Anne-Laure GAUTIER-Etude d'un ensemble de documents ramenés des camps de concentration et de travail

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Mémoire présenté en vue de l’obtention du titre de Restaurateur Conservateur de biens culturels des Écoles de Condé

Étude d’un ensemble de documents ramenés des camps de concentration et de travail de Leipzig et de Mauthausen par trois déportées françaises, pendant la Seconde Guerre Mondiale

Étude comparative de résistance à l’abrasion de trois fixatifs utilisés en consolidant de techniques graphiques

Recettes de cuisine, kommando, abrasion, tourne-disque, renforts colorés

Anne Laure GAUTIER Arts Graphiques – Promotion 2014


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Remerciements Mes premières pensées reviennent tout naturellement à ma grand-mère, Mme Christiane Hingouët-Cabalé, ainsi qu’à Mr Vladimir Trouplin, Conservateur du Musée de l’Ordre de la Libération. Sans eux, ce mémoire n’aurait jamais vu le jour. Ils m’ont fait confiance pendant ces deux dernières années et je les en remercie. Je tiens également à remercier très chaleureusement mes maîtres de stage qui ont énormément contribué à ma formation par leur savoir-faire et surtout leur confiance. Je remercie donc Mme Liénardy, Mme Huguet-Broquet, Mme Müller-Sanchez et Mr Laforest. Je tiens également à remercier l’ensemble du corps professoral de l’école de Condé, et plus particulièrement mes tuteurs : Mme Mouraud, Mr Ollier, Mr Pepe, ainsi que Mme Auliac et Mme Wolff-Bacha. Je remercie aussi Mme Mortureux et Mme Boisdur pour leur soutien infaillible et indéfectible. Je remercie sincèrement toutes les personnes qui ont contribué à ce mémoire. Ce fût pour moi des rencontres, avec des échanges riches et passionnants : Anne Georget, Pierre Haury, Emmanuelle Schmitt, Cécile Pennegat, Laurence Crespel Taudière ainsi que l’ensemble du personnel de la Bibliothèque du Musée des Arts Décoratifs et des Archives Nationales. Un grand merci à Blanche de la Taille, Lara Meersseman, Chloé Gilles et Laura Debry pour leur travail de relecture et leur aide précieuse. Me viennent évidemment à l’esprit tous mes camarades de promotion et plus particulièrement Laurène, Eva, Lisiane, Doriane, Audrey et Marion. Ainsi que mes camarades de la promotion 2015. Et enfin mille fois merci à mes parents, qui m’ont soutenu pendant la totalité de mes études. Un grand merci à mon frère Nicolas, pour ses conseils techniques, et à Hervé, pour son soutien et sa patience.

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Résumé Ce mémoire est consacré à l’étude et à la Conservation-Restauration de six documents produits lors de la Seconde Guerre Mondiale par trois déportées françaises en camps de concentration et de travail (Ravensbrück, Leipzig et Mauthausen).

Ce corpus se présente sous la forme de quatre carnets de recettes de cuisine, un carnet d’adresses et une carte de rapatriée. Ces documents présentent de multiples techniques manuscrites, des procédés d’impression off set ainsi que des tampons. Les nombreuses techniques graphiques, mais aussi les problématiques imposées par les papiers de couleur, ainsi que la fonction dimensionnelle de ces objets, ont été significatifs dans la Conservation-Restauration de ces documents. Ce mémoire aborde aussi la nécessité de la numérisation de tels témoins historiques.

Pour l’étude historique, notre attention s’est portée sur les carnets de recettes de cuisine, qui semblent être une récurrence de l’écriture dans un système concentrationnaire. Cela nous a amené à nous interroger sur la récurrence de ces objets dans ce contexte, les matériaux qui ont été utilisés, mais aussi la finalité de tels documents.

L’abrasion du graphite sur la première de couverture du carnet d’adresses, ainsi que de l’encre carbone sur la carte de rapatriée, nous ont amené à étudier un classement à l’abrasion des trois fixatifs utilisés en consolidant de techniques graphiques : l’hydroxypropylcelullose, la méthylcelullose et la gélatine. Nous démontrerons que c’est la méthylcelullose qui apporte les résultats les plus satisfaisants dans ce classement.

Ces documents ont été restaurés selon deux axiomes : rendre son intégrité au carnet du Musée de l’Ordre de la Libération pour le rendre consultable et manipulable, et assurer une bonne conservation pour les cinq autres documents, qui sont destinés à un usage familial et privé.

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Abstract This thesis is devoted to the study and Conservation- Restoration of six documents written during the Second World War by three French women who had been deported in concentration and work camps of Ravensbrück, Mauthausen and Leipzig.

This corpus includes four recipe notebooks, an address book and a repatriated card. Those documents present, many handwritten methods, offset printing procedures and stamps. . Many graphics techniques, but also the problems due to the colored paper and dimensional function of these objects, were significant matters, concerning the Conservation-Restoration of these documents. This thesis also emphasized the need for scanning such historical testimonies.

As for the historical study, the attention was drawn towards the recipe notebooks, which seemed to be

a recurrence in the writing of concentration camp’s system. This brought me to wonder about

the recurrence of these objects within this context, the materials which were used, but also the purpose of such documents.

The abrasion of graphite on the front cover of the address notebook, and the carbon ink on the repatriated card, brought me to study a classification order of the abrasion of the three fixatives used in consolidating graphics techniques: the hydroxypropylcelullose the methylcelullose and gelatin. I have proven that, the methylcelullose provides the most satisfactory results in this ranking.

These documents have been restored according to two axioms : to give the Musée de l’Ordre de la Liberation recipe’s notebook back, fully restored, and therefore suitable to any research or manipulation. And to ensure a good conservation for the other five documents, which are intended for family archives and private use.

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FICHE D’IDENTIFICATION N°1 Nom et prénom de l’étudiant : Gautier Anne Laure Spécialité : Arts Graphiques Promotion : 2014 Titre ou désignation de l’œuvre : Étude d’un ensemble de documents ramenés du camp de travail de Leipzig par deux déportées, pendant la Seconde Guerre Mondiale Sujet technico-scientifique : Étude comparative de résistance à l’abrasion de trois fixatifs utilisés en consolidant de techniques graphiques

Photographies (des faces) avant et après intervention

Statut Cotation, n° d’inventaire et/ou collection - fond : privé

Renseignements relatifs à l’objet Nom de l’auteur : Léonce et Christiane Hingouët Époque : 1943 - 1945 Dimensions : ◦ Carnet d’adresse : 7,5 x 5,25 x 0,35 cm (dimensions carnet fermé) ◦ Carte de rapatriée : 13,25 x 10,4 cm (dimensions carte fermée) ◦ Recettes culinaires n°1 : 21,5 x 16,8 x 0,5 cm ◦ Recettes culinaires n°2 : 21,4 x 16,8 x 0,6 cm ◦ Recettes culinaires n°3 : 21,4 x 16,9 x 0,4 cm

État de conservation et présentation des altérations État de conservation : Moyen à mauvais

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Présentation des altérations : Altérations de surface

Abrasion, empoussièrement, feutrage

Altérations mécaniques

Fragilité des périphéries, papier cassant, plis, déchirures, lacunes, problème de couture

Autres altérations

Jaunissement, taches de foxing

Altération de la technique graphique Abrasion, sensibilité, décoloration, transferts

Fonction et nature de l’objet Description – représentation : Ce corpus de documents a été réalisé lors de la détention de Léonce et Christiane Hingouët dans le camp de travail de Ravensbrück et de Leipzig. On y trouve un carnet d’adresse, la carte de rapatriée de Christiane Hingouët, trois carnets de « recettes culinaires » numérotés de 1 à 3 (près de 200 recettes au total), ainsi que des fiches récapitulatives 1 des recettes. Pour faire le carnet et les livres de cuisine, Léonce et Christiane Hingouët ont récupéré du papier allemand de l’usine Hazag à Leipzig. On aperçoit de ce fait au recto des feuilles, des pages imprimées qui sont des feuilles d’heures de travail. De plus, elles ont fabriqué les reliures sur place, trouvant ainsi du fil et une aiguille. Enfin, la carte de rapatriée quant à elle, a été délivrée à Christiane Hingouët à Thionville, à son arrivée sur le territoire français. Matériaux constitutifs : papier vélin (crème, rose et vert) Technique(s) : Le carnet d’adresse : Crayon graphite (plusieurs duretés) ; encre de stylo bleu ; encre de tampon violette et rose ; encre de stylo plume noire et bleue La carte de rapatriée : Encre de papier carbone ; encre de stylo plume bleue foncée, bleue claire, bleue turquoise, noire et verte ; encre de tampon noire, violette, bleue claire et bleue foncée ; encre empreintes digitales violette Les livres de « recettes culinaires » : Crayon graphite ; encre de stylo bleu ; encre de tampon violette, rouge ; crayon de couleur violet, bleu

Documentation Propriétaire : Mme Christiane Cabalé (nom de jeune fille : Hingouët) Lieu de conservation : privé Valeur culturelle : valeur historique, sentimentale, commémorative, de recherche et d’usage2 valeur historique : « L’objet est associé à un évènement historique » valeur sentimentale : « L’objet engendre des sensations personnelles » valeur commémorative : « L’objet commémore une personne ou un évènement » valeur de recherche : « L’objet peut apporter des informations à des chercheurs » valeur d’usage : « L’objet est en usage »

1 2

Vue des fiches en annexe 1 Définitions selon Barbara Appelbaum, Conservation Treatment Methodology, Butterworth-Heinemann, 2007, p. 437

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FICHE D’IDENTIFICATION N°2 Nom et prénom de l’étudiant : Gautier Anne Laure Spécialité : Arts Graphiques Promotion : 2014 Titre ou désignation de l’œuvre : Étude d’un carnet de recettes de cuisine ramené du camp de déportation de Mauthausen, par une déportée, pendant la Seconde Guerre Mondiale Sujet technico-scientifique : Étude comparative de résistance à l’abrasion de trois fixatifs utilisés en consolidant de techniques graphiques Photographies (des faces) avant et après intervention

Statut N° d’inventaire : 3163 de la collection du Musée de l’Ordre de la Libération

Renseignements relatifs à l’objet Nom de l’auteur : inconnue Époque : 1943 Dimensions du carnet fermé : 23,2 x 17,2 x 0,9 cm Dimensions du carnet ouvert : 23,2 x 34,4 cm État de conservation et présentation des altérations État de conservation : Mauvais

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Présentation des altérations : Altérations de surface

Empoussiérement

Altérations mécaniques

Fragilité sur les périphéries, reliure rompue, déchirures, plis, lacunes

Autres altérations

Jaunissement général du papier, jaunissement important sur les premières pages du carnet, traces de foxing éparses

Altération de la technique graphique Effacement et/ou décoloration des couleurs sur la première de couverture

Fonction et nature de l’objet Description – représentation : Ce carnet a été réalisé lors de la détention d’une déportée dans le camp de Mauthausen. Cette déportée est cependant inconnue du Musée de l’Ordre de la libération. C’est un carnet d’environ 60 feuillets, qui comporte des recettes de cuisine. La plupart des pages ne semblent pas être dans le bon ordre et ne sont pas paginées, du fait que la reliure s’est rompue. On observe également un ajout de feuillets, de dimensions et de graphologie différentes. La totalité du carnet est manuscrit mais on observe sur certaines feuilles volantes la présence d’une technique d’impression (papiers trouvés dans le camp de Mauthausen). Matériaux constitutifs : papier vélin crème Technique(s) : crayon graphite, et/ou copy pencil, et/ou encre stylo bleu, et crayon de couleur vert et violet. Documentation Prêteur : musée de l’Ordre de la Libération Lieu de conservation : musée de l’Ordre de la Libération Valeur culturelle : valeur historique, commémorative, de recherche et d’usage valeur historique : « L’objet est associé à un évènement historique » valeur commémorative : « L’objet commémore une personne ou un évènement » valeur de recherche : « L’objet peut apporter des informations à des chercheurs » valeur d’usage : « L’objet est en usage »

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Table des matières Avant-propos

15

Introduction générale

16

Chapitre un : Étude historique

17

Introduction

19

1.

Le contexte de l’écriture : les camps de concentration et de travail du système concentrationnaire nazi 1.1.

1.2.

1.3.

2.

2.2.

2.3.

21

1.1.1.

Les documents ramenés par Léonce et Christiane Hingouët

21

1.1.2.

Le carnet de la déportée inconnue de Mauthausen

24

Présentation des koncentrationlagers et des kommandos de travail

26

1.2.1.

Ravensbrück et le kommando Siemens

26

1.2.2.

Mauthausen et la carrière de Wiener Graben

28

1.2.3.

Leipzig et le kommando Hasag

29

Les conditions de vie

31

1.3.1.

Le quotidien des déportées

31

1.3.2.

La faim : une réalité quotidienne

33

1.3.3.

Le système concentrationnaire nazi

35

1.3.4.

L’écriture : de l’humanisation dans la déshumanisation

36

Les conditions, les matériaux et la récurrence de l’écriture 2.1.

3.

Présentation des caractéristiques des documents

21

Les conditions de création

39 39

2.1.1.

Avec qui et à quelles occasions ?

39

2.1.2.

Le contenu

40

2.1.3.

Une production à cacher

43

Les matériaux : une matière première indispensable

44

2.2.1.

Un crayon et du papier

44

2.2.2.

De fil en aiguille

46

La récurrence et l’universalité du phénomène

48

2.3.1.

Une récurrence des recettes et de l’iconographie

48

2.3.2.

L’universalité des recettes

51

La finalité d’une telle écriture

54

3.1.

‘Un crayon pour fuir la réalité’ et rester humain

54

3.2.

‘Informer malgré les risques’

55

3.3.

Un objet de transmission, de témoignage

57

3.4.

Un acte communautaire pour se souvenir

58

Conclusion de l’étude historique

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60 11


Chapitre deux : Étude technico-scientifique

65

Introduction

67

4.

Le contexte d’étude

69

4.1.

Le graphite

69

4.2.

L’encre de papier carbone

70

4.3.

Phénomène de l’abrasion

71

4.4.

5.

Choix des fixatifs

71

4.4.1.

La gélatine

72

4.4.2.

L’hydroxypropylcellulose

73

4.4.3.

La méthylcellulose

73

4.4.4.

Tableau comparatif des avantages et des inconvénients des colles utilisées pour notre protocole expérimental

74

Mise en place du protocole expérimental

75

5.1.

Recherche d’une machine à l’abrasion

75

5.2.

Description des paramètres

76

6.

Protocole expérimental

81

6.1.

Étude de la répétabilité de la méthode

81

6.2.

La gélatine

83

6.3.

La Tylose

84

7.

Calculs d’erreur, courbes et analyse des données

85

7.1.

La Klucel G

85

7.2.

La gélatine

85

7.3.

La méthylcellulose

87

7.4.

Croisement et interprétation des résultats

88

Conclusion de l’étude technico-scientifique

91

Chapitre trois : Rapport de restauration

95

Introduction

97

Constat d’état n°1 : octobre 2012

99

8.

9.

12

Nature des matériaux constitutifs

99

8.1.

