1
2
3
M É M OI R E DI R IG É PAR T I P HAI N E KA Z I - TAN I / VI N C E N T G I AV E L L I 2014—2015
R E M E RC I E M E N TS T I P HAI N E KA Z I - TAN I VI N C E N T G I AV E L L I P I E R R E GA Ë L STE UN OU D O M I N I Q U E B ECCARI A
4
5
TO M E 1 > AVAN T - P RO POS
AVANTPROPOS
ZADAR ( C ROAT I E ) E N 1 991 . 2
"TOUT CE QUE JE SAIS, C’EST QUE JE NE SAIS RIEN."1 Je suis née en 1991 à Zadar (Croatie), durant la guerre; d'un père serbe et d'une mère croate. Neuf ans plus tard, je me suis installée en France en tant que réfugiée politique. Mon parcours personnel m'a amené à me poser des questions sur la relation serbo/croate. J'ai d'abord eu beaucoup de certitudes, avant de me rendre compte que mon point de vue sur la situation était unique. J'ai compris qu'en réalité, je ne savais rien. Pour comprendre la relation complexe qui lie ces deux pays; il fallait remonter bien plus loin et mettre mes angoisses de côté.
Robert Marnika : ZADAR 1991 ... THE BOOK PRESENTATION, 2011 [en ligne] <https://www.youtube.com/ watch?v=0OiV3Rj336E> (page consultée le 20/08/2015).
2
Emmanuel Kant : Qu’est-ce que les lumières ?, 1784.
1
6
7
TO M E 1 > S O M M AI R E
SOMMAIRE TO M E 1
PA RT I E 0 1
PA RT I E 0 2
PA RT I E 0 3
UN E R E LAT IO N CO M P LE X E
CO M M UN ICAT IO N E N T R E LE S Ê T R E S
AP P E L AU RAS SE M B LE M E N T
AVAN T - P RO POS
A
PAG E 4 / 5
I N T RODUC T IO N
LA LANGU E CO M M E M AR Q U E U R I DE N T I TAI R E
PAGE
PAGE
16 / 21
B
PAG E 8 / 11
E N J E U X DU P RO J E T
LE SE R B O - C ROATE : UN E LANGU E UN I F ICAT R IC E PAGE
PAG E 12
A
CO N TE X TE TE R RI TO RI AL E T PO L I T I Q U E
22 / 29
UN E UN IO N DE ST RUC T RIC E PAGE
B
PAG E 1 04
PAG E 1 06 / 1 07
Q UI A DI T Q U E LE S SE R B E S E T LE S C ROATE S DEVAI E N T SE DÉ TE STE R ? PAGE
36 / 47
L ' AL P HAB E T, C R ÉATE U R DE L I E N S S Y M B O L I Q U E S E N T R E LE S Ê T R E S ?
L ' E S PAC E P U B L IC CO M M E L I E U D ' E X P R E S S IO N PAGE
90 / 97
58 / 6 5
C
LE POU VOI R DU LANGAG E PAGE
66 / 75
D
DÉC L I N DE L ' E NGAG E M E N T PO L I T I Q U E PAGE
82 / 89
B
C
LE S P EC TATE U R AU C E N T R E DU P ROC E S SUS DE C R ÉAT IO N PAGE
D
CO N C L US IO N
B I B L IO G RAP H I E
30 / 35
PAGE
50 / 57
PAGE
C
A
LE M E S SAG E CO N TE STATAI R E
76 / 79
98 / 1 03
8
9
TO M E 1 > I N T RODUC T IO N
INTRODUCTION
"CE QUI EST INSUPPORTABLE, CE N’EST PAS LA SOUFFRANCE MAIS LE FAIT QU’ELLE N’AIT PAS DE SENS."3 La guerre de Yougoslavie s'est soldé par la dissolution de cette dernière. Après dix ans de conflits (1991-2001), les différentes Républiques constituants l'ex-Yougoslavie deviennent des États indépendants. Aujourd'hui, le "cloisonnement" entre certains de ces États est tel que la communication à été complètement rompue. Ce qui m'intéresse ici, c'est la relation entre les Serbes et les Croates.
CARTE AC T U E L LE DE LA C ROAT I E E T DE LA SE R B I E
Il m'est difficile de constater que deux peuples aussi semblables aient rompu la communication, après avoir partagé un pays commun. En retournant dans mes pays, je retrouve cette "mentalité" des Balkans, de nombreuses valeurs communes et une culture très similaire. Cependant, ces derniers prétendent ne rien avoir en commun. Depuis la fin de la guerre, chacun affirme son identité en s'opposant à l'autre. Il me semble que le plus grand problème c'est la manière dont est monté le processus de guerre. La rupture a été nette et violente; elle n'a pas permit à la population d'obtenir une explication de la situation et de la comprendre. Résultat : Les Serbes et les Croates ont beaucoup de préjugés les uns envers les autres.
C ROAT I E CAP I TALE ZAG R E B LANGU E O F F IC I E L LE C ROATE AL P HAB E T LAT I N R E L IG IO N D O M I NAN TE C H R É T I E N CAT HO L I Q U E
SE R B I E CAP I TALE B E L G RADE LANGU E O F F IC I E L LE SE R B E AL P HAB E T CY RI L L I Q U E E T LAT I N R E L IG IO N D O M I NAN TE C H R É T I E N O RT HOD O X E
PAR FAI TE M E N T CO M P R É HE N S I B LE S À L ' O RAL
Ce qui m'interpelle également, c'est l'utilisation de la langue et de l'alphabet comme une stratégie d’union ou alors comme une stratégie de séparation des peuples. Le serbe et le croate étant la même langue à l'oral, ils possèdent cependant deux alphabets différents : cyrillique pour les Serbes; latin pour les Croates. En 1954, la langue serbo-croate (bi-alphabétique cyrillique-latin) est crée dans le but de rassembler d'avantage culturellement et politiquement les peuples. Mais le début des conflits en 1991, amène a un rejet de cette nouvelle langue. On assiste alors au retour du serbe et du croate en tant que deux langues distinctes, tandis que l'alphabet devient un marqueur identitaire important. Utiliser l'alphabet cyrillique ou l'alphabet latin, c'est affirmer son identité de serbe ou de croate, et s'opposer à l'autre. Plus de dix ans après la guerre, je remarque que l'alphabet demeure un sujet sensible. L'exemple le plus flagrant reste celui des manifestations croates contre le retour de panneaux bi-alphabétique dans la ville de Vukovar (Croatie), dans le cadre de l'entrée de la Croatie dans l'Union européenne. Mon interrogation est la suivante : Comment en tant que designer, proposer des solutions graphiques qui permettraient aux Serbes et aux Croates de communiquer à nouveau ? Pour ce faire, j'ai décidé de placer l'alphabet cyrillique et l'alphabet latin au cœur de ce projet, en les utilisant comme un outil, une stratégie de réconciliation.
Friedrich Nietzsche : Généalogie de la morale, III, 1887,trad. Patrick Wotling, Paris, Livre de Poche, Classiques de la philosophie, 2000.
3
10
11
TO M E 1 > I N T RODUC T IO N
COMMENT PAR L’UTILISATION DE L’ALPHABET CYRILLIQUE ET DE L’ALPHABET LATIN, PEUT-ON MENER LE PEUPLE SERBE ET LE PEUPLE CROATE VERS LA RÉCONCILIATION ?
L ' I N STAL LAT IO N DE PAN N EAU X B I AL P HAB É T I Q U E ( CY R I L L I Q U E - LAT I N ) E N 2 0 1 3 , A UN I M PAC T I M PO RTAN T SU R LA PO P ULAT IO N C ROATE . V U CO M M E UN E V É R I TAB LE I N J UST IC E , DE S M AN I F E STAT IO N S SE M UL T I P L I E N T POU R LA DI S PAR I T IO N DU CY R I L L I Q U E , AS S OC I É À LA PO P ULAT IO N SE R B E . 4
M AN I F E STAT IO N PAC I F I Q U E À R I J E KA ( C ROAT I E ) E N 2 0 1 3 POU R LE R E T RAI T DE S PAN N EAU X B I AL P HAB É T I Q U E S À V U KOVAR . LA LE T T R E " V " DE V U KOVAR E ST DE S S I N É E PAR DE S B OU G I E S E N AL P HAB E T LAT I N . 5
fr.euronews.com : Croatie : le cyrillique divise un peu plus Vukovar, 201 [en ligne] <http:// fr.euronews.com/2013/11/08/ croatie-le-cyrillique-divise-un-peuplus-vukovar/> (page consultée le 15/02/2015).
4
mojarijeka.hr : Prva riječka hrvatska gimnazija za Vukovar, 2011 [en ligne] <http://www. mojarijeka.hr/vijesti/prva-rijeckahrvatska-gimnazija-za-vukovar/> (page consultée le 21/08/2015).
5
12
TO M E 1 > E N J E U X DU P RO J E T
ENJEUX DU PROJET ENJEUX CRÉATIFS Établir une communication efficace avec les Serbes et les Croates afin de provoquer une réaction positive de la part des deux peuples. Leur donner un rôle en mettant en place un dispositif qui permettrait de les inclure dans le processus de création. Rassembler la population autour d'un langage de signes qu'ils comprennent, en gardant une parfaite équité entre les deux peuples. Utiliser l’alphabet cyrillique et l'alphabet latin comme une stratégie d’union, de réconciliation.
ENJEUX POLITIQUES Apaiser les tensions dans les villes réunissant la population serbe et croate comme Vukovar (Croatie), c'est relancer la dynamique de la ville et renforcer le sentiment d'appartenance à une communauté. Depuis la fin de la guerre; les Croates appréhendent de se rendre en Serbie et inversement. L'objectif serait de pousser les deux peuples a s'interroger sur leur relation mutuelle, et à franchir cette "frontière" qui les sépare.
ENJEUX SOCIAUX Permettre à la population serbe et croate de se rencontrer dans un cadre bien défini, c'est avoir une première approche de l'autre. L'enjeu principal est donc d'aller au-delà des préjugés et de faire évoluer l'image que le Serbe se fait du Croate et vice versa.
13
14
TO M E 1 > PART I E 0 1
15
UN E RE LATIO N CO MPLE XE
PA RT I E 0 1
UN E R E LAT IO N CO M P LE X E
A
CO N TE X TE TE R RI TO RI AL E T PO L I T I Q U E PAGE
16 / 21
B
LE SE R B O - C ROATE : UN E LANGU E UN I F ICAT RIC E PAGE
22 / 29
C
UN E UN IO N DE ST RUC T RIC E PAGE
30 / 35
D
Q UI A DI T Q U E LE S SE R B E S E T LE S C ROATE S DEVAI E N T SE DÉ TE STE R ? PAGE
36 / 47
16
01A
TO M E 1 > PART I E 0 1
UN E RE LATIO N CO MPLE XE
CONTEXTE TERRITORIAL & POLITIQUE
A
CO NTE X TE TE RRI TO RI AL E T PO L I TI Q U E 17
Dans son article Ecriture du serbo-croate : alphabets cyrillique et latin (2013), Jacques Poitou dresse le contexte historique du peuple serbe et du peuple croate du VIe siècle à aujourd'hui. Il explique : Les plus anciennes traces d'une culture slave se trouvent dans une région située à la frontière actuelle entre l'Ukraine et la Russie. De là, les Slaves se dispersent et se divisent en trois groupes : les Slaves de l'est (Biélorusses, Russes, Ukrainiens), les Slaves de l'ouest (Polonais, Slovaques, Tchèques) et les Slaves du sud (Croates, Serbes, Slovènes, Bulgares, Macédoniens). Pour ces derniers, la migration a lieu aux Ve-VIe siècles au delà des Carpates et du Danube dans les régions constituées actuellement de la Bulgarie et des Etats issus de la Yougoslavie.
Au IVe siècle, a lieu la division entre l'empire romain d'Occident et l'empire romain d'Orient. Elle se prolonge d'une division religieuse qui aboutit au schisme de 1054 entre catholiques et orthodoxes. Les Croates sont de tradition catholique, les Serbes de tradition orthodoxe (Poitou, 2013) : A partir du XIVe siècle, l'Empire ottoman étend petit à petit sa domination sur les Balkans. Il remonte jusqu'à la plaine hongroise et aux portes de Vienne, dont il fait le siège en 1529 et en 1683. Après cette date commence le reflux: les Ottomans reculent d'abord au profit de l'Empire austro-hongrois et n'occupent plus, au début du XIXe siècle, que la Serbie et la Bosnie. La Croatie est soumise au royaume de Hongrie. La Dalmatie est longtemps dominée par Venise à l'exception de Dubrovnik, puis brièvement par la France à l'époque de Napoléon. Après la chute de Napoléon, la Dalmatie est annexée par l'Autriche, qui occupe et annexe aussi, à partir de 1878, la Bosnie-Herzégovine. La Serbie et le Monténégro s'émancipent de la domination ottomane et conquièrent leur indépendance, reconnue en 1878. Suite aux guerres balkaniques (1912-1913) et au nouveau recul de l'Empire ottoman, le territoire de la Serbie s'agrandit vers le sud (régions de la Macédoine et du Kosovo actuels).
À la veille de la Première Guerre mondiale, aucune région slave ne fait plus partie de l'Empire ottoman tandis que quelques régions font encore partie de l'Empire austro-hongrois : la Bosnie-Herzégovine, la Dalmatie la Slovénie et la Croatie. Au même moment, des mouvements se développent dans le sud-est de l'Europe en faveur de l'unification des Slaves du sud. C'est le mouvement appelé illyrien en Croatie, puis yougoslave (jug = sud). S'esquissent ainsi les germes d'un État futur : la Yougoslavie. Cependant, l'Autriche-Hongrie apparaît comme un obstacle à l'unification des slaves du sud des Balkans. C'est dans ce contexte que le 28 juin 1914, un jeune étudiant serbe de Bosnie, Gavrilo Princip, assassine l'archiduc et prince-héritier autrichien Franz Ferdinand et son épouse Sophie à Sarajevo (Poitou, 2013).
18
TO M E 1 > PART I E 0 1
UN E RE LATIO N CO MPLE XE
A
CO NTE X TE TE RRI TO RI AL E T PO L I TI Q U E 19
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, l'empire d'AutricheHongrie se désagrège : la Bosnie-Herzégovine, la Slovénie (jusqu'alors sous domination autrichienne) et la Croatie (jusqu'alors sous domination hongroise) s'unissent avec le Monténégro et la Serbie. Ils constituent en 1918 le royaume des Serbes, Croates et Slovènes, rebaptisé en 1929 royaume de Yougoslavie. En 1941, suite à l'agression allemande, la Yougoslavie est démembrée et dépecée. L'Allemagne, la Hongrie, l'Italie et la Bulgarie s'en attribuent des portions, des régimes pro-allemands sont institués dans les parties restantes. Mais la résistance s'organise dans tout le pays sous la direction du croate Josip Broz, dit Tito (1892-1980), secrétaire général du parti communiste. Au bout de quatre années de guerre, le territoire yougoslave est libéré, presque entièrement par les seules forces des partisans. Le 29 novembre 1945 est proclamée la république fédérative populaire de Yougoslavie, sur le territoire yougoslave antérieur augmenté d'une portion de territoire jusque là italien mais de population slave. Elle est organisée en six républiques et deux régions autonomes pour les minorités hongroise (Voïvodine) et albanaise (Kosovo). L'objectif de cette organisation est d'assurer l'égalité entre nationalités et d'éviter que l'une puisse assurer son hégémonie sur les autres. De fait, la politique de Tito assure aux régions de Yougoslavie quarante-cinq ans de paix (Poitou, 2013).
AS SAS S I NAT DE L ' ARC H I DUC H É RI T I E R D ' AU T R IC HE E T DE SA F E M M E À SARAJ EVO . 6
CARTE S P R É SE N TAN T L ' ÉVO L U T IO N DE S F RO N T I È R E S DE P UI S 1 8 1 5 E T SU RTOU T DE LA S I T UAT IO N E N YOU G OS LAVI E DE 1 98 9 À 1 999. 7
Le Petit Journal : Supplément illustré. Nº 1 234, 12 juillet 1914 [en ligne] <http://gallica.bnf.fr/ ark:/12148/bpt6k717120k> (page consultée le 28/12/2014).
6
Michel Roux, université de Toulouse II, 2000 [en ligne] <http://www.monde-diplomatique. fr/cartes/yougoslaviemdv49> (page consultée le 28/12/2014).
7
20
TO M E 1 > PART I E 0 1
UN E RE LATIO N CO MPLE XE
A
CO NTE X TE TE RRI TO RI AL E T PO L I TI Q U E 21
"LA YOUGOSLAVIE A SIX RÉPUBLIQUES, CINQ NATIONS, QUATRE LANGUES, TROIS RELIGIONS, DEUX ALPHABETS ET UN SEUL PARTI".8
J OS I P B ROZ T I TO
Cette phrase devenue célèbre est répétée à de maintes reprises par le maréchal Tito durant ses discours.
8
22
01B
TO M E 1 > PART I E 0 1
UN E RE LATIO N CO MPLE XE
B
LE SE RB O - CROATE : UN E LANGU E UN I FICATRIC E 23
Le milieu du XIXe siècle voit une éclosion des nationalismes un peu partout sur le continent européen. C'est à ce moment qu'est né un mouvement d’affirmation culturel et politique qui a pour but de regrouper les Slaves du Sud avec la création d'une langue commune : le serbo-croate. Faisant référence à de mythiques ancêtres illyriens, ce mouvement a pris le nom de Mouvement illyrien, son chef était Ljudevit Gaj, linguiste, journaliste et homme politique croate. La Croatie, est alors une simple province de la Hongrie, elle-même rattachée à l’Autriche. D’autres Slaves vivent plus au sud sous la domination ottomane. L’idée est de les regrouper dans une même entité politique. La création d’une langue à partir des divers dialectes proches est un premier pas vers la création d’une nation. En 1850 à Vienne, un certain nombre d’intellectuels slaves du sud se sont mis d’accord sur un projet commun parmi eux, le Serbe Vuk Karadžic. Comme base d’une langue commune aux Slaves méridionaux, le choix s’est porté sur le dialecte chtokavien ou štokavien (štokavski), le dialecte parlé à Dubrovnik (centre culturel important), dans une partie de la Slavonie, en Herzégovine, mais aussi dans la majeure partie de la Serbie, par les Serbes de Bosnie-Herzégovine et au Monténégro. En somme ce dialecte est parlé par la plupart des Croates et des Serbes ainsi que par les Bosniaques et par les Monténégrins.9
V U K KARADŽ IC ( 1 78 7 1 86 4 ) E T L J U DEVI T GAJ ( 1 8 0 9- 1 8 72 )
LE SERBOCROATE: UNE LANGUE UNIFICATRICE
Au XIX siècle, cette démarche est commune à plusieurs pays d'Europe où le souci d’unification politique impliquait la création d‘une langue commune. En Italie, c’est l’italien parlé en Toscane qui fut choisi pour forger une langue standard qui a réussi à s’imposer au cours du XXe siècle. En Yougoslavie, le serbo-croate comporte encore des variantes régionales, mais permet une totale intercompréhension si les interlocuteurs veulent s’en doter la peine. S’il le veut, un Québécois peu facilement dérouter un Français par son vocabulaire ou ses expressions locales. S’il s’y applique, un Croate peu rendre son discours difficile à comprendre pour un Serbe. De la même façon, un Bavarois peut donner à un Allemand du Nord l’impression qu’il parle une langue étrangère.10
9-10 Biblio Langues : BCMS, Histoire de la langue [en ligne] <http://www.bibliomonde. com/donnee/bcms-histoirelangue-l692.html > (page consultée le 28/12/2014).
24
TO M E 1 > PART I E 0 1
UN E RE LATIO N CO MPLE XE
LE SE RB O - CROATE : UN E LANGU E UN I FICATRIC E 25
B
A LPH A BET CYR I LLI Q UE
Le serbe Vuk Karadžic dans son dictionnaire trilingue serbe-allemand-latin en 1818, défini l'alphabet cyrillique à partir de l'alphabet cyrillique russe. Cette réforme de l'écriture va de pair avec une réforme plus générale de la langue, pour laquelle Vuk Karadžic prend la langue et la poésie populaires serbes comme modèles. Elle suscite de nombreuses réticences, notamment de l'église orthodoxe (hostile, entre autres, à l'utilisation du J issu de l'alphabet latin des catholiques), mais finit néanmoins par s'imposer en Serbie, cinquante ans après la publication du dictionnaire trilingue (Poitou, 2013). LE S T ROI S P RI N C I PAU X DI ALEC TE S P R É SE N TS SU R LE TE R RI TOI R E DE LA YOU G OS LAVI E . 11
En 1954 avec l'accord de Novi Sad, le serbo-croate fut officialisé pour la première fois comme la langue commune des Serbes, des Croates, des Macédoniens et des Monténégrins. ÉC RI TU RES
Deux alphabets étaient utilisés, pour la liturgie ancienne : L'alphabet glagolitique dans les régions de rite catholique romain (alphabet créé en Moravie par les moines Cyrille et Méthode). À partir du XVe siècle, l'alphabet glagolitique est remplacé par l'alphabet latin. L'alphabet cyrillique dans les régions de rite orthodoxe (alphabet créé en Bulgarie) (Poitou, 2013). STANDARD I SATI O N
Comme nous l'avons évoqué précédemment, à partir de la fin du XVIIIe siècle, des mouvements parallèles apparaissent en Serbie et en Croatie en faveur de la standardisation de la langue, sur la base du štokavien. D'après Poitou (2003), affirmer sa personnalité linguistique et culturelle est un pas vers la revendication d'une autonomie par rapport aux autorités impériales et vers l'indépendance. En ce qui concerne l'écriture, deux alphabets, l'un cyrillique, l'autre latin, sont standardisés. Snježana Kordic : Le serbocroate aujourd'hui : entre aspirations politiques et faits linguistiques, 2004 [en ligne] <http://www.persee.fr/web/ revues/home/prescript/article/ slave_0080-2557_2004_ num_75_1_6860> (page consultée le 28/12/2014)
11
26
27
AL P HAB ET L ATI N
L'alphabet latin est défini par le Croate Ljudavit Gaj en 1830-1838.
Même si l'ordre des lettres dans les deux alphabets est différent, chacun portant l'empreinte de l'ordre de l'alphabet à partir duquel ils a été créé, il y a correspondance biunivoque entre leurs signes. Feldman & Barac-Cikoja note que plusieurs lettres sont communes aux deux alphabets, certaines avec même valeur phonique (A, E, J, K, M, O, T), d'autres avec des valeurs différentes (B, H, P, C). Ainsi, un mot isolé comme CAMOBAP peut être lu /samovar/ ou /tsamobap/ selon qu'il s'agit de caractères cyrilliques ou latins.
Ci-dessous les correspondances. En barré, les lettres de même forme et de même valeur dans les deux alphabets, en surligné, les lettres de même forme et de valeurs différentes.
28
TO M E 1 > PART I E 0 1
UN E RE LATIO N CO MPLE XE
En Yougoslavie, les efforts de standardisations permettent de favoriser l'union et l'émancipation des Slaves du Sud. Ainsi, les deux écritures (cyrillique et latin) sont apprises à l'école. Les deux alphabets ont donc cohabité intelligemment, notamment en Serbie où il n’était pas rare de voir cyrillique et latin côte à côte dans un même journal, au restaurant, dans les commerces, dans la rue. André Vaillant, le linguiste français spécialisé en slavistique présente la situation au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale (1951) :
B
LE SE RB O - CROATE : UN E LANGU E UN I FICATRIC E 29
SÉ R I E D ’ A F F IC H E S YOU G OS LAV E S C É LÉ B RAN T LA J OU R N É E DE LA F E M M E ( À GAUC H E ÉC R I T E N AL P HAB E T CY R I L L I Q U E ; À D ROI TE ÉC R I T E N AL P HAB E T LAT I N ) . 12
"La langue littéraire est pratiquement unifiée, mais il subsiste des usages régionaux, dans le vocabulaire et la phraséologie, qui distinguent le serbe de Belgrade et le croate de Zagreb, et sensiblement chez certains écrivains. […] Maintenant que l'union nationale est complètement réalisée sur la base acceptée par tous d'une collaboration étroite de toutes les républiques fédérales, la langue littéraire connaît des conditions favorables à son unification définitive."
Dix ans plus tard, Vaillant (2005) explique : "Serbe et croate différaient extrêmement peu, ils ont été fondus entièrement en une seule langue, sauf les nuances qui peuvent séparer, si l'on veut, le français de Paris du français de Bruxelles. Mais subsiste le dualisme des alphabets, des écritures, qui se révèle aussi gênant dans la pratique qu'une diversité de langue, parce qu'on doit imprimer les journaux et les livres pour deux publics différents et d'égale importance, ce qui n'est pas la place normale du régionalisme dans une communauté. Cela fait une division qui reste profonde dans ce pays où le sentiment yougoslave, la volonté d'union sont évidents."
PAS SE PO RT B I AL P HAB É T I Q U E S OUS LA R É P U B L I Q U E F É DÉ RAT IV E S OC I AL I STE DE YOU G OS LAVI E ( 1 94 51 992 ) . À L ' I N TÉ R I E U R DU PAS SE PO RT, L ' AL P HAB E T DI F F È R E E N F O N C T IO N DU L I E U DE DÉ L IV RAN C E . SU R LA P R E M I È R E I M AG E , LE PAS SE PO RT E ST DÉ L IV R É À LAPOVO ( SE R B I E ) , L ' AL P HAB E T U T I L I SÉ E ST LE CY R I L L I Q U E . SU R LA SECO N DE I M AG E , LE PAS SE PO RT E ST DÉ L IV R É À ZADAR ( C ROAT I E ) , L ' AL P HAB E T U T I L I SÉ E ST LE LAT I N .
12 Yougosonic : CYRILLE ET METHODE EN TERRAIN MINE, 1913 [en ligne] <http:// yougosonic.blogspot.fr/2013/03/ cyrille-et-methode-en-terrainmine.html> (page consultée le 28/12/2014).
30
01C
TO M E 1 > PART I E 0 1
UN E RE LATIO N CO MPLE XE
UNE UNION DESTRUCTRICE
UNE UN IO N DE STRUCT RICE 31
C
Durant la Yougoslavie de Tito, les Serbes et les Croates avançaient main dans la main, unis. Cependant, pour les serbes, l'idée Yougoslave s'opposait un autre projet politique, celui d'une "Grande Serbie"; tandis que pour les croates, le projet d'un Etat indépendant n'était pas exclus (Poitou, 2013). En Yougoslavie, on avait la citoyenneté yougoslave, mais aussi une nationalité croate, serbe, etc. Ce qui comptait le plus, du temps de Tito, c’était la citoyenneté yougoslave. La référence au Parti communiste était majeure, les slogans glorifiaient la fraternité des peuples, et il n’était pas question d’évoquer les horreurs de la Seconde Guerre mondiale. Dans la Yougoslavie titiste, la coexistence des peuples, en l’absence d’élections libres, a relativement bien fonctionné, jusqu’aux années 1970 surtout. Dès lors que l’on a commencé à parler de liberté, après la mort de Tito, le 4 mai 1980, les revendications se sont dirigées contre le fédéralisme qui muselait ces entités nationales. En 1990, lors des élections libres, revendiquer la démocratie, cela signifiait voter pour un parti national, conçu sur une base ethnique, celui supposé défendre le mieux son propre groupe. Comme dans d’autres cas, démocratie et nationalisme se sont trouvés inextricablement liés.12
En 1980, après la mort de Tito, les nationalismes jusque là contenus se déchaînent. Cela commence avec l'exacerbation du nationalisme serbe sous la présidence du serbe Slobodan Miloševic à propos du Kosovo. Puis cela se poursuit avec les guerres en Slovénie, en Croatie et en Bosnie-Herzégovine: massacres, expulsions, viols, exactions... Cela se termine, vingt ans et deux cent mille morts plus tard, avec la proclamation d'indépendance du Kosovo: En 1991, la Slovénie, la Croatie et la Macédoine se détachent de la fédération Yougoslave et proclament leur indépendance. En 1992, la Bosnie-Herzégovine proclame son indépendance. En 1995, elle est divisée en trois entités: fédération de Bosnie et Herzégovine (regroupant zones croate et bosniaque), république serbe de Bosnie, district de Brcko (mixte). En 2006, le Monténégro se détache de la Serbie. En 1999, le Kosovo est détaché de la Serbie; il proclame son indépendance en 2008 (Poitou, 2013).
