2013_MDGRI-2_DIPLÔME_SONIA_BENSOULA

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COMPLEMENTS D’OBJETS -Perception d’une incapacité par l’objet-

TOME 01

SONIA BENSOULA Master de Design Global Ecole de Condé Paris 2011-2013 Professeurs référents: - Hugues Weill - Apolline Torregrosa -




/SOMMAIRE


I.RECHERCHES Avant-propos Introduction Problèmatique et enjeux du sujet

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1-SUBSTITUER, COMBLER: L’HOMME ET LA FACON DONT IL COMBLE SES FAIBLESSES 1.1 Dimension anthropologique de l’Homme et de ses objets 1.2 Les premiers objets de substitution 1.3 Différentes applications des objets de substitution

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2-PERCEPTIONS DES DIFFERENCES EN SOCIETE 2.1 2.2 2.3 2.4 2.5

appréhension des différences à travers les époques appréhension des différences à travers les cultures stigmatisation d’aujourd’hui: analyse de l’époque actuelle Notion de normalité (canons de beauté, esthétiques et critères de beauté) Perception du corps «monstrueux»

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3-INFLUENCES DES TENDANCES ET DES JUGEMENTS SUR LA MANIERE D’APPREHENDER L’OBJET DE SUBSTITUTION 3.1 3.2 3.3 3.4

Objets de substitutions et connotations Dissimuler (honte, rejet, ignorance ou diversion) Exhiber, Militer Influencer le corps, influencer la société

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Conclusion Bibliographie, sitographie, filmographie

81 83



/AVANT PROPOS J’ai souhaité m’intéresser aux objets de substitution suite à ma participation au concours Handitec, concours invitant à réaliser un objet ou un procédé améliorant la vie quotidienne des personnes présentant un handicap. Après avoir réalisé un bracelet/montre destiné aux personnes sourdes et malentendantes (bracelet ayant pour but de les aider à mieux interagir avec d’éventuels sons présents chez eux, notamment issus d’appareils domestiques), j’ai l’envie de poursuivre mes recherches dans ce sens en m’intéressant plus particulièrement au rôle de l’objet dans la perception d’une faiblesse ou incapacité physique, son rôle d’acceptation auprès de son utilisateur, mais également auprès de la société. Une déficience a toujours tendance à se rapporter à un objet stigmatisant, auquel on se réfère. Un handicapé moteur = fauteuil roulant, un malentendant = appareils auditifs, une personne âgée = canne ou déambulateur, ou plus légèrement une personne ayant des problèmes de vue = lunettes de vue. Mon objectif n’est pas de remettre en question la fonction première de ces objets mais de les faire accepter en imaginant de nouveaux scénarios d’usages, en s’interrogeant sur leur image, leur archétype, sur la manière dont ce type d’objet est perçu. Faire accepter une incapacité physique ou un manque en le dissimulant, le détournant, ou en le mettant au contraire en valeur ; le faire accepter en le destinant aux personnes déficientes comme non déficientes. Donner l’envie aux personnes non-déficientes de le posséder.

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/INTRODUCTION Déficience nf.(bas latin deficientia, affaiblissement) : insuffisance physique ou intellectuelle. Atout nm.(de à et tout) : moyen de réussir, chance de succès. La déficience est caractérisée par un manque, une faiblesse étant plus ou moins handicapante. Un atout est au contraire, une force, un plus qui est facteur de réussite. Une déficience peut-être masquée ou remplacée par un atout, tout comme une faiblesse peut devenir une force. Nous constatons aujourd’hui que de plus en plus de personnes présentant une faiblesse physique, légères ou importantes, n’y remédient pas toujours, de peur d’être stigmatisées par la société, au travail, par leurs proches... Aujourd’hui en effet, le paraître et la perception de soi ont une place très importante, ceci étant dû au développement de l’image omniprésente dans notre quotidien par le biais de la publicité, la télévision etc. Nous nous référons à des icônes reflétant un idéal. Mais ces icônes (à l’image de personnalités, stars etc) ont également une influence primordiale sur les tendances actuelles puisqu’elles sont vecteurs d’identification. Ainsi, elles peuvent détenir le pouvoir de faire accepter aux consommateurs des tendances, des modes ou encore des produits... L’exemple est perpétuel de nos jours ; en effet, les marques font de plus en plus appel à des personnalités à travers les publicités pour vendre leurs produits. Ainsi, l’homme a une certaine tendance à émettre un jugement sur une personne en ne se fiant qu’aux vêtements ou accessoires qu’elle va porter, aux objets qu’elle va posséder, mais aussi aux défauts physiques qu’une personne va présenter. D’où le fait qu’une personne ne voudra pas être rapportée à une tendance ou un objet, mais aussi à un certain handicap, de peur d’être étiquetée. Mais nous trouvons aussi du positif et du nécessaire dans l’identification d’une personne par ce qu’elle possède et reflète, car ceci permet de se démarquer et de revendiquer une différence, mais aussi de la déceler en tant que personne extérieure pour ainsi mieux l’intégrer et l’accepter. Le rôle du designer va être ici de trouver une interaction avec tous ces éléments (solutions techniques et esthétiques) pour qu’un


produit puisse répondre à un besoin tout en étant accepté par son utilisateur d’un point de vue éthique et esthétique. Changer également le regard extérieur de ces lacunes physiques grâce aux objets. En résumé, ce mémoire étudie la perception des objets palliant à un manque, une incapacité, qu’ils soient légers ou lourds. Il va de la paire de lunettes aux prothèses de jambes, en passant par les appareils auditifs ou encore le dentier. Nous remarquons que chacun de ces objets nous renvoient, consciemment ou inconsciemment à une incapacité. A travers différentes applications, nous pouvons voir que l’objet va dissimuler, ou mettre en avant une faiblesse. Mais c’est également l’objet qui a le pouvoir d’évaluer le degré de stigmatisation de cette différence. Alors vient la problématique suivante : comment un objet peut répondre à une déficience sans être stigmatisant ? Comment traiter le rapport entre la déficience et le corps par l’objet ? J’ai choisi de m’intéresser aux objets substituant un manque, que l’homme n’assume pas car il renvoie à une incapacité, une faiblesse. Y répondre grâce à un concept ou objet élégant, dissimulant, ou au contraire apparent, revendicatif, de sorte qu’il soit enviable par tous et donc pourquoi pas, être destiné à tous. Nous nous interrogerons sur la valeur du design et son pouvoir d’acceptation d’un objet, mais aussi de substitution à un besoin. Tout d’abord, nous analyserons à travers l’histoire et les civilisations comment étaient acceptées les personnes souffrant d’incapacité physique, la manière dont des moyens répondaient à des besoins, des manques, puis comment elles se sont ancrées dans notre société actuelle. Nous nous intéresserons ensuite à la manière dont sont perçus certains objets, pourquoi un objet se rapporte à première vue à une fonction, d’où viennent ces catégories et cases que l’on attribue aux personnes et aux objets. Nous relèverons également quelles influences les modes et les tendances ont globalement sur l’acceptation d’un objet, mais aussi le pouvoir du designer de faire accepter un objet.

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/PROBLEMATIQUE -Comment un objet peut répondre à une déficience sans être stigmatisant ? SOUS-PROBLEMATIQUES -En quoi un objet peut-il répondre à une déficience tout en la dissimulant ? -En quoi un objet a-t’il le pouvoir de palier un manque tout en répondant à une tendance ? -Comment une faiblesse physique peut-elle devenir enviable grâce à un objet ? -Comment un objet répond à une déficience tout en suscitant l’envie de le posséder ? Tout en séduisant l’utilisateur ?

CONTEXTE Les déficiences, quelles que soient leur nature et leur dégré de gravité, sont présentes dans toutes les populations. Ce projet peut donc s’adresser à tous, et concerner toutes les sociétés et toutes les civilisations. Cependant, bien que le projet répondra à une fonction universelle, son esthétique devra s’adapter à l’éthique de chaque civilisation.


/ENJEUX ENJEUX SOCIAUX/CULTURELS Faire accepter une déficience par un objet non-stigmatisant, ne faisant pas ressentir un sentiment d’exclusion. L’objet aura pour but de réunir toutes les catégories de population présentant ou non une déficience autour de cet objet; un objet enviable par tous. Dans notre société où le paraître et la jeunesse sont des facteurs de réussite sociale et professionnelle, le but est de lier défaillance et élégance, fonctionnel et esthétique.

ENJEUX ECONOMIQUES Appropriation forte de l’objet, vraie interaction avec l’utilisateur mais, l’objet devra mettre en avant tendances, codes culturels pour suivre le marché d’aujourd’hui, en développant des codes visuels par des couleurs, des matières...

ENJEUX CREATIFS LIES A NOTRE PRATIQUE DE DESIGNER Répondre à un objet fonctionnel et identitaire, sans qu’il ne soit pour autant communautaire, stigmatisant. Faire interférer coquetterie et confort. Le but du designer va être de s’adapter au besoin de l’utilisateur et devra transformer ce besoin en atout, en plus d’y palier. Faire un objet positif, perçu comme un atout, tout en ayant la capacité de dissimuler sa réelle fonction, de la faire passer en second plan ; ou au contraire, de mettre en avant cet objet afin de l’ancrer dans la société comme quelque chose de « normal » et donner à cet objet un aspect militant.

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1- SUBSTITUER, COMBLER : L’HOMME ET LA MANIERE DONT IL COMBLE SES FAIBLESSES 1.1 Dimension anthropologique de l’Homme et de ses objets L’Homme naît par nature vulnérable et déficient. Par l’apprentissage il s’éloigne de l’état animal, « l’état de nature » que décrit J.J Rousseau où seuls les droits naturels, soit les besoins vitaux prévalent. Afin d’éviter de tomber dans un chaos social où « l’homme est un loup pour l’homme » comme le suppose Thomas Hobbes (philosophe anglais du XVII ème siècle), il est impératif d’imposer un contrat social pour maintenir l’ordre et acculturer l’homme. Il va se créer des outils pour chasser, des objets pour manger, etc. L’homme n’a pas de fourrure naturelle c’est pourquoi il se vêt. Il lui a donc fallu maîtriser la nature, la surmonter pour survivre et se développer. Ainsi, « l’homme ne naît pas homme, il le devient » comme l’exposait Erasme (prêtre et écrivain de la Renaissance); il se fabrique et fabrique, sa raison et son intelligence l’aident à composer avec son environnement, ce qui le différencierait de l’animal où l’instinctif régit ses actes. L’homme pense donc existe en tant qu’être pensant comme nous le rappelle le cogito cartésien « je pense donc je suis ». En effet, il a cette capacité de penser, de prendre en considération ce qui l’entoure : une réalité composée d’objets, de concepts, etc. fait qu’il n’est pas un animal. Comme le souligne Hegel (philosophe allemand du XIXème siècle) : « Ce qui élève l’homme par rapport à l’animal, c’est la conscience qu’il a d’être un animal... Du fait qu’il sait qu’il est un animal, il cesse de l’être. » Nous constatons donc que l’Homme à sa naissance est un être déficient et que sa conscience lui fédère une morale par exemple à laquelle il se soumet. L’Homme exige donc beaucoup plus que ce que son corps lui réclame. Il n’accepte de satisfaire ses besoins physiques que si certaines conditions d’un autre ordre (de type moral ou esthétique) sont remplies. Par exemple, la recherche du beau, du vrai et du juste est essentielle pour l’homme, alors que, du point de vue de l’organisme et de ses besoins, elle est tout à fait superflue. Finalement, L’Homme est à la recherche d’une certaine perfection. Mais précisons que les imperfections qu’il rencontre le renvoient à l’état d’animal et donc au fait qu’il ne maîtrise plus la nature, ce qui pourrait d’ailleurs remettre en cause sa survie. L’Homme s’en trouve déstabilisé face à « l’imparfait ».

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Prothèse d’orteil en bois sculptée, -1000 avant JC.

Prothèse de jambe en bois (non daté)

Les lunettes à travers le temps

pierre de lecture, moyen âge

éventail à lorgnettes, 19ème siècle

Bésicles en cuir, 16 ème siècle

lunettes à tempes, 18ème/19ème siècle

binocle fin 18ème, début 19ème siècle

lunettes de la marque Rayban, 20ème siècle


1.2 Les premiers objets de substitution D’après des chercheurs Allemands, les Égyptiens étaient capables d’amputer et de concevoir des prothèses ; ils appuient leur théorie sur la momie d’une femme morte il y a environ 3 000 ans. Elle fut amputée de son orteil droit qui fut remplacé par une prothèse en bois sculpté (photo ci-contre), composée de trois parties. Elle est maintenue par une gaine en cuir cousue et du textile. Les traces d’usure montrent qu’elle a servi et les chercheurs pensent qu’elle permettait un assez bon mouvement. Il se dit également que ces prothèses servaient à combler la partie manquante d’un corps après la mort afin que le défunt puisse se faire accepter au paradis. Pendant l’Antiquité, les Grecs et les Romains fabriquaient aussi des prothèses. Au Moyen-Âge, les prothèses n’ont qu’un but fonctionnel comme les pilons et les crochets. De nos jours, ce type de prothèse est notamment populaire par les personnages de pirates au cinéma. Les populations les plus aisées pouvaient s’offrir des prothèses plus sophistiquées et esthétiques (reproduisant au maximum ou conformément les formes humaines). À la Renaissance, de nombreux chirurgiens ont recours aux prothèses pour assister leurs patients et élaborent de nouveaux dispositifs qui seront utilisés jusqu’au XXème siècle.

Les premières lunettes Le Moyen-âge voit se développer, dans les monastères en particulier, l’usage de la pierre de lecture, loupe grossissante permettant de lire des manuscrits. A la fin du XIII ème siècle, les bésicles, premiers ancêtres des lunettes (1287) font leur apparition. Les bésicles doivent être tenues sur le nez avec les mains. Elles étaient surtout utilisées par les hommes d’église (moines... etc.). Arrivent ensuite au XVIII ème siècle les lunettes à tempes : les premières apparitions de branches s’arrêtent au niveau des tempes et vont les pincer. Vient ensuite les lorgnettes au XIXème siècle. Ayant pour but d’observer voire d’espionner, les lorgnettes ressemblaient à des petites loupes que l’on dissimulait dans divers objets (tabatières, tires bouchons, bouteilles de parfum… ). Puis le pince-nez, inventé en 1840-1850, fut une révolution d’un point de vue pratique, puisqu’elles se pinçaient directement sur le nez. Viennent enfin les lunettes à branches que l’on connaît jusqu’à aujourd’hui au cours

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cornet acoustique

canne d’élégance au XVIIIème siècle


du XXème siècle. Les premières lunettes en plastique et colorées arrivent, offrant une légèreté au produit. Nous comptons également l’arrivée des lunettes de soleil en 1936, qui permettent de protéger les yeux du soleil, et parfois de corriger la vue par la même occasion. La multitude de formes, de couleurs et de matières, fait des lunettes de vue ou de soleil des accessoires de mode. Les lunettes sont donc maintenant dessinées par des designers et sont, en plus de répondre à une faiblesse physique, devenues un véritable accessoire de mode ; à tel point même que certaines personnes n’ayant pas de problèmes de vue en possèdent ou veulent en posséder.

Les premières aides auditives « Un cornet acoustique est un dispositif tubulaire ou en forme d’entonnoir qui recueille les ondes sonores et les conduit à l’oreille. Il en résulte un renforcement de l’intensité sonore vers le tympan et donc une meilleure audition pour des personnes qui ont une déficience auditive, faisant de ce dispositif un précurseur de l’aide à l’audition moderne. Appareil d’amplification sonore à la mode à l’époque victorienne, les cornets acoustiques étaient en tôle, argent, bois, coquilles d’escargots ou cornes d’animaux. » (source wikipédia)

La canne (d’appui ou d’élégance) La canne est le nom générique d’un accessoire allongé en forme de bâton, touchant le sol et tenu à la main, principalement destiné à accompagner la marche, bien qu’il puisse remplir d’autres fonctions (mode, outil, arme, sport, etc.). La spécialisation du mot canne au sens de «bâton léger sur lequel on s’appuie pour marcher» n’est pas utilisé avant le XVIème siècle, puis au sens de «bâton de promenade» au XVIIème siècle. Ce nom est vraisemblablement emprunté à l’italien canna, issu du latin canna = «roseau». La canne connaît d’innombrables déclinaisons de forme, d’usage, voire de dénomination. Aujourd’hui, la science prothétique a considérablement évolué, on assiste à une réelle révolution des prothèses et des méthodes d’appareillage. Les prothèses se modernisent, sont de plus en plus légères, de plus en plus résistantes, de plus en plus humanisantes ; c’est-à-dire qu’on ne distinguera plus à l’avenir un membre organique d’une prothèse. La science prothétique évolue considérablement dans le domaine de l’esthétique (chirurgie esthétique, instituts de beauté, etc.), dans le sport (handisports) et même dans le domaine vétérinaire (prothèse animalière). Les entreprises prothétiques se comptent par milliers dans le monde ; même si les prothèses sont encore majoritairement faites à la main, bientôt le marché de la prothèse sera dominé par l’Industrie prothétique.

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1.3 Différentes applications des objets de substitution Les objets accompagnant le corps se retrouvent dans différents domaines d’application. Ils interviennent pour combler un manque en tant que substituant ou alors en complément du corps, comme un prolongement.

COMBLER UN HANDICAP Commençons par rappeler la définition du mot handicap et son étymologie ; «La toute première définition du mot handicap est «une épreuve, course ou concours, dans lesquels les concurrents reçoivent ou rendent une avance de temps, de distance, de poids ou de points, de manière qu’ils aient tous, malgré leur valeur différente, une chance égale à la victoire. Elle désigne par la suite une «infirmité ou déficience, congénitale ou acquise.» (dictionnaire Larousse)

Le mot handicap vient de la contraction de trois mots anglais Hand in cap (soit «la main dans le chapeau»). Vers 1660, un chroniqueur anglais a découvert un système de troc d’objets entre deux participants. Un arbitre, le « handicapper » déterminait la différence de valeur des deux objets, puis il déposait la somme compensant la différence dans un chapeau. C’était donc un système d’échange où l’on recherchait l’équité. A partir du milieu du XVIII ème siècle, ce mot est appliqué à la compétition équestre. Lorsque deux chevaux de calibres différents concourraient ensemble, le meilleur était lesté d’un poids appelé «handicap» afin de maintenir l’égalité de chance entre les deux. Le handicap est donc ici aussi un système qui permet d’améliorer l’équité. Par la suite ce système fut étendu à différents sports.

