranscrire ses caractéristiques dans le champ d’application qu’est la conception spatiale.
INTRODUCTION
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Le mode de « résidence » de la littérature le plus commun et le plus familier est le livre. Pourtant l’espace esthétique du littéraire dépasse le cadre strict de la page livresque. La démarche dans ce mémoire consistera à s’intéresser à ce que la poésie peut générer au delà du texte propre afin de devenir un outil, moteur de création pour la création d’espace. Et plus précisément, ce qu’elle peut offrir comme principe et outils à la discipline. La poésie plus que tout autre type d’expression de la langue s’offre à la contemplation. Elle exhibe par sa forme sa poéticité. Elle permet un autre regard sur nous-même et le monde qui nous entoure. Elle met à nu et en lumière le visible pour nous en dire l’invisible. L’écrivain Cocteau définit ainsi la poésie : « l’espace d’un éclair nous voyons un chien, un fiacre, une maison pour la première fois. Voilà le rôle de la poésie. Elle dévoile dans toute la force du terme. Elle montre nue, sous une lumière qui secoue la torpeur, les choses surprenantes qui nous environnent et que nos sens enregistraient machinalement. Mettez un lieu commun en place, nettoyez-le, frottez-le, éclairez-le de telle sorte qu’il frappe avec sa jeunesse et avec la même fraîcheur, le même jet qu’il avait à sa source, vous ferez œuvre de poète. » La poésie est une force qui s’impose à chacun. Si l’on questionne quelqu’un à propos de celle-ci, il parle le plus souvent de sa fulgurance émotionnelle ou de de son pouvoir de révélation. Il serait intéressant de souhaiter de telles qualités pour l’architecture. De plus, la poésie consiste en fait à créer du nouveau avec des mots que nous connaissons et employons plus ou moins couramment. Avec une langue existante, les poètes inventent une nouvelle expressivité. En s’appuyant sur la poésie et ses spécificités, le but de ce mémoire sera aussi de démontrer que la création spatiale peut prendre la même direction. C’est à dire, créer du nouveau en détournant les approches que l’on a habituellement. Constatant que la poésie ne possède pas de place définie dans notre société et qu’elle manque cruellement de considération, il peut être opportun de l’aborder autrement. En lui donnant une dimension supplémentaire par le biais du design et de l’architecture, disciplines ayant plus
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de visibilité dans notre quotidien. Cela permettrait également d’enrichir la conception spatiale en lui donnant du sens dit « poétique ». Il s’agit alors de s’interroger sur les moyens pour y arriver. Il faut déconstruire le langage poétique, le disséquer, l’interpréter pour réussir à créer un langage alternatif qui s’appliquera ici à la création d’espace. Comment créer un espace que l’on pourrait qualifier véritablement de poétique? Comment caractériser une expression spatiale poétique? Ceci pour créer un langage qui permettrait de réaliser des lieux poétiques d’après des principes pré-déterminés et ouvrir sur une nouvelle approche de la conception spatiale. On procédera, dans un premier temps, à définir et à contextualiser la poésie et la conception d’espace ainsi que leur interactivité. Ensuite, le choix se porte sur l’analyse de grands courants poétiques et de leurs caractéristiques. Cette analyse des courants non exhaustive permettra d’observer des concepts et marqueurs récurrents qui pourront être mis en relation avec le design d’espace. Ceci pour déterminer des « outils » de l’écriture spatiale poétique. Et dans un troisième temps, d’après ces « outils », il s’agira de déterminer des principes de création spatiale afin de créer un ou des espaces poétiques et de les expérimenter.
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La poĂŠsie
« On peut dire de la poésie n’importe quoi, pas du poème…/… Le poème seul est définissable : visible, sonore, descriptible, limité / ouvert, défini /inépuisable. » Ray, Revue Incendit n˚21/22.
En quête d’une définition
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La poésie est un objet d’étude qui reste difficile à cerner car en constante mutation. En donner une définition juste est et sera toujours un problème dans le sens où il ne peut y avoir que des effleurements de ce qu’elle est en réalité. Cela étant dit, elle répond à certains critères qui permettent de donner quelques directions de compréhension. Du point de vue de sa forme, elle est un « genre littéraire associé à la versification et soumis à des règles prosodiques particulières, variables selon les cultures et les époques, mais tendant toujours à mettre en valeur le rythme, l’harmonie et les images », d’après le CNRTL. On la qualifie généralement ainsi, selon sa forme, car ouvrir la question du sens est
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une entreprise de bien trop grande envergure. Des essais de la part des intellectuels ou par les poètes eux-mêmes sont faits tout de même afin de mieux la définir et pour toujours mieux la comprendre. La poésie peut se traduire de multiples manières mais les intellectuels s’accordent à penser qu’elle prend sa force dans l’essence même de l’homme. Ainsi, Yves Bonnefoy qualifie la poésie « d’activité sans règle ni cadres de référence » et la définit ainsi : « La poésie, c’est quand on se détourne du discours des concepts parce que des rythmes en nous , montant du fond de nos corps, veulent employer les mots qui semblent promettre, mystérieusement, autre chose que des idées. » La poésie se trouve alors non plus simplement être une simple forme d’expression littéraire mais elle semble portée par des principes plus grands et inhérents à l’homme. Et cela est repris par Mallarmé qui en parle en ces termes : « La poésie est l’expression, par le langage humain ramené à son essentiel, du sens mystérieux des aspects de l’existence: elle doue ainsi d’authenticité notre séjour et constitue la seule tâche spirituelle ». Pour ce qui est de la raison d’être de la poésie, Jean Michel Maulpoix, poète et écrivain, pense que celle-ci réside dans le fait que nous soyons des « créatures parlantes ». Ainsi, une place se serait faite en nous pour accueillir des notions telles que l’Idéal, l’Absolu ou l’Impossible... De nombreuses pensées ont été exprimées sur le sujet. Malgré tout, il faut certainement se résoudre à ce que la poésie soit un objet d’étude difficile à cerner et pratiquement impossible à confondre dans sa totalité. Celle-ci est en mutation incessante à travers l’histoire. Et c’est là d’où vient son mystère et sa force. Elle reste en constante recherche d’ellemême. On ne peut définir la poésie si cela consiste à en déceler l’essence. La poésie moderne est devenue de plus en plus critique sur elle-même et les poètes s’affrontent encore aujourd’hui sur le langage et ses enjeux. Elle se remet en cause afin de savoir ce qu’elle peut et être. Le poète devient son critique et interroge le sens de la poésie et l’écriture. La poésie contemporaine perpétue ces remises en cause même si elle accepte mieux son caractère impalpable. De ce champ de bataille intérieur, on peut observer qu’aujourd’hui, la poésie a du mal à se faire une place dans l’ordre sociétal en général. Même si sa valeur absolue n’est pas remise en question, sa place est, de nos jours, très menacée.
La poésie aujourd’hui
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Le rôle des poètes s’est modifié selon les siècles et selon les mouvements. On leur a accordé plus ou moins de considération au sein des sociétés. Il est clair que de nos jours, les poètes sont très peu diffusés. La connaissance de la poésie se limite en général à ce que l’on enseigne dans le secondaire et la poésie contemporaine n’est que très peu ou pas du tout abordée. La question de son extinction vient à se poser et fait l’objet de nombreux débats. Certes, il existe des prix de poésie comme le Goncourt, mais les médias n’en font pas leur affaire. La poésie a une mauvaise réputation car jugée trop élitiste et même narcissique. Jaques Roubaud, poète contemporain du mouvement l’Oulipo, a écrit un article dans Le Monde diplomatique intitulé « L’obstination de la poésie » en janvier 2010. Dans celui-ci, il évoque la situation économique quasi-inexistante de la poésie « La poésie ne se vend pas donc la poésie n’a plus d’importance. La poésie n’a plus d’importance, donc ne se vend pas ». En effet, la poésie ne représenterait que 0,14% du chiffre d’affaire dans le secteur de l’édition en 2011, tous genres confondus. On l’aura compris, la place de la poésie dans notre société est extrêmement réduite. Cela aussi car malgré l’aura que l’on accorde à la poésie en général, celle-ci est jonchée de stéréotypes et de clichés. Philippe Delaveau, poète contemporain fait part de son constat lors d’un entretien: « Le poète est un être invisible aujourd’hui, pas même une ombre qui traverse la ville. La société française lui ôte tout emploi dans la préoccupation du quotidien – et même de l’exception. (...) La télévision, qui régit tout et distribue les rôles, ne lui accorde plus d’image ni de fonction. La presse écrite non plus. Et le public s’est fatigué de lire des livres qui lui paraissent sans objet.» Il est fait le reproche à la poésie de ne « servir à rien » et celle-ci se retrouve sans cesse à devoir rendre des comptes, s’auto-justifier et répondre à la question de son pourquoi. Son rôle et sa portée ne sont pas reconnus
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dans notre société. Il reste cependant des poètes et des lecteurs ou auditeurs pour la poésie. La poésie ne s’éteint pas mais manque cruellement de communication. Elle est pourtant accessible à tous puisqu’elle parle de l’homme et de son rapport au monde. Malgré cela, elle apparaît comme trop complexe. De plus, pour beaucoup d’intellectuels, le poème concentre l’essence du langage, il est l’élixir et même le cristal de l’expression littéraire. Bonnefoy pense de la poésie qu’ elle est à la littérature ce que la voûte est à l’architecture. Elle est donc un joyau de la langue dont chacun peut profiter mais force est de constater le manque d’intérêt pour celle-ci. Toutefois, actuellement, des efforts sont faits pour tenter de diffuser la poésie. En effet, la création de manifestations comme le Printemps des poètes ou le Festival International de poésie aide à faire davantage connaître la poésie. Des labels « Ville/village en poésie » sont attribués aux villes qui favorisent la diffusion de la poésie en créant des Maisons de poésie et en la mettant à l’honneur au sein de la ville (sur les murs, les colonnes de tramway à Strasbourg par exemple, dans le métro à Paris...). Seulement, même ces manifestations se voulant d’envergure restent trop peu connues et le public ne suit pas. Du moins, pas suffisamment. Il paraît évident, suite à ce triste constat, que la poésie n’est pas assez diffusée et donc très peu accessible. Peut-être est-il temps de lui donner une autre échelle afin de rendre celle-ci plus visible dans notre environnement. Il serait important de lui rendre la place qu’elle mérite et qu’elle soit à portée de tous.
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vers une spatia足 lisation
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Il s’agit dans un premier temps de redéfinir le cadre d’action en rappelant brièvement ce qu’est le design et plus précisément le design d’espace. Concernant le design, il n’y a pas (non plus) une seule et véritable définition. Cette discipline a évolué sans cesse depuis ses origines que l’on peut situer vers 1925, à la fois en Allemagne (W. Gropius et le Bauhaus), aux États-Unis (Frank Lloyd Wright) et en France (Le Corbusier). Elle regroupe de nombreux métiers qui, eux aussi, sont en constante évolution et ne cessent d’être redéfinis. Le mot design utilisé en France actuellement provient de la langue anglaise qui signifiait à l’origine « plan d’un ouvrage d’art ». Mais le mot anglais est lui-même d’origine française, latine, designare. Il provient dwwe dessein et de ses dérivés dessigner ou desseigner qui signifiaient à la fois dessiner, montrer et indiquer. Les notions de dessin et dessein se superposant, le designer a donc pour ambition de montrer une voie par le biais de ses créations. De nos jours, le design peut se définir ainsi afin de rester large et ne pas fermer de portes : c’est une esthétique appliquée à la recherche de formes nouvelles et adaptées à leurs fonctions. Le design d’espace, plus précisément, comprend un vaste champ d’applications mais l’on peut les regrouper sous trois pôles principaux: l’architecture intérieure, l’espace environnemental et l’espace éphémère. Il s’agit de prendre l’espace comme « point de départ » (expression de Valère Novarina, écrivain et peintre français contemporain), de composer et d’aménager un « lieu » défini par une cadre selon et pour la fonction que l’on lui donne. Le designer d’espace doit s’emparer du cadre, choisir une ou plusieurs perspectives pour créer, organiser et faire vivre ce lieu. Il y a de nombreux éléments et enjeux à prendre en compte dans le travail d’un designer d’espace. Mais l’on retiendra sa disposition à concevoir des espaces de toutes sortes et à mettre en matière des idées liées à la fonction du lieu ou à l’ambition qu’il veut lui octroyer.
Mettre la poésie en matière
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Mettre en matière la poésie afin de la dimensionner dans l’espace. L’intérêt de l’entreprise se trouve à la fois dans sa démarche et dans la réception de l’espace une fois conçu. C’est tout d’abord interroger le langage et ses enjeux. Comprendre ce que la poésie a d’absolu et vouloir lui donner une autre échelle que celle de la page et même celle de la voix portée. Créer un espace à partir de l’expression poétique suppose que celui-ci transmet des qualités propres à la poésie. De ressenti tout d’abord. Le visiteur en pénétrant dans cet espace doit ressentir des sensations proches à celles provoquées par la poésie. Ou tout du moins, sentir qu’il s’en approche. D’une autre façon et par d’autres moyens que ceux utilisées dans la poésie. De plus, matérialiser la poésie autrement que par des mots permettra de l’aborder différemment. Une fois mise en espace, elle bénéficiera d’une visibilité plus importante auprès d’un public qui n’est, pour la plupart, pas réceptif à celle-ci car non renseigné. Pour appuyer cette idée, nous pouvons penser à la démarche de Iannis Xenakis. En effet, celui-ci qui était à la fois architecte-ingénieur et compositeur, a, tout au long de sa vie, tenté de lier l’architecture et la musique. Et il a réussi. Dans un premier projet, tout d’abord, alors qu’il était l’un des principaux collaborateurs de Le Corbusier. À la demande de la compagnie Philips, ce dernier propose de créer un Poème électronique pour l’Exposition Universelle de Bruxelles en 1958. C’est un collage de projections et d’ambiances colorées, qui fait un bilan du monde moderne en huit minutes, accompagné d’une musique « concrète » d’Edgar Varèse. Il est abrité dans un grand espace noir dont la conception est confiée à Xenakis. De la forme de bouteille qui avait tout d’abord émergée de l’esprit de Le Corbusier, celle-ci se mua en une poche stomacale. Une bouteille sans façade devint une architecture apte à digérer des visiteurs, et dont le visage offert au public se présentait sous la forme d’une tente
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monumentale, trois pointes en quête d’universalité diverges vers les cieux. Ces trois pointes ont été étudiées par Iannis Xenakis en fonction des ondes sonores de la musique composée par E. Varèse. Ce pavillon est une emblème de la fusion entre la musique et l’architecture. Iannis Xenakis continua à travailler la musique et l’architecture. Il commença à réaliser, à la fin des années 60, des installations de son et de lumière nommées Polytopes. Le mot « polytope » est employé ici dans son sens littéral : il signifie « plusieurs lieux ». Il s’agit en fait d’une superposition de différents espaces : son, lumière, architecture, couleurs. Avec le Diatope, conçu pour l’ouverture du Centre Georges-Pompidou en 1977, Xenakis crée un pavillon nomade vêtu de textile, conçu pour voyager dans le monde entier comme représentant du Centre Georges-Pompidou. Dans cette installation, l’architecture est devenue une partie active de l’ensemble. La structure métallique où sont accrochés les flashes, les miroirs et les lasers, fonctionne comme un grand écran tridimensionnel enveloppant les spectateurs. La couverture, translucide, laisse entrer le son et le froid. Cette « imperfection » fait que le spectateur balance constamment entre l’extérieur et l’intérieur. Il est donc amené à percevoir la simultanéité de son imagination et de la réalité. En contraste avec le Pavillon Philips, le Diatope est ouvert à son environnement. Le changement du préfixe dans le mot l’indique déjà : dia signifie « à travers ». Le Diatope est donc hybride, à mi-chemin entre le réel et le virtuel. Tout comme pour sa musique, le fait de créer en architecture a été pour Xenakis synonyme d’une recherche systématique de la logique inhérente à la forme. Tel un virtuose, Xenakis a réussi à élever des formes abstraites issues de ces recherches musicales aux dimensions d’une véritable architecture, se révélant ainsi le précurseur d’une toute nouvelle conception de la forme. La démarche Iannis Xenakis indique qu’il y a une ouverture dans le domaine spatial qui peut être faite en prenant appui sur d’autres disciplines. Bien sur, d’autres créateurs se sont appuyés sur la musique pour leurs projets. Christian de Portzamparc, par exemple, avec la Cité de la musique(1995) à Paris dira de son bâtiment :« Je l’ai imaginé comme une suite musicale, un ensemble qui se découvre dans les séquences d’un parcours, dans la durée. C’est là, dans cette expérience du mouvement, des enchaînements, des surprises, que l’architecture rejoint la musique. ». Nous pouvons dire que la musique prise dans son sens large peut facilement s’apparenter à la poésie. Il peut s’avérer être intéressant alors de s’interroger sur ce qui lie la poésie et l’expression spatiale.
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Entre écriture poétique et écriture spatiale
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Si la poésie est, comme le dit Pierre-Jean Jouve, « une âme inaugurant une forme », c’est qu’elle peut être à l’origine de la création. On peut penser que le poète, par les mots, « dit le monde » et de cette manière, il les fait accéder à l’être. En effet, Heidegger énonce que la poésie est l’établissement de l’être par le langage. En suivant ce raisonnement, on peut être amené à penser que l’architecture est certainement une fondation de l’être par la matière. Le créateur d’espace poursuit alors le geste du poète. Et pour reprendre les mots de Chateaubriand :« L’architecte bâtit, pour ainsi dire, les idées du poètes et les fait toucher au sens ». Ainsi, de façon intuitive et originelle, la poésie intervient dans le travail des designers d’espace (le terme « architecte » ayant été élargi au domaine du design car, de nos jours, ce sont deux disciplines se veulent complémentaires). La poésie permettrait peut-être alors de mieux comprendre l’architecture. Et il est intéressant de voir ce que la création d’espace peut apporter à la poésie. Pour de nombreux penseurs, les destinées de la poésie et de l’architecture sont profondément liées. Elles tendent l’une vers l’autre. Chacune a la volonté de réaliser le réel par la parole ou par la matière. La poésie guide le créateur dans sa quête d’infini, d’illimité et d’absolu. Elle « aide l’architecte à penser la terre et l’humanité comme une matière et une base, comme une source et une âme, comme une connaissance et une vérité, une chose, comme une objectivité habitée », explique l’architecte Philippe Madec. On notera aussi que le rapport aux sens est très présent à la fois dans la poésie et dans l’expression spatiale. La poésie nécessite au poète une
possession par le corps. Il est un exercice physique que de la ressentir puis de l’écrire. Le poète met également en œuvre des moyens afin de toucher son lecteur et de lui transmettre l’émotion. Les sens du lecteur sont appelés par le poète afin que celui-ci comprenne et vive le poème. Guillevic, poète contemporain, exprime cette qualité sensorielle : « Le Poème est là / Où Celui qui s’y love / En arrive presque / A toucher l’espace ». Il dit encore : « Dire n’est qu’un moyen/ Pour arriver à quelque chose // Qui serait de l’ordre / Plutôt du toucher / (...) / Comme si les mots, les phrases / étaient en nous organes / D’un sixième sens ». Le toucher serait le sens le plus caractéristique. Il est celui qui permet d’appréhender son environnement par le biais de son corps et qui permet une proximité avec le monde. Construire par la matière rejoint alors les mots du poètes. L’expression spatiale et l’expression poétique sont toutes deux, des expériences « d’être-dans-le-monde ». La poésie paraît complémentaire à l’architecture. Et si l’on considère la poésie comme inhérente à l’homme, l’architecture en poursuit le tracé d’une réalisation du réel par la matière. En suivant cette voie poétique, elle sert l’homme en lui offrant des espaces à sa mesure, qu’il peut comprendre par le biais des sens et du sens qu’il veut leur attribuer de par son expérience. L’architecture se veut alors être l’amplification du mouvement de l’écriture poétique. On observe alors que les deux expressions concernées sont déjà rattachées de par leur démarche, leur dessein et leur portée. Certains architectes et designers d’espace ont travaillé sur le lien direct que ces deux disciplines pouvaient avoir entre elles. Ils se servent le plus souvent de la poésie comme inspiration mais elle peut devenir aussi l’objet central de leur intervention. Les exemples qui vont suivre indiquent que la poésie peut être un « outil » pouvant être utilisé spatialement dans différentes perspectives.
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Façade de l’Hôtel Silken Puerta America | Jean Nouvel | Madrid, Espagne | 2005.
Elle peut servir à transmettre un message comme le fait la façade de l’hôtel Puerta America à Madrid réalisée par l’architecte Jean Nouvel. Celle-ci, colorée de bleu, mauve, rouge et jaune, est parsemée de vers traduits en plusieurs langues du célèbre poème « Liberté » , Poésies et vérités, 1942 de Paul Eluard : « Et par le pouvoir d’un mot / Je recommence ma vie / Je suis né pour te connaître / Pour te nommer / Liberté » Cet hôtel, dont l’architecture d’intérieur a été confiée à treize agences de différentes nationalités, souhaite communiquer un message de paix et de liberté. La poésie peut ainsi servir à adresser des messages qui sont compréhensibles par tous.Elle peut aussi être source d’inspiration pour des formes nouvelles et évocatrices. Prenons en exemple, le musée Cocteau à Menton (Alpes-Maritimes) de Rudy Ricciotti. Cet ouvrage de l’architecte est une découpe de béton blanc étalée en de multiples tentacules. C’est un parallélépipède écrasé au sol, d’environ 3000 m2 aux multiples lignes ondulantes. Une masse blanche, presque nacrée qui répond avec réussite aux caractéristiques du milieu dans lequel elle s’inscrit. Ouvert sur la Méditerranée, ce musée est une œuvre ou l’architecte milite en faveur de formes et de surfaces qui créent un territoire nouveau, ouvert, onirique, et en symbiose avec l’environnement immédiat. Inspirée par les multiples facettes du génie de Jean Cocteau qui qualifiait son œuvre d’ « objet difficile à ramasser », l’architecture du musée se veut multiple, morcelée, parfois insaisissable à l’image de la façade extérieure du bâtiment. Pour expliquer ces « tentacules », le concepteur s’exprime: « C’est un écho lointain aux traits déliés des dessins de Cocteau ».
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Musée Cocteau | Rudy Ricciotti | Menton, France | 2011.
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Pour autre exemple, nous pouvons penser à la médiathèque de la ville de Terrasson en Dordogne conçue par l’agence d’architecture Patrick Mauger. S’inspirant du poème de Michel Houellebecq, « La possibilité d’une île », la médiathèque cherche à (re)constituer un paysage. Mais au lieu de rêver d’un «ailleurs» comme dans le roman, l’architecte a imaginé un «ici» différent : une île fictive sur la Vézère, plantée de pins sylvestres, « pour que la place prenne vie et ne soit pas seulement un vide asphalté entre des bâtiments ». Pour le maître d’œuvre, « cette île est devenue réalité. Elle se prolonge et prend forme d’un long ruban qui irrigue le quartier ». Jaillissant du bitume, profitant du sol sableux, des pins s’installent. Une serre moderne d’inox et de verre, s’ouvre aléatoirement sur ce nouveau paysage. Ma vie, ma vie, ma très ancienne Mon premier vœu mal refermé Mon premier amour infirmé, Il a fallu que tu reviennes. Il a fallu que je connaisse Ce que la vie a de meilleur, Quand deux corps jouent de leur bonheur, Et sans fin s’unissent et renaissent. Entré en dépendance entière, Je sais le tremblement de l’être L’hésitation à disparaître, Le soleil qui frappe en lisière. Et l’amour, où tout est facile, Où tout est donné dans l’instant ; Il existe au milieu du temps La possibilité d’une île. Michel Houellebecq, «La Possibilité d’une île», Edition Fayard, 2005.
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Médiathèque | Patrick Mauger Architects | Terrasson, France | 2011.
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Ensuite, la création d’espace peut se faire aussi pour la poésie, pour la mettre en valeur, pour la découvrir sous d’autres perspectives. La poésie peut être traitée en sujet principal par exemple, lors d’une scénographie de spectacle d’expression poétique. Prenons l’exemple du spectacle UrSonata, Cathédrale de misère présenté à la Maison de la Poésie à Paris en mars 2012. UrSonate, ou Sonate in Urlauten (sonate en sons primitifs), a été composée par Kurt Schwitters entre 1922 et 1932. Elle consiste en une organisation écrite de phonèmes, avec des notations en allemand. Aucun tempo, aucune note ou dynamique formelle ne sont indiqués, permettant ainsi au lecteur une grande liberté d’interprétation. Loin d’être une simple nouvelle lecture des UrSonate, cette performance propose, grâce à une mise en scène originale et au traitement de la musique et de la vidéo, une réflexion résonnante et démultipliée, semblable à un grand poème sur le monde. La performance de Steven Schick est soutenue par la la mise en scène de Roland Auzet et par l’aspect électronique créé par Wilfried Wendling. La mise en scène est un environnement d’images abstraites en noir et blanc, en mouvement variant selon les gestes et les intonations de l’interprète. Des écrans doublés de miroirs renvoient parfois aux spectateurs leurs visages et créent des ambiguïtés sur ce qui est vu et à voir. L’interprète, par la présence des miroirs, se retrouve face à ses reflets. Les phonèmes semblent alors être une discussion entre le personnage et ses doubles, évoquant ainsi un tiraillement intérieur. La mise en scène et le traitement de l’espace est très important et apporte une interprétation à la sonate de Kurt Schwitters. Cela permet de l’aborder avec les préoccupations caractéristiques de notre société contemporaine.
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Ursonata - Cathédrale de misère | de Kurt Schwitters, spectacle mis en scène par Roland Auzet | Maison de la Poésie, Paris, France | 2012.
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étude DES COURANTS Poétiques et mise en dialogue : OUTILS SPATIAUX
Le romantisme Définition du mouvement Le romantisme est né en Angleterre et en Allemagne autour de 1795, mais déjà une sensibilité nouvelle s’exprimait avec des œuvres comme les Confessions (1781-88) et les Rêveries d’un promeneur solitaire (1782) de Jean-Jacques Rousseau ou le Werther (1774) de Goethe. Au tout début du 19e siècle, en France, Chateaubriand (1768-1848) et Mme de Staël (17661817) annoncent aussi le romantisme, l’un par son goût pour l’introspection et l’autre par sa curiosité envers la jeune littérature allemande, mais ce n’est que vers 1820 que le courant romantique s’impose en France. Ils veulent une littérature qui se démarque du classicisme tant par sa volonté de renouveler ses sources d’inspiration que par ses aspirations mystiques. À partir de 1827, année où Hugo fonde le salon littéraire Cénacle autour duquel se réunissent Lamartine, Musset, Vigny, Nerval et des peintres comme Delacroix, le romantisme est l’influence dominante de la vie artistique et intellectuelle française.
Esthétique et procédés d’écriture Reste de la tradition classique
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- Formes : Ode, Sonnet , Ballade... Elégie : forme de prédilection. - Tonalité épique - Métaphores et allégories. - Lyrisme mis à l’honneur
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Des sources d’inspiration nouvelles Les poètes revendiquent la liberté et le rôle de l’inspiration. « Tout est sujet » pour Victor Hugo. Thèmes : - Dialogue avec la nature. - Aspiration vers l’infini, le sentiment religieux. - Désir d’évasion : goût du passé, de l’exotisme. - Mélancolie, mal de vivre, passions, spleen. - Le Moi et valorisation de l’individu. Des innovations Le mouvement romantique s’inscrit dans l’invention et non plus dans l’imitation comme les courants précédents. Ils veulent explorer les possibilités des vers pour enrichir l’expressivité de la poésie et pour être au plus proche de la sensibilité humaine. Aloysius Bertrand avec Gaspard de la nuit (1842), invente le poème en prose. Lexique simple et réaliste Le romantisme a deux tendances concernant celui-ci. D’une part, la volonté assumée de simplicité et de réalisme et d’autre part, le recours systématique et désentravé de toute règle à la métaphore et à l’image même incongrues. Rythme ternaire Il fait son apparition avec l’invention du trimètre. Ils délaissent l’alexandrin classique. « J’ai disloqué ce grand niais d’alexandrin » dit Victor Hugo. Cela crée des strophes novatrices. L’alexandrin classique est composé de deux hémistiches séparés par la césure (6+6): « Pour qui sont ces serpents // qui sifflent sur vos têtes » Racine
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Le trimètre romantique (4+4+4) : « Je marcherai//les yeux fixés // sur mes pensées » Victor Hugo « La boue aux pieds//la honte au front// la haine au cœur » Victor Hugo
« Tantôt légers//tantôt boiteux//tantôt pieds nus » Alfred de Musset Multiplication des enjambements Dans la poésie classique, un vers devait contenir une unité complète, à la fois au point de vue du sens et de la syntaxe. Les romantiques vont briser cette règle et faire en sorte que leurs vers débordent les uns sur les autres : c’est ce qu’on appelle un enjambement. Il y a enjambement lorsqu’une partie de la phrase est rejetée au vers suivant ou encore quand l’unité de sens du début du vers ne correspond pas à celui de la fin du vers. Enjambement simple : Mouvement qui se développe, sentiment qui s’amplifie, temps qui s’étire « Et je ne hais rien tant que les contorsions De tous ces grands faiseurs de protestations » Molière, « Le Misanthrope », vers 43-44.
Enjambement avec rejet : Effet de mise en valeur « Et dès lors, je me suis baigné dans le poème De la mer, infusé d’astres et lactescent » Rimbaud , « Le bateau ivre », vers 21-22.
Enjambement avec contre-rejet : Rupture rythmique qui sollicite attention « La Révolution leur criait : - Volontaires, Mourez pour délivrer tous les peuples vos frères ! » Victor Hugo, « A l’obéissance passive », vers 43-44, Les Châtiments.
Enjambement avec rejet et contre-rejet « L’empereur se tourna vers Dieu ; l’homme de gloire Trembla, Napoléon comprit qu’il expiait… » Victor Hugo, « L’Expiation », vers 62-63, Les Châtiments.
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Les romantiques multiplient les coupes, les césures, les rejets et les enjambements de telle sorte que d’une part la « musique » du poème puisse s’entendre indépendamment du discours et d’autre part, que la parole de l’auteur soit libérée de la régularité artificielle imposée par le mètre.
CADRAGES & POINTS DE VUE Les romantiques disloque la structure des poèmes classiques et crée une poésie plus libre. Cela leur permet de mettre des mots porteurs de sens en valeur par le biais des rejets et des contre rejets. Il s’agit mettre en parallèle la volonté de cadrer un paysage, de créer des images lors de la construction d’un espace. On choisit un point de vue qui paraît intéressant, on met en lien l’espace conçu et son environnement. Le travail sur différents niveaux pour créer des points de vue toujours autres, sur de véritables cadrages pour créer une perspective et mettre en avant un aspect de la structure ou du paysage environnant. Toujours dans l’idée de mettre en valeur et de solliciter l’attention du visiteur.