Jacques Semelin : "Pourquoi les Yougoslaves se sont entretués", 2006 [en ligne] <http://www.histoire.presse. fr/dossiers/la-guerre-civile/ pourquoi-les-yougoslaves-sesont-entretues-01-07-2006-9338> (page consultée le 28/12/2014).
12
32
TO M E 1 > PART I E 0 1
UN E RE LATIO N CO MPLE XE
UNE UN IO N DE STRUCT RICE 33
C
L'historien Jacques Sémelin tente d'expliquer la fracture du lien social apparu dans les années 1990 :15 La manière dont monte le processus de guerre varie d’une région à l’autre, d’un village à l’autre. On ne peut pas généraliser. Dans le film We are all Neighbors, réalisé en 1993 dans un petit village de Bosnie situé à 25 kilomètres environ de Sarajevo surnommé "Dolina". On y voit deux vieilles femmes boire le café ensemble. Elles sont voisines depuis quarante ans, une Musulmane et une Croate, et jurent que jamais rien ne les séparera. Puis on entend la guerre, qui vient de l’extérieur du village, se rapprocher, avec les bruits des canons. Tout commence à changer : la peur s’installe. Les deux vieilles femmes finissent par rester chacune chez elles.
I M AG E S E X T RAI TE S DU M AT C H DE M AI 1990 E N T R E LE DI NA M O DE ZAG R E B E T L ' É TOI LE ROU G E DE B E L G RADE . 13
Le match de mai 1990 entre les Croates du Dinamo Zagreb et les Serbes de l'Étoile Rouge de Belgrade est devenu le signe annonciateur des conflits qui allaient suivre. Deux semaines auparavant, les partis indépendantistes croates avaient remporté les premières élections, ravivant encore plus les tensions ethniques entre Zagreb et Belgrade. Les ultras des deux équipes étaient déjà tristement célèbres. Les "Delije" de l'Étoile Rouge sont devenues par la suite un vivier de recrutement des unités paramilitaires serbes qui ont combattu en Croatie (1991-95) et en Bosnie (1992-95). Les "Bad Blue Boys" du Dinamo soutenaient inconditionnellement les velléités d'indépendance de Zagreb. Les tensions étaient palpables avant même le début de la rencontre. A la surprise générale, la police, bien qu'omniprésente, n'a pas réagi. Lorsque les supporteurs serbes ont détruit le grillage qui les séparait des supporters croates, une bagarre générale a éclaté. Au lieu de s'interposer, la police a pris d'assaut les fans croates. La violence a gagné le terrain et toute l'enceinte a sombré dans "un chaos infernal". Dragan Dzajic, une légende de l'Étoile Rouge et du football yougoslave, ne croyait pas qu'un confit pourrait déchirer le pays avant ce match : "Après le match, il était clair que tout le monde allait emprunter la même voie", celle de la violence, a-til déclaré depuis. Plus de 100 supporteurs avaient été arrêtés ce jour-là, et 117 policiers, 39 supporters de l'Étoile Rouge et 37 du Dinamo avaient été blessés. Un an plus tard, au printemps 1991, la guerre d'indépendance a éclaté en Croatie , la première d'une série de conflits qui ont fait disparaître l'ex-Yougoslavie.14
Les populations de langue serbo-croate vivent pour l'essentiel dans quatre de ces nouveaux Etats: la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, le Monténégro et la Serbie. Le serbo-croate y est langue officielle, mais sous des noms différents: langue bosniaque, langue croate, langue monténégrine, langue serbe; car chaque pays se définit comme Etat national et postule une correspondance entre Etat, peuple et langue. Chacun veut avoir "sa" langue officielle à lui, d'où des noms différents et des efforts plus ou moins intenses pour souligner et amplifier les différences avec les parlers des autres. C'est en Croatie que cette politique s'est manifestée en premier et c'est là aussi qu'elle est la plus vigoureuse, avec des mesures de croatisation de la langue, essentiellement dans le domaine du lexique où l'on veut bannir tous les termes d'origine étrangère (y compris serbe donc). La politique de croatisation se situe dans le prolongement de tendances anciennes. Elles avaient été portées à leur paroxysme de 1941 à 1945 avec la création par les oustachis (ustaše) de l'"Etat indépendant de Croatie" inféodé à l'Allemagne. Des mesures de "purification" linguistique y avaient été prises, avec notamment l'interdiction immédiate de l'écriture cyrillique – mesures qui s'inscrivaient dans une politique générale de répression et de liquidation brutales de tout ce qui n'était pas considéré comme croate: Serbes, juifs, tsiganes, etc. – des centaines de milliers de victimes (Poitou, 2013). Depuis la guerre, la répartition des écritures est celle-ci : Cyrillique en Serbie Latine en Croatie Cyrillique et latine au Monténégro et en Bosnie-Herzégovine (écriture latine dans la fédération de Bosnie et Herzégovine, écriture cyrillique dans la république serbe de Bosnie).
INA : Football : violence à Zagreb, 1990 [en ligne] <http:// www.ina.fr/video/CAC92018970> (page consultée le 28/12/2014).
13
AFP : Le match qui a annoncé les guerres des années 1990 dans l'ex-Yougoslavie, 2013 [en ligne] <http://www.francetvsport. fr/le-match-qui-a-annonce-lesguerres-des-annees-1990-dansl-ex-yougoslavie-145784> (page consultée le 28/12/2014).
14
Jacques Semelin : "Pourquoi les Yougoslaves se sont entretués", 2006 [en ligne] <http://www.histoire.presse. fr/dossiers/la-guerre-civile/ pourquoi-les-yougoslaves-sesont-entretues-01-07-2006-9338> (page consultée le 28/12/2014).
15
34
TO M E 1 > PART I E 0 1
UN E RE LATIO N CO MPLE XE
C
UNE UN IO N DE STRUCT RICE 35
En 1997, l'artiste serbe Marina Abramovic réalise une performance nommé Balkan Baroque dans le cadre de la Biennale de Venise. Durant quatre jours (six heures par jours), Abramovic se retrouve assise sur un tas d’os de bœufs. Vêtue d’une grande tunique blanche, elle prend les os un à un et les nettoie méthodiquement avec une brosse en métal, de l’eau et du savon, jusqu’à enlever de leur surface toute trace de sang et de chair. L'artiste fait ainsi allusion au nettoyage ethnique survenu lors de la guerre de Yougoslavie. Elle déclare : "Certes la situation des Balkans me touchait d’autant que je suis d’origine serbe. Tous les os empilés faisaient clairement référence au conflit. Mais il s’agissait surtout en interrogeant la barbarie, de donner plusieurs niveaux de lecture. La référence est valable pour toutes les guerres, les charniers… ". Tandis que l'artiste Erbossyn Meldibekov dans Mon frère, mon ennemi en 2001, présente une œuvre qui peut être interprétée comme l'expression de l'opinion de l'artiste à propos des conflits régionaux en Asie centrale. Elle met en scène de manière grotesque deux frères, face à face, avec une arme dans la bouche, se ciblant mutuellement. Cette œuvre rappelle d'une certaine façon la relation entre Serbes et Croates : celle de deux peuples formant une même famille, qui se déchire, se retrouve, se redéchire...
M ARI NA AB RA M OVIC BAL KAN BARO Q U E ( 1 997 ) E R B OS S Y N M E L DI B E KOV MON FRÈRE, MON ENNEMI (2001)
36
01D
TO M E 1 > PART I E 0 1
UN E RE LATIO N CO MPLE XE
QUI A DIT QUE LES SERBES ET LES CROATES DEVAIENT SE DÉTESTER ?
D
Q UI A DI T Q U E LE S SE RB E S E T LE S CROATE S DEVAIE NT SE DÉ TE STE R ? 37
Autrefois, Serbes et Croates formaient un seul et même État, partageant un territoire, une histoire, une langue commune. Aujourd’hui tout semble les diviser. La haine reste présente. La nouvelle génération n’ayant pas connu la guerre fait face aux a priori. La méfiance des uns envers les autre les empêche d’avancer vers une réconciliation certaine. Dans le cadre de ce mémoire, j'ai souhaité interroger des Serbes et Croates, issus de mon entourage. Je veux savoir ce que les uns pensent des autres. Le moyen de communication choisi est facebook. Parmi mes amis: 82 sont serbes, 2 habitent en Croatie (Zadar), 18 à l'étranger (France, Italie, Allemagne, Canada, Suède), 62 en Serbie (Belgrade, Lapovo, Kraljevo, Novi Sad, Kikinda, Niš, Zajecar, Jagodina) 52 sont croates, résidant en Croatie (Zadar, Split, Zagreb, Vukovar, Dubrovnik, Rijeka, Zemunik) 3 sont serbo/croates (résidant en Allemagne) 3 sont croates/bosniaques (résidant en France) Parmi eux, 31 sont des personnes issues de ma famille Je pose mes questions en me positionnant en tant qu'amie ou membre de la famille, sans parler du cadre de mon mémoire. Chaque personne à conscience de mes origines serbes et croates.
38
TO M E 1 > PART I E 0 1
UN E RE LATIO N CO MPLE XE
L A P REM I ÈRE S É RI E D E QU ESTI ON S S ' A D R E SS E À D E S S E R B E S
Si je te dis "croate", à quoi tu penses ?
Jelena Lovac (19 ans, serbe de Belgrade)
Oustachis ! 16
(Les réponses suivantes ont été traduites au préalable.) Milena Radovanovic (35 ans, serbe de Belgrade) Qu'ils ont de la chance d'avoir la mer :) Marijana Petrovic Zec (32 ans, serbe de Lapovo) Je ne les apprécie pas, tu le sais déjà, mais ça n'a rien avoir avec toi... Ce que j'en penses, j'en sais rien, j'en pense rien... [...] Jamais je n'oublierai, jamais je ne pardonnerai.
D
Q UI A DI T Q U E LE S SE RB E S E T LE S CROATE S DEVAIE NT SE DÉ TE STE R ? 39
Kristina Tina Krsmanovic (25 ans, serbe de Lapovo) Haha pourquoi cette question ? Moi personnellement je ne les déteste pas. Je ne les connais pas. [...] Mais je vais pas te dire que je rêve de les rencontrer. Je pense pas qu'ils nous apprécient énormément. Dragana Skopelja (44 ans, serbe de Kraljevo) C'est eux qui nous détestent ! J'étais très bien quand j'habitais en Croatie. J'aimais tout le monde, j'invitais les voisins à venir manger à la maison, qu'ils soient serbes, croates ou musulmans. [...] Du jour au lendemain, ils ont brûlé notre maison. Comment tu veux que j'oublie ça? T'étais trop petite pour t'en rappeler, mais cette nuit là, j'ai cru qu'ils nous tueraient. Ruzica Grujic (22 ans, serbe de Kraljevo) On a été élevé avec cette haine. Je me sens pas vraiment concernée par la guerre, j'étais enfant... Mais mes parents m'en parlent, je sais comment les croates se sont comportés... Biljana Brdaric (26 ans, serbe de Belgrade) Pour être franche, dans mon entourage on est pas contre les croates: on ne les aime pas, mais on les déteste pas non plus. Je suis déjà allée en Croatie, je me suis faite discrète, j'ai pas crié sur tous les toits que j'étais serbe et j'ai pas non plus côtoyé beaucoup de croates, mais ça à été. Jovicic Dragutin (48 ans, serbe de Novi Sad) La situation des serbes n'est pas simple. L'État n'a pas beaucoup de moyens, c'est un pays pauvre... le taux de chômage est élevé. Au lieu d'essayer d'aller de l'avant, ils se rattachent au passé, celui de l'époque Titiste. Ils attribuent leur malheur aux croates responsables de la dissolution de l'ex-Yougoslavie. Mais ce ne sont que des prétextes. Si la situation de la Serbie était meilleure, on entendrait plus parler des croates comme des ennemis de la nation. Milos Rodic (25 ans, serbe de Belgrade) J'aime bien les croates moi. Surtout les femmes croates ;)
À ton avis, pourquoi les croates et les serbes ne s'aiment toujours pas aujourd'hui?
Wikipédia, l'encyclopédie libre : Oustachis, 2014 [en ligne]. <http://fr.wikipedia.org/w/ index.php?title=Oustachis&oldid=110251348> (page consultée le 27/12/2014). = Les oustachis étaient un mouvement séparatiste croate, antisémite et fasciste. Ils prirent le pouvoir en Croatie en 1941 avec le soutien de l'Allemagne et de l'Italie, après l'invasion et le démembrement de la Yougoslavie: ils instaurèrent l'État indépendant de Croatie, une dictature particulièrement arbitraire et meurtrière, qui se signala par de nombreux massacres à des populations serbes, tziganes et juives.
16
Nikola Kalapac (21 ans, serbe de Belgrade) On a aucun problème avec eux. Du moins j'en ai aucun. C'est peut être différent pour la génération de mes parents, ils ont un peu plus de mal. Moi je veux juste terminer mes études, trouver un job, ce qui se passe dans le pays d'à côté ça m'intéresse pas.
40
TO M E 1 > PART I E 0 1
UN E RE LATIO N CO MPLE XE
Q UI A DI T Q U E LE S SE RB E S E T LE S CROATE S DEVAIE NT SE DÉ TE STE R ? 41
Je me suis adressée à 36 serbes. J'ai reçu 32 réponses. J'ai trié ces réponses en les regroupant dans différentes catégories :
UN E POLI TI Q UE N ATI ON A LI STE Q UI UTI LI SE L A SOUFFR A N CE D U PEUPLE
U N « G É NO C I D E O U B L I É » ?
Le politologue Jacques Rupnik explique : "La politique serbe ne se divise pas entre nationalistes et démocrates européens, mais représente plutôt un continuum de nationalismes allant des plus radicaux aux plus modérés". L'actuel président serbe, Tomislav Nikolic, a été le président par intérim du Parti radical serbe. Le succès du parti radical est surtout du à son discours social, dans lequel il réclame une importante intervention de l’État en faveur des populations appauvries par les années de guerre ainsi qu’à son discours en direction des Serbes réfugiés en Serbie à la suite de la purification ethnique en Croatie et au Kosovo (environ 800 000 personnes).19
Une des réponses qui revient le plus souvent, c'est celle de la Deuxième Guerre Mondiale, lors de laquelle les Croates, allié aux nazis, ont livrés des Serbes. Aleksa Djilas souligne que les oustachis, comme les nazis, considéraient ce génocide comme un devoir essentiel, et que ces régimes étaient même prêts à se mettre en danger pour le voir mis en œuvre. Les massacres oustachis sont marqués par leur aspect primitif, désorganisé, avec des vengeances personnelles et qui dégénère plusieurs fois en véritables « orgies de violence ». Le terme "génocide" est utilisé dans "l'Encyclopédie des génocides", avec la mention "Le Génocide en Croatie contre les Serbes, Juifs et Tziganes". En revanche, ces actes n'ont à ce jour pas reçu de reconnaissance internationale comme génocide.17
Il y a les Serbes qui lors de la guerre de Yougoslavie ont subi le nettoyage ethnique, les forçant à déménager en Serbie. Puis il y a ceux qui ont toujours habité en Serbie, et qui n'ont pas été affectés aussi lourdement par la guerre. C'est cette deuxième catégorie, qui mentionne souvent la seconde guerre mondiale. On pourrait presque penser qu'il s'agit d'une excuse pour détester les Croates. Pourquoi remonter à des faits d'il y a 70 ans pour affirmer qu'ils sont "mauvais" ? Quand Jelena Lovac me répond "Oustachis !", ça me fais sourire. Non seulement elle ignore ce qu'était la guerre de Yougoslavie, vus son âge et la ville où elle a grandi; mais elle ignore davantage ce qu'était la seconde guerre mondiale. Elle ne fait que répéter un mot socialement acceptable, et jugé responsable des maux du pays.
LE COU TEAU S R B OS J E K , OU COU P E - SE R B E , U T I L I SÉ PAR LE S OUSTAC H I S POU R ÉG O R G E R DE S P R I S O N N I E R S . 18
D
Vivre dans un pays nationaliste (imaginez l'équivalent de l'extrême droite au pouvoir en France), c'est s'autoriser à penser, à dire des choses sans aucune gêne. Les conversations à caractère raciste à l'encontre des Croates sont banales, que ça soit de la part de la population ou de personnalités publiques. La politique mise sur un discours social, elle se dit proche du peuple et de ses problématiques. Elle ne fait en réalité que renforcer les hostilités.
VAN DAL I SAT IO N DE LA VOI T U R E DE LA L I NGUI STE C ROATE S N J E ŽANA KO R DIC À ZAG R E B . E N CAUSE , S O N L IV R E SU R LA LANGU E E T LE NAT IO NAL I S M E P U B L I É E N 2 0 1 0 , DAN S LE Q U E L E L LE ÉC R I T CO N T R E LA PO L I T I Q U E DE LA LANGU E P U R I STE ET P RESCRIPTIF EN C ROAT I E . 20
LES M ÉD I AS Q UI EN TR ETI EN N EN T L A PEUR
Que cela soit dans les journaux ou à la télévision, les médias présentent la Croatie comme un lieu "dangereux" pour les Serbes. Des dizaines d'affaires de voitures vandalisées, de graffitis haineux, ou des altercations violentes... En présentant qu'une partie de la réalité, les médias faussent complètement l'image qu'ont les Serbes de la Croatie, alors que la grande majorité d'entre eux, n'ont jamais visité la Croatie depuis son indépendance en 1991.
Wikipédia, l'encyclopédie libre : Crimes de l'État indépendant de Croatie, 2014 [en ligne]. <http://fr.wikipedia. org/w/index.php?title=Crimes_ de_l%27%C3%89tat_ ind%C3%A9pendant_de_ Croatie&oldid=109664490> (page consultée le 27/12/2014).
17-18
19 Nationalisme serbe : Wikipédia, l'encyclopédie libre, 2013 [en ligne]. <http://fr.wikipedia.org/w/ index.php?title=Nationalisme_ serbe&oldid=99739257> (page consultée le 27/12/2014).
Jezikoslovki Snježani Kordic pred stanom razbijen auto : MP, 2013 [en ligne]. <http://www.tportal.hr/kultura/ kulturmiks/280466/JezikoslovkiSnjezani-Kordic-pred-stanomrazbijen-auto.html> (page consultée le 27/12/2014).
20
42
TO M E 1 > PART I E 0 1
UN E RE LATIO N CO MPLE XE
L A S EC O ND E S É RI E D E QU EST ION S S ' A D R E SS E À D E S C R OAT E S
D
Q UI A DI T Q U E LE S SE RB E S E T LE S CROATE S DEVAIE NT SE DÉ TE STE R ? 43
Hana Muratagic (22 ans, croate/bosniaque de Paris)
Je te donne un mot, tu me réponds par un autre mot ? Serbe.
(Les réponses suivantes ont été traduites au préalable.) Andrea Smolic (23 ans, croate de Zadar) Bre ! Hahaha (Expression serbe souvent utilisée. C'est à la fois une pause entre deux phrases ou un moyen de relancer la discussion). Andela Sestan (17 ans, croate de Zemunik) Moje suze prema tebi padaju, moje suze prema tebi padaju .... ! (Paroles de "Pile" de Ceca, une des chanteuses serbes les plus populaires dans les Balkans.) Šime Šimicevic (24 ans, croate de Rijeka) Dsl pour ça, mais le premier mot qui me viens à l'esprit c'est "traître".
Pourquoi les croates n'aiment pas les serbes ?
Ivica Sestan (43 ans, croate de Zemunik) Tous les serbes ne sont pas les mêmes. [...] J'ai grandi avec ton père, nos maisons étaient à 5m l'une de l'autre, je l'aime comme un frère. Je n'oublierai jamais le jour où il a du partir. J'ai pas compris... Il y'a une partie des serbes qui je n'aime pas, ceux qui ont détruits la Croatie, et une autre partie que j'aime, comme ta famille.
Dina Baricic (23 ans, croate de Zadar) C'est normal. Le souvenir de la guerre est toujours là. On peut pas oublier du jour au lendemain ce que les serbes ont fait. Mes parents ont soufferts, le reste de ma famille aussi. Si les serbes avaient acceptés l'indépendance de la Croatie, rien de ça ne serait arrivée. Ils ont provoqué la guerre, et ils l'ont perdu. Snezana Spasojevic (45 ans, croate de Zadar) J'ai passé près de 3 ans dans une cave avec 2 enfants pendant que mon mari faisait la guerre. Ça a été la période la plus dure de ma vie. [...] Je connais les responsables... Deni Ljubicic (25 ans, croate de Zadar) C'est difficile de passer à autre chose, alors qu'on est sans cesse renvoyé au passé. J'ai vu la Croatie se reconstruire après la guerre; elle se reconstruit toujours... Quand j'emprunte telle ou telle rue, j'ai des souvenirs qui me reviennent, c'est pas très agréable [...] La douleur ne partira jamais, je le sais, et tant qu'on a cette douleur en nous, on l'attribuera aux serbes, et à personne d'autre.
44
TO M E 1 > PART I E 0 1
UN E RE LATIO N CO MPLE XE
Je me suis adressée à 35 croates. J'ai reçu 31 réponses. J'ai trié ces réponses en les regroupant dans différentes catégories : U N S O U V ENI R D O U LO U REU X
Le souvenir de la guerre est la réponse qui revient le plus souvent. Il est difficile d'y placer des mots, de l'expliquer. Lors de la guerre, les Croates ont mis leur vie "en suspens". Ils ont perdu des proches, certains corps n'ont toujours pas été retrouvé. Des affaires, des procès resurgissent, dix, vingt ans plus tard. Comme en 2009, à Belgrade où se déroule le procès des 14 personnes accusées d'avoir exécuté 70 civils en Croatie en octobre 1991. Quatre des accusés étaient membres de l'Armée yougoslave (JNA), et six étaient membres de l'unité Dusan le Grand (Dušan Silni). Dans cet extrait, l'ONU relate certains faits : 21 Le 18 octobre 1991, des membres de la JNA, la TO de la SAO SBSO et l’unité de volontaires Dusan Silni ont contraint 50 civils croates, qui avaient été emprisonnés pour effectuer des travaux forcés dans le bâtiment Zadruga de Lovas, à marcher dans un champ de mines aux abords du village de Lovas, situé à environ 20 kilomètres au sud-ouest de la ville de Vukovar. En route pour le champ de mines, un détenu a été abattu par ces forces serbes. Arrivés sur place, les détenus ont été contraints d’avancer en tâtonnant du pied devant eux pour déminer. Une mine au moins a explosé, et les forces serbes ont ouvert le feu sur les détenus. Vingt et un détenus ont été tués par des mines ou par balle." (Acte d'accusation de Slobodan Milosevic, AFFAIRE N° IT-01-50).
P HOTOS DE S VIC T I M E S DU M AS SAC R E DE LOVAS . 2 2
Dragan Grcic : Le procès du massacre de Lovas en cours à Belgrade, 2009 [en ligne]. <http://serbie-droitshumains. blogspot.fr/2009/02/le-procesdu-massacre-de-lovas-en-cours. html> (page consultée le 30/12/2014).
21
Wikipédia, l'encyclopédie libre :Guerre de Croatie, 2014 [en ligne]. <http://fr.wikipedia.org/ wiki/Guerre_de_Croatie> (page consultée le 30/12/2014).
22
Q UI A DI T Q U E LE S SE RB E S E T LE S CROATE S DEVAIE NT SE DÉ TE STE R ? 45
D
UN PAYS D ÉTR UI T
Habiter sur un territoire qui vingt ans plus tôt à été au cœur de scènes insoutenables semble difficile. La Croatie est certes devenu un pays touristique, en vogue, il suffit de s'éloigner des villes, pour se rendre compte que dans les villages, les traces de la guerre sont bien visibles. Un exemple ici avec le village Zemunik Donji, situé à quelques kilomètres de Zadar. Le village comptait à l'époque 50% de Serbes; suite au nettoyage ethnique, les maisons des Serbes ont été détruites. Si certaines sont toujours en ruines, d'autres ont été reconstruite partiellement par l'État, qui avait pour obligation de financer la reconstruction des maisons serbes afin de pouvoir entrer dans l'Union Européenne. Les maisons reconstruites sont des clones, elles se ressemblent toutes. Sur cette photo, c'est la maison familiale de mes grands-parents à Zemunik Donji. Devenu un village "fantôme", Zemunik Donji n'a plus aucune âme. Les Croates présents y voient des maisons renaître; tandis que certains Serbes tentent de revenir, du moins pour quelque jours. Mais peut-on revenir sachant que les voisins qui nous entourent sont responsables de la destruction de notre maison ? Je ne pense pas...
46
TO M E 1 > PART I E 0 1
UN E RE LATIO N CO MPLE XE
"L ES S ERB ES S O NT B EAU C O UP T R OP FIE R S D ' Ê T R E S E R B E S "
En faisant un tour dans me amis Serbes, je me suis rendue compte que cette réponse n'était pas fausse. Plus de la moitié d'entre eux postent des drapeaux, ou des images à la gloire de la Serbie et de la religion orthodoxe. Une façon d'hystériser son identité. Sara Rogic (23 ans, croate de Zagreb) "Comment peuvent-ils être aussi fiers d'être serbe avec tout ce que cela implique ? Sont-ils fiers des massacres commis à Vukovar ou à Srebrenica ? C'est loin d'être un peuple exemplaire, ils devraient réfléchir trois secondes, prendre du recul et admettre leurs erreurs. Tout ce qu'ils font, c'est de la provocation".
D
Q UI A DI T Q U E LE S SE RB E S E T LE S CROATE S DEVAIE NT SE DÉ TE STE R ? 47
Ces témoignages ne me surprennent pas tellement. Ce qui m'interpelle, c'est ceux qui se sentent obliger de se justifier envers moi. J'ai toujours l'impression d'entendre quelque chose comme "Je déteste les Serbes / les Croates, mais pas toi bien sur, toi t'es pas comme eux". J'ai bien conscience que si j'avais rencontré ces personnes aujourd'hui, notre relation serait complètement différente. Cela révèle bien d'un problème de préjugés; on se juge en fonction de nos origines et de ce que cela implique. Les médias jouent un rôle important en participant à la fabrication d'une image faussé.