Le carnet d’adresses

99

8.2.

La carte de rapatriée

100

8.3.

Les carnets de recettes culinaires

101

Constat d’état des altérations

103

9.1.

État de conservation général

103

9.2.

La mesure du pH

103

9.3.

Altérations de surface

105

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10.

9.4.

Altérations mécaniques

105

9.5.

Autres Altérations

106

9.6.

État de conservation des techniques graphiques

107

Diagnostic : les causes des altérations

Constat d’état n°2 : octobre 2012

108

111

11.

Nature des matériaux constitutifs

111

12.

Constat d’état des altérations

112

13.

12.1.

État de conservation

112

12.2.

Mesure du pH du papier

112

12.3.

Altérations de surface

113

12.4.

Altérations mécaniques

113

12.5.

Autres Altérations

114

12.6.

État de conservation des techniques graphiques

115

Diagnostic : les causes des altérations

Propositions de traitement

115

117

14.

Privilégier l’information & la consultation

117

15.

Tests de solubilité

117

15.1.

Les papiers colorés

118

15.2.

Les techniques graphiques

119

16.

Identification des fibres

123

17.

Propositions de traitements de restauration

125

17.1.

Dépoussiérage, gommage

125

17.2.

Désacidification

126

17.3.

Consolidation de la technique graphique

126

17.4.

Consolidation des déchirures et renforts

127

17.5.

Comblement des lacunes

128

17.6.

Retouche indirecte

128

17.7.

Remontage du carnet de Mauthausen

129

17.8.

Recherche de conditionnements

130

17.9.

Projet de numérisation

131

Les traitements de restauration

133

18.

Dépoussiérage

133

19.

Désacidification

134

20.

Consolidation de la technique graphique

134

21.

Aplanissement des plis

135

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13


22.

Consolidation des déchirures, renforcement du papier 22.1.

Projet retouche : le camouflage de déchirures avec du papier coloré

22.2. Le renfort de papiers colorés : application

137 137 141

22.3. Renforts et consolidations du carnet du Musée de l’Ordre de la Libération et de la carte de rapatriée 142 22.4. Comblement des lacunes

144

22.5. Consolidation des reliures et des papiers de couvrure

145

23.

Numérisation des carnets de recettes

146

24.

Retouche

148

25.

Remontage du carnet du Musée

148

26.

Conditionnements

149

26.1.

Les documents de Christiane Hingouët-Cabalé

149

26.2. Le carnet du Musée de l’Ordre de la Libération

150

Conclusion

155

Conclusion générale

156

Bibliographie

159

Table des illustrations

165

Source des illustrations

169

Annexe 1

173

Annexe 2

175

Annexe 3

177

Annexe 4

179

Annexe 5

181

Annexe 6

201

Annexe 7

203

Annexe 8

211

Annexe 9

213

Annexe 10

215

Annexe 11

225

Annexe 12

231

Annexe 13

233

Annexe 14

235

14

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Avant-propos Passionnée d’Histoire, et notamment par la période 1939-1945, j’ai souvent entendu les récits de mes grands-parents qui ont participé activement à cette guerre. Ma grand-mère paternelle, Mme Christiane Hingouët-Cabalé, déportée pour des faits de résistance, se fait un devoir depuis plus de 30 ans de transmettre aux jeunes générations son vécu pendant la Seconde Guerre Mondiale. Dès le départ, j’ai voulu trouver une oeuvre de mémoire relative à cette période, et de préférence une oeuvre produite dans les camps de concentration. J’ai alors contacté des anciens déportés, des institutions dans l’espoir qu’elles aient dans leurs collections des dessins de détenus et des amicales de déportation, mais sans succès. Parallèlement, j’ai relu le livre que Mme Christiane Hingouët-Cabalé a écrit en 2009, En 1944, j’ai vingt ans 3, pour laisser un témoignage à sa famille de son expérience personnelle. À mon grand étonnement, je (re)découvre qu’elle y évoque des carnets de recettes de cuisine et un carnet d’adresse, écrits avec sa mère Léonce Hingouët, lors de leur détention au camp de Leipzig : « Nous notons sur du papier et avec des crayons apportés de l’usine les recettes des unes et des autres. Maman en faisait autant de son côté avec ses amies. Si bien que nous avons rapporté trois ‘recueils’ de ces secrets culinaires, où il y a près de deux cents recettes 4. »5. J’ai, bien sûr, demandé à ma grand-mère si elle avait conservé ses carnets. Par chance, ils étaient rangés au fond d’un placard. Sentant ma curiosité grandissante, elle m’a aussi montré sa carte de rapatriée de déportée politique. Toutefois les documents étant trop peu altérés, j’ai contacté par la suite Mr Trouplin, le Conservateur du Musée de l’Ordre de la Libération. Ce dernier m’a proposé un carnet de recettes de cuisine écrit dans les camps par une déportée inconnue. Cela a été une évidence : ce carnet, les trois carnets de ma grand-mère, ainsi que son petit carnet d’adresse et sa carte de rapatriée, devaient constituer mon oeuvre de mémoire. De ce fait, ces documents m’ont permis d’avoir pour mon mémoire de fin d’étude, un domaine de recherches passionnant avec des problématiques originales.

HINGOUËT-CABALÉ, Christiane. En 1944, j’ai 20 ans. Savenay : Impression Le Sillon, octobre 2009, 94 p. En fait les recueils ne contiennent pas 200 recettes, mais plus de 400 5 HINGOUËT-CABALÉ, Christiane. Idem, p. 65 3 4

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Introduction générale Ce mémoire est consacré à l’étude et à la Conservation-Restauration d’un corpus de documents ramenés des camps de concentration et de travail de Leipzig et de Mauthausen, par trois déportées, pendant la Seconde Guerre Mondiale. Cet ensemble comprend six documents, dont quatre sont des carnets de recettes de cuisine, un carnet d’adresses et une carte de rapatriée. Trois des carnets de cuisine ont été écrits par Christiane Hingouët-Cabalé, avec l’aide de sa mère Léonce Hingouët, toutes deux déportées en 1944 à Ravensbrück, puis à Leipzig6 . Le quatrième carnet a été rédigé par une déportée de Mauthausen, mais son identité reste inconnue à ce jour. La compréhension du contexte de création, ainsi qu’une étude technique de ces documents, paraissent essentielles pour l’appréhension globale de cette « littérature », de prime abord, triviale et peu commune. « La littérature à propos des camps constitue un outil documentaire sur le régime totalitaire nazi, et est bien sûr un révélateur de l’existence »7. La découverte de tels documents dans mon cercle familial, fût dans un premier temps stupéfiant, provoquant ainsi une multitude de questionnements. Nous n’en aurions jamais pris connaissance, et surtout conscience, sans l’élaboration de ce mémoire de fin d’étude. Il est donc évident que cette étude passe par un devoir de mémoire, pour assurer la pérennité de ces documents historiques. Pour ce faire nous procéderons en trois parties : une partie historique dont le but sera de déterminer le contexte de création, les conditions et la finalité de ces documents ; une partie technico-scientifique pour étudier un classement à l’abrasion de trois fixatifs utilisés en consolidant de techniques graphiques (hydroxypropylcellulose, méthylcelullose et gélatine) ; et enfin une partie ConservationRestauration, qui en fonction des différents types de valeur culturelle des documents, permettra d’établir un diagnostic et une proposition de traitements adaptés.

6

Ces carnets sont accompagnés de fiches récapitulatives, faites après guerre, voir annexe 1 p. 173-174 Festins imaginaires, un projet d’Anne Georget, film documentaire de 90 minutes, Octobre production 16 Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014 7


C h a p i t r e

u n

:

Étude historique

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17


18

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Introduction Le corpus de documents présentés dans ce mémoire, se compose d’une carte de rapatriée, d’un carnet d’adresse et de quatre carnets de recettes de cuisine. Tous ces documents, exceptés la carte de rapatriée, ont été produits par trois femmes déportées en 1943-1945. Ils constituent une preuve tangible de leur détention. Comme le souligne très justement Primo Levi8 : « (...) le système concentrationnaire nazi demeure une chose unique, tant par les dimensions que par la qualité. Dans aucun autre lieu ni temps on n’a assisté à un phénomène aussi soudain et aussi complexe : jamais autant de vies humaines n’ont été éteintes en aussi peu de temps, et avec une combinaison pareillement lucide d’intelligence technique, de fanatisme et de cruauté.». Il convient d’évoquer les sources utilisées dans ce mémoire concernant la Seconde Guerre Mondiale. La littérature concernant les camps de détention, la résistance, le régime totalitaire nazi et tout ce qui a trait à cette période de 1939-1945, est pléthorique. Après avoir lu un grand nombre d’ouvrages sur la Seconde Guerre Mondiale, nous nous sommes essentiellement focalisés sur quelques témoignages de déporté(e)s pour les conditions de vie dans les camps, ainsi que sur des documents historiques relatifs au système concentrationnaire nazi. Dans les deux cas, nous nous sommes très vite aperçus que l’écriture de recettes y ait mentionné, mais jamais véritablement étudié. La problématique est la suivante : pourquoi écrire des carnets de recettes de cuisine entre déportés, dans un contexte où la faim est une souffrance ? Il m’est donc paru évident que le devoir de mémoire que Mme Cabalé perpétue depuis des dizaines d’années, devait perdurer via l’étude et la conservation de ces documents. S’ajoute à cela le carnet du Musée de l’Ordre de la Libération qui amène un autre questionnement : est-ce une récurrence que d’écrire des recettes en camps ? Et si c’est le cas pourquoi ? Par la singularité de ces objets, nous avons essayé d’apporter un éclairage nouveau à une période qui a déjà été très largement traitée. Notre plan s’articulera en trois parties pour répondre au mieux à nos interrogations : dans un premier temps nous évoquerons le contexte de création de ces objets en traitant l’historique des différents camps. Puis nous parlerons des conditions d’écriture, des matériaux qui ont été nécessaires à la réalisation des recettes et de leur récurrence. 8

Enfin, nous

LEVI, Primo. Les naufragés et les rescapés : Quarante ans après Auschwitz. Saint-Amand : Arcades Gallimard, mars 2013 [©mars 1989], p.21 Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014 19


aborderons la finalité de ces objets au sein même d’une véritable « organisation criminelle de la faim »9.

Ravensbrück

Leipzig Aix-laChapelle Paris Nantes Mauthausen

Fig. 1 Situation géographique des principales villes qui sont évoquées lors de la partie historique

9 ASSOULY,

20

Olivier. Essai sur l’organisation criminelle de la faim. Arles : Actes Sud, octobre 2013, 205 p. Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014


1. Le contexte de l’écriture : les camps de concentration et de travail du système concentrationnaire nazi 1.1. Présentation des caractéristiques des documents 1.1.1. Les documents ramenés par Léonce et Christiane Hingouët Léonce Hingouët et Christiane Hingouët-Cabalé, mère et fille, ont été arrêtées pour leur participation à des actions de résistance dans la nuit du 31 mars au 1er avril 1943 et ont été déportées en tant que déportées politiques10. Elles ont été emprisonnées, notamment à Nantes et à Rennes. Léonce Hingouët était dans le convoi qui a quitté la France le 13 mai 1944 avec 552 femmes détenues comme elle, et Christiane Hingouët-Cabalé dans celui du 30 mai 1944 avec 58 autres détenues 11. Ces deux convois sont partis de Paris.

Fig. 2 Document officiel fourni le 5 janvier 1946 par le Ministère des prisonniers, déportés et réfugiés, qui atteste de la déportation de Christiane Hingouët-Cabalé en tant que déportée politique

10

Voir en annexe 2 p. 175 un résumé des dates marquantes de la déportation de Christiane Hingouët-Cabalé Ces informations ont été recueillies sur le site de la fondation pour la mémoire de la déportation, qui a une banque de données multimédia des déportés http://www.bddm.org/liv/search.php Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014 21 11


Après des conditions de voyage largement évoquées dans la littérature et sur lesquelles il est inutile de s'appesantir, la mère et la fille se retrouvent à Ravensbrück. Elles y demeurent jusqu’au 19 juillet 1944, après un rapide arrêt de quelques jours au camp disciplinaire de Sarrebruck12 , au début du mois de juin. Évoquons tout de même qu’elles ne faisaient pas partie du même convoi et qu’au départ elles ne savaient pas qu’elles étaient toutes les deux à Ravensbrück : « Au cours d’un appel devant mon block dans les tous premiers jours, une femme passe dans les rangs, demande mon nom, et m’apprend que ma mère est arrivée ici depuis quinze jours, mais que je ne la verrai pas parce qu’elle est dans un autre block. Elle n’était plus en quarantaine. Ça a été une vraie joie d’apprendre que Maman est aussi là, à Ravensbrück ; (...) » 1314 . Le 21 juillet 1944, elles partent dans un convoi à destination de Schonefeld à quelques kilomètres de Leipzig, dans un kommando de travail de l’usine Hasag qui produisait des obus pour le front allemand : « On savait que Ravensbrück était un camp de concentration, et aussi de triage pour les prisonnières qui devraient travailler dans les usines de guerre allemande. »15.

Fig. 3 Dans l’encadré rouge le convoi de Ravensbrück à Leipzig où se trouvaient Léonce Hingouët et Christiane Hingouët-Cabalé, en date du 21 juillet 1944

12

Cet arrêt fût forcé en raison d’un bombardement de la gare de Sarrebruck, qui avait endommagé les voies de chemin de fer. Elles furent reconstruites en quelques jours. Christiane Hingouët devait découdre des boutons de vêtements de soldats allemands blessés sur le front de l’Est. 13 HINGOUËT-CABALÉ, Christiane. Op. Cit. p. 49 14 Toutes les citations de Mme Hingouët-Cabalé sont issues de son livre En 1944, j’avais 20 ans. Ce livre a été rédigé dans un style familier, qui peut parfois gêner la lecture 15 Idem, p. 45 22 Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014


Léonce reçoit le matricule n° 3879 et Christiane le n° 3945. À ce sujet Christiane Hingouët-Cabalé écrit dans son livre : « Imaginez ce que j’ai pensé en le recevant en juillet 1944 ! »16. Elles continueront leur acte de résistance en trafiquant quelques obus, en les rendant inutilisables, au sein même de l’usine. Un quotidien s’installe, toutes deux commencent à écrire des recettes de cuisine sur des feuilles horaires17 dérobées à l’usine et échangées avec leurs camarades. Elles se fabriquent également, avec les mêmes feuilles horaires qu’elles découpent, un petit carnet d’adresses, où elles notent les adresses de leurs codétenues ainsi que leurs dates de naissance. Le carnet d’adresses et les carnets de recettes ont été reliés sur place par Léonce Hingouët, sans distinction entre les recettes de sa fille et ses propres recettes.

