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GENS DU VOYAGE ET RIVERAINS : DE L’HOSTILITÉ À L’HOSPITALITÉ

N° 1 RECHERCHES MASTER DESIGN GLOBAL, RECHERCHE & INNOVATION

SARAH NAUD

PROMOTION 2014-15


R em erci em en ts

TO M E 0 1

M É M O I R E D I R I G É PA R

T I P H A I N E K A Z I - TA N I

& V I N C E N T G I AV E L L I

Tiphaine Kazi-Tani Vincent Giavelli Maryline De Barros Julie Brasset Françoise Hannoun Lorena Skopelja

SARAH NAUD

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REMERCIEMENTS

P R O M O T I O N 2014-15


S om m ai re

TO M E 0 1

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Introduction

Enjeux

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Mobilité physique

Excentricité sociale

Excentricité spatiale

Graphisme & Espace public

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68

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Le voyage comme principe de création

Une culture des marges

Une mutation de la ville

Design & transformation

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Un critère identitaire ?

Des préjugés à la stigmatisation légale

Une vision d’un territoire sans frontière

Design & environnement

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Une inversion des schémas

Entre conflit et acceptation

Les aires d’accueil

Espace public, espace social

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Conclusion

Bibliographie

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Sommaire

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I n trodu cti on

TO M E 0 1

Introduction

Le problème de cohabitation que posent les «Gens du voyage» est souvent traité par l’actualité politique et médiatique. Il convient avant toute problématique de définir ce que signifie les différents termes associés aux voyageurs. Ambigu, le terme « Gens du voyage » est en effet source d’amalgame et de confusion. G E N S D U V O YA G E

Cette loi crée une confusion car on parle communément des «Gens du voyage» pour désigner les Tsiganes, raison pour laquelle les représentants d’associations Tsiganes et des personnalités de cette communauté ont présenté un texte à l’Assemblée Nationale sollicitant l’abandon de l’utilisation du terme « Gens du voyage » : « En France, l’appellation « Gens du voyage » désigne, dans le vocabulaire de l’administration et souvent de la population française, notre population. Nous ne nous reconnaissons pas nous-mêmes sous cette appellation d’un point de vue humain, culturel et identitaire. Tenant compte de ce qui précède, lorsque l’appellation “ Gens du voyage ” se substitue aux mots Tsiganes, Manouches, Gitans, Roms, Sinté ou Yéniches pour désigner nos populations respectives à des fins d’hostilité, dépréciatives, discriminatoires, ou racistes à notre égard, nous exigeons que cet acte soit considéré comme de l’antitsiganisme et/ou de la tsiganophobie, et soit systématiquement dénoncé et condamné publiquement par les autorités. »

Cette loi est ambigüe, elle conduit à associer les populations gitanes et manouches à des pratiques de mobilité qui sont majoritairement sédentarisées ou semi-sédentarisées.

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Le terme « Gens du voyage » correspond à une catégorie administrative, issue de la loi du 3 janvier 1969, qui concerne les personnes vivant plus de six mois par an en résidence mobile terrestre. Ce n’est pas tant la mobilité des personnes qui prime, que le mode de vie caractérisé par l’habitat en caravane.


I n trodu cti on

TO M E 0 1

Cependant, ce terme est aussi utilisé pour désigner une branche du peuple tsigane qui s’est implantée en Europe orientale et centrale – en Roumanie en grande majorité, mais aussi en Bulgarie et en ex-Yougoslavie – et dont une partie a émigré en Europe occidentale plus récemment : depuis la deuxième partie du XIXe siècle, puis depuis la chute des régimes communistes. Il s’ensuit, en France, un risque de confusion, car le terme « Roms » est également utilisé par les pouvoirs publics, mais pour désigner ces migrants de nationalité étrangère. Sédentarisées dans leur pays d’origine, ces populations, qui ne sont pas mobiles, n’ont pas de culture du voyage. Elles relèvent de la législation sur l’entrée et le séjour des étrangers sur le territoire français, leur situation étant différente selon qu’ils sont ou non ressortissants d’un Etat membre de l’Union européenne. Elles ne font donc pas partie des « Gens du voyage », qui sont, dans leur très grande majorité, de nationalité française.

TSIGANE

Le terme Tsigane désigne les différentes branches de ce peuple hétérogène. D’après l’Atlas des Tsiganes, Les Dessous de la question rom, de Samuel Délepine, le terme de Tsigane vient du nom Athingani, une secte connue en Asie Mineure, au XIe siècle. En Europe de l’Est, ce terme exogène (utilisé par les non-Tsiganes) a « aux yeux de beaucoup de Roms, une connotation péjorative », explique le Conseil de l’Europe. En Europe occidentale, à l’inverse, ainsi qu’en Hongrie et en Russie, il « est mieux toléré et parfois plus approprié », estime l’institution européenne. 2

— les Roms dits « Tsiganes orientaux » : Roumanie, Bulgarie, Hongrie, Slovaquie, Serbie, Kosovo… : 85% — les Sintés et Manouches « Tsiganes germaniques » : Est de la France, Allemagne, Autriche, Bohême, Nord de l’Italie : 4% — les Gitans et Kalés, « Tsiganes ibériques » : Espagne, Catalogne, Portugal… : environ 10% ROM

Le terme Rom, lui, signifie Homme en romani. Il s’agit là encore d’un terme générique, mais, cette fois, endogène, c’est-à-dire employé par les Roms. Il a été choisi en 1971 par des associations d’Europe de l’Est, comme l’Union romani internationale, promouvant la reconnaissance de l’identité et de l’histoire de ces groupes et a permis de remplacer celui de Tsigane, considéré comme péjoratif.

Mais dans plusieurs pays comme la France, l’Allemagne ou le Brésil, certains Tsiganes ne veulent pas d’une identité transnationale rom et revendiquent, au contraire, l’accès à la pleine citoyenneté de la nation qui leur donne leur identité légale.

Les dénominations Tsigane/Rom désignent donc les populations qui ont en commun une origine et la langue romani, ou du moins le souvenir de l’usage de cette langue. BOHÉMIEN

BOLIS Angela. « Petit lexique des Tsiganes, Roms, Gens du voyage ». Le Monde. 2012.

Le terme de bohémien a lui aussi longtemps été utilisé pour désigner les Roms dans leur ensemble. En France, le mot est apparu quand des familles sont arrivées, porteuses de lettres du roi de Bohême, cette région d’Europe centrale que les Roms ont longtemps sillonnée.

L’utilisation de ces différents termes est donc multiple et complexe et les diverses acceptions de chacun d’eux rendent l’identification des « Gens du voyage » malaisée. On aura donc compris que la désignation de cette population sans territoire ni résidence fixe est ambiguë parce que délicate.

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Sous ces appellations génériques, les tsiganes sont identifiés sous 3 principaux noms parmi les 10 millions de Tsiganes européens :


I n trodu cti on

Aujourd’hui en France, comment faciliter la cohabitation entre les Gens du voyage et les populations riveraines ?

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TO M E 0 1


En j eu x

TO M E 0 1

Enjeux

E N J E U X C R É AT I F S

Les enjeux créatifs seraient de repenser des principes de communication pour créer de nouveaux liens entre ces deux peuples. Repenser les signes, les formes pouvant faciliter leur intégration. ENJEUX POLITIQUES

Les enjeux politiques seraient d’interroger nos relations au territoire, ses flux, ses tensions et son organisation sociale en créant une lecture de la ville différente. C’est aussi faciliter l’implantation temporaire des peuples nomades dans l’espace public en utilisant le design graphique comme outil. ENJEUX SOCIAUX

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Quant aux enjeux sociaux, l’intérêt serait de pouvoir par le design graphique modifier l’image que le sédentaire se fait des peuples nomades. L’enjeu est de participer à l’émancipation de la parole dans la ville pour faciliter les liens entre nomades et sédentaires.


TO M E 0 1

O1

PARTI E 0 1 M O BI L I TÉ PHYS I Q UE

01.2

01.3

L E V O YA G E , COMME PRINCIPE D E C R É AT I O N

UN CRITÈRE I D E N T I TA I R E ?

UNE INVERSION DES SCHÉMAS

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Mobilité physique

01.1


TO M E 0 1

PARTI E 0 1 M O BI L I TÉ PH YS I Q UE

La mobilité est souvent la caractéristique associée à l’identité des populations nomades. Mais est-elle réellement un marqueur justifiant une construction sociale de l’altérité ? À l’origine, nous étions tous nomades et c’est par le voyage que nous nous sommes construits et avons évolué pour nous sédentariser.

L’Homme a su se déplacer pour trouver sa nourriture, mais aussi pour se protéger des intempéries, des autres tribus ou clans et des animaux sauvages, durant le Paléolithique et jusqu’au Néolithique. Les grandes civilisations nomades ont contribué à la première internationalisation des échanges : les Mongols sur la route de la soie entre la Chine et le Proche Orient, les Berbères sahariens almoravides sur la route de l’or africain vers l’Europe. Des réseaux d’échange se sont créés entre les différents villages et sur des territoires de plus en plus grands. Une nouvelle notion est apparu avec la sédentarisation progressive : la propriété. RAFFIN, Fabrice. La pensée nomade et Les nouvelles mobilités artistiques contemporaines. 2008.

« La pensée nomade est donc un principe d’inspiration qui se nourrit des découvertes successives des voyages, du mouvement continu. Cette nécessité de mouvement existe dans le processus de création. »

Jusqu’au XVIIIe siècle, l’imaginaire occidental du voyage est l’initiation par la traversée. D’ailleurs, le terme « voyage » provient du latin « via » qui désigne la « voie », le « chemin », la « route ». En 1080, Roland utilisait l’ancien français veiage avant de devenir voiage, au XIIIe siècle pour désigner les pèlerinages. Mais, à l’origine, le voyage se disait « iter » ou « itineris », d’où vient le mot français itinéraire, soit peregrinatio, utilisé pour les voyages à l’étranger, ou encore navigatio, pour les voyages en bateau. Le nom masculin pèlerin vient d’ailleurs du latin peregrinus « étranger ». Ainsi, lors de leur apparition dans les pays occidentaux, les nomades suscitaient la fascination. Certes, en raison notamment de la méconnaissance de leur origine, de la diversité de leurs langues, et des légendes entretenues autour d’eux, il existait un certain

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01.1 Le voyage, comme principe de création

L e voyag e, com m e p r i n ci p e de créa ti on


TO M E 0 1

PARTI E 0 1 M O BI L I TÉ PH YS I Q UE

L e voyag e, com m e p r i n ci p e de créa ti on

mystère. Mais associés au voyage, ils représentaient également l’ailleurs, l’ouverture au monde, un parcours initiatique, source de construction, d’évolution et de création. Lors de l’apparition des Tsiganes en Europe, aristocrates et chrétiens ne leur étaient d’ailleurs pas hostiles, bien au contraire. Ils les protégeaient, et ce pour plusieurs raisons : goût des spectacles, recherche de fantaisie, par intérêt (enrôlement dans les troupes de guerre, ou services) ou encore par charité. Les aristocrates les ont toujours soutenus, malgré la pression des pouvoirs publics, jusqu’au XIXe siècle.

MALESHERBES. Mémoires sur la librairie, Mémoire sur la liberté de la presse. Paris, Imprimerie Nationale, 1994.

« C’est à cette époque que l’expression « Gens du voyage », « voyageurs », va être utilisée dans les documents administratifs, en France, pour désigner les forains se déplaçant sur les routes pour exercer des activités de cirque, de théâtre ambulant ou de foire, et dont certains étaient tsiganes. »

De la fascination, on est passé au rejet. Le terme «Gens du voyage» prend une connotation péjorative : le voyage est devenu assimilé à l’image d’un errant oisif, ce qui va fortement ajouter aux préjugés déjà bien ancrés dans les esprits et le vocable « Gens » désigne un ensemble et représente la « négation fondamentale de l’individualisation au sein d’un groupe ethnique. » Le terme « Gens » nie la singularité de l’individu.

Le mot « voyage » désigne, depuis 1864, par métonymie la vie itinérante des forains, d’où l’expression « Gens du voyage ».

L’économie est un des principaux moteurs du mode de vie nomade. Les Gens du voyage exercent essentiellement des activités commerciales notamment sur les marchés ou les foires, artisanales, saisonnières dans l’agriculture ou encore des métiers du spectacle (musiciens, cirque, etc.). La récupération, le recyclage, le ferraillage, la réparation ou des services divers comme l’élagage, la peinture en bâtiment, le rempaillage, le cannage, etc. font aussi partie des activités professionnelles les plus courantes. Ce sont le plus souvent des travailleurs indépendants dont les activités sont presque toujours héritées de la tradition. « C’est plus fort que nous, on a tous ça dans la peau », sourit Xavier Lapere, qui a laissé tomber sa médecine en troisième année pour devenir un roi du manège. Ainsi, obligés de s’accommoder aux offres et aux besoins locaux, ils sont caractérisés non seulement par

« Dans les provinces, tout est rempli de marchands vagabonds, qui étalent des livres dans les foires, les marchés, les rues des petites villes. Ils vendent sur les grands chemins ; ils arrivent dans les châteaux et y étalent leur marchandise; en un mot, leur commerce est si public, qu’on à peine à croire qu’il ne soit pas autorisé. »

D A N I E L E PA R I O P E R R A

E C O N O M I C B O R D E R , 2005

Ce constat du nouveau regard porté par les sédentaires sur les itinérants peut être illustré par le projet de Daniele Pario Perra qui se concentre sur l’Est de la Sicile, là où commence le commerce « borderline » : les vendeurs ambulants. Ce phénomène peut être considéré comme un exemple primitif de globalisation commerciale et de communication dans ces lieux. Ces vendeurs semblent agir de façon quelque peu anarchique et exercer une activité illicite. Pourtant, ils sont gouvernés par un système de règles et d’horaires précis. Cela étant, la mobilité demeure-t-elle effectivement un critère identitaire des gens du voyage ?

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BLUM LE COAT, Jean-Yves, CATARINO Christine et QUIMINAL Catherine. Les Gens du voyage : errance et prégnance des catégories.

une grande capacité d’adaptation mais surtout par la polyvalence de leurs savoirs-faire. Or, si l’économie est un des principaux moteurs du mode de vie nomade pourtant, à partir du milieu du XIXe siècle, les Gens du voyage vont être le plus souvent suspectés quant aux origines de leurs sources de revenus. Le nomadisme est alors perçu comme synonyme de vagabondage.


PARTI E 0 1 M O BI L I TÉ PHYS I Q UE

L e voyag e, com m e p r i n ci p e de créa ti on

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TO M E 0 1

« VOLEURS U RS DE P O OULE ! » MILLOT, Ondine. « Ils nous traitaient de « sales gitans », de « voleurs de poules ». Libération. 8 Juillet 2013.


TO M E 0 1

PARTI E 0 1 M O BI L I TÉ PH YS I Q UE

Un cr i tère i den ti tai re

01.2 U n critère identitaire ?

Le nombre total des Gens du voyage en Europe est estimé entre 7 et 9 millions de personnes, dont seuls 2% sont nomades. En France, les Gens du voyage représente entre 300 000 à 450 000 individus, soit 0,6 % de la population, dont la quasi-totalité est de nationalité française. Il faut savoir aussi qu’en Europe, environ 80% des Tsiganes sont sédentarisés, 10% semi-sédentarisés et que seulement 10% de cette population vit donc encore dans un habitat mobile ou se déplace. L’habitat mobile implique une présence transitoire sur un territoire qui varie selon la durée et la fréquence des déplacements, qui alternent avec des périodes d’immobilité.

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BERGEON, Cécile. Les rapports mobilité/immobilité dans le cas de situations résidentielles spécifiques : retours et perspectives de recherche. 2013.

JAMET, Constance. Gens du voyage, Roms : des réalités bien différentes. 2013.

C’est l’analyse faite par Cécile Bergeon qui considère les « immobiles comme des acteurs de la circulation de ceux qui se déplacent. » Selon elle, la mobilité devient possible grâce à l’immobilité. Ses recherches ont en effet montré que ce sont les lieux de résidence sédentaire qui sont utilisés comme des ressources, notamment économiques. Les nomades utilisent les lieux de résidence des Gens du voyage « sédentaires ». En dispersant ainsi les membres de leur communauté, « les solidarités et les forces familiales se partagent en vue d’une meilleure emprise sur l’espace pratiqué par les familles. » Il a également été mis en évidence une certaine « stabilité résidentielle » au sein même de la mobilité. De nos jours, en France « tous les Gens du voyage ont un ancrage territorial affirmé qui s’accompagne de périodes d’itinérance, en particulier l’été », où la saison touristique bat son plein, observe Stéphane Lévêque.

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Or, les pratiques liées à l’habitat mobile sont diverses : périodes d’immobilité et de mobilité peuvent alterner, se compléter ou se superposer, un individu qui habite en habitat mobile ne sera pas forcément mobile. Ces pratiques révèlent non seulement de l’existence de liens entre mobilité et immobilité, mais aussi et surtout de l’importance du rôle des sédentaires dans la mobilité.


TO M E 0 1

PARTI E 0 1 M O BI L I TÉ PH YS I Q UE

Un cr i tère i den ti tai re

La mobilité n’empêche donc pas l’ancrage puisque les périodes d’immobilité et la stabilité résidentielle du parcours permettent aux individus de s’inscrire sur un territoire.

En tout état de cause, ces lois constituent un obstacle à la libre circulation, entrave qui a conduit les peuples nomades à l’abandon progressif de leurs activités économiques liées au mode de vie nomade et donc à la sédentarisation.

La formule «Gens du voyage sédentarisés» semble être un oxymore. Il faudrait alors remettre en cause les catégories administratives « itinérants », « semi-sédentaires », et « sédentaires », parce qu’elles ne prennent pas en considération la complémentarité entre mobilité et immobilité ?

Pour les uns, la sédentarisation est considérée comme un échec. Elle correspond à la fin d’un voyage, à l’impossibilité de maintenir des relations avec d’autres Gens du voyage qui pourraient leur permettre de se régénérer d’un point de vue culturel. Pour d’autres, elle peut représenter le signe d’une réussite. Beaucoup de Gens du voyage se sédentarisent en maintenant leur mode de vie, leurs références intellectuelles. Ils se sédentarisent, car ils disposent ainsi de capacités de stockage et de moyens de communication accrus.

C’est également la raison pour laquelle les lois Besson de mai 1990 et de juillet 2000 sur l’obligation d’accueil des Gens du voyage sont critiquables parce qu’elles nient la diversité de modalités de mobilité des Tsiganes, guidées par des considérations économiques, culturelles ou autres.

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En effet, Elles font encore une totale abstraction de leurs PROVOT, Bernard. « La loi du 31 mai 1990 : faut-il brûler l’article 28 ? », Études tsiganes (« L’urbanité en défaut »). 1996, 7, 1 : 4-9.

« attaches familiales et affectives, sociales et administratives à des lieux et des territoires auxquels ils sont parfois plus anciennement liés que des locaux, nouveaux migrants des sociétés modernes. »

En effet, la structure de base des Tsiganes est la cellule familiale. La solidarité de ses membres est essentielle. Ces attaches affectives peuvent être les lieux de naissance ou de mort de l’un d’eux. D’ailleurs, les déplacements sont souvent guidés par des évènements familiaux. Si les cellules familiales sont indépendantes, la cohésion répond à la notion de communauté.

CARRÈRE, Violaine, DAADOUCH, Christophe. « D’autres frontières ». Les Gens du voyage en mobilité surveillée. Septembre 2000.

« Entre le désir de l’État de les voir s’installer et celui des élus locaux et d’une grande partie de la population de les voir circuler, les Gens du voyage sont dans une situation paradoxale : il leur est imposé de se sédentariser sans que personne ne souhaite qu’ils puissent le faire. »

Si donc la mobilité à elle seule ne semble plus être une caractéristique spécifique aux Gens du voyage, dans un contexte de réduction des distances spatiales par les technologies du déplacement et de l’information, on assiste au contraire à une évolution contraire du mode de vie des sédentaires.

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Cette sédentarisation est une conséquence de la politique multiséculaire de rejet de la part des sociétés sédentaires elles-mêmes. La sédentarisation apparaît alors comme la seule manière de se maintenir sur un territoire.

Elles occultent également la diversité de leur habitat (allant de la maison individuelle au terrain vague, en passant par les HLM), tout comme celle de leurs activités qui nécessitent plus ou moins de déplacements.


TO M E 0 1

PARTI E 0 1 MO BI L I TÉ PH YS I Q UE

Aujourd’hui, les villes semblent moins façonnées par l’architecture que par la prolifération d’une culture basée sur la vitesse et le déplacement. VIRILIO, Paul. « Le sédentaire est désormais partout chez lui », Le Monde, 15 décembre 2008.

« Alors que la victoire du sédentaire sur le nomade est fondatrice de la plupart des cultures, nous assistons aujourd’hui à une inversion. Désormais, le sédentaire est celui qui, très mobile, est partout chez lui – grâce au téléphone mobile, à l’ordinateur portable. Le nomade est celui qui n’est nulle part chez lui, bien souvent bloqué dans un de ces camps de réfugiés qui forment un nouvel « exurbanisme », en remplacement du « suburbanisme » des périphéries de l’ère industrielle. Cet âge de la mobilité et de l’instantanéité crée une villemonde mouvante, une « omnipolis » [...] La disparition de la sédentarité va bouleverser les villes. Les lieux qui vont devenir importants sont les pôles de transfert de charge, d’interconnexion. Les gares, les aéroports, les ports vont changer de statut, devenir les véritables centres de ce que j’appelle l’outre-ville, réseau urbain mondial ultraconnecté, fondé sur le temps réel et le mouvement, et non plus sur l’enracinement ».

BEGOUT, Bruce. Lieu Commun : Le Motel Américain. Allia, 2003.