"LA TÉLÉ CONTINUERA À DIFFUSER NON PAS LA RÉALITÉ, MAIS CE QUE LE PAYS DOIT, SELON LE POUVOIR, PERCEVOIR COMME RÉALITÉ. [...] ET LA PRESSE ÉCRITE CONTINUERA À SEMER LES GRAINES D’UNE AUTRE RÉALITÉ."23 Cependant, je retrouve également des témoignages positifs. Certains utilisent l'humour, d'autres montrent une envie d'évoluer positivement. Puis il y a ceux qui sont indifférent à tout ça, et qui veulent juste vivre une vie tranquille, sans problèmes.
Loos Adolf : Ornement et Crime, 1870-1933, Trad. Sabine Cornille, Paris, Payot et Rivages, Petite bibliothèque, n°412, 2003.
23
48
TO M E 1 > PART I E 0 2
49
CO M M UN ICAT IO N E N T R E LE S Ê T R E S
PA RT I E 0 2
CO M M UN ICAT IO N E N T R E LE S Ê T R E S
A
LA LANGU E CO M M E M AR Q U E U R I DE N T I TAI R E PAGE
50 / 57
B
L ' AL P HAB E T, C R ÉATE U R DE L I E N S S Y M B O L I Q U E S E N T R E LE S Ê T R E S ? PAGE
5 8 / 65
C
LE POU VOI R DU LANGAG E PAGE
66 / 7 5
D
DÉC L I N DE L ' E NGAG E M E N T PO L I T I Q U E PAGE
76 / 79
50
02A TO M E 1 > PART I E 0 2
CO M M UN ICAT IO N E N T R E LE S Ê T R E S
A
LA LANGUE CO M M E M ARQ U E U R I DE NTI TAI RE 51
Van Ypersele et Watthee dans Mémoire et identité: Parcours dans l'imaginaire occidental en 2008, définissent ces trois termes : langage, langue et parole : Au sens large, le langage désigne tout système de signes permettant la communication. Au sens strict, il s’agit de la faculté humaine de constituer et d'utiliser une langue afin de communiquer sa pensée. La langue est un instrument communicationnel dont il existe de nombreuses variétés, attachées en propre à différentes communautés humaines. Une langue est en ce sens un système particulier de signes et de règles qui constitue un fait social supérieur et extérieur aux individus qui la parlent. La parole désigne l’usage qu’un sujet, doué de la faculté de langage, fait de sa langue. C’est donc une performance individuelle, tandis que la langue est une institution : « La langue est le langage moins la parole », déclare en ce sens Ferdinand de Saussure.
D'après l'histoire de la Tour de Babel, les hommes de Babylone ne parlaient qu'une seule et même langue et ne formaient qu'un seul peuple; jusqu'au jour où Dieu brouilla leur langage et les dispersa sur Terre. Ils deviennent alors étrangers les uns des autres1 : Un jour leur vint à l'idée (aux hommes de Babylone) de construire une tour qui atteindrait les cieux par sa hauteur, et leur permettrait ainsi d'accéder directement au Paradis. On nomma cette tour la "tour de Babel", "babel" signifiant "porte du ciel". Mais Dieu, les trouvant trop orgueilleux, les punit en leur faisant parler des langues différentes, si bien que les hommes ne se comprenaient plus. Ils furent alors contraints d'abandonner leur entreprise et se dispersèrent sur la Terre, formant ainsi des peuples étrangers les uns des autres. C'est en référence à ce récit de la Genèse que l'on utilise parfois le terme "tour de Babel" pour parler d'un lieu où règnent le brouhaha et la confusion.24
LA TOU R DE BAB E L 25
LA LANGUE COMME MARQUEUR IDENTITAIRE
linternaute : Une tour de Babel [en ligne]. <http://www. linternaute.com/expression/ langue-francaise/121/une-tourde-babel/> (page consultée le 01/01/2015).
24
Vu par Pieter Bruehel l'Ancien au XVIe siècle.
25
52
TO M E 1 > PART I E 0 2
CO M M UN ICAT IO N E N T R E LE S Ê T R E S
Cette confusion des langues va provoquer d'innombrables travaux qui ont en commun la recherche d'une langue unique et parfaite, capable de restaurer l'universelle compréhension entre les Hommes et de dépasser ainsi la malédiction biblique. Ludwick Lejzer Zamenhof est un médecin ophtalmologiste polonais qui fait partie de ces personnes qui souhaitent doter le monde d'une langue commune internationale. Il publie le Una Libro, le "Premier Livre", instituant les bases de la langue espéranto. La première édition parait le 26 juillet 1887 à Varsovie, en langue russe. Elle est suivie rapidement d'autres versions (allemande, française, polonaise). Cette langue construite se base sur seize règles de grammaire combinées, est utilisée aujourd'hui par un à deux millions de personnes.26 L'ambitieux projet de Ludwick Lejzer Zamenhof est donc un échec. Admettons que nous arrivions à apprendre et à parler une même langue; nous possédons tous une langue maternelle qui définit d'ores et déjà notre identité et qui nous distingue de l'autre.
LANGU E I N TE R NAT IO NALE , P R E M I E R M AN U E L D ' AP P R E N T I S SAG E , 18 8 7 2 7 L U DWIC K LEJ Z E R ZA M E N HO F
A
LA LANGUE CO M M E M ARQ U E U R I DE NTI TAI RE 53
En effet la langue maternelle est un véritable marqueur d'identité. Elle permet de réunir les locuteurs d'une même langue qui vont faire partie d'un même groupe. Ils sont facilement identifiables et se comprennent entre eux. Mais la langue n'est pas qu'un système de communication, elle est bien plus que cela. Elle permet de formuler la pensée et d'exprimer la vision du monde d'un peuple comme nous l'explique Sylvie Robert (2009) : On ne peut pas dissocier une langue de sa culture et du contexte de la société dans laquelle elle existe. Notre façon de concevoir les choses, de voir le monde qui nous entoure, de structurer notre pensée est liée à notre langue maternelle. Il s'agit du concept de relativité linguistique qu'Edward Sapir et Benjamin Lee Whorf ont exprimé sous forme d'une hypothèse. Celle-ci énonce que le langage n'est pas seulement la capacité d'exprimer oralement des idées; elle est ce qui permet la formation même de ces idées. Quelqu'un ne peut pas penser en-dehors des limites de son propre langage. Le résultat de cette analyse est qu'il y a autant de visions du monde qu'il y a de langages différents. En effet, chaque langue a des structures qui lui sont propres, ce qui signifie que le cheminement de la pensée de locuteurs de langues différentes ne sera pas le même.
Le lieu de naissance a par ailleurs une grande influence sur notre vision du monde. Selon l'anthropologue Franz Boas : "Les mots d'une langue sont adaptés à l'environnement dans lequel ils sont utilisés". Par exemple, les langues possèdent un vocabulaire plus ou moins riche pour désigner les couleurs. Le caractère chinois "ts'ing" peut désigner le bleu ou le vert. Le même terme russe peut traduire le jaune ou le vert. Tandis que les Japonais, par exemple, sont plus sensibles à l'aspect mat ou brillant. La langue véhicule aussi la culture d'un peuple, c'est-à-dire, l'ensemble des connaissances historiques, littéraires, religieuses, populaires... partagées par le plus grand nombre. Une langue peut également posséder plusieurs dialectes (Robert, 2009) : Le fait de parler un dialecte définit plus précisément l'identité du locuteur, puisque sa langue trahit sa provenance régionale. Un Napolitain ne s'exprime pas du tout comme un Milanais : il parle plus fort, accompagne son discours de gestes, son accent est plus prononcé, les consonnes sont redoublées, la langue est chantante. Le dialecte Milanais, moins exubérant, a une toute autre musicalité, transmet moins de chaleur et d'allégresse. La langue et l'attitude du locuteur sont donc en accord parfait et s'influencent mutuellement. Autrement dit, le lieu de naissance influence certainement notre mode de vie, notre façon d'être et notre façon de penser.
linternaute : Naissance de la langue construite espéranto [en ligne]. <http://www.linternaute. com/histoire/categorie/evenement/9/1/a/56915/naissance_ de_la_langue_construite_esperanto.shtml> (page consultée le 01/01/2015).
26
Wikipédia, l'encyclopédie libre : Esperanto,2014 [en ligne]. <https://fr.wikipedia.org/w/index. php?title=Esp%C3%A9ranto&oldid=117699497> (page consultée le 01/01/2015).
27
Ainsi, la langue maternelle n'est pas qu'un constituant de l'identité, elle construit notre identité et nous donne une certaine vision du monde. La pluralité des langues implique donc une pluralité de visions du monde (Robert, 2009).
54
TO M E 1 > PART I E 0 2
CO M M UN ICAT IO N E N T R E LE S Ê T R E S
A
LA LANGUE CO M M E M ARQ U E U R I DE NTI TAI RE 55
Dans les deux installations qui suivent, les artistes Pierre Bismuth et Maja Bajevic utilisent différentes langues en même temps, pour montrer l'incompréhension qu'il peut y avoir entre les individus. Ainsi, le fait de parler ou de ne pas parler une langue va déterminer notre relation à autrui :
P I E R R E B I S M UT H T HE J UNG LE B O O K (2 0 0 2 )
En 2002, Pierre Bismuth réalisa un travail à partir du Livre de la Jungle de Disney. Utilisant les 19 langues dans lesquelles le film a été traduit, il attribua à chacun des personnages une langue différente. The Jungle Book Project met donc en scène la babélisation des langues, la difficulté de communiquer et de passer d'une culture à une autre. La même année, Maja Bajevic crée Avanti Popolo, une installation sonore composée de baffles stéréo de différentes tailles et d'une chaîne hi-fi d'occasion. Lorsque le public traverse l'installation, les chants patriotiques de plusieurs nations se font entendre. "Avanti Popolo, alla riscossa, bandiera rossa, bandiera rossa...", "Deutschalnd, Deutschland über alles in der Welt...". Pour cette installation, l'artiste a enregistré des personnes interprétant des chants, idéologiquement marqués, de divers pays. Il est difficile pour le visiteur de percevoir distinctement les sons car les chansons se superposent. Au fur et a mesure que les voix se mélangent, l'ensemble devient incompréhensible. Les chants perdent leur contexte et donc leur sens.
M AJA BAJ EVIC AVAN T I PO PO LO (2002)
56
TO M E 1 > PART I E 0 2
CO M M UN ICAT IO N E N T R E LE S Ê T R E S
Le cas du peuple Serbe et du peuple Croate est plus complexe. Les deux possèdent exactement la même langue, mais sous une appellation différente : le serbe, le croate. Comme nous l'avons vu précédemment, lors de la création du serbo-croate sous la Yougoslavie de Tito, le dialecte štokavien à été utilisé pour une standardisation de la langue. Suite à l'éclatement de celle-ci, les Serbes sont restés fidèles à ce dialecte, tandis que les Croates ne cessent de faire évoluer leur langue afin de s'éloigner du serbe. L'exemple le plus flagrant est celui des mois de l'année : En serbe : Januar, februar, mart, april, maj, jun, jul, avgust, septembar, oktobar, novembar, decembar. En croate : Sijecanj, veljaca, ožujak, travanj, svibanj, lipanj, srpanj, kolovoz, rujan, listopad, studeni, prosinac. Il est par conséquent devenu impossible pour un Serbe de comprendre les mois en croate, à moins de les avoir appris. J'ai l'habitude de me rendre en Croatie tous les deux ans, et je me rends compte de l'évolution constante du croate. Ce n'est pas une évolution comme en France, ou de nouveaux mots apparaissent dans le dictionnaire (exemple récent "hashtag"), mais c'est des mots qui viennent remplacer d'autres mots. Contrairement à Ludwick Lejzer Zamenhof, qui souhaitait utiliser la langue pour rapprocher les peuples, les Croates l'utilisent pour s'éloigner davantage. A force de modifier la langue, ne risque t-on pas de se retrouver avec "une langue croate" complètement différente de celle d'aujourd'hui? Dans son livre La langue et le nationalisme, publié aux éditions Durieux en 2010, la linguiste croate Snježana Kordic affirme : C'est en Croatie que la pureté de la langue a atteint son paroxysme; devenue depuis vingt ans une grande priorité, ce qui n'est qu'un signe de la domination du nationalisme. Cela d'autant plus que les différences imposées par les linguistes croates sont artificielles et que leurs travaux sur la langue sont subventionnés par l'État croate.
Elle rappelle que le ministre croate de l’Éducation a affirmé que le serbe et le croate seraient deux langues différentes de par les constructions distinctes des deux nations, de par leur différences culturelles et parce qu’elles appartiendraient à deux civilisations différentes.28
Propos recueillis par Marjana Stevanovic : Entretien - Croatie : comment la langue sert d'alibi aux thèses nationalistes, 2010 [en ligne]. <http://dicocroate2. over-blog.com/article-snje-ana-kordi-54708725.html> (page consultée le 01/01/2015).
28
A
LA LANGUE CO M M E M ARQ U E U R I DE NTI TAI RE 57
58
02B
TO M E 1 > PART I E 0 2
CO M M UN ICAT IO N E N T R E LE S Ê T R E S
B
L' AL PHAB E T, C RÉATE U R DE L I E NS S Y M B O LI Q U E S E NTRE LE S Ê TRE S ? 59
L’image permet d’engendrer du lien visuel par l’utilisation de signes : l’émetteur émet un message (signifiant) qui est ensuite perçu par le récepteur (signifié). Comme nous l'explique le sociologue français Michel Maffesoli (2000) : "L’une des virtualités de l’image est son pouvoir de ralience : drapeaux, sigles, icônes, signes, produisent de l’empathie, générant du lien." Lorsque des signes deviennent connus et reconnus par un groupe d’individus, ils permettent de créer un langage visuel entre ces personnes. L’alphabet est l’exemple fondamental de cette création de relation entre les êtres par un ensemble de symboles massivement reconnus. Il établis ainsi des liens visuels entre les êtres, qui régissent un langage, une culture visuelle commune. (Bourriaud, 2001). Le graphiste iranien Reza Abedini et le graphiste coréen Ahn Sans Soo utilisent l'alphabet au cœur de leurs compositions graphiques. Abedini dans ses compositions forme un langage composé de multiples codes: amalgames d'écritures rappelant les modes de composition des poèmes classiques perse, gamme colorée réduite a des couleurs sourdes, papiers Kraft rappelant les architectures de terre séchée d'Ispahan; blocs de textes, silhouettes, héritages remaniés de manuscrits anciens. En travaillant la typographie, il redessine et modernise les polices classiques de l'alphabet persan, avec une volonté de penser et d'affirmer un graphisme perse contemporain. Tandis que Ahn Sand Soo est devenu célèbre pour avoir su moderniser le hangeul (alphabet coréen) tout en respectant ses caractéristiques traditionnelles.
R E ZA AB E DI N I
L'ALPHABET, CRÉATEUR DE LIENS SYMBOLIQUES ENTRE LES ÊTRES?
60
TO M E 1 > PART I E 0 2
AH N SANG S O O
CO M M UN ICAT IO N E N T R E LE S Ê T R E S
B
L' AL PHAB E T, C RÉATE U R DE L I E NS S Y M B O LI Q U E S E NTRE LE S Ê TRE S ? 61
L'alphabet permet donc la création d'un vrai lien symbolique entre les êtres. Mais, le fait de savoir écrire ou non un alphabet, détermine notre relation à celui-ci. Il est impossible pour un français qui écrit en latin de déchiffrer l'alphabet arabe, et vice versa. On se confronte alors a des symboles complètement incompréhensibles. Dans certains cas, on peut utiliser cette différence d'alphabets comme une richesse. C'est le cas de l'Institut du Monde Arabe qui à l’occasion de son 25e anniversaire en 2002, à dévoilé sa nouvelle identité et ses nouveaux outils de communication centrés sur la typographie. Elle réaffirme ainsi son rôle de passeur de cultures, des langues et des coutumes.
AG E N C E C I N ST I T U T DU M O N DE ARAB E ( 2 0 0 2 )
62
TO M E 1 > PART I E 0 2
CO M M UN ICAT IO N E N T R E LE S Ê T R E S
Si l'union de l'alphabet cyrillique et de l'alphabet latin a bien existé lors de la création de la langue serbo-croate sous la Yougoslavie de Tito; aujourd'hui ces deux alphabets sont utilisés pour séparer les deux peuples. Comme le note Paul-Louis Thomas (1998) : "Les alphabets sont particulièrement la cible des hystéries nationalistes". L'alphabet devient alors un véritable outil politique destiné à briser les liens. L'exemple le plus flagrant aujourd'hui est celui de la ville de Vukovar en Croatie, qui se retrouve au cœur d'une guerre entre le cyrillique et le latin. Poitou (2013) nous l'explique : En vertu d'une loi sur le respect des minorités adoptée en 2002, des panneaux dits "bilingues" doivent être placés dans les régions de Croatie où vit plus d'un tiers de personnes d'une autre nationalité. C'est le cas de la ville de Vukovar, ville de quelque 30 000 habitants tout près de la frontière serbe, où des panneaux "bilingues" sont une obligation légale. En 1991, cette ville avait été assiégée par l'armée serbe, qui s'en était rendue maître au bout de trois mois. L'armée croate l'avait reprise quatre ans plus tard. Une ville ravagée, des centaines de morts, exactions, expulsions, exécutions. Plus de vingt ans après, l'écriture cyrillique y est toujours considérée comme l'écriture de l'ennemi par certains Croates, notamment par des anciens combattants. D'où des protestations contre les panneaux en double écriture, et celles-ci sont massives : le 2 février 2013, 20 000 personnes manifestent à Vukovar contre le projet de panneaux en cyrillique. Début septembre, des manifestants s'en prennent à des panneaux en deux écritures qui viennent d'être installés. En novembre, les autorités croates rejettent une décision des autorités locales qui leur permettrait d'échapper à la loi. En réaction, le 18 novembre, des manifestants empêchent le président et le Premier ministre croates de participer aux cérémonies organisées à Vukovar à la mémoire des morts de la guerre de 1991. Et mi-décembre, les opposants au cyrillique demandent un référendum sur une loi qui bannirait de fait tout usage du cyrillique en Croatie : ils présentent pour cela un total de 680 000 signatures (la Croatie compte environ 4,5 millions d'habitants). La guerre de l'écriture se poursuit en 2014...
L'article Le cyrillique divise un peu plus Vukovar, paru sur le site Euronews en 2013, regroupe des témoignages de Serbes et de Croates vivant aujourd'hui à Vukovar. Parmi eux, celui de Danijel Rehak qui a fait partie des soldats capturés à Vukovar en 1991, puis envoyés dans des camps serbes :
B
L' AL PHAB E T, C RÉATE U R DE L I E NS S Y M B O LI Q U E S E NTRE LE S Ê TRE S ? 63
Vesna Bosanac qui dirigeait l'hôpital de Vukovar (dans lequel un massacre à l'encontre des patients et du personnel a été commis en 1991) affirme : Quand nous sommes revenus dans la ville après l’accord de paix en 1997, tout était écrit en cyrillique, ensuite le processus de réintégration pacifique a commencé et tout ce qui était en cyrillique n‘était plus autorisé et aujourd’hui, après le recensement de 2011, des panneaux en cyrillique sont de nouveau installés sur les bâtiments publics. Cet alphabet, ne serait plus un problème si les blessures des gens d’ici s‘étaient refermées, s’ils avaient retrouvé le corps de leurs proches ou leur parent porté disparu, mais ce n’est pas le cas et l’introduction du cyrillique, c’est comme appliquer de l’alcool sur une plaie ouverte.
Zeljko Kovacevic est un serbe d'origine qui est resté à Vukovar pendant le siège. Il est respecté autant par les Croates que par les Serbes. Son discours est bien plus nuancé : Ce sont les responsables politiques qui font les règles du jeu et c’est à la population de s’y conformer. Il n’y a pas de travail, alors les gens se concentrent sur des choses inutiles, ils ne pensent pas par eux-même alors qu’ils devraient commencer à réfléchir. S’ils le faisaient, la ville reviendrait à la vie – avec de nombreuses idées nouvelles et de meilleures écoles – et au final, les enfants iraient dans les mêmes classes.
La population croate relie directement le cyrillique à la population serbe, d'où le rejet de l'alphabet. L'alphabet possède donc un pouvoir bien plus fort qu'on ne l'imagine.
DE ST RUC T IO N D ' UN E I N S C R I P T IO N E N CY R I L L I Q U E , PAR UN E C ROATE À V U KOVAR . 29
Nous sommes contre l’introduction de la langue serbe et les enseignes en cyrillique parce que cet alphabet a fait partie de leurs armes quand ils ont attaqué Vukovar en 1991 [...] Lors de cette campagne militaire, 5000 de nos concitoyens sont morts – des combattants, des civils, des enfants, des personnes âgées – et 401 personnes sont encore portées disparues.
ARTICLE 11 : VUKOVAR – MITRAILLETTE THOMPSON ET MONTÉE BRUNE, 2014 [en ligne]. <http://www.article11. info/?Vukovar-mitrailletteThompson-et> (page consultée le 02/01/2015).
29
64
TO M E 1 > PART I E 0 2
CO M M UN ICAT IO N E N T R E LE S Ê T R E S
On pourrait également parler de typographie comme cette querelle Antiqua-Fraktur survenu en Allemagne : L’ère nazie dès ses débuts utilise abondamment la Fraktur, toujours censée représenter l’âme et les valeurs germaniques. Cependant, en 1934, Adolf Hitler fait une déclaration au Reichstag par laquelle il est convaincu de la future hégémonie de l’Allemagne sur toute l’Europe, les peuples occupés devront apprendre l’allemand et pour faciliter cela on devra remplacer la Fraktur par l’Antiqua. Cette volonté prend son effet le 3 janvier 1941, avec le Schrifterlass (décret sur l’écriture) de Martin Bormann, qui qualifie de « juive » l’écriture Schwabacher (une des formes de gothique allemande), évidemment sans le moindre bien-fondé. La typographie gothique est d’abord interdite, puis dans un second temps on interdit l’écriture cursive. On cesse donc d’enseigner la Kurrent et la Sütterlin, au profit de la Normalschrift (déjà enseignée accessoirement comme écriture latine). La Kurrent subsiste encore sur les insignes SS.30
À travers l'alphabet et la typographie, c'est plus généralement l'écriture qui joue un rôle primordial dans la communication entre les êtres, la transmission d'idées ou la réflexion personnelle. Jack Goody nous l'explique dans La raison graphique, la domestication de la pensée sauvage en 1977 : La représentation graphique de la parole est un outil, un « amplificateur », un auxiliaire d’ une extrême importance. Elle a des fonctions mnémotechniques mais surtout facilite la réflexion sur l’ information et son organisation : c’ est donc les modes de pensée, les aptitudes à la réflexion, le développement de l’ activité cognitive qui se trouvent transformés.
Toujours selon Goody (1977), l’écriture a permis la transformation du savoir politique en mettant en place de nouveaux modes de pensées correspondant à de nouveaux modes de domination. L'écriture à donc un rôle important dans la transformation des rapports sociaux. L’ Etat utilise des archives (chiffres de population, données diverses...) qui dépersonnalisent et renforcent une domination. La production d’idéologie se base elle aussi sur des classements synoptiques, ordonnés de l’ information, sur la codification de règles.
Wikipédia, l'encyclopédie libre. : Querelle AntiquaFraktur, 2014 [en ligne]. <http://fr.wikipedia.org/w/index. php?title=Querelle_AntiquaFraktur&oldid=108921584> (page consultée le 02/01/2015).
30
B
L' AL PHAB E T, C RÉATE U R DE L I E NS S Y M B O LI Q U E S E NTRE LE S Ê TRE S ? 65
66
02C
TO M E 1 > PART I E 0 2
CO M M UN ICAT IO N E N T R E LE S Ê T R E S
LE POUVOIR DU LANGAGE
LE POU VOI R DU LANGAGE 67
C
Parler et écrire font partie de notre quotidien. Cela permet de communiquer, d'échanger avec les autres. On pourrait penser que les mots ne sont que des signes et que contrairement aux actes ou à la force, ils ont un pouvoir moindre. L'importance du langage est pourtant évident, justement parce que celui-ci fonctionne en grande partie sur le mode symbolique. Un mot peut blesser, un autre peut réconcilier. Ainsi, le langage est un outil de domination important qui permet d'influencer autrui et de marquer sa supériorité. Dans La société contre l'État en 1974, Pierre Clastres constate que dans les sociétés primitives déjà, le langage était un instrument essentiel du chef de tribu. Il lui suffisait d'échanger des mots pour recevoir en retour biens et femmes. La société grecque elle, marque l'apparition de la démocratie (égalité entre la parole de chacun), ainsi que des sophistes qui sont les spécialistes de la rhétorique. Avec ces derniers, la dimension socio-politique du langage a pris une importance capitale. Les sophistes font du langage leur profession. Un bon sophiste sait convaincre un auditoire en trouvant les bons arguments, réglant ainsi des rapports de force par une discussion publique. De ce fait, le succès dans le domaine politique ou juridique dépendait largement de la maîtrise de la langue de l'orateur. Dans cet extrait de Gorgias de Platon, le dialogue entre Socrate et Gorgias nous explique d'avantage cette force qu'est la rhétorique : 31 Socrate. – C’est même parce que j’en suis étonné, Gorgias, que je te demande depuis longtemps quelle peut bien être cette puissance de la rhétorique. Elle m’apparaît avoir une étendue divine quand je l’examine sous cet angle. Gorgias. – Si tu savais tout, Socrate, tu saurais qu’elle rassemble pour ainsi dire sous sa tutelle toutes les puissances. Je vais t’en donner une belle preuve : il m’est en effet arrivé souvent de me rendre avec mon frère ou d’autres médecins auprès de malades qui ne voulaient pas avaler un médicament ni se laisser charcuter ou cautériser par le médecin. Quand le médecin n’arrivait pas à les persuader, moi j’y arrivais par le seul art de la rhétorique. Qu’un orateur et un médecin se rendent dans la cité que tu voudras, s’il faut débattre lors d’une assemblée ou d’une quelconque autre réunion publique pour savoir lequel d’entre les deux on doit choisir comme médecin, je dis que le médecin ne comptera pour rien, et qu’on choisira celui qui est capable de parler, s’il le veut bien. Et quel que soit l’homme de métier que lui opposerait le débat, l’orateur persuaderait qu’on le choisisse plutôt que n’importe qui d’autre ; car il n’y a pas de sujet sur lequel l’orateur ne parlerait de façon plus persuasive que n’importe quel homme de métier devant une foule. Tant est grande et belle la puissance de notre art.
Pascal Blaise qui travaille également sur l'impact des mots, distingue deux concepts, celui de convaincre et de persuader. D'après lui, les deux concepts sont indispensables pour emporter l'adhésion de l'auditoire. En effet, convaincre fait appel à la raison, tandis que persuader utilise les sentiments. Ainsi, à la raison, il faut ajouter des formules frappantes, qui bousculent la tête et le cœur du public.32 Dans notre société contemporaine, l’usage du langage comme outil de pouvoir se développe. C'est le cas notamment avec les spécialistes de la communication comme les publicitaires, les médias, les scientifiques. Le pouvoir politique reste essentiellement symbolique, puisque les hommes politiques ne font que parler et écrire. Mais cet usage du langage est répan-
Platon. (2012 [2001]). Gorgias. Paris: Hatier.