Le soleil s’est couché ce soir dans les nuées. Demain viendra l’orage, et le soir, et la nuit ; Puis l’aube, et ses clartés de vapeurs obstruées ; Puis les nuits, puis les jours, pas du temps qui s’enfuit ! Tous ces jours passeront; ils passeront en foule Sur la face des mers, sur la face des monts, Sur les fleuves d’argent, sur les forêts où roule Comme un hymne confus des morts que nous aimons. Et la face des eaux, et le front des montagnes, Ridés et non vieillis, et les bois toujours verts S’iront rajeunissant ; le fleuve des campagnes Prendra sans cesse aux monts le flot qu’il donne aux mers. Mais moi, sous chaque jour courbant plus bas ma tête, Je passe, et, refroidi sous ce soleil joyeux, Je m’en irai bientôt, au milieu de la fête, Sans que rien manque au monde, immense et radieux ! Victor Hugo, «Les Soleils Couchants», Les Feuilles d’automne, 1831
DONNER LE SENTIMENT DE PERSPECTIVE Prenant pour appui les références proposées, nous pouvons observer que le cadrage est utilisé pour intégrer un paysage naturel à l’espace intérieur. Le concepteur choisit une vue, il découpe le paysage pour composer un tableau mêlant intérieur et extérieur. Il joue de la lumière et des rythmes de percée. Il délimite des cadres et offre différents niveaux de lecture du paysage. Comme dans la poésie romantique, le concepteur fait ici un choix de mise en valeur de tel ou tel élément. Les poètes créent des fenêtres sur l’âme humaine et donnent à voir leur ressenti. De même que le créateur d’espace désire transmettre un ressenti et cherche surtout à provoquer une réaction chez le sujet. Des ressentis tels que la sensation de flottement, d’illimité ou de liberté. Il propose une lecture du détail ou une immersion dans l’environnement. Un cadrage peut être réalisé également pour donner une sensation d’illimité et de continuité de l’espace. Il peut agir House | HTMN : Hiroaki Takada + Masayuki Nakahata | comme une invitation comme dans le travail Nerima-ku, Tokyo, Japan | 2010. des architectes de HTMN dans une maison de particuliers au Japon. La percée, le cadrage, permet d’ouvrir une perspective, de libérer le champ de vision. Ce principe de cadrage peut être traité par des systèmes d’ouverture, de percée et de découpe des surfaces murs, sols ou plafonds. Ou encore être une gestion de l’espace qui délimite une vue bien particulière. Ce jeu de cadrage permet également d’animer une façade ou bien de créer un espace dans un autre comme dans la boutique Heliocosm à Paris réalisée par FREAKS freearchitects. Le principe de cadrage est un parti pris du concepteur qui propose sa propre interprétation du lieu et de son environnement.
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Heliocosm Shop | FREAKS freearchitects | Paris, France | 2011.
Montages réalisés afin d’expérimenter le choix de cadrer tel ou tel paysage. Ouvrir un espace, créer une ouverture agit comme une invitation à découvrir ce qui se passe de l’autre côté.
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Expérimentations sur la découpe linéaire étendue et l’impression de perspective.
CHOISIR LE PAYSAGE ET SON ENTRée Dans ces références, on peut observer que les ouvertures sur le paysage permettent d’animer l’intérieur. Les concepteurs découpent les surfaces lassant apparaître des morceaux du paysage. Ils composent ainsi une vue particulière, comme un tableau. Ils invitent le visiteur à s’approcher, à se déplacer dans l’espace afin de percevoir un autre bout de l’extérieur. Le tableau se compose et se recompose ainsi selon la déambulation du spectateur. Dans la Allandale House, l’habitant est réellement plongé en immersion. Le cadrage est là pour inviter à la contemplation alors que dans le Centre médical de NORD Architects, on est davantage intrigué par ces découpes impromptues. Le paysage est invité à s’immiscer doucement à l’intérieur. ESGE, High School | Ipas | Genolier, Swiss | 2012.
ESGE, High School | Ipas | Genolier, Swiss | 2012.
Allandale House | William O’Brien Jr | Mountain West, USA | 2009-10.
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Healthcare Centre for Cancer Patients | NORD Architects | Copenhagen, Denmark | 2012.
TENDRE VERS L’EXtérieur… Dans la Villa Savoye, Le Corbusier a voulu ouvrir l’intérieur sur l’extérieur. Son emploi de ses fameuses fenêtres en bandeau qui font profiter au visiteur de toute la nature environnante. Tout au long de ses déambulations, le visiteur a une vue sur l’extérieur, qu’il longe en profitant de la vue. Le paysage prolonge l’espace intérieur, les limites semblent inexistantes. L’architecture n’est plus contrainte par la nature mais elle dialogue réellement avec celle-ci. Les poètes romantiques pensaient que la nature était le lieu où le dialogue était possible.
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Villa Savoye | Le Corbusier | Poissy, France | 1929-31.
… ET METTRE EN DIALOGUE Logement | BCO Architekten | Berlin, Allemagne | 2011.
Sur ces façades extérieures, les ouvertures ont un impact fort. Ce sont elles qui produisent un effet de rythme et de variations. Elles font vibrer la façade et matérialisent le passage entre le privé et le public. L’intérieur tend vers l’extérieur et de l’extérieur, l’intérieur se trouve en partie dévoilé. On participe à ce qu’il se passe de l’autre côté qu’importe où l’on soit. Dans le bâtiment de ZON-E Architects, toutes les ouvertures sont similaires et disposées de façon régulière. Dans le logement de BCO Architects, la taille, l’inclinaison et le relief des percées varient et cela crée un désordre qui vient animer la forme simple du bâtiment en matériau unique. L’intérieur est valorisé par ce jeu d’ouvertures et de l’extérieur, le passant est attiré par ces lumières et se sent invité à entrer.
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Logement social pour mineurs | ZON-E Architects | Degana, Spain | 2009.
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RYTHME & Décrochement Avec l’accumulation des enjambements et des rejets, les romantiques créent des décrochements, des décalages. Ils créent un rythme discontinu. Cela leur permet d’exprimer leur ressenti de façons différentes et de toucher lecteur par ces variations rythmiques. Ceci se retrouve dans la création d’espace où la dynamique et le rythme participent pleinement à l’identité du lieu. Il s’agit de provoquer l’oeil et le corps du visiteur pour le guider vers un ressenti particulier lié à l’espace.
« Je marcherai // les yeux fixés // sur mes pensées » Victor Hugo
Il est un air, pour qui je donnerais Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber, Un air très vieux, languissant et funèbre, Qui, pour moi seul, a des charmes secrets. Or, chaque fois que je viens à l’entendre, De deux cent ans mon âme rajeunit : C’est sous Louis treize… Et je crois voir s’étendre Un coteau vert que le couchant jaunit, Puis un château de brique à coins de pierre, Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs, Ceint de grands parcs, avec une rivière Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs. Puis une dame, à sa haute fenêtre, Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens… Que dans une autre existence peut-être, J’ai déjà vue ! - et dont je me souviens ! Gérard de Nerval, «Fantaisie», Odelettes, 1852.
On observe dans la poésie romantique, une multiplication des enjambements : rejet au début du vers suivant d’un ou plusieurs mots indispensables à la compréhension du sens du premier vers. Les vers s’étirent ou bien certains mots employés sont mis en avant selon le style de l’enjambement : simple, avec rejet, avec contre rejet ou encore avec rejet et contre-rejet. C’est une manière de mettre en valeur un terme dans le poème. « L‘empereur se tourna vers Dieu; l’homme de gloire // Trembla ; » Hugo – L’Expiation
« Ma seule étoile est morte, - et mon luth constellé Porte le soleil noir de la Mélancolie ». Nerval - El Desdichado
Le principe de l’enjambement est donc de décrocher un mot ou un groupe de mot afin de le mettre en valeur. Dans la création spatiale, cela peut s’apparenter au fait de décrocher une surface, une forme, une fonction par rapport au reste. Dans cette maison de Tadao Ando, faisant face à la mer, on observe un décalage d’une des pièces. Cela provoque une sensation de flottement. Cette pièce décalée, isolée du reste de la maison est la cuisine. Elle est le lieu de moments partagés lors des repas. Elle prend de cette façon un sens supplémentaire.
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4x4 House | Tadao Ando Architects | Kobe, Japan | 2004.
SUSPENDRE Dans cette maison de Sharon Neuman et Oded Stern Meira, on observe un important jeu de décalage et de décrochement. Une paroi, externe est avancée par rapport à la maison et celle-ci a la forme d’une maison traditionnelle. Elle dissimule la maison blanche blanche et très contemporaine. Une percée est réalisée dans cette paroi d’où s’extrait un «balcon» qui s’avance dans le vide. Ce pont flottant ouvert au premier étage fait office d’auvent pour le dessous de l’entrée et conduit les visiteurs à travers un long intervalle entre la paroi externe et l’entrée principale de la maison. Ce passage suspendu agit comme une invitation à entrer dans la maison. C’est une ouverture exprimant clairement une ouverture sur House N | Sharon Neuman et Oded Stern Meiraz | l’extérieur, suggérant le passage d’un état Yehuda, Israel | 2012. à un autre, passant par plusieurs «couches». Le principe de décrochement peut-être caractérisé aussi par le découpage de surfaces ou volumes. A l’image de la maison conçue par Rythmdesign, découper des parois permet d’ouvrir un espace sur un autre, de créer des juxtapositions afin d’agrandir une pièce et obtenir plusieurs entrées de lumière. Cela permet également de simplifier l’espace visuel en intégrant des séparations faisant parties de l’ensemble structurel : sans rupture. L’espace semble se modéliser de lui-même pour déterminer les espaces de diverses fonctions. Comme si le lieu à vivre était un seul et même volume dans lequel on dissimule ou dévoile les espaces selon les besoins et points de vue. House in Lizuka | Rhythmdesign | Fukuoka, Japan | 2012.
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DISSIMULER ET Dévoiler
De plus, dans la poésie romantique, le rythme ternaire est favorisé de par l’emploi du trimètre (4/4/4). Les poètes préfèrent des vers plus saccadés, plus rythmés qui permettent plus de variations. Dans cette idée, le cadrage et le décrochement sont des moyens dans la création spatiale de signifier un espace plus important, qui mérite une attention particulière. Par le biais de percée ou d’avancée, des rythmes sont créés. Le créateur joue avec les volumes et les ouvertures pour dynamiser une façade ou bien innover dans l’organisation d’un espace.
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Recherches plastiques et graphiques autour de l’idée de décrochements, de différents niveaux à partir d’une même surface. Multiplication des points de vue et mise en rythme des surfaces/volumes.
Dellow Centre | Featherstone Young | London, England | 2012.
Auditorium and convention center for the Zaragoza expo | Nieto Sobejano | Zaragoza, Spain | 2008.
FAIRE APPEL
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Dans les références ci-dessus, nous pouvons constater l’intérêt des façades. Celles-ci sont marquées par trois décrochés permettant un jeu de rythme. C’est par la répétition d’une forme légèrement déclinée en nombre de trois que ces décrochés marquent la ligne des bâtiments. Ils agissent en appel pour marquer l’entrée principale et servent ici d’auvents également. Bien que la manière de procéder est dans ces deux réalisations très différente, nous pouvons considérer leur caractère similaire sur ce point.
ÉVASION ILLIMITÉ INFINI L’on ressent, dans la poésie des romantiques, un mouvement qui s’étire et cela en partie grâce aux enjambements. Un prolongement. De leurs dires, du sentiment qui dure, du mouvement perpétuel lié à leur âme. L’emploi de la ligne courbe pourrait être une réponse formelle. Elle semble se fondre dans son environnement. Des principes comme l’immersion et la contemplation peuvent être travaillés pour caractériser le rôle du paysage chez les romantiques. Le paysage est témoin des sentiments, de leur présence. De plus, les romantiques prennent le Moi pour sujet de prédilection. Ils vont réaliser une exploration de ce Moi intérieur. Cela peut s’apparenter à une quête initiatique. A un parcours.
« Un espace sans limites me paraît être la qualité la plus durable et la plus acceptable et la plus à même de donner vie à l’architecture. » John Lautner
Je vis d’abord sur moi des fantômes étranges Traîner de longs habits ; Je ne sais si c’étaient des femmes ou des anges ! Leurs manteaux m’inondaient avec leurs belles franges De nacre et de rubis. Comme on brise une armure au tranchant d’une lame, Comme un hardi marin Brise le golfe bleu qui se fend sous sa rame, Ainsi leurs robes d’or, en grands sillons de flamme, Brisaient la nuit d’airain ! Ils volaient ! - Mon rideau, vieux spectre en sentinelle, Les regardait passer. Dans leurs yeux de velours éclatait leur prunelle ; J’entendais chuchoter les plumes de leur aile, Qui venaient me froisser. Ils volaient ! - Je voyais leur noire chevelure, Où l’ébène en ruisseaux Pleurait, me caresser de sa longue frôlure ; Pendant que d’un baiser je sentais la brûlure Jusqu’au fond de mes os. Dieu tout-puissant ! j’ai vu les sylphides craintives Qui meurent au soleil ! J’ai vu les beaux pieds nus des nymphes fugitives ! J’ai vu les seins ardents des dryades rétives, Aux cuisses de vermeil ! Alfred de Musset, extrait de «Vision», Poésies posthumes, 1888.
LIGNE GUIDE Le romantisme est caractérisé par le primat donné à l’inspiration que l’on puise dans la nature. La nature qui se trouve être multiple et infinie. On y trouve le réconfort et un lieu propice à la réflexion sur le monde et à l’introspection. La nature est le sujet phare des romantiques. L’usage des enjambements et le lexique employé donnent un sentiment d’étirement, de recherche continue, de ligne qui ne veut être interrompue. Spatialement, la courbe est une ligne à caractère particulier. En effet, celle-ci est une invitation. De par sa forme sinueuse, féminine et se rapprochant de ce qui existe dans la nature, elle est à l’image de la recherche romantique. Elle inspire à la contemplation, l’immersion, la protection, l’évasion ou le parcours. Une forte sensation d’infini la caractérise. House Antero de Quental | Manuel Maia Gomes | Portugal | 2010.
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The Architectual Review - Volume 07 special issue January 1950 | E. Maré.
DISSOUDRE LES LIMITES L’hôtel sur l’île Naoshima conçu par Tadao Ando est une ode à la nature; il a voulu « créer un endroit où l’art, l’architecture et l’environnement naturel peuvent dialoguer entre eux, à l’écart de la vie quotidienne ». Certaines chambres de l’hôtel débouchent sur un lac oval. un couloir étroit de circulation l’enserre. La ligne courbe, infinie puisque refermée sur elle-même, épouse les éléments naturels : l’eau , le ciel et la terre. L’hôtel est totalement immergé dans le paysage. De même que la façade de hauteur minimale se reflète dans l’eau donnant à l’espace une dimension surnaturelle. Le reflet appuie l’idée d’illimité. Pour ce qui est de l’architecture de John Lautner, c’est lui qui la caractérise le mieux : «Un espace sans limite me paraît être la qualité la plus durable et la plus acceptable et la plus à même de donner vie à l’architecture.» Il cherchait clairement à donner la sensation de lieux qui ne finissent jamais, ouverts sur tant d’autres paysages. Il se servit de la ligne courbe dans la plupart de ses réalisations pour ce faire. Dans le cas de l’Elrod House, l’espace est tellement ouvert et tendu vers l’extérieur que l’on ne perçoit plus où se trouvent les limites entre espace privé et public. Le domaine de l’utopie, appartenant à l’imaginaire, est empli de références aux lignes courbes, aux volumes circulaires, absouds de toutes contraintes. Cette ligne courbe est celle qui s’apparente le plus au tracé de la nature,au tracé de la main, au geste libre de création. Le dessin de Claude Parent illustre bien cette idée.
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Dessin | Claude Parent | Publié dans Entrelacs de l’oblique | Édition Le Moniteur | 1981
Hotel The Oval | by Tadao Ando | Naoshima Island, Japan | 1992.
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Elrod House | John Lautner | Palm Springs, Californie, US | 1968.
SUIVRE LE MOUVEMENT La ligne courbe est également très utilisée dans les espaces de circulation pour suivre le mouvement et accentuer la sensation de parcours. Dans le centre commercial de UNSTUDIO, la courbe est usée à outrance, créant un effet optique particulier. Cela évoque la circulation et le mouvement incessant à l’intérieur de ce type de bâtiments commerciaux. La courbe souligne ici la vitesse, l’énergie et le mouvement sans fin. Tea House | Archi-Union Architects | Shangai | 2010. Dans cette maison du thé, la courbe est zénithale et enveloppe l’espace. Elle agit comme un voile protecteur. et semble se prolonger au delà des murs.
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Alesia Museum Visitor Centre | by Bernard Tschumi Architects | Bourgogne, France | 2012.
Galleria Centercity | UNSTUDIO | Cheonan, Corée du Sud | 2011.
« Ce n’est pas l’angle droit qui m’attire, ni la ligne droite, dure, inflexible, créée par l’homme. Ce qui m’attire, c’est la courbe libre et sensuelle, la courbe que je rencontre dans les montagnes de mon pays, dans le cours sinueux de ses fleuves, dans la vague de la mer, dans le corps de la femme préférée. » Oscar Niemeyer
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Recherches plastiques sur le pli et son ombre. Le pli devient ligne et la ligne s’arrondit, se courbe légèrement.
LE PARNASSE Définition du mouvement Dans la mythologie grecque, le Parnasse est la résidence d’Apollon et des neuf muses. En référence à ce lieu sacré, symbole de l’inspiration et de l’accomplissement poétique, un groupe de poètes se baptise du nom « le Parnasse ». En réaction à l’idéologie romantique, les parnassiens vont insister sur le rôle du travail dans le processus de la création poétique. Mené par Théodore de Banville et Théophile Gautier, le mouvement impose une esthétique moderne fondée sur le culte de la perfection formelle et le rejet de l’outrance lyrique. Ils préfèrent le paysages ensoleillés aux ténèbres des romantiques.
Esthétique et procédés d’écriture Recherche de perfection Le Parnasse est marqué par l’obsession de la perfection formelle. Les poètes usent de sonorités éclatantes et de rythmes majestueux afin d’arriver à la forme voulue. Ils maîtrisent parfaitement l’alexandrin qui est le vers le plus harmonieux selon la tradition. Le « je » s’efface pour laisser place à une solennité épique qui invite à la méditation sur l’irréversible et l’éphémère. Un lyrisme tempéré
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Avec ce poème, le poète condamne l’effusion lyrique la considérant comme vulgaire:
|| 1850 1860 ||
Tel qu’un morne animal, meurtri, plein de poussière, La chaîne au cou, hurlant au chaud soleil d’été, Promène qui voudra son cœur ensanglanté Sur ton pavé cynique, ô plèbe carnassière ! Pour mettre un feu stérile en ton œil hébété, Pour mendier ton rire ou ta pitié grossière, Déchire qui voudra la robe de lumière De la pudeur divine et de la volupté. Dans mon orgueil muet, dans ma tombe sans gloire, Dussé-je m’engloutir pour l’éternité noire, Je ne te vendrai pas mon ivresse et mon mal, Je ne livrerai pas ma vie à tes huées, Je ne danserai pas sur ton tréteau banal Avec tes histrions et tes prostituées. Charles Leconte de Lisle, « Les Montreurs », Poèmes barbares, 1862 - 1878.
Il préconise une esthétique de la pudeur et défend une conception aristocratique de la poésie fondée sur le refus de la facilité et l’exaltation du beau. L’espace et le temps Le lyrisme s’efface au profit d’une poésie impersonnelle et descriptive. Elle sonde les mystères d’une nature impavide et fatale. Ils se tournent vers l’exotisme pour évoquer toutes les facettes de cette nature dont le spectacle seul suffit à la méditation. L’intervention n’est pas nécessaire. En plus de l’exotisme, ils s’intéressent à l’histoire et à la mythologie. Banville se réfère à l’antiquité gréco-romaine et Heredia, dans ses Trophées embrasse l’histoire humaine de l’Antiquité aux Temps modernes. Le temple est en ruine au haut du promontoire Et la mort a mêlé, dans ce fauve terrain , Les Déesses de marbre et les Héros d’airain Dont l’herbe solitaire ensevelit la gloire.
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José Maria de Heredia, « L’oubli », Les Trophées, 1893.
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Matériau & MISE EN œuvre Dans le Parnasse, le sujet s’efface au nom de l’objet-poème. L’écriture poétique devient matière. Banville s’exprimera même ainsi : « En art, la forme est Tout ». L’importance est donnée au matériau et à la pratique de celui-ci. Dans l’architecture et le design, la perfection formelle a toujours été une problématique importante. Certains designers se détachent totalement de la fonction pour ne s’occuper que de la forme qui enveloppera cette fonction. Il y a bien sur dans les disciplines du design des enjeux qui sont autres que ceux de la poésie. La poésie Parnassienne doit simplement être belle et un espace ne peut pas l’être car il répond à un besoin précis ou a une vocation propre. Mais la préoccupation formelle a depuis toujours été traitée par les concepteurs d’espace. Le nombre d’or, les canons antiques, les traités d’Alberti, les théories de Pythagore, les cinq principes d’architecture de Le Corbusier ou encore le Modulor sont des recherches menées afin de trouver l’harmonie parfaite. Sans être dans la quête de la forme parfaite, des architectes comme Zaha Hadid ou Rem Koolhaas continuent aujourd’hui la recherche d’une ligne pure. Le traitement de l’espace est très souvent guidé par une recherche d’équilibre, d’harmonie. Les designers cherchent à trouver une composition que l’on ressent comme idéale et entière.
Oui, l’œuvre sort plus belle D’une forme au travail Rebelle, Vers, marbre, onyx, émail. Point de contraintes fausses ! Mais que pour marcher droit Tu chausses, Muse, un cothurne étroit. Fi du rythme commode, Comme un soulier trop grand, Du mode Que tout pied quitte et prend ! Statuaire, repousse L’argile que pétrit Le pouce Quand flotte ailleurs l’esprit : Lutte avec le carrare, Avec le paros dur Et rare, Gardiens du contour pur ; Emprunte à Syracuse Son bronze où fermement S’accuse Le trait fier et charmant ; Théophile Gauthier, extrait de «L’art», émaux et camées, 1832
Le Parnasse, en réaction au Romantisme, rejette le lyrisme pour se concentrer sur l’écriture poétique uniquement. Les poètes prônent le travail et sont en quête de la perfection formelle. Ils désirent créer des poèmes aux proportions parfaites et au rythme régulier. L’écriture est au centre de leur recherche. Ils exploitent ce matériau pour lui donner rigueur et élégance. Nous pouvons nous inspirer de ce principe pour la création spatiale. Il s’agit de se concentrer sur un matériau unique et de le mettre en œuvre pour le valoriser et lui donner toute son importance. La mise en œuvre d’un matériau peut être déterminante dans la perception de l’espace. Dans les références présentes ici, comme l’extension d’un théâtre par Gaëlle Péneau Architectes associés, extension du musée San Telmo ou bien la Quinta de Guedes et De Campos, l’accent est porté sur le traitement du matériau en façade. Le fait que les bâtiments soient couverts d’un seul et même matériau leur confère une identité forte. Le matériau et son traitement unique s’imposent révélant un espace d’une prestance unique. Extension du Théatre 95 | Gaëlle Peneau Architectes | Cergy-Pontoise, France | 2013.
Extension du Musée San Telmo | Nieto Sobejano Arquitectos | Plage de Zuloaga, San Sebastián, Espagne | 2011.
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Quinta do Vallado Winery | Guedes + De Campos | Vilarinho dos Freires, Peso da Régua, Portugal | 2011.
Nous pouvons aussi observer que la lumière a un rôle très important dans l’appréhension de la matière. Dans le crématorium de Franck Architectes situé à Berlin, le béton, matériau très courant, très utilisé et souvent camouflé, est laissé nu. Souvent perçu comme un matériau moins noble que d’autres (bois ou verre), il prend ici une dimension toute autre. Des poteaux fins et monumentaux , en grand nombre, s’élancent vers le ciel et traversent une percée laissant passer la lumière naturelle. Cette architecture de béton, par sa mise en scène, s’impose à celui qui la foule et inspire le respect. Dans le projet de Richard Rogers, on note le puits de lumière résultant de l’assemblage de parois concaves en bois. Ces parois de largeurs variées sont rythmées par des percées circulaires plus ou moins aléatoires, ou de césures linéaires entrecoupées. Cela anime cette élévation de bois qui semble toucher le ciel. La lumière, ici, vient dévoiler les variations de rythme des parois et fait vibrer la texture et la couleur du bois utilisé. Enfin, dans la bibliothèque réalisée par Max Dudler, le travail autour du matériau est particulièrement intéressant. L’architecte propose ici une façade entièrement vitrée. Mais le verre est traité de façon à simuler les spécificités de la pierre comme le marbre. La façade possède alors à la fois la légèreté et la transparence du verre et également, la vibration au niveau des couleurs et des lignes du marbre. Le bâtiment s’intègre ansi parfaitement à son environnement. Il se démarque par sa forme simple et son rythme régulier et pourtant reste discret et élégant. La nuit, la lumière intérieure met en valeur les «marbrures» du verre et donne au bâtiment un côté presque «charnel». Extension du Palais de Justice | Richard Rogers | Bordeaux, France | 2018.
Crématoriumj Schultes + Franck Architectes | Betlin, Allemagne | 2012.
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Bibliothèque de l'université des arts de Folkwang | Max Dudler | Essen, Allemagne | 2012.
Projet du centre des arts vivants | Zaha Hadid | Abu Dhabi | 2018.
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Dans cette quête de perfection, l’architecte Zaha Hadid, elle, prend le parti de la forme. Elle défie les lois techniques pour créer des dynamiques. Ces réalisations semblent se déployer dans l’espace. Cherchant sans cesse à réinventer l’architecture, elle insuffle à ses projets, une énergie presque organique. La recherche de la perfection s’inscrit ici dans le fait de concevoir une architecture «vivante», comme une impulsion. Dans les recherches plastiques ci-contre, l’accent est porté sur le matériau. Le jeu d’ombre et de lumière permet de valoriser le papier malgré l’usage d’une forme très simple. Plusieurs déclinaisons apparaissent de par son exposition. Le blanc du papier de la partie exposée contraste fortement avec la partie ombrée. Le pli et la texture lisse du papier sont mis en valeur de par ce procédé. Dans la seconde expérimentation, la trame du matériau fibreux est interrompue par des percées régulières. Celles-ci permettent ici de faire ressortir la complexité du matériau et d’en ressentir davantage encore les vibrations.
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Recherches plastiques autour de la matière et de son rendu.
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Décadence et Modernité Définition du mouvement Après un contexte de guerre ( La Commune et la guerre de 1870), une véritable révolution s’opère de façon anarchique dans une série d’entreprises individuelles qui libéreront la poésie. C’est davantage une tendance qu’un mouvement. C’est une sensibilité qui née aussi en réaction violente au Parnasse. Certains parodient même ce dernier. Les poètes de cette période exprimeront un désir de liberté et un besoin de renouveau. Deux groupes peuvent être distingués : Les « Zutiques » (1871-1872) dont les poètes sont Charles Cros, Germain Nouveau, Verlaine et Rimbaud. Et ceux qui seront davantage ancrés dans la décadence : Tristan Corbière, Lautréamont et Laforgue. Mais les deux groupes auront des similitudes et donneront le ton à cette tendance de fin de siècle.
Esthétique et procédés d’écriture
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Dans une recherche harmonieuse d’une discordance, ils malmèneront la syntaxe pour privilégier l’expression brute de la subjectivité. On observe un aspect chaotique par démantèlement de la versification ou l’emploi de vers libres insolites. Les poètes vont pratiquer une rhétorique de l’excès, employer avec violence le langage et utiliser des exclamations incongrues. Ils privilégient le détail à la composition. Et aussi suggèrent le sentiment par l’expression de sensations mêlées.
|| 1870 1880 ||
Parfums sinistres ! Qu’est-ce que c’est ? Quoi bruissait Comme des sistres ? Sites brutaux ! Oh ! votre haleine, Sueur humaine, Cris des métaux ! Verlaine, extrait du poème « Charleroi », Romances sans paroles.
Il y a chez les poètes de la décadence une fascination pour la mort, la décomposition, les perversions sexuelles et les outrances langagières. Des images prosaïques vont venir soutenir ces thèmes. De plus, ils usent de la farce avec un ton emprunt de dérision et de pessimisme. Les oiseaux croque-morts Ont donc peur à mon corps Mon Golgotha n’est pas fini Lamma lamma sabacthani Colombes de la Mort Soiffez après mon corps Rouge comme un sabord La plaie est sur le bord Comme la gencive bavant D’une vieille qui rit sans dent La plaie est sur le bord Rouge comme un sabord
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Tristan Corbière, « Cris d’aveugle », Les Amours jaunes, 1873.
Le romantisme // 1820-1850 Définition du mouvement Le romantisme est né en Angleterre et en Allemagne autour de 1795, mais déjà une sensibilité nouvelle s’exprimait avec des œuvres comme les Confessions (1781-88) et les Rêveries d’un promeneur solitaire (1782) de Jean-Jacques Rousseau ou le Werther (1774) de Goethe. Au tout début du 19e siècle, en France, Chateaubriand (1768-1848) et Mme de Staël (17661817) annoncent aussi le romantisme, l’un par son goût pour l’introspection et l’autre par sa curiosité envers la jeune littérature allemande, mais ce n’est que vers 1820 que le courant romantique s’impose en France. Ils veulent une littérature qui se démarque du classicisme tant par sa volonté de renouveler ses sources d’inspiration que par ses aspirations mystiques. À partir de 1827, année où Hugo fonde le salon littéraire Cénacle autour duquel se réunissent Lamartine, Musset, Vigny, Nerval et des peintres comme Delacroix, le romantisme est l’influence dominante de la vie artistique et intellectuelle française.
Esthétique et procédés d’écriture Reste de la tradition classique
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- Formes : Ode, Sonnet , Ballade... Elégie : forme de prédilection. - Tonalité épique - Métaphores et allégories. - Lyrisme mis à l’honneur
|| 1850 1860 ||
DISLOCATION & CHAOS & ENTRECHOCS Cette sensibilité de la fin du XIXe siècle appelée «Décadence et Modernité» est marquée par un profond rejet de ce qui a été fait précédemment et notamment du Parnasse. Les poètes vont malmener et brutaliser le langage. Ils vont disloquer les règles formelles, user de la rhétorique de l’excès et parsemer leur poésie d’images incongrues. On observe une esthétique du chaos et du désordre; Des brèches viennent cisailler les surfaces, les structures éclatent, les formes se décomposent, les angles sont de plus en plus confus, les parois se déséquilibrent, les espaces se recroquevillent ou se dispersent... La conception intervient par la dislocation du langage de création. On démultiplie une forme, on la sectionne, on réassemble les sections dans le désordre. Un rythme violent et saccadé est perçu. L’espace se vit par morceaux, par étapes. On pose un regard différent sur la structure, l’organisation de l’espace. Ce mode de création permet de découvrir de par l’aléatoire, d’autres formes, et de créer une atmosphère particulière. Une fragilité peut être exprimée de par le fait de malmener les formes et les matériaux.
Je ne suis qu’un viveur lunaire Qui fait des ronds dans les bassins, Et cela, sans autre dessein Que devenir un légendaire. Retroussant d’un air de défi Mes manches de mandarin pâle, J’arrondis ma bouche et - j’exhale Des conseils doux de Crucifix. Ah ! oui, devenir légendaire, Au seuil des siècles charlatans ! Mais où sont les Lunes d’antan ? Et que Dieu n’est-il à refaire ? Laforgue, « Complainte du pauvre jeune homme », Les Complaintes, 1885.
Le principe de désordre peut se caractériser par l’intersection de plusieurs lignes droites ; elles viennent se briser les unes et les autres. On obtient un effet de chaos comme sur la façade du musée Juif de Berlin. Les brèches créées dans la surface apparaissent comme des blessures violentes issu d’un désordre passé mais qui Vidéo Royal Cabinets/Re-Formation | Paul Nicholls | a laissé des cicatrices à jamais ouvertes. 2010. L’entremêlement de lignes dans l’installation de Xavier Lavergne est aussi évocateur de désordre. La vidéo de Paul Nicholls qui a pour objet l’explosion d’une tour, montre que la projection, l’accumulation et la démultiplication sont des moyens clés afin d’exprimer l’idée de chaos.
Musée Juif | Daniel Libeskind | Berlin, Allemagne | 1993-1998.
Xavier Lavergne |
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Recherches graphiques autour du démantèlement d’un volume et de la multiplication d’une forme. On observe que l’on obtient , par un principe d’assemblage, des formes qui se déploient dans l’espace avec ampleur.
L’idée de chaos et de désordre peut être exprimée par une accumulation de plusieurs éléments. Dans le logement construit par PLOT Architectes, les balcons sont de formes triangulaires pointent vers l’extérieur. Ces balcons sont disposés de façon anarchique semble-t-il. Les orientations des extrémités divergent, ce qui provoque cet effet de dislocation. La bâtiment se trouvent affublé de «piquants» qui poussent de la façade pour s’étirer dans toutes les directions extérieures. VM Husene - residential building | BIG + JDS = On observe que les PLOT Architects | Copenhagen, Denmark | 2005. balcons semblent s’entrechoquer et se juxtaposer dans un désordre total et cela crée une façade animée à la dynamique nouvelle.