Finalement, le terme fut utilisé pour désigner toute action visant à rendre plus équitable une confrontation. Cela conduira à employer l’expression «être handicapé» en parlant des participants désavantagés au départ d’une course.
Le sens médical apparaîtra lui vers 1950 et se généralisera ensuite pour donner la définition que la loi reconnaît aujourd’hui et qui est assez proche de celle du sens commun. Les objets de substitution, c’est à dire des objets palliant à un manque, interviennent très souvent pour répondre à une déficience, un handicap, qu’il soit léger ou lourd. Il va de la paire de lunettes aux prothèses de jambes, en passant par les appareils auditifs. Nous remarquons que chacun de ces objets fait référence à une incapacité. A travers différentes applications, nous pouvons voir que l’objet va dissimuler ou exhiber la déficience. Mais c’est également l’objet qui a le pouvoir d’évaluer le degré de stigmatisation d’une déficience.


Comme nous l’avons vu précédemment, les objets de substitution peuvent répondre à des défauts sensoriels ; comme les lunettes, qui répondent à des problèmes de vue, mais qui sont un symbole fort aujourd’hui puisqu’elles se sont complètement intégrées dans la société à tel point qu’elles répondent aussi à une tendance actuelle. Nous avons encore les appareils auditifs, descendants des cornets acoustiques, qui vont améliorer l’ouïe défaillante. Les objets qui corrigent et accompagnent le corps répondent également à des déficiences plus lourdes comme les prothèses palliant au manque d’un membre, ou encore un fauteuil roulant, répondant à des handicaps moteurs. De nombreux autres objets ayant pour but de combler un handicap existent de nos jours, et les progrès en terme de prothèse et d’amélioration d’un handicap vont en ce sens. Ces objets vont substituer le manque physique de la personne et l’accompagner dans sa vie quotidienne.

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Bats et raquettes, exposition «Designed to win, design museum de Londres.

A chaque sport un modèle de chaussure adapté. Chaussures ADIDAS, exposition «Designed to win», design museum de Londres.

« Le seul handicap dans la vie est la mauvaise attitude », publicité Flex-Run with Nike sole (2011) avec Oscar Pistorius.


SPORT ET PERFORMANCES On observe dans la pratique du sport que les nouvelles technologies jouent un rôle très important dans l’accompagnement des athlètes. Des chaussures de courses aux casques aérodynamiques de vélo, les matériaux, les formes de ces produits ont pour but de favoriser au mieux les performances sportives et décupler les qualités physiques de base d’une personne. Ils ont permis de développer de nombreux domaines sportifs et l’un des points importants dans la pratique d’un sport est la relation entre l’athlète et ces objets ; ils vont former une réelle équipe pour se dépasser et atteindre leur objectif. Ils ont aussi pour certains un rôle de prolongation du corps, et sont associés directement à un sport. La raquette de tennis, le gant de boxe... Ces évolutions technologiques montrent à quel point elles deviennent complémentaires du corps et repoussent ses limites. Mais nous observons également des progrès en matière de prothèses destinées au sport. En effet, le sport est de plus en plus accessible aux personnes souffrant de handicap. Sport et handicap sont devenus compatibles. Durant les derniers Jeux Olympiques de Londres, nous avons pu par exemple voir Oscar Pistorius, amputé des deux jambes concourir aux côtés d’athlètes valides, grâce à des prothèses de jambes permettant à l’athlète de courir normalement.

General adoptation of the rolling skate, illustration de Georges du Maurier, Punch, 1866 (Wellcome library) Dessins illustrant l’apparition et l’utilisation des premiers patins à roulettes, au 19ème siècle.

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Lunettes Google à réalité augmentée.

Spiderman

Bande dessinée Wolverine


L’HOMME ET LES MACHINES Les nouvelles technologies sont de plus en plus en interaction avec notre corps, de sorte que l’homme puisse contrôler le plus de choses possibles, avec toujours plus de proximité et de rapidité. C’est pourquoi après les téléphones portables par exemple, nous voyons apparaître des produits comme les lunettes Google à réalité augmentée. La notion de réalité augmentée désigne une réalité multipliée grâce aux nouvelles technologies. Ces dernières nous offrent une interaction hommemachine qui semblent s’étendre à l’échelle d’une nouvelle dimension que nous ne connaissions pas. Elles s’intègrent à notre corps et donnent le sentiment que ces technologies prennent le dessus sur nos sens naturels et ce pour la première fois. Selon Ray Kurzweil, inventeur et entrepreneur américain, la nanotechnologie se répendra au milieu du XXI ème siècle. Les nouvelles technologies semblent de plus en plus proches et accessibles dans notre quotidien. Et de ceci résultera une rupture définitive des limites entre l’homme et la machine. L’idée de fusion du corps et de l’objet est alors abordée. Ce sujet fascine et effraie à la fois de nos jours, car la peur que les nouvelles technologies prennent le dessus sur notre corps nous dépasse. Comme nous l’avons évoqué plus tôt, le propre de l’homme reste de maîtriser la nature et notamment les objets qu’il fabrique pour exister. L’homme est en train de muter psychologiquement, physiquement avec ces nouvelles technologies, et son mode de vie évolue avec. Comment faire accepter l’homme avec son temps et comment appréhender les nouvelles technologies sans en avoir peur ? Les supers-héros de bandes dessinées et de films sont de parfaits exemples de représentation de technologies sur les êtres humains ayant pour but d’améliorer leurs performances. Nous voyons à travers ces personnages une sorte d’utopie, exprimant le rêve de pouvoir voler, se téléporter, ou encore être puissants et résistants face aux dangers etc. ; l’envie de contrôler son corps mais aussi le monde extérieur. Dans la mythologie grecque déjà, cette idée de sur-homme était déjà abordée : la légende d’Icarus, nous rappelle que la recherche des super pouvoirs remonte à l’époque antique. Icare et Dédale cherchent à fuir leur exil, Cnossos, en Crète, et à retourner à Athènes, cité dont Dédale était originaire. Ne pouvant emprunter ni la voie des mers, que Minos contrôlait, ni celle de la terre, Dédale eut l’idée, pour fuir la Crète, de fabriquer des ailes semblables à celles des oiseaux, confectionnées avec de la cire et des plumes. Il met en garde son fils, lui interdisant de s’approcher trop près de la mer à cause de l’humidité et du soleil à cause de la chaleur. Mais Icare, grisé par le vol, oublie l’interdit et prenant trop d’altitude, la chaleur fait fondre progressivement la cire. Ses ailes finissent par le trahir et il meurt précipité dans la mer qui porte désormais son nom : la mer « Icarienne ».

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Dédale et Icare, Charles-Paul Landon. Toile de 1799.

Figurine d’Icarus, 100-300 après JC.British museum de Londres.

Bracelet «Up» de Jawbone, 2011.

Bracelet énergétique «Powerbalance», 2010.


Le mythe d’Icare interroge le désir de l’Homme à aller toujours plus loin, au risque de devoir se retrouver face à sa condition de simple être humain. D’autres mythologies abordent également la curiosité humaine à faire des expériences, à créer de ses mains mais aussi de maîtriser ce qu’il crée, comme par exemple le mythe du Golem. Le golem, (signifiant « cocon », mais peut aussi vouloir dire « fou » ou « stupide »), désigne un être humanoïde, artificiel, fait d’argile, animé momentanément de vie par l’inscription EMET (vérité en hébreux) sur son front (ou sa bouche, selon les versions). Le mythe du Golem est apparu dans la culture hébraïque. Faisant aujourd’hui référence aux robots, ce mythe perdure ainsi dans la science-fiction occidentale, notamment dans les livres et les films. Un homme fait une créature intelligente, la craint et cherche à la détruire quand elle se rebelle : ce récit connaît d’innombrables versions comme si notre temps, fasciné, y scrutait sa signification cachée. Le mythe du Golem-robot révèle une angoisse profonde concernant la nature et les fins de l’homme. Il représente une allégorie de la relation qu’entretient l’Occident avec les machines dites intelligentes. L’Université d’Artois et le collectif Art Orienté Objet a récemment proposé d’interroger les enjeux du corps à travers une exposition et un colloque international à Béthune, en 2011. Extrait de l’avant-propos : « Devenu une entrave, le corps est modifié, « bricolé », livré aux biotechnologies... L’appareillage corporel issu de ces mutations interroge notre humanité dans son essence, dans son statut de vivant et dans son engendrement. » Enfin, nous pourrions évoquer les médicaments qui pour certains sont des compléments afin d’être plus performants ou pour contrôler notre corps. Prenons pour exemple la pillule contraceptive, qui nous donne ce pouvoir de contrôler notre corps, notre vie, notre destin.

OBJETS DE BIEN-ÊTRE De plus en plus d’objets nous permettent aujourd’hui de contrôler nos activités ou encore notre corps. A côté de l’exemple du smartphone nous donnant la météo ou les informations quotidiennes au bout des doigts, nous avons des objets comme le bracelet «up» de Jawbone, qui mesure à titre d’information toutes vos activités physiques, de jour comme de nuit, afin que vous puissiez mieux prendre en compte vos besoins et améliorer vos habitudes. Nous pouvons également citer les bracelets énergétiques «power balance», censés rééquilibrer votre champ magnétique. Ces bracelets, au départ portés par de nombreuses célébrités, ont ainsi connus un énorme succès il y a 3 ans.

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Implants

«rebellion in silence», rebecca horn

«Unicorn», Rebecca Horn

Piercing

La plasticienne Orlan

«scratching both walls at once», rebecca horn


IMPLANTS ET EXCROISSANCES MODERNES Depuis une bonne quinzaine d’années, le piercing a fait son apparition. Interprété comme un bijou, sa différence est qu’il vient percer la peau, aux endroits voulus. Nous observons également depuis plus récemment, les implants décoratifs, où l’on s’implante des excroissances sous la peau, de sorte à obtenir des reliefs ornementaux. Cette nouvelle appropriation du bijou par le corps traduit un besoin de possession et d’unification du corps et de l’objet. Ces pratiques sont également utilisées pour revendiquer une appartenance à un groupe, s’identifier au sein d’une entité. Comme certaines tribus et communautés qui utilisent leurs corps et les transforment pour se démarquer. Certaines tribus amazoniennes s’implantent un labret dans la lèvre inférieure ; en Inde, les femmes se percent le nez. Nous retrouvons cette pratique dans notre société, particulièrement chez les adolescents, servant comme repère de leur identité et marque d’appartenance à un groupe, une mode et à une génération. Mais cette «tendance» s’étant généralisée et banalisée, on la voit également sur bon nombre d’adultes, tout comme le tatouage. Orlan, artiste plasticienne française, dénonce par son travail la violence faite au corps à travers la chirurgie esthétique. Elle fait de son corps l’instrument privilégié où se joue notre propre rapport à l’altérité. Ses implants au front notamment interrogent notre degré de tolérance à la «normalité physique». Quant à Rebecca Horn, artiste Allemande connue pour travailler sur des extensions de corps ou des prothèses, a par exemple réalisé les Finger Gloves (1972), gants avec prolongement des doigts, ou encore Rebellion in Silence (années 1970), cocon en plumes dissimulant le corps. Elle interroge la relation entre le corps et l’environnement, qui redéfinie l’espace dans lequel l’Homme évolue. Il redéfinit également la posture du corps, qui est contraint par ces extensions. Cela nous permet donc de voir l’utilité d’intervenir sur le corps et sa nature, le corps et ses habitudes, afin de réinterroger sa perception, mais aussi son usage et ses fonctions à travers ces implants et excroissances. Enfin, revenons à la contraception qui est également proposée sous forme d’implant sous la peau, ou encore par la pose d’un stérilet.

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LES OBJETS TRANSITIONNELS Les objets transitionnels peuvent également être perçus comme des objets de substitution à un manque. Par exemple, la plupart des enfants ont des doudous pour palier la présence de leurs parents ou combler l’enfant d’affection et de présence. On constate cependant la présence de doudous chez les adultes, qu’ils ont souvent conservés depuis leur enfance, comme pour combler un manque affectif, le manque de l’enfance où nous étions protégés par nos parents. L’objet transitionnel a également pour rôle de se protéger de quelque chose, du mal ou de l’échec, chez les personnes superstitieuses. Il «porte chance». Nous appelons ces objets des «porte-bonheur» ou des « gris-gris »... Nous constatons donc des croyances surnaturelles auxquelles des personnes vont croire en espérant être moins vulnérables et plus heureuses. Toutes ces croyances et ces espoirs vont donc reposer sur un objet que ces personnes auront désigné. Grâce à cet objet, l’Homme va se sentir plus puissant, protégé, comme invincible. Nous remarquons que ce type d’objet est souvent secret et personnel et que les personnes ayant ce type d’objets en ont honte. Cette honte vient probablement du fait que l’homme, par nature, n’aime pas montrer ses faiblesses. Dans les objets transitionnels, nous comptons enfin des objets de mémoire, ou les objets sentimentaux, se rapportant à un souvenir, ayant donc pour rôle de se souvenir et de palier notre mémoire et celle des années à venir. Comme si l’Homme remettait en doute ses capacités de mémoire. L’objet est une empreinte du temps. Cependant, ces objets touchant la pensée, le spirituel, l’affectif et non pas le corps, c’est l’Homme qui a le seul pouvoir de les définir, ainsi, le designer n’a pas une marge de manoeuvre suffisante pour imposer des solutions car contrairement au corps qui reste commun à chacun d’entre nous malgré les différences, l’âme est subjective et invisible.

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2-PERCEPTIONS DES DIFFERENCES EN SOCIETE 2.1 Appréhension des différences à travers les époques Pendant la Grèce antique, les enfants handicapés étaient exclus de la société: on les laissait mourir ou ils étaient utilisés pour mendier, afin d’accentuer un sentiment de pitié et de compassion. L’attitude face au handicap était la fuite ou la fascination. (Exemple : les aveugles étaient jugés comme pouvant communiquer avec le divin). Dans la culture hébraïque, il était au contraire interdit aux personnes présentant une déficience de s’approcher des lieux de culte. Dans la culture des Spartes, vers le IIIème siècle avant-JC, était mit « en place une politique eugéniste destinée à sélectionner des enfants sains et forts. Dès la naissance, selon Plutarque, le bébé est examiné par une commission d’anciens au Lesché (« lieu couvert, portique »), qui doivent déterminer si l’enfant est beau et de constitution robuste ; si ce n’est pas le cas, il est jeté aux Apothètes, un gouffre situé au pied du Taygète : un enfant ne doit pas être une charge pour la cité. » (Plutarque, Vies parallèles, Lycurgue, XVI, 1-2, source via wikipédia). Au Moyen âge, les infirmes avaient au départ le privilège d’être proches des rois et des princes et avaient pour fonction la dérision (bouffons du roi). En tant qu’infirmes, eux seuls étaient autorisés à se moquer des souverains. Mais ce statut se dégrada par la suite; un besoin d’ordre se fit sentir par les représentants de la société : on mettait à l’écart ou on enfermait des personnes infirmes. La raison et la déraison tout comme l’ordre et le désordre sont alors séparés. L’infirmité ne se démarque pas de la misère à l’époque médiévale. Cela réunit les pauvres en tout genre, malheureux de la vie, mais aussi pour les deux derniers siècles de l’époque médiévale, les bohémiens, filles de joie, jongleurs, truands et autres marginaux. Au XIII ème siècle, une attitude charitable et un sentiment de regroupement apparaissent avec la naissance des hôpitaux. L’organisation de la société se fait de façon locale. L’infirme est prit en charge soit par sa famille soit par la paroisse. L’infirme à un rôle dans le monde rural, il permet le rachat des péchés, car il est comme le Christ, humble parmi les humbles. Au moyen-âge nous avons également des vagabonds, passant de ville en ville. Ils étaient pour beaucoup infirmes et partaient sur les routes pour aller sur les lieux saints, les lieux leur assurant une guérison.