31
Cours de philosophie : Le langage [en ligne]. <http://coursphilosophie. free.fr/index.php> (page consultée le 02/01/2015).
32
68
TO M E 1 > PART I E 0 2
CO M M UN ICAT IO N E N T R E LE S Ê T R E S
du dans toute la société qui unit étroitement savoir et pouvoir et multiplie donc le nombre des « manipulateurs de symboles » professionnels. Sigmund Freud (1926) nous donne ici avec la cure psychanalytique, un autre exemple du pouvoir des mots : Maintenant nous allons donc savoir ce que l’analyse entreprend avec le patient à qui le médecin n’a pu être d’aucun secours. Il ne se passe rien d’autre que ceci : ils parlent ensemble. L’analyste n’utilise aucun instrument, pas même pour l’examen, il ne prescrit pas davantage de médicaments. Pour peu que ce soit possible, il laisse même le malade en traitement dans son milieu et sa situation. Ce n’est évidemment pas une condition absolue et même ce n’est pas toujours réalisable. L’analyste convoque le patient à une certaine heure de la journée, le laisse parler, l’entend, puis lui parle et le laisse écouter. Le visage de notre interlocuteur impartial exprime maintenant un soulagement et une détente indéniables, mais traduit tout aussi nettement un certain dédain. C’est comme s’il pensait : rien que cela ? Des mots, des mots et encore des mots. [...] C’est donc une sorte de magie, vous soufflez sur les souffrances et elles s’envolent. S IG M UN D F R E U D , AS S I S À CÔ TÉ DU DIVAN , DAN S S O N CAB I N E T DE CO N SUL TAT IO N , 19 B E R GAS SE À VI E N N E , V E R S 1 9 3 0 . 33
LE POU VOI R DU LANGAGE 69
C
Christian Dufour, dans Entendre les mots qui disent les maux publié en 2006, nous explique de quelle manière le champ de la linguistique s'élargit au domaine de l'inconscient. Il cite Lacan : "L'inconscient ne laisse aucune des actions de l'être humain hors de son champ; le langage, fonction capitale pour la communication sociale humaine, ne saurait y échapper : le langage implique l'inconscient. [...] Le mot n'est pas signe, mais nœud de signification". On assiste ainsi à la découverte d'une langue archaïque, enfouie dans notre cerveau droit, la fameuse Grundsprache (langue des profondeurs) que Freud analysait dans les rêves (Dufour, 2006) : Dans les cris et les crac, se dessine la naissance du signe verbal, motivé et symbolique, issu du mariage de la géométrie avec les bruits du monde sous l'orchestration des émotions. Nos mots ne sont plus les signes arbitraires des linguistes classiques, il sont construits d'unités sonores déjà sensées, mais non conscientes, formant un code proche d'un langage originel universel, qui permet de décrypter comme des hiéroglyphes nos mots conventionnels, jusqu'au sens caché des noms et prénoms, des Contes, Mythes et Légendes ; ce code éclaire d'un jour nouveau l'inconscient et permet d'accéder au sens profond des maux du corps. Nos maladies ne sont plus insensées, et nous pouvons désormais les entendre et nous entendre. Pour cela il faut davantage prêter l'oreille aux sons des mots exprimés par l'homme malade, car ils disent le sens de ses maux. Ces maux exhibent sur l'écran du corps les conflits de programmes entre le Surmoi et le Moi.34
Dans son installation Good Boy, Bad Boy en 1985, l'artiste Bruce Nauman s’intéresse au rapport unidirectionnel du message télévisuel. Il fait répéter la même série de mots à une femme et un homme, en employant à chaque fois un ton différent. Les mêmes mots acquièrent alors une dimension plus complexe. Le ton et la manière de prononcer un mot font donc partie intégrante du message.35
B RUC E NAU M AN G O OD B OY , BAD B OY ( 1 98 5)
Overblog : Entendre les mots qui disent les maux, 2014 [en ligne]. <http://lienmotsmaux.overblog.com/categorie-1141621. html> (page consultée le 02/01/2015).
34
Chantal Pontbriand : Bruce Nauman, Good Boy, Bad Boy. [en ligne]. <http://www.newmedia-art.org/cgi-bin/show-oeu. asp?ID=150000000035324&lg=FRA> (page consultée le 02/01/2015).
35
Photo : The Freud Museum London
33
70
TO M E 1 > PART I E 0 2
CO M M UN ICAT IO N E N T R E LE S Ê T R E S
Le général chinois Sun Tzu dans son texte L’art de la guerre, explique qu'en combinant les tactique de combat et les technique d’influence, il arrivait aisément à manipuler la population. Il explique : "Ceux qui sont experts dans l’art de la guerre soumettent l’armée ennemie sans combat. Ils prennent les villes sans donner l’assaut et renversent un état sans opération prolongées". C'est donc en utilisant les mots et en provoquant une certaine pression psychologique qu'on peut réussir à affecter le comportement d'une cible choisie sans utiliser la force militaire. C'est notamment le cas de la propagande. Guy Durandin (1993) définit la propagande comme étant l'utilisation d'informations pour exercer une influence sur les attitudes, en présentant la réalité d'une certaine façon. La propagande a pour but d'exercer une influence sur l'individu ou sur un groupe soit pour le faire agir dans un sens donné ou soit pour le rendre passif et le dissuader de s'opposer à certaines actions. L'artiste Alexandre Rodtchenko a été un témoin privilégié d'une époque et d'une société russe en voie de recomposition après la révolution d'octobre 1917. Il fut convié par le régime pour servir de levier de propagande à celui-ci. Une propagande centrée sur la construction de l'homme nouveau, le pionnier.
ALE X AN D R E ROD T C HE N KO
C
LE POU VOI R DU LANGAGE 71
Enfin Winn Schwartau (1994), parle d'infoguerre qui apparait avec l'informatique offrant de nouvelles possibilités aux actions psychologiques. Le développement de réseaux informatique permet la diffusion de différente forme de propagande ou de désinformation qui ne peuvent être contrôlées. Avec sa table de conférence entourée de treize chaises, I’installation The board Room de Antoni Muntadas nous plonge dans une salle de conseil d’administration dont les murs sont couverts des portraits photographiques de leaders religieux et politique influents. A l’emplacement de leur bouche, Muntadas a inséré des mini-téléviseurs diffusant des images d’actualité, mettant ainsi en relief la relation ambigüe qu’entretiennent ces leaders avec les sphères politiques et économiques.
AN TO N I M UN TADAS T H E B OAR D RO O M ( 1 98 7 )
72
TO M E 1 > PART I E 0 2
CO M M UN ICAT IO N E N T R E LE S Ê T R E S
C
LE POU VOI R DU LANGAGE 73
L'artiste Mona Hatoum aborde la question de la censure avec So much I want to say. On la découvre dans une vidéo. Sa bouche est recouverte par des mains qui l'empêchent de parler. Urgently ! est une "info-sculture" de l'artiste Aristarkh Chernyshev réalisée en 2007, qui explore des phénomènes comme la surcharge d'informations, le web 2.0 et l'esthétique de l'information. Des informations venant d'Internet en temps réel sont jetées dans une énorme poubelle à recycler afin d'être mises à jour à tout moment. Une chaîne de DEL, entrant et sortant de la poubelle telle un serpent, présente la nourriture RSS fournie par différentes chaînes d'information. Urgently ! représente métaphoriquement les données numériques, le flot infini d'informations qui, mises à jour à la seconde, deviennent immédiatement obsolètes.
M O NA HATOU M S O M UC H I WAN T TO SAY ( 1 9 83)
Tout ces exemples nous ont montré que le langage n’est pas qu'un instrument théorique mais qu'il constitue aussi un outil pratique qui permet d’agir directement sur le monde. Ainsi, la maîtrise du langage confère un certain pouvoir.
AR I STAR K H C H E R N YS H EV U R G E N T LY ( 2 0 0 7 )
74
TO M E 1 > PART I E 0 2
CO M M UN ICAT IO N E N T R E LE S Ê T R E S
C
LE POU VOI R DU LANGAGE 75
Il y'a une chose que les Croates et les Serbes ont en commun : le regret de la guerre. Il est difficile de constater qu'un changement de politique, ou dans ce cas, d'homme politique mène au conflit. La mort de Tito en 1980 annonçait la mort de la Yougoslavie. La politique communiste menée par le maréchal avait certes des points faibles; mais elle avait surtout la force d'unir et d'accepter chaque individu indépendamment de son origine ou de sa religion. Les années Yougoslaves décrites par mes grands-parents semblent sereines. Les unions entre Serbes et Croates étaient acceptées. Comment se fait-il qu'un changement d'homme politique suffise à briser un pays ? Je pense que certains ont suivi la politique imposée et que d'autre l'ont subi. Se lever un matin en entendant "La guerre entre les Serbes et les Croates est proclamée", semble irréel. Pourtant ces quelques mots ont suffi à séparer des amis, qui à ce moment précis se rendaient compte qu'ils n'appartenaient pas au même camp. Laisser un nationaliste aux commandes d'un pays conduit forcément à la rupture. La manipulation, le conditionnement des peuples, le bourrage de crane quotidien les mena vers l'absurde.
"La réalité est manipulable et constamment manipulée. Dire "assez de réalité", c'est s'engager dans ce processus de recréation, de réinvention du réel. Mais ce projet précis était axé sur un décodage d'images, une analyse de l'effet qu'elles ont sur nous. Aujourd'hui j'en ai gardé l'idée qu'il n'y a pas de différence fondamentale entre le réel, l'image et le commentaire. Je cherche des espaces-temps où ces trois éléments peuvent être appréhendés simultanément".36
P H I L I P P E PAR R E N O N O M O R E R EAL I T Y ( 1 991 )
36 Philippe Parreno : Virtualité réelle, Art Press, Paris, numéro 208, décembre 1995, p. 42.
76
02D
TO M E 1 > PART I E 0 2
CO M M UN ICAT IO N E N T R E LE S Ê T R E S
D
DÉCL I N DE L ' E NGAGE M E NT PO L I TI Q U E 77
D'après Maffesoli (2000), la démocratie représentative en Europe fait face à certaines limites structurelles au niveau des possibilités d’engagements de la masse sociale dans le débat politique. En effet, le peuple ne se sent pas assez représenté par les élus qui devraient incarner la volonté générale. La parole donnée à la population devient donc insuffisante. L'identification au pouvoir politique est minime provoquant ainsi une séparation entre celui-ci et la masse. La vision d’un pouvoir politique dominant, triomphant et d’un mode de vie unique choisis par les gouvernants est en train de disparaitre. Des communautés plurielles se forment par la nécessité de trouver son appartenance dans un contexte social. La place du débat politique et social est ainsi en train de muter, de se déplacer vers le local, vers l’instant, vers l’éphémère. L’entraide et la croyance en de nouveaux modes d’engagements communautaires permettent d’échapper à la démocratie représentative et ses limites et de faire naître des interstices sociales. Arne Næss (1960) remettait déjà en question cette vision de domination, mais d’un point de vue anthropologique sur la place de l’homme dans son environnement naturel. Næss affirmait : "L’homme ne se situe pas au sommet de la hiérarchie du vivant, mais s’inscrit au contraire dans l’écosphère comme une partie qui s’insère dans le tout». Ce sont les bases du mouvement écologique qui sont posées par ce concept, mais surtout la constitution par chacun de son propre milieu de vie, la recherche individuelle de nos besoins pour atteindre le bien-être, et non plus l’obéissance et l’unification derrière une vision unique. Grégory Corroyer nous explique les vertus de la discorde selon Jacques Rancière : 37
DÉCLIN DE L'ENGAGEMENT POLITIQUE
Aux yeux des tenants de l’« agonisme », c’est dans le combat symbolique que s’exprime l’essence du politique, par la cristallisation de clivages à travers lesquels l’identité se constitue par différence. La démocratie tient donc sa vitalité de la mésentente : ses idéaux n’engagent les citoyens à débattre qu’en les divisant sur leur signification et leur priorité relative. Or, si le sens politique est pomme de discorde, une raison publique circonscrivant l’espace uniforme et pacifié des arguments recevables ne peut qu’en précipiter la disparition. Le telos de l’entente, ou son cantonnement dans les limites d’un désaccord raisonnable, sont ici discrédités pour les raisons mêmes qui les font valoriser dans le camp concordiste. L’appel au sensus communis est dévoilé comme formatage du questionnable recouvrant la division du monde : consentir, c’est faire partie de ceux qui ne trouvent fondamentalement rien à redire à la distribution du possible et du souhaitable, parce qu’ils perçoivent et interrogent à partir d’un même « partage du sensible » assurant la visibilité et la vraisemblance, l’univocité et la concordance des données de l’apparaître. Ce bon sens supposé unique n’admet qu’une contradiction homogène, privée d’altérité véritable, entre des « solutions » alternatives à des « problèmes » appréhendés de concert.
Grégory Corroyer : Consensus / Dissensus, 2013 [en ligne]. in CASILLO I. avec BARBIER R., BLONDIAUX L., CHATEAURAYNAUD F., FOURNIAU J-M., LEFEBVRE R., NEVEU C. et SALLES D. (dir.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la participation, Paris, GIS Démocratie et Participation. <http:// www.participation-et-democratie. fr/es/dico/consensusdissensus> (page consultée le 02/01/2015).
37
78
TO M E 1 > PART I E 0 2
CO M M UN ICAT IO N E N T R E LE S Ê T R E S
D
DÉCL I N DE L' E NGAGE M E N T PO L I TI Q U E 79
Selon Bourriaud (2001), le peuple recherche un moyen d'incarner de nouvelles formes d'engagements et de participation sociales : Notre époque n’est pas en manque d’un projet politique, mais en attente de formes susceptibles de l’incarner, donc de lui permettre de se matérialiser. Car la forme produit ou modèle le sens, l’oriente, le répercute dans la vie quotidienne. La culture révolutionnaire a créé ou popularisé plusieurs types de socialité: l’assemblée (soviets, agora), le sit-in, la manifestation et ses cortèges, la grève et ses déclinaisons visuelles (banderole, tracts, organisation de l’espace, etc...). C’est dans le gel des mécaniques, dans l’arrêt sur image, que notre époque trouve son efficacité politique.
On peut alors se demander si le graphisme peut jouer un rôle en offrant de nouveaux outils, et permettant ainsi la communication entre les êtres ?
"QUELLE FORME DOISJE DONNER À CES PROJETS POUR QUE CEUX QUI VIENDRONT APRÈS MOI PUISSENT LES UTILISER AUX FINS DE LEUR PROPRE PROGRESSION ET SOIENT AUSSI PEU GENÉS QUE POSSIBLE DANS CELLE-CI ?".38
Télérama, cité sur le site de la revue xxI, [en ligne] <www. revue21.fr>.
38
80
TO M E 1 > PART I E 0 3
81
AP P E L AU RAS SE M B LE M E N T
PA RT I E 0 3
AP P E L AU RAS SE M B LE M E N T
A
LE M E S SAG E CO N TE STATAI R E PAG E
82 / 89
B
L ' E S PAC E P U B L IC CO M M E L I E U D ' E X P R E S S IO N PAG E
90 / 97
C
LE S P EC TATE U R AU C E N T R E DU P ROC E S SUS DE C R ÉAT IO N PAG E
98 / 10 3
82
03A
TO M E 1 > PART I E 0 3
AP P E L AU RAS SE M B LE M E N T
LE M E S SAGE CO NTE STATAI RE 83
A
Réjane Bargiel, directrice du Musée de la Publicité à Paris, explique les conditions qui ont conduit à la prolifération des affiches contestataires de Mai 68 : 39 Durant cette période de crise, la paralysie du pays est totale, celle de l'information "normale" également : les journaux ne paraissent plus à cause des grèves, la télévision et la radio, contrôlées par l'État ne diffusent qu'une information filtrée. L'affiche va donc s'avérer le seul moyen de communication, d'information libre et rapide. Elle retrouve une place privilégiée, en revenant à sa fonction première : informer, le journal mural renaît. Illustrées d'un graphisme vigoureux, concentré, dépouillé de tout artifice, ne visant qu'à l'efficacité, de caricatures agressives, elles sont imprimées en sérigraphie, technique rapide et très souple. L'ensemble de la production de l'ex Atelier de l'École des BeauxArts, rebaptisé Atelier populaire est, à cet égard représentatif.
Les images sont minimalistes, simples, tout en restant efficaces avec des slogans forts.
A F F IC H E S M AI 68 POU VOI R PO P ULAI R E & P R E S SE - N E PAS AVALE R
LE MESSAGE CONTESTATAIRE
39 Jean-Pierre Dubois: La contestation de Mai 68 en images, 2014 [en ligne] <http://jpdubs.hautetfort.com/archive/2007/05/04/ne-liquidons-pas-l-heritage-graphiquede-mai-68.html>(page consultée le 06/01/2015).
84
TO M E 1 > PART I E 0 3
AP P E L AU RAS SE M B LE M E N T
A
LE M E S SAGE CO NTE STATAI RE 85
L'affichiste français Alain Le Quernec s'engage sur des questions politiques et sociétales. Dans La Bête qui monte, qui monte, qui monte en 1987, Le Quernec se place contre Le Pen (dirigeant du Front National), au moment où il progressait régulièrement dans les élections : « Je voulais faire une chose inattaquable car, à l’époque, il faisait des procès à tous ses adversaires pour diffamation et il les gagnait ».
"DÉNONCER UN PROBLÈME NE SUFFIT PAS À LE RÉSOUDRE, MAIS LE FAIRE CONNAÎTRE C'EST PEUT-ÊTRE DÉCLENCHER DES ÉNERGIES POUR Y REMÉDIER".40
ALAI N LE Q U E R N EC LA B Ê TE Q UI M O N TE , Q UI M O N TE , Q UI M O N TE ( 1 98 7 )
Le rôle de l'affiche est de communiquer efficacement; que cela soit pour dénoncer, expliquer, informer, émouvoir, innover. Elle reflète des prises de conscience, des enjeux individuels et collectifs, des changements apportés à la société en raison de l'industrialisation, des nouvelles technologies. Présente partout dans le monde, l'affiche est à la fois un document historique représentatif d'une époque, d'une société; et une création artistique.41 Elle devient ainsi le support idéal dans le cadre de la diffusion d'un message contestataire lié à la société. Le collectif Grapus crée en 1970 par Pierre Bernard développe dans une même dynamique la recherche graphique et l'engagement politique, social et culturel.42 Dans Apartheid/Racisme, le cancer du monde crée en 1986, l'idée avancé est que l'apartheid est lié au racisme, et non à une philosophie politique que les blancs d'Afrique du Sud essayent de vendre au reste du monde.
Maude Bouchard: L'AFFICHE COMME MODE D'EXPRESSION D'UN GRAPHISME D'AUTEUR À PORTÉE SOCIALE, 2007.
41
Wikipédia, l'encyclopédie libre : Grapus, 2014 [en ligne]. <http:// fr.wikipedia.org/wiki/Grapus> (page consultée le 06/01/2015).
42
40
Alain Le Quernec
86
TO M E 1 > PART I E 0 3
AP P E L AU RAS SE M B LE M E N T
Le graphisme est donc un vecteur de formes relationnelles puisqu’il permet de réaliser des outils de communication. Dans Vision in motion publié en 1947, Moholy Nagy définit le design par un retour aux valeurs fondamentales : Le design n’est pas une profession, mais une attitude. Les notions de design et de designer doivent être transformées. Il y a un design dans l’organisation de notre affectivité, de notre vie familiale, dans les rapports syndicaux, dans l’urbanisme comme dans tout travail réunissant les individus « civilisés ». Finalement, tous les problèmes en design sont fondés sur une unique préoccupation : le design pour la vie !
Publié en avril 2010 à la Documentation Française, le Design des politiques publiques définit le design comme une “démarche de conception créative centrée sur l’utilisateur”. La première phrase du livre annonce l'ampleur du sujet : "Il y a urgence et nécessité de transformer l’action publique". Alors que les administrations et les organisations de proximité semblent toujours être dirigées par leurs instances supérieures, l’individu n’a plus qu’une "valeur de consultation, et jamais de construction". C’est contre cet éternel problème de communication entre le monde des décisions politiques et administratives, et celui de leur application concrète, que les citoyens cherchent de nouvelles solutions. Avec les outils de l’interactif et du participatif, les designers s’efforcent de rendre lisibles les fonctionnements complexes d’une collectivité. Comprendre la globalité d’un système et faire en sorte qu’il fonctionne mieux pour prendre en main son avenir, tels sont les objectifs des acteurs de "l’innovation sociale".43
A
LE M E S SAGE CO NTE STATAI RE 87
Le designer israélien David Tartakover fabrique des affiches depuis plus de trente ans dans lesquelles il se déchaîne contre la politique d'occupation israélienne : "Mes affiches ne peuvent changer ni les choses ni les mentalités. L'impact de mon travail est très limité. Mais, pour moi, c'est une nécessité, une thérapie. C'est ce qui m'empêche de devenir totalement fou." 44 L'artiste allemand John Heartfield illustre à partir de 1930, les couvertures du journal ouvrier Arbeiter Illustrierte Zeitung (A.I.Z.), dans lesquelles il dénonce la montée du nazisme.
DAVI D TARTAKOV E R I ' M H E R E . J É RUSALE M J OH N HEART F I E L D LE SE N S DU SAL U T H I T LÉ R I E N ( 1 93 2 )
G RAP US APART H E I D / RAC I S M E , LE CAN C E R DU M O N DE ( 19 86 )
Le Monde : L'Israélien David Tartakover, designer de proximité par Claire Guillot, 2005 [en ligne] < http://www.lemonde.fr/culture/ article/2005/07/29/exposition-l-israelien-david-tartakover-designer-de-proximite_676350_3246. html > (page consultée le 11/01/2015). 44
43 Perrine BOISSIER : Design & Politiques Publiques, 2010 [en ligne] <http://www.nonfiction.fr/ article-4031-design__politiques_ publiques.htm> (page consultée le 11/01/2015).
88
TO M E 1 > PART I E 0 3
AP P E L AU RAS SE M B LE M E N T
"NOUS SOUHAITONS LA FIN D’UNE PROFESSION DE DESIGN AYANT POUR SEUL BUT LA PROPAGATION D’UN STYLE DÉNUÉ DE CONTENU, D’UNE FORME DÉNUÉE DE FONCTION ET D’UN COMMERCE DÉNUÉ 44 DE CULTURE." Pierre RHABI : Propos recueillis par Maja Neskovic, Aux sources , Arrêt sur images,17 août 2012, [en ligne] <http:// www.arretsurimages.net/ contenu.php?id=5120> (page consultée le 11/05/2015).
45
A
LE M E S SAGE CO NTE STATAI RE 89
BAR BARA K RU G E R DON'T BE A JERK
L'artiste américaine Barbara Kruger s'adresse directement au spectateur dans son travail. Elle provoque des questions qui concernent le pouvoir et ses effets sur la condition humaine. Dans Don't be a jerk en 1984, elle appelle le spectateur à se réveiller; à réfléchir à la manière dont le pouvoir est construit, utilisé et abusé.
90
03B
TO M E 1 > PART I E 0 3
AP P E L AU RAS SE M B LE M E N T
B
L ' E SPACE PU B L IC CO M M E L I E U D ' E XP RE S S IO N 91
L'espace public permet la proximité entre les êtres. Il induit le partage d'un même territoire dans lequel l'échange entre des individus de différentes cultures, origines, est possible. C’est un lieu d’enrichissement, indispensable à l’évolution de nos civilisations, qui provoque des rencontres, ainsi que de l’entraide. L'artiste Arno Piroud, explique ainsi son choix de l’espace public comme zone d’activisme : La ville est source d’images, de formes, de mouvements et, par extension, d’idées. Alors tous les jours, tel un colporteur d’espace, j’arpente les trottoirs, la rue, le pavé. À pied, à vélo, en bus, en skate ou en auto, je déplace mon corps et mon regard d’un bout à l’autre de la cité. Cette ville dans tous ses états représente pour moi le lieu idéal d’inspiration et de création. La ville est devenue mon propre atelier.46
L'artiste se saisit donc de la ville pour y insérer des créations qui sollicitent l'attention des passants. Cet échange direct avec le public permet d'envoyer un message authentique, sans devoir passer par des médiateurs culturels ou des instances institutionnelles. L’intrusion de plus en plus courante de l’artiste dans le tissu du monde réel [...] vise des préoccupations critiques, le plus souvent d’ordre politique : corriger l’esthétique publique, faire valoir une présence polémique, bref, accompagner les mutations urbaines. Nul étonnement, au vu de l’ambiguïté entre art public institutionnalisé et basse politique consensualiste, à ce que maints artistes refusent la main tendue par l’institution. L’urgence, pour ceux-là, ce sera de se jeter de nouveau dans le territoire vrai du réel, non dans sa mise en scène complaisante aux fins intéressées. Revenir à la rue nue, à l’espace public brut2.
En 2007, JR affiche d’immenses portraits d’Israéliens et de Palestiniens face à face dans huit villes palestiniennes et israéliennes et de part et d’autre de la barrière de sécurité. Pour l'artiste, cette action artistique est avant tout un projet humain : "Les héros du projet sont tous ceux qui, des deux côtés du mur, m'ont autorisé à coller sur leur maison".
L'ESPACE PUBLIC COMME LIEU D'EXPRESSION
Francis Alÿs a menée une action les 4 et 5 juin 2004 à Jérusalem intitulée Something doing something poetic can become political and sometimes doing something political can become poetic : The Green line. Il marche du Sud au Nord de la ville en suivant la frontière qui avait été de facto reconnue après l’armistice de 1949 entre Israël et les Etats Arabes, la ligne verte : frontière aujourd’hui gommée, abolie par la colonisation, absente des cartes officielles israéliennes.
Paul ARDENNE : L’art dans l’espace public : un activisme, 2011 [en ligne] < http://www. echelleinconnue.net/revuedepresse/2011/2011_edredon.pdf > (page consultée le 11/04/2015).
46
92
TO M E 1 > PART I E 0 3
AP P E L AU RAS SE M B LE M E N T
B
L ' E S PACE PU B L IC CO M M E L I E U D ' E X P RE S S IO N 93
JR FAC E 2 FAC E (2 0 0 7 ) F RAN C I S AL Ÿ S S O M E T H I NG D OI NG S O M E T H I NG PO E T IC CAN B ECO M E PO L I T ICAL AN D S O M E T I M E S D OI NG S O M E T H I NG PO L I T ICAL CAN B ECO M E PO E T IC : THE GREEN LINE (2 0 0 4 )
Luchezar Boyadjiev considère la ville comme le reflet des aspects importants de la vie de ses habitants, des aspects économiques en passant par la hiérarchie sociale jusqu'au programme politique et aux structures cachées des pouvoirs locaux. L'idée n'est pas tant d'enquêter et/ou d'interférer avec les interprétations de l'imagination publique, mais plutôt d'établir les points de la ville où les intérêts locaux et mondiaux se heurtent et entrent en conflit.