Fig. 4 Les feuilles horaires découpées pour la réalisation du carnet d’adresses

Fig. 5 Un des carnets de Recettes Culinaires de Léonce Hingouët et Christiane Hingouët-Cabalé. À gauche les recettes, à droite une feuille horaire de l’usine Hasag à Leipzig

16 17

Ibid., p.60 Voir en annexe 3 p. 177 les traductions de feuilles horaires utilisée en feuillet et en couvrure

Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014

23


Le 8 mai 1945, date de la libération du camp de Leipzig le commandant du camp annonce : « ‘’Vous êtes libres, les portes du camp sont ouvertes, vous pouvez partir. On va vous distribuer du pain’’. Sommes-nous vraiment libres, ou nous préparent-ils à une exécution ? »18. Après tant de mois passés à travailler pour les allemands, le doute s’installe forcément dans l’esprit des déportés qui ne savent pas si cela est une ruse ou si effectivement c’est le jour qu’ils attendaient tous. Le 8 mai 1945, à la libération des camps, Léonce et Christiane partent du camp de Leipzig et marchent pendant plusieurs jours. Elles prennent finalement un train qui les arrête à Thionville en Moselle, à la frontière française. C’est là que leur est délivré une carte de rapatriée, qui leur sert de titre provisoire d’identité. La carte de rapatriée de Christiane Hingouët-Cabalé, qui fait partie de ce corpus de documents de mémoire, comporte de nombreux tampons et annotations 19, témoignant ainsi l’utilité de ce titre d’identité. Les renseignements fournis sur cette carte étaient délivrés oralement par le déporté. Ce document est un document officiel qui lui a permis de « se présenter dans les ministères (...) »20.

1.1.2. Le carnet de la déportée inconnue de Mauthausen En ce qui concerne le carnet qui nous a été prêté par le Musée de l’Ordre de la Libération, le Conservateur Mr Trouplin a souhaité connaitre l’identité de l’auteur du carnet. Or ce dernier ne savait pas quand ce carnet est entré dans les collections du musée. Il n’y a aucune mention de ce carnet dans les registres du musée. Nous ne savons pas à quelle occasion ce legs a été effectué. La problématique de savoir qui avait écrit ce carnet s’est donc imposée : Est-ce un homme, une femme ? En étudiant l’objet nous nous sommes aperçus que Paris y est évoqué à plusieurs reprises et de façon précise, dénotant ainsi une bonne connaissance de la ville 21. Ce qui nous laisse supposer que l’auteur habitait Paris. Nous nous sommes également rendus compte qu’une mention était difficile à lire sur la première de couverture. L’aide d’une graphologue qualifiée, Mme Laurence Crespel Taudière, a été nécessaire pour analyser cet écrit 22. Pour cette experte, il semblerait qu’une autre personne ait écrit cette annotation, car l’écriture est différente de celle présente dans le carnet. Elle émet aussi l’hypothèse qu’il s’agit d’une annotation faite postérieurement par un membre du cercle familial.

18

Ibid, p. 73 Voir en annexe 4 p. 179 la carte de rapatriée de Christiane Hingouët pour une meilleure lisibilité des tampons 20 Ibid, p.79 21 Voir en annexe 5 p. 181 la recherche qui a été effectuée pour retrouver l’identité de cette déportée 22 Voir en annexe 6 p. 201-202 l’étude graphologique qui a été effectuée 24 Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014 19


« Recettes écrites par Mau(?) à Mauthausen 1943 » Fig. 6 et 7 Vue de la première de couverture du carnet ramené par la déportée inconnue, où figure la mention qui nous intéresse, ainsi que son détail

À ce jour, l’identité de l’auteur de ce carnet reste encore inconnue ; les recherches nécessiteraient plus de temps. Nous pouvons néanmoins avancer plusieurs hypothèses : selon Mme Crespel Taudière, le type d’écriture employée proviendrait d’une femme de catégorie sociale élevée, d’un certain âge. Suite à nos recherches, elle aurait peut-être fait partie du convoi du 30 mars 1944 au départ de Paris et via Aix-la-Chapelle 23.

Ce carnet a donc été très probablement rédigé par la déportée à Ravensbrück, notamment pour deux raisons : nous avons trouvé dans ce carnet des fiches horaires d’un kommando de travail de l’usine Siemens, et un de leur kommando jouxtait le camp de Ravensbrück 24. D’autre part, notre hypothèse concernant le convoi du 30 mars 1944 accrédite cette version, puisque ce convoi avait pour destination Ravensbrück. De ce fait il est probable que la déportée inconnue ait travaillé dans ce kommando, ou y a eu accès, cela lui aurait permis d’avoir des conditions de vie plus ‘faciles’. En effet, nous savons grâce aux témoignages de nombreux déportés, et en particulier celui de Christiane Hingouët-Cabalé, que les prisonniers qui ont travaillé dans les usines de guerre allemandes, ont survécu en plus grand nombre que ceux qui sont restés dans les camps.

23 24

Voir en annexe 5 p. 181 la recherche qui a été effectuée pour retrouver l’identité de cette déportée Voir la Fig. 10 de la Situation géographique du camp de Ravensbrück p. 28

Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014

25


L’écriture du carnet s’est certainement poursuivie à Mauthausen, là où elle a dû être transférée, comme l’indique la mention sur la première de couverture25.

Fig. 8 et 9 Une des fiches horaire de l’usine Siemens, rapportée par la déportée inconnue de Mauthausen et son détail

1.2. Présentation des koncentrationlagers26 et des kommandos de travail 1.2.1. Ravensbrück et le kommando Siemens27 Période de fonctionnement

mai 1939 - avril 1945

Nombre total de détenues

145 000

Nombre de décès

28 000

Pourcentage de décès

19 %

Nombres de blocks

36

Block où se trouvait Christiane Hingouët-Cabalé

32

N° de matricule de Christiane Hingouët-Cabalé

43 183

Tabl. 1 Tableau synthétique des informations sur le camp de Ravensbrück

Le camp de Ravensbrück se situe au nord de l’Allemagne, il s’agit du principal camp de concentration nazi28 pour femmes. Le camp se situe dans un cadre étendu entouré de forêt et d’un lac, le lac de Schwedt. C’est dans ce même lac que les cendres des déportées étaient jetées. Christiane Hingouët-Cabalé raconte à son arrivée à la gare de Fürstenberg : « On nous a fait descendre et marcher (peut-être sur quatre ou cinq kilomètres) dans une très belle forêt, pas très

25

Voir Fig. 7 p. 25 Littéralement ‘Camps de concentrations’ abrégé en KZ ou KL 27 Toutes les informations concernant le camp de Ravensbrück sont issues du témoignage de Mme Cabalé et du site http://www.encyclopedie.bseditions.fr/article.php?pArticleId=53&pChapitreId=34561&pArticleLib=Histoire+ %5BRavensbr%FCck%2C+camp+de+concentration+nazi%5D 28 Voir en p.28 la fig.10 la situation topographique du camp de Ravensbrück 26 Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014 26


dense. Le long du chemin, aux alentours du camp (...) nous apercevions des petites maisons dans la forêt bien éclairées. C’était très beau et nous, bien innocentes, croyions que c’était ça le camp ! Nous avions encore beaucoup d’illusions... Il s’agissait bien évidemment des logements de SS qui dirigeaient le camp. »29.

Dès 1940 c’est l’ouverture des premiers ateliers de travail : atelier de couture, atelier de tressage de chaussures de paille, etc. Le camp accueille des détenues de plus de vingt pays à partir de l’année 1942. Ensuite, au regard du nombre croissant de personnes déportées, des kommando extérieurs au camp fleurissent à partir de 1943. Ravensbrück est l’un des principaux camps qui a alimenté en main d’oeuvre les kommando du Reich30 . Dès cette date les femmes sont sélectionnées selon un tri rapide : les sélectionnées partent soit pour le four crématoire, soit elles alimenteront les kommando de travail de l’Allemagne nazie. À la prison de Rennes, Christiane Hingouët-Cabalé et Léonce Hingouët sont informées que dorénavant les détenues sont prises en charge par les allemands : « Un matin des civils allemands répertorient les prisonnières. Pour eux nous étions ‘programmés’ pour travailler en Allemagne. » 31.

Ravensbrück avait ses propres kommando de travail : il y avait les kommando ‘ordinaires’ (soupe, cuisine, jardinage, assainissement des marécages, bois, charbon...), l’usine Siemens, qui s’occupait de produire de l’appareillage électrique, et l’entreprise Hof, qui récupérait des vêtements militaires et les transformait. Mais les déportées de Ravensbrück alimentaient aussi 42 autres kommando du Reich. Lieux

Entreprises

Activités

Beendorf

Siemens - Halske

pièces d’avions

Zwodau

Siemens - Halske

pièces d’avions

Abteroda

BMW

pièces d’avions

Leipzig

Hasag

obus de DCA (‘Défense Contre Avions’)

Holleichen

Skoda

production de cartouches

Torgau

Muna

dépôts d’armement

Barth

Heinkel

armements

Tabl. 2 Tableau récapitulatif des principaux kommandos où furent envoyées les déportées de Ravensbrück 29

HINGOUËT-CABALÉ, Christiane. Op. Cit., p. 39 Voir la liste des kommandos de travail selon chaque camp et activité dans l’Allemagne nazie, sur le site http://mediatheque.territoires-memoire.be/doc_num.php?explnum_id=1771 (la liste comprend plus d’une cinquantaine de pages). Ce lien a été fourni par l’Amicale de Mauthausen 31 Idem, p. 28 Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014 27 30


Léonce Hingouët a travaillé au terrassement, autrement dit « l’assainissement des marécages ». Sa fille Christiane, indique : « Je l’ai trouvée très amaigrie avec un teint très jaune. Elle travaillait à faire du terrassement en dehors du camp. Sans doute se trouvait-elle parmi les femmes que nous avions vu sortir lors des premiers appels. »32. Christiane Hingouët-Cabalé, quant à elle, a été mise en quarantaine. Cette mise en quarantaine permettait de vérifier si les détenues n’étaient pas porteuses de maladies et pouvaient donc être transférées dans les kommando de travail. Mais cela n’empêchait pas les déportées de Ravensbrück d’avoir la réputation de colporter des maladies telles que le typhus, la dysenterie...33.

Fig. 10 Situation du camp de Ravensbrück

1.2.2. Mauthausen et la carrière de Wiener Graben 34 Période de fonctionnement

août 1938 - mai 1945

Nombre total de détenus

230 000

Nombre de décès

100 000

Pourcentage de décès

43 %

Tabl. 3 Tableau synthétique des informations sur le camp de Mauthausen

32

Ibid., p.49 Témoignage de Jacqueline Weill qui racontent que les déportées venant de Ravensbrück dans les kommando amenaient avec elles des maladies, et cela n’étaient pas appréciés par les déportées travailleuses de ces kommando http://www.buchenwald-dora.fr/3temoignages/tem/095.htm 34 Toutes les informations de ce paragraphe ont été prises que le site http://mauthausen.ouvaton.org/mauthausen.html 28 Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014 33


Mauthausen est également un camp de concentration et d’extermination par le travail. Mauthausen a été créé en raison de sa proximité géographique avec les carrières de granit Wiener Graben, où un kommando de travail d’extraction de pierre a été créé. Ce fût l’un des plus grands camps de travail d’Europe du régime nazi. C’est aussi le dernier des camps nazis à être libéré (le 5 mai 1945) par l’armée américaine. C’est un camp d’hommes, mais où également des femmes ont été détenues à partir de 1945, comme l’indique Marie José Chombart de Lauwe35 : « (...) Le convoi qui est arrivé le 7 mars 1945 venait de Ravensbrück. Nous étions quelques 1800 femmes : (...). Nous sommes les seules femmes à avoir vécu, si l’on peut appeler ça vivre, à Mauthausen. Il y eut des passages de femmes avant nous, mais elles ont disparu. ». On connait aussi l’existence d’un petit bordel appelé Puff et qui était réservé aux kapos 36.

Il s’agit d’un des camps les plus durs et les plus meurtriers du système concentrationnaire nazi . Les détenus devaient descendre les 186 marches37 qui menaient à la carrière, « mais le plus dur c’est la montée après le dernier appel, par rang de cinq »38. Les détenus procédaient à ce rituel chaque jour, avec parfois une pierre sur l’épaule, ce qui accentuait la difficulté du travail. Ces 186 marches ont été construites en 1938 par les premiers détenus du camp.

1.2.3. Leipzig et le kommando Hasag 39 Usine d’armement

Obus DCA

Nombre total de détenues

5500

Nationalités

18

N° de matricule de Léonce Hingouët

3879

N° de matricule de Christiane Hingouët-Cabalé

3945

Tabl. 4 Tableau synthétique des informations sur le camp de Leipzig

L’usine Hasag a été fondée en 1863 par Haeckel & Schneider. Elle prend la dénomination ‘Hasag’ en 1899, qui correspond à l’abréviation de ‘Hugo Steiner Aktien Gesellschaft’. C’est dans les années 1930 que l’usine se tourne vers l’armement et c’est à Leipzig (plus précisément à Shonefeld 35

Témoignage sur les femmes à Mauthausen sur le site http://mauthausen.ouvaton.org/mauthausen.html À partir de 1941 des femmes du camp de Ravensbrück furent sélectionnées pour le bordel du KZ de Mauthausen pour les commandants SS et les Kapos 37 Ces 186 marches ont été construites en 1938 par les premiers détenus du camp 38 Témoignage de Jean Laffite sur le travail dans la carrière à Mauthausen sur le site http://mauthausen.ouvaton.org/ mauthausen.html 39 Toutes les informations concernant le camp de Leipzig proviennent du livre de THOMAS, Rémi. Bordeaux Ravensbrück Leipzig Bordeaux. Paris : Éditions le Manuscrit, 2006, p. 168-169 Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014 29 36


à quelques kilomètres de Leipzig) que l’entreprise Hasag a son centre de production le plus important. Selon le témoignage de Jacqueline Weill40, l’usine est rattachée au camp de Buchenwald en 1944, à la création de la seconde cartoucherie d’Hasag.

Au sein des kommando de travail les conditions de vie étaient particulièrement pénibles, comme à Mauthausen où le déblaiement de voies ferrées était usant. Le kommando de l’usine Hasag est moins rude. Comme le souligne Primo Levi très simplement : « Il y a les bons et les mauvais Kommandos : (...) et dépendent plus directement de contremaîtres civils, les Meister, le plus souvent allemands ou polonais »41.

Christiane Hingouët-Cabalé raconte : « Les machines sont installées en file indienne avec un Fig. 11 Photographie de l’usine Hasag. Non datée.

poste de contrôle à l’extrémité de chaque file. Un chariot plein d’obus était placé à gauche de la machine.

Nous travaillions debout (deux par deux) douze heures de suite devant la machine, en effectuant les mêmes gestes. (...). Je préparais donc l’obus avec cette machine qui tournait très rapidement. Je le ressortais une fois perforé, et le plaçais sur un tapis roulant qui l’emmenait au ‘contrôle-trou’. Maman travaillait à ce poste de contrôle où, heureusement, elle pouvait parfois s’assoir. (...) Maman se trouvait au contrôle où le travail était moins pénible » 42.

Les détenues travaillaient douze heures d’affilée, de jour comme de nuit ; des roulements s’effectuaient pour que ce ne soit pas toujours les mêmes qui travaillent la nuit : « Pour que les machines fonctionnent sans arrêt, deux équipes assuraient le roulement : douze heures de jour, douze heures de nuit (de 6h00 à 18h00 et de 18h00 à 6h00), une semaine sur deux. Donc l’usine n’arrêtait jamais »43.