« Sens de la débrouille, goût de la nouveauté, capacité de changement » 2 sont aujourd’hui des qualités associées aux nomades urbains. Le territoire ne cloisonne plus l’activité humaine sur un espace préalablement délimité. C’est cette mobilité et cette facilité d’adaptation qui permet de créer plus facilement la rencontre dans de nouveaux espaces indéfinis et ouverts. Le mode de vie sédentaire a d’ailleurs évolué vers la mobilité pour tendre vers une économie de moyen qui nous permettrait une liberté de mouvement. Le niveau de vie peut d’ailleurs dépendre de cette capacité à tout quitter. « La valeur d’un homme se juge plus en fonction de ce qu’il peut abandonner que de ce qu’il possède. » 2

MAFFESOLI, Michel. Du Nomadisme,. Vagabondages initiatiques. Éditions Le livre de Poche, 1997.

« L’économie des moyens pourrait consister à alléger son existence non pas à partir d’un dogmatisme de la pauvreté mais bien pour faire l’économie de tous les faux poids ne permettant plus la mobilité propre à la nature humaine. » 3

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Cette ville-monde, comme la nomme Paul Virilio, deviendrait à terme « une mégapole de camps de réfugiés » pour les exclus de « l’outre-ville ».

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01.3 U ne inversion des schémas

Un e i n vers i on des s ch ém a s


TO M E 0 1

PARTI E 0 1 MO BI L I TÉ PH YS I Q UE

Ainsi, alors que les nomades tendent de plus en plus à se sédentariser, le mode de vie des sédentaires semble au contraire s’apparenter à celui des nomades. Ce mouvement, favorisé par les nouvelles technologies, répond toutefois à une nécessité économique, plus qu’à un véritable état d’esprit, alors que pour les nomades, c’est donc moins le voyage que la capacité au voyage qui est un critère identitaire. Dès lors, n’est-ce pas donc plutôt la « pensée nomade » qui constitue un véritable critère identitaire ?

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Un e i n vers i on des s ch ém a s

1

V E R O N I K A Z A P L E TA L O VA

C H ATA S T V I ,

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MATHIAS JUD & CHRISTOPH WACHTER H Ô T E L G E L E M , 2011

CENTRE POMPIDOU MOBILE

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L e projet Chatastvi (maisons de vacances) se concentre sur la créativité du chata (chalet) tchèque : des centaines de milliers de petits pavillons d’été, à la périphérie des villes, improvisées et construits par leur propriétaires, et ce depuis les années 1920. Les constructeurs ont su transformer leur rêve commun en réalité. Chaque construction a sa propre identité et représente une échappatoire à la réalité quotidienne et aux formes rigides des maisons. Ces chatastvi ne sont pas des abris d’urgence mais bien une représentation architecturale du bonheur de l’homme. La centaine des structures présentées montre bien les changements de la société et les rêves humains enfouis. Il s’agit là d’une sorte de « bricolage maison » qui montre le romantisme des promeneurs tchèques ainsi que la relation de ces hommes avec leur terre natale, la relative absence de religion (christiannisme) et leur passion de la nature, de la liberté et du sens de la communauté.

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Le design est aussi un des secteurs qui s’inspire des valeurs nomades dont, ici, l’objectif était le rayonnement de la culture dans l’Hexagone et la démocratisation de l’accès à l’art hors des grands circuits urbains classiques et des chemins privilégiés de l’intelligentsia. Comment s’adapter à d’autres publics sortis de l’enceinte de l’institution ? Le Centre Pompidou Mobile a été conçu comme un module nomade qui présente, en accès gratuit, sous des toiles de tente design, une quinzaine de chefs-d’œuvre de l’art moderne et contemporain dans des villes moyennes.

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En France, la majorité d’entre nous recherche désormais l’exotisme et l’aventure pendant les vacances. Face à cette évolution, Hôtel Gelem a voulu rappeler la dure réalité des gens confrontés à des conditions de vie précaires, qui doivent faire face aux contraintes liées à la mobilité et à l’improvisation en permanence. Hôtel Gelem invite à participer à des situations de vie grossières et à former de nouveaux types d’échanges, ainsi qu’à présenter et à prendre en considération des phénomènes qui n’auraient « plus jamais » dû se reproduire depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Hôtel Gelem propose des endroits où se rencontrent transfiguration romantique et persécutions racistes, et franchit chaque nouveau mur à travers l’Europe, qui dramatiquement, a été divisée par notre société.

Le mode de vie des sédentaires et leurs désirs évoluent. Les Chatastvi reflètent une vision de l’habitat « idéal » qui change, dont la conception est pensée d’une façon des plus minimalistes.

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2005

2


TO M E 0 1

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PARTI E 0 2 EX C E N TRI C I TÉ S O C I ALE

02.2

02.3

UNE CULTURE DES MARGES

DES PRÉJUGÉS À LA S T I G M AT I S AT I O N LÉGALE

ENTRE CONFLIT E T A C C E P TAT I O N

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Excentricité sociale

02.1


TO M E 0 1

PARTI E 0 2 EX C EN TRI C I TÉ S O C I ALE

02.1 U ne culture des marges

Un e cu l tu re des m a rg es

La population nomade se place en effet elle-même dans une posture extérieure, en affirmant sa volonté de ne pas accepter l’ordre établi. L’excentricité sociale n’est-elle donc pas plutôt un critère identitaire des Gens du voyage ? La mobilité est un moyen de fuir les normes sociétales pour expérimenter ses propres règles. Il s’agit de préserver par le mouvement, des espaces/temps dégagés des contraintes sociétales pour créer d’autres organisations, expérimenter d’autres valeurs. Cette posture à l’écart est donc une volonté d’expérimentation de vie. Une recherche identitaire qui ne soit pas orientée par des valeurs ou des normes imposées. Elle participe tant à un mode de vie qu’à la construction de soi. LA PENSÉE NOMADE

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Il y a dans cette excentricité spatiale une mise à l’écart simultanée des centres de décision politique, du pouvoir politique urbain. La posture du nomade est toujours une vision à l’écart, une posture de « recul », concernée par la vie sociale mais vue de dehors. Cette logique d’extériorité est avant tout une pensée de la contestation. RAFFIN, Fabrice. La pensée nomade et les nouvelles mobilités artistiques contemporaines. 2008.

« L’excentricité spatiale est aussi une excentricité politique [...]. Se dotant de son rapport particulier au territoire, ce nomadisme interroge les systèmes d’acteurs locaux, l’ordre local établi. S’il n’est pas toujours dans une logique critique, le simple fait d’être élément extérieur trouble le jeu local, provoque l’interrogation, le dérangement parfois. »

Elle n’est pas en « opposition de principe » à l’institution, mais elle suit sa propre force, sa propre logique, son propre savoir-faire et a un rapport particulier au territoire. Le nomadisme n’est pas seulement un mode de mobilité physique, selon la lecture que Deleuze

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La pensée nomade se développe excentriquement. C’est bien par le mouvement, la mobilité, que la pensée nomade tente de produire un autre point de vue, une forme d’interrogation particulière sur le monde, souvent critique sur le monde, une vision mise en forme par et dans le mouvement.


PARTI E 0 2 EX C EN TRI C I TÉ S O C I ALE

TO M E 0 1

MADEIRA, Angélica. L’ itinérance des artistes et la constitution du champ des arts à Brasília. Editions Université de Brasilia, 1958 – 2005.

RAFFIN, Fabrice. La pensée nomade et les nouvelles mobilités artistiques contemporaines. 2008.

fait de Nietzche, « il est une forme de pensée qui suit une ligne de fuite qui ne se laisse pas prendre dans les mailles des forces institutionnelles. » « Au XIXe siècle, la pensée nomade est une posture fondée sur une défiance des pouvoirs et moeurs d’une époque, « une machine de guerre », qui n’implique pas le déplacement, l’échange ou la confrontation directe. Elle apparait plus comme un mode d’opposition au « monde bourgeois », à l’académisme, à l’Etat, qu’un nomadisme physique ou un « mouvement social » au sens strict. »

L’accès au droit de vote des Gens du voyage était d’ailleurs révélateur. Jusqu’à peu, il leur était exigé un rattachement à une commune ininterrompu de trois ans, alors que pour les autres Français, il n’était que de six mois.

NOMADISME ET CITOYENNETÉ

Même si la mobilité ne semble plus être un critère en elle-même, il faut toutefois continuer à considérer la culture des Gens du voyage à la lumière d’une existence nomade qui est caractérisée par la notion de clan qui constitue la base de la société nomade, l’absence d’obligation dans le temps et dans l’espace, la faculté de s’adapter à toute situation, quelles que soient les relations sociales qu’ils sont amenés à côtoyer. En effet, les nomades demeurent excentrés par rapport à la société, mais avec la prépondérance d’une vie communautaire. En effet, la base de leur structure sociale est la cellule familiale. La notion de clan est fondamentale. Chaque membre est solidaire, participe à la communauté et en bénéficie. La force est dans la solidarité. La position des femmes est doublement marginalisée car, appartenant à la communauté des Gens du voyage, elles y sont aussi des femmes à l’intérieur de ce groupe. Or, l’image de la femme dans la société tsigane est liée à l’identité collective du groupe. Un exemple serait la necessité de conserver sa virginité avant le mariage, dans les communautés gitanes. Les jeunes femmes sont donc très protégées vis-à-vis de l’extérieur. La notion de clan place un groupe uni face à la société des citoyens. C’est pourquoi Reyniers voit une distinction fondamentale entre « nous » (les Gens du Voyage) et « eux » (les citoyens). Cette distinction est quelque chose qui relève surtout de la sensibilité mais qui est très profondément ancré. Il en résulte une attitude de rejet réciproque entre les habitants en caravanes et la société environnante. Mais, la méfiance fondamentale de la population nomade à l’égard de l’ensemble des citoyens est liée à sa volonté de conserver sa culture et de préserver ses traditions. Par exemple, le rituel du mariage se fait toujours très jeune, pour « ne pas casser la race ».

ESCHER

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L’existence nomade implique une absence d’obligation dans le temps et dans l’espace. Les habitants en caravane sont dans un présent perpétuel. C’est la raison pour laquelle ils s’opposent aux schémas traditionnels et à tout cloisonnement : maison, travail, école… les carcans des schémas de la société citoyenne. D’où la difficulté d’être considéré comme citoyen, du latin « civis » qui renvoie au « citoyen qui habite la cité » lorsqu’on est de culture nomade.

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Sur le plan religieux, ils sont croyants mais ne sont pas pour autant rattachés à une structure religieuse. Ils pratiquent des rituels pour implorer Dieu ou conjurer le Mal. En ce qui concerne la scolarité, beaucoup de jeunes Gens du voyage quittent l’école après la fin de la primaire s’ils ne prennent pas déjà des cours par correspondance, au Centre national d’enseignement à distance (CNED). Aujourd’hui, 120 enfants du voyage sont inscrits au CNED, un service gratuit pour les familles itinérantes.

Il existe aussi une confrontation au niveau de la communication, entre le monde tsigane, qui privilégie l’oralité, et le monde des gadjé, qui correspond à un monde de l’écriture. L’univers administratif, très liés à l’écriture, en a conduit certains vers la scolarisation primaire, mais la scolarisation secondaire présente moins d’intérêt. Ils privilégient la liberté et préfèrent les apprentissages familiaux basés sur l’imitation des aînés et qui s’effectuent en situation réelle et concrète. Si les filles apprennent leur futur rôle de mère, dès l’enfance, en s’occupant des plus jeunes et en effectuant des tâches ménagères, les garçons accompagnent leurs aînés dans toutes leurs activités (négoce, mécanique, rempaillage...) auxquelles ils prennent peu à peu une part active. Des mesures ont quand même été prises pour pallier à ce problème, notamment un camion école, appelé «antenne scolaire mobile», dont le premier à commencer à circuler en 1992 à l’initiative de l’enseignement catholique. À l’heure actuelle, une trentaine d’antennes scolaires mobiles» coordonnée par l’académie, circulent en

SOULÉ, Véronique. « L’école, belle comme un camion ». Libération. 2013.

«Je réalise un rêve. Dans mes classes, j’ai souvent eu affaire à des enfants du voyage. Et j’en voyais qui quittaient l’école sans savoir lire et écrire. L’éducation est un droit pour tous. Pourquoi en seraientils exclus ? Ces camions ont permis des progrès fabuleux.»

Pour Adolphe, chef de famille de 54 ans, qui vend du linge de maison après avoir fait plusieurs métiers explique que « Pour nous, l’école, c’est pouvoir s’éduquer mais aussi continuer sa vie de voyageur, préserver notre mode de vie et nos valeurs, la nature, le respect des anciens, les métiers traditionnels. Il faudrait plus de camions écoles. Mais à quoi bon un CAP alors qu’avec un bac + 5 des gens cherchent du travail ? Nous, nous croyons en l’école de la vie. »

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Cependant, les Gens du voyage considèrent l’école avec méfiance, craignant que leurs enfants soient influencés et perdent leur culture en fréquendant des « gadjés ». C’est une institution totalement contraire à la flexibilité auxquels ils sont attachés, tout comme l’admission de l’autorité ne fait pas partie de leur culture.

France. Les enseignants qui y travaillent sont souvent rattachés à un établissement catholique sous contrat et sont, à ce titre, rétribués par l’Éducation nationale. L’idée n’est plus celle de base, remplacer l’enseignement par ce camion école mais plutôt d’inciter à aller à l’école, explique Cyrille Schiltz, chargé de mission départementale et académique pour la scolarisation des enfants du voyage.Marie-Christine Savourat, enseignante des écoles depuis 1984, elle « tourne » depuis deux ans.


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Cette identité culturelle, les Gens du voyage cherchent à la manifester. C’est ainsi qu’un drapeau Rom a été créé en 1971 par l’URI (Union Rom Internationale), pour représenter les Tsiganes au niveau international.

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DRAPEAU ROM

DRAPEAU DE L’INDE

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LE DRAPEAU ROM

— La roue à 16 rayons, symbolise celle des caravanes qui leur permet le voyage. On peut d’ailleurs noter la ressemblance, évidente, entre le drapeau rom et le drapeau de l’Inde, avec la référence au Chakra d’Ashoka qui tourne représente la roue éternelle de la loi. Leurs origines indiennes, vers le Rajasthan, l’Inde actuelle y sont donc symbolisées. — La couleur bleue symbolise le ciel, la liberté, les valeurs spirituelles tsiganes. — La couleur verte, hymne à la nature, au progrès, à la fertilité, aux valeurs matérielles.

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BOLIS, Angela. « Petit lexique des Tsiganes, Roms, Gens du voyage ». Le Monde. 2014.

Bien qu’il n’ait pas de caractère officiel et ait été choisi par un groupe culturel, historique, linguistique, religieux ou tout cela à la fois, communément appelé « ethnie », ce drapeau a pour principale originalité de représenter un peuple et non un pays, c’est-à-dire un État situé géographiquement et exactement par des frontières officielles. Si aucun drapeau ethnique n’a de statut officiel, tous sont utilisés de facto là où ils sont tolérés. On peut se demander quelle importance peut avoir un drapeau pour des Gens sans territoire fixe ? Les signes visuels, immatériels, ont-ils la même force qu’un territoire comme symbole identitaire ? N’y a-t-il pas par la création du drapeau rom la revendication d’une volonté d’excentricité et de posture à l’écart ? Selon la Fédération nationale des associations solidaires d’action avec les Tsiganes, « la quasi totalité des Gens du voyage sont de citoyenneté française. Leur nombre est estimé autour de 400 000 personnes. ». Pourtant, ils sont rarement traités comme tels à cause des préjugés.

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La volonté d’une posture à l’écart est donc un critère fort d’identité des Gens du voyage. Cela étant, on ne peut nier que cette population a été rejetée par les sédentaires, voire persécutée et en tout cas exclue du fait des préjugés, des lois discriminatoires et de la pression des pouvoirs publics.


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M AT H I E U P E R N O T P H O T O M AT O N S , 1995-1997

P H O T O G R A P H I E S D E TAT O U A G E S A P PA R T E N A N T À DES PERSONNES DE LA COMMUNAUTÉ D E S G E N S D U V O YA G E

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L’école de la vie, c’est aussi l’absence de carcans et de conformisme. Cette série de photomathons, réalisée entre 1995 et 1997 avec des enfants tsiganes est évocatrice. Il y a un contraste évident entre la rigueur du dispositif - calibrage de la distance, uniformisation de la lumière et du fond, contrainte du corps avec les postures de ces enfants. On s’attend, devant ce dispositif normatif et identitaire, à l’attitude figée que l’on adopte conventionnellement. Le visage des enfants semble vouloir résister en affirmant la singularité de leur personnalité et de leur mode d’apparition photographique.

La revendication de leur culture se trouve aussi dans leurs tatouages. Le corps devient alors le support de symboles identitaires, dévoilés fièrement aux yeux de tous. Leurs signification soulignent leur appartenance à la communauté des Gens du voyage. La caravane, représentation de leur habitat spécifique, ou le hérisson, tradition culinaire chez les Voyageurs.

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C’est de la perception que se font les sédentaires du mode de vie des Tsiganes que se sont construits des stéréotypes à partir des éléments caractéristiques des Tsiganes : le nomadisme et leur volonté délibérée de ne pas s’inscrire dans un système préétabli. Ces clichés vont faire que les Tsiganes vont être considérés comme des êtres oisifs, assimilés à des êtres nocifs qui ne s’intègrent, ni ne contribuent au système économique mis en place. Ces préjugés vont conduire à une stigmatisation légale basée sur l’idée que les Tsiganes, bien plus que se situer en dehors de la société et ne pouvant donc être considérés comme des citoyens à part entière, sont des êtres antisociaux. Cette stigmatisation légale va elle-même fonder des politiques de discrimination et d’exclusion. Les premières mesures coercitives sont apparues en Europe au XVe siècle (en 1471 en Suisse, en 1498 en Allemagne et en 1499 en Espagne). Les Bohémiens, assimilés aux vagabonds, vont faire l’objet de mesures de rétorsion. Ces individus apparaissant comme perturbateurs vont alors être bannis. En France, la législation « anti-nomade » est apparue en 1539. À partir de 1682, les contrôles de police vont devenir de plus en plus efficaces et la répression ne va cesser de s’accroître. Ainsi, au XVIIIe siècle, les Tsiganes vont être refoulés aux frontières (Alsace-Lorraine, pays Basque, Roussillon). Au XIXe siècle, on peut parler d’une véritable persécution. Les accusations (mendiants, voleurs …) et arrestations se multiplient et la politique de criminalisation se développe. Au nom de la sécurité publique, les interdictions de stationnement des roulottes dans certaines communes sont alors de plus en plus nombreuses, tout comme les mesures d’expulsion prises par les maires ou préfets à l’encontre de ces êtres dangereux pour l’ordre social. Cette politique répressive, appliquée par les représentants de l’Etat, est encouragée par le Ministère de l’Intérieur dans une circulaire en date du 19 novembre 1864 dont l’intitulé est significatif :

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02.2 Des préjugés à la stigmatisation légale

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ASSÉO, Henriette. Les Tsiganes, une destinée européenne. Découvertes Gallimard, 1994.

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« au sujet des vagabonds étrangers connus sous la dénomination de Bohémiens », le but étant de les disperser, par tous moyens. Le risque de trouble à l’ordre public, fondé sur une méconnaissance d’une population au mode de vie différent, et par là-même la peur qu’il génère, sont délibérément entretenus par l’Etat. Ainsi, le Ministère de l’Intérieur en 1895 a procédé à un recensement sur le territoire français de « quatre cent mille vagabonds et vingt-cinq mille nomades en bande voyageant en roulotte ».

HOLOCAUSTE DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE

Dès 1933, ils sont internés dans des camps, bien avant les autres victimes du nazisme. En 1937, ils sont transférés dans des camps de concentration à titre punitif et de 1937 à 1944, Robert Ritter effectue des travaux généalogique et anthropologiques ce qui permet de recenser près de trente mille Tsiganes allemands dont il préconise la stérilisation. Pendant la guerre, des rafles massives auront lieu à travers tout le Reich. Nombreux sont ceux qui sont déportés dans le camp d’extermination d’Auschwitz, quelque soit leur «degré de métissage», en 1943. Ce sont des familles entières qui ont été massacrées en vue d’un élimination radicale de tout un peuple. En France, avant même le début de la guerre, les Tsiganes ont été internés par l’administration française pour contrôler ces populations itinérantes.

Les autorités de Vichy intensifièrent les mesures restrictives à l’encontre des Tsiganes à partir de 1940 et de l’établissement du régime collaborationniste. En 1941 et 1942, l’administration allemande délègue à la police française l’internement de près de 3000 et peut-etre jusqu’à 6000 Tsiganes qui résidaient dans la zone occupée mais aussi dans la zone libre. Ils ne seront libérés qu’en 1946, après la fin de la guerre. Beaucoup de familles se sont alors sédentarités après guerre, soit en se fondant dans la population, soit dans une grande précarité. Selon United States Holocaust Memorial Museum, Washington, DC, les historiens estiment que les Allemands et leurs alliés auraient exterminé environ 25% des Tsiganes européens soit 220 000 Tsiganes sur un peu moins d’un million de Tsiganes vivant en Europe avant la guerre. Si après une politique d’exclusion de la population nomade présentée comme dangereuse déjà très violente dès le XVe siècle a abouti à un génocide dramatique, c’est par le carnet anthropométrique créé en 1912 qu’ils ont pu être rencensé.

CARNET ANTHROPOMÉTRIQUE

La première loi discriminatoire, adoptée le 16 juillet 1912, utilise le terme de « nomade » pour stigmatiser, sans la nommer, une population ethnique spécifique, et la distinguer des autres voyageurs. Elle institue un carnet anthropométique pour les nomades afin de faciliter leur identification et renforcer les contrôles policiers à leur encontre. Ces carnets anthropométriques d’identité imposés aux populations « nomades » comportent des renseignements très précis sur les individus : nom, photo de face et de profil, empreintes digitales, mesure du corps, de la tête et de l’iris, état civil, généalogie, profession, etc.