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|| Recherches plastiques sur la découpe puis la recomposition d’une image. On agrandit ou rétrécit les surfaces. L’image varie de par ses lignes entrecoupées, raccourcies ou rallongées.
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Le fait de tordre, de déformer une surface, un volume inspire le désordre. L’architecture de Franck Gehry, très libre et plastique, semble «vivante», déterminée par ses propres mouvements. Dans le MIT building, la façade paraît se débattre et les volumes s’entrechoquent. Elle est en trois dimensions et les volumes s’emboîtent dans un désordre semblant en mouvance constante. La sensation de dislocation peut également se manifester par des volumes montés de façon différentes comme pour le musée de SLA où les volumes sont superposés et sont orientés différemment. Cela provoque un désordre qui vient animer la structure du bâtiment. Musée national du verre | SLA | Leerdam, Hollande | 2011.
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MIT building | Frank Gehry | Cambridge, Massachusetts, USA | 2004.
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Expérimentation autour de la déformation d’une image ou d’une surface par le pli. L’image se recompose différemment au fur et a mesure des mutations exercées.
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Recherches plastiques autour de la dislocation. On observe des variations de surfaces qui changent la perception de l’espace. Il y a un jeu de plein et de vide et au fur et à mesure que l’on change l’emplacement des éléments pré-découpés.
Le symbolisme Définition du mouvement Le mouvement est né en France vers 1880 dans la jeunesse littéraire et artistique, en réaction au moralisme, au rationalisme et au productivisme de l’ère industrielle. C’est le Manifeste du Symbolisme publié par Jean Moréas en 1886, dans le Figaro, qui est considéré comme l’acte de naissance du mouvement et il reconnaît en Mallarmé un maître à penser. Autour de Mallarmé gravitent les poètes Henri de Régnier, Francis Viélé-Griffin, René Ghil... Le symbolisme se veut être un art qui serait ennemi de la déclamation, de l’enseignement et de la fausse sensibilité. La poésie doit désormais suggérer plutôt que décrire. Le symbole, pour ces poètes, se confond avec l’acte même de l’écriture. Il est une mise en action d’une dynamique associative qui stimule l’élan créateur du poète et l’imagination du lecteur. On parle de la poétique de la Suggestion. Le fameux sonnet de Baudelaire « Correspondances » constituera pour les symbolistes, une véritable référence. Si la « nature est un temple », le poète est seul capable d’en déchiffrer les clés de ces correspondances. La Nature est un temple où de vivants piliers Laissent parfois sortir de confuses paroles; L’homme y passe à travers des forêts de symboles Qui l’observent avec des regards familiers. Comme de longs échos qui de loin se confondent Dans une ténébreuse et profonde unité, Vaste comme la nuit et comme la clarté, Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.
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II est des parfums frais comme des chairs d’enfants, Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
|| 1885 1900 ||
- Et d’autres, corrompus, riches et triomphants, Ayant l’expansion des choses infinies, Comme l’ambre, le musc, le benjoin et l’encens, Qui chantent les transports de l’esprit et des sens. Charles Baudelaire, « Correspondances », Les Fleurs du mal, 1857.
Esthétique du mouvement Le Symbolisme prend pour thèmes la mythologie, les légendes médiévales et les textes bibliques. Les poètes accordent la subjectivité à la connaissance et leur poésie apparaît élitiste car elle présente l’abstraction que le lecteur doit déchiffrer. La poésie ne doit pas dire la réalité mais en donner un symbole. C’est à dire, par les moyens de la poésie, susciter une impression analogue à celle produite par la réalité.
Procédés d’écriture et innovations Ruptures Les poètes symbolistes cherchent à créer des ruptures et rythmes différents. Ils défendent le vers libre, ont recours au vers impair et à la poésie en prose. Ceci crée un rythme plus souple qui soutient leur recherche de musicalité. Ils vont user systématiquement de l’anacoluthe qui est une rupture de la cohésion syntaxique. Une rupture formelle plus importante va s’opérer avec l’arrivée des calligrammes. La poésie sera la transcription spatiale et graphique de fulgurances psychiques.
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Le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui Va-t-il nous déchirer avec un coup d’aile ivre
Ce lac dur oublié que hante sous le givre Le transparent glacier des vols qui n’ont pas fui ! Un cygne d’autrefois se souvient que c’est lui Magnifique mais qui sans espoir se délivre Pour n’avoir pas chanté la région où vivre Quand du stérile hiver a resplendi l’ennui. Tout son col secouera cette blanche agonie Par l’espace infligée à l’oiseau qui le nie, Mais non l’horreur du sol où le plumage est pris. Fantôme qu’à ce lieu son pur éclat assigne, Il s’immobilise au songe froid de mépris Que vêt parmi l’exil inutile le Cygne. Mallarmé, « Le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui ... », Poésies.
Recherche d’une certaine préciosité Les poètes pensent que l’usage de mots rares et de métaphores raffinées permettent de renouveler la langue poétique. Ils vont aussi agrémenter leur poésie d’images par le biais de correspondances et de synesthésies. La correspondance horizontale est une analogie entre une ou plusieurs perceptions sensorielles. Par exemple : « Doux comme les hautbois, verts comme les prairies » (Charles Baudelaire, « Correspondances », Les Fleurs du mal).
La correspondance verticale est une analogie entre le monde sensible et un autre monde poétique. Pour exemple, voir premier quatrain et dernier tercet du poème « Correspondances » de Baudelaire.
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Pour ce qui est de la synesthésie, c’est une expérience subjective dans laquelle des perceptions relevant d’une modalité sensorielle sont accompagnées de sensations relevant d’une autre (on parlera ainsi d’audition colorée). Voici des exemples dans la poésie de Rimbaud : « Il sonne une cloche de feu rose dans les nuages » (Illuminations, « Phrases »)
« La lune brûle et hurle » (Illuminations, « Villes I ») « Des cercles de musique sourde » (Illuminations, « Being Beauteous ») « parfums pourpres du soleil des pôles » (Illuminations, « Métropolitain ») A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles, Je dirai quelque jour vos naissances latentes : A, noir corset velu des mouches éclatantes Qui bombinent autour des puanteurs cruelles, Golfes d’ombre ; E, candeur des vapeurs et des tentes, Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d’ombelles ; I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles Dans la colère ou les ivresses pénitentes ; U, cycles, vibrements divins des mers virides, Paix des pâtis semés d’animaux, paix des rides Que l’alchimie imprime aux grands fronts studieux ; O, suprême Clairon plein des strideurs étranges, Silence traversés des Mondes et des Anges : - O l’Oméga, rayon violet de Ses Yeux ! Arthur Rimbaud, «Voyelles», Poésie, 1870.
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Ici, le poète joue avec les mots, les lettres, les couleurs et les sons (bombinent, rire, colère, vibrements, strideurs) en un tableau très coloré déjà précurseur des Illuminations. Les voyelles deviennent des objets avec lesquels on peut s’amuser et qui portent en elles leurs propres réalités, sens et couleurs (naissances latentes). Les couleurs ont une valeur symbolique. Pour le noir, la cruauté, la nuit (puanteur cruelle, golfes d’ombre) ; pour le blanc, la fierté, la pureté, la légèreté ; pour le rouge, le sang, les lèvres, la colère, les excès ; pour le vert, la sérenité et la paix ; pour le bleu, évocation religieuse des cieux (suprême clairon, anges). Et il passe au violet pour l’évocation des yeux de La Femme.
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SYNESTHESIES & CORRES PONDANCES La synesthésie est un terme issu du grec « sunaisthêsis » signifiant « perception simultanée ». On pratique la synesthésie lorsqu’on fait appel, pour définir une perception, à un terme normalement réservé à des sensations d’ordre différent. Par exemple, lorsqu’on qualifie certains sons (perception auditive) de perçants, ou d’aigus(sensations d’ordre tactile). Ou encore, lorsqu’on parle d’une couleur (sens de la vue) criarde (sens de l’ouïe) ou froide (sens du toucher). Au-delà de ces usages répandus dans la langue courante, les écrivains utilisent souvent la synesthésie pour parvenir à exprimer des nuances d’impressions ou de sentiments. Baudelaire, dans son sonnet Correspondances, confère à cette figure de style une portée métaphysique. Il y décèle la preuve de l’unité de la Création et de l’analogie secrète entre toutes les choses. Le poète, mieux que tout autre, sait percer la signification de cette « forêt de symboles » qu’est le monde sensible et en percevoir la « ténébreuse et profonde unité ». L’appel des sens peut être très intéressant à exploiter lors de la conception d’un espace. On peut utiliser le son, la couleur, la lumière et créer ainsi des analogies et des juxtapositions de sens où l’une est l’expression de l’autre. Cela permet d’interpeller le visiteur et de faire vibrer l’espace. Elles permettent d’enrichir le vocabulaire spatial et offrent de nouvelles possibilités dans la perception d’un espace. Les correspondances sont des moyens de lecture supplémentaires d’un espace. Un sens en appelle un autre et le vécu de l’espace se trouve intensifié.
Du détroit d’indigo aux mers d’Ossian, sur le sable rose et orange qu’a lavé le ciel vineux viennent de monter et de se croiser des boulevards de cristal habités incontinent par de jeunes familles pauvres qui s’alimentent chez les fruitiers. Rien de riche. — La ville ! Du désert de bitume fuient droit en déroute avec les nappes de brumes échelonnées en bandes affreuses au ciel qui se recourbe, se recule et descend, formé de la plus sinistre fumée noire que puisse faire l’Océan en deuil, les casques, les roues, les barques, les croupes. — La bataille ! Lève la tête : ce pont de bois, arqué ; les derniers potagers de Samarie ; ces masques enluminés sous la lanterne fouettée par la nuit froide ; l’ondine niaise à la robe bruyante, au bas de la rivière : les crânes lumineux dans les plans de pois — et les autres fantasmagories — La campagne. Des routes bordées de grilles et de murs, contenant à peine leurs bosquets, et les atroces fleurs qu’on appellerait cœurs et sœurs, Damas damnant de longueur, — possessions de féeriques aristocraties ultra-Rhénanes, Japonaises, Guaranies, propres encore à recevoir la musique des anciens — et il y a des auberges qui pour toujours n’ouvrent déjà plus — il y a des princesses, et si tu n’es pas trop accablé, l’étude des astres — Le ciel. Le matin où avec Elle, vous vous débattîtes parmi les éclats de neige, les lèvres vertes, les glaces, les drapeaux noirs et les rayons bleus, et les parfums pourpres du soleil des pôles, — ta force. Arthur Rimbaud, «Metrpolitain», Illuminations, 1886.
« Je croyais entendre la clarté de la lune chanter dans les bois » Chateaubriand, Les Mémoires d’Outre-Tombe, 1841.
L’artiste peintre Wassily Kandinsky était synesthète et affirmait qu’il pouvait associer les couleurs à des instruments précis : jaune pour la trompette, orange pour l’alto, rouge pour le tuba, etc. Dans nombre de ses œuvres, il a cherché à exprimer les intimes relations qu’il percevait entre couleurs et sons: “Je voyais en esprit toutes mes couleurs, elles se tenaient devant moi”. Le peintre Charles Blanc-Gatti avait également le don de synopsie et était qualifié de « peintre des sons ». Il fonda en 1932, avec Valensi, Bourgogne et Stracquadaini, le groupe des « artistes musicalistes ». Ses tableaux portent souvent le nom d’œuvres musicales : Rêve d’amour de Liszt, Sheherazade de Rimsky-Korsakoff, Adagio de la Sonate au Clair de lune de Beethoven, etc. Dépassant le cadre de la peinture, sa démarche « synesthésique » le conduit à des réalisations dans les domaines scénique, publicitaire et cinématographique. En particulier, il réalisa en 1939 un film, Chromophony, dans lequel il appliqua ses théories, à partir d’une de ses toiles, intitulée L’Orchestre, en ayant choisi comme musique L’Entrée des gladiateurs de Julius Fucik. D’autres peintres encore font référence à la musique dans leurs œuvres comme Frantisek Kupka, Georges Braque, August Macke et Paul Klee.
« L’essence originelle de la couleur est une résonance de rêve, une lumière devenue musique » Johannes Itten
L’orchestre | Charles Blanc-Gatti | 1938.
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Composition VIII | Wassily Kandinsky | 1923.
Les correspondances entre des sensations peut se matérialiser de différentes manières. Dans ses installations chromatiques, Carlos Cruz Diez modifie totalement l’espace par un jeu de lumières colorées. La Chromosaturation est une ambiance artificielle composée par trois chambres de couleur, une rouge,une verte et une bleue, qui submergent le visiteur dans une situation monochrome absolue. Cette expérience est à l’origine de perturbations dans la rétine, habituée à percevoir simultanément d’amples gammes de couleur. La Chromosaturation peut agir Installation «Cave in a dream» comme déclenchement en activant chez le | Onishimaki + Hyakudayuki | 2012. spectateur la notion de la couleur en tant que situation matérielle, physique, qui a lieu dans l’espace sans l’aide de la forme et même sans aucun support, indépendamment des conventions culturelles. La lumière sur les surfaces interpelle: estce matériel ou est-ce un effet d’optique? La lumière devient matière et le visiteur a envie de toucher cette lumière. Dans l’installation «Cave in a dream», le duo de jeunes architectes Onishimaki + Hyakudayuki suggère une caverne calcaire. Deux matières contrastées, une lisse et douce, une rugueuse et minérale, se rejoignent et créent une installation organique. Les deux matériaux tendent l’un vers l’autre et l’espace semble en mouvement. Ces qualités opposées entrent en rivalité directe à certains endroits et à d’autres, elles atteignent une coexistence où elles s’érodent l’une et l’autre. Les formes Les sens, comme la vision ou le toucher du visiteur sont interpellés. On observe que les deux matières sont en tension et dialoguent entre elles. Des ressentis différents qui pourtant correspondent.
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Installation Chromo-Saturation | Carlos Cruz Diez | 2000 - 2009.
SUGGESTION & SYMBOLE Il s’agit de s’intéresser à la place du symbole dans la création d’espace. L’architecture et la conception d’espace en général peuvent offrir un panel de signes qui renvoient à des éléments pré-connus. La suggestion peut être mise à l’épreuve dans l’organisation de l’espace, dans un détail ou bien dans son aspect d’ensemble. Et la suggestion apparaît comme un pouvoir conférant une «aura» supplémentaire à l’espace. Il s’agit de déchiffrer l’espace pour le vivre pleinement et le comprendre. Pour Hegel, l’architecture est un art à condition d’être langage. Seule l’architecture dite autonome peut constituer un tel langage architectural. Par architecture autonome, Hegel entend l’architecture qui se différencie des constructions étroitement impliquées dans la satisfaction de besoins pratiques comme, par exemple, servir d’habitation, comme dans le cas des premiers temples, à des Dieux. L’architecture devient art à partir du moment où, autonome, elle est capable de communiquer certaines représentations. Elle est donc art à faire ce que font tous les autres arts : communiquer des représentations. Mais, dans le cas de l’architecture, cette communication transite pour ainsi dire par le fait que l’architecture façonne l’extériorité sensible. Par «extériorité», on entend l’ensemble de toutes les directions de l’espace au sein duquel nous nous trouvons. Le langage de l’architecture s’adresse à des esprits incarnés dans des corps qui se meuvent dans l’espace de manière désordonnée ou ordonnée, et qui peuvent de même être assemblés en groupes d’importances diverses.
Nuages qu’un beau jour à présent environne, Au-dessus de ces champs de jeune blé couverts, Vous qui m’apparaissez sur l’azur monotone, Semblables aux voiliers sur le calme des mers ; Vous qui devez bientôt, ayant la sombre face De l’orage prochain, passer sous le ciel bas, Mon coeur vous accompagne, ô coureurs de l’espace ! Mon coeur qui vous ressemble et qu’on ne connaît pas. Jean Moreas, extrait du recueil Les Stances, 1899.
La blême lune allume en la mare qui luit Miroir des gloires d’or, un émoi d’incendie. Tout dort. Seul, à mi-mort, un rossignol de nuit Module en mal d’amour sa molle mélodie. Plus ne vibrent les vents en le mystère vert Des ramures. La lune a tû leurs voix nocturnes : Mais à travers le deuil du feuillage entr’ouvert, Pleuvent les bleus baisers des astres taciturnes. La vieille volupté de rêver à la mort A l’entour de la mare endort l’âme des choses. A peine la forêt parfois fait-elle effort Sous le frisson furtif d’autres métamorphoses. Chaque feuille s’efface en des brouillards subtils. Du zénith de l’azur ruisselle la rosée Dont le cristal s’incruste en perles aux pistils Des nénuphars flottant sur l’eau fleurdelisée. Stuart Merril, extrait du recueil Les Gammes, 1887.
Steven Holl, pour sa cité de l’océan, s’est intéressé au dialogue entre l’architecture souterraine et celle de surface. Ceci en reproduisant l’idée du passage du surfeur entre ce qu’il y a au dessus du niveau de la mer et au dessous. L’architecte a dessiné une grande place convexe qui suggère une vague en train de se refermer sur elle-même. Les promeneurs peuvent déambuler sur cette place en ayant la sensation d’être dans un tunnel d’eau. Les espaces du musée se trouvent être au sous-sol et à l’entresol et les espaces de convivialité et d’accueil émergent à la manière des écueils de la surface de la mer. L’axe du bâtiment est braqué vers la mer, encadré des deux écueils émergeant, ce qui crée un cône perspectif ayant un gros impact visuel. Dans le projet des bureaux d’Old Workshop, Jack Woolley a voulu créer un espace qui se fasse on ne peut plus discret. Les bureaux s’étalent sur un étage souterrain et un rez-de chaussée. de l’extérieur, un mur de brique, ressemblant à une simple séparation plutôt qu’à un mur extérieur de bâtisse. La porte d’entrée même est suggérée. Elle se dessine comme un passage camouflé. On se questionne, on s’intrigue, à propos de la fonction de cet espace dissimulé.
House & Office Old Workshop | Jack Woolley | Londres, Angleterre | 2012 .
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Cité de l’océan et du surf | Steven Holl Architectes | Biarritz, France | 2011.
Extension de la National Gallery | Venturi, Scott Brown & Associates | Les murs de l’aile Venturi Londres, Angleterre | 1991. de la National Gallery de Londres sont gris, selon plusieurs variations. Ces couleurs inspirent une certaine religiosité, ce qui correspond parfaitement à la nature des œuvres présentées dans cette aile. Des colonnes en pietra serena, la pierre calcaire italienne très prisée pendant la Renaissance, scandent les murs du département. Le lien avec la Renaissance, période à laquelle appartiennent les œuvres présentées, est immédiat. Les couleurs, parfois vives, s’accordent avec les œuvres présentées et participent à la création d’une ambiance dans laquelle le visiteur évolue. La symbolique de la couleur joue un rôle très important dans l’appréciation d’un espace. Dans un tout autre style, le Centre Georges Pompidou des architectes Renzo Piano et Richard Rogers. Le musée d’art moderne est un bâtiment «ovni» de la ville de Paris grâce à son architecture unique. L’architecture du musée privilégie l’espace intérieur. Les escaliers, les ascenseurs et l’ensemble des conduits d’aération et d’alimentation sont repoussés et exhibés à l’extérieur. Ces tubes fonctionnels sont peints en quatre couleurs : le vert pour les conduits d’eau, le bleu pour le chauffage et l’aération, le jaune pour l’électricité et le rouge pour les circulations, les communications et le transport. L’architecture de ce bâtiment se pose en parodie du symbole de la technologie. Les architectes ont poussé à l’extrême l’ironie pour en faire «un feu d’artifice du monde de la mécanique».
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Centre Pompidou, Musée d’art moderne | Renzo Piano & Richard Rogers | Paris, France | 1977.
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La chapelle Notre Dame du Haut de Ronchamp reste une construction bien mystérieuse dans l’œuvre de l’architecte Le Corbusier. Le Corbusier a fait sans toutes ses fameuses théories (modulor, nombre d’or...). Il semble avoir voulu parler d’autre chose et cela via la métaphore. D’après les deux architectes Isabelle Coste et David Orbach, dans leur étude présente dans à la Poésie de l’architecture, Le Corbusier n’a pas tout dit à propos de sa chapelle mais a laissé toute une série de symboles pour la lire par nous-même. Pour parler de son œuvre, Le Corbusier désignait une carapace de crabe ramassée sur une plage étant l’origine de sa coque en béton. Mais quelle est relation entre un crabe et une chapelle s’interrogent les deux architectes ? Ils partent à la recherche d’images plus présentes. Ils notent que la coque de la façade principale s’effile en pointe mais est dotée d’une étrange pliure qui vient rompre l’élan de la ligne. étrange pour un puriste tel Le Corbusier. Ils remarquent que le plan comporte une forme s’identifiant à la coupe d’une oreille, et d’ailleurs Le Corbusier parlait « d’acoustique visuel». Cette image représentant surement une oreille tournée vers le ciel, comme les fidèles à l’écoute de la voix de Dieu. Ensuite, la coque sur la deuxième façade évoque un bateau et son étrave. L’image, à nouveau, est légitime puisque la communauté chrétienne s’identifie à un bateau guidant les fidèles. Sur la façade ouest, les « coupoles » émergeant des la coque rappellent les trois grands personnages de la Trinité: étendant leurs bras pour protéger les fidèles. Et sur cette façade, un détail important : la forme de la gargouille. Celle-ci ressemble à un W ou plus certainement à Omega. Si il y a Omega, il devrait aussi y avoir alpha. Ne trouvant pas, les deux architectes s’intéressent au texte. Et la lettre Alpha, d’après Mystère de l’alphabet de MarcAlain Ouaknin, provient de l’égyptien : aleph qui veut dire taureau. La coque de l’entrée serait alors une corne de taureau en déduisent-ils. La pliure remarquée précédemment trouve alors son sens. C’est cette corne d’ailleurs qui donne à la chapelle ce caractère presque préhistorique. Et pour ce qui est d’Omega, toujours d’après Mystère de l’alphabet de Marc-Alain Ouaknin, le «grand O» est l’initiale du mot hébraïque ayin et ayin c’est la «source». Cette lettre se trouve bien placée donc puisqu’en tant que gargouille, elle réceptionne et dispense de l’eau du ciel. La chapelle Notre Dame du Haut de Ronchamp se révèle incroyablement symboliste à la lumière de cette étude.
Chapelle Notre-Dame-du-Haut | Le Corbusier | Ronchamp, France | 1955.
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Pour appuyer cette étude, le témoignage d’un des amis de Le Corbusier, Jean-Jacques Duval, citant Le Corbusier parlant de Ronchamp : «Je m’attends un de ces jours à une frottée du Vatican, car il y a là-dessus une remontée dans le temps vers l’homme et vers le divin, qui a permis de prononcer une parole architecturale.» Et Le Corbusier ajoute encore à Ronchamp devant le grand autel de pierre autour duquel ont été creusés plusieurs étages de niches destinées à recevoir des objets du culte : « C’est incroyable ce que cela se rapproche des rites païens, ces pierres consacrées, ces reliques, ces objets que l’on adore. C’est de la substance humaine. » Il relie les rites païens à un lieu de l’Église chrétienne, creuse dans les origines des croyances humaines et tout cela plastiquement, sans l’expliquer. La Chapelle ne s’en trouve que magnifiée.
« L’architecture est un langage muet à l’intention des esprits »
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Hegel
La mise en scène de «Dogville», film de Lars Von Trier, emprunte à la forme théâtrale. Le décor est unique, un plateau plongé dans une semi-obscurité marqué au sol de traits qui découpent symboliquement l’espace : les rues, les cloisons des maisons ou les limites des jardins. Ce plateau donne à voir la vie privée comme la vie publique, l’intérieur comme l’extérieur. Les comédiens miment le décor, font les gestes convenus de la vie quotidienne et des sons spécifiques (bruits de porte, aboiement de chien, etc.) viennent ponctuer la scène. Ce dispositif dépouillé empêche toute illusion réaliste, c’est à dire, de se croire dans le réel. Et les acteurs se retrouvent «servis sur un plateau» et évoluent dans une sorte de «laboratoire humain» soumis à l’observation des spectateurs. Twin Peaks est une série créée et Série « Twin Peaks» | David Lynch | USA | 1990-91. produite par David Lynch et Mark Frost. Cette série défie toute tentative de description: à la fois enquête policière sur un meurtre mystérieux, drame intégrant des éléments surnaturels, satire des soap-opera, comédie et elle rend également hommage à des grands classiques (films ou autres symboles culturels). Elle constitue ainsi un mélange jusqu’alors inédit à la télévision. La présence de la «red room» est récurrente dans l’univers de David Lynch. Elle est présente dans la série Twin Peaks. Elle y symbolise à la fois l’enfer, le purgatoire et le paradis. La série apparaît ainsi comme une tentative expérimentale pour montrer de l’invisible ou de l’irreprésentable. Dans la dimension parallèle qui opère une trouée dans le tissu du quotidien vit un groupe de « personnages-messages », dont certains, circulent d’un espace-temps à l’autre pour pervertir, avertir ou accuser les humains.
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Film danois «Dogville» | Lars von Trier | 2003.
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De nombreux concepteurs utilisent le symbolique/le pouvoir de suggestion pour communiquer de manière intrinsèque ou intuitive avec le visiteur. Cela permet de communiquer via des représentations pour donner un sens plus riche à l’espace. La fonction peut se trouver dépassée par des volontés plus grandes, spirituelles ou philosophiques. Par exemple, la pyramide est un symbole et, à ce titre, existe de manière autonome par rapport au tombeau. La chambre funéraire du pharaon elle-même excède symboliquement sa fonction. La fonction est totalement investie et transcendée par le symbolique.
Apollinaire & L’Esprit Nouveau
|| débT. XXE S. ||
Définition du mouvement Dans la lignée des futuristes italiens, les poètes du début du siècle cherchent à renouveler la poésie. L’Esprit Nouveau se voudra moins radical que les futuristes qui veulent détruire les valeurs traditionnelles. L’œuvre d’Apollinaire est un carrefour où tradition et modernité se croisent. L’un des poèmes les plus emblématiques de l’Esprit nouveau , « Zone » issu d’Alcools d’Apollinaire commence par ce vers: « À la fin tu es las de ce monde ancien » et celui-ci, tout en rejetant la tradition, lui accorde une certaine reconnaissance en étant un alexandrin.
Esthétique et procédés d’écriture
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Les poètes de l’Esprit Nouveau sont fascinés par le monde moderne et les possibilités techniques qu’il offre. Les progrès techniques ont facilité les voyages et Apollinaire, Cendrars, Jacob célèbrent un monde cosmopolite et urbain. « Les villes répondaient maintenant par centaines » ; ainsi Apollinaire signifie-t-il, dans le dernier poème d’Alcools, que le monde moderne est entré dans l’ère des grandes cités urbaines. De plus, les poètes de l’Esprit nouveau ont le goût de la fantaisie : « la surprise, l’inattendu, est un des principaux ressorts le poésie d’aujourd’hui » affirme Apollinaire dans sa conférence sur l’Esprit Nouveau en 1917.
La comparaison peut ainsi accepter une certaine trivialité: « Mamelon gauche semblable à une bosse du front d’un petit veau qui vient de naître je t’aime » Apollinaire, « Mon très cher petit Lou, je t’aime », Poèmes à Lou.
Les jeux de mots et calembours apparaissent en poésie: « Gens de Saumur ! Gens de Saumur Oh ! Laissez-moi dans ma saumure » Max Jacob, « Le saltimbanque en wagon de 3e classe », Les pénitents en maillots roses, 1925.
La figure du poète-voyageur, errant à travers le monde, caractérise le lyrisme de ce XXe siècle naissant : En ce temps-là j’étais en mon adolescence J’avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de mon enfance J’étais à 16.000 lieues du lieu de ma naissance J’étais à Moscou, dans la ville des mille et trois clochers et des sept gares Et je n’avais pas assez des sept gares et des mille et trois tours Car mon adolescence était si ardente et si folle Que mon cœur, tour à tour, brûlait comme le temple d’Éphèse ou comme la Place Rouge de Moscou Quand le soleil se couche. Et mes yeux éclairaient des voies anciennes. Et j’étais déjà si mauvais poète Que je ne savais pas aller jusqu’au bout. Blaise Cendrars, Extrait de « Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France », 1913.
Suppression de règles
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On observe la suppression de la ponctuation car selon les poètes, le rythme et la coupe des vers sont la véritable ponctuation et il n’en est pas besoin d’une autre : Le pré est vénéneux mais joli en automne Les vaches y paissant Lentement s’empoisonnent Le colchique couleur de cerne et de lilas Y fleurit tes yeux sont comme cette fleur-la Violâtres comme leur cerne et comme cet automne Et ma vie pour tes yeux lentement s’empoisonne
Les enfants de l’école viennent avec fracas Vêtus de hoquetons et jouant de l’harmonica Ils cueillent les colchiques qui sont comme des mères Filles de leurs filles et sont couleur de tes paupières Qui battent comme les fleurs battent au vent dément Le gardien du troupeau chante tout doucement Tandis que lentes et meuglant les vaches abandonnent Pour toujours ce grand pré mal fleuri par l’automne. Apollinaire, « Les colchiques », Alcools.
L’asyndète devient un principe poétique. L’asyndète est une figure de style qui consiste à supprimer les mots de liaisons et adverbes au sein d’un vers. « Toutes les cloches sonneront Quand reviendrez-vous donc Marie ? » Apollinaire, « Marie », Alcools.
Association d’idées aléatoires L’image cherche davantage à faire choc qu’à décrire. Les associations semblent venir de manière aléatoire. « Adieu Adieu Soleil cou coupé » Apollinaire, « Zone », Alcools.
Déstructuration des comparaisons Les poètes inversent l’ordre habituel de leurs comparaisons, comme ici : « Le fleuve est pareil à ma peine »
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Apollinaire, « Marie », Alcools.
DISCONTINUïté & RUPture L’Esprit Nouveau est marqué par la poésie d’Apollinaire qui annonce une nouvelle modernité. Le lyrisme se développe dans une écriture discontinue, au rythme intermittent. Les poètes déconstruisent la forme poétique et laissent une place à l’aléatoire. Les associations sont plus libres. Ils suppriment des règles telles que la ponctuation et pratiquent l’asyndète. Celle-ci étant une absence de liaison grammaticale entre plusieurs termes ou plusieurs phrases. On observe une poésie au rythme qui une fois s’accélère, une fois ralenti. La forme du poème n’est pas fixe mais se fait au gré des mots. La forme ajoute à l’interprétation que l’on peut faire du poème. La suppression de la ponctuation et l’asyndète ont un effet très important dans la réception de ces poèmes. La ponctuation aide à la lecture et à la diction. Ainsi effacée, elle retire toute intonation pré-définie et c’est au lecteur de lire la poésie comme il l’entend. Dans un espace, cette idée de discontinuité se matérialise pas une ligne interrompue, brisée. Et l’absence de liaison qu’est l’asyndète peut s’interpréter comme une absence d’intermédiaire d’un espace à l’autre. Chaque élément a sa place et est indépendant des autres. Il suit ou est suivi mais possède une identité assumée. Chaque mot/espace peutêtre vu sous tous les angles et peut être lu/vécu de différentes façons. L’enchaînement d’espaces ainsi distincts dénonce une ambiguïté. On obtient de cette manière, un enrichissement du sens. Le fait de ne pas relier deux éléments laisse une plus grande liberté d’interprétation.