40

Témoignage recueilli sur le site http://www.buchenwald-dora.fr/3temoignages/tem/095.htm Dans Si c’est un homme, p. 48 42 HINGOUËT-CABALÉ, Christiane. Op. Cit., p. 65 - 67 43 Idem, p. 62 30 Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014 41


Assez rapidement, le commandant SS44 propose aux travailleuses détenues un ‘salaire’ pour leur travail rendu à l’armement de l’Allemagne nazie. Mais « Nous nous sommes toutes mises d’accord pour répondre qu’on ne voulait pas de salaire, que cet argent ne nous intéressait pas, qu’on n’avait pas demandé à venir,etc. Et ensuite nous avons repris le travail comme avant ! »45. Les Françaises refusent, c’est un accord unanime. Les Polonaises cependant acceptent et effectuent donc un travail lié au rendement. Les Françaises en revanche pensent à un sabotage des obus : « Et dans nos têtes est née l’idée de sabotage. (...) À partir de ce moment là, tout ce que nous devions faire était organisé à la minute près. Toute la chaîne de production était concernée. C’était à chacune son tour, à des horaires différents, pour ne pas se faire prendre. Quelle satisfaction de voir les obus repartir à la fonderie ! Ce sabotage a duré environ 6 mois. Tout en étant prisonnières, nous avons la fierté d’avoir organisé un sabotage, quelque chose qui certes, n’a pas fait gagner la guerre. Mais dans notre for intérieur nous pensions affaiblir un peu les Allemands. Nous étions encore des résistantes, des antifascistes. »46.

Ce sera à Leipzig que Christiane fêtera son vingtième anniversaire le 27 octobre 1944 : « Nous avons toutes chanté ‘on n’a pas tous les jours 20 ans’, assises sur nos châlits, entre deux appels ! »47.

1.3. Les conditions de vie 1.3.1. Le quotidien des déportées

À partir de 1944, le nombre de déportés atteint des sommets vertigineux, et « le nombre des politiques augmenta »48. Des convois de dizaines de milliers de déportés arrêtés dans toute l’Europe affluent. Cela a pour conséquence des conditions de vie détestables, qui furent largement critiquées et analysées par la suite. Comme l’indique Pierre Laidet 49 , le premier supplice de l’univers concentrationnaire c’est l’attente. L’attente de la soupe, l’attente de l’appel, l’attente de la

44

Voir en p. 62-63 un lexique de l’univers concentrationnaire nazi HINGOUËT-CABALÉ, Christiane. Op. Cit., p. 63 46 Ibid., p. 66-67 47 Ibid., p. 67 48 ROUSSET, David. L’univers concentrationnaire. Paris : Hachette littératures, mars 2003 [© 1965], p. 65 49 Témoignage de Pierre Laidet, déporté à Mauthausen, sur le site http://www.campmauthausen.org/connaitre/ temoignages#douches 45

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réalisation de leurs espoirs, l’attente de la sélection, voire l’attente de la mort. Cette « anxieuse attente »50, comme la qualifie David Rousset, déporté à Buchenwald en 1944.

La vie dans les camps est rythmée par une cadence abrutissante, qui avilit la condition humaine. Primo Levi décrit cet enfer du quotidien en ces termes : « Telle sera notre vie. Chaque jour, selon le rythme établi, (...), sortir et rentrer, dormir et manger ; tomber malade, guérir ou mourir. »51 . Il ajoute « Un jour commence, pareil aux autres jours, si long qu’on ne peut raisonnablement en concevoir la fin, tant il y a de froid, de faim et de fatigue qui nous en séparent. »52.

Pourvus d’une mince chemise et d’un pantalon, les déportés souffrent du froid ; de leurs travaux inhumains au vu du nombre de calories 53 ingérées dans la journée ; des appels qui durent des heures et qui se vivent au gré des intempéries. Ces appels « venait à bout de beaucoup de prisonnières » 54. Ils souffrent aussi du manque d’hygiène, de la discipline55 imposée par les commandants nazis, mais surtout de la faim. Toutefois les conditions de vies sont différentes si les déportés se trouvent dans un koncentrationlager ou dans un kommando de travail. Et les traitements se durcissent selon que les détenus étaient Tziganes, déportés politiques ou prisonniers de droit commun. Il est inutile de rappeler l’horreur des conditions de vie des camps de concentration mais on peut le résumer en citant Olivier Assouli : « Tout ce qui a trait au repas dans les camps ravale l’homme à la condition d’une bête mal-traitée : qualité déplorable d’une nourriture insuffisante, absence de couverts et de gamelles, repas pris à même le sol, hygiène catastrophique, consommation de déchets, autant de sévices qui témoignent de la volonté de couper les détenus de la condition humaine. » 56.

À la libération des koncentrationlager et des kommando, ce sont les déportés travaillant dans les kommando qui représentent le pourcentage le plus élevé de survivants. La proximité avec des matières premières, ainsi que la nécessité pour le régime concentrationnaire nazi de maintenir en vie le plus longtemps possible cette main d’oeuvre forcée, ont amélioré très sensiblement la condition de vie des déportés. À son arrivée à Leipzig Christiane Hingouët-Cabalé dit : « C’était quelque

50

ROUSSET, David. Op. Cit., p. 34 Dans Si c’est un homme, p. 49 52 Idem, p. 95 53 Des normes alimentaires (Generalplan Ost) avaient été établies pour les KZ ; il s’agit de la norme de Berlin. Elle se limitait à 1500 calories par jour par détenu. Un détenu qui travaillait devait normalement avoir un repas plus calorique que les autres détenus, mais dans la réalité la valeur nutritive ingérée était bien moindre. Source : ASSOULY, Olivier. OP. Cit., p. 29 54 HINGOUËT-CABALÉ, Christiane. Op. Cit., p. 43 55 « Une des armes des SS c’était l’humiliation : il fallait affaiblir, annihiler, détruire, anéantir. » Idem, p. 44 56 ASSOULY, Olivier. Op. Cit., p. 57 32 Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014 51


chose d’arriver dans cet endroit ! On a d’abord trouvé que c’était propre, mis à part les châlits et leurs paillasses plutôt sales sur lesquelles nous couchions sans rien. Pas de constructions en bois comme à Ravensbrück. Il y avait des toilettes, des robinets d’eau froide au sous-sol ! »57 . Ces commodités ont rendu la vie moins difficile aux détenus, ils pouvaient ainsi par exemple retrouver un peu d’hygiène en lavant leurs vêtements : « On prenait le pantalon d’une copine pour le laver pendant qu’elle dormait, et elle le reprenait propre. C’était chacune son tour. On se lavait une fois par semaine. Il fallait bien s’entendre pour les échanges de vêtements pendant la lessive. ». Certes les conditions sont améliorées mais rien ne peut se faire sans une solidarité des détenues. Il s’agit tout de même de rester organisées et vigilantes. De plus le lavage ‘régulier’ ne permet pas de régler définitivement les problèmes sanitaires liés au camp comme le montre ironiquement ce dessin provenant d’une collection particulière d’une détenue de l’usine Hasag :

Fig. 12 Dessin d’une détenue de l’usine Hasag, « Détenues en plein lavage », kommando de Buchenwald, été 1944 - printemps 1945. Élément de journal mural, dessin ironique

1.3.2. La faim : une réalité quotidienne Tous les témoignages de déportés détenus en camp mentionnent en premier lieu leur souffrance liée à la faim. Ils ont souffert du froid, des coups de schlag58 , du manque d’hygiène, de la perte de leur identité pour ne devenir qu’un matricule, du souvenir lointain de leur foyer, du manque de leur famille... Mais c’est la faim qui prédomine dans tous ces témoignages. Primo Levi parle de « faim réglementaire, cette faim chronique que les hommes libres ne connaissent pas, qui fait rêver la nuit

57 58

HINGOUËT-CABALÉ, Christiane. Op. Cit., p. 60 Sorte de cravache utilisée par les SS pour frapper les prisonniers

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et s’installe dans toutes les parties de notre corps ; (...) » 59. Il parle également de façon très juste de « faims anonymes et uniformes » 60.

Fig. 13 et 14 À gauche un quart français, à droite un quart allemand. Les deux récipients présentent une forme différente

Cette sous-partie peut paraître dérangeante, puisque jamais nous ne pourrons comprendre la réelle sensation de faim dont ont souffert les détenus, mais elle est essentielle pour la suite de cette étude. Primo Levi dit : « De même que ce que nous appelons faim ne correspond en rien à la sensation qu’on peut avoir quand on a sauté un repas, de même notre façon d’avoir froid mériterait un nom particulier. Nous disons ‘faim’, nous disons ‘fatigue’, ‘peur’ et ‘douleur’, nous disons ‘hiver’ et en disant cela nous disons autre chose, des choses que ne peuvent exprimer les mots libres, créés par et pour des hommes libres qui vivent dans leurs maisons et connaissent la joie et la peine. »61. La nourriture est devenue une valeur, le pain une monnaie d’échange. À Leipzig, les déportées mettaient le pain en commun pour se partager les rations qu’ils restaient. Ainsi elles pouvaient échanger des portions de pain contre du matériel : « une brosse à dents, 2 portions de pain ; une aiguille et un peu de fil, une portion de pain »62. La faim est utilisée dans ce contexte, pour rétablir un équilibre, un ordre consciemment voulu par le régime totalitaire nazi, forçant ainsi les détenus à apprendre « la valeur de la nourriture ; nous aussi maintenant nous raclons soigneusement le fond de notre gamelle de soupe, et nous la tenons sous notre menton quand nous mangeons notre pain, pour ne pas en perdre une miette. »63 (Primo Levi). 59

Dans Si c’est un homme, p. 51 Idem, p. 104 61 Ibid., p.192 62 Témoignage de Suzanne Orts, née Pic, sur le site http://www.39-45.org/viewtopic.php?f=37&t=27734. A été déportée à l’âge de 17 ans et a fait exactement le même parcours que Christiane Hingouët, jusqu’au même convoi qui les a déporté de Ravensbrück à Leipzig. À Leipzig cette femme portait le matricule 4046, 101 femmes donc après Christiane Hingouët (mat. 3945). Elles se trouvaient dans la même file certainement quand elles ont été enregistrés à leur arrivée. Cette femme a aussi été déportée avec sa mère. 63 Ibid., p. 45 34 Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014 60


On ne peut pas comprendre toute la puissance de cette faim ; cette faim récurrente, chronique, lancinante, écrasante... qui a pu avilir ainsi l’homme : « On entend les dormeurs respirer et ronfler. Certains gémissent et parlent, beaucoup font claquer leurs lèvres et remuent les mâchoires. Ils rêvent qu’ils mangent : cela aussi c’est un rêve collectif. C’est un rêve impitoyable, celui qui a créé le mythe de Tantale devait en savoir quelque chose. Non seulement on voit les aliments, mais on les sent dans sa main, distincts et concrets, on en perçoit l’odeur riche et violente (...) »64 . Essayons alors de comprendre comment la faim a été instrumentalisée par le régime concentrationnaire et totalitaire nazi.

1.3.3. Le système concentrationnaire nazi Sur la base de l’eugénisme, le système nazi veut sélectionner des races. Ce faisant il utilise l’arme la plus puissante qui soit : la faim. Comme le souligne Olivier Assouli quand on « décide de tirer puissance et autorité de l’art d’ordonner les appétits et de commander par le ventre, (...), pour faire alors d’une faim organisée un instrument disciplinaire susceptible d’étayer la domination de l’État, d’une race, d’une classe sociale ou d’un groupe d’intérêts économiques. » 65. Le régime totalitaire nazi, met donc en place une norme alimentaire de calories ingérées par jour par le détenu, visant ainsi à administrer « des populations à long terme sur la base d’une planification alimentaire drastique. »66 . Il est alors aisé de s’imaginer la puissance, au travers d’une véritable organisation criminelle de la faim, qu’a pu être le régime concentrationnaire nazi. Christiane Hingouët-Cabalé dit à son arrivée à Romainville : « Nous restons là jusqu’au 30 mai 1944 nourries déjà au ‘régime’ allemand : du pain noir, une margarine infecte, de l’eau noircie en guise de café. »67. Une nouvelle réalité s’offre aux déportés. Ils sont confrontés à « un univers à part, totalement clos, étrange royaume d’une fatalité singulière. »68. Primo Levi dit : « Alors, pour la première fois, nous nous apercevons que notre langue manque de mots pour exprimer cette insulte : la démolition d’un homme. (...) Il n’existe pas, il n’est pas possible de concevoir condition humaine plus misérable que la nôtre. »69. L’homme devient véritablement un objet, un instrument, un matériel au service d’autres hommes. Sa condition humaine, mais aussi son existence, est rabaissée au rang de bête. Par ailleurs les commandants nazis ne parlaient pas d’individus mais de Stücke, qui littéralement veut dire Morceau. Les déportés 64

Ibid., p. 91

65 ASSOULY,

Olivier. Op. Cit., p. 13 Idem, p. 32 67 HINGOUËT-CABALÉ, Christiane. Op. Cit., p. 31 68 ROUSSET, David. Op. Cit., p. 36 69 Dans Si c’est un homme, p. 34 66

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étaient du matériel humain, un personnel de rechange facilement renouvelable. Lors de son arrêt à Sarrebruck, Christiane Hingouët-Cabalé réalise l’ampleur et les rouages bien huilés de ce régime concentrationnaire et totalitaire : « C’est surtout à partir de ce moment là, que nous avons compris l’horreur du régime nazi et son climat de terreur. Nous possédions encore nos vêtements, nos petits sacs, mais nous étions des prisonnières... horrifiées, persuadées d’arriver dans un monde de fou ! »70. 1.3.4. L’écriture : de l’humanisation dans la déshumanisation Dans ce monde concentrationnaire plus qu’un seul objectif : survivre. Beaucoup de détenus éprouvent alors le besoin de s’abstraire de cette réalité par le biais de l’écriture. Écrire est l’un des fondamentaux de l’homme, de son humanisme. C’est véritablement la culture et la conscience de cette culture, qui le distingue de l’animal. L’instinct de survie est immédiat et l’écriture devient salutaire : « (...), la violence d’une impulsion immédiate, aussi impérieuse que les autres besoins élémentaires (...) » 71. Dès lors, nous avons largement étudié les oeuvres artistiques qui ont pu être produites dans un tel contexte (dessins, poèmes, chansons...). Mais cela n’est pas étonnant, les déportés avaient conscience de la nécessité et de la signification de cette production : « (...) nous nous étions dit que pour tenir il fallait avoir une activité intellectuelle. Oui, pour survivre le côté culturel était indispensable (...). Tout cela était nécessaire pour ne pas être complètement abruties. Oui, c’était indispensable. Françoise écrivait des poèmes pour se sortir de cette atmosphère, se sortir de cette condition de travailleuse forcée »72. Les déportés donc occupent leur ‘temps libre’ selon leur gré, certaines privilégient les poèmes ; d’autres dessinent. Un dessin de Jeannette l’Herminier ‘croquant’ une de ses camarades, lors d’un dimanche, est particulier intéressant. Le dessin est le suivant :