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Au nom de la race pure, dans les années 1930, les nazis ont pourchassé les Tsiganes, considérés comme asociaux par leur mode de vie, constituant une race hybride, mélange de sangs inférieurs, une population dangereuse car discéminée, sur le fondement de la « nouvelle science allemande ».

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Le témoignage de l’existence de ces carnets fait réfléchir à l’incidence qu’ils ont eue sur la vie des « nomades ». Au-delà de ces informations servant à l’identification des personnes, de 1912 à 1969, les « nomades » devaient faire viser leurs carnets par l’administration toutes les 48h. L’autre aspect particulièrement contraignant des carnets anthropométriques était le fait qu’ils soient collectifs. Les familles, par ce statut, étaient maintenues à part du reste de la société.

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« C A M P D E C O N C E N T R AT I O N D E N O M A D E S » D E M O N T R E U I L - B E L L AY , 23 JANVIER 1943. TA M P O N D U

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CARNET ANTHROPOMÉTRIQUE

M AT H I E U P E R N O T UN CAMP POUR LES BOHÉMIENS, 1998-1999

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Les populations nomades ne jouissent donc pas, devant la loi, du même régime que celui des autres citoyens et se trouvent ainsi soumis à des règles plus strictes, uniquement de par la spécificité de leur mode de vie. Ce document destiné à les contrôler et à les recenser a finalement permis aux nazis de les identifier pour les interner dans des camps de concentration.

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Mathieu Pernot a découvert l’existence d’un fond de photographies anthropométriques d’anciens internés d’un camp de concentration. Ce camp, situé en Camargue, était destiné à l’internement des Tsiganes et devait servir de propagande au gouvernement de Vichy. Le travail de l’auteur a consisté à retrouver les survivants, puis à tenter de retracer l’histoire de ce camp, en confrontant les sources administratives à la mémoire vivante des anciens internés. Le projet associe ainsi la mémoire vivante aux documents d’archive et interroge l’acte de restituer l’histoire de ceux qui ne l’inscrivent pas.


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BOURDELEIX, Gilles, député-maire de Cholet. Un député UDI à propos des gens du voyage : «Hitler n’en a peut-être pas tué assez». Le Monde. 22 Juillet 2013.

« HITLER N N’EN ’ EN A PEUT-ÊTRE P PAS AS TTUÉ UÉ ASSEZ. ASSE »


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L E S T I T R E S D E C I R C U L AT I O N

Le carnet anthropométrique va être ensuite supprimé, mais la loi du 3 janvier 1969 va le remplacer par des titres de circulation et la notion de « commune de rattachement », reprise par les lois de 1985 et de 1990.

Ces différents titres de circulation distinguent parmi les personnes « sans domicile ni résidence fixes », celles qui exerçent une activité ambulante » (auxquelles sont attribués des livrets spéciaux de circulation), celles logeant en permanence dans un véhicule, une remorque, un abri mobile » et enfin celles qui de surcroît n’ayant pas de ressources régulières leur assurant des conditions normales d’existence, notamment par l’exercice d’une activité salariée » (auxquelles sont attribués des carnets de circulation). C’est cette dernière catégorie qui est soumise le plus à la suspicion. En effet, l’énoncé même de la loi désigne cette population comme n’ayant pas de conditions « normales » d’existence. Ce livret de circulation n’était ni un passeport, ni une carte d’identité et ne permettait pas de franchir les frontières de France. Ce document reproduisait le signalement de leur titulaire et comportait l’ensemble des indications qui figurent sur la carte nationale d’identité ainsi que l’indication de la commune de rattachement et celle de la profession ou de l’activité exercées.

Le Conseil constitutionnel a finalement jugé le 5 octobre 2012 que cette différence de traitement était contraire à la Constitution et carnet de circulation et peine de prison ont été supprimés. Ce n’est que le 27 mai 2015 que le livret de circulation a également été supprimé. Si donc les préjugés nés autour de la population nomade sont venus fonder la législation applicable à cette population, celle-ci a elle-même longtemps contribué à l’exclusion de cette population. Mais cette hostilité n’a pas toujours existé. Les diverses légendes entourant l’origine des Tsiganes ont d’abord suscité la fascination. Il ne faut pas non plus négliger les relations ayant existé avec les Tsiganes lors de leur apparition en Europe.

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Certes, la règlementation a été moins contraignante, mais il n’en demeure pas moins que les Gens du voyage ont continué à être victimes d’une stigmatisation légale. En effet, toute personne de plus de 16 ans circulant en France plus de six mois est contrainte de demander un rattachement à la commune. Elle décide de la commune « à laquelle elle souhaite être rattachée » mais c’est seulement sur avis du maire et dans les limites d’un quota de 3% de la population municipale recensée que le préfet accorde ou non ce rattachement. En cas de refus, le voyageur doit demander une autre commune.

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PERSONNES

CEUX QUI DISPOSENT

CEUX QUI NE

EXERCANT

DE RESSOURCES

D I S P O S E N T PA S

UNE ACTIVITÉ

RÉGULIÈRES

DE RESSOURCES

( SALARIÉS ,

AMBULANTE

RETRAITÉS,

CHÔMEURS)

LIVRET SPÉCIAL

LIVRET

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CARNET FORAIN

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Catégorie la plus « noble ». Les livrets spéciaux ne sont pas soumis à un visa.

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CARNET VERT

Catégorie « intermédiaire ». Ils sont soumis à un visa annuel.

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CARNET

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D E C I R C U L AT I O N

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CARNET NOMADE

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Catégorie la plus « basse ». Ils sont soumis à un visa trimestriel. Circuler sans titre est un délit.


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«IL NE FAUT RIEN LEUR ACHETER, RIEN LEUR VENDRE. JE NE DISCUTE PAS AVEC EUX. SI JE LE FAIS, C ’EST AVEC LE BOUT DE MON FUSIL.» UN AUBERGISTE RIVERAIN, DE NEVOY

GENDRON, Guillaume. Gens du voyage : à Nevoy, oublier les affronts. Libération. 26 Aôut 2013.

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02.3 Entre conflit et acceptation

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L ’ I M P O R TA N C E D E L E U R PA R T I C I PAT I O N À L ’ É C O N O M I E

Je me suis fait très mal voir de la foule en leur donnant quelques sols. Et j’ai entendu de jolis mots à la Prudhomme.

Si lors de l’apparition des Tsiganes en Europe, aristocrates et chrétiens les ont bien accueillis, le Clergé n’a par contre pas adopté une position uniforme, variable selon les pays. Ainsi, en France, certaines paroisses ont continué à considérer les Tsiganes comme des pénitents qu’il faut assister dans leur pèlerinage, tandis que d’autres sont passées de la protection à la dénonciation, alors qu’en Espagne, le Clergé s’est longtemps opposé à l’application des mesures contre les Tsiganes, et ce jusqu’à la « grande rafle des Gitans » en 1749, où dix mille Gitans vont être emprisonnés pour plusieurs années, car sédentarisés depuis le XVIe siècle, ont suscité des jalousies sociales par leur prospérité matérielle.

Cette haine-là tient à quelque chose de très profond et de complexe. On la retrouve chez tous les Gens d’ordre. C’est la haine qu’on porte au Bédouin, à l’hérétique, au philosophe, au solitaire, au poète. Et il y a de la peur dans cette haine. Moi qui suis toujours pour les minorités, elle m’exaspère. Du jour où je ne serai plus indigné, je tomberai à plat, comme une poupée à qui on retire son bâton.

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Mais avec la production de masse, les échanges sont devenus de plus en plus restreints et la marginalisation des Tsiganes semble coïncider avec la perte de la complémentarité et de la nécessité de leurs activités, lesquelles deviennent de plus en plus limitées (réparation de pneus, cueillette de fruits). FLAUBERT, Gustave. Lettre à George Sand, Correspondance de Gustave Flaubert. 12 juin 1867. Édition de la Pléiade, tome 5 : 653-654.

Je me suis pâmé, il y a huit jours, devant un campement de Bohémiens qui s’étaient établis à Rouen. Voilà la troisième fois que j’en vois. Et toujours avec un nouveau plaisir. L’admirable, c’est qu’ils excitaient la haine des bourgeois, bien qu’inoffensifs comme des moutons.

La participation des Tsiganes à l’économie n’apparait donc pas neutre dans la position d’acceptation ou de rejet. C’est l’interprétation que semblent faire Alain Reyniers et de Vaux de Foletier. Dès lors que leur contribution à l’économie locale est négligeable, les préjugés reprennent le dessus : VICENTE, Manuela. « Regards sur une population gitane : témoignage et réflexions à propos d’une observation sur le repeuplement des communes rurales », Journal des anthropologues. 1995, 59 (« Les territoires de l’altérité ») : 49-63.

« Dans l’imaginaire social, les Gitans représentent la figure d’un être sans racines et “asocial” inclassable dans les stratifications sociales. »

Les Gitans semblent donc maintenant invisibles aux yeux des non-Tsiganes. On peut toutefois se demander si cette invisibilité, indissociable de la marginalisation de cette population, ne provient-elle pas des Tsiganes eux-mêmes. L’invisibilité des Tsiganes n’est-elle pas une stratégie pour perpétuer leur propre culture ?

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L’attitude des paysans a également fluctué entre acceptation et rejet. Certains ont cédé à l’influence de la pression étatique, d’autres ont accordé leur hospitalité aux Tsiganes en raison des produits manufacturés qu’ils apportaient, des métiers traditionnels, et de leur contribution aux divertissements (fêtes foraines, cirques).


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U N E S T R AT É G I E D ’ I N V I S I B I L I T É

accéder à la propriété et rester en famille, tout en s’insérant dans l’environnement. Ils ont ainsi préservé leur structure sociale par leur façon d’occuper l’espace urbain. Parallèlement, ils ont voulu concilier l’affirmation de leur identité collective avec leur insertion dans l’environnement. L’évolution de leur mobilité relève aussi de cette volonté d’adaptation. L’évolution de leur organisation territoriale leur a permis de construire des relations certaines avec les non-Roms.

L’étude des Roms de Montreuil dans l’espace urbain a permis de mettre en évidence non seulement cette « stratégie d’invisibilité » destinée à affirmer leur identité collective, mais également la construction de relations fortes avec les autres. Les Tsiganes ont une structure communautaire, et occulter leur identité ethnique aux non-Tsiganes n’est pas en contradiction avec cette organisation sociale, ce peut être un moyen pour eux de préserver leur univers culturel.

BARTHÉLÉMY TOGUO

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H I D D E N FA C E S

Insister sur cette notion d’univers culturel propre a toutefois un risque que souligne Williams lui-même. VICENTE, Manuela. « Regards sur une population gitane : témoignage et réflexions à propos d’une observation sur le repeuplement des communes rurales », Journal des anthropologues. 1995, 59 (« Les territoires de l’altérité ») : 49-63.

« Si nous insistons sur la spécificité des attitudes, nous risquons de faire apparaître leurs différences comme un exotisme ou un archaïsme, de les faire passer pour des gens d’ailleurs, manquant ainsi de montrer que le monde qu’ils affrontent est aussi le nôtre. »

Les Roms se sont installés à Montreuil pour plusieurs raisons comme la présence d’autres Roms déjà installés dans cette commune, l’existence d’espaces non bâtis disponibles, la politique d’accueil de cette commune communiste, la possibilité d’y exercer leurs activités. Tout en conservant leur mode de vie, ils se sont adaptés à la vie des sédentaires en réduisant la longueur de leurs déplacements. Ils ont perpétué la notion de communauté, en refusant de s’installer dans des logements sociaux, préférant

« Visages cachés », dit le titre. L’être humain est souvent double, constate Barthélémy Toguo, difficile à décrypter. Pour sa deuxième exposition à la Galerie Lelong, l’artiste couvre les murs de dessins et le sol de tapis tressés par des femmes bamiléké du Cameroun, afin de créer un lieu de rencontre favorable à la causerie, à la palabre. La série de portraits photographiques Stand Up and Walk !, pris sur le chantier de Bandjoun Station, est un hommage aux travailleurs menant une double vie pour assurer leur survie. Amené à cacher son visage, l’ouvrier qui change d’identité fuit avec ses bagages, se dissimule pour franchir la ligne, la frontière.

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Cette absence d’identification ethnique, ainsi que leur dispersion et leur liberté de mouvement font qu’ils échappent à toute emprise et peuvent ainsi protéger leur propre culture. Ils continuent d’organiser leurs activités entre eux mais, dans leurs rapports avec les autres, ils se présentent comme des artisans sédentarisés pour travailler et échanger avec eux. C’est ce double aspect sur lequel s’est penché Williams à l’occasion de recherches sur l’occupation des Roms de Montreuil pour considérer que cette « stratégie d’invisibilité »1 est de leur fait.


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«JE REFAIS LA MAISON DE L’ADJOINT AU MAIRE DE MA VILLE. S’IL APPREND QUE J E SUIS GITAN, C’EST FINI POUR MOI.» E LY S É E , A R T I S A N D A N S L E B ÂT I M E N T P R È S D E PA R I S

En tre con f l i t et a ccep tati on

D’ailleurs, certains mots romani ont été intégrés dans l’argot français. L’argot français compterait en effet près d’une centaine de mots d’origine romani ou manouche. Quelques termes vivants d’origine romani, issus de dialectes vlach (le romani a été doté d’un alphabet, standardisé et décrété langue officielle par le Comité International Rom, qui a un statut consultatif à l’ONU, et par l’Union Romani en 1990), sont communs aux langues vivantes française et roumaine. À titre d’exemple, les mots suivants proviennent de diverses langues tsiganes : — B É D O : joint, cigarette de haschisch Substantif sinto piémontais pour désigner de manière générique un truc, un machin (Calvet, 1996) — B I C R A V : vendre (de manière illicite) - Sinto piémontais bixava, je vends (Calvet, 1996) ; cf. aussi bicin-, vendre en dialecte kalderash (tsigane) — C H A F R A V : travailler - Manouche cafxova : je travaille, verbe formé à partir du verbe allemand schaffen : créer, travailler — C H O U C A R D : bien, bon, chouette (1947) - Romani sukar : en dialecte kalderash (tsigane) et en satrovacki (argot serbo-croate à base tsigane) — C H O U R A V : dérober, voler (1938) - Romani Corav . je vole — C R A I L L A V : manger - Romani xav, sinto xova, xajav : je mange — G A D J O : gars, homme (1899) - Romani gadzo : homme marié non tsigane, c’est-à-dire tout autochtone non rom — G A D J I : fille, femme - Romani gadzi : femme mariée non tsigane — M A R A V : battre, frapper, tuer - Romani marav : je frappe ; sinto piémontais maravo, je tue ; calo marar, tuer (Max, 1972, p.17) — N A C H A V (se) : fuir, s’enfuir - Tsigane Nasav, je fuis — M I C H T O : beau, bon, agréable - Du romani michto. En roumain, le terme misto a le meme sens Ce vocabulaire est redevenu d’actualité avec l’apparition d’une nouvelle vague de migration rom venus de Roumanie en France, à la fin des années 80 et au début des années 90.

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En Moldo-Valachie, leur esclavage prit fin en 1856, mais les règlements administratifs restèrent rigoureux et des groupes importants de Roms migrèrent alors vers l’Ouest et notamment vers la France. C’est à cette époque que se constitua dans la langue française un argot d’origine romani. Il faut reconnaître que cet argot, sans être le seul, fut rapidement considéré comme l’argot des voleurs, l’argot du voyage, des bohémiens, des romanichels ou des romanos, comme l’on dit alors péjorativement, car on leur reproche, à la campagne, leur braconnage et leurs vols de toutes sortes. Toutefois, le vocabulaire argotique des Roms parvient à s’implanter parmi les forains, ou dans les villes et les banlieues populaires de la région parisienne, comme Montreuil, par exemple. Plus tard, étant donné le nomadisme, d’abord en roulottes, ensuite en caravanes, de ceux que l’on appelle désormais gitans, tsiganes, « Gens du voyage », kalés, manouches ou roms, l’argot romani pénétrera dans toute la France, pour finir par faire partie

intégrante de l’argot français à la fin du XIXe siècle. Ainsi, il y a dix ou vingt ans de cela, il était de plus en plus difficile pour un « non tsigane » pratiquant l’argot de se rendre compte que les termes qu’il pouvait employer étaient d’origine tsigane (romani), tant ceux-ci avaient été repris et intégrés à l’argot national. L’argot, d’abord créé par des hors-la-loi comme une sorte de code secret pour pouvoir se parler sans se compromettre, est devenu universel dans le langage courant par la suite. Du fait des pratiques langagières des communautés d’origines diverses, de cultures et de langues non moins différentes, qui cohabitent dans les cités et les quartiers de grandes villes françaises, émerge une interlangue entre le français véhiculaire dominant, la langue circulante et l’immense variété de vernaculaires qui compose la mosaïque linguistique des cités, à savoir les langues de type tsigane entre-autre, mais aussi, l’arabe maghrébin, le berbère, diverses langues africaines et asiatiques, les créoles des départements et territoires d’outre-mer... Dans ces variétés de langue française se met alors en place un processus de déstructuration de la langue française circulante par ceux-là même qui l’utilisent en y introduisant leurs propres mots, ceux de leur origine, de leur culture. Les formes langagières ainsi notées et leurs diverses variantes régionales deviennent dès lors autant de marqueurs identitaires ; elles exercent pleinement leur fonction d’indexation. Cette volonté de créer une diglossie (désigne l’état dans lequel se trouvent deux variétés linguistiques coexistant sur un territoire donné et ayant, pour des motifs historiques et politiques, des statuts et des fonctions sociales distinctes, l’une étant représentée comme supérieure et l’autre inférieure au sein de la population) devient la manifestation langagière d’une révolte avant tout sociale. S’il existe donc une certaine communauté de langage entre tsiganes et gadgés au sein d’une même cité, il n’en demeure pas moins qu’il existe des tensions entre eux.

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Si la linguistique a rendu possible un traçage des origines des Roms, elle a également mis en valeur cette interférence. Aujourd’hui, on sait exactement que le romani est une langue indo-européenne (indo-aryenne), descendant du sanskrit et proche parente de certaines langues vivantes du nord, du centre et du nord-ouest de l’Inde (notamment celle parlée par la tribu nomade des Banjaras). Assez pauvre à l’origine, elle s’est enrichie à partir du XIIIe siècle de termes empruntés a l’arménien, au perse, puis, dans une forte proportion, au grec. Par la suite, au cours de leur dispersion dans toute l’Europe, au XIVe siècle, deux familles de dialectes principaux se sont constituées : le dialecte vlach, constitué en Moldo-Valachie et parlé avec des variantes par la plupart des Rom (et qui a conservé la grammaire et un fond lexical indiens) et des dialectes non-vlach, qui se sont « créolisés » à l’Ouest, comme le manouche (influencé par l’allemand) et le kalo parlé par les gitans (Kalé) espagnols et du sud de la France (très influencé par l’espagnol).

En tre con f l i t et a ccep tati on


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J O TA C A S T R O

T H E F L A G , 1988

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Le nomadisme ne se résume donc pas de manière manichéenne à un mode de vie que les uns défendent et que les autres rejettent ou tentent d’assimiler par la sédentarisation. Il est le fruit de relations sociales et, au quotidien, pour vivre ensemble, il faut que la société voie l’intérêt d’un enrichissement mutuel. C’est pourquoi, il y a lieu de favoriser une prise de conscience de la valeur de la diversité culturelle et ethnique pour qu’itinérants et sédentaires veuillent partager un espace de vie commun.

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Mais des tensions peuvent également exister au sein même de la population tsigane. En effet, une population Rom bulgare qui s’est installé dans des campements de fortune dans des espaces interstitiels jusqu’à établir de véritable petits bidonvilles qui bordent le périphérique jusqu’à la porte de Montreuil a été prise à partie violemment par les Roms montreuillois, sédentaires, qui vivent de la ferraille et occupent les derniers stands des puces de Montreuil. L’hostilité des sédentaires est donc dirigée contre cette autre population itinérante qui dérange, peu important que ces sédentaires soient tsiganes ou non.

En tre con f l i t et a ccep tati on

Jota Castro photographie le drapeau européen sur le sexe d’un émigré d’origine méditerranéenne nu, avec la légende « désir d’intégration » dans les 11 langues de l’U.E. en réponse à la campagne contre le racisme de la Commission européenne où l’on voyait des noirs courir pour l’Europe, des noirs chanter et des gitans danser pour elle. Même si les gens du voyage sont des citoyens français, ils sont souvent considérés comme des étrangers. Leur combat d’intégration est le même. Jota Castro illustre l’irréversibilité de l’arrivée des Gens du Sud et la normalité de leur désir sans avoir besoin de passer par tous les clichés habituels pour que le commun des Européens apprécient les « étrangers ». Ce désir, c’est à la fois un pied-de-nez au fantasme sexuel de l’étranger, a fortiori l’étranger oriental ou méditerranéen, fantasme qui nourrit les discours racistes sur le métissage comme appauvrissement de la race. Mais, c’est aussi la libido comme force vitale, comme véhicule de la volonté de puissance, comme force primale et animale que seul l’être humain a le pouvoir de transfigurer et de réinvestir dans des activités créatrices. Le phallus et le désir nous renvoient aussi à l’adjectif «séminal», «principe actif qui est la loi de l’être et qui, ne faisant qu’un avec la matière, en est comme le germe, en explique le premier mouvement comme toutes les formes». Il renvoie à un phénomène qui plante les graines d’un développement riche à venir.


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03.2

03.3

U N E M U TAT I O N DE LA VILLE

UNE VISION D’UN TERRITOIRE SANS FRONTIÈRE

LES AIRES D’ACCUEIL

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Excentricité spatiale

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03.1 U ne mutation de la ville

Un e m u ta ti on de l a vi l le

L ’ E X P L O R AT I O N U R B A I N E

Même pour les sédentaires, le bouleversement post-industriel a eu des répercussions sur les modes de vie par les rapports quotidiens à l’espace et au temps : PITHON, Geoffroy. Les ambitieux géographiques. Le nomadisme et le design. 2012 : 58.