Tu es debout devant le zinc d’un bar crapuleux Tu prends un café à deux sous parmi les malheureux Tu es la nuit dans un grand restaurant Ces femmes ne sont pas méchantes elles ont des soucis cependant Toutes même la plus laide a fait souffrir son amant Elle est la fille d’un sergent de ville de Jersey Ses mains que je n’avais pas vues sont dures et gercées J’ai une pitié immense pour les coutures de son ventre J’humilie maintenant à une pauvre fille au rire horrible me bouche Tu es seul le matin va venir Les laitiers font tinter leurs bidons dans les rues La nuit s’éloigne ainsi qu’une belle Métive C’est Ferdine la fausse ou Léa l’attentive Et tu bois cet alcool brûlant comme ta vie Ta vie que tu bois comme une eau-de-vie Tu marches vers Auteuil tu veux aller chez toi à pied Dormir parmi tes fétiches d’Océanie et de Guinée lls sont des Christs d’une autre forme et d’une autre croyance Ce sont les Christs inférieurs des obscures espérances Adieu Adieu Soleil cou coupé Guillaume Apollinaire, extrait de «Zone», Alcools, 1913.
DéMANtèlement Par l’absence de liaison, on obtient une forme discontinue, morcelée. Créer une émotion ou sensation par le biais d’éléments différents associés. Ceux-ci seront à la fois combinés et en même temps, par leur différence, en rupture. La ligne sera non linéaire, interrompue par endroits. Créer des espaces vides dans les pleins et créer des espaces pleins dans le vide. Pour insister le vécu de l’espace. De la suppression de la ponctuation, on peut penser à la suppression d’éléments structurels comme le principe de poteau-poutres développé par Mies Van Der Rohe. Les évolutions technologiques, également, permettent d’agencer les espaces différemment. Les règles structurelles évoluent. Le champ devient plus libre, on cherche à se libérer de la structure pour des espaces en apesanteur, aériens. Le principe de l’asyndète peut être exploité dans la conception d’espace par le retrait des éléments de liaison entre les espaces, ce qui provoquerait une perception de l’espace autre que celle vécue généralement. Briser les codes pour aborder les seuils, les espaces «d’entre-deux» différemment et en les remettant en question.
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Recherches spatiales schématiques autour de l’absence de liaison.
CRAQUèLEMENT Les mots s’isolent, les vers sont démantelés, nous pouvons observer que la surface lisse du poème est mise à mal pour qu’elle se voit être plus vivante et texturée. Cela peut s’apparenter au craquèlement de la matière. Comme dans le traitement des parois dans le projet T-Husene de Steven Holl où les cloisons semblent être faites de couches successives qui laissent filtrer de la lumière. La paroi semble «vivante» et en création permanente.
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Projet T-Husene / 5 tours | Steven Holl Architectes | Copenhague, Danemark | 2006.
Défilé Prêt-à-porter automne-hiver / Balenciaga | Alexander Wang | 2013-14.
PLIAGE La technique du pliage provoque elle aussi des discontinuités. En effet, d’une surface plane, le pliage crée une rupture pour proposer une nouvelle approche de cette surface. Comme les expérimentations ci-après où le texte vient être interrompu selon le pliage de la forme de papier. On a alors une autre lecture du poème. Il se lit par bribes et il faut contourner la forme pour en connaître la totalité. Dans l’escalier créé par Project Orange, la rampe plein en bois est brisée à chaque angle et l’on sent la volonté de créer un rythme sectionné et discontinu.
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197 Shoreham Street | Project Orange | Sheffield, Angleterre | 2011.
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«J’aime les phrases qui se lisent de deux façons et sont par là riches de deux sens entre lesquels la ponctuation me forcerait à choisir». Louis Aragon
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INTERMITTENT Dans la poésie d’Apollinaire et de ces poètes du début du siècle, la poésie se libère de ses règles et de son rythme régulier. Elle apparaît alors avec une ligne rythmique discontinue et intermittente. Les mots se décrochent de la structure et on observe des espaces de silence et de suspension plus importants. Spatialement, la ligne dévie comme pour l’escalier de Carlos Scarpa, les volumes sont découpés/associés/entrechoqués comme dans le cabinet dentaire de Demaine Partnership ou bien l’escalier apparaît puis disparaît comme dans la maison du comité national des jeux olympiques à Tbilisi en Géorgie. De même que les poètes asMaison du comité national des Jeux Olympiques | Architects of invention | socient des idées de façon inatTbilisi, Georgie | 2011. tendue et inversent l’ordre des comparaisons, les concepteurs surprennent avec des combinaisons de styles différents et des formes qui surgissent de façon étonnante. Nous pouvons le constater sur les réalisations de Project Orange et de Carmen Izquierdo. Ces bâtiments sont tous les deux des interventions contemporaines dans un environnement de patrimoine ancien. Par leurs matériaux lisses et leurs formes polygonales, ils rompent avec la brique et les formes traditionnelles. Mais même si ils interpellent, les créateurs font en sorte qu’ils respectent leur environnement. Showroom- boutique Olivetti | Carlos Scarpa | Venise, Italie | 1958.
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Beaumaris Dental | Demaine Partnership | Victoria, Australie | 2011.
197 Shoreham Street | Project Orange | Sheffield, Angleterre | 2011.
DOUBLE JEU
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Domkyrkoforum | Carmen Izquierdo | Domkyrkoplan, Lund, Suède | 2011.
Le surréalisme Définition du mouvement Le Surréalisme est l’affirmation d’une révolte devant un monde qui a prouvé son absurdité désastreuse lors des grandes guerres. C’est André Breton, le maître de file, qui, en 1924, définira ce mouvement dans son Manifeste du surréalisme. Il sera composé des poètes tels qu’Eluard, Aragon, Soupault, Desnos, Péret, et d’autres en marge comme Pierre Reverdy, Pierre-Albert Birot ou Henri Michaux expérimenteront une poésie originale. Selon Breton le surréalisme est un « automatisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée ». Ils exalteront tous les états limites qui permettent le recul et l’abaissement du seuil de conscience: l’amour fou, la folie, le rêve, les états seconds...et font l’apologie de la libre expression.
Esthétique du mouvement
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Il s’agit de traquer le merveilleux dans le réel. La poésie est liée à l’action : elle tend au dépassement et à l’infini. Le goût pour l’insolite résulte d’une tension vers l’invisible, vers ce qui nous dépasse car notre conscience et notre imagination sont maintenues dans un état de limitation. Les collages sont des médiums où le langage bafoue la syntaxe et qui imposent un ordre nouveau à la pensée. Les images sont les vecteurs de ce dépaysement. L’amour et la femme sont les thèmes importants dans la poésie surréaliste. Le sentiment amoureux ne donne pas lieu à une analyse mais à une quête merveilleuse qui s’exprime par une exaltation lyrique. L’amour est une philosophie pour les surréalistes. Il représente ce qui élève et transcende, ce vers quoi il faut tendre. C’est un amour idéal et sublime mais aussi charnel.
|| 1924 1969 ||
Les surréalistes vont vouer un véritable culte à la femme. Elle sera femme-fleur que l’on contemple, femme-fruit que l’on consomme, femme-enfant, femme-fée, femme-affamée et femme rêvée. Mais elle avant tout, initiatrice: elle est le lien entre l’homme et le monde, là où l’homme divisé se retrouve et elle ouvre les portes du surréel. Robert Desnos fait de la passion amoureuse un absolu qui dépasse le cadre de la raison : Dis-toi qu’il ne faut pas regretter les choses: Ronsard avant moi et Baudelaire ont chanté le regret des vieilles et des mortes qui méprisèrent le plus pur amour. Toi quand tu seras morte, Tu seras toujours belle et désirable. Robert Desnos, Extrait de « Non l’amour n’est pas mort », Corps et biens, 1930.
Procédés d’écriture & innovations Primat de l’image
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Le mouvement imprime sa marque : l’image prime sur toutes les autres formes d’expression ou de signification et sur les structures rythmiques. L’image est au coeur de la poétique surréaliste: elle n’a pas à rapprocher seulement deux éléments, comme le fait la comparaison. Elle repose, au contraire, sur la force de l’arbitraire et plus le rapprochement est fortuit, plus l’image aura de valeur. Ce caractère arbitraire n’entraîne pas l’incohérence du poème. L’image s’impose au poète, irréductible à toute logique. On ne peut l’expliquer ou la paraphrasée. Elle cherche à déstabiliser la logique et le sens de la réalité pour déconcerter le lecteur ou l’auditeur. La poésie d’Eluard frappe par la richesse de son imagination et la justesse de ses images : Elle est debout sur mes paupières Et ses cheveux sont dans les miens, Elle a la forme de mes mains, Elle a la couleur de mes yeux,
Elle s’engloutit dans mon ombre Comme une pierre sur le ciel. Paul Éluard, « L’amoureuse », Capitale de la douleur.
Une relation ambivalente au langage « Le langage a été donné à l’homme pour qu’il en fasse un usage surréaliste » André Breton
D’un côté, la relation au langage est faite d’immédiateté, d’évidence poétique. De l’autre côté, les mots sont considérés comme libres et indépendants du sujet qui les manipule. « Les mots font l’amour » exprime André Breton. Ainsi, ce sont les mots qui dictent la pensée: il faut les écouter et se plier à leur logique. Il s’agit de tirer profit de leur énergie pour créer. Ecriture automatique
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C’est en 1919 qu’André Breton propose le premier texte qualifié de l’écriture automatique: « Les champs magnétiques ». Ce mode de création est utilisé par les surréalistes afin de s’émanciper de l’étroitesse de la pensée régie par la raison. Elle consiste à écrire tout ce qui vient à l’esprit sans faire l’objet de réflexion. Elle est le principe phare des surréalistes pour libérer l’inconscient.
RUPture & ALéatoire Le surréalisme est le mouvement qui abandonne réellement toutes les règles établies par les mouvements poétiques précédents. Il s’érige contre les codes pour promouvoir une liberté totale et absolue. Il se pose en rupture complète avec le passé. Les poètes exaltent les états limites et prône l’écriture automatique guidée par l’inconscient lui-même. Ils vont dans les extrêmes à la recherche une plus grande richesse poétique. Ils testent toutes les formes de poésies et produisent une poésie éclectique. Ils abandonnent même le sens des mots pour créer une poésie faite de phonèmes. Ce qui importe, c’est d’explorer les méandres du langage et de l’écriture poétique. Mais la rupture s’invite également dans le principe de l’aléatoire. Des éléments placés au hasard interrompent une trame et cela provoque un changement de lecture. La création libre, c’est à dire, libérée de contraintes permet de réaliser des formes inédites.
Courageux comme un timbre poste il allait son chemin en tapant doucement dans ses mains pour compter ses pas son coeur rouge comme un sanglier frappait frappait comme un papillon rosé et vert De temps en temps il plantait un petit drapeau de satin Quand il eut beaucoup marché il s’assit pour se reposer et s’endormit Mais depuis ce jour il y a beaucoup de nuages dans le ciel beaucoup d’oiseaux dans les arbres et beaucoup de sel dans la mer Il y a encore beaucoup d’autres choses. Philippe Soupault, «Bulles Billes Boules» , Articles de sport, 1920-1930.w
Spatialement, la rupture peut être signifiée de plusieurs façons. On pense à une brèche dans une surface, à un accroc dans un parcours, à un changement de registre soudain ou à deux langages différents associés. On brise ce que l’on connaît pour faire naître une nouvelle expression. L’espace doit provoquer le visiteur afin qu’il ressente la rupture. Elle peut être visible ou vécue. Le fait d’interrompre une ligne ou bien de marquer une trame régulière de façon aléatoire sont des moyens pour matérialiser la sensation de rupture. Dans le musée de New York crée par SANAA, le bâtiment entièrement blanc est très épuré. La modernité de cette réalisation est formelle et se trouve dans les détails. Comme sur le visuel présenté ici où l’ouverture se trouve scindée en deux. C’est un acte singulier et qui peut être pensé comme une volonté de rupture pouvant annoncer le caractère novateur des œuvres présentées. L’installation 1:1 évoque ici la vitesse et la puissance que peut engendrer la rupture. Nouveau musée d'art contemporain SANAA | New York, U.S.A | 2007.
1:1 | Christian Andersson | 2004.
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Recherches plastiques autour de l’interruption d’une trame ou d’intervention aléatoire.
Spatialement, la rupture s’exprime par des formes surgissants de surface régulière comme la maison Drusch de Claude Parent ou bien le Musée militaire à Dresde de Daniel Libeskind. La maison Drusch marque une étape décisive dans la démarche de Claude Parent, en ce qu’elle manifeste clairement le mouvement et le déséquilibre que l’architecte cherchait à introduire depuis plusieurs années dans ses maisons. Parent était en quête d’une architecture qui avance, qui bouge, en quête de cette sensation forte et troublante qu’il avait tout particulièrement éprouvé face à la Tour Einstein d’Eric Mendelsohn. C’est par l’intrusion de la diagonale qu’il va alors dynamiser les volumes. La maison est dirigée vers le ciel et Claude Parent, en choisissant l’oblique, dresse ainsi une construction audacieuse et inhabituelle. Daniel Libeskind prend le parti du ressenti et fait émerger une pointe monumentale dirigée vers l’extérieur. Il rompt la régularité de la construction existante. Il marque ainsi le caractère défensif de cette façade qui agit à présent comme une muraille dissuasive. Maison Drusch | Claude Parent avec D.M. Davidoff, Michel Carrade et Roger Fatus | Versailles, France | 1965.
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Musée d’Histoire Militaire | Daniel Libeskind | Dresde, Allemagne | 2011.
Recherches plastiques autour de la découpe d’une forme. Rupture de la surface plane du papier pour créer des volumes.
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Recherches autour du principe de la grille, de la trame modifiée. Modification du rythme, du régulier au saccadé. Place à l’aléatoire provoquant des entrelacs et des collisions. Une ligne vient en interrompre une autre et cela crée des tensions et dessine de nouvelles formes.
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Expérimentations autour du pliage d’une simple feuille de papier de façon aléatoire et de la sélection points de vues choisis au hasard. La lumière vient appuyer certaines formes et crée des paysages différents à chaque essai.
UTOPIES & IDEAL Les surréalistes peuvent être mis en dialogue avec les utopies spatiales car ils cherchaient, tout en délaissant leur passé, une nouvelle forme d’expression, un nouveau langage. Les poètes surréalistes sont en quête d’absolu et par tous les moyens, souhaitent atteindre l’idéal. Ils abolissent toutes les règles pour favoriser l’intuition, la parole libre et l’intervention de l’inconscient. Les concepteurs ont, de tous temps, développé des principes utopiques de sociétés nouvelles. Ces projets futuristes ont pour but de toujours renouveler les formes et les usages afin d’atteindre un idéal. Les concepteurs s’extraient de la réalité qui leur est contemporaine pour laisser libre cours à leur imagination. Ils se soustraient de toutes contraintes afin de réinventer la construction d’espace et d’ ouvrir le champs des possibles. Ainsi, en laissant son inconscient prendre le dessus, guider le trait, on obtient des espaces qui s’apparentent davantage à des désirs. C’est à dire des espaces que l’on aurait pas conçu dans un processus de création encadré comme c’est le cas dans la profession. Au contraire, ces espaces sont libérés du monde réel et de ses contraintes. Il s’agit d’espaces rêvés, imaginaires, en quête d’un idéal qui reste inatteignable. Et le matériau de ses utopies est l’imaginaire de l’homme, source inépuisable.
« La mort, la mort folle, la morphologie de la méta, de la métamort, de la métamorphose ou la vie, la vie vit, la vie-vice, la vivisection de la vie» étonne, étonne et et et est un nom, un nombre de chaises, un nombre de 16 aubes et jets, de 16 objets contre, contre la, contre la mort ou, pour mieux dire, pour la mort de la mort ou pour contre, contre, contrôlez-là, oui c’est mon avis, contre la, oui contre la vie sept, c’est à, c’est à dire pour, pour une vie dans vidant, vidant, dans le vidant vide et vidé, la vie dans, dans, pour une vie dans la vie. Ghérasim Luca, Héros-Limite, 1953.
Les utopies spatiales existent depuis tous temps et donc en nombre incalculable. Il ne va pas y avoir ici une énumération de celles-ci même des plus célèbres car ce n’ est pas le sujet de la démarche. Les références présentées ici seront davantage de l’ordre de l’intuition. Lorsque nous observons l’hôtel de Franck O’Gehry, nous constatons que le bâtiment tient plus du geste artistique qu’architectural. L’architecte projette des formes courbes sur le papier puis les matérialise afin de faire de ce projet, une œuvre unique. Ces formes, par leur fluidité et leur caractère purement ornemental, agissent comme une concrétisation de l’imaginaire. On essai de toucher l’idéal de cette façon. En se libérant de toutes contraintes. La projection est à l’origine de l’utopie. Et certains conçoivent uniquement par ce moyen. Habits make us blind est une série de photographies qui cherche à interpeller le public. Le projet d’Espai MGR consiste à photographier des espaces vides ou en mauvais état dans la ville et de retoucher ces clichés en y inventant des constructions en légo à la place. C’est une façon de réinventer le quotidien et en projettant ce qu’il pourrait y avoir dans ces lieux abandonnés. Hôtel de Marques de Riscalj Frank O.Gehry Partners | Elciego, Espagne | 2006.
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Habits Make Us Blind | Espai MGR | Valence, Espagnej 2011.
Libérée de toutes contraintes, telle se définit la poésie surréaliste. Les architectes cherchent à défier ces contraintes en créant des illusions, des stratagèmes afin qu’on ait la sensation que le rêve devient réalité. Ils créent alors des structures semblants inexistantes comme le Tree Hotel des architectes Tham et Videgard. Les chambres semblent flotter et surtout disparaissent dans leur environnement, grâce à ses parois de miroirs, dans le paysage. On croit à une vision. L’hôtel flotte et se fait invisible. Deux idéaux qui n’ont de cesse de fasciner les créateurs.
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Tree Hotel | Tham & Videgård Hansson Arkitekters | Harads, Suède | 2011.
Ce «pavillon sans programme», un nom qui sonne comme une utopie, est une réalisation qui mérite son éloge à bien des égards tels que l’écologie, la technique ou l’emplacement...Mais ce qui m’intéresse ici, c’est cette façade toute en courbe qui reflète si bien le paysage environnant en journée, que le pavillon disparaît un temps. Cet espace, isolé du reste, tout de courbes, se voit être une fenêtre de ce paysage. Les architectes cherchent à créer au plus près de la nature, à fondre leurs réalisations pour ne pas gêner le paysage. C’est ici chose faite. Le bâtiment s’efface pour le paysage et se révèle à la nuit.
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Pavillon sans programme | Jesùs Torres Garcia Architectes | Plaine de Salobreña, Espagne | 2011.
Les poètes chrétiens
|| XXE S. ||
Le choix de les avoir rassembler sous un mouvement propre bien qu’ils appartiennent à tout le XXe s’explique par le fait qu’ils aient écrit en marge des courants qui leur était contemporain. De plus, ils ont les mêmes questionnements et procédés d’écriture. On peut donc les regrouper sous une même sensibilité malgré leur dispersion dans le temps.
Définition du mouvement Les œuvres de Peguy et Claudel, au début XXe siècle, fondent une poésie nouvelle tant par la forme que la manière de mettre en scène et d’interroger le rapport de l’homme au divin. Marie Noël, Patrice Latour du Pin, Pierre Jean Jouve et Pierre Emmanuel placent, de la même façon, leur itinéraire spirituel au cœur de la poésie.
Esthétique du mouvement et procédés d’écriture Dynamique de la parole et du silence On remarque un retour à l’alexandrin car il permet d’obtenir des effets de martèlement rythmique et parce qu’il permet d’exprimer la lente progression du pèlerin ou la litanie des prières. Etoile du matin, inaccessible reine Voici que nous marchands vers votre illustre cour Et voici le plateau de note pauvre amour, Et voici l’océan de notre immense peine.
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Péguy, « Présentation de la Beauce à Notre Dame de Chartres », La Tapisserie de Notre Dame.
Le principe de la litanie (énumération longue) sera particulièrement utilisé sans être pour autant statique. Les poètes chrétiens créent des variations rythmiques en alternant vers libres et versets, en jouant de la césure et en suspendant le discours. Il cherche à créer une « langue du silence » afin de sonder les mouvements de l’âme au contact de la présence divine. Images évocatrices Le poète se place dans le rôle de déchiffreur des traces de la présence divine. Il doit révéler l’intention divine. Il se sert de l’image pour dévoiler les mystères de l’invisible. Les poètes chrétiens sont influencés par le symbolisme. Ils mêlent des évocations mythologiques et cosmiques au drame personnel. J’ai possédé l’interdiction, j’ai connu cette source de soif! J’ai voulu l’âme, le savoir, cette eau qui ne connaît point la mort! J’ai tenu entre mes bras l’astre humain! O amie je ne suis pas un dieu, Et mon âme, je ne puis te la partager et tu e peux me prendre et me contenir et me posséder. Et voici que comme quelqu’un qui se détourne, tu m’as trahi, tu n’es plus nulle part, ô rose.
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Claudel, « Deuxième ode », Cinq grandes odes.
Le romantisme // 1820-1850 Définition du mouvement Le romantisme est né en Angleterre et en Allemagne autour de 1795, mais déjà une sensibilité nouvelle s’exprimait avec des œuvres comme les Confessions (1781-88) et les Rêveries d’un promeneur solitaire (1782) de Jean-Jacques Rousseau ou le Werther (1774) de Goethe. Au tout début du 19e siècle, en France, Chateaubriand (1768-1848) et Mme de Staël (17661817) annoncent aussi le romantisme, l’un par son goût pour l’introspection et l’autre par sa curiosité envers la jeune littérature allemande, mais ce n’est que vers 1820 que le courant romantique s’impose en France. Ils veulent une littérature qui se démarque du classicisme tant par sa volonté de renouveler ses sources d’inspiration que par ses aspirations mystiques. À partir de 1827, année où Hugo fonde le salon littéraire Cénacle autour duquel se réunissent Lamartine, Musset, Vigny, Nerval et des peintres comme Delacroix, le romantisme est l’influence dominante de la vie artistique et intellectuelle française.
Esthétique et procédés d’écriture Reste de la tradition classique
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- Formes : Ode, Sonnet , Ballade... Elégie : forme de prédilection. - Tonalité épique - Métaphores et allégories. - Lyrisme mis à l’honneur
|| 1850 1860 ||
Variations rythmiques/ Mouvement Les poètes chrétiens du XXe siècle ont une approche commune dans le fait de placer leur itinéraire spirituel au centre de leur écriture poétique. Ils utilisent les mêmes procédés d’écriture et ont une même sensibilité. Le poète est celui qui doit lire la présence divine et révéler son intention. Leur poésie s’alterne entre versets et vers libres. Les césures sont récurrentes et laissent place au silence. Les poèmes se déploient sur la page, certains mots sont suspendus. L’idée de l’instant est très importante dans l’écriture de ces poètes. Ils guettent l’apparition divine au détour de chaque vers. Mais les poètes utilisent aussi la litanie ou l’alexandrin pour marteler le discours. Ainsi, leur poésie est pleines de variations rythmiques révélant le mouvement de l’âme. Spatialement, le déploiement d’une forme crée une variation rythmique. Par exemple, une trame qui vient à être percée par endroits pour créer une surface en mouvement. Ce peut être une variation de hauteur ou bien une alternance entre les orientations des éléments mis en dialogue. La lumière permet aussi de créer des changements de rythme. Elle produit des effets uniques qui se succèdent sans cesse. De plus, la déclinaison d’éléments à différentes échelles créent également des variations de rythme, une constellation semblant en perpétuelle formation.
Bénie sois-tu, Universelle Matière, durée sans limites! Ether sans rivages, - Triple abîme des étoiles, des atomes et des générations, - toi qui débordant et dissolvant nos étroites mesures, nous révèle les dimensions de Dieu. Bénie sois-tu, impénétrable Matière, toi qui, tendue partout entre nos âmes et le Monde des Essences, nous fait languir du désir de percer le voile sans couture des phénomènes. «Hymne à la matière», Le Coeur de la matière, Teilhard de Chardin, 1961.
Les possibilités dans la création d’espace sont illimitées. Aussi, chaque intervention d’un designer vient habiller l’espace et lui donner matière à rythme et variation. Le designer cherche, la plupart du temps, à sublimer une idée, à la rendre « vivante », en mouvement. Il travaille alors un rythme afin que cela interpelle le visiteur. Il peut se servir des pleins et des vides, des variations de matériaux ou travailler les avancées et les retraits de la structure de l’espace. Il peut varier la ligne en l’entrecoupant par d’autres éléments comme des ouvertures ou bien l’interrompre pour reprendre plus loin. En traitant la rythmique d’un espace, le designer propose une interprétation de l’espace. Il le caractérise, lui donne une personnalité propre et donne à sentir au visiteur son authenticité. Il laisse aussi, par les vides et les suspensions, des silences que le visiteur peut combler par son imagination ou bien les accepter comme une respiration dans son cheminement visuel ou physique. Cela permet de donner à ressentir véritablement l’espace. C’est un entre-deux de ce que donne le designer et de ce qu’il laisse à l’interprétation du sujet. Le traitement de surface a un très grand impact visuel et permet de rendre palpable les surfaces planes. Le rythme se propage sur les pans de murs. On observe que c’est par le biais de décrochés, de renfoncements et de leur rapport à la lumière que la vibration rythmique est créé. Panneaux de céramique Phenomenon | Mutina | 2012.
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Dude Cigar Bar | Studiomake | Bangkok, Thailande | 2011.
Une répétition périodique d’un phénomène de nature physique, auditive ou visuelle : telle est la définition du mot «rythme» selon le dictionnaire CNRTL. On note le caractère répétitif inhérent à la création de rythme. De plus, le terme rythme / rythmique est d’instinct lié à la musique. Et en effet, le vocabulaire musical est souvent utilisé pour décrire des espaces. La musique est une discipline très proche de la poésie de par son caractère fondamental et inhérent à l’Homme. Utiliser son lexique permet de mettre des mots sur un ressenti et de par sa portée universelle, peut être compris par tous. Le rythme dans la création d’espace peut apparaître essentielle si l’on veut impliquer le visiteur. Dans le musée d’Alesia conçu par Bernard Tschumi, on observe que la façade est animée de lignes rythmiques suivant la forme circulaire du bâtiment. Celle-ci semble être une partition, des pleins des vides comme les notes et les silences sur une portée. La découpe des façades est un principe souvent utilisé. Les ouvertures permettent de créer des suspensions, des interruptions, des sursauts sur les façades. Elles peuvent composer un tableau-paysage et mettent en valeur le bâtiment à la nuit tombée comme le montre l’œuvre de l’architecte Wang Shu. Ou bien être placées de manière semblant aléatoire et participer au motif vivant et mouvant du dessin de façade comme pour les logements de Périphériques Architectes ou bien le ABC Musée de Madrid. Musée et parc archéologique | Bernard Tschumi Architectes | Alesia, France | 2012.
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Roller Coaster 72 - Logements | Périphériques Architectes | Nantes, France | 2011.
Académie des Arts | Wang Shu | Hangzhou, Chine | 2009.
ABC Musée, centre de l'illustration et du design | Aranguren & Gallegos Architectes | Madrid, Espagne | 2011.
La ligne graphique appliquée à l’espace peut avoir un fort caractère rythmique et peut donner à une installation, à une structure, une toute nouvelle dimension. Dans le cas des colonnes de Daniel Buren, les rayures noires et blanches accentuent l’effet de hauteur et le fait que les colonnes semblent «pousser» du sol. Le rythme ici est présent de par la variation de hauteur dans la répétition malgré une régularité de trame. Le dessin graphique par l’emploi de la ligne, du blanc et du noir, valeurs fondamentales, c’est-à-dire de la lumière vers l’absence totale de lumière, prend tout son sens dans l’église de Menis Arquitectos. Entre deux parois brutes, un vitrail cerné de noir, ouvre vers l’extérieur. La lumière inonde l’espace et les lignes noires guident le regard vers le ciel. Un chemin qui alterne noir et blanc entre aveuglement et clarté. Le rythme est dans l’intermittence de la ligne, le plein pour mettre en valeur le vide. Les Deux Plateaux | Daniel Buren | Paris, France | 1986.
Église | Menis Arquitectos | Los Majuelos, San Cristobal de la Laguna, Tenerife, Espagnej 2008.
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Recherche autour de quelques types de variations rythmiques dans l’espace.
Iannis Xenakis, compositeur, architecte et ingénieur, s’est beaucoup inspiré de la musique pour créer ses œuvres architecturales. Pour lui, ces deux disciplines étaient très liées. On ne peut qu’y consentir en observant l’œuvre de Daniel Buren : une pergola pour l’Hôtel de la Monnaie de Paris. Celle-ci est composée de pans colorés transparents et d’une structure rayée. On a le sentiment d’assister à une symphonie visuelle. Les couleurs s’alternent, se répondent et les rayures viennent ponctuer celles-ci telles des notes de musique. On pourrait penser ici à l’audition colorée des synesthésistes. Ce qui est évident, c’est que l’œuvre de Buren est rythmée et bien que cela soit très géométrique, on le perçoit de façon fluide et sensible. Pergola - Hôtel de la Monnaie | Daniel Buren | Paris, France | 2009.
Iannis Xenakis
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Série de photographies autour de la lumière, de son reflet, de sa matière. Les lignes créent des rythmes variés et semblent diffuser leur propre lumière.
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Expérimentations rythmiques via plusieurs médiums autour de la ligne rythmique et du mouvement. On observe ci-dessus qu’une même forme répétée peut générer, par assemblages divers, différentes sensations. Une fois le mouvement semble fluide et d’autre fois plus discontinu.
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Les reflets via la lumière aussi permet de créer des lignes croisées, des lignes vibrantes, variées et qui sont formellement très intéressantes.
La variation de rythme peut être créée par le percement de surface. Dans la boutique Olivetti réalisée par Carlos Scarpa, on observe un détail intéressant. Deux pans de parois sont mis en dialogue par un «crantage» qui laisse filtrer la lumière et fait office d’ornement. La cloison très sobre de par la nudité de son matériau vient être mise en valeur par ce principe de découpe. Si l’on parle ici de détail et d’ornement, dans l’hôtel Le Mandarin Oriental, le parti pris est autrement assumé. Ce bâtiment propose une cour intérieure sur laquelle donne toutes les circulations. Les parois sont blanches et lisses. Elles sont interrompues par des ouvertures de toutes tailles semblant disposées de façon aléatoire. Un système d’éclairage associé chaque ouverture vient renforcer l’impact visuel. Ce principe dynamise ces façades intérieures et donnent un caractère précieux à l’espace. Ci-dessous, une expérimentation sur la découpe de percée de différentes échelles à la suite.
Mandarin Oriental Barcelona Hotel | Patricia Urquiola, Carlos Ferrater & Juan Trias de Bes | Barcelona, Spain | 2011.
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Showroom- boutique Olivetti | Carlos Scarpa | Venise, Italie | 1958.
Les contem porains Définition du mouvement
|| 1950 à nos jours ||
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Qu’est-ce que la poésie contemporaine? Si la question serait comment sentir, voir, concevoir, percevoir avec assez d’acuité ? La langue peut en être un outil efficace. C’est ainsi que la poésie est devenue contemporaine. Celle-ci est bien difficile à définir tant elle comprend des formes, des enjeux et des personnalités différents. La poésie devient, pour les poètes de l’après guerre, une voie, un parcours, un itinéraire. Elle devient un véritable art de vivre, le lieu de l’idéal libéré de toutes religions ou autres contraintes. Malgré le fait qu’elle soit peu visible et peu reconnue, la poésie contemporaine française est bien vivante et très diverse. Comme dans la plupart des domaines artistiques, littéraires ou philosophiques, il n’existe plus aujourd’hui de groupe ou de mouvement dominants. La poésie contemporaine donne à voir un panel de tous les styles, où toutes les formes, les mises en œuvre du langage, les types de versification sont possibles et exploités. Les grandes idées sous lesquelles se rassemblaient des groupes de poètes ne sont plus. La poésie s’est éloignée, au fur et à mesure, des grandes idéologies de son temps pour n’être qu’elle et face à elle-même. Mais la poésie contemporaine trouve en fait ainsi son sens. Peut-être davantage que les mouvements précédents. Cela parce que la poésie, à force d’être remise en cause par les poètes, se trouve alors face à son impossibilité. Elle fait l’objet de nombreux paradoxes et les poètes contemporains ont compris cela. Comme l’exprime Jean Michel Maulpoix sur son site internet, « Le poète d’aujourd’hui est poète malgré tout ». Mais l’écriture reste un lieu de recherche et de questionnement sur soi, sur l’homme et son rapport au monde. Et puisqu’elle est recherche, elle devient expérimentation. Son rôle n’est plus de soulager les maux ou de mener au Salut mais elle sonde la
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condition humaine. La poésie contemporaine procède moins par affirmations nouvelles que par refus : soupçon à l’endroit des images, refus du poétisme, du sentimentalisme, du discours édifiant et du pathos... Autour de ses points communs, les poètes se rejoignent et cherchent à se défaire des traditions encore ancrées dans la poésie. La poésie contemporaine est « ignorante ». Elle se cherche et c’est ainsi qu’elle existe. Pour déterminer quelles sont les principales caractéristiques de la poésie contemporaine, il s’agira ici de s’appuyer sur l’étude de Jean-Michel Maulpoix, présente sur son site internet www.maulpoix.net, qui a choisi de séquencer les tendances principales par décennie. Le choix de cet auteur vient du fait qu’il est un des rares à avoir tenté de définir la poésie contemporaine et que ses propos restent les plus complets.