L UC H E ZAR B OYAD J I EV B I L L B OAR D H EAV E N . T H E I N STAL LAT IO N ( B E R L I N - L I L LE ) ( 2 0 0 6 - 2 0 0 9)
94
TO M E 1 > PART I E 0 3
AP P E L AU RAS SE M B LE M E N T
B
L ' E S PACE PU B L IC CO M M E L I E U D ' E X P RE S S IO N 95
Jenny Holzer est une artiste conceptuelle américaine qui diffuse des messages dans la rue, sous forme d'enseignes lumineuses ou de graffitis, touchant ainsi un grand nombre de spectateurs. Ses messages, souvent provocateurs, parlent de guerre, de mort, de sexe. Ici c'est la phrase "I want peace with all my body and all my soul" qui est projetée. J E N N Y HO L Z E R I WAN T P EAC E WI T H AL L M Y B OD Y AN D AL L M Y S OUL
L I SA HAR LEV WHE R E P E O P LE D O N ' T K N OW YOU (2006)
Lisa Harlev réalise en 2006 une série de trois posters où figurent les phrases suivantes: "Did you travel here to get to know the customs or to do something uncustomary?"; "Did you travel here to get to know the culture or to get the break of your own culture?"; "Did you travel here to get to know the people or to be where people don't know you?". Ces questions se suffisent à elles-mêmes puisqu'elles renvoient directement aux spectateurs. Chaque question attend une réponse en fonction de la sphère intime et de l'expérience de chacun.
96
TO M E 1 > PART I E 0 3
AP P E L AU RAS SE M B LE M E N T
B
L ' E S PACE PU B L IC CO M M E L I E U D ' E X P RE S S IO N 97
"SERBES ET CROATES SONT DES FRÈRES!" C'est en janvier 2013 que ce graffiti apparait dans les rues de Belgrade, en Serbie. Un message fort qui contraste avec le contexte actuel. Plusieurs journaux se sont emparés de l'information, en y consacrant des articles entiers. Le graffiti à fait le tour du pays, provocant des réactions positifs comme négatifs. Il a réussi à ouvrir le débat en interrogeant la collectivité. Quelque jours plus tard, il fut effacé, au profit d'un autre graffiti : "Mort aux oustachis !".47 Il est intéressant de constater qu'à Belgrade comme dans les autre villes serbes; les graffiti haineux à l'encontre des Croates sont très courants et ne provoquent aucune réaction, tandis que celui-ci a réussi à interpeller. Je pense également que les artistes ou les designers serbes n'osent pas communiquer un tél message de peur de se mettre la population à dos. Ce qui rend possible un tél message c'est son anonymat. Il est difficile pour un serbe qui partage une telle conviction de la communiquer librement à son entourage. L'inscrire dans l'espace public, c'est parler autrement.
G RA F F I T I " SE R B E S E T C ROATE S S O N T DE S F R È R E S !" À B E L G RADE ( SE R B I E ) .
Blic : Precrtan cirilicni grafit "Srbi i Hrvati braca" u centru Beograda, 2013 [en ligne] <http://www.blic.rs/Vesti/ Beograd/364335/Precrtan-cirilicni-grafit-Srbi-i-Hrvati-braca-u-centru-Beograda> (page consultée le 13/01/2015).
47
Cependant, nous pouvons retrouver des allusions aux Croates, par l'utilisation de l'alphabet cyrillique et latin. C'est le cas ici, avec le club étudiant «Fabrika» à Novi Sad. «SKCNS» (pour Studentski Kulturni Centar Novi Sad) qui est écrit en alphabet latin, tandis que le nom de la salle est en cyrillique. Ce mélange peut sembler anodin, mais il est en réalité peu utilisé. Les inscriptions en Serbie sont généralement soit en cyrillique, soit en latin, jamais les deux à la fois.
C L U B É T U DI AN T " FAB R I KA " À N OVI SAD ( SE R B I E ) .
98
03C TO M E 1 > PART I E 0 3
AP P E L AU RAS SE M B LE M E N T
C
LE S PECTATE U R AU CE NTRE DU P ROCE S SUS DE C RÉATIO N 99
L'artiste suisse Thomas Hirschhorn réalise Flamme éternelle au Palais de Tokyo en 2014. Une œuvre accessible et gratuite dans laquelle la présence du spectateur est nécessaire pour créer un espace public, rendant possible la production. Flamme éternelle veut produire des rencontres, des évènements, de l’amitié. L'accès est gratuit car ceux qui sont présents donnent par leur présence une "forme". La non-programmation est également nécessaire car c'est dans l'imprévu que se crée un dialogue, une confrontation. Marion Viollet explique cette envie de l'artiste de placer le spectateur au centre du processus de création : 48 Qu’elle choisisse de s’ouvrir à la réflexion par la porte de l’humour ou de toute autre approche, la sollicitation du spectateur découle de la volonté de le libérer de sa passivité, d’affranchir l’art de la sacralisation des œuvres, mais également de créer une interférence, une « pulsion d’échange » entre les individus : « l’envie de proférer des mots, de prendre plaisir à entendre qui comprend ou non, d’éprouver auprès des autres comment on est mis en question.» précise Christian Ruby. De nombreuses expériences participatives regroupent ainsi les spectateurs en une action commune. L’art n’aurait pu inciter le spectateur à prendre part à la création, ou même à manipuler des dispositifs, sans développer certains stratagèmes d’approche. La manière la plus directe d’attirer leur attention était – et demeure – de les divertir, et de faire apparaître leur participation comme possibilité d’entrer en contact avec l’œuvre.
T HO M AS H I R S C H HO R N F LA M M E É TE R N E L LE (2014)
LE SPECTATEUR AU CENTRE DU PROCESSUS DE CRÉATION
Marion Viollet : Les comportements du spectateur comme enjeux de l’art contemporain, 2011 Art and art history. Université Toulouse le Mirail - Toulouse II [en ligne] < https://tel.archives-ouvertes.fr/ file/index/docid/656759/filename/ Viollet_Marion.pdf > (page consultée le 13/05/2015).
48
100 TO M E 1 > PART I E 0 3
AP P E L AU RAS SE M B LE M E N T
C
LE S PECTATE U R AU CE NTRE DU P ROCE S SUS DE C RÉATIO N 101
SAS HA K U R M A Z T H E WAL L , M OS COU ( 2 0 12 )
LO R NA S I M P S O N EAS Y TO R E M E M B E R (2001)
En 2001, Lorna Simpson présente Easy to Remember, une installation vidéo montrant un plan rapproché de 15 bouches appartenant à 15 personnes de nationalités différentes. Ces bouches fredonnent un même son, créant une mélodie; une façon poétique de rassemblent la population peu importe sa culture, son origine.
"ÊTRE DANS LA ZONE ROUGE, C'EST EXPRIMER PUBLIQUEMENT SON MÉCONTENTEMENT CONTRE LA SITUATION EXISTANTE".49 49
Sasha Kurmaz
102 TO M E 1 > PART I E 0 3
AP P E L AU RAS SE M B LE M E N T
Anja Lutz réalise en 2007, This should be made public dans quatre villes différentes: Luxembourg, Le Caire, Milan et Bangkok : L'idée du projet était de réfléchir sur quelles idées, quelles discussions doivent être rendues publiques, doivent être publiées. Un espace de travail a été crée dans chacun des lieux accueillant le projet, offrant tous les éléments nécessaires à l'écriture, le dessin... Les visiteurs étaient alors invités à exprimer leurs idées en utilisant le cadre blanc mis à leur disposition. À la fin du projet, toutes les propositions sont affichées les unes à côté des autres. Au Caire, les feuilles blanches ont été posées dans les rues, invitant les passants à s'exprimer. Malgré, une liberté d'expression restreinte en Égypte, les espaces blancs ont été remplis rapidement par des commentaires très intéressants. À Bangkok, l'espace de travail s'est installé dans un centre commercial, lieux les plus fréquentés en Thaïlande afin d'atteindre un maximum de public.50
AN JA L U T Z T H I S S HOUL D B E M ADE P U B L IC (2 00 7 )
50 Anja Lutz : This should be made public, 2007 [en ligne] <http:// etat.augmenter-partager.ensad.fr/ index.php/fr/home/shift!> (page consultée le 13/01/2015).
C
LE S PECTATE U R AU CE NTRE DU P ROCE S SUS DE C RÉATIO N 103
À la veille du 4 octobre 2000, Igor Grubic est à Belgrade. Des haut-parleurs annoncent qu'en Serbie les mineurs de Kolubara sont en grève pour protester contre Milosevic. Quelques milliers de manifestants apportent leur soutien aux mineurs qui produisent 50% de l'énergie du pays. Cette forte mobilisation des travailleurs conduit à la chute du régime et marque aussi la fin du socialisme dans l'ex-Yougoslavie. Inspiré par cet événement, Igor Grubic crée avec les mineurs de Kolubra Angels with dirty faces, présenté en 2006 au Musée d’art contemporain de Belgrade. L'artiste nous dit que ses « anges bien humains ont certes la gueule et les mains noires, une existence difficile, mais la conscience propre ».
IG O R G RU B IC ANG E LS WI T H DI RT Y FAC E S (2007)
104 TO M E 1 > CO N C L US IO N
CONCLUSION Aborder la relation serbo-croate reste complexe. Le lien qui unissait les deux peuples à été rompu. J'ai tendance à croire, que comme au sein d'une famille; renouveler le contact est toujours possible. Il me semble que le plus difficile, c'est de passer outre les préjugés et de faire le premier pas. Le rôle du designer serait de donner les outils nécessaires à la population, pour faire ce premier pas, afin de se rencontrer et de communiquer. Comme nous l'avons vu précédemment; le pouvoir du langage et de l'alphabet est considérable. Ils constitueront la base du projet. Enfin, c'est en devenant acteur, et non simple spectateur, que les individus pourront s'exprimer, débattre.
105
106 TO M E 1 > B I B L IOH RAP H I E
BIBLIOGRAPHIE
107
NÆSS, A. (2009). Écologie, communauté et style de vie, Éditons MF. NIETZSCHE, F. (2000). Généalogie de la morale, III, 1887,trad. Patrick Wotling. Paris : Livre de Poche, Classiques de la philosophie. PARRENO, P. (1995). Virtualité réelle, Art Press. Paris : numéro 208, p. 42.
BOISSIER, P. (2010). Design & Politiques Publiques. [en ligne] <http://www. nonfiction.fr/ article-4031-design__politiques_ publiques.htm>. BOURRIAUD, N. (2001). Esthétique relationnelle. Dijon: Presses Du Réel. CLASTRES, P. (2011). La société contre l’Etat: Recherches d’anthropologie politique. Paris: Les Éditions de Minuit. CORROYER, G. (2013). Consensus / Dissensus, in CASILLO I (dir.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la participation, Paris, GIS Démocratie et Participation. [en ligne] <http:// www.participation-et-democratie. fr/es/dico/consensusdissensus>. DURANDIN, G. (1993). L’information, la désinformation et la réalité. [en ligne] <http://deepsound. net/ha/psyops.html>. DUFOUR, C. (2006). Entendre les mots qui disent les maux. Paris: Éditions du Dauphin. FREUD, S. (1925). Psychanalyse et médecine ou la Question de l’analyse profane. [en ligne] <http://classiques.uqac.ca/classiques/freud_sigmund/ psychanalyse_et_medecine/psychanalyse_et_ medecine.pdf>. GOODY, J. (1997). La Raison graphique. La Domestication de la pensée sauvage. Paris: Minuit. Kinross, R. (1985). The Rhetoric of Neutrality. Design Issues, 2(2), 18-30. GRCIC, D. (2009). Le procès du massacre de Lovas en cours à Belgrade. [en ligne]. <http://serbie-droitshumains. blogspot.fr/2009/02/leproces- du-massacre-de-lovas-en-cours. html>. KANT, E. (1784). Qu’est-ce que les lumières ? KORDIC, S. (2004). Le serbo- croate aujourd'hui : entre aspirations politiques et faits linguistiques. [en ligne] <http://www.persee.fr/web/ revues/ home/prescript/article/ slave_0080-2557_2004_ num_75_1_6860>. LOOS, A. (2003). Ornement et Crime, 1870-1933, Trad. Sabine Cornille. Paris : Payot et Rivages, Petite bibliothèque, n°412. MAFFESOLI, M. (2000). Le temps des tribus : le déclin de l’individualisme dans les sociétés postmodernes, Table ronde, collection Petite Vermillon. MARNIKA, R. (2011). ZADAR 1991 ... THE BOOK PRESENTATION. [en ligne] <https://www.youtube.com/ watch?v=0OiV3Rj336E>.
PASCAL, B. (1658). De l’Esprit géométrique et de l’art de persuader. [en ligne] <http://fr.wiki- source.org/wiki De_l%E2%80%99esprit_g%C3%A9om%C3%A9trique_et_ de_l%E2%80%99art_ de_persuader>. PLATON. (2012 [2001]). Gorgias. Paris: Hatier. POITOU, J. (2013). Ecriture du serbo-croate : alphabets cyrillique et latin. [en ligne] <http://j.poitou.free.fr/pro/html/scr/serbo- croate.html>. ROBERT, S. (2009). Rôle de la langue maternelle dans la construction de l’identité. In Rôle des langues dans l’intégration et la construction de l’identité des immigrés italiens et de leur descendants. [en ligne] <http://www.memoireonline. com/10/09/2784/Rle-des-langues- dans-laconstruction-de-lidentite-des-immigres-italiens-et-de- leurs- descendan. html>. SCHWARTAU, W.(1994). Chaos on the Electronic Superhighway : Information Warfare. New York: Thunder’s Mouth Press. SEMELIN, J. (2006). Pourquoi les Yougoslaves se sont entretués. [en ligne] <http://www.histoire.presse. fr/dossiers/la-guerre-civile/ pourquoi-lesyougoslaves-se- sont-entretues-01-07-2006-9338>. THOMAS, P-L. (1998). La dislocation linguistique comme instrument de pouvoir: l’exemple de l’ex-Yougoslavie. In CHAKER, S. (ed.)(1998), Langues et pouvoir de l’Afrique du Nord à l’Ex- trême-Orient, Aix-enProvence : Edisud, 109-121. VAILLANT, A.(1951). La formation de la langue littéraire serbo-croate. [en ligne] <http://www. persee.fr/web/revues/home/prescript/ article/ slave_0080-2557_1951_num_28_1_1561>. VAILLANT, A. (2005). L’écriture cyrillique et son extension. In : Cohen, M. & Peignot, J. (eds.)(2005), Histoire et art de l’écriture, Paris : Laffont, 744-755. VAN YPERSELE, L. & WATTHEE,M. (2008). Le Pouvoir de la parole. In Deproost, P-A., Watthee, M. & Van Ypersele, L. (eds.)(2008), Mémoire et identité: Parcours dans l’imaginaire occidental, Louvain- la-Neuve: Presses Universitaires de Louvain, 115-149. VIOLLET, M. (2011). Les comportements du spectateur comme enjeux de l’art contemporain, Art and art history. Université Toulouse le Mirail - Toulouse II. [en ligne] <https://tel.archives-ouvertes.fr/ file/index/ docid/656759/filename/ Viollet_Marion.pdf>.
108
109
110
1
2
3
M É M OI R E DI R IG É PAR T I P HAI N E KA Z I - TAN I / VI N C E N T G I AV E L L I 2014—2015
R E M E RC I E M E N TS T I P HAI N E KA Z I - TAN I VI N C E N T G I AV E L L I P I E R R E GA Ë L STE UN OU D O M I N I Q U E B ECCARI A
4
5
TO M E 2 > S O M M AI R E
SOMMAIRE PA RT I E 0 1
TO M E 2
PA RT I E 0 2
PA RT I E 0 3
C R ÉAT IO N D ’ UN E T Y PO G RAP H I E CO M P R E NAN T LE LAT I N E T LE CY R I L L I Q U E
UN UN IV E R S FA M I L I E R
Q UAN D LA PO P ULAT IO N S’EXP RIME
A
A
A
I N T RODUC T IO N PAG E 6
DÉCO M POS I T IO N R ECO M POS I T IO N DE LA LE T T R E PAGE
C R ÉAT IO N DE DE U X V E R S IO N S DI ST I N C TE S PAGE
PAG E 1 56
PAG E 1 58
2 0 / 43
C
LA F O R M E DU M E S SAG E PAGE
44 / 55
LA LE T T R E CO M M E SU P PO RT PAGE
B
J OU E R POU R PAR LE R PAGE
90 / 99
D O N N E M OI DE Q U OI ÉC RI R E PAGE
120 / 125
56 / 6 5
B
M A VI L LE , M E S PAN N EAU X PAGE
C
Q UAN D LA M US I Q U E T RAV E R SE LE S F RO N T I È R E S PAGE
D
B I B L IO G RAP H I E
68 / 8 9
10 / 19
B
I N TE N T IO N S DE F I NAL I SAT IO N
CUL T U R E PO P ULAI R E PAGE
1 00 / 1 05
D
PARTAG E CUL I NAI R E PAGE
1 06 / 1 1 7
126 / 1 45
C
C E S RUI N E S PAGE
1 46 / 1 55
6
TO M E 2 > I N T RODUC T IO N
INTRODUCTION Comment par l’utilisation de l’alphabet cyrillique et de l’alphabet latin, peut-on mener le peuple serbe et le peuple croate vers la réconciliation ? Comment inciter les deux peuples, à devenir acteurs d'une expérience collective ? Pour établir une communication efficace avec les Serbes et les Croates; le graphisme doit pouvoir communiquer, dans un univers qui leur est familier. L'utilisation de l'alphabet latin (associé aux Croates), et de l'alphabet cyrillique (associé aux Serbes); permettra à la population de comprendre rapidement les enjeux du projet. Il m'a également semblé intéressant, de développer un univers visuel autour de la culture populaire des deux pays. Il s'agit donc de rassembler la population, autour d'un langage de signes qu'ils comprennent. Leur donner un rôle en mettant en place un dispositif qui permettrait de les inclure dans le processus de création. C'est par la participation à un même projet, que la communication sera possible.
7
8
TO M E 2 > PART I E 0 1
9
CRÉATIO N D ’UNE TYPO GRAPHIE CO MP RE NAN T LE LATI N E T LE CYRILLIQ U E
PA RT I E 0 1
C R ÉAT IO N D ’ UN E T Y PO G RAP H I E CO M P R E NAN T LE LAT I N E T LE CY R I L L I Q U E
A
DÉCO M POS I T IO N R ECO M POS I T IO N DE LA LE T T R E PAGE
10 / 19
B
C R ÉAT IO N DE DE U X V E R S IO N S DI ST I N C TE S PAGE
20 / 43
C
LA F O R M E DU M E S SAG E PAGE
44 / 55
D
LE LE T T R E CO M M E SU P PO RT PAGE
5 6 / 65
10
01A TO M E 2 > PART I E 0 1
C RÉATIO N D ’UNE TYPO GRAPHIE CO MP RE NANT LE LATI N E T LE CYRILLIQ U E
DÉCOMPOSITION -RECOMPOSITION DE LA LETTRE
DÉCO M POS I TIO N - RECO M POS I TIO N DE LA LE TTRE 11
A
ET SI ON UTILISAIT L’ALPHABET POUR CRÉER UNE NOUVELLE FAÇON DE S’EXPRIMER?... POUR CRIER SON MÉCONTENTEMENT, COMME SON APPROBATION. Créer une typographie qui serait un mélange entre le cyrillique et le latin. De cette façon, la distinction entre les Serbes et les Croates n’existe plus. La première phase de recherche consiste a s’emparer des lettres de l’alphabet cyrillique et de l’alphabet latin pour les étudier, les comparer, les décomposer afin de trouver la meilleur approche de fusion.
ALPHABET CYRILLIQUE - 30 LETTRES
ALPHABET LATIN - 30 LETTRES
12
TO M E 2 > PART I E 0 1
CRÉATIO N D ’UNE TYPO GRAPHIE CO MP RE NANT LE LATI N E T LE CYRILLIQ U E
En utilisant la technique de découpe et de collage, on obtient une première série de lettres contenant les deux alphabets.
DÉCO M POS I TIO N - RECO M POS I TIO N DE LA LE TTRE 13
A
La liberté de cette technique permet d’obtenir des formes très différentes; plus ou moins lisibles.
Fusion des lettres :
Ђ+Đ
Fusion des lettres :
Ф+F
14
TO M E 2 > PART I E 0 1
CRÉATIO N D ’UNE TYPO GRAPHIE CO MP RE NANT LE LATI N E T LE CYRILLIQ U E
DÉCO M POS I TIO N - RECO M POS I TIO N DE LA LE TTRE 15
A
DÉCO M POS I T IO N DE L ’ AL P HAB E T LAT I N
DÉCO M POS I T IO N DE L ’ AL P HAB E T CY R I L L I Q U E
30 lettres / Typographie : Din Alternate 43 éléments formant un total de 96 éléments
30 lettres / Typographie : Din Alternate 46 éléments formant un total de 94 éléments
16
TO M E 2 > PART I E 0 1
CRÉATIO N D ’UNE TYPO GRAPHIE CO MP RE NANT LE LATI N E T LE CYRILLIQ U E
Décomposer chaque lettre nous permet d’avoir une vision de l’ensemble des éléments qui composent les deux alphabets. On note ainsi la ressemblance ou la différence des éléments. En les imprimant sur des calques séparés, l’objectif est de reformer des lettres en les manipulant à la main.
A
DÉCO M POS I TIO N - RECO M POS I TIO N DE LA LE TTRE 17
18
TO M E 2 > PART I E 0 1
CRÉATIO N D ’UNE TYPO GRAPHIE CO MP RE NANT LE LATI N E T LE CYRILLIQ U E
Utilisation d’un système industriel tél que la photocopie. La superposition des calques permet la création d’effets de matière.
A
DÉCO M POS I TIO N - RECO M POS I TIO N DE LA LE TTRE 19
20
01B TO M E 2 > PART I E 0 1
CRÉATIO N D ’UNE TYPO GRAPHIE CO MP RE NANT LE LATI N E T LE CYRILLIQ U E
CRÉATION DE DEUX VERSIONS DISTINCTES
21
22
23
24
25
26
27
28
29
30
31
32
33
34
35
36
37
38
39
40
41
42
43
44
01C TO M E 2 > PART I E 0 1
CRÉATIO N D ’UNE TYPO GRAPHIE CO MP RE NANT LE LATI N E T LE CYRILLIQ U E
LA FO RM E DU M E S SAGE 45
C
LES MESSAGES TRANSMIS VISUELLEMENT PEUVENT AVOIR DIFFÉRENTES PORTÉES. EN FONCTION DE CELLES-CI, LA FORME DU MESSAGE PEUT VARIER. En superposant l’alphabet cyrillique et l’alphabet latin, les deux alphabets se fusionnent et communiquent d’une même voix. L’identité de l’émetteur reste inconnue.
L AT I N
CYRILLIQUE
SU P E R POS I T IO N
+
L AT I N
=
SU P E R POS I T IO N
CYRILLIQUE
+
=
Dans cet exemple, les couleurs utilisées correspondent aux couleurs de la Croatie (rouge) et de la Serbie (bleu). L’opacité réduite permet également de reconnaître facilement chaque lettre.
LA FORME DU MESSAGE
46
TO M E 2 > PART I E 0 1
CRÉATIO N D ’UNE TYPO GRAPHIE CO MP RE NANT LE LATI N E T LE CYRILLIQ U E
Dans cette proposition, un alphabet domine l’autre, et indique par conséquent l’origine de l’émetteur.
L AT I N
SU P E R POS I T IO N
CY RILLIQU E
+
=
CY RILLIQU E
+
LA FO RM E DU M E S SAGE 47
La technique du gaufrage et du ton sur ton, permet de communiquer de manière plus sensible tout en mixant les deux alphabets. Cette technique appelle le spectateur à découvrir le message dissimulé. Dans le premier exemple, l’alphabet latin est imprimé en noir, tandis que l’alphabet cyrillique apparaît en gaufrage. Cette technique nous renvoie a une dissimulation du cyrillique dominé par le latin, mais présent malgré tout. Le décalage des lettres entre elles, et la fusion imparfaite créent une fragilité du message. Le second exemple suggère la pudeur, la prudence. C’est communiquer un double message: dire quelque chose sans le dire clairement.
Ici c’est le «P» latin qui domine par sa couleur.
L AT I N
C
SU P E R POS I T IO N
=
Tandis qu’ici, c’est le «H» cyrillique qui domine.
48
TO M E 2 > PART I E 0 1
CRÉATIO N D ’UNE TYPO GRAPHIE CO MP RE NANT LE LATI N E T LE CYRILLIQ U E
C
LA FO RM E DU M E S SAGE 49
Les lettres cassées, viennent habiller l’image. Elles affichent leur présence sans communiquer un message clair.
50
TO M E 2 > PART I E 0 1
CRÉATIO N D ’UNE TYPO GRAPHIE CO MP RE NANT LE LATI N E T LE CYRILLIQ U E
C
LA FO RM E DU M E S SAGE 51
La disposition du texte va créer un dessin donnant une seconde information. Ici le texte participe à la création d’une silhouette féminine.
52
TO M E 2 > PART I E 0 1
CRÉATIO N D ’UNE TYPO GRAPHIE CO MP RE NANT LE LATI N E T LE CYRILLIQ U E
En déformant les lettres, en faisant sortir du cadre les mots, le message deviens confus, illisible, mais à la fois intriguant.
C
LA FO RM E DU M E S SAGE 53
Chaque mot possède un support, un grain, une couleur, une forme différente participant ainsi à la transmission de messages variés.
54
TO M E 2 > PART I E 0 1
CRÉATIO N D ’UNE TYPO GRAPHIE CO MP RE NANT LE LATI N E T LE CYRILLIQ U E
Accumulation de différentes formes de texte: manuscrite, en volume, distendue, superposés... On pourrait imaginer un support qui vient être complété par différentes personnes dans un temps donné.
C
LA FO RM E DU M E S SAGE 55
56
01D TO M E 2 > PART I E 0 1
CRÉATIO N D ’UNE TYPO GRAPHIE CO MP RE NANT LE LATI N E T LE CYRILLIQ U E
LA LETTRE COMME SUPPORT
D
LA LE TTRE CO M M E SU PPO RT 57
LES LETTRES NE DISPOSENT PLUS D’UN SUPPORT, ELLES DEVIENNENT LE SUPPORT. ELLE PRENNENT DE L’AMPLEUR ET DONNENT AUX MOTS UNE FORCE SUPPLÉMENTAIRE. La lettre «X» (cyrillique) et son équivalant «H» (latin), sont représentées dans une même structure filaire. Sa construction place les deux lettres dos à dos, permettant de lire la lettre sois en cyrillique, sois en latin, selon le point de vue que l’on adopte.
58
TO M E 2 > PART I E 0 1
CRÉATIO N D ’UNE TYPO GRAPHIE CO MP RE NANT LE LATI N E T LE CYRILLIQ U E
REPRÉSENTATION 3D DES LETTRES DE LA PREMIÈRE VERSION TYPOGRAPHIQUE CRÉE PRÉCÉDEMMENT.
D
LA LE TTRE CO M M E SUPPO RT 59
60
TO M E 2 > PART I E 0 1
C RÉATIO N D ’UNE TYPO GRAPHIE CO MP RE NANT LE LATI N E T LE CYRILLIQ U E
D
LA LE TTRE CO M M E SU PPO RT 61
62
TO M E 2 > PART I E 0 1
C RÉATIO N D ’UNE TYPO GRAPHIE CO MP RE NANT LE LATI N E T LE CYRILLIQ U E
D
LA LE TTRE CO M M E SUPPO RT 63
64
TO M E 2 > PART I E 0 1
CRÉATIO N D ’UNE TYPO GRAPHIE CO MP RE NANT LE LATI N E T LE CYRILLIQ U E
H
Représentation en volume de la lettre crée précédemment. Elle se compose de deux parties distinctes correspondant à la construction de la lettre. Il est possible de jouer avec les deux éléments composant la lettre, en créant de nouvelles formes. On pourrait imaginer ces lettres en volume investir l’espace public, se transformant en mobilier.