« la démystification du lieu, la perte d’ancrage, la naissance des non-lieux espaces transitoires tels que les infrastructures de transports ou les hôtels, les technologies de la mobilitépartout qui redéfinissent les espaces de travail et la géolocalisation... »

« l’exploration urbaine est essentiellement une façon d’atteindre à de nouvelles perspectives sur le monde qui nous environne. C’est regarder un endroit commun avec un nouveau regard, en visitant des sites où la majorité des Gens ne penserait ou ne voudrait pas aller ou, peut-être, où ils ne pensent pas être autorisés à aller.

L’exploration urbaine est gouvernée par 3 principes : — L A C O N F I D E N T I A L I T É : Les plans de souterrains restent secrets. Peu d’échanges se font entres les explorateurs. — L ’ I N S O U C I A N C E , qui suppose de laisser le libre accès aux terrains abandonnés. — L A G R AT U I T É , qui pose problème aux riverains : dans l’inconscient collectif, les Gens du voyage ne payent pas leur lieu de stationnement.

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Par exemple, visiter des lieux construits par l’Homme et dont l’accès est en général interdit est devenu un phénonomène de mode l’exploration urbaine. Il s’agit de l’exploration urbaine, abrégée urbex (de l’anglais urban exploration), à propos de laquelle le photographe Darmon Richter insiste sur le rapport singulier de l’individu à son environnement. Selon lui,


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Un e m u ta ti on de l a vi l le

L’arrivée du PLU (plan local d’urbanisme) en 2000 pour remplacer le POS (plan d’occupation des sols) va modifier la libre occupation de ces lieux. Elle permet de faire de la spéculation foncière de manière bien plus libre. Les friches n’ont alors plus la même valeur marchande qu’à l’heure d’aujourd’hui.

L E C H A N G E M E N T A LT E R N AT I F D E L ’ E S PA C E P U B L I C

L’exploration urbaine est apparue lors de la division de l’espace en trois parties distinctes : l’espace public, l’espace privé et le moins connu, l’espace technique.

On assiste à l’expérimentation de modes de vie. Il s’agit de la création, non pas de nouveaux espaces publics, mais de nouveaux modes d’utilisation de ces lieux auparavant totalement innocupés. L’activation de ces espaces n’est que temporaire, de sorte qu’ils apparaissent et disparaissent régulièrement, mais ne peuvent être ignorés car des projets s’y développent, non institutionnalisés, avec des formes propres de communication.

De plus en plus, des lieux abandonnés de l’espace public, parkings et usines désafectés, terrains vagues ou autres, sont investis par des personnes qui s’y regroupent dans un intérêt collectif.

Il existe désormais de nouvelles relations publiques dans la ville, dans ces espaces qui vivent puis meurent pour renaître ailleurs. Ce changement, qui résulte du fait que la complexité des sociétés urbaines rend impossible l’implantation de ces nouvelles urbanités provisoires dans un espace spécifique, remet en cause la distribution rationnelle des fonctions dans l’espace urbain.

L’exploration urbaine permet de visualiser un patrimoine industriel destiné à disparaître en cas de rachat ou de mise sous tutelle par un établissement public. Cette activité est souvent guidée par l’intérêt pour l’histoire industrielle et le respect des lieux est souvent les principaux moteurs à l’exploration des friches.

La notion de Post-it City sert à identifier ces lieux, objets de ces interventions temporaires.

La démarche étant artistique ou motivée par une curiosité intellectuelle, Neuro explique qu’il existe « une sorte de statu quo avec la police », mais la procédure d’expulsion, identique à celle des Gens du voyage peut être menée par le propriétaire. Ce tourisme alternatif semble se rapprocher de quelques notions du mode de vie des itinérants. Les Gens du voyage ne seraient-ils pas finalement des explorateurs urbains lorsque les aires d’accueil ne sont pas mis à leur disposition ? Les lieux abandonnés semblent se rapprocher des critères utilisés pour une aire d’accueil. TOBIAS ZIELONY

G A S S TAT I O N , 2005

En périphérie des villes européennes, le manque de lieux de rassemblement a donc poussé les jeunes gens à adopter ces « non-lieux », des places standardisées et anonymes, et à les transformer en lieux de socialisation. Ce phénomène est né aux Etats-Unis. Les architectures urbaines qui ne possèdent pas d’utilisateurs définis sont colonisées et la fonction qui leur était initialement attribuée devient le cadre de nouvelles rencontres. Ces « invasions » périodiques montrent à quel point le caractère défini d’un lieu peut être modifié, à l’initiative d’individus ou de groupes qui réinterprètent cet espace urbain.

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Les centres d’intérêts des explorateurs est diverses : — TOITUROPHILIE — C ATA P H I L I E , les anciennes carrières souterraines. — F R I C H E S I N D U S T R I E L L E S E T L I E U X A B A N D O N N É E S : fermes, coopératives agricoles, silos, maisons, usines, chantiers, bâtiments, cimetières, anciennes voies ferrées…


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LA NOTION DE POST-IT CITY

LA VARRA, Giovanni. « Post-it City : Los otros publicos de la ciudad europea ». Divers auteurs, Mutaciones, Actar/ac en rêve centre d’architecture. Barcelona, 2001 : 426-431.

La notion de Post-it City consiste à concevoir un mode de fonctionnement de la ville contemporaine en dehors des schémas traditionnels. Ce concept, créé par Giovanni La Varra, permet une occupation temporaire de l’espace public qui s’écarte de toutes codifications. C’est une critique de la conception conventionnelle de la ville qui fonctionne par rapport à un espace limité, discipliné, destiné à aplanir les divergences pour garantir l’ordre.

J A C Q U E S TAT I

P L AY T I M E , 1965

Sunghee Lee photographie à travers le monde de gigantesques écrans publicitaires désespérément vides. Ces vastes surfaces, espaces publicitaires, appellent surtout les mots, des slogans et des images. Ils sont donc les avant-postes de la colonisation urbaine. Les immeubles en carton-pâte conçus pour le tournage de Playtime reprennent mot à mot le même volume. Hauts sur pattes, ces bâtiments mobiles pourraient adopter la devise de Jules Verne dans 20 000 lieues sous les mers pour le sous marin Nautilus : mobile in mobilis. Cet ensemble immobilier devenu mobile arpente un territoire terrestre fluide, prêt à accueillir les nouveaux écrans de la ville.

La notion de Post-it City vient répondre à cette problématique de l’enfermement par un urbanisme informel qui faciliterait l’occupation temporaire de l’espace public où seraient exercées diverses activités. Ce concept permet d’identifier les espaces abandonnés qui font l’objet d’une occupation temporaire et génèrent de nouvelles formes d’urbanisme. Si l’espace public planifié est déterminé par des usages qui s’inscrivent dans une certaine continuité ou durabilité, les nouveaux modes de vie de la ville impliquent au contraire les notions de provisoire et de déplacement. La notion de Post-it City s’attache à ces nouvelles formes de la ville : occupation temporaire de lieux particuliers, élaboration de projets qui mènent d’un endroit à un autre, création de micro-communautés qui se déplacent en fonction des aménagements de la ville. Ce concept, en recherchant les possibilités de changement de fonctionnement de la ville, introduit la notion d’innovation, mais aussi celle d’imprévisibilité. Il introduit également la notion d’incohérence en exprimant de nouveaux genres de conflits et de résistance. Il s’agit de concevoir une ville moins monotone, moins peureuse, une ville qui ne soit pas étouffée par le sens commun et construite contre la marge. Le risque de ce concept est que cette liberté soit assimilée à la marginalité et entraîne l’exclusion sociale, et par là même la précarité. Pour imaginer des principes de sauvegarde de la liberté, il faut donc dénoncer la marginalité.

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La planification permet en effet d’éviter les conflits, mais au détriment des libertés individuelles et des contacts personnels dont le développement est réservé à l’espace privé. Elle fait du territoire urbain un espace sécurisant, mais fermé et réducteur. La publicité qui inonde l’espace urbain sert à prédéfinir la manière de vivre dans la ville.

Un e m u ta ti on de l a vi l le


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C A N A LTAY

SARAH ROSS ARCHISUITS

PA R I S . PA R I S R A N G É

M I N I B A R , 2004

ARMELLE CARON

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Le travail de Can Altay rs’intéresse aux dynamiques sociales, économiques et représentatives qui dessinent l’espace. Pour cela, il a mené des recherches méticuleuses, sur le long terme, dans la ville d’Ankara. Le Minibar n’est pas une simple appropriation radicale de l’espace ; il s’agit plutôt d’un exercice de socialisation où la fonction et la régulation des zones résidentielles, qui ne possèdent pas de frontières précises, n’existent plus.Le Minibar est une structure sociale créée dans un vide architectural, une rencontre qui ne poursuit aucun but commercial et ne propose aucun service. Il implique simplement la présence de personnes et leurs modes de rassemblement.

Chacune de ses villes rangées est un fragment de tissu urbain à l’état pur, pourtant tissé sur une ville précise. Formes parfois identifiables, souvent indéchiffrables, privées de légendes et d’icônes touristiques. L’opération de classement urbain pose la question : qu’est-ce qui fait ville ? Pourquoi les mêmes éléments ordonnés différemment ne pourront-ils jamais prétendre constituer une trame urbaine ? C’est dans cette négation du tissu urbain que l’on comprend à quel point compte le vide : rues, places, réseau viaire deviennent la structure même de la ville. Les interstices comptent davantage que le bâti lui-même.

Archisuits est une collection de quatre combinaisons prenant en compte l’espace et ses structures pour pouvoir s’intégrer dans l’architecture extérieure. Elle adopte une logique défensive face à un espace public régulé. Elle pose la question du droit d’intervenir dans l’espace public. Elle perturbe le quotidien en résistant et contournant les règles imposées par l’ordre public.

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Un e vi s i on d’ u n ter r i toi re s a n s f ron ti ère

03.2 U ne vision d’un territoire sans frontière

On a vu que les Gens du voyage sont caractérisés par une grande diversité des modes de vie et d’habitat. Leurs comportements à l’égard du voyage et de l’itinérance ne sont pas homogènes. On distingue schématiquement trois catégories : — les I T I N É R A N T S qui se déplacent souvent en grand nombre sur l’ensemble du territoire national et leurs haltes sont de courte durée, — les S E M I - I T I N É R A N T S (ou semi-sédentaires) qui effectuent des déplacements limités dans l’espace et le temps, souvent à l’échelle d’un département ou d’une région, — les S É D E N TA I R E S , installés de manière permanente, sur un terrain dont ils sont propriétaires ou locataires.

DELEUZE, Gilles, GUATARRI, Félix. Traité de nomadologie : la machine de guerre, Mille Plateaux. 1980, Les éditions de Minuit, p. 434-527.

« un espace ouvert où les choses-flux se distribuent au lieu de distribuer un espace fermé pour des choses linéaires et solides (...). Dans un cas on occupe l’espace pour le compter dans l’autre on le compte pour l’occuper. »

On associe d’ailleurs la pensée nomade à l’idée de labyrinthe. D’après Deleuze, c’est une distribution dans l’espace, un espace ouvert sans repères, sans frontières déterminées. Le nomadisme re-questionne donc les logiques territoriales. Il interroge la limite, les limites politiques aussi. VIRILIO, Paul. Exposition Terre Natale, Ailleurs commence ici. Fondation Cartier. Novembre 2008-mars 2009.

« Les grands phénomènes de migration, qui vont déplacer près d’un milliard de personnes d’ici à 2040, sont des phénomènes sans référence. On est là devant quelque chose qui remet en cause la sédentarité. Pour des raisons climatiques, pour des raisons économiques, pour des raisons de délocalisation d’entreprises, pour des raisons touristiques, les Gens bougent, et ils bougent dans un monde qui est effectivement de plus en plus petit. Cela crée des problèmes au niveau des frontières, avec la construction de murs. [...] Au XIXe siècle, l’exode rural était lié à la ville industrielle. Aujourd’hui c’est l’exode des villes vers la ville future, c’est-à-dire la ville des villes, la ville des télécoms, la ville des aéroports, des gares, des ports. »

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Leur conception du voyage est celle d’une multitude d’espaces à travers lesquels ils peuvent circuler. L’homme construit le territoire à sa mesure. Le trajet nomade occupe


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ÉROUV

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F R A N C I S A LŸ S

T H E G R E E N L I N E , 2007

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Un exemple de limite matérialisée dans l’espace public serait celui de l’érouv. En effet, un érouv est une clôture destinée à servir une communauté juive qui vit selon les lois et les règles du Talmud et de la Torah. L’érouv délimite, dans les villes où il y en a, la zone dans laquelle certaines activités normalement interdites (comme l’action de porter) peuvent être réalisées lors des jours de chabbat et de certaines fêtes juives. Cette clôture peut être réelle (ainsi, dans le cas d’une ville naturellement entourée de murailles) ou symbolique (un simple fil, tendu entre des arbres et des poteaux électriques, fait alors l’affaire). Dans les faits, la présence d’un érouv artificiel n’est pas visible pour la majorité de la population, à l’exception des juifs de stricte observance. Cependant, l’érouv peut sembler poser problème pour le respect de la laïcité; certains y voient une récupération religieuse de l’espace public.

Un e vi s i on d’ u n ter r i toi re s a n s f ron ti ère

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En 2004, Francis Alÿs réalise à Jérusalem une action intitulée Something doing something poetic can become political and sometimes doing something political can become poetic : The Green line. L’artiste rejoue en fait ici The Leak, performance réalisée à Sao Paulo et Gent en 1996. Équipé de 58 litres de peinture vinyle verte, il trace une ligne de 24 km en tenant à la main un pot percé. Il suit ainsi la « ligne verte », dessinée en 1948, séparant Jérusalem-est et Jérusalem-ouest. En adaptant l’action à un nouveau contexte, troublé par des tensions politiques, Francis Alÿs ne manque pas d’engager ici des questions épineuses. Sans pour autant agir en militant, il se présente aux frontières palestiniennes et israéliennes, ne revendiquant rien de particulier. L’artiste superpose à la frontière préexistante une ligne légère et fragile qui viendrait figurer de manière transitoire et éphémère une limite, une séparation. Tout en agissant sans idéologie, en accomplissant progressivement son trajet par la marche, Alÿs trace la limite et l’éprouve : il agit à proximité d’une localité fortement policée. Sous des airs de pérégrination innocente, sa démarche interroge audacieusement la liberté d’action.


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L es ai res d’ accu ei l

03.3 Les aires d’accueil

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MILLOT, Ondine. « Ils nous traitaient de « sales gitans », de « voleurs de poules ». Libération. 8 Juillet 2013.

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« CONSTRUISEZ DES CAMPS, COMME ÇA, ILS SORTENT PLUS, ET A U MOINS ON SAIT OÙ ILS SONT ! »


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L’obligation d’accueil des Gens du voyage, a été instaurée en premier lieu par la loi du 31 mai 1990. La politique des aires d’accueil des Gens du voyage entendait répondre à la seule question de l’inorganisation des stationnements, sources de tensions récurrentes entre Gens du voyage et populations locales.

L’ESPRIT DE LA LOI BESSON DE 2000 E T L E P R I N C I P E D ’ H O S P I TA L I T É

Elle prévoit que les aires d’accueil, qui ont vocation d’habitat, sont situées au sein ou à proximité des zones urbaines afin de permettre un accès aisé aux différents services urbains, notamment aux services sanitaires, à l’accompagnement social et à la scolarisation de cette population. Dans la pratique, on constate que les aires d’accueil sont le plus souvent excentrées, souvent placées à côté d’une décheterie, d’une station d’épuration comme à Avignon, proche d’une centrale de gaz ou encore « situées sous des lignes à haute tension, là on ne construirait pas d’autres habitations. » Suite à un accident mortel d’un voyageur à proximité de l’aire d’accueil de Lunel, le 31 octobre 2013, Patrick F, artisan itinérant, usager d’aires d’accueil dans le centre et dans l’est de la France raconte :

LÉGER, Laurent. « Le juteux business des aires d’accueil ». Charlie Hebdo. 2012.

« C’est à croire qu’ils se fichent des dangers pour la santé de nos enfants et ne nous considèrent pas comme des humains. Ils n’hésitent pas à mettre des aires d’accueil à proximité de lignes à haute tension parce que personne ne veut de ces terrains . Nous n’avons pas le choix, la loi nous oblige à stationner dans ces endroits insalubres. »

Stéphane Lévêque, le directeur de la FNASAT, Fédération Nationale des Associations Solidaires d’Action avec les Tsiganes explique « On se contente d’une gestion très technique en installant des aires aux confins des agglomérations, au lieu de les considérer comme des quartiers à part entière reliés aux écoles, aux terrains de foot, etc. »

Mais à l’occasion d’un programme organisé par Humanity in Action, la visite des infrastructures mises à leur disposition semble confirmer tout ce qui est dit précédemment. Une famille réussit à obtenir l’aménagement d’une nouvelle aire d’accueil près de la banlieue parisienne. Consciente de la méfiance des sédentaires, la famille prend soin d’avertir les voisins de leur venue en imprimant des centaines de tracts distribués dans les boîtes aux lettres. Geste de politesse paradoxal lorsque l’on sait que l’on appelle ces aires «d’accueil». Mais, les autorités vont installer des fils barbelés sur le haut des murs qui les sépare de la maison de retraite d’à côté. L’ignorance fait ressurgir la puissance des symboles dans cette « anecdote » devenue presque anodine. Cependant, cette politique d’accueil des Gens du voyage, mise en œuvre par les collectivités territoriales et l’Etat, constitue une spécificité de la France par rapport aux politiques menées dans de nombreux autres pays européens, qui ont davantage encouragé la sédentarisation des populations qu’ils n’ont cherché à organiser leur itinérance. La loi du 5 juillet 2000, en posant le principe d’hospitalité, crée des droits et obligations tant aux accueillants qu’aux accueillis, et tente d’instaurer une certaine réciprocité.

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Devant le semi-échec de cette loi de 1990, insuffisamment suivie d’effets, la loi du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et l’habitat des Gens du voyage a eu pour objectif d’établir un équilibre entre les droits et les devoirs réciproques des Gens du voyage et des collectivités territoriales (communes et établissements publics de coopération intercommunale), pour favoriser la cohabitation des différentes populations sur le territoire national. Mais si sa volonté était de protéger la population itinérante, il est à craindre que par son ambiguïté, elle ne l’ait isolée.

L es ai res d’ accu ei l


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ASSIER-ANDRIEU, Louis, et GOTMAN, Anne. Légiférer sur les « Gens du voyage ». Genèse et mise en œuvre d’une législation. Ministère de l’Équipement, des Transports et du LogementPlan urbanisme construction et architecture-Centre d’études politiques de l’Europe latine. 2002.

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L es ai res d’ accu ei l

L ’ E F F E T P E R V E R S D E L ’ I S O L AT I O N

Dans l’esprit de Louis Besson, le but est d’accueillir les Gens du voyage « dans des conditions dignes de notre société », raison pour laquelle, pour éviter toute ambigüité, il a été ajouté le terme « habitat » pour qu’il ne soit pas limité au stationnement. Pour certains, cette loi relève du civisme et a pour but d’« obtenir des citadins qu’en faisant place aux caravanes de passage, ils sachent qu’ils deviennent citoyens. » Elle tendrait à une prise de conscience pour mettre fin aux discrimination, répression et exclusion dont sont victimes les Gens du voyage. Elle pourrait contribuer à une « nécessaire transformation des mentalités ».

D ’ U N E P O P U L AT I O N

Les «accueillants» vivent pour la plupart comme une injustice l’installation de ces aires d’accueil. « Pour nombre de nos concitoyens, l’élaboration d’un projet de loi uniquement consacré au stationnement et au logement des Gens du voyage, à une période où toutes les demandes de logement à loyer modéré ne peuvent être satisfaites, est déjà susceptible d’apparaître comme un traitement “préférentiel” lié à la crainte des capacités de “nuisance” des Gens du voyage. »

La loi Besson essaie d’établir un équilibre entre aide et contrôle en contrebalançant le droit des Gens du voyage « à une existence décente » avec celui des riverains « à la salubrité, la sécurité et à la tranquillité publiques. » Pourtant, bien que prise en faveur d’une population jusqu’alors stigmatisée, elle interdit à cette population de s’établir ailleurs, mais aussi elle risque d’accentuer les tensions avec les riverains. D’ailleurs, paradoxalement, hospitalité et hostilité ont la même étymologie. Les deux termes viennent du même mot latin « hostis », qui dérive de la même racine indoeuropéenne « host ». Dans un premier sens, le mot latin « hostis » désigne l’étranger. Comme l’étranger peut devenir un adversaire, le mot latin « hostis » dans un second sens va signifier ennemi, d’où les termes français d’hostile et d’hostilité. Mais l’étranger peut être reçu et accueilli. Le mot latin « hostis » connaît alors un dérivé, « hospes », qui a donné nos mots français d’hôte, d’hospice, d’hôpital, et d’hôtel.

Cette loi pourrait donc attiser le sentiment de rejet à leur égard par le «traitement de faveur» qui leur est attribué, alors qu’elle entend instaurer une égalité entre accueillants et accueillis.

GOTMAN, Anne. Le sens de l’hospitalité. Essai sur les fondements sociaux de l’accueil de l’autre. Paris, PUF. 2001 : 94-95.

En effet, si dans le domaine privé, celui qui invite, bien que maître chez lui, est au service de son hôte qui est « jusqu’à un certain point le personnage central de l’action, le seigneur de la maison du maître » , dans le domaine public, les relations sont inverses, l’accueillant qui a une place prépondérante, et l’accueilli lui est soumis. Les mettre sur un même pied d’égalité peut encore accroître l’hostilité envers les Gens du voyage.