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Mais au XIVème siècle, la peur reprend le dessus. Les infirmes mais aussi les pauvres sont mis à l’écart et sont enfermés. Le changement climatique rendant le temps froid et humide aura des conséquences catastrophiques; les cultures sont en péril et la famine et les maladies s’installent. La densité de la population devient un facteur aggravant de la pauvreté. La situation s’aggrave encore; les famines, les guerres et surtout la peste aggravent la situation de la population. La mort est partout, et on en cherche les causes. Toutes les populations marginales sont soupçonnées d’être responsables des maladies et surtout de la peste. Cela conduira par exemple à la grande persécution des juifs, accusés d’avoir empoisonné les puits et créé l’épidémie de la peste. La répression ira même jusqu’à leur condamnation à mort (comme par exemple le 14 février 1349, où sont brûlés près de 2000 juifs à Strasbourg). Dans cet état de panique générale, toutes les personnes un peu étranges ou ne répondant pas aux normes communément admises, sont accusées des pires abominations. Ainsi l’étranger est surveillé et peu admis dans les villes et les villages. On passe ainsi de la compassion à la méfiance envers ceux qui souffrent. Les miséreux sont relégués en bordure, ce qui les marginalise d’autant plus. On les loge dans des établissements en fonction de leur misère, les pauvres avec les pauvres, les malades avec les malades, les infirmes avec les infirmes… Au XVème et XVIème siècle, les premiers établissements religieux apparaissent mais la société est toujours ségrégative : on continue à mettre à l’écart les personnes différentes en les enfermant. Selon Michel Foucault: «La cité ne supprime pas le marginal, elle le maintient à une distance sacrée». A l’époque, on constate ce sentiment contradictoire d’attirance et de répulsion envers les pauvres. La pauvreté est un aspect dégradant de la personne. De ce point de vue les malades et les biens portants ne sont pas considérés de la même façon comme pauvres. La société médiévale n’admet la mendicité que si celle-ci est nécessaire; or, on estime qu’une personne valide est apte à travailler et ne doit pas mendier. C’est pourquoi un certain nombre de personnes choisirent de paraître infirme pour demander l’aumône. Certaines allèrent jusqu’à l’automutilation. D’autres adoptèrent une pauvreté volontaire et attiraient sur elles l’admiration. Ayant délibérément écarté tous biens matériels pour se rapprocher de l’idéal prôné par le Christ, ces derniers étaient considérés comme des modèles à suivre, et les dons affluaient vers ces nouveaux serviteurs du Christ. Cependant, le comportement envers les vrais nécessiteux ne ressemble guère à cet élan d’amour que connaissent les pauvres


des ordres mendiants, les premiers provoquant plutôt la répugnance et la mise à l’écart. À cela s’ajoute l’idée que la création étant d’ordre divin, il est répréhensible de vouloir modifier la condition dans laquelle Dieu vous a mis. C’est une des raisons pour lesquelles le vol est tant condamné, car il représente dans les mentalités une façon pour le pauvre de se sortir de son état. C’est à cette époque que l’on voit se développer le « métier » de mendiant. Le nombre de pauvres remplissent les villes. La mendicité devient alors très contrôlée. Les infirmes, eux, avaient le droit de mendier. On considérait légitimement qu’ils ne pouvaient travailler et que si leur famille ne pouvait les prendre en charge, la ville et surtout les instances épiscopales se devaient d’assurer leur subsistance. Le handicap devait être suffisamment lourd pour que la prise en charge soit efficiente. Cette prise en charge s’effectue alors de deux façons : soit dans la distribution d’aumône lors des fêtes religieuses importantes, soit par le biais des hôpitaux, qui assurent à la fois le toit et le couvert. Tous n’avaient pas le droit de bénéficier de ces dons. En effet, il fallait montrer des qualités morales satisfaisantes pour obtenir ces avantages. Pour contrôler la distribution, on attribuait à chacun des jetons, un badge ou un écusson. Les étrangers ne pouvaient espérer obtenir ce privilège. L’entrée dans ces établissements est contrôlée. A l’arrivée des personnes dans l’établissement, on leur confisquait tout leurs biens. A cette époque, certaines croyances et points de vue étaient différents selon le handicap; La surdité: du fait de leur impossibilité à communiquer, les personnes sourdes sont la plupart du temps considérées durant la période médiévale, comme dépourvues d’intelligence et même dépourvues de raison. Saint Augustin, évoque l’existence d’une famille sourde très respectée de la bourgeoisie milanaise, dont les gestes forment les mots d’une langue. Il faut également remarquer qu’une langue des signes existe déjà, mais celle-ci est à usage des moines des monastères ayant fait vœux de silence. La vue: le nombre de personnes souffrant de problèmes de vue est considérable. Le traitement des problèmes oculaires restent archaïques pendant longtemps. Il était recommandé par exemple contre la maladie des yeux, de réduire en cendres la tête d’un chat noir et d’en insuffler plusieurs fois par jour l’œil malade. Au XVème siècle pour traiter les « éblouissements, nuées et fumées des yeux » on utilise ces remèdes de Dioscoride: « Urine de personne bouillie en un pot de sciure

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Pierre Bruegel, les mendiants, 1568


et distillée pour les yeux » ou « eau de fiente en application »... De tout temps il était courant pour «augmenter la vue» d’oindre les angles internes des yeux et des paupières avec de la cire d’oreille. L’inefficacité des explications mécanistes pousse l’homme médiéval à chercher des causes spirituelles aux souffrances humaines. Selon les mœurs, l’homme pêcheur devenait un homme malade. En fin de compte, la raison pour laquelle une personne devient infirme, ou l’est à sa naissance, vient du fait que celle-ci a des rapports avec le péché et qu’elle doit transformer sa douleur en mérite. Exemple d’humilité, acceptant, sans condition, l’état dans lequel Dieu à choisi de le faire vivre. Le pauvre est indispensable à la réalisation d’œuvres de charité. Ainsi les pauvres sont un moyen d’assurer le salut et la reconnaissance sociale aux riches. Cette thématique dans l’art est peu présente et seulement dans le contexte restreint des « Œuvres de charité». Et c’est dans ce cadre que les pauvres et les infirmes seront montrés. Mais toujours d’une façon qui les démarque des riches. Une ligne franche sépare toujours les donneurs et les mendiants. Pour trouver des représentations réalistes de personnes pauvres et malades, il faut aller au-delà du XVème siècle, en Europe du Nord. Pierre Bruegel l’Ancien, peintre Néerlandais est un artiste marquant dans la représentation de cette époque. Il n’est pas erroné de considérer son œuvre comme faisant partie de la peinture médiévale malgré le fait que Pierre Bruegel ait vécu de 1525 à 1569, car il a su à la fois embrasser les nouvelles techniques de l’art italien, mais aussi assimiler l’art du Moyen Âge dans la façon de traiter les thèmes religieux ou profanes. Il nous montre des infirmes mendiant, avec tout l’appareillage qu’ils utilisaient pour se déplacer malgré des handicaps lourds. On voit, par exemple, dans Les Mendiants, quatre personnes se déplaçant grâce à un système de béquilles mais aussi de planchettes de bois glissées sur les moignons. En glissant dessus, l’infirme pouvait se déplacer. Vient ensuite les temps modernes, où au XVIIIème siècle, nous assistons aux débuts de créations d’instituts et d’établissements destinés à certains types de déficiences. Les personnes infirmes se réinsèrent dans la société. Philippe Pinel inventa la psychiatrie. Les fous sont perçus comme curables. D’une manière beaucoup plus légère, nous pouvons évoquer à la fin du XIXème siècle le début de l’importance physique. Avec la révolution industrielle et ce besoin de progrès et de vitesse en société (que nous évoquerons plus loin), ceci pousse alors à avoir une apparence plus dynamique et tonique. Cette idée émerge et fait changer

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les modes de vie à l’aube du XXème siècle : des régimes et de l’exercice. Pour la première fois en 1884, le Dictionnaire de l’Académie française désigne l’embonpoint comme étant l’état d’une personne grasse, alors que vingt ans plus tôt, le Dictionnaire de la langue française d’Émile Littré le décrivait comme un « bon état du corps ». Le changement de vision sociale aura été majeur quelques années seulement. «L’embonpoint n’est plus équilibre : il devient défaut. Il amorce le gras». Il est vraisemblable de considérer que la pression sur le gras a franchi une autre étape : « la grosseur se dit plus précocement, désignant d’emblée le déplaisant ou le laid [...](Éditions du Seuil, 2010 p.222) Alors que la mode dévoile davantage les corps, elle dévoile également davantage les difformités induites par la graisse. L’adipeux devient dès lors objet de surveillance. (Éditions du Seuil, 2010 p.217) Dès 1870, la traditionnelle amplitude du bas de la robe est effacée. Elle dévoile à la fois les hanches, le bassin et les jambes. [...] Les hanches imposent pour la première fois [...] leur présence et leur tracé [...] révélant davantage leurs dérives possibles et leurs excès ». (Éditions du Seuil, 2010 p.226) Pire encore, les femmes apprennent que les hanches sont l’une des premières régions où se pose la graisse. Au XIX ème siècle apparaissent les premières cliniques orthopédiques. Les infirmes physiques ont de nouveau accès au monde du travail. C’est à cette époque que la médecine tend vers le progrès et offre aux personnes déficientes leurs premiers espoirs de guérison ou de palliation et donc de réintégration dans la société. La 3ème République applique les premières lois en faveur de la protection des personnes infirmes. A la fin du XIXème siècle, Jules Ferry, alors ministre de l’instruction publique, instaure l’école laïque, gratuite et obligatoire. Le but étant d’offrir à tous l’accès à l’instruction et l’éducation. Cette loi remet ainsi en question l’égalité des citoyens dans la société par le biais de l’école, quel que soit le milieu social d’où proviennent les enfants et les différences physiques et mentales qu’ils peuvent présenter. Ceci permettra une réelle évolution des mentalités. Viennent ensuite d’autres lois en faveur des personnes déficientes comme la loi de 1905 sur l’assistance aux vieillards, infirmes et incurables. Plusieurs associations sont créées au cours du XX ème siècle afin de soutenir certaines personnes vulnérables. Suite à la première guerre mondiale, grand nombre de mutilés font prendre conscience à la société de leur place. Durant la seconde guerre mondiale, le régime nazi s’empare de l’Europe et


persécute les juifs, les tsiganes, mais aussi les personnes présentant des différences comme les homosexuels, ou les personnes handicapées mentales et physiques. En 1939, le programme « euthanasie » est même créé et a pour but d’exterminer de manière « discrète » et clandestine ces personnes présentant un handicap. Les victimes du programme d’euthanasie incluaient à l’origine les enfants et les adultes atteints de déficiences, d’anomalies physiques ou de maladies mentales. Les personnes à exterminer étaient sélectionnées par des médecins, complices de ces exterminations. Ils examinaient rarement les patients, mais basaient souvent leurs décisions sur les dossiers médicaux et les diagnostics établis par le personnel des institutions d’où provenaient les victimes. Les victimes sélectionnées étaient ensuite emmenées vers des chambres à gaz. Ces tueries clandestines furent rapidement connues de la société allemande. Elles provoquèrent des protestations publiques, en particulier de la part de membres du clergé allemand. Mais elles reprirent secrètement en 1942, prenant une autre forme; les victimes étaient tuées par injection mortelle ou surdose de drogue administrée généralement dans de nombreuses cliniques en Allemagne et en Autriche. Le programme d’euthanasie se prolongera jusqu’à la fin de la guerre, et s’étendra même afin d’y inclure d’autres catégories de victimes comme les « asociaux », les patients en gériatrie (personnes âgées), les victimes des bombardements et les travailleurs forcés étrangers. Après la 2nde guerre mondiale, vont suivre d’autres guerres comme la guerre du Viêt-Nam. Une partie de la population mondiale va souffrir d’infirmité et de mutilations. Les mines « anti-personnel » ont été massivement utilisées durant ces conflits et ont ainsi contribuées à l’augmentation de ces mutilés de guerre. La perception de ces mutilés dans la société va continuer d’évoluer comme après la première guerre mondiale. Par la suite et jusqu’à nos jours, c’est l’environnement de la société qui est ainsi remit en question, en reconnaissant les lieux non adaptés aux personnes handicapées. C’est une nécessité intime de chaque individu et essentielle à une bonne insertion en société afin que ces personnes aient la même facilité de déplacement que n’importe qui. C’est ainsi que l’accessibilité à ces personnes est devenue une priorité. De nos jours les mots handicap, déficience ou différence doit offrir des droits : accessibilité, droit au travail, logement, aides sociales et financières (Cotorep), mais aussi un droit à l’enseignement et à la formation.

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2.2 Appréhension des différences à travers les cultures Les différences ne sont pas perçues de la même manière selon les cultures et les traditions. En Chine, le mot attribué à l’origine pour désigner les personnes handicapées est «càn fie», qui signifie « inutile ». Ceci indique comment les personnes handicapées étaient perçues en Chine; Le mot a progressivement été remplacé par « càn ji » (malformé) et les conditions des personnes handicapées varient en fonction de la région du pays dans laquelle elles habitent. Mais de nombreux efforts sont encore à faire pour faire évoluer les mentalités. On observe une évolution de ces préjugés depuis ces trentes dernières années envers les personnes déficientes, due à la métamorphose économique de la Chine. Cependant, comme l’évoque l’article de Daniel Ernult sur le site gbtimes.com, « les inégalités sociales en Chine continuent de persister aujourd’hui, notamment chez les personnes en situation de handicap. On observe également une différence en zone rurale, où ces habitants sont moins aidés financièrement et matériellement que ceux installés en ville » (article du 16/09/2008). Selon Daniel Ernult, le handicap y est encore un signe d’infériorité, le signe du besoin d’une assistance et il est rare de croiser des personnes handicapées dans les rues. On constate également comme dans beaucoup d’endroits du globe, que toute sorte de pauvreté comme les sans-abris et la mendicité est un réel tabou. D’après John Artman, correspondant à Pékin de Radio Chine internationale, interrogé par gbtimes.com, « les sans-abris ne sont pas très visibles. En chine on voit plus de mendiants que de sans-abris à proprement parler. Il est plutôt rare de croiser des sans-abris [...]. Certains enfants sont volontairement mutilés ou rendus aveugles, parfois par leurs propres parents, afin de susciter la pitié des passants. Mais dans de nombreux cas on a plutôt affaire à des réseaux organisés à but lucratif ». (article du 30/08/2012). De nombreux articles récents rapportés par le gbtimes.com rapportent de tragiques faits divers, principalement en zone rurale chinoise où des personnes handicapées mentales sont vendues par les asiles à des usines dans le but de les faire travailler gratuitement. Comme par exemple, dans la province du Sichuan, où onze handicapés mentaux ont été vendus à une usine de produits chimiques. « Les travailleurs étaient

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nourris de la même façon que les chiens de l’usine et souffraient régulièrement de mauvais traitements. L’asile était spécialisé dans le trafic de personnes handicapées mentales. Une fois les responsables arrêtés, de nombreux témoignages de solidarité sont parvenus suite à cette histoire avec l’espoir que la pression publique et le sentiment de honte mettront un terme à ce genre d’abus». (rubrique «les médias et la Chine », article du gbtimes.com, le 17/12/2010) Malgré tout, selon Daniel Ernult, de plus en plus de lois sont adoptées en faveur des personnes présentant des déficiences et il y a une forte volonté politique d’améliorer la situation afin de changer les mentalités. Un investissement de la part du gouvernement a été fait ces dernières années afin d’ouvrir de nouvelles écoles spécialisées. Des systèmes de quota ont aussi été mis en place pour encourager les entreprises à embaucher du personnel. En Afrique, nous découvrons une autre approche dans le traitement des différences. Patrick Devlieger et Lambert Nième l’évoquent à travers le livre « Handicap et société africaine : culture et pratiques » : « Pour nos populations et nos communautés, la compréhension des situations de limitation ou de déficience physique, mentale ou autre, se recherche le plus souvent dans les croyances ou dans la tradition [...] par contre, c’est vers la tradition, la coutume et les Eglises que le recours se fait le plus souvent en premier pour une prise en charge lorsque la famille est confrontée à une difformité ou au handicap d’un de ses membres. » [...] « Dans notre pays, le système de sécurité sociale posant problème, le poids de la prise en charge repose encore sur la famille et, par transposition, sur la communauté. La solidarité, qui est une des valeurs de la culture africaine, prime malgré la précarité de la situation socio-économique de ces populations. La participation communautaire s’avère être un axe important ». (Edition L’harmattan, collection études Africaines, 2011)

« [...] la compréhension des situations de limitation ou de déficience physique, mentale ou autre, se recherche le plus souvent dans les croyances ou dans la tradition [...] »


En Europe, des convictions communes sont établies, particulièrement dans l’Union Européenne. Le handicap, léger ou lourd, touche une personne sur six dans l’Union Européenne (UE), soit environ 80 millions de personnes. Parmi elles, beaucoup sont victimes de discriminations quotidiennes. Les politiques nationales sont très variables d’un Etat à l’autre mais l’Union Européenne veut lutter contre ces discriminations. En 1989, l’article 26 de la Charte des droits sociaux fondamentaux des travailleurs reconnaît le droit de toute personne handicapée à l’intégration professionnelle et sociale. Le conseil travail et affaires sociales du 13 mars 2000 est à l’origine de deux directives qui reprennent l’ensemble des mesures dites «paquet anti-discrimination», adoptées lors du Conseil de Tampere. L’une interdit les discriminations directes et indirectes sur le lieu de travail, qu’elles soient fondées sur la religion ou les convictions, sur le handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle. Elle s’applique aux mêmes domaines que l’autre directive, la directive « racisme », fondée sur l’origine raciale ou ethnique. En décembre 1996, c’est un Guide européen des bonnes pratiques pour l’égalisation des chances des personnes handicapées. Les Etats membres de l’Union adoptent en mars 2011 une directive qui oblige les constructeurs d’autobus à prévoir l’accès aux personnes à mobilité réduite. En France, la notion d’égalité fait parti de la devise du pays. « Liberté, égalité, fraternité » est apparue durant la révolution de 1789, parmi d’autres devises. Elle fut abandonnée après la révolution et repris sous la 3ème république; elle devient devise officielle du pays en 1848. La notion d’égalité est donc l’un des fondements de notre société depuis un siècle et demi. Cependant, cette valeur a mis et met encore du temps à être appliquée à tous les niveaux. Le terme d’égalité, est définit dans la déclaration des droits de l’homme de 1795 : « Tous les hommes sont égaux par nature et devant la loi. » Selon la Déclaration des droits de l’homme de 1795 : « L’égalité consiste en ce que la loi est la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. L’égalité n’admet aucune distinction de naissance, aucune hérédité de pouvoirs ». La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793 dispose que: « Tous les hommes sont égaux par nature et devant la loi ». A cette époque, cette notion d’égalité à avant tout une dimension sociale et sert à lutter contre les disproportions des richesses. Elle ne fait ainsi pas vraiment allusion à la notion de discrimination physique et mentale. Aujourd’hui, nous constatons que des cas de discriminations sont toujours présents en société. Par exemple à l’école, avec dernièrement le suicide d’un adolescent, rejeté et harcelé par ses camarades pour le seul motif qu’il était roux.

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Au nord de la Russie, du côté de la mer Blanche, il y a beaucoup d’enfants abandonnés parce qu’ils sont atteints de malformations graves. C’est une conséquence visible d’une pollution environnementale et de ses effets. En Roumanie, L’association Mental Disability Rights International (MDRI) dénonce les conditions de vie «atroces» de jeunes Roumains handicapés mentaux placés dans certaines institutions. Un article du Figaro rapporte en effet les dénonciations de cette ONG Américaine: « le rapport évoque ces enfants souvent orphelins et d’origine rom, qui deviennent psychologiquement ou physiquement handicapés, s’ils ne l’étaient pas à la naissance ». Selon Eric Rodenthal, directeur de l’association, « beaucoup d’orphelins normaux ou présentant de légers handicaps sont ainsi répertoriés comme sévèrement handicapés et laissés à l’abandon dans ces institutions ». (« Roumanie : une ONG américaine dénonce la vie « atroce » d’enfants handicapés », article du Figaro.fr, le10/05/2006) Victimes de sous-nutrition, souvent sous camisole, ou ne bougeant jamais de leur lit, ce qui provoque à la longue des handicaps physiques (escarres, atrophie des membres) et donc laissés dans un état léthargique. Les enfants orphelins ou atteints de déficiences en Roumanie sont donc souvent abandonnés par manque de moyen. En Amérique du sud, la scène associative y est très dynamique, beaucoup plus que sur certains continents, comme en témoigne Thibault Lezy et Catherine Demonty, deux Marchois à l’origine du projet HANDI’stARTS, ayant pour but de valoriser les personnes atteintes de déficience mentale. Après avoir traversé trois continents à la rencontre de ces personnes déficientes mais aussi celles marginalisées, fragilisées, afin de constater les différentes réponses faites aux personnes déficientes. (« L’art et le handicap autour du monde », témoignage par Julien Bil, paru le 19/10/2011 pour l’Avenir.net) Depuis 1960, les jeux paralympiques succèdent aux jeux olympiques et réunissent des athlètes handicapés de tout pays. Les jeux paralympiques ont pour réputation de faire accepter le handicap d’un point de vue environnemental, là où les jeux se déroulent, mais aussi de faire évoluer les mentalités du pays organisateur ainsi que celles du monde entier. Les jeux paralympiques de Pékin en 2008 ont permis d’améliorer la mise en place de nombreuses structures comme des rampes d’accès ou des aménagements dans les transports en commun, pour faciliter l’accès aux services publics. Ces paralympiques ont eu pour but de communiquer au maximum à destination des


personnes valides pour améliorer l’image des personnes handicapées et aider à une acceptation sociale des personnes moins valides. Une présence record des médias locaux et étrangers a aidé à promouvoir l’évènement, ce qui était une réelle volonté de la part des autorités Chinoises. L’évènement a permis d’améliorer le développement professionnel des personnes déficientes, leur insertion dans la société, ainsi qu’influencer la société. Les derniers jeux paralympiques de Londres en 2012 a aussi connu un très grand succès. Selon l’express.fr: « des tribunes combles, des athlètes-vedettes, une couverture médias sans précédent: jadis parents pauvres des Olympiades, les Paralympiques se sont hissés à Londres au rang des grandes compétitions, laissant toutefois en suspens la question de leur impact sur l’intégration des handicapés. Jamais ces Jeux n’avaient suscité un tel engouement. » L’entrée en société des jeux paralympiques traduit alors le début d’une normalité. Mais cet évènement nous amène à nous poser d’autres interrogations : le fait de l’organiser après les jeux olympiques ne renforce-t-il pas justement cette différence entre valides et invalides ? Pourquoi les paralympiques restent malgré tout beaucoup moins médiatiques que les jeux olympiques ?