70

HINGOUËT-CABALÉ, Christiane. Op. Cit., p. 38 Dans Si c’est un homme, p. 8 72 THOMAS, Rémi. Op. Cit., p. 171-172 ; témoignage de Francine Bonnet-Caillou, déportée à Leipzig 36 Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014 71


Fig. 15 Dessin de Jeannette l’Herminier, La recette du dimanche..., février 1945, Holleischen

Ce dessin est primordial pour la suite de notre développement. Il nous indique deux choses : la première c’est qu’il a été réalisé au camp de Holleischen, dans le kommando de femmes de Flossenbürg en février 1945 ; la deuxième c’est que des détenues y écrivaient des recettes de cuisine. Sans se parler, sans savoir que dans d’autres camps cela se faisait aussi, les détenues ont eu le besoin d’écrire une littérature aussi banale, voire triviale. De ce fait, les carnets que nous avons en notre possession pour ce mémoire, commence à avoir une unicité qui se compromet petit à petit. Dans un deuxième temps ce dessin nous renseigne véritablement sur un quotidien, puisque les dessins réalisés dans les konzentrationlager ou dans les kommando, avaient pour but d’illustrer la vie des détenus. On s’interroge alors sur la récurrence et l’ampleur de ce phénomène, de ce quotidien qui remet en cause ce que nous pensions connaitre sur les camps de concentrations. Et c’est exactement ce que nous allons développer dans notre deuxième partie. Nous avons voulu comprendre la force de cet instinct de survie, qui nous apparait pour l’instant comme décalé et non à propos au vu de notre contexte. José Semprun, lors de sa libération du camp du Buchenwald, note l’embarras du soldat français lorsqu’il leur énonce les dimanches à Buchenwald ( réunions clandestines, chants, poèmes...) : « Il m’avait écouté attentivement mais dans un désarroi de plus en plus perceptible. Mon témoignage ne correspondait sans doute pas au stéréotype du récit d’horreur auquel il s’attendait. (...). À la fin, il est resté plongé dans un silence embarrassé. Embarrassant, aussi. »73. 73

SEMPRUN, Jorge. L’écriture ou la vie. Mesnil-sur-l’Estrée : Gallimard, avril 2004 [© avril 1996], p. 101-102

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Pour clore cette première partie, nous laissons tout le soin à une citation de Primo Levi : « La faculté qu’à l’homme de se creuser un trou, de sécréter une coquille, de dresser autour de soi une fragile barrière de défense, même dans des circonstances apparemment désespérées, est un phénomène stupéfiant qui demanderait à être étudié de près. »74.

74

Dans Si c’est un homme, p. 84 38 Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014


2. Les conditions, les matériaux et la récurrence de l’écriture 2.1. Les conditions de création 2.1.1. Avec qui et à quelles occasions ? Dans les koncentrationlager et les kommando, la vie est très cloisonnée et rythmée, notamment par le travail forcé et les appels. C’est à Leipzig que Léonce et Christiane Hingouët commencent à écrire des recettes de cuisine. Elles ne se trouvent pas dans le même block et pourtant elles écrivent toutes les deux des recettes : « Maman, elle n’était pas avec moi, elle était dans un autre block, où elle faisait des recettes aussi ! »75. Les échanges entre détenues se faisaient pendant leurs heures de semi-liberté : elles prenaient sur leurs pauses de sommeil et les jours de ‘repos’ ; le plus souvent les dimanches quand elles ne travaillaient pas, après avoir ‘lavé leur linge’, fait leur toilette, fait une sieste etc. « On était tout le block. Le dernier étage des lits c’était que les jeunes donc on s’organisait entre nous. Et comme il nous fallait des ‘vieilles’ qui avaient des recettes, et bien elles montaient sur nos lits et on écoutait. C’était une vraie organisation ! »76. Les déportées étaient assises au troisième étage de leur châlit 77, et elles copiaient les recettes que leur dictaient leurs ainées. Pour le block de Christiane Hingouët-Cabalé, les recettes se partageaient avec ses ‘copines’ de Perpignan, quatre autres bretonnes et les filles du nord. Ces dernières avaient un patois très prononcé et elles ne se comprenaient pas toujours, déclenchant ainsi des moments de détente et de rires. La barrière de la langue leur a empêché de communiquer avec les polonaises et les autres nationalités présentes dans le camp de Leipzig.

75

CABALÉ, Christiane, 2013. Déportée à Ravensbrück et Leipzig. Interview le 25 décembre 2013 (voir en annexe 7 p. 203-210 l’intégralité de la retranscription de l’interview) 76 Dans Interview du 25 décembre 2013 77 Les châlits sont les lits superposés où dormaient les détenues. Les plus âgées en bas, les femmes d’âge moyen au milieu et les plus jeunes en haut Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014 39


Fig. 16 Recette de Bûche aux marrons qui figure dans le carnet n°1 de Christiane Hingouët-Cabalé et Léonce Hingouët. Cette recette a été écrite par Christiane

Fig. 17 Recette de Poulet aux pruneaux qui figure dans le carnet n°2 de Christiane HingouëtCabalé et Léonce Hingouët. Cette recette a été écrite par Léonce

Dans le carnet de la déportée inconnue ce qui est intéressant c’est le fait qu’elle ait écrit ses propres recettes, mais qu’elle a aussi des recettes de cuisine de papiers et d’écritures différentes. Ces indications nous amènent à penser qu’il devait exister, au sein du block, de véritables échanges de recettes de cuisine entre déportées. L’une griffonnant ce que l’autre lui dit ; et peut-être que par la suite des pages de recettes sont échangées, satisfaisant ainsi toutes les envies.

2.1.2. Le contenu Les déportées échangent, bavardent, débattent aussi parfois sur une recette qui était propre à chacune, et dont elles se chamaillaient la meilleure façon de faire : Christiane Hingouët-Cabalé raconte qu’il y avait beaucoup de divergences sur la façon de faire une blanquette de veau par exemple. Elle se souvient 70 ans après, que la plupart des recettes sont des recettes du ‘midi’, parce que « les filles du sud ne parlaient que de bouffe ». Tout y passe : la viande, les poissons, les desserts, les sauces, les soupes... Bien évidemment la présence de nombreuses recettes de soupes n’est pas anodine, puisqu'il s’agit de leur nourriture principale. Par ce biais, les déportées essayent 40

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de l’enrichir, de la rendre plus consistante. Tout est passé en revue avec parfois des recettes surprenantes comme « Mamelle de Pie de vache ». On trouve aussi à plusieurs reprises des recettes qui reviennent et l’on voit ainsi qu’il n’y a pas une seule manière de cuisiner, que chacune a sa recette, que les régions font la spécificité, ainsi que les nationalités. Ainsi on trouve, par exemple, plusieurs recettes de gâteau au chocolat pour les carnets de Léonce et Christiane, et plusieurs recettes de Pudding pour le carnet de notre déportée inconnue. Pour illustrer nos propos nous avons recensé les recettes dans les quatre carnets de notre mémoire.

Recettes sucrées

Recettes salées

173

122

260

184

Graph. 1 Graphique récapitulatif des 433 recettes de Léonce et Christiane

Viandes

Poissons

18

Desserts

Graph. 2 Graphique récapitulatif des 306 recettes de la déportée inconnue

Sauces / Crèmes

Confitures

Plats

Autres

11 31

81

20

112 32 9 31 150

Graph. 3 Graphique représentatif des recettes catégorisées de Léonce et Christiane

123

3 5

113

Graph. 4 Graphique représentatif des recettes catégorisées de la déportée inconnue

Les graphiques mettent en évidence qu’il y a quasiment autant de recettes sucrées, que salées (Graphiques 1 et 2), mais que dans l’ensemble on trouve beaucoup de recettes de desserts, de gâteaux et de pâtisserie (Graphiques 3 et 4). Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014

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Émile Letertre, petit-fils d’un déporté qui a lui-même écrit des recettes dit : « Il est impossible de reproduire à l’identique ces recettes, qui contiennent parfois dix fois plus de sucre qu’il n’en faudrait. Elles correspondent aux projections, aux rêves de festins et à la mémoire olfactive et gustative de ces hommes. »78 . Nous émettons l’hypothèse que cela est lié à la libération d’endorphine, créée imaginairement par le sucre, dans le cerveau. On est face à un plaisir immédiat, une sensation d’euphorie, voire de bonheur, par l’ingurgitation rêvée d’un gâteau aux marrons ou d’un diplomate79.

De plus, nous notons un souci de précision dans les recettes de ces trois femmes : les trois structurent de façon très claire leurs carnets en séparant bien chaque recette de la suivante, et en soulignant le titre ou le contenu de ce qui est expliqué. Les proportions sont aussi indiquées. Dans une recette de Léonce Hingouët il est intéressant de voir qu’elle a dessiné à côté un petit schéma du résultat final de la recette. Le but est sans aucun doute didactique, pour qu’elle puisse se rappeler la recette. Consciemment, ou inconsciemment, cette prise de note indique que son auteur compte refaire cette recette. L’écriture de ces recettes est donc un signe d’espérance très forte.

Fig. 18 Recette sans titre de Léonce Hingouët dans le carnet n°2, qui indique la disposition des aliments pour avoir une horloge en résultat final

78

Article sur le site du journal La Croix http://www.la-croix.com/Actualite/France/Le-fils-d-un-deporte-devoile-lesrecettes-ecrites-dans-les-camps-_NG_-2011-04-07-606638 79 Entremets froid à base de génoise ou de biscuits à la cuillère, de fruits confits et de crème anglaise. Le nom de ce gâteau vient du Congrès de Vienne en 1815. Talleyrand qui ne voyageait jamais sans son maître-queux lui aurait demandé de préparer un dessert susceptible de plaire à tous les diplomates réunis 42 Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014


2.1.3. Une production à cacher Nous doutons que ces recettes, tout comme les dessins ou les poèmes, nécessitaient une grande discrétion. Parfois les déportées n’avaient pas le temps de finir une recette parce que l’Aufseherin débarquait dans le block, preuve de l’omniprésence de la machine nazie : « Les brusques entrées du SS pris d’une envie de contrôle ou de brimade »80 sont fréquentes. N’oublions pas que le but des camps était la déshumanisation et la perte de l’identité par un traitement de masse des individus. Il n’est donc pas étonnant que les Aufseherin surveillaient en permanence les ‘heures de liberté’ des déportées. L’exercice de l’écriture est risqué, mais on comprend aussi qu’il devient salutaire pour ces déportées. Christiane Hingouët-Cabalé souligne que si les Aufseherin avaient découvert que les déportées écrivaient des recettes elles, « auraient eu droit aux coup de schlag. (...) Et si les allemands arrivaient on criait ‘achtung, achtung81’ »82 . C’est pourquoi les recettes étaient scrupuleusement cachées sous le « (...) matelas. C’était de la paille avec une serpillière et on cachait ça là. Mais on ne les cachait pas reliés, c’était des feuilles seulement. »83. On note que le châlit était la cachette principale pour les ‘objets personnels’ des détenus, objets péniblement amassés au prix d’efforts et de risques élevés : « La paillasse qui servait de coffre fort. (...) et où le sommeil même est une menace. » 84. Les recettes étaient aussi cachées dans le bureau de la blockowa, ainsi que dans le ‘placard’ où les déportées rangeaient leurs quart : « C’était un espèce de petit réduit de rien du tout où on empilait les gamelles (...). Les camps c’étaient des camps de travail donc il y avait des recoins de vestiaire où on planquait. »85. Il est donc primordial de cacher ces recettes, ces petits fragments du quotidien auxquels les déportées se rattachent. Écrire des recettes était risqué, mais voler des feuilles et des crayons, l’était tout autant. Ce risque, les détenues en prennent la mesure, mais il est nécessaire parce qu’il y a une réelle envie d’écrire : « Mais ce n’est pas une idée (...), c’est un besoin de parler de bouffe ! » 86. L’écriture est une impulsion immédiate, où on prend des risques pour satisfaire ce besoin. Certes ce n’est pas un besoin élémentaire, comme manger ou boire, mais qui le devient parce qu’il est le reflet de la culture de l’homme, de son identité propre, de ses origines et de son éducation.

80

RESNAIS, Alain, Nuit et Brouillard, Film documentaire de 1956, citation à 9’47 ‘attention, attention’ 82 Dans Interview du 25 décembre 2013 83 Idem 84 RESNAIS, Alain. Op. Cit. 9’43 et 9’29 85 Dans Interview du 25 décembre 2013 86 Idem 81

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2.2. Les matériaux : une matière première indispensable 2.2.1. Un crayon et du papier Nous savons que dans les camps les déportés se volaient entre-eux ; il fallait une vigilance de tous les instants pour garder la propriété d’une chaussure, d’un morceau de ceinture, de sa cuillère etc. Les déportés sont dénués de toutes propriétés matérielles et doivent sans cesse relever d'ingéniosité pour survivre et/ou arriver à leurs fins. Primo Levi souligne : « Nous avons appris que tout sert. (...) Nous avons appris du même coup que tout peut nous être volé »87. Double tranchant d’un univers impitoyable. C’est ainsi que parfois, avec plus ou moins de chance, on trouvait du crayon et du papier : « Comment ai-je eu le morceau de papier et de crayon ? Deux petits feuillets et un demi crayon, bien taillé heureusement car je n’ai pas de couteau. Toujours est-il que j’ai écrit. Je sais encore écrire. »88. Cette citation met en évidence que dans le système concentrationnaire nazi, l’homme est annihilé, soumis à un mode de vie bestial. Il est donc tout naturel que le déporté se pose la question simple de savoir s’il est encore capable d’écrire.

Léonce et Christiane ont utilisé des fiches horaires de l’usine Hasag, le kommando où elles travaillaient. Ces feuilles elles les ont volé au Meister : « (...) on volait du papier aux allemands. C’était celles qui étaient près du contrôle (contrôle des obus) parce qu’elles avaient des papiers, alors elles piquaient une ou deux pages. »89. Ces papiers étaient jetés par les meister, ils les utilisaient pendant une semaine, puis les déportées les récupéraient. Le crayon graphite quant à lui était volé par les blockowa polonaises, qui ensuite leur donnaient. À Ravensbrück, Christiane Hingouët-Cabalé dit que c’est grâce au Revier ou aux ‘copines’ qui travaillent à la direction, que les déportées se procuraient du papier et des crayons. L’entreprise est là aussi périlleuse, parce qu’elles sont susceptibles d’encourir la peine de mort si elles se faisaient prendre.