Les « accueillis » peuvent être expulsés non plus de l’espace qu’ils occuppent de façon irrégulière, mais du territoire communal tout entier. Le champ d’application de la loi sur l’expulsion a été élargi car le stationnement illicite est sanctionné par cette mesure, même sur une propriété privée dès lors qu’il y a atteinte à la salubrité, à la sécurité, ou à la tranquillité publique. Ainsi, les Gens du voyage peuvent être expulsés, non plus de l’espace qu’ils occupent de façon irrégulière, mais du territoire communal tout entier. Par ailleurs, la loi ne fait référence qu’à la mobilité des Gens du voyage. Elle n’introduit aucun critère sur leur origine ou leur structure sociale.

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Pour d’autres, cette loi procède d’une approche pragmatique selon laquelle si plus d’espaces étaient octroyés aux Gens du voyage, le stationnement illégal serait réduit d’autant. En toute hypothèse, en régissant les relations entre accueillants et accueillis, elle a vocation à favoriser leur cohabitation.


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PARTI E 0 3 EX C EN TRI C I TÉ S PATI ALE

Selon Jean-Michel Belorgey, il s’agit là de la carence majeure de cette loi. En faisant état d’une « simple équation spatiale », en ne traitant que de la question du stationnement, elle se refuse de traiter l’ensemble des problèmes que l’organisation socioculturelle de la population nomade pose qui auraient dû être évoqués BELORGEY, Jean-Michel. In Ville et hospitalité. Légiférer sur les « Gens du voyage » : les communes et la République. Actes du séminaire de Perpignan, 15-16 octobre 1999. Paris. 2000 : 37-38.

L es ai res d’ accu ei l

Ces espaces, la plupart du temps, ne sont pas considérés comme un espace public et ne sont pas destinés à le devenir. Mais lorsque des personnes investissent le paysage vierge, on peut considérer qu’il s’agit là du point de départ d’un processus de transformation temporaire. C’est à partir de ce moment que les autorités commencent à imposer des règles et mettent fin à l’utilisation libre de ces lieux par le « peuple ».

« avec la délicatesse et la prudence qui s’imposent [...] pour appréhender la diversité des populations et des problèmes qui se posent, leur articulation, la part de solutions très spécifiques, la part de solutions de droit commun et les précautions de toutes natures contre les ostracismes coutumiers. »

Si donc le but était d’améliorer l’intégration des populations nomades, cette loi n’a finalement fait que contribuer à faire des Gens du voyage une population à part en augmentant les mesures relatives à leur encadrement spécifique.

Le principe d’hospitalité ne peut correspondre aux actes d’hospitalité dès lors que les auteurs de ces actes sont des sédentaires qui se placeront en tant que groupe reconnu, face à des individus considérés comme extérieurs, même s’ils veulent s’intégrer. Pour qu’il y ait assimilation, il faut être deux. Indépendamment des effets de cette loi sur les relations entre Gens du voyage et riverains, les aires d’accueil questionnent le sédentaire sur sa vision de l’espace urbain. Le stationnement des Gens du voyage a pour conséquence que des fragments de territorialité, au gré du temps et du passage des habitants, se transforment et changent de vocation, réduisant ainsi un temps les limites entre espace public et espace privé.

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Enfin, cette loi est ambiguë en ce qu’elle vise le problème de stationnement et entend régler les questions posées par la mobilité, et pourtant ne s’adresse qu’aux Gens du voyage, et non à toute personne vivant en permanence en caravane.


PARTI E 0 3 EX C EN TRI C I TÉ SPATI ALE

L es ai res d’ accu ei l

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PARTI E 0 3 EX C EN TRI C I TÉ S PATI ALE

« EN VÉRITÉ, ON EST PIRE ICI QUE DANS LES HLM DES GRÉSILLES À DIJ ON ; NIVEAU HYGIÈ NE, C’EST HORRIBLE ! »

L es ai res d’ accu ei l

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PA L O M A M E R C H A N TA R I B O M A N U E L A

CASSEZ ROALD L E S G E N S D U V O YA G E , 2009

SCHININA BANAUSENHAUSEN C A M P E M E N T S S A U VA G E S À B E R L I N APRÈS LA CHUTE DU UUR

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Après 1989, plusieurs groupes d’anarchistes se sont installés dans le Todesstreifen - « bande de la mort », cette partie qui longeait le Mur, surveillée par les miradors et uniquement accessible aux VoPos (membres de la police nationale en RDA). Ces groupes ont vu dans ces territoires libérés un endroit opportun pour développer des styles de vie alternatifs au capitalisme et à la société de consommation occidentale.

2

Les Wagenplatz, terrains réservés aux wagons et aux caravanes, se sont organisés sur ces espaces urbains vides et survivent encore aujourd’hui, fournissant régulièrement à la ville des services culturels et organisant des actions sociales. Le choix de vivre avec le minimum de confort et en complète autonomie est l’un des principes fondamentaux de ces campements. S’y associent d’autres formes d’activisme et de sensibilisation politique (lutte contre le sexisme, végétalisme / végétarisme, écologisme). Mais l’avenir de ces communautés est incertain : les projets immobiliers dans les zones où ces groupes se sont installés les menacent constamment d’expulsion. Menaces qui se concrétisent souvent, obligeant les squatteur à se déplacer avec leurs wagons et leurs caravanes vers des zones où aucun projet n’est encore prévu. L’un d’entre eux, très controversé, et intitulé « Media Spree », une Ville des Médias qui, dans les prochaines années, occupera 180 hectares du Todesstreifenet transformera radicalement l’image de cette zone qui a toujours été l’une des plus anarchiques de la ville.

Gens du voyage : « La société est méchante avec nous! ». Mediapart. Dijon/Bourgogne. 26 juillet 2010.

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TO M E 0 1

O4

PARTI E 0 4 L E GRAP H I S ME D AN S L’ ESPACE PUB LIC

04.2

04.3

DESIGN & T R A N S F O R M AT I O N

DESIGN & ENVIRONNEMENT

E S PA C E P U B L I C , E S PA C E S O C I A L

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Le graphisme dans l’espace public

04.1


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PARTI E 0 4 L E GRAPH I S ME D AN S L’ESPACE PUB LIC

D es i g n et tran s for m ati on

04.1 Design & Transfor mation

La définition du terme «design» provient indirectement de «disegno», terme de l’italien ancien qui, avant le XVIIème siècle, signifie à la fois le dessin et le dessein. L’idée de la représentation, de la mise en forme, se trouve ici associée à celle de l’intention, du projet. Dans cette perspective, le design implique l’anticipation d’un résultat fondé sur l’identification d’une problématique à résoudre. Ainsi, il ne saurait y avoir projet de design sans transformation, et la qualité même du projet ne saurait être évaluée indépendamment de l’analyse de la transformation qu’il engendre. L’importance des transformations mises en oeuvre et leurs conséquences sur la société divergent radicalement selon qu’il s’agisse d’objet, signes, images, langages visuels, matériaux, espaces, processus, évènements. En élaborant son projet, le designer s’intéresse au lien entre le projet et les humains impliqués par le processus de transformation.

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FINDELI, Alain. Entretien : les perspectives de la recherche en design, Mode de Recherche. Paris. Janvier 2004 : 7-10.

« Le design vise à améliorer, ou au moins à maintenir l’habitabilité du monde. »

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Le design représente des intérêts différents de ceux du marketing qui joue de l’inconscient et tente d’uniformiser les habitudes culturelles pour vendre.


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PARTI E 0 4 L E GRAPH I S ME D AN S L’ESPACE PUB LIC

D es i g n et tran s for m ati on

Nous, soussignés, concepteurs graphiques, directeurs artistiques et plasticiens, avons grandi dans un monde où les techniques et les instruments de la publicité nous ont constamment été présentés comme le moyen le plus lucratif, le plus efficace et le plus séduisant d’exercer nos talents. Nombre d’enseignants et de mentors encouragent cette croyance ; le marché lui apporte son suffrage ; un flot de livres et de publications l’alimentent.

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F I R S T T H I N G S F I R S T 2000

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Encouragés dans cette voie, les concepteurs appliquent alors leurs compétences et leur imagination à vendre des biscuits pour chiens, du café, des diamants, des détergents, du gel pour cheveux, des cigarettes, des cartes de crédits, des chaussures de tennis, des produits contre la cellulite, de la bière light et des camping-cars résistants. L’activité commerciale a toujours payé les factures, mais maintenant beaucoup de designers, dans une large mesure, en font l’essentiel de leur travail quotidien. C’est de cette façon que le monde, à son tour, perçoit la conception. La profession épuise son temps et son énergie à créer une demande pour des choses qui sont au mieux superflues.

94 FOURRIER, Arnaud. Un combat, des symboles, un siècle d’affiche politique en Europe.

« En 1999, trente trois personnalités du monde du graphisme signaient le manifeste First Things First 2000 publié dans une série de revues spécialisées. Le texte proposait pour le XXIe siècle ‹ un renversement des priorités en faveur de formes de communication plus utiles, durables et démocratiques – un changement d’état d’esprit d’avec la production marketing et vers l’exploration et la production d’un nouveau genre de signification.› Ces auteurs appelaient ainsi à l’engagement pour un graphisme d’utilité publique, contre un graphisme de persuasion. Ils soulignaient l’enjeu politique de la création graphique, sa responsabilité dans la modélisation de nos comportements, affirmant qu’il n’existe pas de neutralité en la matière: ‹ Les graphistes qui ne pensent pas ce qu’ils font ou pourquoi ils le font, créent du mauvais graphisme › conclut le critique Rick Poynor. »

Nos compétences seraient mieux utilisées à défendre des causes et à résoudre des problèmes plus importants. Des crises environnementales, sociales et culturelles sans précédent requièrent notre attention. Beaucoup d’interventions culturelles, de campagnes de marketing, de livres, de magazines, d’expositions, d’outils éducatifs, de programmes de télévision, de films, de causes charitables et d’autres projets de conception de l’information exigent instamment notre expertise et notre aide. Nous proposons un renversement des priorités en faveur de formes de communication plus utiles, plus durables et plus démocratiques – une prise de conscience éloignée du marketing de produit et tournée vers l’exploration et la production d’une nouvelle forme d’expression. Le champ du débat se resserre ; il doit s’étendre. La défense du consommateur demeure incontestée ; elle doit être mise à l’épreuve par d’autres perspectives exprimées, en partie, par les langages visuels et les ressources de conception.

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Beaucoup d’entre nous sont de plus en plus mal à l’aise avec cette vision de la conception. Les designers qui se consacrent pour l’essentiel à la publicité, au marketing et au développement des marques soutiennent et approuvent implicitement un environnement mental tellement saturé de messages commerciaux qu’il change la façon même dont les consommateurs-citoyens parlent, pensent, sentent, réagissent et communiquent entre eux. Dans une certaine mesure nous contribuons tous à codifier un discours officiel réducteur et infiniment nuisible.


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PARTI E 0 4 L E GRAPH I S ME D AN S L’ESPACE PUB LIC

D es i g n et en vi ron n em en t

04.2 Design & Environnement

Le designer peut adopter une possible attitude politique. Comme tout citoyen ou presque, celui-ci a une opinion, cultive une sensibilité, et réagit à certaines injustices. Cette dimension humaine agit dans le processus de création. C’est par la confrontation, critique et engagée, à la spécificité de sa problématique que le design sortira d’une esthétique interchangeable. Il faut donc comprendre les liens qui existent entre le design et son environnement, ce qui permettrait de parler de son implication sociale. Il faut comprendre le potentiel activiste et les vertus du design pour servir le bien-être de la communauté citoyenne. MOHOLY-NAGY, László. «Peinture Photographie Film». Le design : une attitude, pas une profession. Éditions Jacqueline Chambon. Nîmes, 1993 : 277-279.

« Il faut faire en sorte désormais que la notion de design et la profession de designer ne soient plus associés à une spécialité, mais à un certain esprit d’ingéniosité et d’inventivité, globalement valable, permettant de considérer des projets non plus isolément mais en relation avec les besoins de l’individu et de la communauté. »

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Certains créateurs prônent le retour sur le terrain dans le processus de création comme potentiel idéal à la conception d’un design authentique, dans le but de créer un mouvement de cohérence dans l’intérêt du bien-social. kAHN, Fred. « Poétique des autoroutes ». Stradda, n°10, Octobre 2008.

« Ces démarches [projets in situ] ouvrent des correspondances inédites entre ces territoires extérieurs que nous traversons en aveugle et nos territoires intimes que nous maîtrisons si mal. Routes ou autoroutes, ces « non lieux » stigmatisés par Marc Augé, n’ont apparemment pas d’identité propre, leurs aspects factuels semblent les rendre invisibles. Elles représentent pourtant une réalité physique et symbolique qui révèle notre société. Habiter poétiquement ces espaces de transition participe d’une transformation de notre point de vue sur le monde. »

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Le terrain est le contact direct des hommes et du sol, l’anthropologie originelle d’être au lieu et d’avoir lieu. Le designer adopte la posture de l’archéologue qui cherche sur le terrain la matière -nature des choses- nécessaire à la découverte. L’espace devient le médium, un terrain nécéssaire et actif.


PARTI E 0 4 L E GRAPH I S ME D AN S L’ESPACE PUB LIC

TO M E 0 1

D es i g n et en vi ron n em en t

1

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MICHEL DUPUY ET MICHEL DECTOR

RUEDI BAUR

OLIVIER DARNÉ

Q U A R T I E R D E S S P E C TA C L E S À M O N T R É A L

PA R T I P O É T I Q U E

E X P O S I T I O N H A R D C O R E , PA L A I S D E

TOKYO

3

1

3

2

Le designer agent économique : premier en taille après celui de New York dans le continent nordaméricain, le Quartier des Spectacles de Montréal bénéficie d’unsystème d’identité d’une limpidité remarquable, choisi en 2005. C’est le fruit d’une volonté politique forte de la municipalité, visant à développer l’attractivité du quartier en signalant les lieux de spectacles. La ville de Montréal a mené une démarche d’appel à propositions très originale, intégrant des ateliers créatifs dans son processus de concours. L’agence Integral de Ruedi Baur a remporté l’appel d’offres avec une réponse basée sur un principe simple, mais puissant et efficace : le marquage des trottoirs par des spots de lumière rouge intense, s’allumant dès la tombée de la nuit sur les lieux de spectacles incontournables. Ils confèrent au quartier son identité renouvelée grâce à un parcours lumière et des interventions d’art contemporain. Le logo du Quartier des Spectacles de Montréal lui-même reprend ce point rouge comme signe distinctif.

Définition : Le Parti Poétique est un regroupement d’artistes, de penseurs et de faiseurs réunis autour de questions et d’abeilles qu’ils posent dans l’espace public. Comme son nom ne l’indique pas, ce collectif, interroge le quotidien et essaye d’aller voir ailleurs si il y est, et ce notamment par l’intermédiaire de l’art et des ressources des territoires. À travers le terme générique de « Pollinisation de la ville », le Parti Poétique met en chantier un projet de recherche transdisciplinaire portant sur la ville, autour du travail d’Olivier Darné, plasticien et apiculteur urbain. Avec l’abeille pour témoin, ses installations dans l’espace public questionnent nos relations à l’environnement urbain, ses flux, ses tensions, ses densités et son organisation sociale, et favorisent la perception par le public des enjeux associés à une lecture de la ville différente, critique et constructive, au croisement des champs politiques et culturels. Depuis la rue, entre terre et ciel, cette pratique singulière, ouvre un terrain qui lie un geste artistique à des questionnements politiques, culturels, économiques et écologiques, par l’expertise scientifique d’un milieu, la ville, et de ses hôtes.

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Ici, le projet de Michel Dupuy et Michel Dector tente d’articuler deux réalités : celle de l’espace public et celle du lieu d’exposition. Leur démarche consiste à prélever dans l’espace urbain des slogans, griffonages caviardés, qui portent en eux la trace du conflit dû à la présence simultanée de deux volontés militantes antagonistes. Ils portent attention à des formes peu perceptibles de la réalité et les rendent visibles. Le mur devient comme le tableau des nouvelles d’une micro-société, ou un champ de bataille. C’est la volonté de s’exprimer à l’espace de tous.


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PARTI E 0 4 L E GRAPH I S ME D AN S L’ESPACE PUB LIC

04.3 Espace public, espace social

Es p a ce p u b l i c, es p a ce s oci a l

DE MORANT, Alix. Nomadismes artistiques, des esthétiques de la fluidité. Thèse sous la direction de Béatrice Picon-Vallin, Université de Paris X Nanterre, Laboratoire ARIAS-CNRS.

« C’est également dans un souci d’une relation directe avec un public, non différée par l’entremise des instances institutionnelles ou des opérateurs privés et autres médiateurs culturels qui interfèrent dans la relation qui est au cœur même de la prise d’espace des artistes nomades, prise d’espace qui agit ou réagit en interaction avec un contexte social. »

Leurs actes sont évidemment chargés du politique car il prennent place dans l’espace public pour en interroger la légitimité. La ville est un endroit où se réalise le monde, c’est un lieu concret pour les changements culturels et sociaux. Pourtant la réalité visible de ses espaces et de ses signes exprime un abandon des pouvoirs publics aux plus grands profits des formes manipulatrices de la marchandise. « Et nos vies s’y mélangent. Je souhaite avec ces mots en périphérie d’un « point de vue » exprimer l’idée que la ville à ses voisines, ses banlieues, tout comme les pays et les continents, ce n’est qu’une question d’échelle. J’aime à penser chaque ville comme quartier du monde et inciter les spectateurs de cette image à exprimer leur concept. L’espace urbain doit redevenir un lieu de partage, de rencontre des personnes et d’échange et non plus uniquement de circulation des choses, des objets. Dans chaque ville, dans chaque quartier est contenue le monde entier, de même chaque être humain représente les autres. »

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PARIS-CLAVEL, Gérard. « Ma ville est un monde ». Depuis 1993.


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DESIGNERS

C H É R I E , J ’ A I O U B L I É L A N A P P E , 2007

S T U D I O S PA S S THE STREET

L I V E I S S U E !, 2012

1

2

Le mobilier public crée souvent une distance entre l’individu et l’authenticité. Le projet cherche à nous réconcilier avec notre environnement, celui qui permet de retourner aux sources dans une situation de détachement total avec le monde civilisé. Un rocher, un tronc d’arbre, une souche, les berges d’un ruisseau sont alors autant de mobiliers primaires qui satisfont notre besoin de confort. Le projet se résume par le fait de découvrir ces endroits, puis de les révéler comme adéquats au pique nique. La nappe à carreaux vichy est alors une évidence pour authentifier ces espaces privilégiés et encourager cette pratique du repas en plein air. À la fois populaire et trans-générationnel, elle fonctionne ici comme une signalétique qui balise le parc et marque les emplacements d’un pique-nique passé ou à venir. L’intervention de designers se limite donc à la matérialisation de cette nappe par l’utilisation de la pate de verre qui la rend désormais pérenne.

Pour l’édition 2012 du Festival international de l’art De Wereld van Witte de With, des sculptures monumentales sous forme de signalétique dans la rue ont été mis en place. Leurs formes interagissent avec leur contexte. Le thème du festival est The Street – Live Issue! Le festival aborde justement la rue comme partie intégrante de l’interaction socio-culturelle au sein de l’environnement urbain, partagée par tous. Le festival réinvente la rue en constante évolution, comme un espace hybride et multifonctionnel. La rue joue un rôle essentiel dans la formation et la transformation de l’ensemble du réseau urbain au-delà des conventions urbaniste - architecte et politiques traditionnelles. Il considère ainsi non seulement la rue comme un espace de rencontre, et comme un site alternatif de création artistique et production culturelle, mais avant tout conçoit la rue comme un espace social et politique.

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Es p a ce p u b l i c, es p a ce s oci a l


TO M E 0 1

PARTI E 0 4 L E GRAPH I S ME D AN S L’ESPACE PUB LIC

1

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CANDY CHANG

THOMAS DAMBO

BEFORE I DIE

H A P P Y WA L L

Es p a ce p u b l i c, es p a ce s oci a l

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THOMAS HIRSCHHORN

F L A M M E É T E R N E L L E , 2014

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Cette installation réalisée par Thomas Dambo est appelée #HapyWall. Il s’agit d’une série de panneaux de bois récupérés à partir de caisses de bières des brasseries Tuborg. Elles sont peintes et vissées pour former une sorte de quadrillage géant. Chaque pièce de bois est amovible pour laisser apparaître une face de couleur vive ou bien demeurer noire. Les passants sont invités à bouger eux même les morceaux de bois pour créer un mot ou laisser une trace écrite.

La plupart des œuvres de Thomas Hirschhorn jouent avec des formes familières et urbaines évoquant l’étal, le marché aux puces, le pamphlet ou sa forme placardée comme le dazibao de la Chine populaire. « Kiosques », « Monuments », « Autels », « Sculptures Directes » constituent une véritable typologie de dispositifs fonctionnels ou votifs. Thomas Hirschhorn a décidé pour le Palais de Tokyo de réactiver le protocole « Présence et Production ». Par ce processus, Thomas Hirschhorn renouvelle la notion de présence si problématique au fil des phases classiques et modernes de l’histoire de l’art. L’opposition habituelle entre la présence de l’œuvre et de l’artiste en action est définitivement dépassée. La forme de l’œuvre est ouverte, accessible et gratuite, pour constituer un véritable espace public au sein de l’institution, disponible à une audience non-exclusive rassemblant les amateurs et ceux qui n’ont aucune inclination spécifique pour l’esthétique. Thomas Hirschhorn conçoit « Flamme éternelle » comme son propre atelier provisoire, comme un espace d’accueil d’intellectuels libres de concevoir leur intervention ou leur simple présence en dehors de toute obligation d’animation culturelle de l’institution.