« Habiter » : En quête du lieu et de l’élémentaire
|| 1950 ||
Esthétique et procédés d’écriture Jean Michel Maulpoix regroupe sous ce verbe « Habiter », les poètes qui peuvent être rassemblés autour de leur quête commune du lieu et de la présence et de leur retour très prononcé à l’élémentaire. Les poètes les plus représentatifs de cette première famille sont Yves Bonnefoy, André du Bouchet, Philippe Jacottet, Jacques Dupin et Lorand Gaspar. Mise en retrait de l’image
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Ils ont tout d’abord un regard inquiet concernant l’image dans la poésie. Même s’il ne la condamne pas totalement car elle est nécessaire, elle est mise en retrait et n’est plus objet majeur dans l’écriture poétique. De sorte qu’Yves Bonnefoy indique: «La vérité de parole, je l’ai dite sans hésiter la guerre contre l’image-le monde-image-, pour la présence.» Ils souhaitent une langue transparente, qui ne se laisse pas mener par l’aspect miroitant et simpliste du recours à l’image. Le haïku devient une référence car il ne laisse pas place à l’image mais impose une poésie de mise en rapports.
Recherche d’un paysage élémentaire Bonnefoy parle de « vrai lieu ». Celui où l’infini, l’impalpable se retrouvent pour se dévoiler dans le fini. Il s’agit d’une quête d’un territoire où une révélation aurait lieu. Et l’universel s’y trouverait. Des mots alors comme «clairière », « verger », « paroi » vont ainsi s’imposer dans la poésie française de ces années. Les poètes vont tenter « une sorte de géographie aléatoire de l’Être et du sens ». Pour Philippe Jacottet, le lieu poétique par excellence est le verger. Pour André du Bouchet, l’écriture est une sortie de soi, du réel et des limites du monde. Il écrit alors en disposition rythmique fragmentée: Agrandi jusqu’au blanc l’époque le morceau de terre où je glisse comme rayonnant de froid dans le jour cahotant.
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L’écriture poétique est en mouvement, en quête. Ces poètes disent les territoires arides, rocailleux pour exprimer le parcours poétique. Celui se montre très physique. Voici, par exemple, le poème « Grand vent » de Jacques Dupin qui ouvre le recueil Gravir, paru en 1963: Nous n’appartenons qu’au sentier de montagne Qui serpente au soleil entre la sauge et le lichen Et s’élance à la nuit, chemin de crête, A la rencontre des constellations. Nous avons rapproché des sommets La limite des terres arables. Les graines éclatent dans nos poings. Les flammes rentrent dans nos os. Que le fumier monte à dos d’hommes jusqu’à nous! Que la vigne et le seigle répliquent A la vieillesse du volcan! Les fruits de l’orgueil, les fruits du basalte Mûriront sous les coups Qui nous rendent visibles.
La chair endurera ce que l’oeil a souffert, Ce que les loups n’ont pas rêvé Avant de descendre à la mer. L’écriture est fragmentée et fulgurante. Violente même dans sa recherche. Le poète Jacques Dupin écrit dans un extrait de Le Gresil, ed. P.O.L: Se lever tôt, se coucher tard, restreindre l’espace de réparation retrouver le souffle des mots perdus hors la cage d’air Comme le cheval qui se bat contre les taons, le hasard, contre les mouches et le noir avec tes contre-cages odorantes avec les insectes doux d’un visage de femme-enfant qui se glissenr, qui se jouent entre les branchies et la soif Poésie est le révélateur existentiel
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Les poètes contemporains expriment leur foi en la poésie, seule susceptible de transcender le rêve et permettre à l’homme l’expérience de l’être. Ils ressentent l’urgence de l’écriture face à l’inexorabilité de la mort et la poésie prend une valeur de cheminement initiatique. Elle permet ainsi de saisir la plénitude de la « présence » ou d’en déplorer l’absence. Les poètes veulent toucher l’infini et l’invisible en lui trouvant un lieu.
PARCOURS & Expérience initiatique D’après ce que nous avons pu voir de la poésie contemporaine des années 50, celle-ci se caractérise par la recherche d’elle-même. Les poètes ont une démarche initiatique. La poésie est un lieu de recherche, elle devient alors une expérience fulgurante ou bien un parcours sur lequel le poète pose des questions et cherche des réponses. On peut penser à son application dans un langage spatial. De nombreux espaces sont conçus pour offrir au visiteur, une sensation de progression par le biais de chemins ou de parcours. La contemplation et la méditation sont souvent des notions importantes pour un créateur d’espace. Il veut faire découvrir, réfléchir et interroger le visiteur qui occupe le lieu. Mais il incite aussi le visiteur a vivre l’espace. Il découvre et expérimente l’espace au fur et à mesure de son avancée.
J‘ai souvent éprouvé un sentiment d’inquiétude, à des carrefours. Il me semble dans ces moments qu’en ce lieu ou presque : là, à deux pas sur la voie que je n’ai pas prise et dont déjà je m’éloigne, oui, c’est là que s’ouvrait un pays d’essence plus haute, où j’aurais pu aller vivre et que désormais j’ai perdu. (...) Et pourtant, c’est quand j’en suis venu à cette sorte de foi que l’idée de l’autre pays peut s’emparer de moi le plus violemment, et me priver de tout bonheur sur terre. Car plus je suis convaincu qu’elle est une phrase ou plutôt une musique - (...) et plus cruellement je ressens qu’une clef manque, parmi celles qui permettraient de l’entendre. (...)
On ne désire l’ailleurs que là où l’ici s’affirme. Yves Bonnefoy, L’arrière-Pays, édition Skira, 1972.
La poésie est le lieu de l’expérience. Si elle est «cette pensée de l’universel, cette exploration des grands aspects et besoins de l’être-au-monde» comme le dit Yves Bonnefoy, la traduction poétique permet «le dégagement de l’universel, la réouverture du champ de la raison». Pour le poète, le seul moyen d’avoir accès à «l’intuition de la présence», est dans le partage existentiel. Il faut se chercher soi-même pour trouver l’autre et ce n’est que dans cette ouverture sur la réalité existentielle de l’Autre que l’on peut obtenir le jaillissement d’une vérité essentielle. Elle ne peut pas être définitive mais du fait qu’elle soit partagée, elle est authentique. Par une mise en dialogue, on peut penser l’espace comme un lieu d’expérience également. Il propose plusieurs voies d’accès, plusieurs ouvertures et interprétations et parfois guide jusqu’au lieu de l’expérience ultime qu’il propose. Par exemple, dans l’église arc-en -ciel de Séoul, la lumière pénètre l’espace par le vitrail monumental et l’espace se trouve inondé de ces spectres de lumière colorés. Le visiteur se sent comme aspiré par cette lumière pénétrante et ne peux que ressentir l’immensité de l’expérience, de l’instant. La lumière, naturelle notamment, influence beaucoup la perception que l’on fait d’un espace. C’est pour cela qu’un créateur d’espace a tout intérêt de s’en servir afin de provoquer le visiteur. L’installation de Daniel Buren propose une autre vision de l’architecture du MUDEM. Les pans de couleurs se reflètent sur les murs, le sol et l’espace est transfiguré à chaque heure de la journée. Le visiteur a la sensation d’assister à un phénomène naturel (lumière) et unique. Les concepts de passage et de circulation sont également très importants dans la création spatiale. Dans le musée Jean Cocteau de Rudy Ricciotti, les coursives extérieurs sont semi-enveloppées. La «carapace» du bâtiment laisse la lumière filtrer. Le visiteur ressent ainsi l’impression d’étapes qui se succèdent, de lieux à traverser. C’est un parcours où l’ombre et la lumière s’alternent. Architecture, contre-architecture : transposition | Daniel Buren | MUDAM, Luxembourg | 2010.
Musée Jean Cocteau | Rudy Ricciotti | Menton, France | 2010.
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Rainbow Church | Tokujin Yoshioka | Séoul, Corée | 2010.
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En effet, les espaces de transition commes les rampes d’accès à l’entrée principale ou bien les escaliers dans les espaces intérieurs, sont des lieux pouvant amener le visiteur à réfléchir, à méditer sur leur avancée, leur progression. Cela peut aussi inviter à la contemplation. Certains concepteurs considèrent davantage ces lieux de transition et leur accordent une grande importance tant par leur encombrement que par leur dimension temporelle. C’est le cas du centre culturel d’Oscar Niemeyer. Oscar Niemeyer, fervent admirateur de la ligne courbe, propose une entrée en hauteur. Un long escalier en colimaçon contourne le pilier structurel pour enfin accéder au bâtiment en rotonde de verre. Sa volonté est clairement de proposer au visiteur de se délecter de la vue environnante et de prendre conscience de son ascension vers un lieu qui se démarque de tout autre. Cette volonté est commune avec celle de Emmanuel Combarel qui fait faire des détours à la rampe d’accès au musée Tomi Ungerer et celle de Mochen Architects qui compose l’espace en déployant des plateformes et des escaliers. Dans l’église d’Eladio Dieste en Uruguay, l’escalier menant au clocher apparaît comme un chemin vers le ciel. La lumière naturelle vient rythmer cette progression pénible et lente vers le sommet et celle-ci donne un caractère spirituel à cet édifice religieux. Ces parcours imposées ou proposées sont des volontés du créateur afin de générer chez le spectateur une conscience de l’espace qu’il fréquente. C’est pour provoquer en lui un questionnement, une réflexion. Pour lui permettre de prendre le temps de découvrir et de méditer sur ce qui l’environne. Centre culturel international | Oscar Niemeyer | Avilés, Espagne | 2008-11.
Iglesia Parroquial de Cristo Obrero | Eladio Dieste | Atlandida, Uruguay | 1952.
Musée Tomi Ungerer - Centre international de l’Illustration | Emmanuel Combarel | Strasbourg, France | 2007.
Cocoon | Mochen Architects & Engineers | Tianjin, Chine | 2011.
Le parcours peut s’apparenter graphiquement à une ligne qui se coupe et s’entrecoupe et crée ainsi des virages, des changements de directions. C’est une ligne comme un labyrinthe permettant d’accéder à un point central, un espace privilégié. La même ligne est répétée en réduction ou bien c’est la perspective qui se charge de provoquer cette sensation de resserrement comme pour l’escalier de Project Orange. 197 Shoreham Street | Project Orange | Sheffield, Angleterre | 2011.
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Showroom- boutique Olivetti | Carlos Scarpa | Venise, Italie | 1958.
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Recherche autour de la ligne courbe et circulaire afin de multiplier et décliner l’idée de parcours, de différentes voies à emprunter, de lignes à suivre.
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« Figurer » : Subversion et « écriture textuelle »
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Esthétique et procédés d’écriture Nés pour la plupart dans les années 30, les poètes les plus représentatifs de cette génération nouvelle sont Michel Deguy,Denis Roche, Marcelin Pleynet, Bernard Noël, Claude Esteban, Christian Prigent, Alain Jouffroy, ou l’oulipien Jacques Roubaud. Cette décennie sera marquée par le règne de sciences humaines, du structuralisme et de la primauté textuelle et politique. C’est une période subversive où l’on se concentre sur l’écriture et l’on se détourne du paysage. Le travail du langage est au coeur des préoccupations et les poètes se concentrent sur son pouvoir de transgression. Découpe du langage et du monde
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Pour le poète Denis Roche, la poésie est comme la photo une affaire de focale: elle vise et cadre, elle découpe le monde en séquences d’images. Et pour Jacques Roubaud, il s’agira de séquences mathématiques faisant office de modèles formels. La poésie constitue un « langage de surface ». Elle procède par accidents, par chocs et courts-circuits.
Mise en relation
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La poésie est le lieu où le réel vient prendre « figure » explique Jean Michel Maulpoix. Le texte poétique est polyphonique. Les poètes multiplient les isotopies, les images, les correspondances et les métaphores. Ils privilégient les analogies : ainsi la poésie dit une chose par une autre. La poésie ne doit pas résoudre les contraires mais les faire co-habiter. Les poètes valorisent la cité, la vitesse, l’Histoire, la circonstance et mettent en équilibre celles-ci avec l’accidentel et l’aléatoire.
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Découper pour associer Les poètes découpent les mots, les vers, les phrases. Ils créent une nouvelle façon de lire, une nouvelle façon d’écouter. Dans un langage spatial, cela revient à segmenter un espace, créer des espaces dans d’autres espaces. Créer des liens entre ces espaces. Et laisser une place à l’accidentel, à l’aléatoire. Le parcours n’est pas totalement défini, il y a plusieurs sens de circulation et plusieurs possibilités visuelles. On multiplie l’espace à l’intérieur de lui-même.
Tu me manques mais maintenant Pas plus que ceux que je ne connais pas Je les invente criblant de tes faces La terre qui fut riche en mondes (Quand chaque roi guidait une île A l’estime de ses biens (cendre d’ Oiseaux, manganèse et salamandre) Et que des naufragés fédéraient les bords) Maintenant tu me manques mais Comme ceux que je ne connais pas Dont j’imagine avec ton visage l’impatience J’ai jeté tes dents aux rêveries Je t’ai traité par-dessus l’épaule (Il y a des vestales qui reconduisent au Pacifique Son eau fume C’est après le départ des fidèles L’océan bave comme un mongol aux oreillers du lit Charogne en boule et poils au caniveau de sel Un éléphant blasphème Poséidon) Tu ne me manques pas plus que ceux Que je ne connais pas maintenant Orphique tu l’es devenu J’ai jeté Ton absence démembrée en plusieurs vals Tu m’as changé en hôte Je sais Ou j’invente Michel Deguy, «Prose», extrait de Figurations, 1969.
FRAGMENTER ET COMPOSER Le principe de décomposer une surface, une forme permet d’obtenir de nouvelles pièces. De là, on peut librement les associer. Dans la scénographie d’exposition de Zaha Hadid, on voit que l’espace semble être fait de deux lieux qui se rejoignent dans une sensation de mouvement et de vitesse. Le noir et le blanc s’opposent mais s’emboîtent. De plus, dans les Geometric Rooms d’ Esther Stocker, les éléments semblants être des fragments de lignes, de matière, de par leur disposition, créent un nouvel espace et provoquent de nouvelles perspectives. Ce principe de fragmentation ouvre la voie à de nouvelles perceptions de l’espace. Zaha Hadid et le Suprématisme exposition | Galerie Gmurzynska, Zurich, Suisse | 2010.
Geometric Rooms | Esther Stocker.
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Recherche graphique et spatiale autour de la fragmentation multipliée d’un carré régulier.
DYNAMIQUE IRRéguliere La découpe peut servir à faire entrer de la lumière dans un espace comme c’est le cas du Space Lab, pavillon de design réalisé à l’Université de Tokyo. En effet, ses murs et plafonds sont parsemés d’ouvertures longues et étroites placées de manière aléatoire. La vue sur l’extérieur se trouve alors fragmentée mais propose de cette façon un nouveau tableau. De plus, la façon de contempler l’extérieur est modifié par rapport à une fenêtre ordinaire. Les occupants de l’espace modifient leur comportement pour se placer là où il leur plaît de regarder. Le paysage extérieur est fragmenté mais de ce fait, il est multiplié. Et l’espace intérieur devient vibrant grâce à ces interventions de l’extérieur. L’exemple de l’aménagement extérieur du bâtiment de la bibliothèque Raymond-Lévesque à Montréal est très intéressant car il propose un autre principe. Les architectes, ici, ont utilisé la pierre et au lieu de l’utiliser à plat, lisse, comme elle l’est généralement, ils l’ont assemblé, la tranche irrégulière vers le haut. Cela donne un effet de composition intéressant, évoquant la vitesse et renforçant le caractère minéral et naturel de la pierre. Ces morceaux de pierre associés créent une dynamique particulière et vient donner un rythme irrégulier et saccadé répondant à la régularité du bâtiment. Expérimentation sur une forme découpée. Celle-ci devient deux éléments qui viennent s’emboîter et interagissent différemment selon leur position.
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Space Lab at the University of Tokyo | Kohki Hiranuma Architect & Associates | Tokyo, Japon | 2010.
Bibliothèque Raymond - Lévesque | Jodoin Lamarre Pratte + Manon Asselin | Montréal, Canada | 2010.
L’œuvre de Tony Heywood propose d’associer deux formes, deux rendus, deux textures totalement différents. D’un côté, cce sont des formes géométriques, anguleuses, à la surface lisse unie et plutôt mat tandis que de l’autre côté, ce sont des formes organiques, au très colorées et scintillantes, au caractère précieux. Pourtant ici, malgré le fait que tout les oppose, leur mise en dialogue paraît évidente. L’un valorise l’autre et vice et versa. Dans un autre genre, Daniel Buren avec «le temps d’une œuvre» découpe l’espace par le bias de multiples cloisons étroites, transparente et colorées. Selon là où le visiteur se place, les couleurs changent en se superposant et la perception de l’espace évoluent au fur et à mesure. The Calling | Tony Heywood | Kinsale, Irlande | 2005.
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Le temps d'une œuvre | Daniel Buren | MAC, Lyon | 2005.
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Recherche sur la rupture d’une ligne et les diffÊrentes combinaisons possibles.
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« Décanter » : || 1970 || L’émergence du littéralisme Esthétique et procédés d’écriture Les poètes manifestent une rigueur formelle stricte. Ils visent cette fois la littéralité. « Littéral » est ce qui s’en tient uniquement à la lettre. Ces poètes sont Emmanuel Hocquard, Claude Royet-Journoud, Anne Marie Albiach et Jean Daive. Ils sont nés dans les années 40 et sont marqués par l’horreur de la seconde guerre mondiale. Ils radicalisent le procès intenté au lyrisme, ils refusent le concept de profondeur de la poésie ou toute subjectivité. La poésie est faite de signes simplement et ne contient ni vérité ni monde caché. Ils se préoccupent uniquement de la parole et de la dynamique de l’écriture. Minimalisme et neutralité
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Les poètes vont écrire des élégies neutres ou neutralisées. Le sentiment y sera banni. Ils veulent obtenir une langue froide, puritaine et la poésie est définie par un pur travail logique. Ils écrivent pour savoir ce qu’est l’écriture. Ainsi, ils multiplient les césures et expriment une poésie entrecoupée et impossible à articuler selon J.M. Maulpoix. On note le fait que le poème se trouve alors juste composé de quelques mots seulement ou même de quelques syllabes. Il n’y a plus de musique ou d’harmonie mais la langue dite, telle quelle. il taira
le retour de la préposition devant le chiffre la mainmise du neutre quand le corps est une phrase à venir Claude Royet-Journoud, «La notion d’obstacle», éd. Gallimard, 1978, p. 38.
Le poète tient la distance. Il regarde la poésie avec un oeil d’inspecteur. Il observe l’écriture et dépouille le langage. Ils vont disloquer le discours, laisser des vides et proposer des textes lacunaires. « Dans son erm i tage de roses »
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Emmanuel Hocquard , «Les élégies» (p.57), Paris, P.O.L, 1990
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DISLOQUER & MISE A DISTANCE A nouveau, les poètes de cette décennie disloque, découpe et dissèque la langue. Mais il y mettent cette fois-ci, une distance. Il ne s’implique plus que dans le matériau lui-même. Il travaille la matière et tente de l’observer objectivement. Elle n’est pas forcément issu d’un ressenti mais davantage réfléchie. Pour provoquer un sentiment chez le visiteur ou bien signifier quelque chose. Nous allons pouvoir constater que des créateurs d’espace cherchent à mettre en valeur, grâce au minimalisme de la matière ou de la texture, les ouvertures générées par la dislocation et cherchent à créer des perspectives plus grandes par le biais de la mise à distance.
Commentaire ou monologue «il se trouve à présent du récit dont nous n’avons vécu que la rétrospective, ou la parenthèse, le moment dénie le mythe du fini redit de celui qui est parvenu de l’étreinte agit en lui «était le contact qui abstrait de la terre par la voix de qui en ce lieu de non-terre où reprend en sens inverse car il faut l’horizontal au vertical abîme «qui en son mouvement ÉPIQUE elle est la puissance de l’obscur» et veut l’appeler un transitif première : nuit persistante déjà le froid ses antinombres Anne-Marie Albiach, extrait de état, 1971.
On disloque mais pas seulement donc. Il s’agit mettre une distance. Spatialement, on prend le parti de la matière. Elle vient à être découpée ou juste fendue comme dans la Lateran University de Rome. Ce bloc monolithique est tranché par fissures laissant juste la lumière filtrer à l’intérieur. Bien qu’il soit anguleux, le bâtiment s’impose avec respect et rigueur. Dans le musée Juif de Berlin, Daniel Libeskind entrepose des sections de béton brut semblant traverser les murs. Cela ressemble à des brèches, disloquées dans l’espace comme des blessures, des cicatrices. Lateran University | King Roselli Architetti | Rome, Italie | 2006.
Musée Juif | Daniel Libekind | Berlin, Allemagne | 1993-1998.
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Recherches autour de la dislocation et de sa mise à distance pour multiplier les perspectives.
Dans la boutique Olivetti de Venise, Carlos Scarpa joue avec le rythme dans les détails. Ici l’on ressent une dislocation de la même forme qui à chaque temps se décroche. Cela crée des temps de vide, de plein qui se succèdent. De façon différente, dans un détail du pavillon Ningbo Tengtou à Shangaï, des ouvertures sont ciselées à même hauteur dans les parois se succédant à distance. Cela donne d’une ouverture déchirée, qui cherche à dévoiler ce qu’il y a derrière. Tous ces murs créent une mise à distance avec la perspective du paysage. Showroom- boutique Olivetti | Carlos Scarpa | Venise, Italie | 1958.
Le pavillon Ningbo Tengtou | Wang Shu | Shangaï, Chine | 2010.
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Recherches diverses autour de la dislocation, de l’amas de formes morcelées pour en créer une nouvelle ou sur l’usage que peut générer la dislocation d’une forme.
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« Articuler » : || 1980 || Recherche d’un nouveau lyrisme Esthétique et procédés d’écriture La génération de poètes que l’on nomme aussi « les nouveaux lyriques » s’est nourrie du marxisme, du structuralisme et de la psychanalyse. Elle est soucieuse de montrer sa modernité. Ils veulent remettre le lyrisme à l’honneur mais un lyrisme critique où le sujet et le quotidien sont majeurs. Parmi ces poètes se trouvent Jean-Pierre Lemaire, Guy Goffette, André Velter, James Sacré, Benoît Conort, Philippe Delaveau, Jean-Yves Masson, Jean Pierre Siméon, Yves Leclair... Ils s’appuient sur leurs ainés tels que Jacques Réda, Pierre Oster, Lionel Ray, Marie-Claire Bancquart, Vénus Khoury-Ghata ou Jacques Darras. Les poètes veulent renouer tradition et modernité. On note l’usage de l’image et une recherche de « musicalité ». | L’écriture traduit l’émotion
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Les poètes retrouvent le goût de l’émotion et de la subjectivité. Leur lyrisme s’associe davantage à la question de l’autre que de soi. Ils cherchent à exprimer la perte, l’absence, le désir, la célébration ou la déploration. Ils veulent « réarticuler » ces thèmes, d’après l’expression de J.M. Maulpoix.
Le lyrisme se cherche de manière décousue dans les vers ou dans la prose. Les poètes cherchent à faire transparaître l’émotion dans leur mise en œuvre du langage. On trouve une sensation de boitement, de déhanchement dans les poèmes. On sent la voix qui tremble, peu assurée, en proie à l’émotion du poète. Rien pas de silence et pas de solitude la maison dans le printemps quotidien la pelouse une herbe pas cultivée ce que je veux dire c’est pas grand chose un peu l’ennui à cause d’un travail à faire et pour aller où pourquoi? ça finit dans un poème pas trop construit comme un peu d’herbe dure dans le bruit qui s’en va poignée de foin sec le vent l’emporte ou pas ça peut rester là tout le reste aussi la maison pas même dans la solitude printemps mécanique pelouse faut la tailler demain c’est toujours pas du silence qui vient. Est-ce que c’est tous ces poèmes comme de la répétition? je sais pas au moment qu’en voilà un encore avec pourtant comme du vert dans soudain les buissons en mars un désordre avec des feuilles pourries dans à cause du vent avec le vert maintenant ça fait une drôle de saison neuve et vieille est-ce que c’était pareil l’année dernière? j’en ai rien dit pourtant j’en ai écrit des poèmes ça a servi à je me demande bien quoi ça a disparu des mots qu’on a dit j’ai mal entendu. James Sacré
| Lieux concrets ordinaires
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Les poètes délaissent le « verger », la « clairière » soit les lieux abstraits qui figurent la beauté d’un instant en accord avec le monde pour des lieux très ordinaires comme les terrains vagues chez James Sacré, pour Guy Goffette, une simple cuisine de province ou les « gares » et les « banlieues » chez Réda
Vous n’en finissez pas d’ajouter encore des choses, Des boîtes, des maisons, des mots. Sans bruit l’encombrement s’accroît au centre de la vie, Et vous êtes poussés vers la périphérie, Vers les dépotoirs, les autoroutes, les orties; Vous n’existez plus qu’à l’état de débris ou de fumée. Cependant vous marchez, Donnant la main à vos enfants hallucinés Sous le ciel vaste, et vous n’avancez pas; Vous piétinez sans fin devant le mur de l’étendue Où les boîtes, les mots cassés, les maisons vous rejoignent, Vous repoussent un peu plus loin dans cette lumière Qui a de plus en plus de peine à vous rêver. Avant de disparaître, Vous vous retournez pour sourire à votre femme attardée, Mais elle est prise aussi dans un remous de solitude, Et ses traits flous sont ceux d’une vieille photographie. Elle ne répond pas, lourde et navrante avec le poids du jour sur ses paupières, Avec ce poids vivant qui bouge dans sa chair et qui l’encombre, Et le dernier billet du mois plié dans son corsage. Jacques Réda, «Personnages dans la banlieue», Amen, Récitatif, La Tourne, Gallimard,
| Lexique simple
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Le vocabulaire employé, notamment chez Jacques Réda, est particulièrement prosaïque, puisqu’il parle de « périphérie », de « dépotoirs » et « d’autoroute ». Cependant, il garde des traits poétiques à travers les images créées et les rythmes binaires ou ternaires: « les dépotoirs, les autoroutes, les orties ». On renoue ici avec une simplicité de la parole qui coule de source, qui va de soi.
ESPACE VIVANT & MOUVANT Il est intéressant de penser à un espace vivant, qui pourrait vibrer comme l’homme est rythmé par ses ressentis. Avec l’avancée technologique, nous voyons apparaître des systèmes plus innovants, plus précis et des matériaux dits « intelligents ». Cela permet aux designers d’élargir le champ des possibles. La quête d’un espace vivant est objet de nombreuses études et conceptions. Les designers cherchent de plus en plus à se rapprocher de la nature : le biomorphisme, la recherche de matériaux naturels, l’aspect écologique des créations... Nous pouvons nous interroger sur la façon par laquelle on peut donner cette illusion du « vivant ». La notion de mouvement est majeure. Un espace est perçu et ressenti comme « vivant » s’il sort de son aspect figé et immobile. Ce qui est important, c’est que l’espace soit ressenti ou perçu comme «vivant» car il se rapproche des émotions humaines. L’âme et ses humeurs sont changeantes et l’espace peut s’y apparenter par des formes en mouvement continu. On sort du contexte du connu pour se projeter dans une conception de l’espace plus introvertie. Il devient plus abstrait mais plus proche de ce que l’homme connaît de son espace intérieur.
Maintenant c’est le noir Les mots c’était hier dans le front de la pluie à la risée des écoliers qui traversent l’automne et la littérature comme l’enfer et le paradis des marelles Tu prêchais la conversion pénible des mesures agraires à des souliers vernis des sabreuses de douze ans qui pincent le nez des rues et giflent la pudeur des campagnes étroites Tu prêchais dans les flammes du bouleau du tilleul à des glaciers qui n’ont pas vu la mer encore et qui la veulent tout de suite et qui la veulent maintenant Maintenant c’est le noir tu changes un livre de place comme s’il allait dépendre de ce geste risible en soi que le chant te revienne et détourne enfin avec la poigne de la nuit le cours forcé de ta biographie Guy Goffette, «Maintenant c’est le noir», Solo d’ombres, 1983.
Rolex Learning Center | SANAA | Écublens, Suisse | 2010.
Cloud Gate | Anish Kapoor | Chicago, USA. | 2004.
Choeur de l’Eglise Saint-Hilaire | Matthieu Lehanneur | Melle, France | 2011.
Reverse of Volume | Yasuaki Onishi | Rice Gallery, Houston, USA | 2012.
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L’ écriture traduit l’émotion chez les poètes de cette période. Cela en fait une écriture mouvante et vivante. L’espace peut paraître lui aussi en mouvement. Beaucoup de concepteurs tente de créer une architecture qui se veut être palpable, enveloppante et se présentant tel un organisme autonome. Le choix est porté sur des textures lisses et douces, des formes courbes et légères. Dans l’architecture du centre Rolex, les architectes de SANAA offre, dans le hall d’entrée, une perspective douce grâce au sol et au plafond blancs qui se suivent d’un même mouvement. Le visiteur est comme à l’intérieur d’un organisme vivant. Les surfaces semblent liquides presque laiteuses. Nous retrouvons cette idée dans l’intervention de Matthieu Lehanneur pour le chœur de l’église Saint Hilaire à Melle. La plateforme lisse à les formes généreuses et est de couleur blanche. Elle semble avoir «coulé» à cet endroit en prenant les contours de l’existant. Elle prend ce caractère minéral et semble indivisible du reste de l’église datant de l’époque romane. D’une autre manière, la sculpture monumentale Cloud Gate d’Anish Kapoor, semble être un organisme naturel. Celle-ci a une forme proche du «haricot» ou bien d’une goutte de mercure et possède une chambre concave en son centre sous laquelle les visiteurs peuvent déambuler. L’acier inoxydable poli pour générer un effet miroir provoque une vision de réalité déformée. Au fur et à mesure que le visiteur se déplace, ce qu’il perçoit du monde réel est en mouvement et se modifie. De plus, on peut le voir avec l’installation Reverse of Volume que la dimension fragile et sensible traduit également une sensation de mouvement.
Photographies de détail de céramique exposée aux aléas du vent et de la pluie. La texture est très intéressante et montre que la matière évolue. Elle semble être vivante.
Structure réalisée à l’aide d’une trame tissée et de tissus afin d’obtenir une impression de corps organique. La texture obtenue et sa forme en tube et courbe participent à cet effet.
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Expérimentation autour du papier, du mouvement lié aux découpes, de l’aspect organique que cela peut engendrer. Ces courbes semblent en mouvement et en évolution.