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2.3 Evolution des stigmatisations : analyse de l’époque actuelle (modernité>postmodernité) Au cours du XX ème siècle, le contexte idéologique et philosophique de notre société a connu de profonds bouleversements qui ne sont pas sans conséquences sur la perception d’autrui et les préjugés communs. L’époque de la modernité s’est caractérisée par un accroissement des connaissances dans tous les domaines. L’autorité et la tradition sont remplacées par la raison et la science. Remontons à la fin du XIX ème siècle à l’époque de la révolution industrielle où le but ultime de la société était le progrès. Ainsi, efficacité et rationalité étaient les principaux facteurs d’évolution de cette société. Nous constatons à cette époque que les métiers manuels, en rapport avec le corps, vont être délaissés pour mettre en valeur la machine. Il était mieux vu de faire des études, d’avoir un métier intellectuel, clé du progrès et de l’élévation de l’homme. Ainsi, les personnes présentant une déficience quelle qu’elle soit étaient plutôt le signe d’une infirmité et donc d’une infériorité. Ce fait pas si lointain est bien entendu toujours présent dans la société actuelle. Nous poussons toujours plus les enfants d’aujourd’hui à être bons à l’école, les meilleurs possible et développer au maximum leurs capacités intellectuelles, dans l’espoir que leur futur métier aille dans ce sens. L’ère « moderne » s’essouffla à la fin des années soixante environ, là où le progrès était toujours de mise. L’époque moderne a ainsi laissé place à l’époque «postmoderne». La société actuelle, que l’on nomme en tant que tel, admet une sorte de récession et de calme face au chahut et la vitesse d’évolution de l’époque précédente. La période de crise et de récession économique que la société traverse implique de réintroduire d’anciennes valeurs, tout en cherchant cette fois-ci à effacer les mots différence et exclusion. On apprend à ne plus se méfier, bien que notre société encore individualiste freine cet élan. On essaie de transformer les différences objectives en normalité subjective. Cependant, la modernité, ayant développé l’individualisme, se poursuit à l’époque de la postmodernité de façon plus marquée. Nous pouvons qualifier ceci d’hyperindividualisme. Ce sentiment de méfiance, de perte de confiance envers les autorités accroît ainsi ce phénomène. On réintègre petit à petit la réutilisation du corps. On se réfère de nouveau au traditionnel, à l’expression du « c’était mieux avant ». Les métiers manuels en tant de crise ont de nouveau la cote et le fait-main est plus que jamais à la mode. On utilise de plus en plus d’objets technologiques interagissant avec nos sens, comme

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« Il n’y a qu’un pas entre l’archétype et le stéréotype et on peut le franchir aisément. » Michel Maffesoli


nous l’avons constaté précédemment en première partie de ce mémoire. Cette nouvelle société dans laquelle nous entrons est donc plus qu’avant, basée sur le corps, les sens, et non la pensée exclusivement. Les stigmatisations d’aujourd’hui incluent aussi l’impression que l’on va donner à première vue. Car ces caractéristiques permettent de nous définir et reflètent la première image de nous-même, plutôt superficielle. Dans notre société actuelle, certaines personnes (particulièrement les jeunes) vont avoir tendance à vouloir se démarquer aux yeux des autres. Pour se démarquer ils vont tenter de choquer, en s’identifiant à un groupe. Elles veulent donc appartenir à un clan pour se différencier et utilisent des codes de la stigmatisation. Par exemple, le style « gothique », va faire référence à l’environnement de la mort, sujet encore assez tabou dans notre société actuelle. Ou encore, la mode du pantalon baggy se portant en dessous des fesses faisant référence aux prisonniers américains qui portaient de cette manière leur pantalon car ils ne pouvaient pas porter de ceinture en prison. Il en est de même pour le non port des lacets sur leurs chaussures. Le but est donc de s’autostigmatiser, ne pas entrer dans la normalité et le moule de la société afin de s’en démarquer, s’affirmer et avoir le sentiment d’exister. Comme évoqué dans l’ouvrage « La part du diable » de Michel Maffesoli, « on tente aujourd’hui de désacraliser la mort pour la dédramatiser ». Ainsi, on peut se demander si désacraliser l’archétype humain amènerait à dédramatiser les défauts qu’il peut présenter. « Il n’y a qu’un pas entre l’archétype et le stéréotype et on peut le franchir aisément. » (« La part du diable », Michel Maffesoli, édition Flammarion, p 41 et 51)

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2.4 Notion de normalité (canons de beauté, esthétiques et critères de beauté) Qu’est-ce que la normalité ? Qu’est-ce qui permet de nous référer à quelque chose de « normal », de commun ? La frontière de la normalité est à la fois très floue, selon les cultures, les habitudes et lieux communs de chacun. Elle est donc difficile à définir, bien qu’elle se réfère à l’échelle d’une société. Une « norme » se définit par « une règle, un principe, un critère auquel se réfère tout jugement : se fonder sur la norme admise dans une société. C’est un ensemble de règles de conduite qui s’impose à un groupe social. » (Dictionnaire Larousse) - Normal : «Qui est conforme à une moyenne considérée comme une norme, qui n’a rien d’exceptionnel : avoir une taille normale. Qui est conforme à la nature d’un être, d’une chose : les battements du cœur sont normaux. Qui est conforme au plus habituel, qui ne surprend ni dans un sens ni dans un autre : il n’est pas dans son état normal. Qui est prévisible, logique, compréhensible : il est normal qu’il ait agi ainsi, vu les circonstances». (Dictionnaire Larousse) - Normalité : « État, caractère de ce qui est conforme à la norme, à ce qui est considéré comme l’état normal. » (Dictionnaire Larousse) Georges Canguilhem, philosophe et médecin français, établit un rapport entre la normalité et le milieu de l’individu : «La norme n’est jamais biologique, mais est produite par le rapport d’un vivant à son milieu : un vivant est normal dans un milieu donné pour autant qu’il est la solution morphologique et fonctionnelle trouvée par la vie pour répondre à toutes les exigences du milieu. Relativement à toutes autres formes dont il s’écarte, ce vivant est normal, même s’il est relativement rare, du fait qu’il est, par rapport à elle, normatif, c’est-à-dire qu’il la dévalorise avant de l’éliminer». («Le normal et le pathologique», 1998) Dans l’essai « handicap et société africaine : culture et pratiques », de Patrick Devlieger et Lambert Nieme, il est précisé que des critères de « normalité » quasiment innés et communs à tous se retrouvent : « On retient de cette vision mythique du handicap physique la puissance cachée que

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recèle toute situation jugée en dehors des lignes de normalité que, d’expérience ou intuitivement, la société se forge nécessairement. Il y a en effet, dans la pensée de l’être humain, des critères quasi innés de la normalité: il y a une taille « normale », ni trop petite ni trop grande ; il y a des «normaux», ni trop gros ni trop petits ; il y a une couleur de peau « normale », ni trop noire ni trop blanche, et ainsi de suite. L’anormalité renvoie à la singularité, à l’étrangeté, l’autre étant désormais étranger à soi de manière foncière. » (2012, édition L’harmattan) Notons que chaque société a donc ses degrés de normalité, notamment en matière d’habitudes, de politesses, de gestes, de traditions. Mais cette importance de la norme reste commune dans toutes les cultures et « être différent » peut provoquer un sentiment de fascination mais aussi de méfiance ou répulsion. Cette notion de norme va alors se retrouver dans nos modes de vie, mais aussi en se référant à un esthétisme. Prenons exemple sur les canons de beauté, qui ont toujours influencé nos sociétés. A travers les époques, nous constatons que les critères de beauté étaient différents en fonction des modes mais aussi des contextes sociaux et culturels. « Les premières représentations des canons de beauté furent découvertes à partir de statuettes datant du Paléolithique supérieur (35 000 à 10 000 av J.-C.). [...] Premières représentations féminines connues à ce jour, elles dévoilent pour la plupart des corps aux fesses, aux jambes, au ventre, à la poitrine voire parfois à la vulve hypertrophiée. [...]C’est l’image d’une femme féconde, aux attributs physiques volontairement exagérés qui marque cette ère pendant laquelle la survie était un enjeu quotidien. » Pendant la Grèce antique, « les canons de beauté sont d’avantage symbolisés par les corps masculins, aux muscles saillants et aux membres athlétiques. Le sport est presque un culte, synonyme de santé et d’esthétique.
[...] En cette période, la divinité joue également un rôle important dans l’élévation et la propagation d’un tel idéal et pendant longtemps, ces mêmes statues ne représentaient pas de personnes réelles. » La Vénus de Milo incarne les canons de beauté de cette époque. « Au Moyen Âge, la beauté est embarrassante. Objet de fantasmes et de désirs, elle est considérée comme l’œuvre du diable et condamnée par les clercs. Tantôt désirée, tantôt redoutée, la femme idéale au Moyen-âge est illustrée dans l’art sous les traits de la Vierge Marie. Simple figure de la maternité, elle est représentée sans aucun attrait physique et féminin. [...]

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La vĂŠnus de Milo, musĂŠe du louvre. Marilyn Monroe.

Le mannequin anglais Kate Moss.


Durant la Renaissance, artistes et intellectuels redécouvrent l’Antiquité. Le corps et plus particulièrement la nudité deviennent des sources d’inspiration pour les peintres et les poètes. Influencés par les canons esthétiques de la Grèce antique, l’idéal de beauté est représenté pas les courtisanes vénitiennes. [...] Teint diaphane, cuisses dodues, poitrines généreuses et embonpoint sont signes de beauté, de richesse et de bonne santé. La taille devait être fine et lisse, sans pli, ni bourrelet. A partir du XIX ème siècle, afin d’obtenir cette taille parfaite, les femmes utilisaient des corsets à baleines qui emprisonnaient leurs bustes et donnait un effet d’extrême finesse au niveau de la taille.» Les femmes n’hésitaient pas à porter ces corsets très serrés, quitte à être au bord de l’évanouissement, pour répondre à une norme de beauté. Dans les années quarante/cinquante, le glamour fait son apparition. Suite à la seconde guerre mondiale, la femme se veut désormais fatale et libérée. A cette période, la minceur est synonyme de mauvaise santé. Les pin-up font ainsi leur apparition, dans les affiches publicitaires, les posters… « Parmi les célèbres pin-up, Marilyn Monroe incarne la blonde sensuelle au décolleté plongeant représentant à merveille la parfaite amante. Betty Page, autre pin-up incontournable, défraie la chronique en posant sur des couvertures de magazines [...] ». (« Les canons de beauté à travers les âges », aufeminin.com, 28/06/2012) Aujourd’hui, la minceur est synonyme de beauté, elle est incarnée par les mannequins des défilés de haute couture comme Kate Moss. C’est l’image de la femme enfant, filiforme, longiligne et sans formes qui incarne les canons de beauté. Dans la peinture, les canons de beauté sont aussi représentés, l’image de la perfection est véhiculée. Mais nous constatons aussi une dénonciation de ces corps «parfaits» et certains artistes se mettent à explorer la représentation du corps de manière détournée, en s’éloignant de ces modèles communs. Baudelaire, dans son recueil Les fleurs du mal, met en exergue une beauté déroutante. Son célèbre poème « charogne » met en scène la décomposition de l’animal ; sa justesse stylistique, son pouvoir persuasif nous amènent à nous interroger : est-ce que cette laideur est si laide ? N’y a-t-il pas du beau dans le laid ? Cette charogne n’est-elle pas une femme lubrique ? Francis Bacon dit bien « Nous sommes des carcasses en puissance. Quand je vais chez le boucher, je trouve toujours surprenant de n’être pas là, à la place de l’animal ».

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Pablo Picasso, les demoiselles d’avignon, 1907.

Frank O.Gehry, Walt Disney concert hall, los angeles, 1994


En mettant en parallèle la beauté notamment avec le célèbre poème « L’invitation au voyage » et l’horreur avec « charogne », on comprend que la frontière est fine. On peut alors remettre en question l’idéal que l’on se fait de la beauté. Le mouvement surréaliste, qui a influencé de nombreux artistes, nous rappelle que le beau n’est pas synonyme de perfection, il peut correspondre à des codes très opposés. Salvador Dali, Pablo Picasso en sont les pionniers et parviennent à nous immiscer dans leur monde subversif où tout prend une autre forme, tout est basculé, mélangé. L’équilibre de base est retravaillé, le beau ré-envisagé. Le mouvement cubiste, toujours influencé et même fondé par Picasso mais aussi Georges Braque, va remettre en question les archétypes et les idéaux représentés en peinture. Mais le cubisme va aussi influencer les codes jusque dans la musique ou en littérature. La revue « une histoire de l’art du XXème siècle » de Bernard Blistène, nous rappelle « l’aphorisme de Picasso à Léo Stein », frère de Gertrude Stein, poétesse, écrivain, dramaturge et féministe américaine : « Une tête... c’est une affaire d’yeux, de nez, de bouche qui pourraient être distribués de la manière que vous voulez - la tête demeure une tête ». (2006, p26) Bernard Blistène affirme également qu’ « inscrire le cubisme dans l’histoire revient ainsi à comprendre le profond changement d’attitude au regard du monde qui s’engage alors ». (2006, p26) Ainsi, des tableaux tels que Les Demoiselles d’Avignon de Picasso représentent cette idée et sont les prémices d’un archétype corporel nouveau; le tableau proposait « une nouvelle façon de traiter l’espace et d’exprimer des émotions ». Daniel H. Kahnweiler notera plus tard que le tableau qu’il avait peint là apparaissait comme quelque chose de fou ou de monstrueux. Pour Braques, représenter les aspects physiques d’une femme nécessitait de tracer trois figures, « comme une maison qui doit être dessinée en plan, en élévation et en section », afin d’imbriquer surface et profondeur, comme le fait Picasso. Le corps est donc traité ici comme une architecture. (2006, p25) En architecture justement, les archétypes vont se décomplexer, à l’image du travail de l’architecte Américano Canadien Frank O. Gehry. A la recherche d’une « architecture sans loi », il s’éloigne des contraintes sociales de l’architecture européenne (référence à Le Corbusier). Il a le goût des formes libres et crée des architectures à l’identique de ses esquisses. Son travail est ressenti comme de l’architecture chorégraphique, mouvant, en perpétuelle évolution. Il déstructure les codes de l’architecture et remet en cause l’espace qui entoure ses œuvres.

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Femme girafe de Mae Hong Son en Birmanie (photo credit: Alain Diveu)

Pieds bandÊs d’une femme chinoise.


Cette recherche de déformation volontaire se retrouve dans certaines cultures, notamment une déformation du corps, dans le but de séduire, et de revendiquer une appartenance à un groupe ou une classe sociale. Par exemple, les femmes de la tribu Mae Hong Son, en Birmanie, portent des ornements autour du cou que l’on peut qualifier de collier-spirale. C’est autour de l’âge de cinq ans que les fillettes reçoivent leur premier collier-spirale et celui-ci est remplacé par une spirale plus longue au fur et à mesure de leur croissance (ce ne sont donc pas des anneaux que l’on ajoute, mais toute la spirale que l’on change). Contrairement à la croyance populaire, ces spirales n’affectent pas les vertèbres du cou pour les allonger, mais elles pèsent sur les côtes qui évoluent en penchant vers le bas. La coutume des pieds bandés fut pratiquée en Chine du X ème au début du XX ème siècle sur les filles et jeunes femmes issues des classes sociales favorisées dans un premier temps, avant de s’étendre à toute la société chinoise. Elle fut pratiquée en Chine pendant plus de mille ans. Son origine remonterait à la fin des Tang, au Xème siècle, quand l’empereur demanda à sa jeune compagne de se bander les pieds pour exécuter la traditionnelle danse du lotus et ainsi accroître son désir. Un siècle plus tard, la coutume entre dans les mœurs et devient à la mode chez toutes les femmes de l’empire, devenant ainsi une tradition familiale qui symbolise richesse et distinction. En 1912, le gouvernement de la République de Chine, interdit le bandage des pieds et força les femmes à ôter leurs bandelettes, ce qui s’avéra presque aussi douloureux et traumatisant à l’égard des tabous dont les pieds nus faisaient l’objet. La pratique se poursuivit dans la clandestinité. L’interdiction fut réellement effective après 1949, sous la République populaire de Chine. Le nombre de femmes à avoir vu leurs pieds ainsi mutilés est estimé à un milliard. (source wikipédia) En termes d’intervention volontaire sur le corps, nous pouvons évoquer la chirurgie esthétique. La pratique de cette chirurgie est en train de se banaliser. Intervenant simplement pour corriger un petit défaut complexant ou handicapant, certains l’utilisent aussi à l’excès pour atteindre une certaine perfection et se rapprocher au maximum d’un idéal de beauté et renvoyer cette image au monde extérieur. Ainsi, « la normalité » est abstraite et très difficile à évaluer. On constate différents degrés de normalité selon les cultures; normalité qui s’opère dans tous les domaines (corps, peinture, architecture, poésie, musique...) et qui peuvent évoluer en proposant de les remettre en question par des transformations.