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L’artiste américaine Candy Chang propose, elle, de donner la parole aux habitants de la Nouvelle Orléans en remplissant cette phrase “Before I die I want to _______.”, après l’ouragan Kathrina. Le but était que les passants puissent y déposer et partager un peu d’espoir. Le phénomène a pris de l’ampleur et des tableaux Before I Die apparaissent dans le monde entier.


TO M E 0 1

Dans ce contexte, le designer doit contribuer à chercher des hypothèses de réponses pour susciter une réflexion vers une possible cohabitation entre Gens du voyage et riverains. Le design graphique, en tant qu’outil qui organise formellement des langages et représentations, est-il utilisable pour produire un dispositif qui permettrait de questionner le statut des Gens du voyage dans la société et inversement, le rapport des Voyageurs envers la société française ?

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Conclusion

Con cl u s i on


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B i b l i og ra p h i e

Bibliographie ARDENNE, PAUL. Un Art contextuel. Paris, Flammarion, 2002 : 178. ASSÉO, Henriette. Les Tsiganes, une destinée européenne. Découvertes Gallimard, 1994.

BEGOUT, Bruce. Lieu Commun : Le Motel Américain. Allia, 2003. BELORGEY, Jean-Michel. In Ville et hospitalité. Légiférer sur les « Gens du voyage » : les communes et la République. Actes du séminaire de Perpignan, 15-16 octobre 1999. Paris. 2000 : 37-38. BERGEON, Cécile. Les rapports mobilité/ immobilité dans le cas de situations résidentielles spécifiques : retours et perspectives de recherche. 2013. BOLIS, Angela. « Petit lexique des Tsiganes, Roms, Gens du voyage ». Le Monde. 2014.

CARRÈRE, Violaine, DAADOUCH, Christophe. « D’autres frontières ». Les Gens du voyage en mobilité surveillée. Septembre 2000. DE MORANT, Alix. Nomadismes artistiques, des esthétiques de la fluidité. Thèse sous la direction de Béatrice Picon-Vallin, Université de Paris X Nanterre, Laboratoire ARIAS-CNRS. FLAUBERT, Gustave. Lettre à George Sand, Correspondance de Gustave Flaubert. 12 juin 1867. Éditions de la Pléiade, tome 5 : 653-654. GOTMAN, Anne. Le sens de l’hospitalité. Essai sur les fondements sociaux de l’accueil de l’autre. Paris. 2001 : 94-95. JAMET, Constance. Gens du voyage, Roms : des réalités bien différentes. 2013.

KAHN, Fred. « Poétique des Autoroutes », Stradda, n°10, Octobre 2008. LA VARRA, Giovanni. Post-it City : Los otros publicos de la ciudad europea. Divers auteurs, Mutaciones, Actar/ ac en rêve centre d’architecture. Barcelona, 2001 : 426-431.

SOULÉ, Véronique. « L’école, belle comme un camion ». Libération. 2013

LÉGER, Laurent. « Le juteux business des aires d’accueil ». Charlie Hebdo. 2012.

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MADEIRA, Angélica. L’itinérance des artistes et la constitution du champ des arts à Brasília. Éditions Université de Brasilia, 1958 – 2005.

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MAFFESOLI, Michel. Du Nomadisme,. Vagabondages initiatiques. Éditions Le livre de Poche, 1997.

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PITHON, Geoffroy. Les ambitieux géographiques. Le nomadisme et le design. 2012 : 57-58. PROVOT, Bernard. « La loi du 31 mai 1990 : faut-il brûler l’article 28 ? ». Études tsiganes (« L’urbanité en défaut »). 1996, 7, 1 : 4-9. RAFFIN, Fabrice. La pensée nomade et Les nouvelles mobilités artistiques contemporaines. 2008.

109

108

ASSIER-ANDRIEU, Louis, et GOTMAN, Anne. Légiférer sur les « Gens du voyage ». Genèse et mise en œuvre d’une législation. Ministère de l’Équipement, des Transports et du Logement-Plan urbanisme construction et architecture-Centre d’études politiques de l’Europe latine. 2002.

BOURRIAUD, Nicolas. Topocritique : l’art contemporain et l’investigation géographique. Texte d’introduction du catalogue de l’exposition « GNS » (Global Navigation System), Palais de Tokyo, 2003.



GENS DU VOYAGE ET RIVERAINS : DE L’HOSTILITÉ À L’HOSPITALITÉ

N° 2 DÉVELOPPEMENT MASTER DESIGN GLOBAL, RECHERCHE & INNOVATION

SARAH NAUD

PROMOTION 2014-15


R em erci em en ts

M É M O I R E D I R I G É PA R

T I P H A I N E K A Z I - TA N I

& V I N C E N T G I AV E L L I

REMERCIEMENTS

SARAH NAUD

3

Tiphaine Kazi-Tani Vincent Giavelli Maryline De Barros Julie Brasset Françoise Hannoun Lorena Skopelja

P R O M O T I O N 2014-15


S om m ai re

T OM E 0 2

6

Introduction

8

40

66

Les obstacles à une cohabitation

L’apport d’une cohabitation

Vers une nouvelle conception de l’habitat

10

42

68

Le représentation de la frontière

L’aspect culturel

La maison idéale

26

54

80

La revendication d’une culture

Nomadisme alternatif : un échange de services

Une maison éphémère

32

62

90

Préjugés et idées reçues, une frontière morale

Une participation active

La façade comme frontière

5

4

Sommaire

112

Conclusion


T OM E 0 2

La recherche en design peut susciter quelque soit la manière, humoristique, critique ou autre, une réflexion sur un phénomène de société. D’une simple déclaration, elle peut aller jusqu’à la création d’une polémique pour contribuer à un débat sociétal. 7

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Introduction

I n trodu cti on

Si le design graphique peut contribuer à résoudre des problèmes sociaux par la communication, la problématique des Gens du voyage en France est bien trop complexe pour qu’il s’agisse ici d’un design de solution. C’est pourquoi, il est plus réaliste de chercher à susciter la réflexion et le débat. Partant de ce positionnement pour traiter du design engagé et critique, je me suis toutefois heurtée aux aspects politiques, urbanistiques et autres qui ne sont pas du ressort du designer graphique. C’est pouquoi, je me suis demandée si le décalage peut-il être un levier créatif en communication visuelle ? C’est sous cet angle que j’ai étudié ce que pourrait engendrer la cohabitation entre Gens du voyage et riverains, après avoir exploré toutes les formes de séparations pour enfin interroger notre conception normalisée de l’habitat.


T OM E 0 2

O1

PARTI E 0 1 L ES O BS TAC L E S À UNE COHAB ITAT ION

01.2

01.3

L A R E P R É S E N TAT I O N DE LA FRONTIÈRE PHYSIQUE

L A R E V E N D I C AT I O N D’UNE CULTURE

PRÉJUGÉS ET IDÉES REÇUES, UNE FRONTIÈRE MORALE

9

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Les obstacles à une cohabitation

01.1


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PARTI E 0 1 L ES O BS TAC L E S À UNE COHAB ITAT ION

La frontière, qui trouve son origine dans le mot front, terme militaire désignant la zone de contact avec l’ennemi, est la limite naturelle entre deux territoires. Depuis la construction des États-nations, elle peut s’entendre comme une limite entre deux systèmes politiques. La frontière est ainsi associée à l’idée de protection, d’échanges, mais également de contrôle. Elle est donc caractérisée par cette ambivalence entre séparation et communication, laquelle est fluctue en fonction des relations entre systèmes en présence. La frontière peut également désigner la séparation entre des groupes sociaux de langue, de religion et de cultures différentes. Ces approches élargissent la notion de frontière en ne la limitant pas à sa définition géographique. Elle n’est pas seulement la limite entre deux territoires contigus. Elle a une dimension politique , qui touche à la structuration d’une société, symbolique en tant que marqueur reconnu dans l’espace, et une dimension matérielle.

La notion de frontière implique la confrontation entre deux entités ayant leurs propres règles. On peut dès lors imaginer d’autres formes que sa représentation classique d’une ligne issue de sa définition géographique.

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01.1 La représentation de la frontière physique

L a rep rés en tati on de l a f ron ti ère p h y s i qu e


PARTI E 0 1 L ES O BS TAC L E S À UNE COHAB ITAT ION

L a rep rés en tati on de l a f ron ti ère p h y s i qu e

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Observation de la variété des formes de représentation de la limite d’une zone dans l’espace public et de la diversité des matériaux utilisés.


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L a rep rés en tati on de l a f ron ti ère p h y s i qu e

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BRAD DOWNEY

« Chez Brad Downey, tout fait référence à l’extérieur et aux limites réelles ou sociales qui composent l’espace urbain. Profitant des failles du quotidien (rambarde abîmée, vélo abandonné, chantier en cours…), il use des moyens en sa possession, des détritus aux outils de chantier, pour réaliser ses sculptures spontanées et créer des situations éphémères fortes, incongrues ou irrévérencieuses. »


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L a rep rés en tati on de l a f ron ti ère p h y s i qu e

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RECHERCHES GRAPHIQUES S U R L A R E P R É S E N TAT I O N D’UNE FRONTIÈRE.

Ces panneaux blancs, à la manière de paravent, répondent non seulement au besoin des Gens du voyage de vivre cachés mais peuvent constituer un support d’expression. On imagine que ces panneaux puissent être recouverts des pensées, des écrits de chacun, Gens du voyage et riverains.


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L a rep rés en tati on de l a f ron ti ère p h y s i qu e

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RECHERCHES GRAPHIQUES S U R L A R E P R É S E N TAT I O N D ’ U N E F R O N T I È R E D A N S L ’ E S PA C E .

Il s’agit içi d’une approche minimaliste de la délimitation de l’espace. L’utilisation d’une bande de scotch au sol, par sa simplicité, renvoie à la capacité des Gens du voyage à s’adapter à un espace et à leur faculté d’en occuper une partie. C’est l’illustration de la flexibilité d’un espace neutre. C’est l’utilisateur qui détermine sa fonction. Içi, il peut prendre la forme d’un lit comme d’un appartement tout entier.


PARTI E 0 1 L ES O BS TAC L E S À UNE COHAB ITAT ION

T OM E 0 2

L a rep rés en tati on de l a f ron ti ère p h y s i qu e

INTIMITÉ

DIVERGENCE

VIP

S P E E D D AT I N G

CONVERGENCE

PROXIMITÉ

DISCIPLINE

RONDE

MÉSENTENTE

S PA C I E U X

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20

CHAOS

D I S TA N C E D E S É C U R I T É

RECHERCHES GRAPHIQUES S U R L A R E P R É S E N TAT I O N D ’ U N E F R O N T I È R E D A N S L ’ E S PA C E .

Déclinaisons de différents positionnements des caravanes en fonction des activités, des évènements ou même, au sein de la communauté, des différents groupes. Association des notions de distinction d’entités et de convergence. Référence aux caractéristiques de la conception de la vie en communauté des Gens du voyage.


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PARTI E 0 1 L ES O BS TAC L E S À UNE COHAB ITAT ION

01.2 La revendication d’une culture

L a reven di ca ti on d’ u n e cu l tu re

Ma démarche auprès des Gens du voyage n’a pas été très aisée. Je me suis heurtée à une position de méfiance. C’est pourquoi j’ai publié sur un groupe Facebook un questionnaire dans le but d’obtenir une plus grande liberté de parole et un maximum de témoignages de personnes vivant dans des villes différentes. La réaction m’a suprise : un représentant de la communauté Tsigane a souhaité être mon seul interlocuteur :

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26

Il a exprimé ouvertement son hostilité à l’égard de ceux qui n’en font pas partie, les « gadjés » :

Ces quelques extraits de nos échanges montrent leur fierté et leur esprit communautariste fortement revendiqués. Dans ce contexte, l’évolution de la technologie a favorisé cette indépendance, en ce sens que entre les déplacements réguliers et les terrains d’accueil informels, la communication est plus facile. En effet, le téléphone portable est devenu pour tous un élément indispensable de la vie quotidienne qui pallie aux problèmes de communication liés la mobilité.


PARTI E 0 1 L ES O BS TAC L E S À UNE COHAB ITAT ION

L’idée est de créer une application pour faciliter le mode de vie des voyageurs. Les gens du voyage pourront suivre chaque point d’ancrage instantanément de ses amis voyageurs et partager, à son tour, son propre itinéraire. L’application permet de créer un véritable réseau social entre voyageurs.

L a reven di ca ti on d’ u n e cu l tu re

Cette application s’adresse à tous les Voyageurs et autres itinérants qui stationnent sur les aires d’accueil réalisées par les communes en conformité à la loi Besson du 5 juillet 2000, que ce soit de temps en temps ou toute l’année, pour une courte halte ou pour un séjour plus long, le temps de travailler sur un chantier, de soigner un proche, participer à un évènement culturel ou familial. — Un clic sur une carte pour découvrir la liste des villes du département sélectionné. — Un repère direct ou avec la zone de recherche, de la ville souhaitée ou d’une localité voisine — Un accès immédiat à la fiche de l’aire d’accueil ou de grand passage correspondante contenant les informations utiles.

D É C O U V R E Z D E S I N F O R M AT I O N S SUR UNE AIRE D’ACCUEIL

4 1 - L O I R - E T- C H E R C O N TA C T 06.75.69.20.57 GESTIONNAIRE COMMUNAUTÉ DE COMMUNES VA L D E C H E R S A I N T A I G N A N 02 54 75 30 47 NOMBRE DE PLACES 20 NOMBRE DE PLACES DISPONIBLES 0 NOMBRES D’AMIS PRÉSENTS SUR L’AIRE

1 HORAIRES VA R I A B L E S DURÉE DU SÉJOUR 3 MOIS EQUIPEMENTS S A N I TA I R E S E T B R A N C H E M E N T S EAU + EDF : INDIVIDUELS ECOLES/COMMERCES 1 KM

METTEZ À JOUR VOTRE ITINÉRAIRE E T PA R TA G E Z - L E AV E C V O S A M I S

DÉCOUVREZ QUI DE VOS AMIS EST PROCHE DE VOUS

POSSIBILITÉ DE CONSEILLER

À VOS AMIS UNE AIRE D’ACCUEIL QUE VOUS AV E Z A P P R É C I É

LORENA SKOPELJA

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28

T OM E 0 2


PARTI E 0 1 L ES O BS TAC L E S À UNE COHAB ITAT ION

T OM E 0 2

L a reven di ca ti on d’ u n e cu l tu re

01

02

CHOISISSEZ VOTRE RÉGION

C H O I S I S S E Z L E D É PA R T E M E N T DE VOTRE RÉGION

04

A C C É D E Z À U N P L A N S AT E L L I T E D E S A I R E S D ’ A C C U E I L D U D É PA R T E M E N T C H O I S I

ACCÉDEZ AU PLAN DE L’AIRE D’ACCUEIL CHOISI E T À S E S I N F O R M AT I O N S

LOIRET (45)

31

30

EURE ET LOIR (28)

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CENTRE

LOIR ET CHER (41)

CHER (18)

INDRE ET LOIRE (37) CENTRE

INDRE (36)


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PARTI E 0 1 L ES O BS TAC L E S À UNE COHAB ITAT ION

Présenter les gens du voyage comme étant d’éternelles victimes, le risque n’est-il pas un effet pervers ? Les voyageurs doivent trouver des solutions pour combattre ces préjugés qui servent de prétextes à des injustices et les aggravent. Le 8 avril 2014, à l’occasion de la Journée internationale des Roms (au sens large du terme), des personnes impliquées dans le service civique ont, place de la République à Paris, détourné les préjugés dont ils sont les victimes avec humour.

33

32

01.3 Préjugés et idées reçues, une frontière morale

P réj u g és et i dées reçu es , u n e f ron ti ère m orale

Le processus de retournement du stigmate fait du stigmate un médium de communication, de revendications et d’actions. Le stigmate est alors revendiqué et assumé par le stigmatisé pour répondre à sa situation de dominé.


PARTI E 0 1 L ES O BS TAC L E S À UNE COHAB ITAT ION

P réj u g és et i dées reçu es , u n e f ron ti ère m orale

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PARTI E 0 1 L ES O BS TAC L E S À UNE COHAB ITAT ION

P réj u g és et i dées reçu es , u n e f ron ti ère m orale

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PARTI E 0 1 L ES O BS TAC L E S À UNE COHAB ITAT ION

P réj u g és et i dées reçu es , u n e f ron ti ère m orale

Le collage renvoie au «handmade» et à l’univers des Gens du voyage. Ces affiches permettent une réappropriation du stigmate et ainsi un retournement du dénigrement. « La sur-affirmation consiste à revendiquer, voire mettre en avant le soi déprécié: ce qu’on a appelé le «retournement du stigmate». On connaît l’exemple de «Black is beautiful». On entre ici dans le groupe des «identités réactionnelles», c’est-à-dire construites en réaction à un élément de l’environnement auquel on devient sensible comme à un stimulus exclusif. La stratégie de la sur-affirmation est susceptible de degrés divers : depuis l’« identité-défense », où le sujet se préoccupe seulement de se rendre indifférent, imperméable au regard dépréciateur, jusqu’à l’«identité polémique», chargée d’agressivité, où il passe à l’attaque contre l’autrui méprisant. Le danger potentiel est que l’identité réactionnelle évolue vers le pur mécanisme de défense, formation qui décolle volontiers de la réalité pour s’acheminer vers l’imaginaire et prendre ainsi un caractère délirant. »

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38

CAMILLERI, Carmel. Chocs de cultures, concepts et enjeux pratiques de l’interculturel : 383-384.


T OM E 0 2

O2

PARTI E 0 2 L’A PPORT D ’UN E COHAB ITAT ION

02.2

02.3

L’ A S P E C T CULTUREL

NOMADISME A L T E R N AT I F : U N PA R TA G E DE SERVICES

U N E PA R T I C I PAT I O N ACTIVE

41

40

L’appor t d’une cohabitation

02.1


T OM E 0 2

PARTI E 0 2 L’APPO RT D ’UN E COHAB ITAT ION

02.1 L’aspect culturel

L’ as p ect cu l tu rel

« La relation est à l’oeuvre dans le monde, les absolus civilisationnels, culturels, linguistiques, raciaux, religieux sont emportés dans la houle des rencontres et des mélanges » Certains festivals sont déjà été mis en place dans l’objectif de créer un cadre convivial qui favorise la rencontre entre les habitants d’un lieu, Voyageurs ou non, et de faire tomber les préjugés et représentations qui existent de part et d’autre à travers des expositions, projections, concerts, projections, témoignages et échanges. C’est notamment l’occasion de créer des partenariats avec les associations locales qui s’approprient à travers ce moment un espace d’expression artistique.

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PAT R I C K C H A M O I S E A U


PARTI E 0 2 L’APPO RT D ’UN E COHAB ITAT ION

T OM E 0 2

L’ as p ect cu l tu rel

1

2

3

L AT C H O D I VA N O , MARSEILLE D E P U I S 2007

LES NUITS DE LA ROULOTTE, CHAMBÉRY D E P U I S 2012

F E S T I VA L N O M A D E S , BORDEAUX D E P U I S 2009

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F E S T I VA L R O U E S L I B R E S THÉROUANNE D E P U I S 2012

F E S T I VA L I T I N É R A N C E S T S I G A N E S , LY O N D E P U I S 2006

NUIT TZIGANE, PA R I S -

1

2

3

L’objectif serait de mettre en place des rencontres quotidiennes entre voyageurs et riverains, en partageant des aspects méconnus de leur culture. En effet, la musique tzigane, le cirque et la fête foraine sont des aspects de leur culture que nous acceptons et aimons déjà. Créer du lien autour d’une table n’est-ce pas une invitation simple à la convivialité ?

44 4

5

6

45

Bien que la culture de l’itinérance devienne presque un phénomène de mode, les gens du voyage n’en sont pas pour autant plus acceptés alors que le sédentaire, de plus en plus mobile, adopte pourtant des aspects du mode de vie nomade. Par exemple, depuis quelques années, les food trucks rencontrent un succès grandissant. Ce mode de restauration ambulant est très pratique pour les citadins. Un food truck aux spécialités tziganes, par son exotisation, pourrait peut-être réactiver des rituels culinaires liés aux gens du voyage et favoriser l’échange.


PARTI E 0 2 L’APPO RT D ’UN E COHAB ITAT ION

T OM E 0 2

B R A S D E G I TA N

600 G DE FILET DE PORC + 2 CHOUX CHINOIS + 1/2 L D’HUILE + 1 C. À SOUPE D’EAU + 2 C. À CAFÉ DE MAÏZENA + 2 BLANCS D’ OEUFS + 2 C. À CAFÉ DE MAÏZENA + 4 C. À SOUPE D’EAU + 1 PINCÉE DE SEL + 1 C. À CAFÉ DE GINGEMBRE FRAIS + 2 C. À SOUPE DE SAUCE DE SOJA

P O I V R O N S FA R C I S

4 POIVRONS ROUGES + 1 KG D’ÉPINARDS EN BRANCHE + 2 ÉCHALOTES + 1 GOUSSE D’AIL + 4 CUILLERÉES D’HUILE D’OLIVE + 4 FILETS D’ANCHOIS À L’HUILE + 150 G DE FROMAGE DE HOLLANDE À TROUS RÂPÉ + 50 G DE PIGNONS + 4 BRANCHES DE BASILIC + SEL, POIVRE

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4 ŒUFS + 120 G DE FARINE TAMISÉE + 120 G DE SUCRE EN POUDRE + 50 CL DE LAIT + 1 GOUSSE DE VANILLE + 125 G DE SUCRE EN POUDRE + 20 G POUR CARAMÉLISER + 4 JAUNES D’ŒUFS + 60 G DE FARINE + 20 G DE BEURRE + 1 C. À SOUPE DE RHUM

PORC SAUTÉ AU CHOU CHINOIS

L’ as p ect cu l tu rel

GOULASH DE LA MER

600 G DE POULPE + 150 G DE HARICOTS SECS + 300 G DE PENNE 2 OIGNONS ROUGES + 2 GOUSSES D’AIL + 5 TOMATES + 1 BRANCHE DE CÉLERI + 1 C. À CAFÉ DE CONCENTRÉ DE TOMATES + 25 CL DE VIN ROUGE + 1 MORCEAU DE SUCRE DE CANNE + 1/2 BOUQUET DE BASILIC + HUILE D’OLIVE + 1 FEUILLE DE LAURIER

GOULASH DE PORC AU CIDRE

+ 1 KG D’ÉCHINE DE PORC DÉSOSSÉ + SEL + BEURRE + 4 GROS OIGNONS + 2 C. À SOUPE DE PAPRIKA + 2 C. À SOUPE DE FARINE + 2 DL DE CIDRE + 2 DL DE BOUILLON DE VOLAILLE + 1 BOUQUET GARNI


PARTI E 0 2 L’A PPORT D ’UN E COHAB ITAT ION

L’ as p ect cu l tu rel

49

48

T OM E 0 2

RECHERCHES D’IDENTITÉ POUR LE FOOD TRUCK DE SPÉCIALITÉS TZIGANES.