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« Déconstruire, aggraver » Esthétique et procédés d’écriture Durant les années 90, on observe, toujours d’après J.M.Maulpoix, que la poésie française se voit composée de nombreuses démarches constructivistes qui s’associent à un parti pris de l’aggravation. Parmi cette nouvelle génération sont présents des poètes tels que Natalie Quintane, Eric Sautou, Vincent Tholomé, Olivier Cadiot et Pierre Alfer. | élaboration minimale La recherche littéraliste qui avait été entreprise dans les années 70, par Emmanuel Hocquart par exemple, est poursuivie. Elle se voit plus ludique et plus enfantine. Les poètes font des phrases qui ont des allures naturelles, du quotidien. Les poèmes sont comme troués par les blancs qui semblent indiquer une prise de note rapide, évasive. Le discours est lacunaire. Les poètes délaissent et critiquent fortement le lyrisme. « Qu’il m’attende dans le salon. Ne marchez pas si vite Il fait encore plus froid qu’hier Ne restez donc pas debout. Asseyez-vous donc Il y a encore un peu de lait et un peu de café ». Olivier Cadiot , L’art poétic’, P.O.L,1980.
| Montage et bricolage
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L’aspect hétérogène est très présent dans la poésie de ces années-là. On note des dessins, des jeux typographiques, des citations musicales et des citations en langues étrangères. L’écriture est devenue « bricolage »
|| 1990 2000 ||
comme l’exprime J.M.Maulpoix. Ce rapport au langage est très diversifié selon les poètes. « Cependant la mère pleurer (Imparfait.Ind) de joie en voir (Part. prés.) la politesse de l’étranger. Comme nous faire (Imparf. Ind.) ceci, un jeune homme approcher (Passé simple) ». Olivier Cadiot, « Davy Crockett ou Billy le Kid auront toujours du courage » , L’art poetic ’, P.O.L,1980.
Certains poètes traitent le langage de manière plus « trash » en multipliant les impulsions, interpellations et bafouillages. Ils utilisent un lexique prosaïque et ce traitement de langage pour saisir le réel au plus bas. Ils veulent attraper la réalité dans sa brutalité et dans son incohérence. La poésie s’intéresse plus à la mise en scène de l’écriture qu’à l’écriture elle-même: documents bruts, montages, ready made, magasins ou chantiers textuels, performances sonores, proche des installations des arts plastiques. « C’était bien on pouvait se baigner de là à là mais i surveillaient pas comme i devaient parce que c’était vachement dangereux où on était mais i surveillaient le matin jusqu’à midi et pi l’après-midi i disaient qu’i surveillaient pas mais c’était dangereux aussi l’après-midi qu’i surveillaient pas on comprend pas bien pourquoi i surveillaient pas tu regardais aux enfants pas bien tu les regardais pas cinq minutes ils étaient déjà loin sur leurs matelas pneumatiques incroyable le courant et eux quand i surveillaient i surveillaient pas vraiment iz étaient entre eux comme ça et i regardaient pas et une fois louis a fait l’expérience louis et il était loin après cinq minutes avec le courant et tu crois qu’iz ont bougé penses-tu i l’avait pas même remarqué et quand ça s’est retourné il était vachement loin je lui avais dit louis fais gaffe tu sais pas bien nager penses-tu il a dit i viendront me chercher vite fait il a dit on attend toujours ».
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Vincent Tholomé, Bang, ed. Carte blanche, coll. Prodromes, 2000.
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hétérogénéité & montage La poésie montre ici un aspect nouveau par son caractère chaotique et très diversifié. Elle se qualifie par un amoncellement de bribes de mots, de phrases, de syllabes de toutes sortes, sous toutes formes. On pense facilement cette accumulation mise en œuvre dans le domaine spatial. La composition fait partie du travail du designer d’espace. Il compose avec des éléments qui seront ici, différents, et crée un lieu par cette occasion. Le montage est un terme technique utilisé dans le domaine du design. Assembler plusieurs éléments ensemble pour proposer des compositions nouvelles: changer et détourner les matières/ formes/objets. Il est question de donner un aspect saccadé et disloqué à la matière, à la structure ou à l’organisation spatiale à l’image des poètes contemporains.
D’abord. C’est voiture. Grande. À l’arrêt. Sur bord de route. Au bout du monde. Et on coulisse. Nous. À toute volée. Sa vaste portière arrière. Expédiant. Lui. Grand type mince. Dans le fond. Même pas antipathique. Par la portière ouverte. Lui faisant prendre l’air. En quelque sorte. Le faisant. Lui. Décrire circonvolution. Parfaite. Dans l’espace. Lui. Fendant. Tout à coup. Brouillard blanc. De sorte qu’il se pose. Pan. Sur bord de route. Rebondissant. Balle magique. Sur les pierres noires. Les herbes tendres. De lande. Inculte. Pas loin de ça. Kirkjubaejarklaustur. Atterrissant. Lui. Sur son derrière. Sans ménagement. Déchirant le fond. De son pantalon. Sa valise prend. Juste après. La même tournure. Même tournure que pantalon. Je veux dire. Son fond s’éreintant sur la dureté des pierres. Elle atterrit. Seulement. À quelques pas de lui. Et au plaisir de jamais te revoir. Nigaud de mes deux. On fait. On fait nous tous. Tous les cinq. Dans la voiture. Refermant porte. Brusquement. Et démarrant. On voudrait bien en trombe. Rideau. Quoi. Reprenant route. Alors. Longue et droite. Si rectiligne. Depuis des jours. Enfonçant. Nous. Le véhicule. Dans le brouillard. L’épaisse liqueur. Anesthésiante. À petite allure. 50 à l’heure. Je peux pas faire plus vite. Dit Sven. Conducteur Sven. C’est pas grave. Sven. On fait. Nous autres. On sait tous bien qu’on fait ce qu’on peut. Ici. On dit. Au bout du monde. Tandis que nous. Les passagers. On se retourne. Regardant lui. Une dernière fois. Par vitre arrière. L’autre Sven. Je veux dire. Nigaud de mes deux. Quoi. Piquet planté. Maintenant. Au bord de route. V. Tholomé, extrait de «Kirkjubaejarklaustur», Le clou dans le fer, 2009.
Comme les poètes, les concepteurs créent des espaces comme des installations, des constructions en cours. Les avancées techniques permettant d’aller toujours plus loin. Ils procèdent par juxtaposition comme dans le Mocha Mojo Café où les colonnes et les niveaux sont élevés par la succession de couches comme des «légos». Dans un autre style, l’installation Beyond infinity de Serge Salat semble être une matérialisation de formes géométriques et mathématiques générées par ordinateur qui se croisent et se superposent. Cela crée un espace complexe et semblant irréel. Ils peuvent procéder par le principe d’accumulation comme le studio March avec ses aménagements de boutique pour la marque Aésop où l’on voit des cartons empilés, des caissons de bois montés les uns sur les autres. Ou bien comme l’architecte Kengo Kuma avec ses habillages de murs ou plafonds en tasseaux de bois assemblés. Mocha Mojo Café | Mancini Design | Chennai, Inde | 2011.
Shang Xia | Kengo Kuma & Associates | Aesop chez Merci | March Studio | Paris, France | 2011. Shangaï, Chine | 2010.
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Starbucks Coffee | Kengo Kuma & Associates | Dazaifu, Prefecture Fukuoka, Japon | 2008.
Beyond Infinity jSerge Salat | Shangaï, Chine | 2011.
Recherche plastique autour d’un montage graphique d’une façade par l’usage d’une trame, de lignes obliques et de différentes épaisseurs de trait. Le montage s’exprime par l’accumulation des lignes qui se croisent et se renforcent de cette façon.
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Expérimentation par le biais de la découpe d’un recueil de poésie afin de retirer certains vers. Ainsi, les poèmes se recomposent avec les vers de la page qui suit. De cette façon, les poèmes se renouvellent au fur et a mesure que l’on tourne les pages. Le recueil devient un montage personnalisé des vers choisis et propose une lecture différente des poèmes de l’auteur.
Certains vont plus loin comme superposer des maisons individuelles. Sou Fujimoto revisite la maison classique en les superposant, chacune orientée différemment. Il déjoue tous les codes de l’habitat lorsqu’il réalise la maison NA. Celle-ci est une succession de niveaux, totalement ouverte sur l’extérieur et la structure est entièrement apparente accentuant l’impression de montage. L’effet de montage désordonné peut également être un réel parti pris. Nous pouvons le constater dans la réalisation de Bassam El Okeily. Son intervention est très intéressante. Cette maison individuelle est dotée d’une façade presque totalement vitrée. Derrière celle-ci, on perçoit un amas de volumes semblants désorganisés et en déséquilibre. Mais ce paysage intérieur est en réalité porteur de plateforme permettant au habitants d’observer ce qu’il se passe à l’extérieur. Cela permet également de filtrer la lumière naturelle sans avoir un vis-à-vis total avec les voisins. Tokyo Apartment jSou Fujimoto Architectes | House NA | Sou Fujimoto Architectes | Tokyo, Japon | 2010. Tokyo, Japon | 2010.
La chute de la tour de Babel | John Furnival | 1964.
The narrow House | Bassam El Okeily | Bilzen, Belgique | 2009.
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Recherches graphiques autour des surfaces hétérogènes et des modèles de montage/construction.
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conclusion & transition
SYNTHÈSE LES COURANTS POÉTIQUES
CARACTÉRISTIQUES POÉTIQUES
LE ROMANTISME
Désir d’évasion -Réflexion sur le «Moi» - Paysage témoin - Innovations: trimètre, enjambements - Méditations / Contemplations /Exaltation
LE PARNASSE
Recherche de perfection formelle - Poésie impersonnelle - Écriture poétique devient un matériau - Culte du travail / Technique
DÉCADENCE & MODERNITÉ
Malmène et brutalise le langage et sa mise en œuvre - Rhétorique de l’excès - Images incongrues - Dislocation des règles formelles
LE SYMBOLISME Env. 1885 – 1900
Principe de l’image (synesthésies & correspondances) - Poétique de la suggestion - Recherche de musicalité - Préciosité
APOLLINAIRE & L’ESPRIT NOUVEAU
Rythme intermittent - Supression ponctuation, asyndète - associations aléatoires et déstructuration
LE SURRÉALISME
Primat de l’image - Liberté totale - Inconscient / Ecriture automatique - Exaltation des états limites
LES POÊTES CHRÉTIENS
Dynamique de la parole et du silence - Images évocatrices Écriture révèle mouvances de l’âme
Env.1820-1850
Env. 1850-1860
1870-80
Début XXè siècle Env. 1924-1969
Tout XXème siècle
LES CONTEMPORAINS Refus de l’image, paysage élémentaire Foi en la poésie, seule susceptible de transcender le rêve et permettre à l’humain l’expérience de l’être Urgence de l’écriture face à l’inexorabilité de la mort La poésie a valeur de cheminement initiatique / Révélateur existentiel
1960 - « Figurer » : Subversion et « écriture textuelle »
Valorise la cité, l’histoire, la circonstance, l’accidentel et l’aléatoire. L’écriture et le langage au centre.
1970 - « Décanter » : L’émergence du littéralisme
Élégie neutre, ou neutralisée, où tout sentiment est banni Écriture minimaliste et puritaine > La représentation vide
1980 - « Articuler » : Recherche d’un nouveau lyrisme
Boitement d’une parole défaite, écriture traduit émotion Évocation de lieux concrets très ordinaires
1990-2000 - « Déconstruire, aggraver »
Élaboration minimale, discours lacunaire Aspect de montage hétérogène, écriture devient bricolage Tendance « trash », anti-lyrique
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1950 - « Habiter » : En quête du lieu et de l’élémentaire
OUTILS & CONSTITUANTS SPATIAUX Evasion / Illimité / Infini - Cadrages / Points de vue - Rythme / Décrochements Matériau et sa mise en œuvre avant le reste Dislocation / Chaos / Entrechocs Principe des synesthésies - Suggestion et symbole - Rythme souple Discontinuïté / Rupture
Principe de création par la dislocation
Utopies / Idéal - Rupture Variations rythmiques / Mouvement
Principe de création par le rythme
Quête de l’instant / Expérience initiatique / Parcours
Principe de création par la correspondance
Découper pour associer
Dislocation / mise à distance
Espace vivant et mouvant: témoigne d’un sentiment, ressenti
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Hétérogénéité / montage
Conclusion Après l’observation des caractéristiques principales des mouvements poétiques, nous observons que de nombreux principes reviennent au fil des mouvements. Il s’agit donc de regrouper les « outils » analogues afin de les exploiter spatialement. Ce travail n’a pas pour pour visée de confondre les époques et les mouvements associés. Il est question de trouver des points communs dans le but de créer un langage spatial poétique qui représenterait la poésie dans une dimension générale. On remarque dans l’étude des courants poétiques du XIXè et XXè siècle, que l’idée de rupture, de dislocation formelle et de rythmes interrompus sont très présents. En parallèle de celles-ci, il se ressent un besoin d’idéal et d’illimité lié au dessein de la poésie qui se traduit par des images sous diverses formes. De cette constatation, on peut qualifier plusieurs axes de création qui permettront de se lancer dans des recherches spatiales. Ces expérimentations mèneront à des solutions formelles, organisationnelles et plastiques. Axes de création issus de la mise en dialogue des mouvements poétiques avec la création spatiale: | Dislocation formelle (Suppression des règles formelles et syntaxique – aléatoire - associations libres et qui font choc ) | Rythme (Pleins/vides – musicalité inspirée – entrecoupée) | Correspondances ( Symboles – images significatives – appel aux sens /synesthésies - correspondances)
VERS LES AXES DE CRÉATION
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De cette analyse mettant en parallèle l’écriture poétique et la conception spatiale, trois principes de conception ont été définis. Il s’agit ici de concentrer le travail expérimental et de cadrer les directives créatives en vue du projet final. Le choix a été fait en raison de leur intérêt d’un point de vue spatial et de leur pertinence suite à l’étude des courants poétiques. Le premier est un principe de création par la dislocation formelle. On observe, en effet, que ce principe parcourt la poésie tout au long des siècles. Celle-ci se perçoit dans le démantèlement de l’alexandrin, dans la découpe
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du vers, dans l’abandon progressif de forme traditionnelle ou reconnaissable, dans les rythmes qui deviennent de plus en plus aléatoires et changeants et bien sûr, dans la volonté de rompre avec les codes du mouvement précédent pour toujours renouveler la poésie. La dislocation formelle est un démantèlement de forme et en même temps, elle ouvre d’autres voies de création dont des découvertes inattendues de formes nouvelles et innovantes. Elle permet de réaliser des associations libres qui font choc. Ensuite, un principe de création par le rythme comme valeur absolue. Il s’agit de prendre le rythme pour lui-même et de créer dans le but de l’exploiter. Dans la poésie, la musicalité est très importante. Celle-ci est régie par les vers, les césures, les respirations et la ponctuation. C’est une « musique » inspirée. La forme est en accord avec l’émotion du poète ou celle qu’il veut faire ressentir à son lecteur/auditeur. Ainsi, pour ouvrir l’expressivité poétique, les auteurs ont modifié les codes du poème classique. Ils ont voulu appuyer certains vers, faire des vides et des silences un vrai moment du poème et donner du mouvement à leur poésie pour qu’elle devienne plus palpable. Ainsi, on observe que la linéarité du poème est parfois continue, d’autres entrecoupée et même suspendue. De cette façon, les poètes n’ont cessé de créer des rythmiques dans leurs poèmes selon ce qu’ils disent ou ressentent. Et enfin, principe de création par les correspondances. Ceci rejoint l’usage de l’image sous toutes ses formes dans la poésie. Mais ici, il s’agit de l’aborder de façon plus large comprenant le principe des correspondances (faire écho à, , des synesthésies et la présence de symboles et de signes. Souvent les designers dans leur travail, justifient la présence de tel ou tel élément en faisant appel à ce que celui-ci évoque chez le visiteur de l’espace. En effet, le designer d’espace cherche à communiquer une idée ou une sensation. Il peut user de signes clairs ou bien de symboles qui renvoient alors au patrimoine culturel et social de chacun. Il peut aussi toucher le visiteur en créant des correspondances sensitives ou signifiantes en faisant appel aux sens de celui-ci et rendant ainsi l’expérience vécue plus intense. Nous pouvons mettre en paralèlle à ce propos des mots de Hegel «L’architecture est un langage muet à l’intention des esprits». La création d’espace communique une pensée essentielle à «valeur générale»; la fonction peut être transcendée par le symbolique. Quand on observe un espace, il est intéressant de saisir une correspondance entre l’extériorité sensible et le contenu de la représentation. Celle-ci doit être claire, accessible et évidente. L’architecture transmet un message universel par l’usage d’une série de symboles.
«Le poète se consacre et se consume à définir et à construire un langage dans le langage» Paul Valéry
&
biblio足 gRaphie
Livres & ESSAIS LA POésie | Suzanne Bernard, Le poème en prose de Baudelaire jusqu’à nos jours, Nizet, 1959, p.197-198. | Esthétique ou philosophie de l’art, Tome premier, de Georg Friedrich Wilhelm Hegel, cours professés en 1818. | Pierre Jean Jouve, En Miroir « De la poésie », Œuvres complètes, Paris, Mercure de France, 1987, Tome II, p. 1055.
RELATION ESPACE ET POésiE
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| L’art et l’Espace de Martin Heidegger. | Poétiser et penser le temps de détresse - sur le voisinage de Heidegger et Hölderlin de Friedrich Wilhelm Von Hermann, (p.73-90), L’Harmattan, 2000. | Habiter en poète de Jean Claude Pinson, Champ Vallon, 1995. | Poétique de l’espace de Gaston Bachelard, édition PUF, 2009. | «Ô poème architecture de pensée » , Pierre- Albert Birot | «Poetria nova» de Geoffroy de Vinsauf cité par Roy ERIKSEN, The Building in the Text : Alberti to Shakespeare and Milton. University Park, PA : Pennsylvania State University Press, 2001. | « La Hiérarchie. Littérature et Architecture : tout, parties, dominante ». De l’Architecture à l’épistémologie : la question de l’échelle de Philippe Hamon, p.156, sous la direction de Ph. Boudon. Paris : PUF, 1991. | La trame et le hasard de Jean François Chevrier, l’Arachnéen, Paris, 2010.
l’étude des courants: | Genres et formes de la poésie de Jean Louis Joubert, édition Armand Colin, 2003. | La poésie de Stéphane Labbe, édition Ellipses, 2009.
AUTRE: | Le regard des sens, Juhani pallasmaa, 2010, éditions du linteau. | Les espaces de l’homme d’ Alain Berthoz | Phénoménologie de la perception de Merleau Ponty
RECUEILS DE POéSIE AUTRES QUe CEUX deja identifiés :
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| Correspondances, Mallarmé, 1884, p.266 | Art Poétique, Guillevic, édition Gallimard/Poésie, 1989 | Etier, Guillevic, édition Gallimard/Poésie, 1991. | Anthologie de la poésie française du XXème siècle, vol 1 & 2, édition Gallimard/Poésie, 2000.
ARTICLES (PRESSE/ INTERNET) | « Le langage architectural dans les romans de Victor Hugo , de la technique au symbole » Par Chantal Brière - jeudi 15 mai 2008, par Rédaction Journal3. | Béatrice Bonhomme , « La poésie et le lieu », Noesis , Numéro 7 | 2004 , mis en ligne le 15 mai 2005 sur http://noesis.revues.org/index29.html | Online Magazine of the Visual Narrative : http://www.imageandnarrative.be/inarchive/Images_de_l_invisible/Arino.html «Images de l’invisible dans Twin Peaks. Fire walk with me de David Lynch – Le battement entre les mondes ou les sept derniers jours de Laura Palmer»de Marc Arino, mars 2009 | «Yves Bonnefoy : le lieu sans formule» d’Yves Ventresque issu du site : http://www.crdp-montpellier.fr/ressources/frdtse/frdtse33c.html | Muséographie et interprétation de l’œuvre d’art : http://www2.univ-paris8.fr/scee/repdupasse/museographie_et_interpretation_051.html Représentations du passé, ed. Le fil d’ariane, 2009, institut d’études européennes de Maria-Anne Privat. | Les belles ondulations du musée Cocteau de Philippe Trétiack, BeauxArts Magazine, numéro 332, p. 56-59, février 2012.
EMISSION RADIO
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| «Une vie, une œuvre», Martin Heidegger, pensée du divin et poésie, France Culture, 10/12/2006
COMPTES RENDUS DE CONFérences & ENTRETIENS | Conférence A la poésie de l’architecture par Isabelle Coste et David Orbach, architectes DPLG, à l’ENSA. | Visible ardent d’invisibilité de Philippe Madec :Réponses à trois questions sur la poésie et l’architecture. Cet entretien avec Alice Laguarda a été publié dans la revue PARPAINGS, num. 04 de juin 1999. | Conférence de Darmstadt, Bâtir, habiter, penser (5 août 1951) de Heidegger.
SITES INTERNET l’étude des courants: | Etude et analyse des courants poétiques contemporains : http://www. maulpoix.net/
INFOS projets référencés : | http://www.archdaily.com/ | http://www.dezeen.com/
RELATION ESPACE ET POésiE
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| L’Utopie ou la poésie de l’Art : http://expositions.bnf.fr/boullee/arret/d7/ d7-1/7-1.htm
MES Remerciements
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à tous les poètes, à tous les créateurs, à ma mère pour sa poésie et son amour des mots, à mon amour, à mes amis, à ma famille pour m’avoir supporté, à Mélinée et Jany pour leur talent et leur grande aide, à Céline pour avoir le don de tout dédramatiser, à Hugues Weill pour son approche du design, sa sensibilité et son oreille attentive, à mes professeurs Lionel Hager et Gilles Le Bars, et à tous ceux qui ont pris le temps de me lire.
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FRAGMENTER CREUSER Déniveler Déformer déployer marteler répéter varier vibrer interrompre Suggérer symboliser
1
toucher
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SOMMAIRE 04 INTRODUCTION 06 CONTEXTE DE MISE EN OEUVRE 08 AXES DE CRéation 08 PRINCIPE DE créatioN PAR LA DISLOCATION 11 Fragmenter 25 Creuser / déniveler 31 Déformer / déployer
37 PRINCIPE DE créatioN PAR LE RYTHME 40 Marteler / répéter 44 Varier / vibrer 52 Interrompre
60 PRINCIPE DE créatioN PAR LA CORRESPONDANCE 63 Suggérer / symboliser 68 Toucher aux sens
003
71 CONCLUSION
INTRODUCTION
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Afin de mettre en pratique la mise en dialogue de la poésie avec l’espace, trois axes de création ont été définis. Cela d’après le vocabulaire spatial issu des mises en parallèle avec les courants poétiques. Ceux-ci vont permettre de générer des réponses formelles à valeur poétique. Il est question ensuite de se pencher sur la question du devenir de ces formes. Le langage poétique tenté ici a pour ambition de pouvoir être appliqué à toute typologie de lieu. Il s’agit d’un langage spatial qui, de par son fondement poétique, permet de traiter différemment les espaces et de leur octroyer une dimension poétique. Nous pouvons nous interroger sur les catégories d’espace qui auraient le plus d’intérêt à être conçu avec un langage spatial poétique. Plusieurs réponses peuvent être proposées, un choix s’impose alors. Il faut rappeler tout d’abord le constat évoqué précédemment qui consiste à penser que la poésie est fondamentale et donc à portée universelle, qu’elle est un langage inhérent à l’homme et qu’elle permet une meilleure appréciation et compréhension du monde. En considérant ceci, la poésie apparaît comme une valeur ajoutée au vécu de l’espace et apparait utile dans toute conception d’espace. Dans ce mémoire, une direction est prise. Celle-ci se situe dans le caractère universel, pouvoir propre à la poésie. Elle rassemble les hommes sous une même recherche, un même questionnement. Elle est un lieu d’expérimentation où l’homme et sa condition sont au centre : «le lieu de nos préoccupations existentielles « comme disait Bonnefoy. En raison du nombre illimité de réponses d’espace et par souci de suivre la ligne directrice de ma démarche, je fais le choix ici d’établir un cadre pour mon champ d’action. La poésie étant elle-même un lieu d’expérience, mon choix se portera donc sur des espaces «d’expérimentation». Il s’agit d’espaces qui n’ont pas un usage bien défini dans le quotidien et qui ne répond pas à un besoin vital. Ces espaces sont là pour proposer une alternative aux lieux connus. Ils invitent à vivre l’espace autrement par le biais d’une expérience sensorielle, initiatique ou bien en incitant à méditer sur un sujet. Je souhaiterais développer des espaces à échelle plutôt réduite pour que l’expérience reste de l’ordre de l’intime. Et si elle est partagée, que cela reste à échelle humaine. Cela peut aller de la micro-architecture à l’installation spatiale. Il s’agit d’imaginer des espaces où le perçu et le vécu sont tout aussi important. L’homme est au centre de l’espace placés en extérieur ou bien dans un lieu public mais restant toujours à la portée de tous. Ces lieux sont ouverts à tous et chacun peut l’appréhender à sa manière. Il n’y existe pas une seule interprétation de ces lieux, au contraire, elles sont aussi nombreuses que le sont les visiteurs.
« Le mur tient lieu de page et s’insère dans un autre tissu aussi ordonné et stable que celui du cahier, celui de la ville. La littérature ne s’engendre pas seulement dans le monde de la littérature. »
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Michel Melot.
CONTEXTES DE MISES EN OEUVRE Les outils déterminés d’après l’étude des courants poétiques pourraient être appliqués à des lieux d’une autre ambition. Cependant, je fais le choix ici de créer un espace pour l’expérimentation de soi et du monde. Pour les raisons évoquées précédemment. INSTALLATION AUTONOME DANS L’ESPACE PUBLIC Dans ce contexte, il s’agit de venir s’implanter dans un espace libre et ouvert afin de donner à percevoir le paysage autrement et à faire vivre au passant une expérience sensorielle nouvelle. Dans un parc public ou bien une grande place dans le milieu urbain par exemple. Cela afin de remodeler le paysage et de proposer une alternative. Les passants peuvent s’y arrêter et expérimenter l’espace. L’installation ajoute une dimension nouvelle à l’espace public en invitant le passant à y prendre part, à interpréter les lignes et à ressentir le parcours autrement. MICRO-ARCHITECTURE (PAVILLON/FOLIE) Dédié à la réflexion et la méditation
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En considérant que la poésie est un lieu de recherche et d’expérimentation et qu’en étant inhérente à chacun, elle parle à tous, l’idée de réaliser un espace de méditation semble appropriée. Un lieu isolé du reste mais en étant à portée de tous c’est à dire dans un espace public comme dans un parc ou dans le tissu urbain. On y viendrait comme les religieux vont dans leurs monuments, pour réfléchir, se retirer de l’agitation et communiquer avec leur dieu. Seulement ici, on se concentrerait sur soi et sur le monde autour de soi. D’entrer en introspection. Il s’agirait de placer l’homme au centre.
DANS LE CADRE D’UNE SCéNOGRAPHIE D’EXPOSITION La scénographie d’exposition est une forme de médiation spatiale. Cette fonction de passation se retrouve dans le rôle de la scénographie au sein de l’exposition temporaire. Elle est là pour transmettre la pensée d’un artiste ou le discours d’un commissaire scientifique à destination d’un public. Les relations entre l’espace et son contenu sont nécessairement médiatisées par des symboles. Considérant un symbole comme une réalité tangible qui communique quelque chose de non tangible comme une valeur, une idée ou un sentiment. Le lieu scénographique serait ainsi par définition un espace fondamentalement symbolique. Il est, en d’autres termes, conçu pour symboliser. Le scénographe donne du sens à l’espace à travers l’interprétation d’un concept préalable, pour le matérialiser par une composition d’éléments architecturaux et des éléments figuratifs afin de symboliser l’univers de l’événement en question.
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L’idée serait ici de travailler sur la signalétique et la scénographie d’une exposition qui aurait intérêt à bénéficier d’un vocabulaire spatial à valeur poétique. Soit sur la gestion d’information soit sous forme d’intervention unique dans l’exposition. C’est à dire concevoir un espace expérimental à l’occasion d’une exposition.
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PRINCIPE DE Création Par la DislocatioN
De l’étude des courants poétiques, nous pouvons retenir que la dislocation des formes poétiques établies telles que le sonnet, l’élégie ou le rondeau, a été pratiqué incessamment. En effet, comme la poésie est une recherche permanente et un lieu d’expérience, le poète remet tout en cause afin de trouver la forme qui exprimerait au plus vrai ce qu’il cherche à dire. La dislocation dans la poésie s’observe dans le choix d’un rythme nouveau, dans l’usage de principes qui démantèlent les vers comme l’enjambement ou l’asyndète, dans l’abandon de règles (grammaticales, ponctuation) et dans l’usage d’un lexique de plus en plus dépouillé (onomatopées, simple syllabe ou même une seule lettre). Au cours du XXème siècle, le poème devient de plus en plus libre et n’est plus réglé par aucune règle. La dislocation a permis de libérer de nouvelles formes d’expression et d’expérimenter le langage sous tous ces aspects. Et cela perdure dans la poésie contemporaine. Formellement, les mots se dispersent et les vers sont morcelés. On note que visuellement, les espaces blancs sont plus nombreux et cela laisse la place à la respiration, au silence. La lecture n’est plus linéaire mais elle devient exploratrice.
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Par définition, la dislocation est un processus au cours duquel un ensemble se défait. Formellement, cela indique qu’une forme unique vient à être décomposée. Plusieurs formes nouvelles sont créés.
1.1 FRAGMENTER
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La dislocation formelle provoque un phénomène de fragmentation. Des espaces apparaissent entre les fragments. Ces morceaux peuvent avoir multiples formes selon l’impact. Ce principe de fragmentation d’un volume ou d’une surface permet de laisser apparaître des organisations particulières. Il peut y avoir différentes façons de traiter les fragments de manière spatiale comme le glissement, le décalage, la superposition... En deux dimensions, dans le fait de décomposer une forme, on observe que cela peut générer une délimitation d’espace, de créer des espaces intérieurs ou encore des espaces de circulation. Il s’agit d’exploiter spatialement les possibilités issues de la fragmentation. On remarque aussi que des motifs peuvent être déterminés par le fait de fragmenter un volume. Par la succession de couches, un dessin apparait et peut être utilisé à des besoins esthétiques et plastiques pour le traitement de surface par exemple. Il s’agit ici de s’intéresser à la dislocation d’un volume pour créer une succession de parois. On observe que selon l’état de fragmentation descelles-ci ainsi que leur agencement, on obtient diverses perspectives.
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La dislocation permet d’offrir une nouvelle vision d’un lieu. Elle tend vers un espace en mouvement, en construction qui peut aussi donner le sentiment d’être figé dans le temps. On peut penser que ces installations pourraient prendre place dans un lieu public comme un parc où les visiteurs prendraient le temps d’explorer les perspectives de cet espace.
La fragmentation génère le principe de démultiplication. En effet, fragmenter un volume consiste à le diviser en plusieurs morceaux. Cela peut être réalisé par la découpe de ce volume en lamelles. De cette façon, le volume se délie et on obtient un effet de strates intéressant. Les éléments peuvent être plus ou moins rapprochés et créer des volumes qui se développent dans l’espace. L’accumulation de strates peut créer une succession de passages comme des étapes à traverser. Les parois suggèrent des portes par laquelle il faut passer pour accéder à la suite etc. Il s’agite de guider le visiteur d’un espace à l’autre et de lui proposer un parcours signifié dans un espace libre comme dans un parc ou bien une place publique. Cela peut aussi créer des modules « organiques » se déployant dans l’espace et servir ainsi d’assise par exemple.
Ce café/restaurant de plage a été conçu par Heatherwick Studio. On observe un bâtiment réalisé avec des strates verticales aux couleurs naturelles. Le résultat fait penser à un rocher, à une grotte qui se serait trouvé là au bord de l’eau et dans laquelle on aurait creusé.
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East Beach Cafe | Heatherwick Studio | Littlehampton, UK | 2005.
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Un espace entier et unique peut être développé de cette façon. Le visiteur s’engouffre dans un lieu crée de lignes successives. Cet espace est comme un pavillon d’été qui propose une respiration dans la ville, dans un grand espace. Bien que le lieu ne propose qu’une seule et même pièce, le visiteur a la sensation d’un parcours et les strates symbolisent une série d’étapes qu’il lui faut traverser.