LA LE TTRE CO M M E SUPPO RT 65
D
Représentation en volume de la lettre
U
crée précédemment.
66
TO M E 2 > PART I E 0 2
67
UN UN IVE RS FAMILIE R
PA RT I E 0 2
UN UN IV E R S FA M I L I E R
A
CUL T U R E PO P ULAI R E PAGE
68 / 8 9
B
J OU E R POU R PAR LE R PAGE
90 / 99
C
Q UAN D LA M US I Q U E T RAV E R SE LE S F RO N T I È R E S PAGE
100 / 105
D
PARTAG E CUL I NAI R E PAGE
106 / 117
02A
68
TO M E 2 > PART I E 0 2
UN UN IVE RS FAMILIE R
CULTURE POPULAIRE
CUL TU RE PO PULAI RE 69
A
Lorsque des signes deviennent connus et reconnus par un groupe d’individus, ils permettent de créer un langage visuel entre ces personnes. Comme nous avons pu le voir précédemment, l’alphabet fait partie de ces signes qui participent à la création d’une relation entre les êtres.
JE ME SUIS ALORS INTÉRESSÉE AUX AUTRES SIGNES SUSCEPTIBLES DE RALLIER LA POPULATION ENTRE ELLE. LES DRAPEAUX, LES ICÔNES, LA MUSIQUE, LE CINÉMA, L’ART, LES JEUX, LA CUISINE... TOUTES CES IMAGES GÉNÈRENT DU LIEN ET PARTICIPENT À LA CRÉATION D’UNE CULTURE POPULAIRE APPRÉCIÉ PAR LA GRANDE MAJORITÉ.
70
TO M E 2 > PART I E 0 2
UN UN IVE RS FAMILIE R
CULTURE SERBE
CUL TU RE PO PULAI RE 71
A
LE S TAP I S DE P I ROT
Œ U F S DE P  Q U E S
Les tapis de Pirot sont le symbole non seulement de la ville de Pirot, mais également du patrimoine de la culture serbe dans son ensemble. Leur fabrication est l’un des plus anciens métiers de cette région.
La colorisation des œufs de Pâques se fait en famille, chacun choisi ses propres motifs pour ensuite échanger les œufs avec son entourage.
La danse folklorique serbe s’appelle le « kolo ». C’est une danse en cercle ouvert ou fermé. Les danseurs se tiennent par la main et ils forment un cercle ou une spirale. Les types de danses et leurs combinaisons sont nombreux parce que les danseurs expriment leur état d’esprit et des sentiments. C’est le moment où le collectif et l’individuel s’enrichissent et se complètent.
B I L LE TS DE LA R É P U B L I Q U E SE R B E DE K RAJ I NA Billets de la République Serbe de Krajina qui a été une entité autoproclamée en Croatie (1991 à 1995). Utilisation du blason de la République Serbe de Krajina. Utilisation de l’alphabet cyrillique au recto, et de l’alphabet latin au verso. DAN SE F O L K LO RI Q U E ( KO LO ) TE N U E T RADI T IO N N E L LE
Q U OT I DI E N SE R B E " PO L I T I KA "
«Politika» (politique) est un quotidien serbe publié à Belgrade. Il est considéré comme le journal de référence de la presse serbe. L'édition papier de «Politika» est publiée en alphabet cyrillique serbe.
72
TO M E 2 > PART I E 0 2
UN UN IVE RS FAMILIE R
CUL TU RE PO PULAI RE 73
A
C RAVATE
CULTURE CROATE
DE N TE L LE
La dentelle, ouvrage ajouré créé par entrelacement de diverses fibres, était originellement destinée à orner les vêtements, avant de devenir un élément décoratif en soi. La Croatie possède les traditions de la dentelle à l’aiguille (île de Pag), de la dentelle au fuseau (Lepoglava dans le Hrvatsko Zagorje) et en fil d’agave (île de Hvar), qui ont été inscrites par l’UNESCO sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité.
TE N U E T RADI T IO N N E L LE
La cravate fait partie depuis des siècles du costume traditionnel croate. Plus tard, elle a été reprise par les soldats croates se battant à travers l’Europe et les Français ont adopté une partie de leur tenue au 17e siècle. Un régiment de cavalerie appelé « Royal-Cravate » et sous commandement du roi de France Louis XIV, portait un foulard noué autour du cou, de couleur rouge le plus souvent. De cette époque date la coutume de porter le « foulard croate », coutume répandue ensuite dans toute l’Europe et dans le monde et qui est, aujourd’hui, l’accessoire indispensable de la mode masculine.
Les tenues vestimentaires ont évolué sous l’influence des centres urbains. Les vêtements masculins présentaient les éléments méditerranéens habituels : pantalons courts et larges plissés à la taille, coiffure tronconique de laine. Le vêtement féminin se composait d’une chemise de toile sur laquelle était portée une jupe de drap évasée et à bretelles, tandis que la taille était enserrée dans une ceinture de laine ou de soie. Les bijoux les plus appréciés étaient de métaux précieux ornés de grains de corail rouge ou de perles, souvent exécutés en filigrane.
LE " N I J E M O KO LO "
Le «Nijemo kolo» (danse silencieuse) de Dalmatinska zagora, l’arrière-pays dalmate fais partie du patrimoine culturel immatériel du pays.
J OU E T
Les jouets en bois, dont la fabrication remonte au XIXe siècle, sont une des particularités de l’artisanat traditionnel du Hrvatsko Zagorje. Ces jouets sont réalisés à la main par les hommes, tandis que les motifs, floraux et géométriques, sont appliqués par les femmes.
74
TO M E 2 > PART I E 0 2
UN UN IVE RS FAMILIE R
ARMOIRIES DE LA CROATIE BLASON Le blason historique croate comporte un écu échiqueté (damier) de vingtcinq pièces alternativement de gueules (rouges) et d’argent (blancs). Il apparaît sur le sceau apposé sur l’acte relatif à l’élection de Ferdinand Ier de Habsbourg pour roi de Croatie, par la Diète croate réunie à Cetin en 1527. (Les couleurs du blason croate traditionnel ont été inversées afin de ne pas reprendre les symboles de l’Etat indépendant de Croatie qui exista de 1941 à 1945.) Le blason est surmonté d’une couronne, composée de cinq écus qui correspondent aux principales régions historiques de la Croatie : Le premier blason est composé d’un champ d’azur avec un croissant d’argent, surmonté d’une étoile à six branches d’or, qui représentent les anciennes armoiries de Zagreb et de la Croatie. Le second blason est composé d’un champ d’azur avec deux bandes horizontales de gueules ; ils symbolisent la République de Raguse ou la République de Dubrovnik. Dans le troisième blason, sur un champ d’azur, on peut voir trois têtes de léopard d’or couronnées du même qui représentent la Dalmatie. Dans le quatrième blason, on peut voir, sur un champ d’azur, une chèvre d’or avec des cornes et des sabots de gueules qui représente l’Istrie. Le dernier blason, sur un champ d’azur, représente une bande de gueules brodée d’argent et chargée d’une Martre des pins de sable avec un ventre d’argent. Le tout est surmonté d’une étoile à six branches d’or qui représente la Slavonie.
CUL TU RE PO PULAI RE 75
A
CROIX SERBE La croix serbe a été utilisé par l’État serbe et l’Église orthodoxe de Serbie depuis le Moyen Âge. Il consiste en une croix et quatre briquets (aussi appelés pierre à feu) dans les quatre quartiers autour de la croix, tous faisant face horizontalement à l’extérieur. Les 4 «C» représentent les 4 premières lettres de la Devise en serbe cyrillique «Samo Sloga Srbina Spasava», qui se traduit en français par : «Seule l’union sauve les Serbes».
COURONNE Quoique la Serbie soit une république, elle retient une couronne royale dans ses armoiries. Cette couronne symbolise la souveraineté, l’État, et aussi signifie son héritage royal.
AIGLE À DEUX TÊTES Les deux têtes symbolisent chez les Serbes le royaume de Dieu et le royaume terrestre. Les Serbes sont les seuls à utiliser un aigle bicéphale blanc.
ARMOIRIES DE LA SERBIE Les armoiries de la Serbie sont une réplique des armoiries de la dynastie Obrenovic auxquelles a été ajoutée l’aigle bicéphale de la dynastie Nemanjic avec au centre une croix serbe.
BLASON Le fond principal représente l’État serbe. Il consiste en un aigle bicéphale au vol abaissé d’argent, sur un fond de gueules, et languée, becquée, membrée et armée d’or, avec deux fleurs-de-lys du même à ses pattes. L’écusson au centre représente la nation serbe (gueules à la croix d’argent, cantonnée de quatre briquets du même, adossés deux à deux).
CROATIE
SERBIE
76
TO M E 2 > PART I E 0 2
UN UN IVE RS FAMILIE R
A
CUL TU RE PO PULAI RE 77
MOTIFS SERBES
FORMES ISSUES D’UNE TENUE TRADITIONNELLE FEMME.
FORMES ISSUES D’UNE TENUE TRADITIONNELLE HOMME.
COMPOSITION DE MOTIFS EN MIXANT DIFFÉRENTES FORMES.
78
TO M E 2 > PART I E 0 2
UN UN IVE RS FAMILIE R
CUL TU RE PO PULAI RE 79
A
MOTIFS CROATES
COMPOSITION DE MOTIFS EN MIXANT DIFFÉRENTES FORMES.
80
TO M E 2 > PART I E 0 2
UN UN IVE RS FAMILIE R
A
+ COU RO N N E + B LAS O N DE LA R É P U B L I Q U E DE SE R B I E AU SE I N DE LA R S F DE YOU G OS LAVI E + M OT I F S SE R B E S
COMPOSITIONS DE MOTIFS SERBO-CROATES
CUL TU RE PO PULAI RE 81
82
TO M E 2 > PART I E 0 2
+ DA M I E R + COU RO N N E ROYALE + M OT I F S SE R B E S E T C ROATE S
UN UN IVE RS FAMILIE R
A
+ AIG LE À DE U X TÊ TE S + DA M I E R + M OT I F S C ROATE S
CUL TU RE PO PULAI RE 83
84
TO M E 2 > PART I E 0 2
+ DA M I E R + COU RO N N E ROYALE + M OT I F S SE R B E S E T C ROATE S
UN UN IVE RS FAMILIE R
A
+ M OT I F S SE R B E S E T C ROATE S
CUL TU RE PO PULAI RE 85
86
TO M E 2 > PART I E 0 2
+ M OT I F S SE R B E S E T C ROATE S
UN UN IVE RS FAMILIE R
A
+ DA M I E R + COU RO N N E ROYALE + M OT I F S SE R B E S E T C ROATE S
CUL TU RE PO PULAI RE 87
88
TO M E 2 > PART I E 0 2
+ COU RO N N E ROYALE + B LAS O N DE LA R É P U B L I Q U E DE C ROAT I E AU SE I N DE LA R S F DE YOU G OS LAVI E + M OT I F S SE R B E S
UN UN IVE RS FAMILIE R
A
+ C H ÈV R E D ’ O R + COU RO N N E ROYALE + M OT I F S C ROATE
CUL TU RE PO PULAI RE 89
02B
90
TO M E 2 > PART I E 0 2
UN UN IVE RS FAMILIE R
JOU E R POU R PARLE R 91
B
Rétablir une communication rompue est délicat. On imagine difficilement un serbe et un croate aborder des thèmes sensibles sans préjugés ou animosité. L’idée ici c’est d’offrir un cadre de rencontre qui permet aux Serbes et aux Croates de se découvrir autrement. C’est par un jeu connu de tous, que la rencontre se fait. On découvre ainsi «l’autre» comme étant un compagnon, un adversaire de jeu.
ET SI JOUER PERMETTAIT DE PARLER ? BRIŠKULE Jeu de carte italien devenu populaire en Croatie et au Monténégro. Il se compose de 40 cartes, de 4 familles différentes. Il s’agit ici de réadapter ce jeu en y glissant des références liées aux Serbes et aux Croates. C’est une manière de raconter l’histoire à travers un jeu pour provoquer la discussion.
DINARI (OR)
ŠPADE (EPÉE)
JOUER POUR PARLER
BATE (BATON)
KUPE (COUPE)
92
TO M E 2 > PART I E 0 2
UN UN IVE RS FAMILIE R
BATON
ÉPÉE Référence à la Yougoslavie, à une période révolue durant laquelle la Serbie et la Croatie ont cohabité au sein d’un même État. L’épée exprime ici l’affrontement conduisant à la dislocation du pays.
1918 1941
Blason de la RSF de Yougoslavie.
JOU E R POU R PARLE R 93
B
1945 1992
Dates correspondant à la première (Royaume de Yougoslavie) et à la seconde (RSF de Yougoslavie) Yougoslavie.
Déclinaison du blason de la République de Serbie au sein de la RSF de Yougoslavie.
Référence à la politique d’aujourd’hui menée en Serbie et en Croatie.
Republika Hrvatska
«République de Croatie» en croate.
Damier présent sur le drapeau croate.
Logo du Parti progressiste serbe, actuellement au pouvoir en Serbie avec comme président Tomislav Nikolic.
94
TO M E 2 > PART I E 0 2
UN UN IVE RS FAMILIE R
OR
JOU E R POU R PARLE R 95
B
COUPE
Référence à l’Union Européenne, au futur de la Serbie et de la Croatie qui se retrouveront au sein d’une même association. L’entrée de la Croatie a conduit à de nouvelles règles liées à la protection des minorités; et donc du peuple serbe de Croatie. L’adhésion de la Serbie est prévue en 2020.
21/02/2003
Référence à la culture populaire, celle qui est partagée par les Serbes et les Croates.
01/07/2013
UE HRVATSKA
Référence à l’Union Européenne.
Dates correspondant à la dépose de candidature et à l’adhésion de la Croatie dans l’UE.
23/12/2009
SRBIJA
Dates correspondant à la dépose de candidature de la Serbie dans l’UE.
Pièces de 1 euro, correspondant au changement de monnaie en Croatie suite à son adhésion à l’UE.
«Rakija» l’eau-de-vie devenue alcool national en Serbie et Croatie.
Les chaussures «opanke» font parties de la tenue traditionnelle serbe et croate.
96
TO M E 2 > PART I E 0 2
UN UN IVE RS FAMILIE R
SCRABBLE Le scrabble est un jeu de lettres dont le but est de cumuler des points en créant des mots. Dans cette proposition, les lettres sont remplacées par la typographie bi-alphabétique crée précédemment.
JOUE R POU R PARLE R 97
B
Recherche de grille.
98
TO M E 2 > PART I E 0 2
UN UN IVE RS FAMILIE R
En rajoutant des éléments faisant référence à la relation serbo-croate; l’objectif est de s’adresser directement aux deux peuples afin de provoquer une discussion dans le cadre d’un jeu.
Ici, la grille reprend les symboles serbes et croates (damier + aigle à deux têtes). Tandis que l’alphabet latin apparait en superposition avec l’alphabet cyrillique, marquant sa présence.
B
JOU E R POU R PARLE R 99
02C
100 TO M E 2 > PART I E 0 2
UN UN IVE RS FAMILIE R
QUAND LA MUSIQUE TRAVERSE LES FRONTIÈRES
C
Q UAN D LA M US I Q U E TRAV E RSE LE S FRO N TI È RE S 101
La musique tient une place importante chez les Serbes et les Croates. Ayant partagé pendant des années un même pays, ils écoutaient naturellement les mêmes chansons, les mêmes chanteurs, qu’ils soient d’origine croate, serbe, bosniaque... La musique constituait alors un point de ralliance entre les différentes républiques issues de l’ex-Yougoslavie.
AUJOURD’HUI, MALGRÉ LA DIVISION DES BALKANS ET UN "CLOISONNEMENT" DES PAYS, ON REMARQUE QUE LA MUSIQUE TRAVERSE LES FRONTIÈRES. IL EST POSSIBLE POUR UN CHANTEUR CROATE D’ÊTRE POPULAIRE EN SERBIE ET D’Y DONNER DES CONCERTS ET VICE VERSA.
Créer en 1966 en Yougoslavie, Džuboks est le tout premier magazine dédié au rock.
102 TO M E 2 > PART I E 0 2
UN UN IVE RS FAMILIE R
Trois groupes aussi populaires en ex-Yougoslavie qu’aujourd’hui dans les Balkans : Bijelo Dugme, Crvena Jabuka et Prljavo Kazalište.
Q UAN D LA M US I Q U E TRAV E RSE LE S FRO N TI È RE S 103
C
LE CAS DE L’EUROVISION On entend souvent dire que l’Eurovision est avant tout «politique», les pays votent selon leur affinités, et c’est la que c’est intéressant. Ce concours très populaire en Serbie et Croatie envoi ses meilleurs représentants en espérant chaque année remporter la compétition (ce qui a été le cas en 2007 pour la Serbie avec la chanteuse Marija Šerifović). On remarque alors que systématiquement les Croates et les Serbes (comme les Monténégrins, les Bosniaques etc...) s’attribuent les plus hautes notes. Il est curieux de constater que malgré une division, une coupure évidente entre les deux peuples; ils n’hésitent pas à encourager les représentants du pays «ennemi». La musique est donc une sorte de parenthèse, un domaine apolitique dans lequel on recherche le plaisir avant tout, l’amusement et le partage.
Participation de la Serbie à l’Eurovision
On peut noter plusieurs faits intéressants: Dans le cas du groupe bosniaque Bijelo Dugme par exemple, le chanteur possède un accent bosniaque qui se retrouve dans ses chansons. Lorsqu’un serbe ou un croate chante une chanson de ce même groupe, il imite son accent. Il est ainsi possible pour un croate d’imiter l’accent serbe ou pour un serbe d’imiter l’accent croate dans le cadre d’une chanson. Ce même groupe qui a cessé d’exister en 1989, continue de se réunir exceptionnellement à la demande du public en donnant des concerts à travers les Balkans (principalement à Sarajevo, Belgrade et Zagreb). La jeune génération continue à travers ses parents d’écouter les mêmes chansons restées populaires malgré les années qui passent. Des nouveaux groupes ou chanteurs des années 2000, acquièrent également une popularité à travers les Balkans peu importe leur origine. C’est le cas du groupe serbe S.A.R.S crée en 2006, du groupe croate Brkovi crée en 2004, ou alors du groupe bosniaque Dubioza kolektiv crée en 2003.
Points reçus de la Croatie
2012
Željko Joksimović - Nije ljubav stvar
12 points
2011
Nina - Čaroban
8 points
2010
Milan Stanković - Ovo je Balkan
8 points
2008
Jelena Tomašević feat. Bora Dugić - Oro
12 points
2007
Marija Šerifović - Molitva
12 points
2005
No Name - Zauvijek moja
12 points
2004
Željko Joksimović & Ad Hoc Orchestra - Lane moje
12 points
Participation de la Croatie à l’Eurovision
Points reçus de la Serbie
2009
Igor Cukrov feat. Andrea - Lijepa Tena
8 points
2006
Severina - Moja Moja štikla
12 points
2005
Boris Novković - Vukovi umiru sami
10 points
2004
Ivan Mikulić - You are the only one
8 points
104 TO M E 2 > PART I E 0 2
UN UN IVE RS FAMILIE R
Comme nous l’avons vu, certains chanteurs restent populaires dans tous les Balkans, peu importe leur origine. En fonction des pays dans lesquels ils se produisent, la communication change, avec notamment l’alphabet. Ici, l’affiche présente un concert de trois chanteuses populaires. Le texte, écrit dans la typographie hybride cyrillique-latin, permet à l’ensemble de la population de lire l’information. La communication du concert pourra alors rester la même dans tous les pays.
C
Q UAN D LA M US I Q U E TRAV E RSE LE S FRO N TI È RE S 105
02D
106 TO M E 2 > PART I E 0 2
UN UN IVE RS FAMILIE R
PARTAGE CULINAIRE
PARTAGE CUL I NAI RE 107
D
La Serbie et la Croatie partagent quelques spécialités culinaires datant de l’ex-Yougoslavie. Il est donc possible pour un Croate et un Serbe de prendre le même petit déjeuner, ou de boire le même alcool.
CEPENDANT CERTAINS PRODUITS SE TROUVENT RATTACHÉS À DES ENDROITS PRÉCIS, C’EST LE CAS PAR EXEMPLE DU FROMAGE DE PAG, OU DES TRUFFES D’ISTRIE. CES DEUX PRODUITS, AUTREFOIS CONSOMMÉS DANS TOUTE LA YOUGOSLAVIE, DEVIENNENT DES SPÉCIALITÉS CROATES, QUE L’ON RETROUVE MOINS EN SERBIE. AINSI, LE «CLOISONNEMENT» DES PAYS À CONDUIT À LA DISPARITION DE CERTAINS PRODUITS SUR LE TERRITOIRE SERBE OU CROATE. LES ANCIENNES GÉNÉRATIONS DEVIENNENT ALORS DÉSIREUSES DE RETROUVER CES GOÛTS DISPARUS.
108 TO M E 2 > PART I E 0 2
UN UN IVE RS FAMILIE R
PARTAGE CUL I NAI RE 109
D
SPÉCIALITÉS CROATES & SERBES
Eau-de-vie obtenue par distillation de jus de fruits fermentés, très populaire à travers les Balkans et aussi alcool national en Serbie et Croatie. Le nom a probablement comme origine le mot turc rakı, désignant les alcools distillés.
B OULE T TE S DE VI AN DE HAC H É E É P IC É E ( Č EVAP I ) EAU - DE - VI E ( RAKI JA ) Les Cevapi sont des petits cylindres de viande hachée agrémentés d’épices. Venus de Bosnie et hérités des ottomans, les cevapcici sont aujourd’hui présents dans les régions de l’ex-Yougoslavie POIV RO N S FARC I S ( P UN J E N E PAP RI K E )
SAR M A ( SAR M A ) La Sarma est une spécialité provenant des Balkans, plus exactement de la Serbie. On la trouve dans quasiment toutes les régions de l’ex-Yougoslavie. Même préparation que les poivrons farcis sauf que la ce sont des feuilles de chou qui sont farcis.
LA TOU RTE D ’ E X - YOU G OS LAVI E ( G I BAN ICA E N SE R B E , ŠT RU K L I AU F RO M AG E E N C ROATE ) Plat typiquement balkanique, que se partagent la cuisine serbe, la cuisine croate, bosniaque et macédonienne notamment. Il s’agit d’une sorte de burek, de tarte pita à base de fromage blanc, de légumes, comme les épinards, la pomme de tarte ou encore à la viande.
Poivrons farcies avec de la viande hachée et du riz, cuites dans un bouillon avec de la viande fumée.
110 TO M E 2 > PART I E 0 2
UN UN IVE RS FAMILIE R
PARTAGE CUL I NAI RE 111
D
SPÉCIALITÉS CROATE LA BAJADE RA ( BAJADE RA )
Le jambon fumé de Dalmatie est l’un des produits gastronomiques les plus reconnaissables de l’Adriatique. Le séchage de cuisse de porc au vent ou a la fumée donne une viande avec un goût spécial et délicieux. Le plus souvent, il est consommé comme entrée froide.
B RU DE T ( B RU DE T )
JA M B O N F U M É DE DAL M AT I E ( P R ŠU T )
H UI LE D ’ O L IV E E X T RA VI E R G E ( M AS L I N OVO UL J E )
Spécialité croate a base de poisson. On utilise toute sortes de poissons qui sont cuits dans du vin blanc, et parfois des tomates. Elle est en général servie avec de la polenta.
Les olives et l’oléiculture sont enracinées dans la culture de la côte adriatique depuis des centaines d’années. En plus d’être reconnu comme le meilleur type d’huile, la saveur de l’huile d’olive extra vierge donne un goût particulier à de nombreux plats et salades. En Croatie, les huiles d’olive les plus célèbres sont celles d’Istrie. CALA M AR S G RI L LÉ S ( L IG N J E NA ŽARU )
F RO M AG E DE PAG ( PA Š KI S I R ) LA P E KA ( P E KA )
T RU F F E S D ’ I ST R I E ( I STAR S KI TART U F )
La peka est une cloche de fonte qui a donné sont nom a cette spécialité. On place dans la cheminée un plat remplit en général de poulpe et de pommes de terre, ou de veau et de pommes de terre, on le recouvre de la cloche en fonte, que l’on recouvre de braise. Et cela cuit ainsi pendant plusieurs heures.
SALADE DE POUL P E ( SALATA OD HO B OT N IC E )
RI S OT TO D ’ E N C R E DE SE IC H E ( C R N I RI Ž OT OD S I P E ) Spécialité de la cote puisque la seiche est très présente en mer adriatique. Le riz est cuit avec de la seiche coupée en petits morceaux et avec l’encre de la seiche.
112 TO M E 2 > PART I E 0 2
UN UN IVE RS FAMILIE R
PARTAGE CUL I NAI RE 113
D
SPÉCIALITÉS SERBES Cette pâtisserie orientale a été héritée des invasions ottomanes. Les serbes l’ont conservée en modifiant légèrement la recette turque, afin de la rendre un peu plus sèche. Elle peut se manger avec de la crème et de la pistache en petits morceaux, par exemple.
LA BAK LAVA SE R B E ( BAK LAVA )
LE CAS S OULE T SE R B E ( PASUL J P R E B RANAC )
Dans la cuisine serbe, le Pasulj prebranac est un gratin de haricots blancs accommodé avec de la poudre de paprika, des gousses d’ail et des oignons. On qualifie ce plat végétarien de « cassoulet serbe ».
LA SALADE C HO P S KA ( Š O P S KA SALATA )
L ’ AJ VAR ( AJ VAR )
LE HA M B U R G E R À LA SE R B E ( P L J E S KAVICA )
La Pljeskavica est une sorte de hamburger mélangeant l’agneau et le boeuf, avec des épices et des oignons. Très populaire dans les pays d’ancienne Yougoslavie et notamment en Serbie où l’on organise divers concours gastronomique autour de l’une des stars de la gastronomie.
L’Ajvar est une sorte de relish (condiment) principalement à base de poivron rouge, de piment et d’ail, parfois avec des aubergines. Originaire du sud de la Serbie et du nord de la Macédoine, l’ajvar est traditionnellement préparé à la maison, en septembre, puis stocké et consommé pendant toute l’année. L’ajvar est servi comme condiment ou dans la salade de tomates. L’ajvar doux est utilisé dans diverses sauces pour pâtes.
M USAKA SE R B E ( S R P S KA M USAKA OD K RO M P I RA )
La salade Chopska est consommée en Bulgarie, Serbie et Macédoine. Elle est préparée à partir de tomates, concombres, poivrons, oignons, et d’une variété de feta. Elle est souvent servie en entrée avec un verre de rakija.
P RO JA AU X O RT I E S E T AU X B LE T TE S ( P RO JA )
S OU P E DE POI S S O N ( RI B L JA ČO R BA ) Fameuse soupe de poissons à base de poissons frais du fleuve cuisiné avec des oignons, carottes, tomates, farine et vin blanc.