Pour le carnet de Mauthausen, on ne peut véritablement savoir comment la déportée se l’ait procuré, cependant on émet une hypothèse à la suite du récit de Christiane Hingouët-Cabalé dans son livre En 1944, j’ai 20 ans. À son arrivée à la prison de Rennes, cette dernière signale que les journées sont longues et dit : « Parmi les détenues se trouvaient des professeurs, une femme médecin, des 87

Dans Si c’est un homme, p. 45 Témoignage de Pierre Saint Macary, déporté à Mauthausen. extrait du site http://www.cndp.fr/crdp-creteil/ component/ressources/?task=view&id=381 extrait de son livre SAINT MACARY, Pierre. Mauthausen : Percer l’oubli. Paris : L’harmattan, février 2004, 144 p. 89 Dans Interview du 25 décembre 2013 44 Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014 88


comptables et des femmes qui travaillaient en usine, etc. Un peu de toutes les professions. Avant notre arrivée elles s’étaient procurées des cahiers et des crayons ; elles ont donc organisé des cours et on a ainsi continué à lire et à faire des maths... certaines apprenaient l’allemand. »90. La déportée inconnue avait donc sans doute le carnet au moment de son emprisonnement, et peut-être l’a-t-elle conservé pendant toute sa déportation. Elle a par contre rajouté des feuilles horaires d’usine de la compagnie Siemens. À l’inverse de celles volées par Léonce et Christiane à Leipzig, ces feuilles sont vierges de toute annotation des meister. En plus du souci de précision dans l’ordonnance des recettes, les déportés ont eu une attention particulière à la fabrication de reliures. La conservation de ce type de documents nécessitent là encore des matières premières difficiles à trouver.

Fig. 19 Fiche horaire du carnet n°2 p.8 remplie par un des meister de l’usine Hasag, Leipzig

90

HINGOUËT-CABALÉ, Christiane. Op. Cit., p. 27

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45


Fig. 20 Une des cinq feuilles horaires d’une des usines Siemens, ramenée par la déportée de Mauthausen. Probablement l’usine Siemens à Ravensbrück

2.2.2. De fil en aiguille Les couvrures utilisées par Léonce et Christiane sont encore des feuilles de contrôle des machines et des obus de l’usine. Mais cette fois le papier est plus épais et plus large que les feuilles de contrôle roses. Il est aussi de couleur différente : vert.

Fig. 21 Couvrure du carnet n°3, fabriquée avec une page de contrôle de l’usine Hasag 46

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Nous avons véritablement de la part des détenues, le souci d’une reliure et de la mise en page pour les quatre carnets qui composent notre mémoire. Au cours de nos recherches nous nous sommes aperçus que l’écriture de recettes était véritablement ce qu’on peut appeler un ‘phénomène’. Et pratiquement tous ceux qui ont écrit ce genre de carnet ont eu le même souci de conservation, de préservation de ce qu’ils écrivaient. Ainsi nous avons eu la chance de trouver un autre carnet écrit aussi à Leipzig, sur des feuilles horaires de l’usine Hasag. La déportée qui a écrit ce carnet, l’a protégé en fabriquant une ‘reliure’ avec un bout découpé de son châlit. Elle a donc sacrifié un morceau de sa paillasse, de son coffre-fort, pour pouvoir protéger ses recettes. Un autre carnet a été trouvé, celui de Marcel Letertre, qui lui a été déporté dans plusieurs camps de concentration, dont Auschwitz, mais c’est au camp de Flöha qu’il a écrit ses recettes. Ce camp avait un kommando de travail de fabrication d’avions de chasse allemands, et Marcel Letertre a volé deux plaques de fuselage d’avion faites en duralumin 91. Dans ces recettes Marcel Letertre ne cite pas moins de trente-cinq autres hommes qui ont écrit ces recettes avec lui. Très vite ils s’étaient fait surnommés « les ambulants de la recette de cuisine » dans le camp de Flöha. Ces objets deviennent alors doublement intéressants : des recettes de cuisine et une ‘reliure’. Nous avons ici le souci d’un objet relativement fini, tel que nous le connaissons, c’est-à-dire un carnet avec un corps d’ouvrage et une reliure pour protéger le contenu. Ces objets sont d’autant plus intrigants, déjà par leurs matériaux, mais aussi parce qu’ils ont été écrits par des hommes comme par des femmes. Nous sommes confrontés à un véritable phénomène, où l’imbrication psychologique est forte. D’une initiative que nous croyions isolée, on s’aperçoit très vite que cette pratique est courante dans un contexte de privation de liberté.

91

Le duralumin est composé à 90% d’aluminium et à 10% de cuivre

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la recette de cuisine ». Marcel Letertre ne cite pas moins de 35 de ces cuisiniers. Sur une cinquantaine de feuillets, il prend note jusqu’à 400 recettes ! Pâté en croûte, galette bretonne, pommes meringuées…

________________________

Fig. 22 Carnet de recettes de cuisine, écrit en collectif et rédigé par Marcel Letertre, camp de Flöha, 1943-1945, et reliure en duralumin

ArchivesMarcel Départementales dedéportation. Loire-Atlantique. Papierd’auteur, de récupération 1 Patrick Simon-Letertre, Letertre. Notes de Publié à compte 2005.

Fig. 23 Carnet de recettes de cuisine, écrit par une déportée inconnue, camp de Leipzig, usine Hasag, archives privées

2.3. La récurrence et l’universalité du phénomène 2.3.1. Une récurrence des recettes et de l’iconographie Nous découvrons toute l’ampleur du phénomène, et la force symbolique de ces écrits. Nous prenons conscience d’une autre réalité au sein des carnets de recettes : l’illustration de ces recettes. En effet, en étudiant nos documents, nous nous sommes aperçus que les déportées agrémentaient parfois la recette écrite, d’un petit dessin qui illustre une partie ou la vision finale que devait avoir le plat. Par exemple on retrouve dans les feuilles annexes qui ont été données à notre déportée inconnue, une recette d’oeufs et à gauche se trouve un petit croquis d’oeuf coupé à la base. Cela est expliqué dans la recette ci dessous :

Fig. 24 Recette d’oeufs à la Christophe Colomb, avec son dessin. Détail d’une des pages faisant parti du corpus de la déportée inconnue de Mauthausen, mais qui a été écrit par une tierce personne

48

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Mais Christiane et Léonce Hingouët ont également eu recours à ce genre de petits dessins, notamment parce que comme Christiane Hingouët le dit : « (...) j’avais 18 ans je ne savais rien faire. Même pas cuire un oeuf ! »92. Elle ajoute, avec toute la candeur qu’offre la jeunesse : « Mais il y a même des recettes de boeuf aux carottes, moi je me rappelle d’une copine, elle était de ClermontFerrand, elle savait très bien faire le boeuf aux carottes. Elle mettait des pieds de veau dedans et elle mettait plein de choses ! Et je me souviens, avec mon innocence de ne pas savoir faire la cuisine : « Mais comment tu fais cuire tout ça ?! » Parce que pour les carottes, le boeuf, le pied de cochon... Il en avait tellement que moi dans mon innocence je me demandais comment on faisait cuire tout ça. Et elle m’a dit « dans plusieurs casseroles ». Tu vois, j’avais jamais touché une casserole ! »93. C’est donc assise sur son châlit qu’elle écrit ces petits fragments de recettes agrémentés de petits dessins. Pour pouvoir refaire la recette, ses notes sont consciencieusement écrites, dans l’espoir qu’elles lui serviront une fois la guerre terminée, mais avec toujours cette appréhension : « si je reviens »94. Au fond de leurs coeurs ‘ces jeunes scribes de la recette de cuisine’ ont l’espoir de revenir chez elles. Ce qui est étonnant, et qui prouve l’universalité de ces recettes, c’est la reprise parfois d’une même iconographie, que ce soit pour parfaire une première de couverture ou pour illustrer une recette.

Fig. 25 et 26 Page de recettes et détail d’une recette sans titre d’oeuf et de tomate montés pour former un champignon. Carnet n°2

92

Dans Interview du 25 décembre 2013 Idem 94 Ibid. 93

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Fig. 27 Carnet de 97 recettes de cuisine, camp de Ravensbrück, écrit par Edith Combosh, 1945, Musée Juif, Sydney

Ainsi dans le cas du carnet d’Edith Combosh (voir Fig. 27 ci-dessus), les recettes de cuisine ont été écrites par un groupe de femmes hongroises et yougoslaves, à Ravensbrück. De ce fait, nous ne savons pas si ces dessins étaient une recette bien connue des déportées, ou si dans le cas d’Edith Combosh, elle a tout simplement illustrée sa première de couverture. Il s’agit probablement d’un dessin pour combler le vide. Cela se matérialise bien évidemment par un souci de la précision, du mot ou du dessin juste. Edith Combosh souffre terriblement de la faim et lors d’une interview elle dit : « La faim, c’est quand chaque molécule de votre corps exige d’être nourrie et que votre esprit ne peut absolument rien faire d’autre que de penser à se procurer un peu de nourriture. Quand vous êtes à ce point affamé, plus rien d’autre n’existe ; nous n’avions absolument aucune autre pensée que de nous nourrir »95 . D’où le besoin d’écrire et d’où le besoin de dessiner deux petits champignons sur la première de couverture parce que « dans la pire des adversités, une seule chose vous appartient toujours, votre liberté de penser. »96 . Ces créations réalisées clandestinement révèlent la puissance de l’acte de création qui rend aux déportés un peu de dignité et d’espoir. Cet espoir, symbole de la vie, continue jusque dans les camps.

95

COMBOSH, Edith. Interview conservée au Memorial Yad Vashem de Jérusalem Les robes grises : Dessins et manuscrits clandestins de Jeannette l’Herminier et Germaine Tillion réalisés au camp de Ravensbrück : exposition Besançon, Musée de la Résistance et de la Déportation. Besançon : Février-mai 2012. Strasbourg : Bibliothèque nationale et universitaire, février 2011, préface 50 Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014 96


2.3.2. L’universalité des recettes Nous avons révélé jusque là que « pour supporter la faim, les détenus parlent beaucoup de cuisine. »97, et notamment les français pour qui la cuisine est une véritable institution, ancrée dans leur culture. C’est un patrimoine que les détenus ont cultivé et pour lequel ils ont fait preuve de beaucoup d’imagination. On pourrait croire que les recettes ont été écrites uniquement par des femmes, mais nous avons déjà vu l’exemple du carnet de Marcel Letertre qui l’a rédigé avec d’autres camarades détenus, dont Robert Desnos 98. Nous avons aussi l’exemple de celui de Jean Kréher, déporté en 1944 dans le camp de Buchenwald. Là aussi le carnet est fabriqué avec des matériaux de récupération avec un souci de clarté et de préservation des écrits.

Fig. 28 Carnet de Jean Kréher contenant notamment quelques recettes de cuisine, camp de Buchenwald, 1944-1945, collection particulière

La résurgence de cet instinct de survie se poursuit jusque dans les camps concentrationnaires autrichiens du Reich : le camp de Tezerin99. Minna Pächter, juive tchèque, a 70 ans au moment de sa déportation. Nous savons que dans les camps les déportés mourraient des mauvais traitements, de la maladie, de la faim et cela est particulièrement vrai pour les personnes âgées. C’est le cas de Minna Pächter qui survit en se nourrissant d’épluchures. Quand nous avons posé la question à Christiane Hingouët s’il était plus facile d’avoir 20 ans à ce moment là moralement et physiquement, elle nous répond : « Maman a beaucoup souffert, beaucoup plus que moi moralement. Nous on ne se lavait pas (...). Mais les gens plus âgés trouvaient ça dur de ne pas pouvoir se laver. »100.

97

http://www.musee-resistance.com/IMG/pdf/cndr2012__resistance_web.pdf p. 10 Poète français, auteur de nombreuses oeuvres dont une des plus connues : Rrose Sélavy, écrit en 1922-1923 99 Theresientadt en autrichien 100 Dans Interview du 25 décembre 2013 98

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Anne Georget relève que l’écriture de Minna Pächer « tremble de page en page, se fait plus frêle à mesure que la faim et l’épuisement gagnent. » 101. Elle aussi peut se chamailler des heures pour une recette avec ses codétenues. Bianca Brown, 18 ans à l’époque, fût elle aussi déportée à Tezerin et elle raconte : « Je revois encore comme si c’était hier ces femmes qui parlaient de cuisine avec tant d’animation et de ferveur. Je crois qu’elles étaient naïves. En fait, nous ne savions pas ce qui allait nous arriver. Je pense qu’elles s’accrochaient à leurs recettes favorites (...). Et je me souviens qu’elles se disputaient : l’une parlait de sa tarte avec ça de sucre et ça de beurre ; avec tant et tant de chocolat... »102.

Fig. 29 Carnet de recettes de cuisine de Minna Pächter, camp de Tezerin (Autriche), 1942-1944, Musée de l’Holocauste, Washington

Les recettes étaient échangées et parfois avec des détenus de plusieurs nationalités. Par exemple notre déportée inconnue a écrit quelques recettes polonaises à base de pâtes appelées ‘Kroustes’. Elle décrit exactement ce qu’il en est et elle en dessine la forme pour plus de précision :

101 102

52

HERBERSTEIN, Elsie, GEORGET, Anne. Les Carnets de Minna. Tours : Seuil, septembre 2008, p. 93 Idem, p. 97 Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014


Fig. 30 Détail d’une recette polonaise écrite par la déportée inconnue de Mauthausen

De plus dans nos quatre carnets nous avons relevé des recettes très hétéroclites et synonymes de diversités culturelles et régionales : pudding, scones, gâteau roumain, ris de veau madrilène, salade strasbourgeoise, carbonate belge etc. Nous savons qu’à partir de 1940 les konzentrationlager s’internationalisent. Et ces recettes sont le reflet de cette diversité de détenus. D’ailleurs Primo Levi le dit : « Le mélange des langues est un élément fondamental du mode de vie d’ici ; on évolue dans une sorte de Babel permanente (...) »103. Et ce ‘Babel’ se retranscrit dans la multitude de recettes de tous les horizons, et son fondement d’échanges sociaux. Les carnets de recettes n’étaient pas uniquement écrits par des femmes, comme nous l’avons vu précédemment, ni uniquement par des femmes âgées, mais aussi par des hommes, des jeunes et des personnes de toutes nationalités. Grâce au témoignage de Christiane Hingouët-Cabalé, nous savons mis un éclairage particulier sur ce détail de la vie dans les camps de concentration. Nous ne doutons pas qu’il puisse y avoir d’autres carnets, dont nous n’avons pas eu connaissance lors de la rédaction de ce mémoire. Mais déjà nous pouvons voir qu’il y a une vraie récurrence de cette écriture si banale, que le côté universel est indéniable. Se pose maintenant la question des fonctions de l’objet et de ses dimensions parce que comme l’exprime Primo Levi : « (...) chacun considère en soi-même toute la valeur, toute la signification qui s’attache à la plus anodine de nos habitudes quotidiennes, (...) »104.