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La fragmentation peut aussi s’apparenter à la désintégration de la matière. La matière se fragmente, se craquelle, se défait. Ce principe appliqué à une surface comme une façade ou une cloison aide à mêler l’intérieur avec l’extérieur. La matière opaque se disloque pour laisser la lumière passer. Au fur et à mesure, la matière tend à disparaître pour laisser la lumière inonder l’espace. La matière fragmentée semble flotter et la paroi se dématérialise.
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Le fait de fragmenter une surface laisse apparaître un motif. Cette dislocation peut être traitée graphiquement afin de donner une dimension supplémentaire à l’espace. En effet, le motif permet, sur une paroi, de laisser filtrer la lumière et de lui donner une forme particulière. Le visiteur dans l’espace ressent la matière de cette lumière qui lui parvient par fragments choisis.
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Fragmenter la matière permet de jouer sur les transparences. En superposant les fragments, on augmente l’opacité. Ce principe peut être usé pour créer des effets en façade ou bien en cloison d’un espace nécessitant plus ou moins d’intimité. Cela permet de filtrer une lumière naturelle diffuse et de doter les surface d’une qualité tactile et donc sensible. Fragmenter la matière permet de jouer sur les transparences. En superposant les fragments, on augmente l’opacité. Ce principe peut être usé pour créer des effets en façade ou bien en cloison d’un espace nécessitant plus ou moins d’intimité. Cela permet de filtrer une lumière naturelle diffuse et de doter les surface d’une qualité tactile et donc sensible.
On observe dans ces réalisations de l’agence Kengo Kuma & Associés, un travail sur la fragmentation de la lumière naturelle. L’espace évolue en fonction de la lumière et des motifs apparaissent sur les surfaces. Il est en mouvement permanent et se module à chaque temps de la journée.
FRAC | Kengo Kuma & Associés | Besançon, France | 2013.
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Chokkura Plaza | Kengo Kuma & Associés | Takanezawa, Japon | 2006.
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En fractionnant la matière et la lumière permet de donner à voir le paysage par fragments. Cette idée de motif qui vient à être percé peut être exploitée dans un projet de lieu de passage, une requalification des espaces de circulation. Il s’agit de venir signifier un espace semi-couvertdédié à la circulation et à la promenade dans un espace libre. Ou bien dans une micro-architecture, en toiture ou en parois. La fragmentation se fait graduelle. La matière laisse progressivement place à la lumière.
La dislocation formelle de volume génère des morceaux de matière qui, ré-associés, superposés, peuvent recréer un volume avec une nouvelle identité. En effet, assembler des fragments sur une surface permet de donner une dimension sensible à celle-ci. Elle est plus riche au sens visuel et tactile. Elle s’apparente à la carapace d’un organisme vivant. C’est une «peau» texturée qui habille l’espace.
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On observe ci-contre, dans le parc réalisé par Michael Van Valkenburg, que la pierre a été fragmentée et mise en œuvre de façon à donner l’illusion de mouvement. On constate que le fait de sectionner la matière permet de valoriser sa texture.
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Teardrop Park | Mickael Van Valkenburg | New York, USA | 2006.
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Dans une autre direction, nous pouvons penser à la fragmentation dans le domaine de la signalétique. Pour celle d’une exposition par exemple. L’image et les textes se trouvent décomposés. Cela crée un rythme de lecture particulier et on observe une mise en dimension nouvelle du texte et de l’image. L’image est tronquée, de nouvelles images sont crées selon le positionnement du visiteur. On remarque que le signe, l’image évolue au fur et à mesure du parcours.
En ce qui concerne le parcours, parti important de la conception d’espace, celui-ci est mis à l’épreuve lors de sa dislocation. A preuve, la ligne qui se fait guide habituellement est interrompue à de nombreux endroits et la trame du chemin est brisée. Cela provoque alors une multitudes de voies possibles que le visiteur est amené à emprunter. A chacun de choisir le chemin qui lui convient le mieux. Le parcours fragmenté interroge celui qui le foule. Cela modifie la perception du sujet et le pousse à se questionner à propose de ce qui l’entoure et sa façon de l’appréhender.
«Même si ce paysage Ne veut pas de toi Plonges-y ton front»
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Guillevic
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A l’image du parcours où le choix est donné au visiteur, un espace entier peut générer un même concept. Considérons cet espace créé à partir de volumes disloqués puis rassemblés dans des orientations différentes. Cette micro-architecture, qui tient à être lieu d’expérience, présente plusieurs entrées qui se rejoignent en un espace central. Celui-ci est doté d’une ouverture zénithale afin d’offrir une nouvelle direction au regard du visiteur, de lui apporter une ouverture qu’il lui faut considérer. Le ciel est, bien au delà de sa portée mystique ou religieuse, le lieu de l’infini et de tous les rêves. La fragmentation offre des espaces multiples que chacun a le pouvoir de s’approprier. L’espace central est le lieu de toutes les rencontres, de toutes les réflexions. Le visiteur est amené à méditer, à découvrir un espace multiple et qui pourtant, mène à un seul et même lieu.
1.2 CREUSER / DéNIVELER Pour continuer dans la dislocation, le choix ici est de s’intéresser au principe de création de différents niveaux. En effet, en creusant ou en créant un niveau supérieur, on observe une dislocation de la ligne d’origine. Cela peut être le sol ou toute surface plane qui subit à un endroit une variation de hauteur. En creusant, on retire de la matière, un morceau du volume. Et cette matière peut être injectée autre part afin d’augmenter le niveau. Ces actions sont intéressantes car elles génèrent des espaces distincts. De par celles-ci, des espaces sont délimités et proposent plusieurs points de vue.
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En considérant cette proposition d’espace, on observe qu’évider un volume permet de laisser des points de vue de l’intérieur, de créer une ouverture et des respirations. Cela crée un rythme important et dans le parcours et dans la vue directe de l’ensemble. Le fait même de creuser permet de détacher certains volumes et de les mettre en valeur. Des assises, des supports ou des cloisons sont créés.
En second lieu, il s’agit de considérer le sol comme une surface vivante. Comme une matière à travailler. Créer des reliefs afin de changer la perception du visiteur sur son parcours. On prend conscience de la matérialité du sol, de sa densité presque illimitée. Le parcours est moins certain, on cherche à s’approprier ce nouvel environnement. On s’enfonce pour en ressortir, on cherche à voir et à ressentir les variations de niveaux et de points de vue. On repense le sol pour revoir la totalité du paysage. On peut penser que dans la conception, il s’agit d’un sol simulé, complètement recréé afin de pouvoir s’implanter partout.
«De ce paysage Ne se lèvera Que ce que tu feras se lever»
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Guillevic
Le craquèlement consiste à produire un réseau de fines fentes dans la partie superficielle de quelque chose. Il est le signe d’une réaction de la matière due à un impact ou à un vieillissement. De ce phénomène, des zones sont dessinées. Le parti pris ici est d’utiliser cette fragmentation naturelle afin de créer un paysage nouveau et unique. De ces micro-espaces, certains sont surélevés, d’autres renfoncés et la matière prend toute sa dimension. On observe un espace à explorer, à apprivoiser. Dans les installations de l’agence Vincent Guallart Architectes , des volumes et des plateformes ont été créés pour donner à vivre le bord de mer autrement. Proposer un paysage où l’on peut s’installer sans subir les aléas des rochers présents.
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Vinaro Micro-coasts | Vicente Guallart Architectes | Castellón, Espagne | 2007.
La dislocation d’une surface permet de traiter les éléments distincts afin de faire apparaître des rythmes nouveaux et de dynamiser une surface. Ici la découpe de la surface est régulière mais c’est le basculement des volumes qui diffère dans leur orientation. On obtient un rythme disloqué qui suit pourtant un motif précis. Les surfaces s’entrechoquent semble-t-il, le tout paraît instable.
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Ce principe peut être développé aussi bien à la verticale qu’à l’horizontale. Au mur, la paroi se joue de la lumière et les sens du visiteur sont intrigués. Au sol, les visiteurs foulent prudemment ces volumes suggérant un déséquilibre. L’espace devient un terrain à explorer, à tester.
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Les volumes sont ici associés de façon à évoquer un désordre, un espace en cours de dislocation. Ceux ci viennent prendre corps dans un espace vierge et tout en longueur. Ils occupent sol et plafond. Plusieurs niveaux sont créés. Des plateformes. Un dialogue se fait entre sol et plafond. Le sujet demeure la ligne verticale qui traverse ce paysage disloqué et morcelé. La lecture des espaces se fait dans la progression et se module en fonction de l’avancée du sujet.
Dans cette proposition, il est question de déployer des volumes et de les creuser. Ainsi, le visiteur peut découvrir plusieurs points de vue. Ces éléments évidés donnent à voir de nouvelles perspectives de l’environnement et cette installation génère une forte impression de profondeur et d’infini. Ce sont de petites fenêtres axées sur ce qu’il se passe derrière la porte qu’elles désignent. Cet assemblage peut-être pensé afin de valoriser une entrée d’un bâtiment public déjà existant comme un musée ou bien étant suffisant à luimême, afin de qualifier le passage d’un espace à un autre. Il annonce un espace différent et riche.
«Tourne le dos à l’espace, il te rattrapera»
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Guillevic
1.3 Déformer/ DéPLOYER La dislocation peut se traduire par le fait de déformer un volume ou un motif. Déformer signifie modifier la forme, l’aspect d’une chose. Pour ce faire, on tord, on écrase ou l’on étire. Le fait de déformer un volume engendre bien souvent son déploiement dans l’espace. Si le principe de déformer un volume vient altérer sa forme première, on observe que de nouvelles possibilités formelles ou spatiales apparaissent. Le pliage peut être un moyen de déformer une surface ou un volume. L’orientation des surfaces diffèrent et les lignes se multiplient. Ainsi, les volumes prennent de l’ampleur et se complexifient. Cela délimite des zones, signifie des espaces. De plus, le pliage permet de développer un volume dans l’espace et de lui donner une dimension évolutive, «en construction».
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L’espace est pensé ici comme une un élément en cours de formation. Il a le pouvoir de se mouvoir, de s’étirer ou de se rétracter comme un organisme vivant. Il peut muter, changer d’état au besoin. Ces espaces sont conçus avec des structures légères et adaptables. Ils peuvent être des passages couverts pour relier un espace public à un autre, protéger l’entrée d’un bâtiment accueillant de nombreux visiteurs. Mais ils peuvent aussi être des espaces indépendants et autonomes. Des pavillons placés à des endroits stratégiques afin de favoriser la rencontre entre des inconnus ou bien être un lieu de rendez-vous. Un lieu abrité où il est agréable de prendre son temps.
Le pliage permet de concevoir des espaces comme des paysages. Ce principe permet de créer des surfaces en mouvement et des lignes qui se chevauchent. Les orientations des surfaces sont toujours multiples. Cela rythme et dynamise le parcours. Ici, les volumes se déploient dans l’espace, le visiteur s’enfonce dans ce paysage disloqué. La perception de l’espace change en fonction de l’endroit où il se place. Ces lignes semblent jaillir du sol et cherche à appartenir à l’environnement. Ces structures peuvent être installées dans le cadre d’une promenade, un jardin.
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Une autre proposition d’espace ici toujours dans l’idée de déformer et déployer par le biais de la technique du pliage. Grâce au pli, l’espace ici se voit multiplié et semble s’ouvrir petit à petit. Cette structure est comme en évolution. Elle laisse passer la lumière à l’intérieur grâce aux écarts entre les volumes brisés. L’espace couvert est rythmé par ces volumes qui se succèdent. Le visiteur est invité à entrer dans cette micro-architecture afin de s’isoler du monde extérieur. La lumière y est filtrée mais il est à l’abri, au calme. Il est incité à la réflexion et à la méditation.
«L’espace est plus Que du volume Qui veut s’ouvrir» Guillevic
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Via le pliage, on peut obtenir une forme évolutive et structurellement intéressante. Elle déforme le motif et sa forme plane originelle. Un jeu d’ombre et de lumière se décline. Les possibilités de construction sont multiples. Un rythme est donné. Un poème pourrait être à l’origine des lignes dynamiques. Le pliage est rythmé par les intonations du poème ou de mise en forme plus ou moins saccadée. L’espace se déforme et se déploie en fonction du poème choisi.
L’espace pensé ci-dessus explore la déformation par la matière. En effet, une matière souple est maintenue de part et d’autre à deux cloisons et ces dernières sont mécanisées afin de s’éloigner ou de se rapprocher l’une de l’autre. De ce fait, les lignes de matière élastique se condensent ou s’étirent. Plus les parois sont proches, plus la vision de l’espace est saturée. L’espace semble respirer et la texture souple et lisse est à l’image d’une matière organique.Le passant est invité à expérimenter le lieu, à vivre plusieurs ressentis générés par l’installation spatiale.
Les installations d’Ernesto Neto sont constituées d’éléments mous et souples. Des lycras, des mousses lui servent à créer des espaces mouvants et organiques où le visiteur est invité à toucher, sentir et expérimenter.
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We stopped just here at the time | Ernesto Neto | 2002.
Celula Nave | Ernesto Neto | 2009.
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De même que travailler sur des surfaces miroitantes et les reflets généré. Cela provoque une déformation de l’aspect de l’espace initial et de la perception du sujet qui vit cette expérience. Par le biais de surfaces réfléchissantes, l’environnement peut se retrouver modifier. On observe alors un transfert visuel du paysage sur plusieurs facettes. On obtient ainsi multiples points de vue et cadrages. Le principe de ces surfaces réfléchissantes permettent d’intégrer le paysage à la structure tout en protégeant l’intérieur. Celui-ci est dissimulé. Ce travail de volumes réfléchissants seraient adaptés dans une installation paysagère afin d’offrir une expérience perceptive nouvelle. Mais également dans l’idée d’offrir un lieu de réflexion, protégé et isolé du reste mais dont la «peau» serait justement tel un cristal contenant en condensé le monde extérieur. Barbele | Marcos Novak | 2000.
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PRINCIPE DE CRéation par le RythMe
Il s’agit ici de traiter le concept du rythme comme valeur absolue. Bien sûr, le rythme ne peut être définit de façon précise et unique. Mais nous nous accorderons sur le fait qu’il implique souvent ordre, nombre et harmonie mais entraine aussi désordre et symptômes. En effet, dans les constructions notamment architecturales, on observe une «trame». C’est à dire que ces bâtiments sont constitués d’une régularité des espacements entre les éléments structurels. Elle apparaît comme une contrainte constructive avec laquelle le concepteur est amené à composer. Mais les créateurs d’aujourd’hui, grâce à l’avancée technique, cherchent à mettre en valeur cette trame et viennent la travailler justement afin de, soit accentuer son rythme régulier, soit en interférant avec d’autres éléments. Cette trame est donc le support sur lequel les différents éléments vont être disposés selon un ordonnancement choisi. Et nous parlons ainsi souvent du rythme d’une façade, des percements ou d’une colonnade. Des ornements ou des traitements de surface peuvent venir souligner ces effets. Dans les repères sociaux, culturels, religieux, il semble que l’homme fasse fréquemment appel à l’organisation d’une répétition d’éléments pour donner une identité propre à l’espace où il vit. L’homme anticipe donc la structure du bâti afin qu’elle corresponde à cette esthétique recherchée. Les rythmes issus des parcours, des percements, de la composition de la structure souvent apparente apparaissent alors à la fois en tant que nécessité constructive mais surtout en tant que volonté esthétique dans le soulignement des formes et les évocations qu’ils peuvent engendrer. Par la multiplication d’une forme ou par la découpe de cette forme, on peut donner un rythme particulier à un espace. Ceci peut se faire par un jeux d’ombre et de lumière, par un changement de matériau ou en alternant des formes différentes. Il est possible de donner un sentiment de musicalité dans un espace de par des variations de tous types. Il s’agit d’offrir, à l’œil du visiteur, différents niveaux de lecture et d’approche. Le rythme dans la création spatiale est majeure dans l’expérience architecturale du parcours. Et le rythme est une affaire de perception comprise entre le temps et le mouvement. En effet, , le terme de rythme, peut caractériser à la fois la périodicité et la structure d’un phénomène. Ces deux aspects, périodicité et structure, sont tous deux communs au phénomène. Pour qu’un phénomène
«Le rythme ressemble au temps, à la fois un et changeant, il ressemble à l’architecture, c’est à dire à notre univers qui est une construction».
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Yves Bonnefoy, Colloque Poésie, art et pensée, Pau, les 9-11 mai 1983.
soit périodique, il faut qu’il soit constitué d’une série de phases et cette suite de phases constitue la structure. D’autre part, pour qu’une structure soit dite rythmique, il faut nécessairement qu’il y ait sa répétition et ce n’est qu’à cette condition que nous puissions faire l’expérience du rythme. Le rythme permet d’accentuer l’expressivité du langage spatial pouvant également être considéré comme un phénomène perceptif. Nous savons d’ailleurs que le comportement en situation spatio-temporelle est servi par les organes de l’équilibre, la perception du corps dans l’espace, avec la référence des sens, (vision, olfaction, toucher et audition) et qu’aucun des trois plans de relation avec le milieu extérieur (physique, perçu et vécu) n’est concevable sans l’association d’une certaine rythmicité corporelle et d’un dispositif de référence. Le principe de création par le rythme sera ici traiter sous actions qui sont tout d’abord, répéter /marteler, ensuite varier/vibrer et enfin, interrompre.
«Il y a des parallèles très connus (rythme/métrique, harmonie/proportion, etc.). Personnellement, ce sont les aspects les plus impalpables qui me paraissent les plus vivants. J’ai toujours perçu l’architecture comme une expérience de la découverte et du mouvement. J’aime les lieux qui ne se donnent pas à voir et à comprendre immédiatement. Comme en musique, la perception est liée au parcours et à la durée. [...] Il ne s’agit pas de construire un labyrinthe, mais plutôt d’équilibrer les repères et les surprises, d’enchaîner les expériences contrastées qui, dans la perception, vont se succéder et communiquer une sorte d’euphorie à vivre à l’intérieur du bâtiment. Ces notions de parcours, de durée et d’expériences émotionnelles contrastées sont pour moi fondamentales et me ramènent naturellement à la musique».
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GALLIARI, A. & GUILHEUX, A., Entretien avec Christian de Portzamparc, Résonance (IRCAM) numéro 7, mars 1995.
2.1 MARTELER / RéPéTER Le principe de répétition est nécessaire à la conception et au ressenti du rythme. Toute création dite rythmique utilise ce principe. Et dans la création spatiale, ce la s’étend des éléments structurels aux effets d’ornement.
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La forme ici issue de celle d’un poème pris dans sa forme littérale. On observe un martèlement mais altéré par la différence de taille. Cela apporte une musicalité à l’ensemble. Les parois se succèdent ici, de façon rapprochée, et laisse tout juste la lumière passer. Cela crée au sol un rythme correspondant. Le parcours du visiteur est temporisé grâce à ces éléments imposants. Le promeneur perçoit le mouvement dû à l’implantation des parois. Bien que cette installation inspire la stabilité, celui-ci se fait ressentir.
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Cet espace est traité de façon à interpeller les sens du visiteur. Il invite au mouvement, à ressentir les lignes rythmiques qui se répètent à perte de vue. Le visiteur entre dans cet espace et se sent submergé par le rythme qui habite le lieu. Sol, murs, plafond, tout est traité de la même façon. Cette proposition peut donner lieu à un espace de méditation, de réflexion. A l’image des préoccupations existentielles qui reviennent à nous sans cesse, par vagues, par ondes, cet espace peut être une réponse à un besoin. Un espace retiré de l’extérieur mais facile d’accès, ouvert à tous, où nous sommes livrés à notre seule perception et ressenti. Lieu d’expérience physique mais qui tend à ouvrir une voie vers notre propre rythme.
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Un espace abrité comme une coque posée dans un paysage est répété plusieurs fois. Les volumes alignés, les lignes donnent une sensation de perspective très aiguë. L’espace semble infini et offre deux cadrages de l’environnement de part et d’autre. Cet espace constitué de trois volumes similaires est un lieu de détente, de respiration. On peut s’y asseoir, expérimenter les volumes et réfléchir. Il peut avoir sa place dans un parc offrant une vue intéressante ou bien une promenade de bord de mer. Par exemple.
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Il s’agit ici d’un espace rythmé par la répétition d’un élément de façon aléatoire dynamisant l’avancée du visiteur et modifiant sa perception de l’espace. On lit l’espace comme une partition de musique. Cela prend un sens dans un espace en longueur, où le passant est en marche. On peut imaginer un passage couvert où la déambulation du promeneur est marqué des éléments rencontrés. Il effectue une lecture musicale du lieu. La répétition peut être de rythme régulier ou bien irrégulier. Selon les espacements et la dynamique des lignes, la perception et la sensation liée est différente.
2.2 VARIER / VIBRER
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L’attrait dans le concept rythmique est de pouvoir le décliner sous d’infimes possibilités. Comme penser la musique, créer du rythme spatial est un art de la composition. Il s’agit ci d’insister sur l’idée de varier le rythme afin de donner à ressentir presque physiquement les vibrations. Celles-ci sont provoquées par des variations dans la ligne, par l’usage de zones saturées et d’autres plus aérées, par un changement de direction, d’orientation. La base du tissu rythmique est une trame régulière qui vient à être interrompue, marquée de signes visant à développer un nouveau langage visuel et spatial. L’étymologie du mot «Trame » indique l’idée de «traversée». La trame peut être donc considéré comme un parcours. Et celui-ci vient à être semé d’événements. Des lignes rythmiques sont déterminées d’après une trame régulière. On observe des lignes comme des vagues ou bien des ondes. C’est à l’image de phénomènes naturels. Spatialement, la ligne indique déjà l’idée d’une avancée, d’une continuité, d’un cheminement. Le visiteur est invité à suivre le mouvement de ces lignes semblant avoir leurs propres règles. Variation sur un thème | Anni Albers | Tissage en coton, Il est immergé dans un rythme qu’il ressent au lin et plastique | 1958. fur et à mesure de son parcours. Les montées, les descentes sont comme des étapes à franchir. Le sujet ressent physiquement ces variations.
Les oscillations sont des phénomènes intéressant du point de vue formel et sensible. Dans cet espace, la matière et les volumes semblent sortir du sol. Les lignes symbolisent des oscillations sonores. C’est comme si, du sol, émanait des vibrations. Le visiteur est invité à longer les couloirs sensibles qui reproduisent un mouvement. On peut imaginer cette installation de façon à ce que ce soit le visiteur lui-même qui détermine le mouvement des oscillations grâce aux technologies innovantes d’aujourd’hui.
Untilted | stylo sur toile | Joan Salo | 2012.
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On obtient un espace mouvant et tangible. Dans l’espace esquissé ci-dessous, on observe une cartographie d’un réseau de lignes communicantes. Comme des ondes qui rayonnent et interagissent entre elles. Des volumes se créent et semblent grossir ou faiblir selon le nombre de connexions. Le visiteur s’immerge dans cette constellation et est invité à réfléchir, à méditer.
Les poètes cherchent à sonder l’âme humaine. Cette recherche est marquée par d’infinis états à retranscrire, à évoquer et à soulager. L’homme est, en effet, soumis à un nombre illimité de questionnement sur sa condition. La société actuelle ne lui permet pas réellement d’exploiter ceux-ci. Les poètes, eux, deviennent les traducteurs de ces variations de l’âme. Les vibrations formelles exploitées dans les oscillations viennent annoncer que le monde est sensible et qu’il appartient à l’homme de s’en rappeler et de chercher à être en accord. Pour exprimer les variations de l’âme et la recherche permanente afin de les comprendre, la matière se doit d’être ressentie. Dans les espaces ci-dessous, les variations sont intenses dans leur mouvement et leur impact visuel. Le passant se trouve protégé par cette voûte de matière en cours de formation. Cela le surplombe mais il se retrouve au cœur de cet espace qui semble en progression. Ces espaces donnent à vivre une expérience visuelle et pousse l’homme à l’introspection.
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Yufutoku Restaurant | ISSHO Architectes | Tokyo, Japon | 2013. Cette façade rompt avec les façcades voisnes. Elle semble en mouvement et vibrante., en réponse avec les éléments naturels tels que l'air, l'eau ou le feu.
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Il s’agit ici, à la manière de l’artiste Richard Serra, de venir s’implanter dans un paysage et d’en changer sa perception et d’en inventer une réalité. L’idée est de penser que les végétaux émettent des ondes sonores. Le bruissement des feuilles, le mouvement des branches, la pousse des racines, tous ces indicateurs qui prouvent qu’un arbre est un organisme qui vit et qui, à sa façon, s’exprime. En matérialisant des ondes qui s’étendent dans le paysage, on observe un dialogue qui s’effectue entre les arbres et le visiteur s’y invite en pénétrant dans les couloirs. Ceux-ci forcent le vent à s’y engouffrer et à propager les ondes au delà du visible. Cette installation propose une promenade sensible, concentrée sur l’éveil de sens. Etre à l’écoute du monde et de soi.
ÂŤPrends autrement Ce que tu ne peux Prendre dans tes mainsÂť
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Guillevic
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Le motif en volume a été obtenu à partir d’une prise sur le dessus d’une pyramide creuse et d’une prise par dessous. Deux principes apparaissent et sont disposées par alternance afin d’obtenir des variations intéressantes pour l’œil et le toucher. Un jeu d’ombre et de lumière est obtenu et selon variations, les cloisons se répondent, se confondent ou se distinguent. Le motif se déforme ou se s’opacifie grâce aux jeux de transparence. Les parois semblent vibrantes et l’installation implique le passant de par sa présence sensible importante.
Nous sentons dans cet espace, un traitement des volumes tout en courbes. La lumière accentue l’impression de variation progressive. Le volume est rythmé par l’effet de strates qui se succèdent. Le volume évolue au fur et à mesure et selon l’emplacement de l’observateur, les lignes lumineuses se découvrent par endroits et par d’autres se dissimulent.
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Centre Médical Mirae | Jang Soon Gak and Jay is Working | Séoul, Corée | 2013.
2.3 INTERROMPRE Dans la création rythmique, les temps de pause, de silence permettent de saisir les temps forts. L’un est indépendant de l’autre car ils se valorisent de par leur contraste. La ligne rythmique vient à être interrompue afin de briser la continuité du mouvement. Ainsi le rythme se décline et propose un réel intérêt perceptif. Spatialement, l’interruption peut s’exprimer par un jeu d’ouvertures dans un paroi ou une façade. Elle permet le lien entre l’extérieur et l’intérieur. L’interruption de volumes peut servir aussi à créer des espaces de rangements ou de support d’usage comme l’assise ou la ta table. De plus, interrompre la ligne en lui faisant prendre une autre direction permet de proposer un parcours rythmé et de changer la perception de l’espace.
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Des parois créés d’une succession de lames de bois interrompues par endroits permettent de rythmer le parcours de l’œil et comme une partition, la paroi se révèle être le support d’une musique. La ligne rythmique peut également être interrompue dans le fait de varier entre le vertical et l’horizontal et de jouer sur les espacements.
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Rythmer un façade implique que l’on vienne interrompre sa surface plane soit en créant des ouvertures soit en décrochant des volumes. La notion de rythme peut être dans la répétition linéaire d’un même élément ce qui provoque un rythme régulier. Ou bien dans le fait d’alterner de façon plus ou moins aléatoire entre le plein et le vide. On peut, comme ci-dessous, varier les échelles et la hauteur des ouvertures de façon à obtenir un effet de rythme déconstruit et dynamique. Ces principes d’interruption permettent de créer une tension entre l’intérieur et l’extérieur. Ils peuvent être utilisés dans le cadre de la création d’une micro-architecture dédiée à la réflexion, à la méditation, à l’expérimentation. Mettre face à face alors ces deux idées de rythme linéaire et de rythme déconstruit pour que l’un et l’autre soient support à la recherche personnelle de chaque visiteur. Ce dernier se questionne alors sur son propre rythme.
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Il s’agit ici d’intervenir directement dans la surface afin de créer un effet de rythme. Des entailles sont faites dans la matière et créent ainsi des percées. La matière retirée est conservée pour filtrer la lumière et on observe une surface interrompue par endroits. Le passant ne voit pas les mêmes lignes percées selon l’endroit où il se place. De ce fait, son déplacement modifie sa perception de l’espace. Certains endroits se dévoilent tandis que d’autres sont dissimulés. On peut penser que ces ouvertures peuvent être modulées par le visiteur: il choisit de les fermer ou bien de les entrouvrir. Le rythme ici est obtenu par un principe de découpe de parois et cela lui permet d’être évolutif et libre à l’appropriation du visiteur.
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Le pavillon proposé ci-dessus est imposant et monolithique bien que déconstruit. Il vient à être interrompu dans sa masse afin de laisser filtrer la lumière naturelle. Les entailles disposées de façon plus ou moins aléatoires viennent rythmer les parois et modifient la perception intérieure de l’espace. En effet, la lumière diffusée par ces lignes taillées dans la matière, vient créer un motif entre ombre et lumière. Celui-ci est plus ou moins intense selon le moment de la journée. À l’intérieur, le visiteur est coupé du monde extérieur. Les ouvertures ne sont pas des fenêtres mais sont là pour diffuser la lumière afin qu’elle adoucisse et rythme l’espace intérieur. Le sujet se trouve à l’abri et au calme. Tout est fait afin que l’espace qu’il lui est offert soit soumis à son appropriation et qu’il soit dans les conditions requises afin de méditer et réfléchir.
Dans ces deux références, nous observons que le matériau brut vient être interrompu par des percées de lumière naturelle. La lumière devient le matériau principal tout en valorisant l’aspect neutre des surfaces. J’ai choisi ces références, car les églises et les monuments religieux en général, sont des lieux de silence et de recueillement. Bien que mon orientation ne me mènera pas vers un lieu religieux, l’atmosphère que l’on y trouve m’intéresse dans le cadre d’un espace de méditation.
Ibaraki Kasugaoka kyokai | Tadao Ando Architectes | Ibaraki, Osaka, Japon | 1989.
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Holy Rosary Church Complex | Trahan Architectes | Louisiane, USA | 2004.
Dans la même idée que l’interruption est génératrice de rythme, ces deux espaces conçus d’un matériau unique. Le volume est interrompu par une ligne percée dans la matière. La lumière naturelle vient intensifier cette rupture. La ligne poursuit son chemin tout au long de l’espace. Soit très verticale ou horizontale (régulière), soit en oblique. Ces deux variations démontrent que l’effet produit est différent. On a davantage une impression de stabilité et une progression matérialisée par des étapes à franchir. Dans la version régulière. Tandis que dans la version oblique, la ligne parcourt l’espace tout entier avec une impression de vitesse. Dans le premier cas, le visiteur perçoit un espace rythmé de façon régulière. La sensation de profondeur est associée au principe d’étapes qu’il faut franchir. Chaque ligne délimite une zone étape et le visiteur les traverse comme un parcours initiatique.
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Dans le second cas, je visiteur est aspiré dans l’espace et il est invité à explorer l’espace sans repères de stabilité si ce n’est son propre équilibre.
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Dans cette autre proposition, il s’agit d’une installation dans le milieu urbain. La volonté est de venir rythmer la promenade. Dans un lieu de circulation linéaire comme aux bords des quais de fleuve ou sur une place publique d’échelle importante, on vient proposer une promenade discontinue. Les cloisons sont percées afin de dévoiler par fragments le paysage de l’autre côté. Le passant peut venir expérimenter d’une autre façon sa progression et en venir à explorer les points de vue donnés pas les ouvertures. Le but est qu’il ressente la linéarité de sa démarche et qu’il vienne explorer une nouvelle façon de circuler et de concevoir son parcours.