114 TO M E 2 > PART I E 0 2
UN UN IVE RS FAMILIE R
D
PARTAGE CUL I NAI RE 115
CUISINES MOBILES Utilisation d’une cuisine légère, mobile et modulable, dans le but de créer une activité culinaire éphémère, qui rassemble.
AN NA ROS I N K E E T M AC I EJ C H M ARA M O B I LE HOS P I TAL I T Y (2011) CO L LEC T I F E T C M ADE I N VI T RO L LE S (2013) C IGU Ë CAR R IO LE , CUI S I N E M O B I LE ( 2 0 0 9)
G O R M ST U DIO F LOW 2 O PA ST U DIO C HAK RA CA F É ( J E RUSALE M )
116 TO M E 2 > PART I E 0 2
UN UN IVE RS FAMILIE R
PARTAGE CUL I NAI RE 117
D
VUE DE L’ACTIVITÉ R EC E T TE 0 1
S P ÉC I AL I TÉ C ROATE
POUL P E
Chaque Serbe reçoit un menu croate écrit en cyrillique, tandis que chaque Croate reçoit un menu serbe écrit en latin. L’objectif est de se familiariser avec les spécialités de chacun, et d’apprendre en échangeant.
DE S C R I P T IO N DE LA R EC E T TE
118 TO M E 2 > PART I E 0 3
119
Q UAND LA PO PULATIO N S ’E XP RIME
PA RT I E 0 3
Q UAN D LA PO P ULAT IO N S ’ E X P RI M E
A
D O N N E M OI DE Q U OI ÉC RI R E PAGE
12 0 / 12 5
B
M A VI L LE , M E S PAN N EAU X PAGE
126 / 1 4 5
C
C E S RUI N E S PAGE
146 / 155
03A
120 TO M E 2 > PART I E 0 3
Q UAND LA PO PULATIO N S ’E XP RIME
DONNE MOI DE QUOI ÉCRIRE
A
D O NNE M OI DE Q U OI ÉCRI RE 121
APRÈS AVOIR ÉTUDIÉ L’IDENTITÉ DES SERBES ET DES CROATES COMPRENANT LE LANGAGE, L’ALPHABET, LA CULTURE, LES TRADITIONS; IL ME PARAISSAIT INTÉRESSANT DE LEUR OFFRIR UN SUPPORT ET UN CADRE FAMILIER DANS LEQUEL ILS PUISSENT S’EXPRIMER.
122 TO M E 2 > PART I E 0 3
Q UAND LA PO PULATIO N S ’E XP RIME
A
D O NNE M OI DE Q U OI ÉCRI RE 123
DES PANNEAUX MOBILES Créer des panneaux avec un mot, une question, un début de phrase à compléter par un individu. Le but est ensuite de placer le panneau dans l’espace public partageant ainsi le message avec le reste de la population. Ces panneaux faits en carton, peuvent être placés n’importe où avec différentes méthodes de fixation. Il y a alors la possibilité de voir les panneaux disparaître,changer de place ou alors être complétés. Il serait intéressant de voir comment ils évoluent dans le temps.
( J ’ AI M E . . . LE S F E M M E S C ROATE S . ( E N CY R I L L I Q U E ) )
( F UT U R : VIV R E E N PAI X ( E N LAT I N ) )
( J E N ’ AI M E PAS Q UAN D . . . LE S G E N S SE J U G E N T SAN S SE CO N NA Î T R E ( E N LAT I N ) )
124 TO M E 2 > PART I E 0 3
Q UAND LA PO PULATIO N S ’E XP RIME
D O NNE M OI DE Q U OI ÉCRI RE 125
A
COMPOSER POUR ÉCRIRE Les participants sont invités à écrire une phrase à partir de 52 éléments, dans l’alphabet qu’ils souhaitent (cyrillique ou latin). L’objectif étant de démystifier le cyrillique pour montrer qu’il n’est pas si différent du latin. Les participants se confrontent ainsi à des formes appartenant aux deux alphabets.
( SE R B I E ( E N CY R I L L I Q U E ) E T C ROAT I E ( E N LAT I N ) )
NORMOGRAPHE On pourrait imaginer ce principe adapté à un normographe. Un normographe est un outil de dessin industriel servant à tracer des lettres ou des symboles. Ici c’est les éléments composants l’alphabet cyrillique et l’alphabet latin qui sont représentés.
03B
126 TO M E 2 > PART I E 0 3
Q UAND LA PO PULATIO N S ’E XP RIME
B
M A VI L LE , M E S PANNEAU X 127
DONNER LA PAROLE AUX SERBES ET AUX CROATES, EN LEUR PERMETTANT DE S’EXPRIMER SANS PEUR, SANS GÈNE; AFIN DE FAVORISER L’ÉCHANGE ENTRE LES DEUX PEUPLES. Afin que le message soit accessible au plus grand nombre, il sera diffusé dans l’espace public en ciblant une ville en particulier : Vukovar. Située en Croatie, la ville deviens un symbole de la résistance croate. En 1991, Vukovar avait été assiégée par l’armée serbe, qui s’en était rendue maître au bout de trois mois. L’armée croate l’avait reprise quatre ans plus tard. Résultat : Une ville ravagée, des centaines de morts, exactions, expulsions, exécutions...
CARTE DE LA C ROAT I E
V U KOVAR
MA VILLE, MES PANNEAUX
Elle demeure aujourd’hui la seule ville croate qui compte autant de Serbes : 32% de Serbes, pour 57% de Croates. C’est par conséquent un des rares endroits ou les deux peuples se côtoient. Se côtoyer reste un grand mot ! La réalité est bien différente. La population se divise entre Croates et Serbes. Un des exemples les plus flagrants reste l’école; puisque les enfants croates vont dans des classes 100% croates, et les enfants serbes dans des classes 100% serbes.
128 TO M E 2 > PART I E 0 3
Q UAND LA PO PULATIO N S ’E XP RIME
Le comitat compte 5 villes et 26 municipalités. Vukovar en est la capitale.
CO M I TAT DE V U KOVAR - S Y R M I E
B
M A VI L LE , M E S PANNEAU X 129
E X E M P LE DE PAN N EAU " B I L I NGU E " I N STAL LÉ 1
Vukovar
DE ST RUC T IO N D ’ UN PAN N EAU " B I L I NGU E S " 2 V U KOVAR N E SE RA JA M AI S " BYKO BAP " ( E N CY R I L L I Q U E ) . 3
En 2003, la Croatie présente sa demande d’adhésion à l’Union Européenne; et s’engage par conséquent à respecter le droit des minorités. Une loi va particulièrement marquer les esprits et provoquer une révolte de la population croate. Celle-ci prévoit des panneaux dits «bilingues» (en cyrillique et latin) dans les régions de Croatie où vit plus d’un tiers de personnes d’une autre nationalité. C’est le cas de la ville de Vukovar. En 2013, alors que les premièrs panneaux «bilingues» commencent à être installés, les manifestants croates se rassemblent pour la suppression du cyrillique considéré comme l’écriture de l’ennemi.
24sata.hr : Branitelji prekrivaju ćirilične ploče s hrvatskim zastavama, par Tajana Gvardiol, 2014 [en ligne] <http:// www.24sata.hr/news/braniteljiprekrivaju-cirilicne-ploce-shrvatskim-zastavama-364820> (page consultée le 13/05/2015).
1
novosti.rs : Vukovar: Ponovo postavljene dve ćirilične table, par J. KERBLER, 2013 [en ligne] <http://www.novosti.rs/ vesti/planeta.300.html:451996Vukovar-Ponovo-postavljene-dvecirilicne-table> (page consultée le 13/05/2015).
2
3 ezadar.hr : Vukovar nikad neće biti Bykobap, 2013 [en ligne] <http://www.ezadar.hr/clanak/ vukovar-nikad-nece-biti-bykobap> (page consultée le 13/05/2015).
130 TO M E 2 > PART I E 0 3
Q UAND LA PO PULATIO N S ’E XP RIME
C’est donc par les panneaux et l’utilisation de l’alphabet cyrillique et latin, que la population s’exprime aujourd’hui : Que cela soit de la part du gouvernement croate qui souhaite apaiser les tensions en offrant une «légitimité» aux Serbes de Vukovar. Ou alors du peuple croate qui au contraire souhaite leur suppression. Nous allons par conséquent utiliser les panneaux comme support permettant à la population croate et serbe de Vukovar de s’exprimer. Dans ces deux exemples, le graphiste Pierre Di Sciullo et le Collectif Etc, détournent les panneaux de leur fonction première, pour en faire des objets poétiques.
M A VI L LE , M E S PANNEAU X 131
B
LE CONCEPT MA VILLE, MES PANNEAUX Par cette installation, l’objectif est de transcrire dans l’espace public le vécu de la population de Vukovar, ainsi que ses espoirs, ses attentes. La population redécouvre ainsi son environnement à travers les écrits des citoyens qui y habitent. Sortir Vukovar du silence, des non-dits.
ÉTAPE N°1 Réunir des témoignages de la population face à la situation actuelle; mais également en rapport avec la ville de Vukovar : une rue, un quartier, une maison, une institution... De quel manière cet endroit à marqué leur vie ? Quels solutions proposent-ils pour améliorer ce lieu ? Ces témoignages de Serbes ou de Croates restent anonymes, seul le message est mis en avant.
ÉTAPE N°2 Installation des panneaux dans la ville.
ÉTAPE N°3 Observer la réaction des passants face à ces messages. CO L LEC T I F E T C VOYO N S VOI R (2011) P I E R R E DI S C IUL LO G É N É RATE U R DE R ECOU V RAN C E
ÉTAPE N°4 Créer un objet éditorial à distribuer aux habitants qui recueille l’ensemble des témoignages et réactions.
132 TO M E 2 > PART I E 0 3
Q UAND LA PO PULATIO N S ’E XP RIME
M A VI L LE , M E S PANNEAU X 133
B
RECHERCHE DE FORMES
INDIQUER DIFFÉRENTES DIRECTIONS ÉPAISSEUR
MÉLANGE DES ÉPAISSEURS
CRÉER DIFFÉRENTS NIVEAUX DE LECTURE
COULEUR CONTOUR + FORME
MÉLANGE DES COULEURS
PROPOSER DES FORMES PLUS COMPLEXES
134 TO M E 2 > PART I E 0 3
Q UAND LA PO PULATIO N S ’E XP RIME
EXEMPLE DE PROPOSITIONS Utilisation de la typographie bi-alphabétique crée précédemment.
M A VI L LE , M E S PANNEAU X 135
B
Ici les panneaux se détachent de la sobriété des panneaux routiers présents à Vukovar. Ils offrent une composition dynamique, en mouvement destinés à réveiller le paysage visuel.
JEDINA
ZEMLJA ( M O N UN I Q U E PAYS )
JEDINA ZEMLJA
ZEMLJA ( M O N UN I Q U E PAYS )
( M O N PAYS , M A M AI S O N )
136 TO M E 2 > PART I E 0 3
Q UAND LA PO PULATIO N S ’E XP RIME
M A VI L LE , M E S PANNEAU X 137
B
Les couleurs se détachent du cadre pour attirer l’oeil, et offrir de la vivacité.
EXEMPLE DE PROPOSITIONS Utilisation de la typographie bi-alphabétique crée précédemment.
JEDINA
ZEMLJA JEDINA
ZEMLJA
( M O N UN I Q U E PAYS )
( M O N UN I Q U E PAYS )
ZEMLJA
JEDINA
ZEMLJA ( M O N UN I Q U E PAYS ) ( M O N PAYS , M A M AI S O N )
138 TO M E 2 > PART I E 0 3
Q UAND LA PO PULATIO N S ’E XP RIME
M A VI L LE , M E S PANNEAU X 139
B
EXEMPLE DE PROPOSITIONS Superposition des alphabets.
( M OI , C ROATE )
( M OI , C ROATE - SE R B E )
L’auteur du message est croate. Le latin (en orange) prend alors le dessus, mais le cyrillique reste présent (en jaune).
( M O N V U KOVAR )
L’origine de l’auteur du message reste inconnu; les deux alphabets sont au même niveau.
( M OI , SE R B E )
Tandis qu’ici, l’auteur du message est serbe. Le cyrillique (en bleu) prend le dessus, mais le latin reste présent (en jaune).
140 TO M E 2 > PART I E 0 3
Q UAND LA PO PULATIO N S ’E XP RIME
M A VI L LE , M E S PANNEAU X 141
B
EMPLACEMENT DES PANNEAUX
EXEMPLE DE PROPOSITION
L’objectif est de rendre les panneaux visibles et accessibles au plus grand nombre. Dans cet exemple, quatre lieux sont sélectionnés. Chacun de ces lieux à une histoire lié au conflit des années 90. Le musée de la ville de Vukovar L’église orthodoxe «Hram svetog Nikole» L’hôtel LAV Une maison d’habitation en ruines située au centre de la ville.
L’Eglise orthodoxe «Hram svetog Nikole» > Se servir de la façade comme support de fixation.
JEDINA
ZEMLJA
( M O N UN I Q U E PAYS )
142 TO M E 2 > PART I E 0 3
Q UAND LA PO PULATIO N S ’E XP RIME
M A VI L LE , M E S PANNEAU X 143
B
EXEMPLE DE PROPOSITION
EXEMPLE DE PROPOSITION
L’hôtel LAV. > Utiliser les poteaux existants comme support de fixation.
Le musée de la ville de Vukovar. > Les panneaux forment une structure mobile à poser au sol.
JEDINA
ZEMLJA
JEDINA
ZEMLJA ( M O N UN I Q U E PAYS )
( M O N UN I Q U E PAYS )
144 TO M E 2 > PART I E 0 3
Q UAND LA PO PULATIO N S ’E XP RIME
M A VI L LE , M E S PANNEAU X 145
B
EXEMPLE DE PROPOSITION Raviver les espaces abandonnées, les ruines, en y greffant les panneaux.
ZEMLJA
( M O N PAYS , M A M AI S O N )
03C
146 TO M E 2 > PART I E 0 3
147
Q UAND LA PO PULATIO N S ’E XP RIME
CES RUINES
Le souvenir de la guerre reste présent dans les pays issus de l’ex-Yougoslavie. La trace des conflits peut se lire sur le territoire. En effet, un grand nombre de ruines sont toujours présentes en Croatie, certaines d’entre elles furent des commerces, des usines, des écoles... Des lieux fréquentés par l’ensemble de la population yougoslave. Il s’agit dans un premier temps de répertorier ces ruines, puis d’intervenir directement dessus en y organisant des ateliers participatifs, des moments d’échange lors desquelles la population pourra s’exprimer. Interroger la population sur son environnement, sa ville, c’est s’intéresser à l’histoire commune des ses habitants. C’est un moyen de voir renaître des lieux.
148 TO M E 2 > PART I E 0 3
Q UAND LA PO PULATIO N S ’E XP RIME
Après la guerre de Yougoslavie, certaines ruines sont conservées telles qu’elles, c’est le cas du château d’eau à Vukovar. Pendant l’attaque de Vukovar par les Serbes, le château d’eau était la cible privilégié de l’artillerie ennemie. Il a été touché plus de 600 fois, et aujourd’hui, il est le symbole de la victoire et de l’existence nouvelle de la Croatie. Il fut décidé que le château d’eau ne serait pas restauré et deviendrait à la place un mémorial en souvenir de la douleur et de la souffrance subies par Vukovar.4
CE S RUI NE S 149
C
L’artiste Masha Matijevic dans son projet RUŠEVINE (ruines), photographie les ruines de 37 villes croates, qu’elle partage ensuite via un site internet.5 Dans ces exemples, les lieux choisis étaient fréquentés par l’ensemble de la population yougoslave avant les conflits de 1991. Des écoles, des usines, des immeubles, des commerces, qui aujourd’hui, restent en ruines.
P LA Q U E DE L ’ UN IO N E U RO P É E N N E Q UI E X P L I Q U E LE P RO G RA M M E DE R ECO N ST RUC T IO N DE S M AI S O N S DE SE R B E S AN C I E N N E M E N T DÉ T RUI TE S . C HÂ TEAU D ’ EAU À V U KOVAR ( C ROAT I E )
M AGAS I N DE P I E R R E S ( C IV L JAN E ) / US I N E ( V R L I KA ) / ÉCO LE ( B RAC EVIC ) / I M M E U B LE ( C IV L JAN E ) / US I N E ( D R N I S ) / I M M E U B LE (KNIN)
Wikipédia, l'encyclopédie libre : Château d’eau de Vukovar, 2015 [en ligne]. <https://fr.wikipedia.org/wiki/ Ch%C3%A2teau_d%27eau_ de_Vukovar> (page consultée le 05/01/2014).
4
Masha Matijevic: Ruševine, 2008 [en ligne] <http://www. rusevine.com/> (page consultée le 11/03/2015).
5
150 TO M E 2 > PART I E 0 3
G Y M NASE ( Z V J E RI NAC ) / ÉCO LE ( Z V J E RI NAC ) / TAV E R N E ( T U R JAC I ) / ÉCO LE ( RU M I N ) / ÉCO LE ( M AL J KOVO ) / B OULANG E RI E ( DABAR ) / R E STAU RAN T ( OT I S IC ) / I M M E U B LE ( OT I S IC )
Q UAND LA PO PULATIO N S ’E XP RIME
C
CE S RUI NE S 151
152 TO M E 2 > PART I E 0 3
Q UAND LA PO PULATIO N S ’E XP RIME
ESPACES DÉLAISSÉS
CE S RUI NE S 153
C
DÉLIMITER UN ESPACE - CRÉER UNE ATMOSPHÈRE
«Dans le cadre de ce programme culturel, nous avons proposé le temps d’une semaine de temps fort, plusieurs interventions locales questionnant l’espace urbain. Nous avons imaginé des solutions architecturales et artistiques réinterrogeant le sort de certains espaces laissés à l’abandon, amorces à un dialogue citoyen.»6
CO L LEC T I F E T C LAS V EGAS C RU G N Y (2013)
HAY 2 0 12 CO L LEC T IO N HAN S V E N H UI Z E N GA M E U R BAN I S M (2011)
Collectif etc : Las Vegas Grugny, 2013 [en ligne] <http://www. collectifetc.com/realisation/lasvegas-crugny/> (page consultée le 12/05/2015).
6
154 TO M E 2 > PART I E 0 3
Q UAND LA PO PULATIO N S ’E XP RIME
VUE DE L’ACTIVITÉ Rassemblement de la population serbe et croate de Croatie, devant les ruines anciennement fréquentés par l’ensemble de la population Yougoslave. Ces ruines changent donc de fonction pour devenir des lieux de réunion. Il s’agit alors, de proposer à la population de participer a différents ateliers, qui leurs permettra de communiquer ensemble.
C
CE S RUI NE S 155
156 TO M E 2 > CO N C L US IO N
INTENTIONS DE FINALISATION Pour produire un contact entre les Serbes et les Croates; ces derniers doivent prendre part et s’exprimer à travers l’acte de création. Ils ne doivent plus être vu comme de simples observateurs, mais comme acteurs de la création graphique. Les participants prennent part ainsi, à une véritable expérience collective; dans laquelle, les outils graphiques mis à disposition, leurs permettent de s’exprimer.
157
158 TO M E 2 > B I B L IOH RAP H I E
BIBLIOGRAPHIE COLLECTIF ETC. (2013). Las Vegas Grugny [en ligne] <http://www. collectifetc.com/realisation/las-vegas-crugny/>. GVARDIOL, T. (2014). Branitelji prekrivaju ćirilične ploče s hrvatskim zastavama, 24sata.hr [en ligne] <http://www.24sata.hr/news/braniteljiprekrivaju-cirilicne-ploce-s-hrvatskim-zastavama-364820>. KERBLER, J. (2013). Vukovar : Ponovo postavljene dve ćirilične table, novosti.rs [en ligne] <http://www.novosti.rs/vesti/planeta.300. html:451996-Vukovar-Ponovo-postavljene-dve-cirilicne-table>. MATIJEVIC, M. (2008). Ruševine [en ligne] <http://www.rusevine.com/>. PEJKOVIć, I. (2013). Vukovar nikad neće biti Bykobap, ezadar.hr [en ligne] <http://www.ezadar.hr/clanak/vukovar-nikad-nece-biti-bykobap>.
159
160
161
162
1
2
3
M É M OI R E DI R IG É PAR T I P HAI N E KA Z I - TAN I / VI N C E N T G I AV E L L I 2014—2015
R E M E RC I E M E N TS T I P HAI N E KA Z I - TAN I VI N C E N T G I AV E L L I P I E R R E GA Ë L STE UN OU D O M I N I Q U E B ECCAR I A
4
5
TO M E 3 > S O M M AI R E
SOMMAIRE TO M E 3
PA RT I E 0 1
PA RT I E 0 2
AP P E L AU RAS SE M B LE M E N T
UN L I E U D ' ÉC HANG E E T D ' E X P R E S S IO N CO L LEC T IV E
I N T RODUC T IO N
A
PAG E 6 / 7
A
UN E T Y PO G RAP H I E H Y B RI DE AU C E N T R E DU P RO J E T
CO N TE X TE D ' AP P L ICAT IO N
PAGE
14 / 29
B
PAG E 8 / 9
UN E F OC N T IO N N OU V E L LE PAGE
B
TE ST DE L I S I B I L I TÉ
P R É SE N TAT IO N DU P RO J E T
PAGE
30 / 33
C
PAG E 10 / 11
CO N C L US IO N PAG E 64
Q UAN D LA LE T T R E DEVI E N T M O B I L I E R PAGE
N OUS , LE P E U P LE . . . N OUS SE RO N T P R É SE N TS PAGE
48 / 51
34 / 45
52 / 53
C
LA PART IC I PAT IO N CO M M E M OY E N D ' E X P R E S S IO N PAGE
54 / 6 3
6
7
TO M E 3 > I N T RODUC T IO N
INTRODUCTION
M O N TA Ž ST RO J E T L ' É Q UI P E DE " P ROT UNAPAD " À LA R E N CO N T R E DE LA PO P ULAT IO N . (2014)
L'entrée de la Croatie et bientôt de la Serbie dans l'Union européenne, est une évolution fondamentale. On imagine impossible, un retour aux conflits. La situation ne peut aller qu'en s'améliorant. Lorsque je demande autour de moi, quelle est la solution pour apaiser les tensions entre Serbes et Croates; la réponse qui revient le plus souvent c'est le temps. Combiner le temps à la communication me paraît être un moyen plus efficace, et surtout plus rapide. Parler, même pour exprimer sa colère, c'est faire évoluer la situation. D'après mes précédentes recherches, il me semble que le meilleur moyen de rétablir la communication entre les individus, c'est de placer ces derniers au centre du processus créatif. En effet, c'est la participation commune à un même projet et l'expression collective qui va permettre de créer un contact entre la population. Le projet ne pourra alors exister que par l'intervention du public. Je pense qu'en étant acteur du projet, et pas seulement spectateur; l'investissement du public sera plus important. Pour cela, il est essentiel de créer un dispositif avec un univers familier, dans lequel les Serbes et les Croates se sentent en sécurité. De proposer des outils graphiques qui parlent à la population; tout en anticipant sa réaction. Rappelons que si les Serbes et les Croates parlent exactement la même langue, ils l'écrivent dans deux alphabéts différents (cyrillique pour les Serbes; latin pour les Croates). Au vu de son symbolisme fort, l'alphabet jouera donc un rôle déterminant dans ce projet, en intervenant dans chaque phase de création.
La compagnie croate Montažstroj a compris l'importance de la parole dans l'apaisement des relations serbo-croates. Engagée sur des questions politiques et sociétales, elle se place comme médiateur entre les deux peuples. Ce qui m'intéresse, c'est la manière dont la compagnie réunit la population croate et serbe autour d'ateliers intimes, ludiques et participatifs. Montažstroj collabore notamment avec l'équipe du documentaire PROTUNAPAD en allant à la rencontre de la population pour aborder le thème des mines sur le territoire croate. La population présente est constituée de démineurs, de soldats, de victimes d'accidents de mines, mais aussi de ceux qui se sentent concerné de près ou de loin par le sujet. C'est l'occasion pour les participants d'exprimer leurs expériences, leurs doutes ou leurs craintes, tout en manipulant des objets.1 C'est ce type de rencontre avec la population qui m'inspire dans mes intentions de projet.
Montažstroj : PROTUNAPAD, 2013 [en ligne] <http://www. montazstroj.hr/projekt/index. php?id=58> (page consultée le 22/08/2015).
1
8
9
TO M E 3 > CO N TE X TE D ’ AP P L ICAT IO N
CONTEXTE D’APPLICATION CONTEXTE Depuis la fin des conflits, les Serbes et les Croates vivent séparément. La tension entre les deux peuples est toujours palpable. L'entrée de la Croatie dans l'Union européenne a cependant permit une évolution de la situation. Elle a eu pour conséquence, le retour de plusieurs milliers de Serbes en Croatie, alors que celle-ci avait pour obligation de reconstruire les maisons serbes anciennement détruites. Cette loi imposé par la communauté européenne, a permis aux deux peuples de se rapprocher davantage. Ce qui m'intéresse, c'est tout ces points de contact où les Serbes et les Croates se croisent, se confrontent. Notons également qu'une partie de la population serbe n'a jamais quitté la Croatie, même ce pendant la guerre. Cette minorité serbe est souvent discriminé, mise à l'écart, comme nous le montre l'exemple des écoles séparés entre enfants serbes et croates, dans la ville de Vukovar. Rappelons également le retour récent (2013), de panneaux bi-alphabétiques en Croatie, qui ont provoqué des révoltes de la part de la population croate. J'ai par conséquent, choisi d'intervenir sur le territoire croate, qui, au vu des récents événements, me semble être le plus approprié à une rencontre entre les deux peuples.
On se retrouve ainsi face a des ruines de commences, d'écoles, d'usines que l'ensemble de la population yougoslave a fréquenté avant la guerre. Il est important de noter que dans chaque village ou petite ville croate, la population reconnait parfaitement ces lieux détruits, leurs fonctions; et conserve des souvenirs lié à ces endroits. Les parents quant à eux, transmettent à leurs enfants l'histoire de ces ruines. De la même façon, une de ces histoires m'a été transmise. Elle influencera mon choix du premier lieu d'implantation choisi. Ce lieu se situe à Smoković, un petit village près de Zadar. Le village compte des maisons de Croates et quelques maisons de Serbes reconstruites depuis les années 2010. La grande majorité de ces Serbes reviennent à Smoković durant les vacances d’été mais n’y habitent pas toute l’année.
CARTE DE LA C ROAT I E
S M O KOVIC
ZADAR
CIBLE Le dispositif, que je vais mettre en place, ciblera tous les Serbes et les Croates qui souhaitent s'exprimer au sujet de leurs relations mutuelles. À ceux qui veulent aller au-delà des préjugés et voir une amélioration de la situation.
LIEUX D'IMPLANTATION Le choix du lieu d'implantation du projet dépend de la réussite de ce dernier. Je pense qu'un lieu jugé "trop croate" ou "trop serbe" n'attirera pas l'ensemble de la population. Il devra être apolitique et familier aux deux peuples. Mon intérêt s'est très vite porté sur les ruines en Croatie. Il est difficile pour les touristes de noter ces endroits reculés, principalement présents dans les villages. Il en existe pourtant sur tout le territoire. Ces ruines renvoient aux conflits, et rappellent quotidiennement à la population la violence qu'ils ont subi. Certaines de ces ruines ont été conservés comme symbole de la guerre. Tandis que d'autres, n'ont toujours pas été reconstruites.