Le terme « niglo », signifiant hérisson dans la langue des gitans, le calo, symbolise dans les esprits la spécialité typique des tziganes. Cette identité évolutive associe signes hobos et caractères typographiques. Les différentes dispositions renvoient à la mobilité du food truck et au mode de vie itinérant. Les logotypes s’inspirent, içi, des codes graphiques rétro. L’esprit vintage est aujourd’hui de plus en plus revendiqué par ceux qui se veulent à la mode. Ce choix se justifie aussi par le caractère traditionnel des plats proposés, typiques de la communauté des Gens du voyage. Ce serait une façon de projeter cette communauté dans la mouvance actuelle.

2015

LE NIGLO S P É C I A L I T É S G I TA N E S

2015

MADE IN AIRE D’ACCUEIL RIXHEIM

SPÉCI A L I T ÉS GI TA NES MADE IN AIRE D’ACCUEIL RIXHEIM


PARTI E 0 2 L’APPO RT D ’UN E COHAB ITAT ION

L’ as p ect cu l tu rel

51

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PARTI E 0 2 L’A PPORT D ’UN E COHAB ITAT ION

L’ as p ect cu l tu rel

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TRUCK FOOD TRUCK FOOD

12.00 - 22.00 12.00 - 22.00 12.00 - 22.00 12.00 - 22.00 12.00 - 22.00

LE NIGLO

LE NIGLO

LE NIGLO

LE NIGLO

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LE NIGLO

LE NIGLO

LE NIGLO

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LE NIGLO

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FOOD TRUCK FOOD

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TZIGANES

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N I U J 5 12.

TZIGANES

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FOOD TRUCK FOOD TRUCK

0 0 . 2 2 00

TZIGANES

FOOD TRUCK FOOD TRUCK

TZIGANES

TRUCK FOOD TRUCK

SPÉCIALITÉS SPÉCIALITÉS SPÉCIALITÉS

T OM E 0 2


T OM E 0 2

PARTI E 0 2 L’A PPORT D ’UN E COHAB ITAT ION

Ne faudrait-il pas s’interroger sur nos relations au territoire et son organisation de manière à faciliter l’implantation temporaire des gens du voyage ? Les problèmes d’autorisation et de stationnement sont rencontrés dès lors qu’il s’agit d’un véhicule itinérant. En effet, qui dit cuisine de rue implique forcément autorisation des municipalités. Mais les mairies ne sont pas toujours conciliantes avec ces restaurateurs ambulants. Qu’il s’agisse d’une question de place ou parfois de raisons écologiques, obtenir un lieu de stationnement n’est pas une mince affaire. Les difficultés économiques actuelles font qu’aujourd’hui, en France, l’échange devient une pratique de plus en plus courante : échange de résidences en vacance, ou une chambre en contrepartie d’heures de travail (baby sitting, soutien scolaire, ménage...). Les problèmes liés à la recherche d’un logement favorisent cette solution devenue populaire. Or, les contraintes foncières et urbanistiques (raréfaction de l’espace disponible) rendent difficile l’installation des caravanes dans l’espace urbain. Favoriser l’accueil d’une caravane par un particulier pourrait répondre à cette problématique.

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02.2 Nomadisme alter natif : un éc hange de ser vices

N om a di s m e al ter n a ti f : u n p ar ta g e de s er vi ces


T OM E 0 2

ACCUEIL SUR UN TERRAIN P R I V É E N C O N T R E PA R T I E DE SERVICES.

PARTI E 0 2 L’APPO RT D ’UN E COHAB ITAT ION

CARAVANE AT HOME est un site de mise en relation entre particuliers souhaitant s’entraider et échanger des services.En intégrant une caravane et ses voyageurs sur votre terrain, nous permettons d’offrir un service de prêt de terrains privés aux gens du voyage n’ayant pas la possibilité de trouver une place adaptée dans une aire d’accueil. Participer à l’aventure CARAVANE AT HOME, c’est participer à une nouvelle expérience sociale en aidant à l’organisation de sa vie de quartier. Les Gens du voyage exercent essentiellement des activités artisanales ou saisonnières dans l’agriculture. Des services divers comme l’élagage, la peinture en bâtiment, le rempaillage, la plomberie, l’électricité etc. font aussi partie de leurs activités professionnelles les plus courantes. Leurs services pourraient intéresser des particuliers d’autant qu’il s’agit le plus souvent de travailleurs indépendants, caractérisés non seulement par une grande capacité d’adaptation et une polyvalence de leur savoir-faire.

N om a di s m e al ter n a ti f : u n p ar ta g e de s er vi ces

N°01 U N É C H A N G E D E S E RV I C E S E N T R E PA R T I C U L I E R S

ACCUEIL D ’ U N E C A R AVA N E .

SUR LE TERRAIN DE VOTRE MAISON.

=

Ce projet aurait le mérite de ne plus obliger les Gens du voyage à occulter leur culture : le fait d’habiter une caravane deviendrait un atout et une possibilité d’intégration au sein d’un quartier.

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BÉNÉFICIEZ DES SERVICES D E V O S V O YA G E U R S .

ACCUEIL SUR UN TERRAIN P R I V É E N C O N T R E PA R T I E D’UNE RÉDUCTION FISCALE.

Caravane At Home est une plateforme communautaire de location et de réservation de terrains de particuliers. Les hébergeurs aidant leur commune à régler le manque d’aménagement des aires d’accueil et ainsi le manque de place bénéficieront d’une réduction fiscale sur leurs impôts à chaque prêt de terrain.*

N°02 UNE BONNE ACTION POUR VOTRE COMMUNE RÉCOMPENSÉE

ACCUEIL D ’ U N E C A R AVA N E .

SUR LE TERRAIN DE VOTRE MAISON.

=

* Vous avez fait un don à CARAVANE AT HOME, vous allez donc recevoir un reçu fiscal. Ce document, envoyé après chaque don, vous permet de bénéficier d’une réduction d’impôt sur votre revenu. Retrouvez ci-dessous tous les détails de la fiscalité liée aux dons fait au profit de l’association CARAVANE AT HOME. Selon l’article 200 du code général des impôts, un don réalisé au profit d’une association reconnue d’intérêt général peut faire l’objet d’une déduction fiscale. Celle-ci est fixée à 66 % du montant de votre don, dans la limite de 20% de votre revenu imposable. Pour un hébergement ponctuel, le reçu fiscal est envoyé dans le mois qui suit la réception par HomeStreetHome de votre soutien. Si vous hébergez régulièrement, le reçu fiscal est établi en janvier avec le nomble global de vos hébergements réalisés sur une année.

BÉNÉFICIEZ D’UNE RÉDUCTION D’IMPÔT SUR VOTRE REVENU.*


PARTI E 0 2 L’A PPORT D ’UN E COHAB ITAT ION

N om a di s m e al ter n a ti f : u n p ar ta g e de s er vi ces

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COLLAGE ET SCHÉMA R E P R É S E N TA N T L E C O N C E P T .


PARTI E 0 2 L’APPO RT D ’UN E COHAB ITAT ION

Airbnb est une plateforme communautaire de location et de réservation de logements de particuliers fondée en 2008 par les américains Brian Chesky et Joe Gebbia. Airbnb permet à des particuliers de louer tout ou partie de leur propre habitation comme logement d’appoint. Le site offre une plateforme de recherche et de réservations entre la personne qui offre son logement et le vacancier qui souhaite le louer. Il couvre plus de 500 000 annonces en plus de 33 000 villes et 192 pays. De la création en novembre 2008 jusqu’en juin 2012, plus de 10 millions de nuits ont été réservées sur Airbnb. Le prix des nuitées est fixé par les hôtes qui sont libres de fixer le prix pour leur logement. Des commissions sont prélevées sur l’hébergeur, à hauteur de 3 % du prix de la nuitée, et sur le locataire, qui paie, lui, un peu plus cher (en fonction du prix de la nuitée).

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ACCUEILLEZ UNE CARAVANE SUR VOTRE TERRAIN ET BÉNÉFICIEZ DES SERVICES DE VOS VOYAGEURS !

2

Un système d’échange local (ou SEL) est un système d’échange de produits ou de services qui se font au sein d’un groupe fermé (généralement associatif). Le SEL permet à tout individu d’échanger des compétences, des savoir-faire et des produits avec les autres membres du groupe. Chaque SEL est un groupe de personnes vivant dans un même secteur géographique. Pour comptabiliser les échanges, le SEL crée sa propre monnaie, appelée unité d’échange, le plus souvent basée sur le temps (1 heure = 60 unités). Il en existe plus de 600 en France. Ils sont généralement classés dans l’économie sociale et solidaire.

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ACCUEILLEZ UNE CARAVANE SUR VOTRE TERRAIN ET BÉNÉFICIEZ DES SERVICES DE VOS VOYAGEURS !

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ACCUEILLEZ UNE CARAVANE SUR VOTRE TERRAIN ET BÉNÉFICIEZ DES SERVICES DE VOS VOYAGEURS !

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ACCUEILLEZ UNE CARAVANE SUR VOTRE TERRAIN ET BÉNÉFICIEZ DES SERVICES DE VOS VOYAGEURS !


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PARTI E 0 2 L’APPO RT D ’UN E COHAB ITAT ION

Dans le même esprit d’une participation des Gens du Voyage pour conser ver leur mode de vie, on pourrait concevoir qu’ils utilisent à leur propre profit leurs compétences pour construire leur espace. En effet, pour accélérer la création des aires d’accueil, qui peinait à démarrer, l’Etat a arrêté à la fin de 2008 de subventionner les projets des communes qui ne s’étaient pas encore manifestées. Les maires de celles-ci doivent désormais trouver d’autres sources de financement, ce qui induit un effet démotivant. Ce projet propose aux gens du voyage et aux habitants d’une commune accueillant une future aire d’accueil de s’approprier cet espace. Il s’agit, au delà des problématiques d’aménagement, de permettre aux voyageurs de réfléchir sur la question « comment vivre ensemble dans l’espace public ». L’idée est d’organiser un évènement en impliquant les Gens du voyage sur un « chantier ouvert ». Leur participation dans la construction d’aires d’accueil justifierait les frais déboursées par la commune.

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62

02.3 U ne par ticipation active

Un e p ar ti ci p ati on acti ve


PARTI E 0 2 L’APPO RT D ’UN E COHAB ITAT ION

T OM E 0 2

Un e p ar ti ci p ati on acti ve

1

N E R O U G I S S E Z PA S

&

C O L L E C T I F YA + K

S U P E R P L A C E , M A I - J U I L L E T 2014

1

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64

Ne rougissez pas développent installations, dispositifs, ateliers dont la force d’action est avant tout de récolter la parole citoyenne. Il s’agit de donner envie aux habitants de s’investir dans le geste ou dans la parole. Içi, un langage graphique autour de la place publique, du cirque et du chantier a été développé et des ateliers participatifs ont été mis en place.

C O L L A G E R E P R É S E N TA N T L E C O N C E P T ET PROPOSITION D’AFFICHE.


T OM E 0 2

O3

PARTI E 0 3 VERS UN E N O UVELLE CONCEP T ION DE L’HAB ITAT

03.2

03.3

LA MAISON IDÉALE

UNE MAISON ÉPHÉMÈRE

L A FA Ç A D E COMME FRONTIÈRE

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66

Vers une nouvelle conception de l’habitat

03.1


T OM E 0 2

PARTI E 0 3 VERS UN E N O UVELLE CONCEPT ION DE L’HAB ITAT

En étudiant l’inversion actuelle des schémas où le sédentaire est de plus en plus mobile, on se rend compte que le mode de vie des sédentaires et leurs désirs évoluent. Notre vision de l’habitat «idéal» change et devient de plus en plus minimaliste.

Les Chatastvi sont des centaines de milliers de petits pavillons d’été, à la périphérie des villes, sont improvisées et construits par leur propriétaires, et ce depuis les années 1920. Ces constructeurs ont su transformer leur rêve commun en réalité. Chaque construction a sa propre identité et représente une échappatoire à la réalité quotidienne, ils gouvernent leurs petits espaces, d’un point de vue physique aussi bien que spirituel.

V E R O N I K A Z A P L E TA L O VA

C H ATA S T V I , 2005

La centaine des structures présentées dans ce projet montre bien les changements de la société et les rêves humains enfouis. Il s’agit là d’une sorte de « bricolage maison » qui montre la relation de ces hommes avec leur terre natale et leur passion de la nature, de la liberté et du sens de la communauté.

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L’itinérance ou l’absence de domicile ou de résidence fixe des Gens du voyage ne paraissent plus être véritablement les préoccupations prédominantes des pouvoirs publics. Désormais, la problématique semble plutôt provenir de la spécificité de leur habitat. Pourtant, la tendance actuelle des sédentaires va dans le sens de cette spécificité.

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03.1 La maison idéale

L a m a i s on i déa le


PARTI E 0 3 VERS UN E N O UVELLE CONCEP T ION DE L’HAB ITAT

L a m ai s on i déale

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70

T OM E 0 2

SONDAGE AUPRÈS DE PERSONNES S É D E N TA I R E S D E T O U T Â G E , S E X E , MILIEU SOCIAL, SUR LA PERCEPTION DE LEUR MAISON IDÉALE.

Peu importe les représentations, ce qui est intéressant est que l’environnement extérieur apparaît important. L’idéal semble être un lieu. Ce qui ressort également de ce sondage est que l’apparence de la maison idéale semble primer sur son intérieur.


PARTI E 0 3 VERS UN E N O UVELLE CONCEPT ION DE L’HAB ITAT

L a m a i s on i déa le

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72

T OM E 0 2

Paradoxalement, à Ciurea, village moldave, situé dans la région la plus pauvre de Roumanie, certains tziganes habitent des villas opulentes, qu’ils entourent de grilles en fer forgé, et couvrent de fresques ou de couleurs criardes comme une « sur-revendication » de leur maison. Démonstration de richesse, goût pour le luxe ou l’apparence, véritables lieux de vie ?


PARTI E 0 3 VERS UN E N O UVELLE CONCEP T ION DE L’HAB ITAT

L a m ai s on i déale

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T OM E 0 2

RECHERCHES SUR UNE FORME HYBRIDE D ’ H A B I TAT I O N , E N T R E S É D E N TA R I T É E T N O M A D I S M E . R E P R É S E N TAT I O N D’UN IDÉAL ?

Le collage permet de créer une forme qui renvoie au handmade et échappe aux formes rigides des maisons. On retrouve l’idée de « bricolage maison», maison », inspirée des chatastvi. Paradoxalement, ces formes hyperboliques et insolites rappellent l’opulence des villas tziganes vues précédemment.


PARTI E 0 3 VERS UN E N O UVELLE CONCEP T ION DE L’HAB ITAT

L a m ai s on i déale

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T OM E 0 2

RECHERCHES SUR UNE FORME HYBRIDE D ’ H A B I TAT I O N , E N T R E S É D E N TA R I T É E T N O M A D I S M E . R E P R É S E N TAT I O N D’UN IDÉAL ?

La superposition et le jeu de transparence forment un tout homogène où la caravane et l’immeuble se fondent. L’utilisation du noir et blanc est destinée à contribuer à estomper les juxtapositions. Amalgame des formes et des couleurs.


PARTI E 0 3 VERS UN E N O UVELLE CONCEP T ION DE L’HAB ITAT

L a m ai s on i déale

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T OM E 0 2

PROJECTION D’INTÉRIEURS DE MAISONS TZIGANES SUR L A FA Ç A D E D ’ U N E C A R AVA N E .

La caravane détermine une relation particulière entre le « dedans » et le « dehors », entre l’espace intime de la caravane et l’espace partagé au milieu des caravanes. Ce rapport à l’extérieur renvoie au caractère composite de l’espace habité et à la peur de l’enfermement, ancrée dans l’histoire, en référence aux camps d’extermination. Ici, notre vision est inversée : nous regardons les Gens du voyage regarder vers l’esxtérieur par la projection d’une photographie d’intérieur sur la façade de la caravane.


T OM E 0 2

PARTI E 0 3 VERS UN E N O UVELLE CONCEPT ION DE L’HAB ITAT

Les Gens du voyage sont donc tournés vers l’extérieur et toujours animés par la volonté de rester libres de voyager. Même si l’aspiration au confort commune au reste de la population existe, il n’en demeure pas moins qu’ils restent caractérisés par leur souhait d’itinérance et de découverte de territoires nouveaux et non cloisonnés, leur capacité de changement et leur facilité d’adaptation. La caravane constitue un élément identitaire important dans la mesure où elle symbolise la mobilité. La caravane entretient un rapport singulier à l’espace car elle représente la faculté de se déplacer en toute liberté, dans l’espace et à tout moment. Elle permet l’exercice de leurs activités ambulantes et/ou saisonnières qui ne pourraient être possible en raison des frais de déplacement trop élevés.Elle représente l’aspiration au voyage.

Même si elle est immobile, la caravane doit répondre à la faculté de se déplacer facilement et instantanément et de s’installer de manière provisoire.

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03.2 U ne maison éphémère

Un e m a i s on ép h ém ère


PARTI E 0 3 VERS UN E N O UVELLE CONCEP T ION DE L’HAB ITAT

RECHERCHES SUR UNE FORME HYBRIDE D ’ H A B I TAT I O N , E N T R E S É D E N TA R I T É E T N O M A D I S M E . R E P R É S E N TAT I O N D’UN IDÉAL ?

Le pliage de ces maisons est une représentation de leur intégration dans la caravane. Il renvoie également aux notions de modularité et d’adaptibilité nécessaires aux petits espaces comme l’habitation mobile.

Un e m ai s on ép h ém ère

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T OM E 0 2


T OM E 0 2

PARTI E 0 3 VERS UN E N O UVELLE CONCEP T ION DE L’HAB ITAT

Un e m a i s on ép h ém ère

1

CAPTURES D’ÉCRAN VIDÉO BERTILLE BAK TRANSPORT À DOS D’HOMMES

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1

RECHERCHES SUR LA NOTION D E F L E X I B I L I T É D E L ’ H A B I TAT .

Ces collages renvoient aux savoir-faire des gens du voyage qui ont souvent des métiers manuels. La caravane est décomposée, comme démontée. Cette idée de kit est associée à celles d’autonomie et de liberté de déplacement.


PARTI E 0 3 VERS UN E N O UVELLE CONCEPT ION DE L’HAB ITAT

Un e m a i s on ép h ém ère

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T OM E 0 2

RECHERCHES SUR LA NOTION D E F L E X I B I L I T É D E L ’ H A B I TAT .

Ce jeu de pliage permet de retranscrire la rapidité et la facilité avec laquelle un espace peut être créé, à la manière d’une caravane, qui délimite automatiquement son territoire lorsqu’elle s’installe. Le patron en construction permet de passer de la 2D à la 3D en un geste.


PARTI E 0 3 VERS UN E N O UVELLE CONCEP T ION DE L’HAB ITAT

Un e m ai s on ép h ém ère

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T OM E 0 2

ÉTUDE EN VOLUME DES DIFFÉRENTES FORMES DE MAISONS.

Ces compositions de différentes couleurs, mélangeant 2D et 3D, permettent une perception trompeuse, l’illusion d’une maison.


T OM E 0 2

PARTI E 0 3 VERS UN E N O UVELLE CONCEPT ION DE L’HAB ITAT

En reprenant le constat de mon sondage sur la perception de la maison idéale, il m’a semblée intéressant de retravailler sur la façade de maison, inspirée des « villages Potemkine », trompe-l’œil à des fins de propagande. Selon une légende historique, de luxueuses façades avaient été érigées à base de carton-pâte, à la demande du ministre russe Potemkine, afin de masquer la pauvreté des villages lors de la visite de l’impératrice Catherine II en Crimée en 1787. Finalement, s’il n’y avait pas l’élément identitaire de la caravane, la présence des gens du voyage gênerait-elle moins ?

Et si les caravanes étaient intégrées dans le paysage, les riverains les accepteraient-ils mieux ? 91

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03.3 La façade comme frontière

L a façade com m e f ron ti ère


PARTI E 0 3 VERS UN E N O UVELLE CONCEP T ION DE L’HAB ITAT

T OM E 0 2

1

2

L É O FA B R I Z I O BUNKERS

TROMPES OEIL SOUZDAL, RUSSIE

2

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1

L a fa ça de com m e f ron ti ère

Les constructions fortifiées suisses, les bunkers, sont des dispositifs de camouflage, véritables décors de théâtre réalisés avec un soin helvétique.

Alors que le président russe Poutine était attendu dans la petite ville de Souzdal les 7 et 8 novembre 2013, à l’occasion du congrès des maires, des maisons en état de délabrement ont été recouvertes de bâches en trompe-l’œil pour leur redonner un aspect plus clinquant, la municipalité ne voulant pas montrer à Vladimir Poutine le manque d’entretien.