3
Principe De cRĂŠation par la corRespondaNce
La poésie est le lieu de l’image et du symbole. Le poète, pour exprimer son ressenti, va user des figures de style de l’image comme la métaphore jusqu’au principe de la synesthésie. Il cherche à signifier et à traduire au mieux ce qu’il se passe en lui et ce qui constitue le monde. Tous ces principes peuvent être placés sous le mot «correspondances». Car au-delà des correspondances de Baudelaire, le fait de correspondre, c’est mettre en rapport les éléments, créer des liens et ainsi suggérer une idée. De plus, la dimension symbolique est une nécessité présente dans l’existence de l’homme. Elle permet de créer des liens et de donner du sens à l´environnement, de rendre intelligible et appropriable le réel. Les espaces symboliques sont alors une partie fondamentale de sa vie. S’identifier avec un espace, délimiter un territoire, transformer ses éléments, les embellir ou décorer pour créer une ambiance différente, sont des pratiques propres à la symbolisation des espaces. Spatialement, la correspondance passe dans un premier temps, par le fait de symboliser et suggérer quelque chose au visiteur et dans un second temps, par le fait d’intensifier l’espace par un appel aux sens.
« L’essence de la poésie (…) c’est peut-être le sentiment continu de correspondances secrètes, soit entre les objets de nos divers sens, formes, couleurs, sons et parfums, soit entre les phénomènes de l’univers physique et ceux du monde moral, ou encore entre les aspects de la nature et les fonctions de l’humanité ». 062
Henri Lemaître
3.1 SUGGérer / SYMBOLISER Le pouvoir de suggestion consiste à inspirer au visiteur une idée ou une action. L’espace ne se dévoile entièrement que par la perception du visiteur. Ce principe de création permet d’impliquer le visiteur et d’engager une réflexion sur ce qu’il voit et ressent. Il prend le rôle du «voyant». C’est à lui de déchiffrer les signes. De cette façon, il est déjà dans la recherche, la réflexion. Certaines suggestions peuvent être lues de manière instinctive. D’autres méritent d’aller plus loin. Il s’agit de créer une alternative au parcours linéaire du passant et de lui proposer une «pause». Cet espace représente un sentiment nécessaire au bien-être de l’homme : la sécurité. L’homme a besoin de cette sensation afin d’être en confiance avec le monde qui l’entoure.
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Dans cette idée d’espace fermé et arrondi, on y voit la notion de cocon, de nid. L’espace est là pour protéger, il inspire le confort et la sécurité au visiteur. C’est un espace de repli permettant au passant de se mettre au calme, loin de l’agitation quotidienne. Il serait situé dans l’espace urbain, dans un lieu de passage.
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L’installation propose ici d’imiter dans le traitement de surface une structure organique. La volonté ici est de suggérer une paroi végétale alors que le matériau en réalité n’est pas d’origine organique. La paroi se présente fragile et ses percements, par un jeu d’ombre et de lumière, donnent une impression de feuillage. Cela renforce l’idée de végétal. Ce principe de paroi ou de «peau» aurait raison d’être dans un jardin où le passant pourrait se méprendre et où les végétaux environnants seraient comme une réponse à cette installation.
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Infinis peuvent être les signes. J’ai choisi ici de m’intéresser à un aspect connu des sciences géographiques : la topographie. Cela consiste à lever la carte ou le plan d’un terrain, à une échelle réduite et de représenter les lignes de niveaux. Dans cet espace, l’intervention se fait sur un sol existant plat d’une place publique. Il s’agit de tracer des lignes de niveaux au sol afin de suggérer des dénivelés et créer ainsi des zones différentes. C’est un effet d’optique qui module la perception de l’espace du passant. Le sol devient un terrain d’exploration.
Dans la proposition ci-dessous, il s’agit de suggérer que de la paroi du fond de l’espace, jaillit de la lumière. Des tracés de lumières imitant un rayonnement viennent symboliser l’idée qu’il y ait un espace inondé de lumière derrière celui-ci. Le visiteur est attiré par ces rayons. Beaucoup d’écrits relatent du fait que la lumière attire l’homme et on lui accorde une valeur métaphysique. C’est la lumière au bout du tunnel, la lumière de la vérité, de l’éternel et la lumière divine pour certains. La lumière porte en elle, une très forte symbolique. Il est reconnu également qu’elle est nécessaire à l’homme, à son bien-être mais aussi, qu’elle apaise l’âme et calme l’esprit. L’homme se sent face à plus grand que lui, face à cette lumière qui envahit tout et il se laisse aller à celle-ci. Il fait tomber les barrières. Ainsi, nombreux sont les espaces de recueillement ou de méditation qui sont dotés de puits de lumière. Ici, cela est moins direct. La lumière est suggérée. L’espace serait conçu pour être un espace expérimental, dédié à la réflexion, à l’introspection placé au cœur des villes comme le peuvent être des lieux tels les églises. Seulement ici, l’espace ne serait doté d’aucun caractère spirituel si ce n’est celui de l’homme.
«Voir l’étendue Venir vers toi» Guillevic
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Mémorial Chapel | BVN Architecture | Puckapunyal Military Area, Victoria, Australie | 2011.
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Dans cette idée, la matière participe pleinement à la suggestion. La paroi courbe est à sa base, opaque et cette opacité se dégrade verticalement jusqu’à la transparence totale. Ainsi, on ressent une élévation de la matière. Cela peut symboliser une correspondance entre ciel et terre chère à Baudelaire qui parlait de correspondance verticale d’ailleurs. Le visiteur qui pénètre dans cet espace ressent cette progression. Il est admis que le savoir et la connaissance sont des notions associées à l’élévation. Le sujet est ainsi poussé à se concentrer, à ressentir.
3.2 TOUCHER AUX SENS Dans son livre Le regard des sens, l’architecte Juhani Pallasmaa rend compte de l’importance des sens dans le vécu de l’architecture. En effet, une architecture qui «améliore la vie» (Idée de Johan Wolfgang Von Goethe) doit s’adresser à tous les sens à la fois et fondre l’image de notre moi dans notre expérience au monde. Le sens du soi est déterminé par nos expériences d’être dans le monde exprimées par l’architecture. Pour qu’un espace soit compréhensible par l’homme et reçu pleinement, son concepteur doit penser à la dimension sensible.
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Dans cette même idée, l’espace ci-dessous est pensé afin d’éveiller les sens du visiteur. C’est un pavillon dont les parois sont constituées de battants mobiles qui, mécaniquement, s’ouvrent et se referment à un rythme différent et progressivement. Des sons émis dans l’espace déterminent la vitesse du système. Selon les sons et le degré d’ouverture des battants, de la lumière colorée est diffusée. Celle-ci est modulée par l’entrée de la lumière naturelle. Chaque élément dépend de l’autre ainsi tous les sens sont sollicités. Cet espace pourrait être réalisé dans le cadre d’une exposition qui aurait pour ambition de rassembler des œuvres sensorielles. Cet espace installé ferait office de lien entre les œuvres.
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Les sens de l’homme sont des organes perceptifs qui ont leurs propres particularités et ne cessent d’évoluer avec l’âge. Ces organes sont donc vivants et en perpétuel mouvement. De plus, l’homme se repère dans le monde grâce à eux. L’installation proposée ci-dessous va dans ce sens. Des structures souples et évolutives sont placées dans un paysage comme celui d’un parc, une place publique ou bien un parvis d’un bâtiment. Celles-ci accompagnent le passant dans son avancée. Elles semblent vivantes et elles respirent avec un son qui leur est propre.. Elles se propagent dans l’espace afin de créer un paysage organique et qui se modifie sans cesse. Le passant est invité à se plonger dans ce concert de «respiration» et à considérer ces structures comme des êtres vivants faisant partie de ce monde. La texture de ces structures qui se gonflent est souple et doit avoir une forte attraction tactile.
«Lire poétiquement serait une affaire de contact physique, où deux peaux se frôlent assez longtemps pour permettre une communication du sentiment de la vie, passant de l’épiderme étranger à la peau de l’énonciateur».
070
La poésie du lieu de Steven Winspur.
Conclusion
071
Nous observons que le travail du matériau est central dans le développement du vocabulaire spatial poétique. Telle la langue, matériau que les poètes n’ont cessé de travailler afin d’en explorer tous les possibles. De même que dans tous les axes de développement, l’important est de se concentrer sur l’homme, sa perception du soi et du monde qui l’entoure. Il est question de mettre l’homme au centre de l’espace où le vécu transcende l’espace perçu. Car il en est de même de la poésie. La lecture est une chose mais celle-ci vient à être ressentie et interprétée. Et c’est en cela que la poésie est transcendante et fondamentale. La création spatiale a pour visée d’offrir à l’homme des expériences d’être dans le monde. En plus de répondre à des besoins vitaux, elle sert à lui simplifier son rapport au monde et à sublimer son passage sur terre pour être au plus près de son essence. De plus, l’homme a besoin d’espaces dans lesquels il est libre d’expérimenter ses sens. Nous constatons, après ce développement, que les expériences qu'offre la poésie sont des expériences multiples. On observe qu'une pluralité d'espaces jaillissent dans l'expérience de l'espace à travers le prisme de la poésie. Ceci tend à privilégier la piste de l'espace où l'expérience se fait dans la multiplication de ses dessins et de ses appréhensions. Expérimenter le monde et son rapport au monde se fait alors par le biais de pluralités spatiales.
REFLET FULGURANCE INSTANT PARENTHèse VARIATION CONCENTRé PROJECTION élévation STABILITé VIBRATION ALTERNATIVE INVITATION
2
SOMMAIRE 004 INTRODUCTION 006 REFéreNCES & ANALYSES 008 CHOIX DES LIEUX 012 PAVILLON 1 / "L'espace entre" 034 PAVILLON 2 / "LES TRAITS d'UNION" 056 PAVILLON 3 / "échappées paysage sonore"
003
074 CONCLUSION
INTRODUCTION D'après l'étude menée précedemment, on observe que l'expérience en est le maître mot. Et que cette expérience se révèle être multiple. En effet, en considérant la création spatiale via le prisme de la poésie, on constate que le langage s'incarne dans diverses formes. Celles-ci se confondent et se complêtent et donnent à ressentir l'idée de recherche. Effectivement, la Poésie est marquée par son caractère mouvant qui , finalement, s'apparente à un parcours. Et la pluralité de l'expérience se décline dans la forme et le vécu de l'espace. J'ai donc choisi de développer ici, des espaces d'expérience. Ces lieux ont pour visée d'être à la portée de tous et pour ce faire, d'être intégrés au milieu urbain. Nous sommes dans un contexte actuel plutôt violent pour l'homme. La crise économique et les conflits militaires ou religieux viennent affecter l'homme dans son expérience du monde. Les esprits surchauffent et l'on ressent le besoin de se reconcentrer sur l'essentiel, retrouver nos valeurs et faire le point. Ils sont présents pour être des lieux favorisant la conscience de soi et du monde qui nous entoure, la méditation et l'introspection. L'homme vient pour réfléchir, pour prendre le temps. Il y va pour faire l'expérience de soi et du monde.
004
M'appuyant sur le concept de l'errance, de la recherche, je crée ici un parcours. Il n'y a pas de début, ni de fin, ce sont simplement des espaces qui viennent à être expérimentés. On peut qualifier quatres types de lieu d'après Bonnefoy. Celui d'où l'on vient dit "Unde" en latin, le lieu où l'on est dit "Ubi", le lieu par lequel on passe dit "Qua" et enfin le lieu où l'on va dit "Quo". Je m'intéresse dans ce projet au "Qua". Le parcours qui mène de l'ombre à la lumière pour parler de façon imagée. Ce sont des lieux alternatifs, de repli, dédiés à l'homme et à son expérience.
Références & ANALYSES Je souhaite m'intéresser aux caractéristiques des espaces existants qui ont pour but de stimuler la méditation, la réflexion et qui place l'homme dans un certain rapport à l'espace. Je souhaite créer des lieux d'expérience qui ne soient ni espaces sacrés, ni mémoriaux ni réel espace de méditation. Je soouhaite proposer une alternative d'espace dénué de Mémorial - Unesco | Tadao Ando | 1995. toute histoire ou fonction si ce n'est d'être à la disposition de l'homme. Toutefois, ces études de typologie de lieu me permettent de remarquer les procédés utilisés afin de placer l'omme au centre ou de lui donner une sensation d'élévation physique ou psychique. Importance de la lumière
006
Espace sacré ou non, la lumière naturelle est toujours travaillée et occupe une place majeure. Si la fonction première de l’architecture est d’abriter et de protéger l’homme, l’histoire de l’architecture témoigne d’une quête continuelle de lumière et de transparence. Associée à sa source principale, le soleil, la lumière est indissociable de la vie. Dans de nombreuses cultures, elle participe de la représentation du divin : pyramides dédiées au soleil, cathédrales baignées de lumière... défiant les forces des ténèbres. Elle est aussi symbole de connaissance et associe visible et intelligible, à l’opposé de son contraire, l’obscurité, assimilée à l’absence de vision et de savoir. L’idée de lumière est également liée à celle d’une émancipation humaine fondée sur le progrès scientifique, les évolutions techniques et leurs défis. La lumière est synonyme de vie, mais sa dimenRoden Crater | James Turrell | début 1984. sion immatérielle, son caractère changeant, son invisibilité expliquent sa fascination sur l’homme.
ARCHITECTURE DU SILENCE Architecture dite «de silence» est une architecture dont les mots clés sont minimalisme et sobriété. L’architecture de silence telle qu’a pu le définir Louis Kahn est une architecture qui privilégie la recherche spatiale associée au travail sur la lumière. L’architecture de silence, plus qu’une architecture visuelle est une architecture qui place l’esprit de l’homme à la rencontre de l’espace. L’espace est perçu visuellement mais il est surtout ressenti par tous les sens : c’est le vide qui parle. Intimité On peut remarquer que les espaces sacrés ou bien de "solitude" sont souvent clos avec une ou des Basilique | Simon Ungers | 2003. ouvertures sur ciel/paysage laissant filtrer la lumière ou bien en inondant l’espace. On se concentre alors sur soi ou bien c'est dialogue entre l’être et le ciel, la nature. Ces espaces coupent du monde quotidien extérieur. On evacue toutes distractions pour effectuer une introspection, sur ce qui est vraiment important. INTERPRéTATION Pour ma part, les espaces d'introspection peuvent aussi être plus ou moins ouverts. Le travail d'introspection se fait aussi, c'est mon idée sur le sujet, via la relation que l'on a au monde. On vit dans un paysage intérieur qui, lui, se façonne par rapport au paysage extérieur. Les deux sont liés et il est important de trouver sa place en soi mais aussi dans le monde. Ce qui m'intéresse et qui a fait l'objet de mon étude précédemment, c'est de voir ce que la poésie donne à l'espace. Et il me semble, que c'est surtout l'idée de l'expérience du tangible, de créer des espaces qui nous ressemble et qui nous met face à notre réalité.
007
Matter of time | Richard Serra | 2005.
CHOIX DES LIEUX / démarche Ma démarche d'implantation est conceptuelle. Comme la poésie est une errance à travers des paysages qu'ils soient extérieurs ou intérieurs, le poète erre dans les lieux-poèmes. Il dit le monde avec le paysage qui l'entoure et le compose. Il s'inscrit dans le temps, dans une narration qui se déploie, une progression. De la même façon, le principe de fulgurance se fait sentir et il est intimement lié à l'écriture de la poésie et finalement à la vie humaine. En effet, le poète Guillevic appréciait cette remarque de Joyce qui disait "Un très court espace de temps à travers de très courts temps d'espaces". Cette idée rend compte de la dimension d'une vie humaine. L'espace et le temps sont des concepts qui se nourissent l'un et l'autre et difficilement dissociables. La poésie semble être alors une succession d'instants, de tableaux, d'épreuves qui témoignent d'une recherche de la vérité, de la "présence". Je choisis d'implanter mes espaces dans la ville de Paris, dans un milieu urbain. Pour être au plus proche des gens et pour offrir aux habitants des lieux alternatifs où ils puissent vivre des expériences différentes.
008
Pour déterminer l'implantation de mes espaces, je prends le parti de me laisser guider par l'errance et finalement un peu par le hasard. Je choisis la Maison de la poésie à Paris comme point de départ. Je suis des passants dans leur trajets dans la ville et je dessine sur une carte de Paris leur trajectoire. Un peu à la manière de l'artiste Sophie Calle lorsqu'elle effectuait ses filatures intitulées Préambule et Suite
Suite vénitienne | Sophie Calle | Venise, Italie | 1990.
vénitienne. Sophie Calle suivait des inconnus dans les rues de Paris et se laissait ainsi dicter son chemin. De cette façon, j'obtiens des lignes parcours qui apparaissent comme des fragments de vie. Ce sont des morceaux d'histoire qui vont générer l'implantation de mes espaces. C'est une démarche fondée sur l'aléatoire et en cela se rapproche de l'écriture et de l'inspiration. Dans la même visée que les techniques de travail de Peter Eisenmann, je superpose des trames qui me permettent de déterminer les endroits où m'implanter. Peter Eisenmann cherche les moyens de conceptualiser l’espace de tel sorte que le sujet n’ait aucune référence iconographique de formes traditionnelles d’organisation et soit ainsi obliger de « reconceptualiser l’architecture ». Cette « pratique théorique » qui définit son approche, le conduit à aborder le projet à partir d'une nouvelle syntaxe : les notions de « texte », de diagramme, de greffe, de trace, de superposition, d'espace interstitiel, etc. le conduisent à inventer des configurations spatiales susceptibles d'intensifier l'expérience que l'usager fera du bâti, tant d'un point de vue spatial que temporel. La théorie derrière son travail a principalement pour objectif de libérer l’architecture de tout sens lié au contexte. Ainsi, j'obtiens des points d'accroches pour mes espaces. Et je crée ceux-ci dans la conscience de leur dimension tout en les inscrivant dans leur environnement.
Représentation schématique d’une séquence ADN - Biozentrum, Centre de biologie de l'université J.W. Goethe | Peter Eisenman | Francfort-sur-le-Main, Allemagne | 1987.
009
Peter Eisenmann | 1991.
En effectuant cette superposition, j'obtiens trois lieux. Là où les chemins des inconnus se croisent. Cela constitue un triptyque où trois rapports à l'espace seront traités: un espace clos, un espace semi-clos et un totalement ouvert. Chaque espace aura sa propre identité. Le nombre trois est chargé de symbolique et est perçu comme un chiffre fondamental, essentiel et représente l'union et l'harmonie. Les trois lieux sont le parvis de la mairie du IIIe arrondissement, rue Eugène Spuller, la place de la Bourse côté rue Vivienne et le parvis de la Gaîté Lyrique rue Papin.
010
X
X
X
Filature 3
Filature 2
Filature 4
011
Filature 1
1
PAVILLON “L'ESPACE ENTRE”
PARVIS DE LA MAIRIE DU IIIe ARR.
|| lieu 1
014
Le parvis de la mairie du IIIe arrondissement accueille régulièrement des manifestations culturelles ou commerciales. Le parvis est réservé aux piétons ou aux véhicules de la mairie. La parcelle que je souhaite investir est celle au ras de la rue de Bretagne, sur dix mètres, elle ne gêne pas l'entrée de la Mairie. Elle s'étend sur environ 15 mètres entre la mairie et le square du temple.
015
IMPLANTATION ALTERNATIVE
016
Ce lieu d'expérience vient s'implanter entre deux trottoirs et deux passages piétons. Cependant la rue est interdite d'accès depuis la rue de Bretagne, ce qui permet de s'y installer sans poser un problème de circulation. Les trottoirs sont empiétés par le pavillon qui se positionne comme une alternative au dessin de la ville. On peut traverser l'espace de part et d'autre. Il est en longueur et agit comme un passage possible, une pause conseillée dans le parcours des passants.
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"L'ESPACE ENTRE" Dans ce lieu, je souhaite créer un espace tel un paysage . Qui reste plus ou moins ouvert afin de rendre compte de l'environnement. Un paysage qui se veut intérieur et extérieur. En accord avec le lieu qui donne sur un square végétalisé. Je propose un espace eserré par deux "parenthèses" qui viennent qualifier un espace intérieur. Elles agissent en tant que protection, en proposant un temps hors du temps. Elles contiennent un cône oblique ouvert sur le ciel qui semble fragile en comparaison. Sa paroi est percée de triangles, ce qui génère des reflets et des facettes. Cette idée, déjà évoquée dans le tome 2, dans le but de faire un parallèle avec l'âme humaine. L'homme a plusieurs facettes qui sont également le reflet du monde qui l'entoure. L'introspection consiste à prendre connaissance de ces facettes afin de mieux se comprendre. La multiplicité de l'expérience prend corps dans la multiplication de la forme et le jeu de lumière. On obtient des variations qui font que l'espace change constamment en fonction de la lumière. A l'image du mouvement de l'âme. L'idée du motif répété évoqué dans le tome 2 est reprise. Elle permet de réaliser des surfaces semblant mouvantes. On ressent un déploiement, une surface en évolution. La lumière permet de créer des reflets changeant sur les surfaces à l'image du mouvement de l'âme.
Phenomenon | Mutina | Céramique | 2010.
018
Pavillon Eco | studio MMX | Mexico DF, Mexico | 2011
019
Écho d'Êchos : Vues plongeantes, Travail in situ | Daniel Buren | Centre Pompidou, Metz | 2011
020
RECHERCHES
021
LE PAVILLON
022
L'espace "mouvant" est encadré par deux parois afin de bien qualifier l'espace et de renforcer l'intimité du lieu. Elles sont comme des parenthèses pour indiquer la prise d'un instant bien particulier. L'espace central semble fragile, en élévation. Le passant peut s'immerger dans cet espace déconnecté du reste. Des retraits sont créés dans les parois afin de donner une possibilité d'assise. Le motif du cône crée des effets de lumière et modifie la perception de l'espace. Ce cône est ouvert sur le ciel et il faut se placer dessous, entrer à l'intérieur pour se sentir attiré vers le haut. On est protégé et en même temps, mis face à une autre immensité que l'horizon, celle du ciel.
023
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026
VUES IMPLANTATION
027
400 200
200
250
385
130
350
814 37 850 600 37 814
350
130
385 250 400
400
028
300
Plan échelle 1/100ème
TECHNIQUE & MATéRIAUX "Encoches" :
"Le cône": Il est constitué d'éléments pré-fabriqués en aluminium qui sont ensuite assemblés sur place mécaniquement. Le volume est maintenu par des débords qui sont fixés à l'intérieur des "encoches" d'acier, par la structure métallique. L'aluminium est un matériau léger, ce qui permet l'oblique au sol. Maintenu par le haut et fixé au sol, le cône est stabilisé.
029
814
Structure d'acier sur laquelle viennent se fixer des plaques d’acier Corten de fine épaisseur. L'acier Corten est un acier auto-patiné à corrosion superficielle forcée, utilisé pour son aspect et sa résistance aux conditions atmosphériques, dans l'architecture, la construction et l'art principalement en sculpture d'extérieur. J'ai fait ce choix pour l'aspect de matière très texturée de cet acier. Il semble être là, ancré depuis longtemps une fois qu'on le met en œuvre. De plus, il donne de la prestance aux volumes par cette couleur chaude, minérale et terreuse. Cette couleur qui semble brute et qui varient selon la lumière. La matière est révélée par la lumière. J'ai fait ce choix aussi pour ses qualités techniques qui en font acier résistant en extérieur et qui nécessitent d'une simple ossature métallique pour sa mise en œuvre.
VUES INTERIEURES & élévations
375
300
994
030
élévation intérieure | échelle 1/100ème
500
994
031
élévation extérieure | échelle 1/100ème
élévations
500
504
400
élévation Sud | échelle 1/100ème
130
032
élévation Nord | échelle 1/100ème
334
40
200
200
DÉTAILS DU CÔNE OBLIQUE
1330
1723
850
500
200
260
033
600
2
PAVILLON “TRAITs d'uNioN”
PLACE DE LA BOURSE
|| lieu 2
036
Le Palais de la Bourse se trouve au centre de la place. Il possède alors un parvis tout autour. Du côté de la rue Vivienne, le parvis est plus large et un marché vient s'installer quelques jours de semaine. Je souhaite m'implanter au centre de cette parcelle. Celle-ci occupe une surface de 15m par 19m entre les lampadaires qui l'encadrent. C'est un quartier d'affaires essentiellement donc beaucoup de personnes circulent sur cette place en journée.
22/09/13
22/09/13 31 Rue Vivienne - Google Maps
31 Rue Vivienne - Google Maps
Adresse 31 Rue Vivienne
Adresse 31 Rue Vivienne
Adresse approximative
Adresse approximative
© 2013 Google
© 2013 Google
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"TRAITS D'UNION" Pour cet espace implanté sur la place de la Bourse, j'ai choisi de créer un "pavillon" plus intime et plus clos que le précédent. Il s'agit d'une autre expérience qui se fait davantage en retrait de ce qui l'entoure. La Place de la Bourse est un carrefour, il y a beaucoup de circulation et de tous types. Je propose de réaliser ici un espace où la lumière joue le rôle principal. La lumière devient matériau et il s'agit d'en ressentir les variations. Il s'agit de donner à voir l'invisible et créer une lumière tangible, une lumière à ressentir. L'espace est rythmé d'ouvertures longues et fines, comme des traits, des lignes de lumière. À la fois placées de façon régulière et irrégulière, l'espace vient être rythmé par la lumière. L'espace intérieur change en fonction de la lumière extérieur. Le paysage intérieur dépend de l'extérieur. Le sol laqué permet de créer des reflets plus intenses et il apparaît comme une surface aqueuse sur laquelle la terre semble émerger par strates. La lumière se réfracte sur ces plateformes, crée des rythmes variables.
038
Recherches
Recherches
Extension d'un cimetière | ABDA architetti | Induno Olona, Italie | 2013
Installation lumineuse | Chris Fraser
David Moore | Sun atterns within the sydney opera house | 1962
LE PAVILLON
040
J'ai voulu ce pavillon monolithique de l'extérieur. Le bardage de bois sombre sur toutes les surfaces externes vient comme une peau qui protège,qui prends sur elle les effets du temps et qui donne un caractère imposant à l'ensemble. Il est comme un abri, un espace brut dans lequel la lumière vient prendre vie. Une tension naît alors de la fragilité du matériau lumière et la force et l'ampleur des volumes. Le pavillon est penché à 75 degrés afin de donner une tension dans le volume et son environnement. Il apparaît en déséquilibre, en proie à un arrêt sur image avant que le tout s'effondre. J'ai tenu à cette perturbation afin de cristalliser l'idée de fulgurance de la poésie. La quête de l'instant, présente dans chaque écriture de poème. De l'extérieur, l'espace semble en suspension tandis qu'à l'intérieur, il change et varie.
041
042
VUES IMPLANTATION
NORD-EST
900
OUEST
EST
125
600
044
SUD-OUEST
Plan | échelle 1/100ème
TECHNIQUE & MATéRIAUX Deux des murs sont penchés à 75 degrés. Ils sont fixés par le sol grâce à des poutres métalliques plantées dans le sol. En extérieur, l'ossature métallique (système de poteaux/poutres métallique) est couverte de bardage de bois noir posé verticalement. Le sol est enduit blanc finition laqué afin de renforcer les reflets créés par les percées de lumière.
045
Schéma
30
Elévation Est | échelle 1/100ème
467
416,5
275
130
10
200
10
200
10
200
10
90
40
900
Elévation Ouest | échelle 1/100ème
30
467
416,5
275
20
10
200
10
200
10
046
900
200
10
120
90
10 30
e
Elévation Nord-Est | échelle 1/100ème
467 450
75°
600
600
Elévation Sud-Ouest | échelle 1/100ème
467
450
75°
047
600
048
049
VUES INTERIEURES & élévations
467
Coupe Ouest | échelle 1/100ème
900
165
275
050
10
Coupe Est | échelle 1/100ème
900
450
600
Coupe Nord-Est | échelle 1/100ème
450
600
051
Coupe Sud-Ouest | échelle 1/100ème
052
39
133,5 186
155 216,5
187,5
114 167,5
56,5 117,5 159
120 160
185 214
76,5
270
319
196
142 52 780
302
134
103,5
108
165,5 66 759,5 70,5 309
101
106
93,5 10,5 652
600
Plan intérieur | échelle 1/100ème
053
900
054
055
3
PAVILLON “Échappées PAYSAGE SONORE”
SQUARE éMILE CHAUTEMPS
|| lieu 3
058
Le square Emile Chautemps, dans le 3e arrondissement, est placé juste devant la Gaîté Lyrique. La Gaîté Lyrique est un lieu dédié à la culture du numérique. C'est un lieu qui diffuse beaucoup de musique électronique. Il s'agit ici d'investir une parcelle du square afin d'offrir un lieu alternatif aux promeneurs.
059
"ECHAPPées — PAYSAGE SONORE" La poésie se dit aussi à voix haute. La poésie se dit et selon le poète, le lecteur, les intonations ne sont pas les mêmes. La lecture de la poésie est laissée à l'interprétation de celui qui la dit. Elle varie et elle vibre grâce à la voix. L'âme humaine a elle aussi, ses aléas. Les ressentis sont infinis et l'homme possède un panel de sens qui ne cessent d'être sollicités tour à tour ou simultanément. En tous cas, nous sommes faits de variations intérieures très prononcées et qui composent finalement notre relation aux autres, notre relation au monde. Je propose ici de matérialiser les ondes que peuvent produire nos états d'ame, notre voix ou même les énergies présentes entre nous et l'extérieur. C'est un échange, des transmissions. Les ondes permettent de partager. Ainsi, je crée un espace où l'on peut s'assoir, rencontrer une personne et donner de la voix éventuellement. Les ondes sonores se succèdent, se mélangent et finissent par se fondre dans le sol.
060
Maison du comité national des Jeux Olympiques | Architects of invention | Tbilisi, Georgie | 2011.
Landscape Phantasy Visiona II | Verner Panton | 1970.
061
Holland Park School | Aedas | Londres, UK | 2012.
062
063
LES ONDES
064
Je vais m'appuyer sur les ondes sonores de chaque lettre de l'alphabet en tant que référence afin de déterminer la forme des ondes que je vais matérialiser. je m'appuie sur les lettres car elles sont les outils du langage et donc de la poésie.
1000
1075
1050
1000
1100
1050
1100
1075
1050
1100
1025 1075
1075
1085
1100
1025
1100
1050
1075
1075
1050
1100
1100
1085
065
1025
1000
1000
1075
1050
1000
1100
1050
1100
1075
1050
1100
1025 1075
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1025
1100
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1075
1075
1050
1100
1100
1085
066
1025
1000
élévaton vue du côté de l'entrée | échelle 1/100ème
290
1100 1000
067
Vue du côté des fontaines | échelle 1/100ème
TECHNIQUE & MATériaux Les "ondes" sont réalisées en plaques de contreplaqué marine de 30mm prédécoupées. Ces éléments sont assemblés, fixés par le sol et les "ondes" sont stabilisées entre elles par des tasseaux de bois de 20mm d’épaisseur.
Détail de mesures "Ondes" de 30mm d'épaisseur et séparées de 20mm à chaque fois.
32 32 32 32 32 3
068
28
778
1000
Plan échelle 1/100ème
069
1100
070
071
072
VUES IMPLANTATION
073
conclusion Ces pavillons, ces lieux dédiés à l'expérience, ont chacun leurs spécificités par rapport aux outils utilisés et à l'environnement dans lequel il s'implante. Je propose ici un triptyque afin de donner forme à ma recherche concernant un langage spatial issu du langage poétique. Lire l'espace par le biais de la poésie offre, on le voit, de multiples possibilités. J'ai ancré cette démarche dans un programme afin de démontrer qu'il peut être interessant de penser l'espace via le prisme de la poésie. On peut par la suite appliquer le langage décelé dans mes premiers tomes dans un autre cadre. Il peut être légitime de penser que certaines typologies d'espace pourraient être conçus dans cette démarche. Des lieux qui inspirent à cette idée de recherche de soi, qui cherchent à toucher le spectateur dans l'intime ou bien dans des lieux qui, habituellement, peine à trouver une dimension humaine.
074
Mon projet et ma démarche sont de l'ordre de l'expérimental. Je pense que la poésie permet d'enrichir le langage spatial et ce projet est une ouverture dans ce sens.