Parmi les ruines présentes, il y a celle d'une discothèque très populaire en ex-Yougoslavie. Malgré sa destruction, il n’est pas rare de voir se rassembler la jeune population de Smoković devant les ruines de cette dernière. Comme à l'époque, on se rassemble pour s'amuser, discuter, faire la fête. J'admets qu'il ne m'a jamais semblé curieux ou inconfortable d'y passer des moments. Au contraire, le lieu offre un cadre ouvert, propice au rassemblement; qui se fait de manière naturelle que cela soit pour la population croate ou serbe. Je remarque également que des passants s'attardent sur ces ruines; y font le tour, se remémorent le passé. Peut-on alors imaginer que les ruines retrouvent une seconde fonction et permettent à la population d’échanger ? Les rassemblements auxquels j'ai assisté, me donnent déjà un élément de réponse. Je pense que la population est nostalgique de ces lieux; elle ne les associe pas spécifiquement aux Serbes ou aux Croates, mais à la réunion de l'ensemble de la population et aux bons moments passées ensemble.
10
11
TO M E 3 > P R É SE N TAT IO N DU P RO J E T
PRÉSENTATION DU PROJET Rompre le silence entre les Serbes et les Croates en organisant une expérience collective réunissant la population dans un lieu précis. Le dispositif crée se compose de plusieurs activités dans lesquelles les deux peuples deviennent acteurs, en utilisant les outils mis à leurs disposition. C'est en participant à ces activités, que l'échange devient possible. L'alphabet cyrillique et l'alphabet latin auront une place centrale dans ce dispositif.
DESCRIPTION DU PROJET ÉTAPE N°1 : APPEL AU RASSEMBLEMENT Dans un premier temps, il s'agit de convier les Serbes et les Croates de Smoković, à se rassembler devant les ruines de l'ancienne discothèque. Pour cela, une campagne est organisé dans les rues du village afin de faire connaitre l'événement. Cette campagne devra communiquer aux Serbes et aux Croates de manière égale.
ÉTAPE N°2 : LA RENAISSANCE DES RUINES Une fois la campagne terminée, il s'agira d'investir les ruines de l'ancienne discothèque afin de créer une installation qui comprendra les différentes activités. Parmi elles, on retrouve : Deux ateliers d'écritures Un jeu (scrabble) Un atelier de cuisine La scénographie du lieu, ainsi que la signalétique reprendra l'univers graphique de la campagne. C'est cet univers qui créera une atmosphère agréable et familière à la population.
ÉTAPE N°3 : UN LIEU D'ÉCHANGE ET D'EXPRESSION COLLECTIVE Le rendez-vous des Serbes et des Croates se fera un jour précis. Le lieu sera facilement accessible et ouvert à tout ceux qui le veulent. Le public pourra participer à autant d'ateliers qu'il souhaite, et favoriser ainsi, la rencontre avec l'autre. C'est par le jeu, des ateliers ludiques mis en place; que la population pourra engager une discussion. Ça sera l'occasion pour des voisins qui se croisent quotidiennement; d'avoir une première approche l'un de l'autre, sans préjugés.
UN PROJET QUI CONTINUE Le rassemblement des Serbes et des Croates à Smoković lance la première série de rencontre entre les deux peuples. On peut imaginer ce genre d'événement dans n'importe quelle autre ville croate, à partir du moment où, une partie de la population le demande.
DONNER UNE PLACE À LA POPULATION Le designer graphique devient donc celui qui organise l'expérience en instaurant des règles précises; tandis que le public donne vie au dispositif. Sans lui, le projet n'existe pas. Le comportement des participants, leurs réflexions sont ici mis en jeu. C'est la diversité des réponse et des réactions qui mène à une discussion, un débat. Les Serbes et les Croates auront la possibilité d'aborder les thèmes qu'ils souhaitent. Je n'exclus pas la possibilité d'un dérapage. J'imagine qu'au vue de la sensibilité de certains sujets, des tensions peuvent apparaître au sein du dispositif. Cependant, je ne pense pas, qu'il s'agisse d'une mauvaise chose, au contraire. S'attendre à des réactions 100% positives serait naïf.
LE RÔLE DE L'ALPHABET La communication du projet sera centré sur l'alphabet. L'utilisation faite du cyrillique et du latin permettra à la population de comprendre rapidement les enjeux. En effet, le cyrillique, associé aux Serbes; sera fusionné au latin, associé aux Croates; créant ainsi symboliquement un rapprochement entre les deux peuples.
12
13
PA RT I E 0 1
AP P E L AU RAS SE M B LE M E N T
A
UN E T Y PO G RAP H I E H Y B RI DE AU C E N T R E DU P RO J E T PAG E
14 / 29
B
TE STE DE L I S I B I L I TÉ PAG E
30 / 33
C
N OUS , LE P E U P LE ... N OUS SE RO N T P R É SE N TS PAG E
34 / 4 5
14
01A TO M E 3 > PART I E 0 1
AP P E L AU RAS SE M B LE M E N T
A
UNE TY PO GRAPH I E H Y B RI DE AU CE NTRE DU P RO JE T 15
Alors que le serbe et le croate est une langue très similaire à l'oral, la différence d'alphabet (cyrillique et latin) participe aujourd'hui à la séparation des peuples. De ce fait, j'ai rapidement su que l'alphabet allait avoir une place centrale dans ce projet. La preuve en est; mes premières expérimentations qui portent sur la création d'une typographie bi-alphabétique. Fusionner les alphabets et les rendre lisible à la population serbe et croate, était une manière de démystifier, réconcilier la population. Mais surtout, de montrer, que le cyrillique et le latin ne sont pas si différent. Mon travail s'est poursuivi avec le développement de la version n°1 de la typographie bi-alphabétique présente dans le Tome 2. Pour rappel, cette version est construite à partir d'une typographie existante, la DIN. La DIN est une police publiée en 1931, par l’Institut de Normalisation Allemand; elle est principalement utilisé dans le domaine de la signalisation routière1. Cette typographie constituait un bon point de départ pour la création d'un langage de standardisation, d'une typographie hybride parfaitement lisible par les deux peuples. Le mode de fusion que j'ai choisi était criard, violent. Les deux lettres correspondantes (latin-cyrillique) sont cassées avant d'être reconstruites, de manière brut, fracturé, sans partager de partie commune. Ce mode de fusion me paraissais plus significatif, que celui de la deuxième version, qui était plus lisse, plus uniforme. Cependant, j'ai compris, au fil de mes expérimentations, que créer une typographie hybride parfaitement lisible, et "cohérente" allait être impossible. Les formes obtenus étaient très expressifs, mais plus proches du déchiffrage que de la lisibilité. Cette typographie exprimait en réalité, toute la complexité et l'histoire des Serbes et des Croates. Sept caractères identiques (A, E, J, K, M, O, T), dix caractères fusionnés en leur milieu (V, D, Z, N, S, Ć, U, X, C, Š) , six caractères ou le latin prend le dessus (B, G, I, P, R, Č ), et sept caractères où le cyrillique prend le dessus (Ђ, Ж, L, Lj, Nj, F, Џ). Chaque caractère exprime donc une phase différente de la relation serbo-croate. Parfois fluide, parfois en désaccord; où la domination de l'un est remplacée par la domination de l'autre. De plus cette typographie demande un effort de déchiffrage. La lecture n'est pas évidente. Si certains identifieront rapidement les lettres; d'autres auront plus de mal. Dans tous les cas, le message est le même "Déchiffrer les lettres; c'est découvrir l'autre. Cela s'annonce difficile, mais pas impossible.".
UNE TYPOGRAPHIE HYBRIDE AU CENTRE DU PROJET
Collectif intro : History of font : DIN, par Franck [en ligne] <http://www.collectif-intro.com/ blog/?p=2153> (page consultée le 10/08/2015).
1
TO M E 3 > PART I E 0 1
AP P E L AU RAS SE M B LE M E N T
LETTRE N°2
UNE TY PO GRAPH I E H Y B RI DE AU CE NTRE DU P RO JE T 17
A
LETTRE N°10
LETTRE N°3
L AT I N
CY R I L L .
L AT I N
L AT I N
CY R I L L .
A B V
LETTRE N°11
LETTRE N°12
I J K CY R I L L .
LETTRE N°1
A+A
Б+B
B+V
И+I
J+J
K+K
LETTRE N°4
LETTRE N°5
LETTRE N°6
LETTRE N°13
LETTRE N°14
LETTRE N°15
L AT I N
LlM CY R I L L .
CY R I L L .
L AT I N
CY R I L L .
CY R I L L .
CY R I L L .
L AT I N
L AT I N
G D d L AT I N
Г+G
Д+D
Ђ+Ð
Л+L
Љ + Lj
M+M
LETTRE N°7
LETTRE N°8
LETTRE N°9
LETTRE N°16
LETTRE N°17
LETTRE N°18
E+E
Ж+Ž
З+Z
H+N
CY R I L L .
L AT I N
L AT I N
CY R I L L .
N n O
L AT I N
CY R I L L .
L AT I N
E z Z CY R I L L .
CY R I L L .
16
Њ + Nj
O+O
П+P
P+R
C+S
LETTRE N°22
LETTRE N°23
LETTRE N°24
CY R I L L .
CY R I L L .
L AT I N
T c U T+T
Ћ+Ć
У+U
LETTRE N°25
LETTRE N°26
LETTRE N°27
X+H
Ц+C
LETTRE N°30
L AT I N
L AT I N
L AT I N
CY R I L L .
CY R I L L . CY R I L L .
L AT I N
CY R I L L .
L AT I N
L AT I N
F H C
LETTRE N°29
w Y s Ч+Č
L AT I N
L AT I N
L AT I N
CY R I L L .
L AT I N
P R S
Ф+F
LETTRE N°28
LETTRE N°21
L AT I N
LETTRE N°20
CY R I L L .
LETTRE N°19
UNE TY PO GRAPH I E H Y B RI DE AU CE NTRE DU P RO JE T 19
A
CY R I L L .
AP P E L AU RAS SE M B LE M E N T
CY R I L L .
TO M E 3 > PART I E 0 1
CY R I L L .
18
Џ+Dž
Ш+Ṧ
20
TO M E 3 > PART I E 0 1
AP P E L AU RAS SE M B LE M E N T
A
UNE TY PO GRAPH I E H Y B RI DE AU CE NTRE DU P RO JE T 21
22
TO M E 3 > PART I E 0 1
AP P E L AU RAS SE M B LE M E N T
A
UNE TY PO GRAPH I E H Y B RI DE AU CE NTRE DU P RO JE T 23
24
TO M E 3 > PART I E 0 1
AP P E L AU RAS SE M B LE M E N T
A
UNE TY PO GRAPH I E H Y B RI DE AU CE NTRE DU P RO JE T 25
26
TO M E 3 > PART I E 0 1
AP P E L AU RAS SE M B LE M E N T
A
UNE TY PO GRAPH I E H Y B RI DE AU CE NTRE DU P RO JE T 27
28
TO M E 3 > PART I E 0 1
AP P E L AU RAS SE M B LE M E N T
A
UNE TY PO GRAPH I E H Y B RI DE AU CE NTRE DU P RO JE T 29
30
01B TO M E 3 > PART I E 0 1
AP P E L AU RAS SE M B LE M E N T
TE ST DE L I S I B I L I TÉ 31
B
Réalisation d'un test de lisibilité de la typographie crée. Les questions posées au début du test me permettrons de classifier les réponses en fonction de plusieurs éléments :
ÂGE Je pense que les Serbes auront plus de facilité à déchiffrer la typographie, de part leur connaissance du cyrillique et du latin. Pour ce qui est des Croates, chaque tranche d'âge va avoir un rapport différent a l'alphabet cyrillique. En effet, les Croates nés après la guerre, en 1991, sont pour la grande majorité étranger au cyrillique. Pour ce qui est du reste de la population, cela varie au cas par cas. Certains se rappellent parfaitement de chaque lettre, tandis que d'autres ont des souvenirs plus vagues. Ce qui est sur, c'est que tous les Croates né en ex-Yougoslavie ont appris à écrire les deux alphabets.
ORIGINE Je m'adresse aux Serbes et aux Croates.
NIVEAU DE CONNAISSANCE DU CYRILLIQUE Je propose aux participants d'estimer leur connaissance du cyrillique : Niveau 0, 1, 2, 3, 4 ou 5.
DURÉE Les participants indiqueront approximativement la durée qu'il leur a fallu pour réaliser le test : moins de 2 min, entre 2 et 5 min, entre 5 et 10 min, plus de 10 min. Cela me permettra de déterminer, si la rapidité est en lien avec la reconnaissance des lettres Je propose ensuite aux participants d'identifier chaque lettre une par une; avant de déchiffrer trois phrases : Latin / Cyrillique Avec un peu de volonté, tout le monde peut comprendre. Nous, le peuple... Il me semble que même si chacun n'identifie pas toutes les lettres; ces dernières seront compréhensibles dans une phrase.
TEST DE LISIBILITÉ
32
TO M E 3 > PART I E 0 1
AP P E L AU RAS SE M B LE M E N T
TE ST DE L I S I B I L I TÉ 33
B
RÉSULTAT DU TEST
ANALYSE DES RÉSULTATS
94 personnes ont répondu au test.
La grande majorité des participants (97,2 %) ont su lire les phrases indépendamment de leurs origines serbe ou croate. Je constate également que la reconnaissance de certaines lettres est plus complexe que pour d'autres. Ainsi, la lettre "P" est la moins lisible, tandis que la lettre "D" est parfaitement déchiffrable avec 100 % de réussite. Cependant, la lettre "P" n'empêche pas la lecture d'une phrase. Parmi les 2,8 % de personnes qui n'ont pas su déchiffrer les phrases, 100 % sont croates appartenant à la jeune génération. Ces derniers, n'ont en effet, aucune approche du cyrillique, et sont les plus susceptible de passer à côté du message.
ÂGE 3,19 % moins de 18 ans 50 % entre 18-24 ans 17,02 % entre 25-34 ans 19,15 % entre 35-54 ans 10,64 % entre 55-64 ans 0 % 65 ans et plus
ORIGINE 51,06 % de Serbes 42,55 % de Croates 2,13 % de Serbo-croates 4,26 % de Serbo-monténégrins
NIVEAU DE CONNAISSANCE DU CYRILLIQUE 55,31 % niveau 5 8,51 % niveau 4 5,32 % niveau 3 7,45 % niveau 2 0 % niveau 1 23,4 % niveau 0
DURÉE 33,3 % moins de 2 min 66,7 % entre 2-5 min
PHRASES 98 % des participants ont déchiffré la phrase : Latin / Cyrillique 100 % des participants ont déchiffré la phrase : Avec un peu de volonté, tout le monde peut comprendre. 93,3 % des participants ont déchiffré la phrase : Nous, le peuple... Ainsi, 97,2 % de personnes ont pu lire les phrases. Parmi les 2,8 % restants, 100% sont croates (âgés de moins de 18 ans; ou entre 18-24 ans) ayant répondu en moins de 2 min.
LETTRES La reconnaissance des lettres varie en fonction de celles-ci. Ainsi, la lettre "P" est déchiffré par 64,5 % des participants; tandis que la lettre "D" est déchiffré par 100 % des participants.
34
01C TO M E 3 > PART I E 0 1
AP P E L AU RAS SE M B LE M E N T
NOUS , LE PE U PLE ... NOUS SE RO NT P RÉ SE NT 35
C
La campagne visant à rassembler la population serbe et croate de Smoković, est axé autour de la typographie hybride, crée précédemment. Le village, ne possédant pas de panneaux publicitaires classiques; j'ai choisi d'utiliser deux types de supports : des affiches, présentes dans les stations de bus du village et de ses alentours; ainsi que des panneaux mobiles. Le choix des panneaux est double. En plus d'être un support pratique, facilement déplaçable; il renvoie à la problématique des panneaux bi-alphabétiques survenus dans la ville de Vukovar. Les supports de communication sont construits de la même façon : une phrase avec un message précis (en typographie hybride) + un univers visuel lié à la culture serbe et croate. Le but de la phrase est d'interpeller les passants, en les incluant dans le message. En parlant pour la population, celle-ci se sentira concerné, si le message inscrit correspond à sa pensée. Nous souhaitons le progrès. Notre pays, notre force. Nous passons outre les préjugés. Des thèmes sensibles peuvent être abordés, comme des thèmes plus légers. Dans les deux cas, le message parlera à l'ensemble de la population. L'objectif est de faire adhérer les Serbes et les Croates à ces messages, pour leurs donner envie d'en savoir un peu plus : "Si vous aussi, vous faites partie de ce peuple, venez en parler". De plus, l'utilisation de la typographie hybride permet à la population de comprendre rapidement les enjeux. En effet, la fusion du cyrillique (associé aux Serbes) et du latin (associé aux Croates) crée symboliquement un rapprochement entre les deux peuples. Rappelons que la typographie hybride demande également un effort de déchiffrage. En déchiffrant le message, la population marquera sa première participation à ce projet. Création d'une série d'affiches en jouant avec la lisibilité de ces dernières. Elles seront présentes dans les stations de bus de Smokovié, et de ses alentours. Les stations de bus, sont en effet très utilisées pour l'affichage. On y retrouve souvent des annonces de toutes sortes; des affiches concernant un événement dans le village, des soirées à venir dans la ville d'à côté, etc... Les stations sont donc, des endroits de passage, où la population a pour habitude, de trouver des informations. Les affiches seront présente par deux ou trois. Certaines indiquent un message clair, tandis que d'autres jouent avec la lisibilité devenant ainsi plus symboliques.
NOUS, LE PEUPLE... NOUS SERONT PRÉSENTS
36
TO M E 3 > PART I E 0 1
UN E TYPO GRAPHIE HYB RIDE AU CŒU R DU P ROCE S SUS DE CRÉATIO N
C
NOUS , LE PE U PLE ... NOUS SE RO NT P RÉ SE NT 37
38
TO M E 3 > PART I E 0 1
UN E TYPO GRAPHIE HYB RIDE AU CŒU R DU P ROCE S SUS DE CRÉATIO N
C
NOUS , LE PE U PLE ... NOUS SE RO NT P RÉ SE NT 39
40
TO M E 3 > PART I E 0 1
UN E TYPO GRAPHIE HYB RIDE AU CŒU R DU P ROCE S SUS DE CRÉATIO N
Les panneaux crées, se composent des mêmes éléments que les affiches, tout en gardant, le même univers graphique. Leurs formes "libres", les distinguent des autres panneaux routiers. Habituellement sobres, et sérieux; ces panneaux sont au contraire, très voyant, avec des couleurs criardes.
C
NOUS , LE PE U PLE ... NOUS SE RO NT P RÉ SE NT 41
42
TO M E 3 > PART I E 0 1
UN E TYPO GRAPHIE HYB RIDE AU CŒU R DU P ROCE S SUS DE CRÉATIO N
NOUS , LE PE U PLE ... NOUS SE RO NT P RÉ SE NT 43
C
LIEU D'IMPLANTATION DES SUPPORTS DE COMMUNICATION
Murvica
Smoković
Zadar Crno Zeminik Donji
Ruines de l'ancienne discothèque (lieu du rassemblement) Villes ou villages, où seront implantés les supports de communication Stations de bus Implantation de panneaux
Zeminik Gornji
44
TO M E 3 > PART I E 0 1
UN E TYPO GRAPHIE HYB RIDE AU CŒU R DU P ROCE S SUS DE CRÉATIO N
Vue des stations de bus
C
NOUS , LE PE U PLE ... NOUS SE RO NT P RÉ SE NT 45
46
47
PA RT I E 0 2
UN L I E U D ' ÉC HANG E E T D ' E X P R E S S IO N CO L LEC T IV E
A
UN E F O N C T IO N N OU V E L LE PAGE
48 / 51
B
Q UAN D LA LE T T R E DEVI E N T M O B I L I E R PAGE
52 / 53
C
LA PART IC I PAT IO N CO M M E M OY E N D ' E X P R E S S IO N PAGE
54 / 6 3
48
02A TO M E 3 > PART I E 0 2
UN L I E U D ' ÉC HANG E E T D ' E X P R E S S IO N CO L LEC T IV E
UNE FO NCTIO N NOU V E L LE 49
A
DES RUINES IDÉALES Une fois la campagne terminée, la population est invitée à se rassembler devant les ruines de l'ancienne discothèque. Situé au centre de Smoković, à côté de l'autoroute principale; le lieu est idéal d'accès, que cela soit pour les habitants du village, où pour ceux qui viennent de plus loin. Une station de bus est également présente, à quelque mètres du lieu. Ce qui a séduit les premiers occupants de ces ruines, c'est avant tout l'espace du terrain, qui permet d'accueillir beaucoup de monde. Un parking est également présent. Vient ensuite, l'atmosphère du lieu. Si certaines ruines sont complètement détruites, celles-ci, le sont partiellement. On retrouve ainsi des constructions, sur lesquelles il est possible de s'asseoir. La végétation présente, offre une certaine intimité; d'autant plus, que l'endroit est calme, avec peu de maisons aux alentours. Enfin, ces ruines n'appartiennent à personne, tout en appartenant à tout le monde. La liberté d'y entrer a avivé la curiosité de certains, qui ont fini par en faire un lieu de rencontre comme un autre. N'oublions pas, que ces ruines avaient un passé, ont un présent, et auront un futur. L'évolution du lieu, est en lien direct avec l'évolution de l'histoire, et de la relation entre les populations. Intervenir sur ce lieu, c'est lui redonner une seconde vie. On met en avant le bon dans la destruction, pour reconstruire sur de nouvelles bases.
INTERVENTION SUR LES LIEUX L'installation sur les lieux sera donc visible de l'extérieur, aux regards des passants. La signalétique reprendra l'univers graphique de la campagne de rassemblement, permettant à la population de reconnaître l'événement. J'ai tendance à croire, que vu le positionnement des ruines dans le village, et le peu d'habitants qui y vivent; l'information de l'événement se transmettra assez rapidement, même pour ceux qui sont passé à côté des affiches. Les panneaux constitueront la signalétique intérieure et extérieure. Ils guideront les participants dès l'entrée des ruines, jusqu'au différents ateliers, parmi lesquelles : Deux ateliers d'écritures Un jeu (scrabble) Un atelier de cuisine
UNE FONCTION NOUVELLE
50
TO M E 3 > PART I E 0 2
UN L I E U D ' ÉC HANG E E T D ' E X P R E S S IO N CO L LEC T IV E
Vue des ruines de l'ancienne discothèque à Smoković
A
UNE FO NCTIO N NOU V E L LE 51
52
02B TO M E 3 > PART I E 0 2
UN L I E U D ' ÉC HANG E E T D ' E X P R E S S IO N CO L LEC T IV E
QUAND LA LETTRE DEVIENT MOBILIER
B
Q UAND LA LE TTRE DEVI E NT M O B I L I E R 53
Utilisation de lettres en volume pour créer un mobilier sur les lieux. Ces lettres sont issues de la typographie hybride crée précédemment. Elles sont décomposées en fonction de leur mode de fusion. On obtient ainsi, des parties de lettres en cyrillique et des parties de lettre en latin. Ce mobilier typographique, permet d'inscrire davantage l'alphabet dans ce projet.
54
02C TO M E 3 > PART I E 0 2
UN L I E U D ' ÉC HANG E E T D ' E X P R E S S IO N CO L LEC T IV E
LA PARTICIPATION COMME MOYEN D'EXPRESSION
C
LA PARTICI PATIO N CO M M E M OY E N D ' E XP RE S S IO N 55
Le jour du rassemblement, le public aura la possibilité de rester autant qu'il le désire; en participant aux ateliers qu'il souhaite. La liberté qu'avait la population de visiter ces ruines sera conservée; l'entrée sera ouverte gratuitement à tout le monde. La scénographie du lieu ne sera pas fixe; les participants pourront déplacer du mobilier ou des ateliers, si ils le souhaitent. L'objectif étant de se sentir à l'aise, en montrant aux participants, que c'est eux, les acteurs de cet événement.
56
TO M E 3 > PART I E 0 2
UN L I E U D ' ÉC HANG E E T D ' E X P R E S S IO N CO L LEC T IV E
SCRABBLE La boîte du scrabble est réalisée en médium 6mm. Son couvercle coulissant contient le plateau du jeu au verso. Cet objet rigide sert donc de support au scrabble, que l’on va pouvoir poser n’importe où. La boîte contient : + Un plateau de jeu + 104 lettres + Un sac de rangement + 4 chevalets + Les règles du jeu + 1 bloc-note et un crayon En superposant l’alphabet cyrillique et l’alphabet latin, les deux alphabets se fusionnent et communiquent d’une même voix. Ici les couleurs utilisées correspondent aux couleurs de la Croatie (rouge) et de la Serbie (bleu).
C
LA PARTICI PATIO N CO M M E M OY E N D ' E XP RE S S IO N 57
En rajoutant des éléments faisant référence à la relation serbo-croate; l’objectif est de s’adresser directement aux deux peuples afin de provoquer une discussion dans le cadre d’un jeu.
58
TO M E 3 > PART I E 0 2
UN L I E U D ' ÉC HANG E E T D ' E X P R E S S IO N CO L LEC T IV E
C
LA PARTICI PATIO N CO M M E M OY E N D ' E XP RE S S IO N 59
60
TO M E 3 > PART I E 0 2
UN L I E U D ' ÉC HANG E E T D ' E X P R E S S IO N CO L LEC T IV E
COMPOSER POUR ÉCRIRE Les participants sont invités à écrire une phrase à partir de 52 éléments, dans l’alphabet qu’ils souhaitent (cyrillique ou latin). L’objectif étant de démystifier le cyrillique pour montrer qu’il n’est pas si différent du latin. Les participants se confrontent ainsi à des formes appartenant aux deux alphabets.
C
LA PARTICI PATIO N CO M M E M OY E N D ' E XP RE S S IO N 61
62
TO M E 3 > PART I E 0 2
UN L I E U D ' ÉC HANG E E T D ' E X P R E S S IO N CO L LEC T IV E
NORMOGRAPHE Un normographe est un outil de dessin industriel servant à tracer des lettres ou des symboles. Ici, c’est les éléments composants l’alphabet cyrillique et l’alphabet latin qui sont représentés.
C
LA PARTICI PATIO N CO M M E M OY E N D ' E XP RE S S IO N 63
64
TO M E 3 > CO N C L US IO N
CONCLUSION Le rassemblement de la population serbe et croate permet à ces dernières de vivre une expérience collective, autour d'ateliers centrés sur l'alphabet et le langage. Le processus de création des affiches, dans les ateliers d'écritures, prime sur le résultat final. De la même façon, ce n'est pas de gagner au jeu de scrabble qui est important, mais c'est la phase de participation et de confrontation des deux peuples. Ce n'est évidemment pas, ce rassemblement, qui va régler tous les problèmes. J'ai conscience de la difficulté de la situation. Le chemin vers l'apaisement est encore long. Mais j'ai également tendance à croire, que multiplier des actions de rencontre, simples et ludiques; c'est une manière de participer et d'accompagner les peuples vers la réconciliation.
65
66
67
68