103 104

Dans Si c’est un homme, p. 53 Idem, p. 34

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53


3. La finalité d’une telle écriture 3.1. ‘Un crayon pour fuir la réalité’ et rester humain La première question qui nous vient à l’esprit sur les carnets de recettes de cuisine écrits dans les konzentrationlager est : quelle est la fonction des carnets de cuisine ? Pour cela il faut regarder dans les dimensions de la fonction même de l’objet. La fonction première, qui est la plus évidente, est l’occupation. L’occupation parce qu’il y a une action immédiate dans l’acte d’écrire, une nécessité pour s’abstraire de la réalité. Par ailleurs les graphiques105 que nous avons établis renforcent ce caractère de normalité : le type de recettes est proportionnellement ce que l’on peut retrouver dans n’importe quel livre de cuisine actuellement, et qui prouve la banalité de l’écriture. Les détenus cherchent à « se distraire de soi-même, de l’existence qui vous habite, vous investit obstinément, obtusement aussi : obscur désir de continuer à exister, de persévérer dans cette obstination, quelle qu’en soit la raison, la déraison. »106. Il y a un caractère très ordinaire des recettes et Olivier Assouly souligne : « Tout semble indiquer la possibilité d’en faire un usage quotidien, or il n’y a plus de quotidien. C’est ça qui est frappant (...) »107. De cette fonction ordinaire des recettes en découle la notion de ‘thérapie’ des détenus dans le fait d’écrire des recettes qu’ils ne pourront ni réaliser, ni manger ; compte tenu de la disponibilité des ingrédients et de leurs conditions de détention. C’est un moyen de combattre la faim par le rêve, l’imagination : « Il est sans doute difficile d’admettre, pour des non-initiés, l’importance primordiale que revêtaient dans les camps de concentration les recettes de cuisine ou de pâtisserie ; mais lorsque nous avions digéré un canard théorique aux oranges ou un excellent cassoulet abstrait, nous avions moins faim, c’est un fait »108 . Christiane Hingouët-Cabalé dit que ce n’était pas particulièrement une envie d’écrire des recettes de cuisine, mais un besoin dans le sens où c’était reposant. Ainsi elle oubliait tout ce qui faisait son quotidien de travailleuse forcée. Parler de nourriture apaise, repose, fait saliver mais aussi semble repaitre les détenus. On pourrait croire cependant que ces recettes de cuisine sont un échappatoire, une porte de sortie pour nier la réalité. Germaine Tillion, déportée à Ravensbrück en tant que déportée politique pour faits de résistance, pense que la réalité est tellement intolérable que ses camarades se sont voilés la

105

Voir les graphiques 1, 2, 3 et 4 p. 41 qui résument quantitativement et par catégorie les recettes de nos carnets SEMPRUN, Jorge. Op. Cit., p. 17 107 GEORGET, Anne. Interview d’Olivier Assouly, décembre 2013. Mr Assouly est enseignant en philosophie et il est l’auteur de plusieurs ouvrages consacrés aux nourritures et aux enjeux philosophiques du goût 108 Témoignage de Jean Baumel dans SIMON-LETERTRE, Patrick. Marcel Letertre : Notes de déportation. [s.l.] : Association M. & G. Letertre, 2005, 216 p. 54 Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014 106


face. Elle raconte : « Le sentiment dominant chez les Françaises, plus encore que la peur, avait été la stupeur, l'effarement. Au premier contact, ce furent les plus optimistes, les moins lucides qui reçurent le choc psychique le plus rude. Nous étions presque toutes de la Résistance, et aucune ne flancha devant les Allemands, mais le soir, dans la solitude du dortoir, il y eut des larmes. Ensuite, au bout de deux ou trois jours, plusieurs essayèrent de nier la réalité, de lutter contre elle avec leurs pauvres moyens - les bobards, les chimères, les recettes de cuisine... et elles se mettaient en colère quand on leur révélait une nouvelle horreur. «"Et même si c'est vrai, je ne veux pas le savoir », m'ont dit des camarades que j'essayais d'éclairer. Comme la névrose, une certaine futilité est un refuge contre les réalités intolérables. » 109. Sans doute que les détenus ont voulu fuir la réalité en écrivant des recettes, mais pour retrouver les codes culturels de leur humanité.

3.2. ‘Informer malgré les risques’ Le fait de se réapproprier l’écriture prouve également que les déporté(e)s, par ce biais, ne sont plus des sous-hommes ou des sous-femmes. Puisque par l’écriture, la déshumanisation voulue par le régime nazi, éclate. L’individu se réapproprie des signes d’ordre symboliques, culturels et parfois religieux. Cela rattache l’homme à son humanité, à ce qu’il est et à ce qu’il connait. Et c’est essentiel pour sa survie. Mais parfois le détenu compromet sa survie, comme Germaine Tillion. Nous savons qu’écrire des recettes de cuisine dans les camps était avéré. Par cet intermédiaire, Germaine Tillion a rédigé des recettes de cuisine acrostiches, visant à dénoncer les principaux commandants SS du camp de Ravensbrück. Elle a fait cela dans le but de dénoncer les hommes et les femmes qu’elle pensait être les pires bourreaux, et elle ne voulait pas qu’ils restent impunis. Elle voulait que cela se sache. Elle voulait informer, malgré les risques encourus. Cette femme continue ses actes de résistance au sein même du camp où elle est détenue, par le simple fait de la dénonciation écrite. Tout comme Léonce et Christiane, ainsi que leurs camarades françaises l’ont fait en trafiquant les obus dans l’usine Leipzig. L’une résiste par l’acte d’écrire, les autres par les faits de sabotage. Dans les deux cas on ne sait pas si cela a véritablement servi, mais l’utilité première est dans la survie morale des déportées. Que ce qu’elles ont vécu se sache. Cela nous amène à une troisième fonction de l’objet : celle de témoignage, voire de testament.

109

Germaine Tillion, extrait du site http://www.cndp.fr/crdp-creteil/component/ressources/?task=view&id=396 extrait de TILLION, Germaine. Ravensbrück. [s.l.] : Le Seuil, mai 1988 [© 1973], 517 p. Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014 55


re de chaque ligne, le nom de famille des responsables apparaît : nom des responsables nazis rattachés à Ravensbrück. En efostiche. L’objectif estnom biende defamille garder des une responsables trace de ces noms pour : de chaque ligne, le apparaît usticeL’objectif devra se faire. che. est bien de garder une trace de ces noms pour

ice devra se faire.

Potage Maigre !

Kub

!

epinards en oseille

!

gruyère rapé

mes de saison

!

eplucher quelques légumes

de saison

!

!

!

lait à volonté

du camp

camp

de saison

KEGEL : commandant du camp de Ravensbrück jusqu’en avril 1943 Recettes de cuisine en acrostiche, réalisée par Germaine Tillion

Recettes de cuisine en acrostiche, réalisée par Germaine Tillion

autre recette

mères

e

res t de 1943

e 1943

!

sauce anglaise

!

un peu d’ail

!

hacher des fines herbes

!

raper une noix de coco

!

eplucher des amandes amères

!

naper le riz avec la sauce SUHREN : commandant du camp de Ravensbrück )avril 1943-1945(

Fig. 31 et 32 Deux recettes de cuisine acrostiches de Germaine Tillion. Les premières lettres de chaque début de phrase forment à la verticale des noms de commandants SS

56

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3.3. Un objet de transmission, de témoignage Les recettes de cuisine, par leur existence propre au sein du contexte de création, sont des objets de transmission, de témoignage. Nous sommes toujours dans la recréation d’un espace normal, familier. La nourriture nous est familière parce qu’elle est directement ancrée dans nos racines, notre culture. C’est la spécificité de chaque communauté et pays. C’est ce qui nous caractérise. Inconsciemment les recettes de cuisine ont pu prendre l’aspect de transmission, de testament. Tout individu a en tête les recettes de cuisine qui ont fait leur enfance, que l’on rattache à un souvenir en particulier. Il n’est pas étonnant que quelques-uns en ont parlé avec ferveur dans les camps de concentration, puisque c’est véritablement quelque chose d’identitaire, qui se rattache à chaque famille. Dans la cuisine, tout le monde a sa ‘madeleine de Proust’, qui le renvoie a ses propres codes. La cuisine révèle souvent la personnalité des individus. Ainsi Minna Pächter, a écrit pas moins de 78 recettes de cuisine lors de sa détention au camp de Tezerin, avec ses codétenues. Elle se remémore ses meilleures recettes de cuisine et ce sera là véritablement le testament qu’elle laissera à sa fille, qui a réussi à fuir la Tchécoslovaquie avant la fermeture des frontières, et avant une rafle massive des juifs. À la dernière page de ce carnet elle écrit « S’il vous plait, prenez soin de ces recettes. »110 :

Fig. 33 Détail de la dernière page du carnet de Minna Pächter : « S’il vous plait, prenez soin de ces recettes. »

Peu avant de mourir, Minna Pächter a su que sa fille a fui pour la Palestine, et c’est donc en pleine conscience qu’elle écrit ce témoignage avec un soin minutieux. Elle lègue sans doute ce qu’elle a de plus précieux et ce carnet tient lieu de testament. Mais c’est aussi un symbole fort de la puissance du devoir de transmission d’une recette de cuisine à sa fille : un sursaut d’amour et une manifestation de maternité. Minna Pächter meurt en 1944 dans le camp de Tezerin, confiant le carnet à un ami. Ce n’est qu’en 1960, à New-York que sa fille recevra cette ultime preuve d’amour : les recettes de son enfance consciencieusement écrites par sa mère.

110

HERBERSTEIN, Elsie, GEORGET, Anne. Op. Cit., p. XXXVI

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3.4. Un acte communautaire pour se souvenir Nous avons vu lors de nos développements successifs que les recettes s’échangeaient entre déportés au sein des camps. La dernière fonction que nous voudrions aborder est celle relative au sacré. Le sacré permet de s’ancrer là aussi dans une certaine réalité, et quoi de plus sacré qu’une recette de cuisine familiale ? Cela s’apparente à un rituel, parce qu’une communauté, quelle qu’elle soit, se forme au travers d’actes réguliers, qui ponctuent d’une certain façon nos vies au travers d’échanges sociaux. Ainsi le côté universel des carnets de recettes de cuisine ressurgit. La nourriture nous constitue. Les recettes ‘nourrissent’ notre être tout entier. De plus, s’ajoute à la fonction de rituel, la fonction de mémoire. Pour tous les carnets que nous avons abordé, nous avons constaté, bien après cette période, qu’ils étaient religieusement rangés dans les placards. Dans le cas de Marcel Letertre, sa femme gardait ses notes de déportation et ses recettes sous une pile de linge. À la libération des camps, les carnets de cuisine sont l’unique ‘témoin’ que Léonce et Christiane ramènent. Les carnets sont cachés dans la cotte de travail de Christiane Hingouët-Cabalé et dans une sorte de petit baluchon pour Léonce Hingouët. À la mort de cette dernière le 3 juillet 1975, Christiane les récupère dans le placard de sa mère. Quand nous avons demandé si c’était une des premières choses que Christiane avait pris à la mort de sa mère, elle nous a répondu tout de suite, brièvement et pensivement : « Pas loin... Pas loin... ». Ces mots, et la manière de le dire, reflètent toute la puissance de ces recettes. Il s’agit là véritablement d’un témoignage de déportation, 70 ans après les avoir écrites. Évidemment sur le moment ces recettes étaient multi-fonctionnelles. Et si ces personnes avaient voulu oublier, elles auraient jeté ces objets. Or ils ont été précieusement conservés au sein d’archives familiales ou dans des institutions publiques. Il faut brièvement rappeler que toutes les archives des Lager ont été brûlées aux derniers jours de la guerre, et ce fût une perte irrémédiable de preuves directes. Primo Levi dit d’ailleurs que la machine nazie était tellement monstrueuse, que toutes les atrocités commises dans les camps n’auraient jamais été crues. Les S.S prenaient plaisir à prévenir les détenus, afin de les affaiblir moralement : « De toute façon que cette guerre finisse, nous l’avons déjà gagnée contre vous ; aucun d’entre vous ne restera pour porter témoignage, mais même si quelques-uns en réchappaient, le monde ne les croira pas. Peut-être y aura-t-il des soupçons, des discussions, des recherches faites par les historiens, mais il n’y aura pas de certitudes parce que nous détruirons les preuves en vous détruisant. Et même s’il devait subsister quelques preuves, et si quelques-uns d’entre vous devaient survivre, les gens diront que les faits que vous racontez sont trop monstrueux pour être crus : ils 58

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diront que ce sont des exagérations de la propagande alliée, et ils nous croiront, nous qui nierons tout, et pas vous. L’histoire des Lager, c’est nous qui la dicterons. »111 . Par bonheur ils avaient tort. Les objets et la vérité finissent toujours par ressurgir. Il convient de dire qu’il n’y a pas une seule clé de lecture des carnets de recettes de cuisine écrits en camps de concentration. Il faut prendre en compte toutes les dimensions et ce, que ce soit dans l’acte d’écrire à l’instant donné, comme la destination finale. Mais on ne peut décider véritablement de la fonction que cela peut avoir. Les carnets restent quelque chose d’indéchiffrable, d’incompréhensible : « Personne ne se rend compte, qui n’a pas vécu ça, ne peut mesurer le degré de faim d’un être humain. »112.

111 112

Dans Les naufragés et les rescapés : Quarante ans après Auschwitz. p. 1-2 Dans Interview Christiane Cabalé du 25 décembre 2013

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Conclusion de l’étude historique Des récits et des images très difficiles m’ont été donnés à lire et à voir. Les carnets de recettes sont des objets insolites dans l’univers concentrationnaire et ils resteront probablement incompréhensibles pour tout être libre. Cependant je réalise l’ampleur de ce phénomène, puisque lors de mes recherches sur le sujet j’ai appris l’existence d’un carnet de recettes écrit par un G.I. américain (lieutenant Chick Fowler) lors de sa détention dans un camp de prisonniers de guerre au Japon. La même chose pour Vera Nikolaevna Bekzadian, détenue dans un Goulag pendant neuf ans, qui a écrit des recettes sur des chutes de lin brut récupérées à l’atelier de travail de broderie113. Nous ne parlons plus de la récurrence de ce phénomène dans le système concentrationnaire nazi : le sujet s’étend aux systèmes concentrationnaires en général. Je suis consciente que cette partie historique a soulevé plus de questionnements qu’elle n’a apporté de réponses ; mais je me suis efforcée de mettre en lumière un sujet que l’on redécouvre. Lors de mes recherches, que ce soit auprès de professionnels, ou de mon entourage, toutes les personnes furent étonnées de la portée et du sens que représente l’écriture des carnets de cuisine en camp de concentration. Il faut aussi rappeler c’est en relisant le livre écrit par Mme Hingouët-Cabalé, que j’ai eu connaissance de cet épisode de sa vie et des objets qu’elle a pu ramener de sa déportation. Les trois enfants de Mme Hingouët-Cabalé n’étaient eux-mêmes pas au courant. Nous émettons l’hypothèse que les ex-déporté(e)s n’ont pas eu conscience que ces objets pouvaient intéresser, puisqu’il ne s’agit que de recettes de cuisine finalement. On ne mesure pas l’ampleur de ce phénomène actuellement. Mais il me tarde d’en voir les retombées. Je reste persuadée que c’est un sujet que l’on ignore et qui reste certainement tabou, puisque l’on : « réintègre du symbolique à un niveau exceptionnel. Ça nous embarrasse, ça nous pousse à reconsidérer la victime comme ayant du plaisir et de la joie, évidemment il s’agit d’être prudent dans l’usage de ces mots. »114. Cela nous parait inconcevable, insensé et extraordinaire au sens propre de produire des actes ordinaires dans un cadre si particulier. Nous sommes amenés, parallèlement, à regarder le quotidien du tortionnaire. La 113 114