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2.5 Perception du corps « monstrueux » De la médecine à la science fiction, le monstre a toujours fasciné entre attirance et terreur. Le terme « monstre » vient du latin Monstrare signifiant montrer. Selon Pierre Ancet, maitre de conférences en philosophie à l’université de Bourgogne, « un homme monstrueux est un individu dont l’humanité est déniée, du fait de sa difformité physique, qui entraîne une perception instable du corps qui occulte la présence d’une autre personne et ne laisse voir qu’un être éminemment dérangeant. » Il formule cette idée commune que le corps difforme n’est pas des nôtres ; il inspire, comme une sorte de protection, fascination et répulsion. Comme le dit Andréa Fradin dans son article « le corps jugé monstrueux n’a pas d’humanité », « c’est quand il y a altération de la forme humaine, de la matière organique qui forme l’humain, que ces sentiments apparaissent. Si celle-ci n’est pas visible, alors il ne s’agit pas du corps monstrueux, car il n’y a pas de sentiment de monstruosité. De la même façon, la notion de monstre peut être entendue au sens non plus physique, mais moral : quand on estime qu’un individu perpètre des actes qualifiés d’inhumains. Par contre, toute modification corporelle n’est pas nécessairement monstrueuse. Dans le corps jugé monstrueux, il y a l’idée d’une perte de repères, particulièrement quand celle-ci touche le visage, par lequel s’opère l’identification de l’humanité. Il y a eu une très forte évolution de la norme au début du XIXème siècle, qui s’est notamment traduite dans l’utilisation du terme « handicap ». C’est un changement important, car ce mot induit déjà l’idée d’une compensation de la difformité.[...] C’est d’ailleurs intéressant de voir qu’aujourd’hui, la compensation du handicap peut se traduire en une augmentation du corps ». (owni.fr, article du 21/04/2011) L’auteur de l’article parle également d’Oscar Pistorius, athlète que nous avons déjà évoqué plus haut : « il suffit de penser à Oscar Pistorius, qui court grâce à des prothèses. L’impression qui s’en dégage est toujours dérangeante, car il y a modification de notre rapport au corps, et pourtant, la compensation est très efficace. Tellement qu’elle peut être considérée comme une amélioration. C’est un véritable retournement de l’incapacité associée au handicap en surcapacité ». Cependant, l’actualité récente autour d’Oscar Pistorius n’a plus rien à voir avec ses performances en tant qu’athlète; accusé dernièrement de meurtre sur sa compagne, nous pouvons nous interroger sur la manière dont nous le percevons actuellement. Cet acte peut tendre étrangement à nous faire oublier son handicap ; un sentiment inconscient et dérangeant qui nous rappelle le fait que Pistorius n’est pas qu’une

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«L’expérience du corps jugé monstrueux retentit toujours profondément sur l’observateur, sur son corps propre.» Pierre Ancet

Personnage de Frankeinstein,


personne handicapée mais une personne également capable du pire comme n’importe quel homme. Une sorte d’acte de supériorité qui viendrait effacer un sentiment d’infériorité en lien avec son handicap. Pierre Ancet parle d’ailleurs de « la notion de monstre » qui « peut être entendue au sens non plus physique, mais moral : quand on estime qu’un individu perpètre des actes qualifiés d’inhumains ». Enfin, le maître de conférence évoque le rôle de l’environnement dans lequel nous évoluons, pouvant déterminer la manière dont nous perçevons un corps monstrueux : « La monstruosité a en effet une part subjective, qui renvoie à nos expériences personnelles et sociales, liées notamment à l’éducation à la différence et à l’habitude du corps déformé. Par exemple, quelqu’un qui travaille dans un service de polyhandicapé ne voit plus le monstrueux. Il y est habitué. L’expérience du corps jugé monstrueux retentit toujours profondément sur l’observateur, sur son corps propre. Cet impact est aussi prouvé par les neurosciences. De nombreuses expériences prouvent que voir quelqu’un bouger active les mêmes parties du cerveau que l’observateur mobiliserait en imaginant son propre mouvement. C’est le principe de neurones miroirs. Ça marche quand on regarde un grand sportif mais aussi un polyhandicapé. Quand on perçoit une difficulté de mouvement, nous avons nous-mêmes l’impression que nous mouvoir est plus difficile». Le corps différent allie l’étrange à l’anormal. Il évoque le danger pour le groupe et la curiosité pour les médecins. Nous retrouvons cette idée de « monstre » rejeté en société, dans certaines fictions, dès le XIX ème siècle comme par exemple l’histoire de « Frankenstein ou le Prométhée moderne ». Frankenstein est une fiction écrite par la romancière britannique Mary Shelley. Frankenstein raconte l’histoire d’une créature créée par l’homme mais qui va devenir une menace pour lui. Rejeté par sa laideur, le monstre erre, tente tant bien que mal de survivre et subit discrimination, dégoût et peur par son apparence dans les lieux qu’il visite. Il va alors se venger mais révélera que cette représentation du « monstre » éprouve aussi des sentiments humains. Frankenstein représente un véritable mythe moderne. Il se rapporte au mythe de Golem évoqué précédemment, dans l’idée que l’homme ressent ce besoin de maîtriser la nature, de maîtriser ce qu’il crée, mais que la peur d’être dominé par ses créations est réelle.

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Affiche et extraits du film Freaks.

«En toute chose il y a un mixte étroit d’attraction-répulsion, d’amour-haine, de générosité et d’égoïsme.» Michel Maffesoli


Plus tard, les «monstres» eurent leur période de gloire notamment dans les années vingt/trente dans le monde du cirque. Ils y travaillaient pour y présenter des numéros mais étaient plus perçus comme des bêtes de foire, attirant la curiosité. En 1932, le film Freaks de Tod Browning’s illustre ces années et met en scène des personnages déformés, des phénomènes de foire issus de cirques aux Etats-Unis. Freaks touche un point sensible, sur le regard de l’autre et la représentation des monstres. Mais ces «monstres» incarnent de vraies personnages autour d’une histoire et deviennent attachant tout au long du film, à tel point que l’on en oublie leur différence physique. Le film fut un échec mais connaîtra une seconde vie dans les années soixante lors d’une représentation au festival de Cannes. Freaks est reconnu aujourd’hui comme un film culte et universel sur la représentation du monstre moral et physique. Selon Michel Maffesoli dans « la part du diable », « derrière le tragique repose toujours un sentiment d’altérité. Dans chaque chose et chaque situation, il y a son contraire. Contraire qu’il est impossible de nier ou de dénier.[…] même le Dieu de la tradition occidentale est obligé de le tolérer en la personne de Satan.[...] En toute chose il y a un mixte étroit d’attraction-répulsion, d’amour-haine, de générosité et d’égoïsme. […] Les sentiments les plus élevés sont traversés par leur contraire ». (édition Flammarion 2002, p. 74 et 75)

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1.AMPLIFIER POUR REPARER

1. Le rectangle de papier devient irrégulier, créant de nouvelles formes. Cette expérimentation interroge la normalité du format et de la forme de la feuille de papier, normalité souvent issue des industriels ayant imposé aux consommateurs des formats rectangulaires


3-INFLUENCES DES TENDANCES ET DES JUGEMENTS SUR LA MANIERE D’APPREHENDER L’OBJET DE SUBSTITUTION 3.1 Objets de substitutions et connotations Les objets nous accompagnant au quotidien et nous identifiant sont souvent facteurs de stigmatisation et d’idées reçues. Notamment sur ce qui va être visible, comme ce que l’on va porter sur nous (mode etc.). Un objet de substitution a pour rôle de combler une faiblesse, il est donc souvent péjoratif mais peut être aussi valorisant et enviable. Par exemple, on dit d’une personne portant des lunettes de vue qu’elle renvoie à quelqu’un de sérieux, studieux, intelligent, ce qui n’est pas forcément le cas. D’une manière plus stigmatisante ou catégorisante, certains sont qualifiés de « binoclard » ou « d’intello ». De la même manière une personne portant des appareils auditifs nous renvoie à l’idée que cette personne est « stupide, idiote », car elle n’entend pas et donc ne comprend pas. Une personne se servant d’une canne pour se déplacer est souvent assimilée à la vieillesse, ou la pauvreté, quelqu’un de miséreux. Enfin, une personne chauve, peut également être perçue comme quelqu’un d’intelligent, à l’image du professeur Tournesol dans Tintin par exemple. Nous pouvons évoquer les casques audio, qui renvoient directement aux jeunes et au style urbain. Aux vues de ces connotations, il est intéressant d’observer les attitudes en société envers les personnes présentant une déficience, notamment visible. Les personnes se déplaçant avec une canne par exemple vont recevoir de l’extérieur des attitudes prévenantes, comme aider une personne à traverser, lui laisser sa place dans les transports en commun. Et ce, provoqué par la simple vue de cette canne. Ces objets d’accompagnement de la personne sont donc utiles pour pouvoir identifier ces faiblesses mais peuvent également être encore plus handicapantes car stigmatisantes. Nous pouvons aussi parler des incapicités non visibles comme par exemple une personne sourde ne portant pas d’appareils auditifs, ou une personne ayant des problèmes de vue comme des maladies irréversibles liées aux champs visuels où le port de lunettes n’est pas nécessaire. Ces faiblesses non identifiables peuvent laisser croire que ces personnes n’ont aucun handicap. Si elles n’entendent pas ou ne voient pas et donc n’identifient pas correctement leur environnement, les personnes extérieures peuvent penser à de l’inattention, de l’impolitesse. (Se faire bousculer, ne pas être reconnu, ne pas être entendu par ces personnes...).

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2.DISCRETION

ORNEMENT

3.DEPLOIEMENT

4.FAIBLESSE

à CAMOUFLER

DISSIMULER

Dans mes expérimentations, je pars de la feuille de papier. 2 et 3. Une feuille plate, en 2 dimensions. Elle véhicule un calme, une discrétion, elle se dissimule, comme morte. Une fois manipulée, la feuille prend vie, de par les striures qu’elle a subit, laissant exprimer de nouvelles formes courbes, en 3 dimensions. Une fois la feuille sur le corps, elle prend également vie en épousant la forme du corps et en évoquant cette idée d’excroissances vivantes, de greffe. 4. Le cube de papier présente un défaut en bas à gauche. Cette « faiblesse » va etre camouflée, déguisée, dissimulée en recouvrant la forme d’un cube « parfait ».


3.2 Dissimuler (honte, rejet, ignorance ou diversion) C’est en partie à cause de ces idées reçues vues précédemment qu’une personne présentant une incapacité physique qu’elle soit, peut avoir tendance à vouloir cacher sa faiblesse quand cela est possible, en dissimulant l’objet qui y répond (exemple: lentilles de contact, appareil auditif… ). Pire, certains ne l’acceptent pas et l’ignorent complètement en ne cherchant pas à combler leur faiblesse ; Enfin, certaines personnes préfèrent accepter pleinement leur différence comme quelque chose appartenant à eux-mêmes, plutôt que de pallier leur faiblesse par un objet de substitution et ainsi d’y être assimilé avec les idées reçues qui les accompagnent. Le corps et la personne sont indissolublement liés comme l’exprime bien la citation suivante de J.Pitt-Rivers, dans « anthropologie de l’honneur »: « tout affront physique est un affront à l’honneur… ». Il y a amalgame entre anomalie du corps et dégradation de l’âme.

Cécilia Paredes, Nocturne, 2009

takeshi miyakawa , visible / invisible furniture series

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5.CONTRE-FORME

IRREGULARITE/ANORMALITE

5.Cette feuille repliée, va dissimuler une forme, traduisant ce besoin de cacher une forme extérieure, étrangère a ce rectangle. Une fois dépliée, la forme extérieure se déploie et affirme une nouvelle forme.

6.COMBLER

7. Dans cette expérimentation, j’ai répété et amplifié l’action de déchirer, pour créer un nouveau rythme visuel, rendant esthétique la déchirure. Les strates recomposent une image, il s’agit d’amplifier pour réparer.

7.AMPLIFIER POUR REPARER

6. La feuille interagit avec le corps en venant combler les espaces entre les doigts. Ce surplus peut contraindre le corps ou au contraire lui apporter un nouvel atout. Sans la main, des contre-formes, empreintes du corps apparaissent, ici des morceaux de papiers créant des particules, des excroissances, des ornements encadrant le corps.


3.3 Exhiber, Militer Certaines personnes ne peuvent pas cacher une incapacité. C’est à dire qu’elles ne peuvent généralement pas dissimuler les outils qui les accompagnent. La question est de savoir comment elles acceptent ces objets et surtout comment les faire accepter aux yeux de personnes non-déficientes. L’idée serait alors de revendiquer ces objets de déficience afin qu’ils deviennent une normalité au sein de la société. Et de manière plus ambitieuse, les intégrer comme des accessoires de mode dont nous serions fiers d’arborer, de la même façon qu’une paire de lunettes, qui a su atteindre ce statut d’objet mode aujourd’hui. Les objets de substitution deviendraient ainsi ornement du corps. De nos jours et plus que jamais avec Internet et les nouvelles technologies de communication et de partage, les médias ont un très grand pouvoir d’influences sur nos modes de vie, de consommation et de pensée. La facilité d’accès à l’information favorise notre ouverture sur le monde et donc l’ouverture de nos idées. Les artistes et les célébrités ont également ce pouvoir d’influences. Ils sont d’ailleurs souvent mis à contribution pour promouvoir un produit, ou une idée à défendre (association etc.). Ils ont aussi le pouvoir de décider ce qui est à la mode ou non. Ce type de canaux pourrait avoir un rôle essentiel dans l’acceptation d’un objet de substitution et donc de déficience. Mais à l’image de certaines célébrités représentant les canons de beauté d’aujourd’hui, d’autres personnalités publiques ont su se démarquer malgré des différences notables. Comme le slameur Grand corps malade, se déplaçant à l’aide d’une canne suite à un accident, ou la comédienne Mimie Mathy, atteinte de nanisme. Egalement de nombreux musiciens et chanteurs atteints de cécité, comme Gilbert Montagné, Steevie wonder, ou Ray charles, sont malgré leur handicap, parvenus à faire carrière dans la musique. Ces personnes sont reconnues pour leur talent et leurs « défauts » respectifs font partie intégrante de leur personnalité. Citons aussi le physicien Stephen Hawking, atteint de dystrophie neuromusculaire et reconnu pour ses recherches en physique. Il enseigna les mathématiques à l’Université de Cambridge en Angleterre, l’une des plus prestigieuses universités au monde.

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Holly Norris, American ble, 2010.

Campagne de publicitĂŠ pour les opticiens Krys, 2010.


Revenons sur la part d’importance des médias à véhiculer la perception des différences. Prenons exemple sur la série de photographies réalisée par Holly Norris, (« American Able », 2010) qui a mit en scène Jes Sachse, une jeune Canadienne atteinte du syndrome de Freeman-Sheldon, une maladie génétique rare. Elle fut l’héroïne d’une série de photos artistiques qui détournent avec justesse la campagne de pub American Apparel. Sur son site, Holly Norris explique sa démarche : « Les femmes handicapées sont rarement représentées et quand elles le sont, ce n’est jamais de façon sexy, toujours sous la forme de portrait très sérieux, rendant leurs corps peu désirable ». (témoignage receuilli sur lesitedelevenementiel.com, 2010) A travers l’objectif d’Holly Norris, Jes en petite robe noire, en leggings ou avec des chaussettes rayées, répond à ces mêmes critères et devient un canon de la mode. Plus rien de dérangeant et encore moins d’indécent. De la bonne humeur, de la simplicité et de la beauté en donnant, sans artifice, un autre visage à une personne dite « différente ». Juste de quoi apporter un autre point de vue et changer le regard ou les a priori. Et pas seulement ceux des acteurs économiques ou des directions marketing mais aussi du grand public. D’une autre manière, les opticiens Krys mettent en scène à travers une campagne de publicité des personnes ayant des défauts physiques ou de caractère et qui disparaissent une fois les lunettes Krys sur le nez. On y retrouve les slogans suivants : « Avant j’étais ronde, mais ça, c’était avant », « Avant j’avais les oreilles décollées, mais ça, c’était avant », « Avant j’étais timide, mais ça, c’était avant... ». L’objet est vendu comme un objet de dissimulation, de diversion permettant de masquer et d’oublier les défauts. Mais il montre surtout qu’un objet à la base destiné à corriger un défaut (ici la vue), peut aussi servir à en masquer un autre. L’objet est ainsi détourné de sa fonction première. Ainsi les personnes portant ces lunettes se sentent plus en confiance grâce à cet objet. On en oublie donc que ces personnes ont des problèmes de vue. De nombreuses célébrités ont d’ailleurs participé à cette campagne de publicité. Le fait d’exhiber un objet de substitution et le revendiquer pourrait ainsi amener la société à mieux l’intégrer, le dé-stigmatiser et ainsi l’assimiler comme quelque chose de « normal », anodin, courant. De plus, s’adresser aux personnes déficientes et non-déficientes à travers un objet de substitution permettrait de mieux le faire accepter aux yeux de tous. Apporter une prise de conscience et s’adresser aux personnes qui à la base ne sont pas directement concernées par cette incapacité. Sun HongLiang, étudiante de l’Esba Valenciennes a travaillé sur un service de table

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Sun HongLiang, «Arts de la table», 2011.


destiné aux personnes âgées, ou ayant des difficultés d’appuie. Elle modifie par exemple l’archétype des couverts que l’on connaît en proposant des manches en forme de poignées et offre ainsi une meilleure prise en main aux personnes souffrant d’un manque de préhension (action de saisir un objet avec ses mains). Ils s’ajustent à la personne et à son corps, comme une prolongation et viennent combler un manque par la forme. Ces couverts prennent une autre dimension sur la table et peuvent également s’adresser aux personnes valides, réinterrogeant leur manière de manger. Elle a également travaillé sur des assiettes et des baguettes. Dans un autre univers, Jaeyoon Kang&Noriali a conçu le « B&D Messenger » un dispositif nouveau d’envoi de SMS pour les utilisateurs ayant une déficience visuelle et auditive, ce qui leur permet de communiquer facilement avec les autres utilisateurs de téléphone cellulaire. L’appareil permet lorsqu’il est connecté à un ordinateur et à Internet de traduire en braille les SMS reçus ou permet simplement de les composer. L’appareil propose une nouvelle manière d’aborder l’utilisation du téléphone et une nouvelle lecture de ses messages, comme un nouveau langage sms, invitant les personnes, même valides, à utiliser le téléphone autrement.