T OM E 0 2

PARTI E 0 3 VERS UN E N O UVELLE CONCEP T ION DE L’HAB ITAT

L a fa ça de com m e f ron ti ère

1

GUILLAUME GREFF DEAD CITIES

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1

« Neutraliser » est l’expression utilisée pour décrire l’action des forces armées venant à bout de leur adversaire au cours d’un conflit. Or, cette action – qu’il s’agisse d’une guerre proprement dite ou d’actes de répression – peut s’exercer n’importe où : son principe même est celui d’un théâtre des opérations polymorphe et changeant, illimité en droit comme en fait. Pourtant, l’idée est venue que ce théâtre avait des formes récurrentes et qu’il existait donc une sorte de scène idéale de la neutralisation et de l’exercice de la force et que, par conséquent, il était possible de construire, pour l’entraînement, un modèle spatial susceptible de produire de façon efficace les cadres ou le décor des actions les plus fréquemment menées. Alors que jadis on pouvait pour l’essentiel se contenter des campagnes ou de zones sauvages, l’omniprésence du fait urbain a conduit à créer des villes ou des fragments de ville qui seraient comme une maquette grandeur nature du théâtre des opérations, une cité idéale en somme, mais du point de vue de la police ou de l’armée.


PARTI E 0 3 VERS UN E N O UVELLE CONCEP T ION DE L’HAB ITAT

L a façade com m e f ron ti ère

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T OM E 0 2

RECHERCHES SUR L’IDÉE D E T R O M P E - L ’ O E I L P E R M E T TA N T D’ALLIER NOMADISME ET S É D E N TA R I T É .

Le concept içi est de créer l’illusion d’une maison à partir d’une caravane. Un simple toît peut troubler la vision. À la fois trompe-oeil, il permet aussi de donner une identité à la caravane selon sa couleur, sa texture, sa forme.


PARTI E 0 3 VERS UN E N O UVELLE CONCEPT ION DE L’HAB ITAT

L a façade com m e f ron ti ère

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T OM E 0 2

RECHERCHES SUR L’IDÉE D E T R O M P E - L ’ O E I L P E R M E T TA N T D’ALLIER NOMADISME ET S É D E N TA R I T É .

Le souhait de la majorité des voyageurs de disposer d’un lieu d’ancrage, lieu d’habitat leur donnant tout autant la possibilité d’aller et venir à leur guise que celle d’adopter un mode de vie sédentaire. Ces notions d’ancrage et de mobilité sont ici symbolisées par un parking collectif dont les parois sont sous la forme d’une maison simplifiée.


PARTI E 0 3 VERS UN E N O UVELLE CONCEPT ION DE L’HAB ITAT

T OM E 0 2

1

2

PA U L A R E B S O M IF WE LIVED HERE

ROY LICHTENSTEIN HOUSE

L a façade com m e f ron ti ère

101

100

1

2

RECHERCHES DE FORMES D E FA U S S E S FA Ç A D E S .

Ces pop-up permettent de retrouver les reliefs d’une véritable façade avec peu de moyens.


PARTI E 0 3 VERS UN E N O UVELLE CONCEPT ION DE L’HAB ITAT

T OM E 0 2

L a façade com m e f ron ti ère

KIT E G A L F CAMOU

502

513

E S D U V O YA G S P ÉC IA L G EN 02

508

510

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509

504

508

506

505 511

01

514

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03 FI1131 FI1132

2

1

2

04

11

10

10

7

3

4

3

3

3

4

1

3

3

2

7

5

4

B

1

5

3

2

4

3

5

4

2

2

2

2

A 3 5

3

D

A

30 65 085

10

A

A 3 5

4 6

3

3

4

3

6

4

6

6

6

6 5

5 C

C

5 C

C

30 45 252 30 65 086

30 45 252

30 02 499 30 02 488

6

6

6

6

C

C

C

C

#1

4PCS

#6

8PCS

#2

10PCS

#7

4PCS

#3

16PCS

#10

3PCS

#4

8PCS

#11

1PCS

#5

8PCS

A D

B

4PCS

E

2PCS

4PCS

C

8PCS

2PCS


PARTI E 0 3 VERS UN E N O UVELLE CONCEPT ION DE L’HAB ITAT

MAQUETTE KIT CAMOUFLAGE.

Structure en bois qui camoufle la caravane.

L a façade com m e f ron ti ère

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T OM E 0 2


T OM E 0 2

PARTI E 0 3 VERS UN E N O UVELLE CONCEPT ION DE L’HAB ITAT

L a façade com m e f ron ti ère

Maison Basque

107

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La grande maison où toutes les générations se retrouvent : avec son mur de pelote basque, une structure en bois teintée en vert, ou, comme ici, rouge « sang de boeuf ». Si le style est plus présent dans les provinces basques françaises, il est aussi visible jusqu’à Bilbao.


T OM E 0 2

PARTI E 0 3 VERS UN E N O UVELLE CONCEPT ION DE L’HAB ITAT

L a façade com m e f ron ti ère

Maison Bretonne

On évoque ici le style spécifique des maisons alsaciennes ; il se caractérise par une structure bois à colombages ; des toits pentus en tuiles, des formes et des couleurs vives qui évoquent la vie passée des occupants, et, très fréquemment, des fenêtres fleuries.

La Maison traditionnelle Bretonne allie des murs blancs enduits et en pierres (granite ou schiste) et un toit en ardoise. Elle est souvent agrémentée de buissons d’hortensias. On la rencontre du Pays Gallo, au Pays Bigouden.

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Maison Alsacienne

PAT R O N S D E M A I S O N S S E L O N L’ARCHITECTURE VERNACULAIRE DE CHAQUE RÉGION POUR U N E M E I L L E U R E D I S S I M U L AT I O N .


PARTI E 0 3 VERS UN E N O UVELLE CONCEP T ION DE L’HAB ITAT

L a fa ça de com m e f ron ti ère

111

110

T OM E 0 2

PAT R O N S D E M A I S O N S S E L O N L’ARCHITECTURE VERNACULAIRE DE CHAQUE RÉGION POUR U N E M E I L L E U R E D I S S I M U L AT I O N .

Ces fausses maisons typiques s’adaptent à l’uniformisation des modes de vie imposée par l’Etat et deviennent des liaisons entre aires d’accueil et paysages des communes riveraines. Elles se fondent dans l’identité du pays, tel un catalogue des paysages de France de cartes postales.


T OM E 0 2

Le design graphique, dans ce projet, a un rôle plus exploratoire, de manière critique, pour contribuer à un débat sociétal. Les explorations de l’occupation temporaire de l’espace public doivent tenir compte des modes de vie de chacun de ses occupants. Ne faut-il pas remettre en question notre conception de l’hospitalité pour contribuer à l’avancée du débat vers une amélioration des relations entre Gens du voyage et riverains ? Ne fautil pas également s’interroger sur notre vision de l’habitat ? En effet, parallèlement à l’évolution de la mobilité, nos désirs évoluent : le sédentaire aspire à une maison de plus en plus minimaliste alors que le nomade est dans l’ostentatoire. Inverser les codes, n’est-ce pas un moyen d’interpeler et d’interroger nos schémas préétablis ?

113

112

Conclusion

Con cl u s i on



GENS DU VOYAGE ET RIVERAINS : DE L’HOSTILITÉ À L’HOSPITALITÉ

N° 3 PROJET FINAL MASTER DESIGN GLOBAL, RECHERCHE & INNOVATION

SARAH NAUD

P R O M O T I O N 2 0 1 4 - 15


R e m e rc i e m e n t s

M É M O I R E D I R I G É PA R

T I P H A I N E K A Z I - TA N I

& V I N C E N T G I AV E L L I

REMERCIEMENTS

Tiphaine Kazi-tani Vincent Giavelli Maryline De Barros Julie Brasset Françoise Hanoun Lorena Skopelja

3

SARAH NAUD

P R O M O T I O N 2014-15


Con tex te d ’ a ppli ca t i o n

TOME 03

Contexte d’application

CONTEXTE

Suite aux politiques d’accueil et d’habitat des populations nomades, les collectivités locales ont eu pour mission de favoriser le stationnement des Gens du voyage, conformément au schéma départemental d’accueil. Les relations Voyageurs-Gadjés restent, malgré cela, animées de méfiance et de crainte. Elles sont essentiellement vécues en termes de crispation, de refoulement et d’absence de dialogue. Mais il est de l’intérêt de tous d’informer et de s’informer mutuellement pour transformer des oppositions de principe, générées par les préjugés et les stéréotypes globalisants, en différences mieux comprises. C’est pourquoi, certaines associations cherchent à mettre en place un échange destiné à estomper cette distance, comme l’Association Départementale des Voyageurs et Gadjés (ADVOG) qui, associée aux institutions, collectivités locales et organismes, travaille à la renconnaissance d’une population qui se diffère par son mode de vie et d’habitat, tout en participant à la communauté nationale. En tenant compte de la réalité et de constats objectifs, ADVOG contribue à favoriser la rencontre entre Gens du voyage et riverains et leur communication.

CIBLE

5

4

Le projet s’adresse donc aussi bien aux Gens du voyage, qu’aux riverains.


En j e u x d u pro j e t

TOME 03

Enjeux du projet

E N J E U X C R É AT I F S

Le design graphique, dans ce projet, a un rôle exploratoire et tend à contribuer à un débat sociétal. Des outils sont mis en place, non seulement pour interpeler mais également pour impliquer le spectateur lui-même dans le processus de création. Il deviendrait ainsi acteur et jouerait un rôle indispensable dans l’amélioration des relations entres les Gens du voyage et riverains. ENJEUX POLITIQUES

Les enjeux politiques seraient d’interroger notre notion de l’hospitalité en inversant les schémas préétablis. Le principe d’accueil des Gens du voyage est consacré par les sédentaires. L’idée est de concevoir l’accueil des sédentaires par les Gens du voyage. C’est une façon de remettre en question les relations accueillants/accueillis et par là même, le postulat sur lequel est fondée la loi en vigueur sur les aires d’accueil alors que accueillants et accueillis sont des citoyens français sur leur territoire. ENJEUX SOCIAUX

7

6

Quant aux enjeux sociaux, l’intérêt serait de participer à l’émancipation de la parole dans la ville pour favoriser les échanges entre nomades et sédentaires. Les conflits naissent de l’ignorance et de l’incompréhension de l’autre, et le vivre ensemble implique la découverte, la connaissance et l’ouverture.


P rés en tat i o n d u pro j e t

TOME 03

Présentation du projet

La première partie du projet se présente sous la forme d’une déambulation de caravanes destinée à rassembler au sein de chaque ville autour des espaces d’accueil des riverains par les Gens du voyage. Ce défilé dans l’espace urbain, par sa cohésion, crée un univers de spectacle pour séduire et attiser la curiosité des habitants de la ville. Une fois arrivé sur le lieu de rassemblement, le convoi se désolidarisera pour investir l’aire d’accueil qui se transformera en un espace public de sociabilité, d’accueil et de débat entre Gens du voyage et riverains. C’est alors une façon d’inverser les schémas et de créer une aire d’accueil temporaire des riverains par les Gens du voyage. Des activités et ateliers participatifs seront alors mis en place permettant de créer un cadre convivial pour échanger. Ces aires d’accueil deviendraient ainsi des sortes d’hétérotopies en ce que leur fonction diffèrerait pour un temps.

9

8

Ces « portes ouvertes » sont un moyen de reformuler un problème de société. C’est au travers du dialogue, de la relation directe, que pourra s’établir une relation de confiance. C’est une façon, pour tous les citoyens d’un même quartier, sans aucune distinction, de s’exprimer sur leur espace de vie, d’échanger et de contribuer ensemble à son amélioration. Chacun a un rôle propre dans la construction du projet. Le renversement des valeurs cherche à s’interroger sur les formes d’autorité qui s’exercent sur l’espace public et ces attractions ludiques pourraient amener à une prise de conscience.


L i eu x d’ i m pla n ta t i o n

TOME 03

Lieux d’implantation

1

A I R E S D ’ A C C U E I L R É A L I S É E S PA R R A P P O R T A U X O B J E C T I F S 5 A O Û T 2014

(%)

100% O U P L U S E N T R E 75 E T 100% E N T R E 50 E T 75% E N T R E 25 E T 50% E N T R E 0 E T 25%

#03

ILLE- ET-VILAINE

AIRES D’ACCUEIL

89,1%

A I R E S D E G R A N D PA S S A G E

#02

44,4%

35

A I R E S 41/46 A I R E S 4/9

LOIRE-ATLANTIQUE 52

AIRES D’ACCUEIL

69,6%

A I R E S D E G R A N D PA S S A G E

A I R E S 39/56

87,5%

A I R E S 7/8

#01 AIRES D’ACCUEIL

38

ISÈRE 77,4% 50%

A I R E S 41/53 A I R E S 5/10

11

10

A I R E S D E G R A N D PA S S A G E

La première édition de l’évènement se fera dans le département de l’Isère de la région Rhône-Alpes. Ce département français est celui détenant le plus grand nombre d’aires d’accueil et donc le plus grand nombre de Gens du voyage y circulant. Le but est de favoriser la communication du rassemblement dès la première édition. La parade parcoura les aires d’accueil les plus étendues pour optimiser les échanges entre Gens du voyage et riverains. La seconde édition se fera dans la Loire-Atlantique, deuxième département ayant le plus d’aires d’accueil. Les éditions suivantes iront dans un ordre décroissant.


L i eu x d’ i m pla n ta t i o n

TOME 03

C H A SSE SU R RH ON E A A 3 8 6 R O U T E D E C O M M U N AY 38600 C H Â S S E S U R R H Ô N E

04 78 73 25 50

52

PLACES

BO UR G O I N J AL L I E U AA 50

PLACES

13

12

26 CHEMIN DES MARAIS 38300 BOURGOIN JALLIEU 06 76 23 20 60

V O I R O N AA «

LE GRAND PRÉ

38500 V O I R O N 06 22 58 25 46

»

42

PLACES

B E AU C R O I S S AN T G P R N 85

38140 B E A U C R O I S S A N T 06 78 25 40 46

150

PLACES

C R O L L E S AA

T U L L I N S AA AV E N U E D U P E U R A S 38210 T U L L I N S

06 78 39 30 45

RUE DES FRÈRES MONT GOLFIÈRES 38190 C R O L L E S

04 38 72 96 72

50

PLACES

L I E U X D ’ I M P L A N TAT I O N PA R A D E

ECHIROLLES GP

AIRES D’ACCUEIL

«

PIERRE DE COUBERTIN

38130 E C H I R O L L E S 06 78 25 40 46

»

150

PLACES

40

PLACES


Identité

TOME 03

Identité N ° 0 1 PA R A D E

N ° 0 2 AT E L I E R TA M P O N

N ° 03 F O O D T R U C K

N ° 0 4 AT E L I E R C O N T R E - P R É J U G É S

15

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N ° 0 1 E S PA C E

Le terme «gadjo» signifie toute personne qui ne fait pas partie de la communauté des Gens du voyage. Si dans l’esprit des sédentaires ce terme est péjoratif, en réalité, il s’agit d’une définition tout à fait neutre pour les Gens du voyage. Gadjo fait donc référence au langage des Voyageurs tout en s’adressant à ceux qui ne le sont pas. Les signes choisis sont ceux utilisés par les hobos, terme qui signifie vagabond mais qui pour certains vient de l’anglais homeless bohemia. C’est là une référence à une signalétique dans la ville spécifique aux voyageurs. L’identité se décline sous différentes formes en relation avec les activités et renvoient aux notions de mobilité et d’adaptabilité dans l’espace.


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La parade La parade se présente sous la forme d’un convoi de caravanes dissimulées sous de fausses façades de maisons. Inspirées des « villages Potemkine », trompe-l’œil de luxueuses façades érigées pour masquer la pauvreté des villages, ces fausses maisons sur roues jouent avec des formes familières pour leurer les riverains. Le symbolisme de la façade renvoie à son sens figuré. Il faut savoir comprendre tout ce que cache une façade et ne pas se fier aux apparences. Elle sert souvent de paravent pour maintenir l’ignorance populaire.

L’image du train est symbolique : les caravanes liées renvoient à la hiérarchie et la solidarité de la communauté menée par un seul leader. Elle fait également référence au Wagenburg (littéralement « forteresse de wagons ») qui est une tactique militaire consistant à s’abriter derrière des chariots de ferme convertis en chariots de guerre, employée au XVe siècle. Cette attitude de défense renvoie à l’attitude adoptée par les Gens du voyage face aux riverains et réciproquement. Cette intervention directe dans la ville crée une situation qui refuse toute «forme» prééxistante. Elle tend à favoriser le rassemblement dans l’espace public et rend possible le transport des habitants sur l’aire d’accueil où des dispositifs seront mis en place pour faciliter l’échange.

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Ces fausses maisons sur roues interrogent aussi sur l’uniformisation des modes de vie imposée par l’Etat et permettent de créer un lien visuel entre aires d’accueil et paysages des communes riveraines.


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Dans l’État du Tamil Nadu, au sud de l’Inde, se trouvent des architectures délirantes dont les plus anciennes datent de 1940, à Tirunamavalai. Chaque maison est l’œuvre d’une famille. L’intérieur est une accumulation d’autels couverts d’offrandes, de lits aux tissus scintillants… Un mélange des genres qui renvoie à la liberté, au consumérisme, au conservatisme, mais surtout à la volonté d’afficher l’aisance matérielle de la famille. Ces maisons rappellent celles de Ciurea par leur exhubérance. Or, d’un point de vue historique, les Roms (au sens large) ont été déportés au XIe siècle de la vallée du Gange, en Inde, et ont migré progressivement. Ces façades sont mon inspiration première pour la représentation de mes fausses maisons.

Ces formes géométriques aux couleurs criardes s’inspirent de certaines architectures indiennes. L’idée est de susciter la réflexion par une exagération de ces constructions. L’ironie est de présenter ces façades ostentatoires qui ne se fondent pas dans le paysage, ni se rapprochent des maisons vernaculaires françaises et ne peuvent qu’attirer l’attention.


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Les affiches de communication mettront en scène les Gens du voyage de chaque ville où la parade se déplacera. Leurs visages partiellement camouflés suscitent la curiosité tout en faisant référence au climat de méfiance. L’intitulé renvoie à la notion d’accueil. Le terme «porte» fait référence à la maison. Les caravanes s’imbriquent dans une maison, laquelle symbolise le lieu d’accueil des riverains. Le choix du carton et de la technique d’impression en sérigraphie est destiné à donner un aspect artisanal aux images en référence aux métiers souvent manuels des Gens du voyage. Les couleurs vives contrastent avec le terne du support pour évoquer la vie dans la ville. Elles s’inspirent des tons des affiches vernaculaires.


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Atelier tampons

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La roue est un élément archétype de la caravane. C’est d’ailleurs le symbole du drapeau Rom. Ce simple élément archétype peut-il bouleverser la norme ? Une caravane sans roue s’apparente-t’elle à une maison et une maison avec des roues se rapproche-t’elle d’une caravane ?L’idée d’un atelier où les éléments archétypes des différents types d’habitats seraient décomposés sous forme de tampons permet de créer un vocabulaire graphique constitué de signes élémentaires dans l’objectif que chacun puisse fusionner maison et caravane. Ces différentes formes peuvent être assemblées, mélangées, répétées à l’infini par les visiteurs et créent ainsi une chimère, entre nomadisme et sédentarité. C’est une proposition de réappropriation des éléments archétypes de chaque habitat.


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Le food tr uck aux spécialités tziganes

La culture comprend notamment la tradition culinaire. Celle des Gens du voyage est méconnue. La par tager est un moyen de créer des rencontres. Le food truck aux spécialités tziganes pourrait attirer les sédentaires par leur exotisme. La connaissance de nouveaux rituels pourrait être un début au désir d’une découver te plus profonde d’une culture différente. Ce mode de vente ambulant caractéristique des Gens du voyage permettrait, suite au rassemblement, de continuer à par tager la cuisine tzigane à travers la France et ainsi de créer des rencontres au quotidien.

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CAMILLERI, Carmel. Chocs de cultures, concepts et enjeux pratiques de l’interculturel : 383-384.

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Atelier préjugés

« La sur-affirmation consiste à revendiquer, voire mettre en avant le soi déprécié: ce qu’on a appelé le «retournement du stigmate». On connaît l’exemple de «Black is beautiful». On entre ici dans le groupe des «identités réactionnelles», c’est-à-dire construites en réaction à un élément de l’environnement auquel on devient sensible comme à un stimulus exclusif. La stratégie de la sur-affirmation est susceptible de degrés divers : depuis l’« identitédéfense », où le sujet se préoccupe seulement de se rendre indifférent, imperméable au regard dépréciateur, jusqu’à l’«identité polémique», chargée d’agressivité, où il passe à l’attaque contre l’autrui méprisant. »


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L’utilisation du stigmate est un moyen de communication et d’action. Revendiquer soi-même sa position de dominé permet de dénoncer les idées reçues. L’atelier propose aux Gens du voyage de jouer eux-mêmes avec les préjugés dont ils sont victimes. C’est également un mode d’émancipation de la « mauvaise parole » dans la ville qui permet à tous de se l’approprier en associant différents éléments relatifs aux Gens du voyage.


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Le projet a pour but de susciter une réflexion et s’inscrit dans une volonté de s’interroger sur un problème actuel de société. Il ne tend pas à proposer des solutions mais à faire jouer à chaque individu son rôle social. Le designer graphique doit contribuer par ses images, qui interagissent avec leur environnement, à favoriser l’émergence d’une pensée critique. Son rôle est de penser son image comme un moyen d’action. Mais ce rassemblement n’aura de sens que par les répercussions qu’il aura sur chacun en fonction de ses propres expériences. Il ne prendra donc sa véritable dimension que dans le futur et n’aura de sens que dans la perception et les représentations que l’on a de lui.

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Concl usion

C o n c lu s i o n



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