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Affiches du film Cremaster 3 de Matthew Barney, avec Aimee Mullins.

La chorégraohe Lisa Buffano. (photo credit: Aaron Muszalski)

5.5 designers, projet «réanim», 2004.


Déficience comme atout Une faiblesse peut être perçue comme un atout. Ceci va dépendre de son acceptation et de la manière dont cette faiblesse va être utilisée. Cremaster 3 est le troisième épisode du cycle Cremaster (5 films d’art) de l’artiste américain Matthew Barney, sorti en 2002. Dans ce film apparait l’athlète paralympique et mannequin Aimee Mullins, dans un certain nombre de rôles. Elle incarne plusieurs identités en portant un ensemble de différentes prothèses de jambes. Née sans péronés, Aimee Mullins dit dans une conférence en 2009 : « la vision de la société a profondément changé dans cette dernière décennie. On ne parle plus seulement de dépassement d’une déficience. On parle également de potentiel. Une prothèse ne représente plus seulement la nécessité de remplacer une perte ou un manque. Elle peut se présenter comme un symbole que le porteur a le pouvoir de créer, de sorte que la société considère les personnes handicapées maintenant et à l’avenir comme les architectes de leur propre identité. » Aimee Mullins affirme également qu’elle n’échangerait pour rien au monde ses prothèses contre de vraies jambes et utilise vraiment cet handicap comme un atout. Elle peut ainsi jouer sur sa taille en jouant sur la hauteur de ses prothèses, ce qui lui a par exemple permis d’être mannequin. Autre exemple, celui de la danseuse Lisa Bufano. Bi-amputée tibial et des doigts, son travail de danseuse comporte régulièrement une variété de prothèses et accessoires. Selon elle, son corps est comme un moyen de locomotion alternatifs, pour explorer la différence corporelle, l’animation et la manipulation. L’évolution du corps dans l’espace et la posture du corps est dans son travail également réinterrogé. Dans l’idée de revendication du défaut et de sa mise en valeur, nous pouvons aussi nommer le travail des 5.5 designers avec le projet « Réanim ». Ce projet propose une démarche de conception à travers la métaphore d’un hôpital qui soigne nos objets du quotidien. Le soin redonne une nouvelle vie à ces objets et meubles tout en systématisant la transformation. Réhabiliter des meubles grâce à des matériaux modernes, dans le but de les réinsérer dans notre environnement, tout en ayant une particularité décalée et en ne s’éloignant pas de son identité et de ses défauts.

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Jennifer Crupi, ÂŤornemental handsÂť, 2012.

Guopeng Liang and Yun Li, projet Tikk Tekk Rainbow, 2009.


3.4 Influencer le corps, influencer la société Certains artistes ou designer influencent les mouvements du corps pour les contraindre ou les amplifier. L’artiste/designer Jennifer Crupi a travaillé sur une série de bijoux qui influencent et suggèrent un geste, une posture. Ces bijoux mécaniques mettent l’accent sur nos tics omniprésents et anxieux que l’on peut avoir et les met ainsi en lumière. Les pièces amplifient les habitudes et les positions quotidiennes que l’on adopte à travers le langage du design, avec un résultat qui fait référence au domaine de la prothèse. Un duo de designers asiatiques Guopeng Liang et Yun Li, ont conçu un outil de mesure destiné aux personnes aveugles. L’objet se dédouble et s’enfile comme une bague aux index de chaque main. Le but étant de mesurer une distance avec ses doigts. En écartant les doigts pour effectuer des mesures, on entend un « tikk » tous les centimètres et un « tekk » tous les cinq centimètres. De plus, la plus grosse partie du dispositif comporte deux bagues tournant selon l’écart des doigts et permettant une lecture en braille de la mesure. Autre que le corps, l’environnement peut être aussi influencé pour qu’il soit adapté et compatible à tous. Comme évoqué précédemment, les autorités de différents pays mettent tout en œuvre pour que tous les espaces publics soient adaptés à tous. Adapter un dispositif invitant à un nouveau scénario d’usage, s’adressant à tous est envisageable.

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/CONCLUSION Après avoir mené une analyse sur la perception des déficiences à travers les époques et les cultures, nous avons pu situer les codes normatifs qui s’en dégageaient. Nous avons également cerné les différents domaines d’application et d’intervention des objets paliant à ces incapacités physiques, qui nous accompagnent dans notre quotidien, notre environnement, notre société. Ces recherches nous permettent d’établir le bilan suivant : le rôle d’un objet est plus que jamais important dans l’acceptation d’une déficience ou d’une faiblesse, notamment physique. Le rôle du designer ici va être de travailler sur l’image et l’appréhension d’un objet, en se concentrant sur ses scénarios d’usage, sur ses intentions premières et secondaires (fonction de substitution ou de prolongation et fonction d’appropriation et de perception). Il est donc à présent envisageable de dégager des pistes de réflexion et de développement, afin de développer un travail qui réponde à ces critères.

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/BIBLIOGRAPHIE /EXPOSITIONS - «Handicap et société dans l’histoire : l’estropié, l’aveugle et le paralytique de l’antiquité aux temps modernes», de Franck Collard, Evelyne Samana, Publication de conférence, éditions l’Harmattan, 2010. - La part du Diable, Michel Maffesoli, éditions Flammarion. - La tyrannie de la minceur et la stigmatisation du gros au XIXe siècle par Pierre Fraser, doctorant en sociologie, université Laval. -Georges Vigarello, Les métamorphoses du gras : Histoire de l’obésité du Moyen Age au XXe siècle, Paris, Éditions du Seuil, coll. « L’univers historique », 2010 - «Superhuman, exploring human anhancement», Exposition à la Wellcome collection de Londres, du 19 juillet au 16 octobre 2012. - Livre d’exposition «Superhuman, exploring human anhancement» - «Designed to win» Exposition au design museum de Londres, du 26 juillet au 18 novembre 2012. - Exposition permanente du British museum de Londres.

/SITOGRAPHIE - www.designboom.com - www.britishmuseum.org - portrait de Rebecca Horn, www.technoromanticism.com - portrait de Lisa Bufano, custoprothetik.com - www.pieter-bruegel.com - L’histoire des prothèses, www.prothese-futur.sitew.com - L’histoire des lunettes de soleil, blog.lunettes-de-soleil.fr - http://fr.wikipedia.org - owni.fr - «le monstre magnifique de la technologie fait il changer le moi», www.internetactu. net - www.prothese-futur.sitew.com - www.influencia.net/fr - «la tyrannie de la minceur et la stigmatisation du gros au XIXe siècle, pierre-fraser. com - encyclopédie mémoriale de la Shoah, http://memorial-wlc.recette.lbn.fr - portraits-de-femmes/evolution-corps-feminin, http://www.aufeminin.com - «Les Jeux paralympiques peuvent-ils changer les mentalités?», article de Daniel


Ernult, sur gbtimes.com - «La pauvreté à Pékin», interview de John Artman par Zhanna Koiviola pour gbtimes.com - rubrique «les médias et la Chine», gbtimes.com - «la recherche contre l’injustice», handicap international.com - «L’art et le handicap autour du monde», article de Julien Bil, paru le 19/10/2011 pour l’Avenir.net

/FILMOGRAPHIE - Cremaster 3, film de Matthew Barney, 2002 - Lisa Bufano «One breath is an ocean for a wooden heart» (video): http://www. youtube.com/watch?v=cOzxvHncsf4 - Reportage sur le site de la chaîne Suisse RTS (2011): http://www.rts.ch/video/emissions/abe/3409217-l-histoire-de-la-lunette.html - Freaks, film de Tod Browning, 1932 - Bienvenue à Gattaca, film de Andrew Niccol, 1997

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Sonia Bensoula / 2011-2013.


COMPLEMENTS D’OBJETS -Répondre à la perception d’une incapacité par l’objet-

TOME 02

SONIA BENSOULA Master de Design Global Ecole de Condé Paris 2011-2013 Professeurs référents: - Hugues Weill - Apolline Torregrosa -




/SOMMAIRE


II.DEVELOPPEMENT Introduction

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1.APPROCHES OBJECTALES ET SPATIALES 1.1 1.2

Prolonger ou remplacer le corps Interaction entre le corps et l’espace

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2.PERCEPTION DE L’OBJET DE SUBSTITUTION 2.1 2.2 2.3

Détourner, adapter une incapacité physique Exposer, mettre en avant, affirmer une incapacité La part des matériaux, des formes et des couleurs dans l’appréhension d’un objet palliant une incapacité

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3. VALEURS ET USAGES RETENUS 3.1 Communication, échange et langage au sein d’un espace public 3.2 Perception et intégration en ville 3.3 Interaction, intégration et dialogue commun en milieu professionnel ou éducatif

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Conclusion

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/INTRODUCTION J’ai choisi tout d’abord d’étudier le contexte dans lequel le projet sera mis en place mais aussi à quelle échelle il sera représenté et quelle relation va s’opérer entre la personne et l’objet. Est-ce que cet objet fera partie intégrante de la personne? Aura-t-il une relation directe avec le corps et donc sera-t-il représenté à la manière d’un accessoire? Serait-il au contraire envisageable d’imaginer un système totalement indépendant de la personne mais qui pourrait accompagner et pallier à une déficience à distance, dans un espace? S’adresserait-il également à son environnement, son entourage ? La première partie de ce tome 2 sera dédiée à l’approche objectale et spatiale d’une déficience. Ensuite, nous proposerons des hypothèses sur la manière dont nous pourrons répondre à ces déficiences dans ces différents contextes ; pallier une faiblesse en la détournant, en l’adaptant ? Ou au contraire en l’exposant, la revendiquant ? Nous verrons également l’importance du rôle des matériaux et des formes dans la perception d’un objet palliant à une déficience et donc à la déficience elle-même.

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Rebecca Horn, White body fan, 1972


1. APPROCHE OBJECTALE ET SPATIALE 1.1 Prolonger ou remplacer le corps Le but de l’objet de substitution va être de répondre à une déficience en travaillant sur l’interaction de l’objet et du corps : prolonger le corps par l’objet, greffer l’objet et le corps. La palliation de cette faiblesse deviendrait dans un second plan ornement du corps. A l’image des super-héros évoqués dans le tome 1 du mémoire, le prolongement du corps intervient en modifiant l’archétype du corps, le pousse à se surpasser, à transformer un défaut en atout. Egalement à la manière de Rebecca Horn (cicontre), qui a réalisé un travail sur le prolongement du corps, le déploiement, le rattachement et la surnature du corps. L’artiste connue pour ses nombreuses recherches sur le prolongement du corps, étudie ici la manière de combler un vide, un manque. Elle observe l’évolution d’un objet ou d’une forme par le mouvement du corps. Corps et prothèse ne font plus qu’un.

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EXPERIMENTATIONS Expérimentation sur le prolongement du corps; ici les fonctions de la main sont amplifiées par des excroissances. Elles accentuent nos manques en y répondant et en les comblant grossièrement. Par exemple, tapoter facilement sur un clavier de téléphone, le tenir en main correctement, ou attraper, agripper un objet.

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HYPOTHESE DE TRAVAIL 1// modules venant combler les formes du corps. Ces formes modulables, pourraient aider celui qui les porte à communiquer avec l’extérieur notamment guider une personne malvoyante ou en perte de repère par des petites vibrations (guider à gauche, à droite, émettre des sons informatifs). Ils pourraient également s’adapter aux personnes malentendantes en les prévenant des bruits environnants, comme par exemple détecter le son de la voix de quelqu’un qui s’adresserait à la personne déficiente. Venir combler le corps par des contreformes invite les personnes non déficientes à mieux s’approprier ces objets, en les testant, les adaptant à leur propre corps. Il favorise l’échange et la communication entre les personnes déficientes et non déficientes. Ces modules pourraient servir de nouveau lien social entre les personnes et lutterait contre l’isolement. 15


Picasso, années 1979, atelier du peintre.

Georges Rousse, Genève

Expérimentation créant une illusion de même plan entre deux plans différents


1.2 Interaction entre le corps et l’espace Nous pouvons également pallier à une incapacité physique en travaillant sur l’interaction du corps et de l’espace : s’intéresser à la manière dont un environnement peut répondre à une faiblesse par des scénarios d’usage des procédés. S’intéresser à l’espace sans intervenir directement sur le corps de la personne. Contrairement à l’idée précédente, l’idée est de désolidariser l’objet et le corps. Le but est de créer une interaction entre une personne et son espace. La palliation de la déficience deviendrait dans un second plan ornement dans l’espace. Le mettre en valeur pour l’intégrer complètement au paysage et donc à la société. Nous pouvons imaginer ce nouvel élément dans l’espace comme quelque chose de caché, dissimulé, ou au contraire comme un système à la vue de tous et faisant donc parti de l’environnement de chacun ; ceci pourrait ainsi aider les personnes non déficientes à s’intéresser et accepter les incapacités physiques d’autrui, les intégrer, les assimiler dans les moeurs et la vie au quotidien. Dans le tableau de Pablo Picasso, le corps dessiné semble être représenté sur le même plan que l’environnement qui l’entoure. On ne distingue pas les différents plans, le corps semble se fondre dans la pièce et corps et espace se confondent. On constate une interaction des lignes du corps et de l’environnement. Plus récemment, l’artiste plasticien Georges Rousse, a réalisé de nombreuses anamorphoses au sein d’espaces, comme ici, où la dimension spatiale est remise en question par un jeu d’illusion d’optique. Placé à un point précis de la pièce, nous pouvons voir se constituer un rond bleu parfait, que l’artiste a réussi à peindre sur différents plans de l’espace. Ainsi les plans se confondent et se rassemblent en cette forme pour représenter un ensemble dissimulé et revendiqué à la fois. Suite à ces références, j’ai réalisé une expérimentation montrant une feuille de papier découpée en son centre. L’espace en arrière plan vient combler le morceau manquant de la feuille. L’espace est complémentaire de l’objet.

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HYPOTHESE DE TRAVAIL 2// Réinterprétation d’une rampe d’escalier reprenant de manière précise la forme de l’escalier qu’il accompagne. Ce dispositif permet aux personnes malvoyantes ou non-voyantes de descendre les escaliers sans l’aide d’une canne et permet par le toucher, avec sa main d’identifier chaque marche grâce à la retranscription formelle de la rampe.


On peut également imaginer cette hypothèse en pleine nature ou dans un parc, avec des rampes nous transmettant les reliefs du paysage. Ces rampes reprenant le sol de manière précise, réintérroge la manière de se tenir à une rampe au sein d’un environnement et s’adresse donc à tous.

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HYPOTHESE DE TRAVAIL 3// Panneaux pour les personnes nonvoyantes retranscrivant en braille les informations des panneaux d’information et d’indication. La photo ci-dessus n’étant qu’une hypothèse, l’idée première serait de mettre plus en valeur l’écriture en braille, pour qu’elle soit, dans un environnement, plus identifiables par les personnes non déficientes et qu’elles puissent ainsi s’y intéresser. Le braille serait un langage plus commun et deviendrait ornement de la ville. Il pourrait se mêler à l’écriture classique pour créer un langage à double lecture. L’idée est aussi de rapprocher et mêler lecture visuelle et lecture en braille et mettre à disposition ces panneaux de manière interactive. Ces panneaux pourraient être liés directement aux personnes non-voyantes via un objet comme un accessoire ou même à une canne pour non-voyants. Les panneaux et points d’informations seraient équipés de capteurs indiquant où se trouvent les points d’information par un son ou une vibration.

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2.PERCEPTION DE L’OBJET DE SUBSTITUTION Nous avons pu constater que souvent, les objets palliant à une incapacité physique n’étaient pas mis en valeur et étaient signe de stigmatisation ; le but est donc de modifier leur perception en les « embellissant », ou en tout cas en les intégrant mieux dans les mœurs. Le parti-pris choisi n’est donc pas la dissimulation mais bien la mise en valeur d’une faiblesse, en l’abordant de manière détournée. Le but est de réinterpréter un objet existant, afin qu’il soit perçu d’une nouvelle manière. Nous allons reprendre les thèmes abordés dans la 3ème partie du tome01, notamment sur la manière dont est comblée la déficience de nos jours et comment elle peut être traitée autrement.

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Photographie en noir et blanc du photographe espagnol Chema Madoz. Son expression graphique est aux frontières du surréalisme et de l’allégorie. Par le mariage d’objets détournés, il suscite à la fois une réflexion sociétale, un éveil poétique ou un regard « décalé ».

Sachet de thé en origami par Natalia Ponomareva. Une manière poétique de détourner le sachet de thé lambda. Un nouvel imaginaire est proposé autour de l’utilisation du sachet de thé.


2.1 Détourner, adapterune incapacité physique L’idée est de développer un travail sur la perception et l’acceptation de l’objet à travers des scénarios d’usage et un travail sur le détournement : - en travaillant sur des objets et formes existantes à détourner de manière à en faire un objet substituant une incapacité. - en réinterprétant un objet ou un espace. - en additionnant des modules (fonctionnels et élégants) sur des objets existants. Adapter des modules, des excroissances sur des objets standards. Ces modules viendraient apporter une valeur ajoutée ainsi qu’une nouvelle approche à ces objets déjà existants. La perception de l’objet et donc du handicap invite à être modifiée.

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HYPOTHESE DE TRAVAIL 4// Modules pour aides auditives, redessinées à la manière d’un bijou. Modules qui viennent s’adapter sur l’appareil pour cacher l’objet et le porter comme un bijou ou accessoire. Afin d’élargir le projet nous pouvons imaginer une collection d’accessoires/bijoux palliant à plusieurs handicaps. L’objet et le handicap peuvent être ainsi perçus autrement.

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HYPOTHESE DE TRAVAIL 5// Réalisation de modules adaptables à des manches (ici, des couverts de tables, des poignées de porte ou encore une chaise). Ces modules, destinés aux personnes ayant des problèmes de préhension (manque de force dans les mains), permettent ainsi de saisir et de


tenir des objets avec moins de difficulté. Ils complètent le manque de force et facilitent la vie chez soi notamment, comme la prise des repas, l’ouverture d’une porte ou d’un tiroir, ou encore agripper une chaise pour s’asseoir. 29


Composition reprenant les célèbres sérigraphies d’Andy Warhol, en remplaçant des célébrités ou des objets de consommation. Le message était de déconcer la diffusion des produits de consommation par les médias, même ceux étant inestétiques (à l’image de la boite de conserve).Cet objet qui nous est alors familier devient iconique, à l’image des lunettes de vue ou de soleil.

Montage photographique illustrant l’évolution des technologies destinées à l’écoute de la musique. A l’époque, la recherche de la miniaturisation était de mise ; de nos jours, une fois cette miniaturisation acquise avec les mp3, on cherche à revendiquer notre passion de la musique avec par exemple le retour des gros casques audio, inspirés des DJs.

La designer de mode Maureen My Ngoc a réalisé une série de bijoux et d’accessoires origamiques, dont ici un casque pouvant se plier et se déployer. L’accessoire surdimensionné devient ornement.


2.2 Exposer, mettre en avant, affirmer une incapacité -Objets et procédés militants : cette partie a pour but de développer des recherches sur la manière d’affirmer une faiblesse par l’objet. Mettre en avant cette déficience, en cassant les codes stigmatisant que nous connaissons. Représenter en amplifiant, en valorisant le véritable aspect d’une incapacité, en réinterprétant la manière dont l’objet va y répondre. Ne pas imaginer l’objet de substitution mais le montrer d’une manière différente, de sorte que chacun se sente concerné, prévenant, tout en l’acceptant. Il y a quelques années, l’objectif des nouvelles technologies était la discrétion et la miniaturisation à tout prix. De nos jours, ces critères restent pour certains objets à l’ordre du jour. Mais de plus en plus, les technologies « tendances » se veulent imposantes, comme pour permettre au consommateur de montrer ce qu’il possède. Ces objets technologiques sont plus perçus comme des accessoires de mode, à l’image du casque ou du téléphone portable. Revendiquer et arborer fièrement les objets qui nous accompagnent au quotidien est donc dans l’air du temps.

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HYPOTHESE DE TRAVAIL 6// L’idée de cette expérimentation est d’amplifier formellement les objets de substitution que l’on connaît comme ici, les aides auditives. Cette hypothèse se rapporte à l’image des casques audio, qui englobent la tête en reliant l’oreille à l’autre. L’idée est de véhiculer ces prothèses comme des objets technologiques plus que comme des objets que l’on connaît. Mais nous pouvons également imaginer de nouvelles formes (image ci-contre), reprenant celles d’un appareil auditif et son boîtier et le réinterpréter comme une coiffe, un nouvel accessoire de mode, à l’image des lunettes de vue.


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La designer Lise Lefebvre, qui a proposé une série de revêtements acoustiques pour les produits ménagers bruyant, réinterprète également la perception que l’on a sur ces appareils en les habillant d’un matériaux doux, humanisant voir attachant.

Saladier « Rauch », Marc Albert. Saladier composé de fibres et de céramique. L’objet parait souple et se rapporte visuellement à de la dentelle, mais est en réalité figé et solide. Il change la perception de la céramique.


2.3 La part des matériaux, des formes et des couleurs dans l’appréhension d’un objet palliant une incapacité La perception d’un objet, au delà de sa fonction, se construit par les matériaux et les couleurs qui le constituent. La forme qu’il va représenter va également avoir un rôle dans l’image que va dégager l’objet. Ces éléments peuvent en effet stigmatiser l’objet et donc stigmatiser son utilisateur. Cependant, ils peuvent aussi transmettre des jugements positifs, apporter une valeur ajoutée à l’objet et la personne qui l’utilise. Selon sa forme et ses matériaux, un objet en général sera perçu comme fragile, solide, non attirant ou rassurant. Il peut également être familier à la personne et lui évoquer des souvenirs. L’esthétique joue donc un rôle important dans l’appropriation de l’objet par son utilisateur. Un article issu du blog de l’association des étudiants en design industriel et d’intérieur de l’Université de Montréal, évoque, en parlant de l’esthétique, que « plus récemment, les postmodernistes européens l’ont réintroduite en assumant pleinement son utilité symbolique dans nos systèmes de valeurs.» (« Design & esthétique », http://lebloguepoiesis. wordpress.com, le 23/11/2009).

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Recherche de matières évoquant des émotions différentes : ici, la même pâte travaillée différemment et retranscrivant un matériaux fort ou au contraire fragile (corrosion, craquelures). La forme de cette pâte peut également prendre une autre forme et renvoyer une tout autre image.

Même exemple avec le papier, matériaux fragile tout en étant consommé à l’excès, qui peut dégager un sentiment de préciosié tout en étant « maltraité ».


EXPERIMENTATIONS

Croquis évoquant l’importance de la forme d’un objet dans sa perception, venant en complément de sa fonction première. Ici, un cube évoluant de manière aléatoire, offrant des perceptions différentes.

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«Waelice», système interactif de modules lumineux, par Nodesign

Avec ce type de suspensions, nous pouvons imaginer des modules interagissant entre eux et avec l’espace. Créer un langage et un nouvel outil de communication par le biais de ces supports. (Octavio Amado, suspensions Tavola)


3. VALEURS ET USAGES RETENUS A ce stade de recherches, j’ai choisi de me concentrer sur le pouvoir de la communication et de l’échange à travers ce futur procédé de substitution. Ce dernier doit avoir une double lecture, en s’adressant tout d’abord aux personnes déficientes et dans un second temps aux personnes non-déficientes. Le projet doit inviter chacun à communiquer entre eux et mieux se comprendre. Il est ici question de nouveau langage, entre déficients et nondéficients. J’ai alors choisi de continuer mes recherches en imaginant un procédéau sein d’un espace collectif, pour favoriser cette communication. J’ai également choisi de répondre à une déficience de manière démonstrative en l’exposant, la mettant en avant pour attiser une curiosité positive et un intéressement de la part des personnes non-déficientes, pour qu’elles puissent mieux la comprendre et en invitant également une personne à assumer ses différences. Je souhaite m’intéresser aux personnes ayant des problèmes de perception dans l’espace comme les personnes malentendantes ou malvoyantes, qui ont de grandes difficultés à communiquer et qui souffrent d’isolement. Je vais pour cela développer plusieurs hypothèses évoquées précédemment en définissant concrètement les usages de ces objets ou procédés.

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3.1 Communication, échange et langage au sein d’un espace public J’ai souhaité poursuivre mes recherches en les projetant au sein d’une gare ou d’un centre commercial. Un endroit très passant où il peut être difficile de se repérer et où la communication est primordiale. Un endroit qui peut être aussi source de stress. Le but est d’améliorer la communication et recréer un langage commun entre les personnes déficientes et non-déficientes dans un lieu où les passants ne font pas toujours attention aux autres et à leur environnement.

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EXPERIMENTATIONS


Explorer le corps comme support de transmission entre l’espace et la personne. Utiliser le toucher pour combler une dÊficience. Manipuler les objets, comme ci-dessus une table, ressentir ou recevoir un message.

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VIBRATIONS SON


HYPOTHESE 7// Implanter dans une gare (comme la gare Saint Lazare, récemment rénovée et où la présence d’un piano est déjà à disposition des passants) des colonnes retranscrivant la musique ambiante à l’aide de vibrations. Comme par exemple sur l’hypothèse ci-dessus, où les passants vont ressentir la musique environnante, comme ici du piano, en posant ses mains sur une colonne. Chaque note correspond à une vibration, plus ou moins forte à des zones différentes de la main. Cette installation est destinée à tous mais s’adresse particulièrement aux personnes sourdes et malentendantes qui pourront ressentir le rythme de la musique. Cette colonne avec différentes faces, de manière aléatoire propose aux passants de se mélanger à la foule. Les passants peuvent ressentir la musique au même moment. Elles invitent à l’échange, à la communication et offrent un langage commun, bien que l’instrument émette aussi du son et laisse le choix aux personnes sans problème d’audition de la manière dont elles souhaitent apprécier la musique. Mais le message est de montrer qu’une autre retranscription est possible et qu’elle peut-être aussi un plus en mêlant écoute et vibration. Ainsi, cela offre la possibilité de s’intéresser à une forme de handicap (ici la surdité) en la présentant indirectement de manière positive, générant un nouveau moyen d’écoute.

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HYPOTHESE DE TRAVAIL 8// Nous proposons des excroissances présentes dans un centre commercial (ici dans le nouveau centre commercial Lyon Confluence) permettant de communiquer avec les personnes sourdes et malentendantes grâce à un accessoire que la personne porte sur elle (un bijou par exemple) ; Les modules dans l’espace communiquent ainsi à l’aide de vibrations mais aussi de signaux lumineux, dès qu’un évènement ou un incident intervient: le déclenchement d’une alarme incendie par exemple. L’idée est d’avoir des modules présents dans l’espace mais aussi en contact avec la peau pour que le lieu communique avec les passants autrement qu’avec des diffusions sonores.


Nous pouvons imaginer par exemple un accessoire avec des petites billes émettant une pression sur la peau, selon l’information transmise, mais aussi jouer avec des codes couleurs dans l’espace pour qu’ils soient visibles par tous. 47



Nous pouvons également imaginer ce procédé en communiquant directement avec le mobilier présent dans le lieu. Les chaises, bancs ou fauteuils peuvent émettre des vibrations grâce à des modules visibles et identifiables. Des parties du corps peuvent être sollicitées selon l’information.

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3.2 Perception et intégration en ville Nous pouvons constater dans les grandes villes, que le manque de perception et de repère se fait rapidement ressentir et ce encore plus pour les personnes ayant des déficiences au niveau de la vue ou de l’ouïe. Traverser la rue, se repérer dans la ville, se rendre à une adresse, un point de rendez-vous, nous concerne tous. C’est ainsi que j’ai choisi de poursuivre quelques recherches en me plaçant dans ce contexte.

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Hypothèse 9// Dans une grande ville telle que Paris, capitale la plus visitée au monde et où l’accessibilité est primordiale, nous avons pour hypothèse la mise à disposition d’une broche aidant une personne à traverser la route. Lorsqu’une voiture s’approche d’un passage piéton, la broche émet une vibration pour prévenir la personne du danger. Elle s’arrête de vibrer quand les voitures sont à l’arrêt et que le piéton peut traverser. La broche a une seconde fonction : elle est détectée par le passage piéton et permet de prévenir les automobilistes de la présence de piétons qui attendent ou qui sont en train de traverser. Destinée aux personnes malentendantes ou malvoyantes, elle peut aussi servir à tous, comme les enfants par exemple, ou les personnes étourdies au moment de traverser. Avec l’arrivée des voitures électriques, qui sont très silencieuses, il semble intéressant de réféchir à ce type de procédé en ville. Enfin, ce scénario propose une meilleure interaction et communication en ville notamment entre automobilistes et piétons.

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3.3 Interaction, intégration et dialogue commun en milieu professionnel ou éducatif Les personnes présentant un handicap, qu’il soit léger ou lourd ont une plus grande difficulté à s’intégrer en milieu professionnel, bien que l’état ait mis en place des mesures nécessaires pour une meilleure intégration comme les quotas par exemple. C’est pourquoi étudier un procédé améliorant l’intégration et le dialogue des personnes présentant une incapacité physique dans le cadre du travail me semble intéressant. L’idée est d’accompagner la personne au travail et établir un nouveau langage pour que tous les employés communiquent de la même façon et à la même échelle.

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EXPERIMENTATIONS

Traduction de l’action «écouter, tendre l’oreille» par l’objet. La maquette reprend la forme de la main que l’on porte à son oreille, censé aider à mieux capter le son.


Le but de ces recherches est de traduire des actions et des gestes se rapportant à l’ouïe.


EXPERIMENTATIONS

«Se faire entendre»


«Chuchoter à l’oreille»...



EXPERIMENTATIONS

Travail sur la manipulation d’objets à table (condiments etc), que l’on se passe, que l’on reprend. Ces objets peuvent représenter un support de transmission et de communication. J’ai donc choisi d’explorer ce vecteur de communication par la trace. Chaque personne manipulant ces objets y laissent une trace propre à elle, ainsi identifiable. Nous identifions alors la provenance des objets, de quelle personne ils proviennent. < p. de gauche: représentation du processus de transmission et de communication dans l’espace

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HYPOTHESE 10// L’idée est de proposer au sein d’une entreprise, un ensemble d’objets améliorant la conversation et la communication de groupe. Objets identitaires, ils favorisent l’intégration des personnes malentendantes en offrant une nouvelle marque d’identification égale à tous les employés et une appropriation de l’objet. Ils améliorent aussi l’intégration en les aidant à participer aux conversations. Ces objets peuvent indiquer à son utilisateur, qui est entrain de s’adresser à elle et ce à l’aide de vibrations et de codes couleurs. Nous pouvons aussi imaginer une connexion avec ces personnes via un objet afin de partager des informations lors de réunions. Ces objets luttent en effet contre l’isolement des personnes malentendantes qui ont des difficultés à identifier leurs interlocuteurs.

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/CONCLUSION Travailler sur des objets répondant à une déficience s’avère complexe et varié, car chaque déficience est à la fois subjective selon la personne, mais également universelle, ce qui permet de mettre un nom sur une déficience et donc de lui attribuer une solution objective. Suite à ces hypothèses de travail autour d’objets répondant à des difficultés de perception, nous allons pouvoir développer et finaliser l’une de ces propositions. Nous avons pu constater que nous disposions de plusieurs façons de répondre à la mise en valeur d’une incapacité physique par un objet ou un procédé que l’on intègre en société, à la disposition de tous. J’ai ainsi choisi de me concentrer sur l’intégration et la communication d’une personne ayant des problèmes d’audition (malentendants et non sourds) en milieu professionnel ou éducatif. L’idée est de mettre en place un nouveau procédé à la portée de tous, ainsi qu’un nouveau langage tout en répondant au handicap des personnes malentendantes. Mon rôle en tant que designer est d’offrir une nouvelle perception de cette déficience par l’objet et divers scénarios d’usages. Définir une cible et un contexte en s’adressant à tous à travers ce procédé est un point très important dans l’impact, la visibilité et l’acceptation d’une différence.

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Sonia Bensoula / 2011-2013.


COMPLEMENTS D’OBJETS -Perception d’une déficience par l’objet-

TOME 03

SONIA BENSOULA Master de Design Global Ecole de Condé Paris 2011-2013 Professeurs référents: - Hugues Weill - Apolline Torregrosa -




/SOMMAIRE


III.PRESENTATION DU PROJET Introduction

1. LE PROJET

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1.1 Définition des usages 1.2 Cible

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2. IDENTITE DE L’OBJET 2.1 Recherches formelles 2.2 Définition de l’objet

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3. MATERIAUX, COULEURS ET MODE DE DISTRIBUTION 4. DESSINS TECHNIQUES 5. COMMUNICATION DU PROJET 6. PARTENAIRES POTENTIELS

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Conclusion

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/INTRODUCTION Après avoir réalisé diverses recherches sur les objets de substitution et la manière dont ils sont perçus et ont été perçus, puis dégagé différentes hypothèses pouvant répondre à une nouvelle perception de personnes souffrant de déficiences, ceci m’a conduit à développer un projet intervenant dans le cadre du travail. Les personnes malentendantes, pour lesquelles j’ai choisi de consacrer mon projet, ont comme difficulté principale de ne pas réussir à suivre une conversation correctement. Une sorte d’autoexclusion qui amène au retrait et à l’isolement. C’est pourquoi l’intégration au travail se veut encore plus difficile. Ces personnes, malentendantes de naissance ou devenues malentendantes ont une manière différente d’appréhender ces difficultés. Mais j’ai aussi choisi le cadre du travail car l’intégration en entreprise nous concerne tous et nous avons nous même pu y rencontrer des difficultés. Un projet qui serait donc profitable à tous en société, tout en répondant à une déficience. Tout d’abord, nous présenterons le concept du projet, avec les objets, les procédés et les formes qui le définissent. Nous préciserons ensuite la cible à qui il s’adresse. Puis une partie technique sera évoquée, avec le choix des matériaux qui le constituent. Enfin, nous communiquerons le projet final grâce à différents supports et présenterons les différents partenaires, succeptibles de collaborer à ce projet.

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1. LE PROJET 1.1 Définition des usages Le projet a pour vocation d’améliorer l’intégration et la communication des personnes malentendantes. Il intervient sur diférents plans : directement sur la personne et entre les personnes ; chaque salarié a à sa disposition un badge interactif, qui sera caractéristique de l’entreprise ou du groupe auquel ils appartiennent.

Le badge interactif Le badge permet dans un premier temps, d’intéragir avec l’espace dans lequel il se trouve : il détecte les sons environnants propres à l’entreprise (alarme incendie, téléphone, e-mail) et prévient la personne malentendante à l’aide de différentes vibrations et de symboles. Il offre dans un second temps la possibilité de communiquer et d’intéragir avec ses collègues : quelqu’un qui souhaitera s’adresser à la personne déficiente pourra l’appeler par son prénom; l’objet muni d’une reconnaissance vocale va identifier le prénom et envoyer des vibrations sur le macaron de la personne concernée. Celle-ci pourra identifier qui l’interpelle directement sur l’objet, qui aura à son tour identifié d’où proviennent les vibrations. Pour que le signal émettant des vibrations s’arrêtent, il faut que les badges respectifs des interlocuteurs se retrouvent face à face. Il vont en effet se détecter pour arrêter de vibrer, ce qui va favoriser l’échange des personnes en face en face pour qu’une personne malentendante puisse lire sur les lèvres. Pour les personnes non déficientes, elles les incitera à un échange plus cordial. Enfin, si une personne veut s’adresser à un ensemble, elle envoit une vibration à chacun. Un nouveau langage est alors mis en


place, il permet d’ajouter des repères à une conversation et de souligner les échanges entre les personnes. Ceci permet à la personne malentendante de matérialiser une conversation, de mieux la suivre et donc de s’y sentir plus intégrée.

«OUÏEAR», procédé améliorant l’intégration et la communication en entreprise Le projet «Ouïear», ayant pour but de répondre à la bonne perception d’une incapacité en entreprise, passe par la prise en compte de l’éthique et des symboles propre à cet environnement. Le procédé intervient ainsi sur diférents plans : directement sur la personne et entre les personnes. Comment mettre en avant la communication entre personnes déficientes et non-déficientes par l’objet? «Ouïear» Le nom du projet s’appelle «Ouïear» pour We are= nous sommes, en anglais, désignant un ensemble, une cohésion et correspondant à l’éthique du projet; le mot contient également les mots ouïe et ear=oreille rappelant les fonctions premières auquel le projet répond pour les personnes malentendantes) - Intervenir sur la personne: porter l’objet, se l’approprier. En entreprise, l’identification peut se faire par la tenue vestimentaire, ou encore l’espace que la personne occupe, comme la grandeur de son bureau ou la robustesse de son fauteuil. Selon l’activité, le badge, ou broche est également parfois utilisé pour s’identifier, avec nom et statut hiérarchique occupé dans l’entreprise. L’idée ici est d’utiliser cette notion de « badge » et de porter sur soi l’objet qui va aider à la communication entre employés, sans cette notion de distinction hiérarchique. Le but est de distinguer ces personnes par un langage alternatif, commun et égal à tous.

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1.2 CIBLE Le projet s’adresse avant tout aux personnes malentendantes pour aider leur intégration en milieu professionnel. Une personne malentendante est une personne ayant des difficultés à entendre, mais qui n’a pas perdu la totalité de son ouïe, contrairement aux personnes sourdes. Elles ne communiquent donc pas avec le langage des signes. Ces personnes, malentendantes depuis la naissance, ou qui le sont devenues, ont peu d’intermédiaire pour communiquer et intéragir pleinement avec les sons ou les conversations environnantes. Chacun s’adapte ainsi selon son niveau d’audition, mais souvent en dépit d’une bonne intégration sociale. C’est alors pour cela que j’ai choisi de m’y intéresser. Enfin, la perte d’audition étant de plus en plus fréquente, notamment avec la démocratisation des baladeurs, écouteurs, ou encore du bruit fréquent en ville, il me semblait intéressant de me pencher sur une déficience déjà répandue mais aussi malheureusement en augmentation, pouvant toucher à différents degrés. Le projet est dans un second temps destiné à tout types d’entreprise qui emploient plusieurs salariés et où l’échange et la communication s’effectue souvent en réunion ou en open space. Il encourage l’intégration et la communication de ses salariés.

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Recherche d’emboitement des macarons interactifs, renforçant l’idée de cohésion.


2. IDENTITE DE L’OBJET 2.1 Recherches formelles Afin de renforcer ces notions de communication, d’intégration et de nouveau langage, j’ai choisi d’effectuer des recherches formelles ayant un rapport avec l’imbrication, afin de rendre ces objets complémentaires, à partir de différentes formes géométriques, comme le carré, le triangle ou encore L’hexagone ou l’octogone. Cette complémentarité est synonyme de solidarité et d’intégration, qui évoque une équipe en entreprise à ce ressenti, par le biais de cet objet. Je me suis intéressée aux jeu de construction, d’imbrication ou encore de casses-têtes, comme le jeu du TANGRAM, qui m’a permis de partir sur plusieurs expérimentations et scénarios d’usage. 13


Le tangram ou jeu des sept pièces, est une sorte de puzzle chinois. C’est une dissection du carré en sept pièces élémentaires. Des dissections plus générales, de formes différentes, sont également appelées tangram. A partir de ces pièces, il est possible de recréer des formes multiples. Je suis parti de cette composition pour expérimenter autour de l’idée d’imbrication, d’unité, de complémentarité et donc d’intégration. J’ai par exemple recrée des formes égales afin de représenter une mosaïque. En retirant des pièces ou en changeant leur emplacement, nous obtenons différents motifs. Les différentes compositions d’imbrication interrogent également la notion d’interaction et de liberté dans l’espace.


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Recherches de composition et représentation d’ensemble à partir de formes géométriques. La dimension du jeu dans l’espace est alors abordée.

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Entre interaction dans l’espace et préciosité de l’objet...

Quelques inspirations mettant en avant les notions d’imbrication, d’interaction dans l’espace et de préciosité. Les badges interactifs doivent être appréhendés comme un bijou, un accessoire précieux et esthétique tout en répondant au handicap en entreprise., Proposer une nouvelle approche du handicap et allier défaut et atout, esthétique et handicap, fonction et ornement.

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SOLLICITER OU ETRE SOLLICITE

SONNERIE DU TELEPHONE

ALARME INCENDIE

Une des face de chaque objet, sous forme d’écran digital, aura pour rôle de transmettre l’information à son porteur. par le biais de pictogrammes. 3 fonctions principales sont proposées: - Identifier une personne qui nous sollicite, nous interpelle - être alerté de la sonnerie du téléphone - être prévenu en cas d’alerte incendie Dans un premier temps, l’objet interviendra sur le corps de la personne. Le but est réellement de faire intéragir les sons environnants avec la personne malentendante et d’améliorer la communication entre personnes déficientes et non-déficientes.


2.2 Définition de l’objet et fonctionnalités Les formes que j’ai retenues sont inspirées du jeu du Tangram et de mes expérimentations. Après divers essais d’imbrication, j’ai choisis de développer 4 formes différentes de badges interactifs, dans le but de représenter le monde de l’entreprise (et la société en général) ainsi que l’idée que chaque personne est différente, mais qu’ensemble elles peuvent malgré tout être complémentaires. Ces formes qui ont la possibilité de se compléter (grâce à certain de leurs côtés égaux) pourront créer des mosaïques et ainsi représenter un ensemble. Ces objets fonctionnent cependant de la même manière. Je me suis également inspiré des pierres précieuses et des prismes, dans l’idée de répondre au handicap par le biais d’ objets esthétiques et précieux. Cette mise en volume permet de contenir la partie électronique de ces objets. Les différentes facettes de ces badges correspondent à plusieurs fonctionnalités et alertent le porteur de ce qu’il se passe au sein de son environnement. Ces petits objets sont reconnus sous le nom de «OUÏKO» (contraction des mots «Ouïe» et Connection).

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BATTERIE FAIBLE CHARGE

Dans un second temps, l’objet intervient directement dans l’espace. Pour recharger son Ouïko, il faut le disposer le soir en partant sur un tableau aimanté pour le recharger en énergie. Cependant chaque Ouïko se recharge au contact d’un autre Ouïko, dans l’idée d’un système d’auto-rechargement. C’est le tableau qui délivre une base d’énergie mais les assembler permettra de leur apporter une énergie égale pour pouvoir être utilisé en même-temps. Chaque arrête de l’objet, en métal, est composé d’un système de recharge emboîtable. Ceci va donc inviter les employés à essayer d’imbriquer les objets ensemble pour former une unité et une mosaïque dans l’espace. La face interactive va indiquer par une couleur l’état d’avancement de la charge: rouge quand la batterie est vide, vert quand l’objet est rechargé. Les utilisateurs sont invités à réaliser les formes de leur choix, ce qui accentue cette notion de complicité et d’intégration.


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Micro Bouton d’appel pour reconnaissance vocale

Base de l’objet permettant la connection des OUÏKOS entre eux sur le tableau aimanté

base de donnée pour reconnaissance vocale (puce)

connecteur pour prise micro-usb permettant le transfert de données

Pince aimantée à la base, permettant l’accroche de l’objet sur le tableau aimanté


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Prénom: SONIA

_________________ ______________

ATTRIBUER UN NOM A

ATTRIBUER NOMOUÏKO A SON BADGE SONUN BADGE OUÏKO avec l’aide d’un câble micro-sim (connection désormais imposée à l’échelle européenne pour lesobjets électroniques)

EFFECTUER UNE PREMIERE RECHARGE DES OUÏKOS SUR LES TABLEAUX POUR Y STOCKER ET SYNCHRONISER TOUTES LES DONNEES ENREGISTREES AU PREALABLE

SONIA

EFFECTUER UNE PREMIERE RECHARGE DES OUÏKOS SUR LE TABLEAU AIMANTE pour y stocker et synchroniser toutes les données enregistrées au préalable grâce au Bluetooth, pour lesquels les Ouïjos sont aussi équipés.

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MARIE?


SOLLICITER UN COLLEGUE

«Marie?»

RECONNAISSANCE VOCALE

MARIE?

APPUYER SUR LE BOUTON DE L’OBJET ET PARLER

SONIA

TRANSMISSION DE L’APPEL

RECEPTION ET SIGNAL PAR VIBRATION ET INSCRIPTION

SONIA

BLUETOOTH

MARIE

SONIA

MARIE

SONIA

Le Ouïko s’arrête de vibrer lorsqu’il se trouve en face de celui de son interlocuteur. Ceci permet de favoriser l’échange en face à face, ainsi qu’une facilité de lecture sur les lèvres pour les personnes malentendantes. 39



Détecteur de son permettant de relier la sonnerie du téléphone et l’alarme incendie au Ouïko, qui en alertera son porteur ALARME INCENDIE

Bluetooth Bluetooth TELEPHONE

SONIA

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3. MATERIAUX, COULEURS ET MODE DE DISTRIBUTION Nous avons vu dans le tome précédent l’importance des choix esthétiques dans la perception d’un objet répondant à une déficience. Bien qu’un objet est majoritairement constitué en fonction des propriétés des matériaux, il est tout de même intéressant de prendre en compte leur esthétique. L’objet doit être ressenti comme un objet à la fois solide et précieux, comme un bijou. les prismes sont en ABS (résistance aux chocs, bonne isolation (propriété électrique), teintes variées (possibilité d’imaginer d’autres collections) La face concernant l’écran est en PMMA pour sa transparence. Les objets Ouïkos peuvent donc être déclinés en différentes couleurs, toujours proposés par choix de 4 couleurs, pour respecter une harmonie visuelle cohérente lorsqu’ils sont disposés en mosaïque sur le tableau. A la demande du client, les couleurs peuvent être choisies sur mesure. Elles peuvent ainsi s’accorder avec les couleurs d’un bureau, d’une pièce, ou alors représenter les couleurs et l’identité d’une entreprise.

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4 COLORIS AU CHOIX PAR LOT


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Packaging contenant 4 OUÏKOS

Packaging contenant 16 OUÏKOS


Les Ouïkos sont distribués par 4 ou 16 pièces dans des packagings adaptés en carton, selon la grandeur de la société dans lequel le dispositif sera utilisé. Le support permettant de recharger les Ouïkos est également livré. Un tableau aimanté peut supporter 32 Ouïkos; plusieurs supports peuvent donc être délivré selon le nombre d’effectifs de l’entreprise. Le dispositif «Ouïear» est disponible à la commande par téléphone ou sur internet. Pour les grandes entreprises, plusieurs ensembles pourront donc être achetés et ceci n’empêchera pas aux différents lots acquis de fonctionner ensemble. Concernant la communication du dispositif, nous pouvons , en plus d’un site internet, envisager de le promouvoir dans les médias par le biais de publicité dans les magazines, en faisant appel à des personnalités médiatiques pour le représenter, ou encore dans les magazines de décoration pour mettre en avant l’aspect décoratif du dispositif, tout en y vantant sa fonction première qui est de répondre à une incapacité.

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7 mm

14 mm 5 mm

3 mm 20 mm

50

mm

70 mm

O /2

6 mm


4. DESSINS TECHNIQUES

50 mm

50 mm

3 mm

20 mm

O /2

7 mm

14 mm 5 mm

6 mm

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7 mm

14 mm 5 mm

3 mm 20 mm

50

mm

70 mm

O /2

6 mm


7 mm

14 mm 5 mm

3 mm 20 mm

50 mm

70 mm

O /2

6 mm

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5. COMMUNICATION DU PROJET


OUÏEAR NOUVEAU LANGAGE EN ENTREPRISE

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SONNERIE DU TELEPHONE

SOLLICITER OU ETRE SOLLICITE

ALARME INCENDIE


OUÏEAR NOUVEAU LANGAGE EN ENTREPRISE



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6. PARTENAIRES POTENTIELS Voici la liste des partenariats succeptibles de soutenir ce projet techniquement, financièrement, ou tout simplement en aidant à le communiquer au public. -Mairie de Paris: La Mairie de Paris pourrait encourager ce projet d’intégration et de perception en ville des personnes souffrant de problèmes de perception. La Mairie de Paris étant partenaire de la fondation Macif, cette dernière a déjà développé le concept des Accorderies dans l’hexagone; «L’Accorderie repose sur un principe simple et original : les habitants d’un même quartier se regroupent pour échanger entre eux des services leur permettant de valoriser leurs savoir-faire, et ce sans aucune contrepartie financière. Concrètement, un adhérent qui effectue, par exemple, une heure de dépannage informatique se voit attribuer un crédit de temps qu’il peut ensuite utiliser comme bon lui semble pour obtenir l’un des services proposés par d’autres accordeurs.Ce système d’échange dans un territoire de proximité, qui s’inscrit dans le champ de l’économie sociale et solidaire, permet de répondre à des besoins sociaux non satisfaits et de créer de nouvelles formes de richesse. Dans un contexte socioéconomique difficile où la tentation du repli sur soi est forte, cette nouvelle forme de solidarité portée par l’Accorderie séduit par son fonctionnement humaniste et sa capacité à recréer du lien social et de la convivialité» (http://www.fondation-macif.org/ et http:// www.paris.fr/associations). Un projet similaire qui encourage l’échange et l’intégration en ville pourrait être ainsi soutenu par la Marie de Paris et la fondation Macif.

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-Grandes marques de produits électroniques tels que samsung, archos (entreprise française) ou encore Sony, afin d’avoir un soutien qui permette de développer une technicité proche de leurs produits. -Diverses associations ayant pour but l’amélioration de l’intégration des personnes en situation de handicap; ADHF handicapés de France: «l’ADHF, par ses oeuvres sociales, cherche à soutenir financièrement ou matériellement des oeuvres locales pour combattre l’isolement que connaissent certaines personnes.[...] Cela peut donc se traduire par une aide financière, morale ou matérielle envers une collectivité ou une organisation de proximité qui lutte contre l’indifférence générale». (http://www. adhf-asso.org) Association surdifrance: «Le Bucodes-SurdiFrance est une association d’associations qui organise des actions auprès des administrations, des publications. Le Bucodes-SurdiFrance assure des formations de sensibilisation des personnels des entreprises et des services publics aux problèmes spécifiques des personnes devenues sourdes à l’âge adulte Ces personnes s’expriment oralement et, dans leur immense majorité, ne connaissent pas la langue des signes». (http://www. surdifrance.org) -Association Handitec-Handroit: cette association fondée en 1982 a pour rôle d’assurer «la coordination des actions et de recherches appliquées à la vie quotidienne des personnes handicapées ou âgées dépendantes. Recherche, développement, industrialisation, distribution des matériels et aides techniques


pour le mieux vivre des personnes handicapées et âgées dépendantes». L’association organise 1 fois tous les deux ans le concours Handitec, ayant pour but de proposer des projets autour de l’amélioration du quotidien de personnes en situation de handicap. C’est en particiapant à ce concours l’an dernier que j’ai pu connaître et rencontrer l’association. (http://www.handroit. com) -Dr Robert Bourgarel, du laboratoire Individu Cerveau Intestin (Disquisition sur des problématiques de recherche): Docteur/ chercheur que j’ai eu l’occasion de rencontrer l’an dernier dans le cadre du salon autonomic de Paris, lors de la présentation de mon projet pour le concours Handitec. Il effectue notamment des recherches autour d’objets interagissant avec le corps et de maitrise des besoins du corps. -Association designers interactifs: cette association à la volonté de faire du design numérique une démarche mieux intégrée et reconnue dans le développement de tous les secteurs d’activité, à travers ses bénéfices et ses métiers. L’un de ses buts est de sensibiliser les entreprises et les instances publiques au design interactif, ses apports et ses métiers. (association.designersinteractifs.org) -Salon Autonomic: Ce salon à Paris est dédié aux acteurs du handicap, de la dépendance et de l’accessibilité. Il peut servir d’intermédiaire pour rencontrer des professionnels interessé dans l’élaboration du projet, d’un point de vue technique ou économique. J’ai notamment participé à ce salon via le concours handitec et ai pu rencontrer des professionnels. (http://www. autonomic-expo.com)

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7. CONCLUSION M’interroger sur la perception des objets répondant à une incapacité physique m’a permis de pousser ma refléxion sur ce sujet et de prendre conscience que ces objets pouvaient intervenir à une autre échelle: dans l’espace, dans le milieu d’une entreprise et ne pas se limiter aux frontières du handicap. Ceci m’a également permis de remarquer le pouvoir que pouvait avoir un objet sur la perception d’une incapacité et que ce type d’objet pouvait être utilisé autrement. La perception des objets répondant à une incapacité est un sujet m’ayant tenu à coeur, ma mère étant malentendante, ce qui me donne l’envie de pousser cette réflexion dans mes futures expériences professionnelles, en remettant en question notamment les dimensions éthiques, fonctionnelles et esthétiques de ce type d’objet. Il est possible d’imaginer pour le projet «Ouïear» une déclinaison de collections de «Ouïkos», proposant de nouvelles formes et de nouveaux scénarios d’imbrication, évoluant avec les technologies actuelles. Il est également possible de proposer ce projet au sein d’autres environnement, comme les écoles, pour aider les enfants malentendants à mieux s’intégrer en classe, ou encore l’environnement domestique, pour améliorer la communication en famille.

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Sonia Bensoula / 2011-2013.






Micro Bouton d’appel pour reconnaissance vocale

Base de l’objet permettant la connection des OUÏKOS entre eux sur le tableau aimanté

base de donnée pour reconnaissance vocale (puce)

connecteur pour prise micro-usb permettant le transfert de données

Pince aimantée à la base, permettant l’accroche de l’objet sur le tableau aimanté



Prénom: SONIA

_________________ ______________

ATTRIBUER UN NOM A ATTRIBUER NOMOUÏKO A SON BADGE SONUN BADGE

OUÏKO avec l’aide d’un câble micro-sim (connection désormais imposée à l’échelle européenne pour lesobjets électroniques)

EFFECTUER UNE PREMIERE RECHARGE DES OUÏKOS SUR LES TABLEAUX POUR Y STOCKER ET SYNCHRONISER TOUTES LES DONNEES ENREGISTREES AU PREALABLE

SONIA

EFFECTUER UNE PREMIERE RECHARGE DES OUÏKOS SUR LE TABLEAU AIMANTE pour y stocker et synchroniser toutes les données enregistrées au préalable


MARIE?


SOLLICITER UN COLLEGUE

«Marie?»

RECONNAISSANCE VOCALE

MARIE? SONIA

TRANSMISSION DE L’APPEL

RECEPTION ET SIGNAL PAR VIBRATION ET INSCRIPTION

SONIA

MARIE

SONIA

MARIE

Le Ouïko s’arrête de vibrer lorsqu’il se trouve en face de celui de son interlocuteur. Ceci permet de favoriser l’échange en face à face, ainsi qu’une facilité de lecture sur les lèvres pour les personnes malentendantes.



Détecteur de son permettant de relier la sonnerie du téléphone et l’alarme incendie au Ouïko, qui en alertera son porteur ALARME INCENDIE

Bluetooth Bluetooth TELEPHONE

SONIA



BATTERIE FAIBLE CHARGE



4 COLORIS AU CHOIX PAR LOT


SONNERIE DU TELEPHONE

SOLLICITER OU ETRE SOLLICITE

ALARME INCENDIE


OUÏEAR NOUVEAU LANGAGE EN ENTREPRISE


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