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Voir en annexe 8 p. 211 les recettes de cuisine écrit par ces deux personnes Dans Interview Olivier Assouly de décembre 2013 Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014


première réalité est que le tortionnaire est un monstre, mais c’est aussi un être humain par les actes ordinaires de son quotidien. Il y a une incompréhension du bourreau nazi puisqu'il joue aux cartes, écoute du Wagner, lit du Goethe ou du Nietzsche etc. On ne relit pas le monstrueux à l’humain : « À Buchenwald, les S.S., les Kapo, les mouchards, les tortionnaires sadiques, faisaient tout autant partie de l’espèce humaine que les meilleurs, les plus purs d’entre nous, d’entre les victimes... La frontière du Mal n’est pas celle de l’inhumain, c’est tout autre chose. »115. Et les recettes de cuisine en sont l’effet miroir. On en revient à la problématique de départ : pourquoi écrire des recettes dans ce contexte ? Cela fait partie des énigmes de l’Humain, quand nous sommes face à une situation qui relève de l’incompréhensible. Mais dans tout acte traumatisant nous avons des réflexes de survie. Nous recherchons des ‘points d’accroches’ qui nous ramènent à une réalité triviale et banale. Mais c’est aussi le témoin d’un désespoir absolu. C’est une « puissance symbolique tellement particulière dans ce contexte, la recette, que ça fait toujours ressortir le caractère exceptionnel du moment et ça a une valeur, une signification incomparable avec le reste. Si c’est l’humain, ça nous montre que nous n’en savons pas grand chose. » 116. Je réalise pleinement la chance de ce témoignage familial direct car Mme Hingouët-Cabalé a été déportée très jeune. Actuellement je continue mes recherches pour retrouver l’identité la déportée inconnue du carnet du Musée de l’Ordre de la Libération. Je voudrais notamment savoir si sa famille était au courant. Peut-être ont-ils une méconnaissance du sujet, tout comme je l’avais avant ce travail de fin d’études. Pour conclure, ces objets dépassent la simple étude historique. Je me permets un terme de cuisine en disant que ‘s’incorpore’ aux recherches purement historiques, une portée sociologique, psychologique, voire philosophique. Cet acte est selon moi d’une portée totalement phénoménologique où une vision à la réalité multiple est suggérée. En clair, l’objet a de nombreuses dimensions, et ce n’est véritablement qu’en étudiant l’expérience directe vécue par le déporté que l’on peut saisir une partie infime de sa réalité.

115 116

SEMPRUN, Jorge. Op. Cit., p. 216 Idem

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Lexique du système concentrationnaire nazi117 Achtung : attention Appellplatz : place de l’appel Arbeitslager : camp de travail Aufseherin (pl. Aufseherinnen) : surveillante Blockowa : chef de block (forme polonaise) Block : baraque où les détenus sont entassés pour passer la nuit Häftling : prisonnier, détenu Kapo : mot qui, en langage de camp désigne un détenu chargé d’une responsabilité de surveillance Kapowa : forme féminine du Kapo Kommando : détachement de déportés en formation de travail envoyés à l'extérieur d'un camp de concentration. Par extension, désigne le lieu de travail d'une équipe de déportés Konzentrationslager (abr. K.Z. ou K.L.): camp de concentration Lager : camp Mauthausen : camp concentrationnaire d’hommes situé en Autriche. Les « N.N. » de Ravensbrück y furent envoyées en mars 1945 Meister : maître/contremaître, désigne ici un ouvrier spécialisé, sorte de moniteur pour les prisonnières à l’usine Musulman : surnom donné aux détenus parvenus au dernier degré de l'épuisement

Nazi : abréviation de National-Sozialistische (NSDAP : Parti national socialiste des travailleurs allemands créé en 1920) N.N. = Nacht und Nebel (Nuit et Brouillard) : expression allemande par laquelle les Nazis désignaient une catégorie de prisonniers destinés à périr sans laisser de traces de leur passage. Cette expression a été empruntée par Himmler au livret de L’Or du Rhin (R. Wagner) et à la réplique de Fafner ordonnant aux nains de disparaître : Seid Nacht und Nebel gleich ! « Soyez semblables à la nuit et au brouillard », c’est-à-dire : disparaissez. L’image est pour le moins évocatrice Planierung : travail de terrassement ayant pour but d’aplanir un terrain Ravensbrück : camp concentrationnaire de femmes situé en Allemagne. Plaque tournante pour fournir une main d’oeuvre aux kommandos du Reich

117

AMICALE DE RAVENSBRÜCK ET ASSOCIATION DES DÉPORTÉES ET INTERNÉES DE LA RÉSISTANCE. Les françaises à Ravensbrück. Le Mesnil-sur-l’Estrée : Gallimard, 1965, p. 335-338 et lexique concentrationnaire du site http://www.crrl.fr/module-Contenus-viewpub-tid-2-pid-177.html 62 Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014


Reich : Empire, territoire de l’État allemande. Le Ier Reich fut fondé par Otton le grand en 962, le IIème Reich correspond à l'Empire fondé par Bismarck, et le IIIème Reich désigne l'État allemand à partir de 1933 et l'accession d'Hitler au pouvoir Revier ou Krankenbau (abr. K.B.): infirmerie Schlague ou Schlag: forme francisée désignant une matraque Siemens : firme allemande S.S = Schutzstaffel : section de protection ; désigne les troupes d’élite du nazisme Stubowa : chef de chambrée (en polonais) Stück : morceau. Mot péjoratif qui désigne les prisonniers Verfügbar (pl. Verfügbaren) : disponible ; prisonnière qui n’est pas encore embauchée dans une colonne de travail fixe Zyclon B : Gaz mortel obtenu à partir des cristaux de cyanure de potassium chauffés et utilisés dans les chambres à gaz des camps d'extermination

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Chapitre deux :

Étude technicoscientifique

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Introduction De nombreux restaurateurs et institutions sont confrontés à un problème récurrent 118 : la perte des tracés, des techniques graphiques et du média en général. C’est véritablement un problème puisque nous avons la perte de précieux témoignages, informations, données et dessins. Cela est dû la plupart du temps à une abrasion de surface des documents, à cause d’une mauvaise manipulation ou du frottement d’un matériau sur une technique sensible ou pulvérulente. Les raisons sont multiples et si l’objet n’est pas bien conditionné ou conservé, la perte d’informations ou du dessin peut être dommageable.

Après une analyse minutieuse de notre corpus de documents, qui présente des abrasions de techniques graphiques (graphite, encre de papier carbone), cela nous a amené à nous interroger sur la résistance à l’abrasion des fixatifs susceptibles d’être utilisés en consolidants de ces techniques.

Cette étude se propose de mettre au point une machine qui abraserait de manière constante, avec la même force et la même pression, des fixatifs. Cela nous permettra d’envisager un classement de ces fixatifs de résistance à l’abrasion, pour consolider au mieux nos techniques sur nos objets de mémoire. La problématique soulevée pour cette partie scientifique est donc la suivante : quels sont les fixatifs qui résistent le mieux à l’abrasion et qui seraient donc le plus susceptibles d’optimiser les techniques de consolidation ? Ce classement se basera sur la perte de matière du consolidant après abrasion, ainsi que sur la moyenne des échantillons après abrasion. Il est bien évident que, pour que cette liste soit exhaustive, tous les fixatifs subiront des tests selon des paramètres identiques.

118

Constat fait par Cécile Huguet-Broquet restauratrice de la Bibliothèque du Musée des Arts Décoratifs de Paris, qui relève une abrasion des techniques surtout dans les angles des documents. Observations recueillies lors de mon stage effectué d’octobre à décembre 2013 Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014 67


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1. Le contexte d’étude Il nous est apparu perspicace de faire une sorte d’étude préliminaire en vue d’expliquer nos choix d’expériences scientifiques. Suite à une analyse technologique des matériaux de nos documents, nous avons noté l’abrasion de crayon graphite et d’encre de papier carbone. Cette étude scientifique vise à apporter un consolidant à ces quelques feuillets relativement abrasés. C’est pourquoi nous avons présenté rapidement ces deux médias, mais ils ne seront pas utilisés dans la réalité des tests. Nous avons donc choisi d’effectuer une étude technologique en amont en définissant les matériaux en présence de nos documents. L’abrasion du crayon graphite et de l’encre du papier carbone est un des problèmes rencontrés sur mon oeuvre de mémoire, d’où la pertinence de cette étude technicoscientifique sur une simulation d’abrasion de surface de fixatifs utilisés en consolidants de techniques graphiques.

1.1. Le graphite 119 Le crayon graphite a été découvert en 1564 en Angleterre et il se compose essentiellement de carbone. On trouve du graphite naturel ou synthétisé. Le graphite forme des liaisons de Van der Waals, qui sont des liaisons faibles. Cela explique que la mine se brise ou se casse facilement. Le graphite peut comporter soit des feuillets hexagonaux, soit rhomboédriques. Ces derniers ont une moins bonne stabilité thermodynamique, que les structures hexagonales ; Fig. 1 Graphite à l’état naturel, sous sa forme brute

tout simplement parce que ce ne sont pas les même formes d’atomes.

Le graphite est identifiable à l’oeil nu de part sa brillance, puisqu’il rejète en partie le flux lumineux, à ne pas confondre cependant avec le copy pencil, qui est un crayon à base d’aniline et qui n’offre pas les mêmes propriétés physiques et chimiques. Selon la taille des particules du graphite, le tracé se veut plus ou moins couvrant. C’est un média très stable chimiquement et il n’y a pas de changement physique avec le temps ou la lumière. Le graphite est de plus, insoluble dans l’eau (ce qui n’est pas le cas du crayon à l’aniline).

119

Informations sur le graphite recueillies dans le mémoire suivant : MICHEL, Allison. Les dessins de Josy Fosty à Buchenwald : Étude, conservation et restauration d’une collection du Cabinet des Estampes et des Dessins de la ville de Liège. Bruxelles : 2013, p. 49 à 53 Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014 69


De nos jours le graphite se trouvent sous différentes duretés, allant de très dur symbolisé par la lettre H, qui correspond à Hard ; à très tendre avec le B de Black. Ci-après une échelle120 de dureté des crayons trouvés dans les magasins de beaux-arts :

Fig. 2 Échelle de dureté des crayons graphite

!

1.2. L’encre de papier carbone 121 L’encre de papier carbone est l’ancêtre de la photocopie. Le brevet de ce procédé a été déposé en 1806 à Londres par Ralph Wedgewood. Ce papier est spécial, puisqu’il permet de dupliquer des documents originaux. Mais une feuille de papier carbone ne permettait pas de faire plus de 4/5 copies. Le nom de ce papier, ‘carbone’, indique que le composant de ce papier est le carbone. Comme nous l’avons vu précédemment, le carbone est un Fig. 3 Exemple de quatre feuilles de papier d’encre carbone

pigment très stable, qui rentre dans la composition du graphite. C’est la pression plus ou moins forte apportée sur le document original, qui effectuera un transfert sur une page vierge. On

pouvait l’utiliser pour des copies manuscrites mais aussi avec une machine à écrire. À l’origine, l’encre de papier carbone se compose de cire et de pigments ; mais à la fin des années 1960 la cire est remplacée par de la résine. C’est pourquoi, au niveau de l’aspect, ce papier peut paraitre brillant/ciré. Concernant notre corpus de documents, la carte de rapatriée de Mme Hingouët-Cabalé a été rédigée avec de l’encre de papier carbone à base de cire, puisque la carte date de 1945122.

120

Cette échelle de dureté du crayon graphite a été trouvé sur le site http://www.artstage.fr/technique/dessin/crayon.php Informations recueillies sur le site http://www.gralon.net/articles/materiel-et-consommables/materiel-bureautique/ article-le-papier-carbone---histoire-d-une-invention-3685.htm 122 Voir dans la partie restauration p. l’identification des matériaux constitutifs p. 99-101 70 Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014 121


1.3. Phénomène de l’abrasion L’abrasion sur les documents d’archives ou d’art est un phénomène problématique pour la conservation des écrits ou des tracés. Suite à nos recherches nous avons trouvé que cela avait un nom : il s’agit de la tribologie. La tribologie est la science du frottement, de l’usure, de la lubrification et de l’adhérence123. À cause de ce phénomène on peut perdre des documents, et des informations cruciales. Comme par exemple ces deux photographies ci-dessus prises à partir de nos documents :

Fig. 4 et 5 Abrasion du graphite et de l’encre du papier carbone sur le carnet d’adresse et sur la carte de rapatriée de Christiane Hingouët

1.4. Choix des fixatifs 124 Depuis plusieurs années des fixatifs sont utilisés en consolidants de techniques graphiques : les fixatifs d’origine animale, les fixatifs d’origine végétale et les éthers de cellulose. Ci-après un tableau récapitulatif de ces familles de fixatifs utilisés en restauration d’arts graphiques.

123

Définition donnée par le Laboratoire de Tribologie et Dynamique des Systèmes de Lyon http://ltds.ec-lyon.fr/spip/spip.php?rubrique1 124 MICHEL, Allison. Op. Cit. p.102 à 117 Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014

71


Fixatif végétal

Fixatif animal

Éthers de cellulose

Funori

Gélatine

Méthylcellulose

Junfunori

Esturgeon

Hydroxypropylcellulose

Amidon de Blé

Carboxyméthylcellulose sodique Méthylhydroxyéthylcellulose

Tabl. 1 Tableau récapitulatif des fixatifs utilisés couramment en restauration d’arts graphiques. En gras les fixatifs que nous avons sélectionné pour nos tests technico-scientifiques

Nous avons décidé de ne présenter que les trois fixatifs que nous avons utilisé pour notre protocole expérimental : l’hydroxypropylcellulose, la gélatine et la méthylcellulose125 . Ces trois fixatifs ont été choisis puisqu’ils sont très largement utilisés dans le domaine de la restauration en arts graphiques. De plus, que ce soit le fixatif ou le produit qui le solubilise, dans les deux cas il est aisé de se les procurer. Enfin nous avons privilégié les éthers de cellulose, au détriment de fixatifs d’origine végétal, pour la simple et bonne raison que ce sont des polymères qui sont des dérivés du principal constituant du papier, la cellulose. De plus ce sont des polymères qui se dissolvent dans l’eau froide, ce qui est un facteur accommodant à plusieurs points de vue.

1.4.1. La gélatine La gélatine est un fixatif composé de collagène de protéine animale. Elle est issue d’os déminéralisé, pour les gélatines de bonne qualité. La gélatine a une structure hélicoïdale d’acides aminées, qui sont liés par des ponts hydrogènes. Pour la préparation de cette colle, on cherche à relâcher cette structure de triple hélices. Le collagène subit donc une phase d’hydrolyse acide ou alcaline. Cependant il ne faut pas que cette hydrolyse soit trop poussée puisque cela peut altérer les propriétés physiques de la gélatine. On cherche à tendre à une renaturation naturelle de la structure hélicoïdale de la gélatine, pour exploiter au mieux son pouvoir collant. Cette dernière est ensuite filtrée et séchée. C’est cette étape de préparation qui peut jouer par la suite sur la qualité de la gélatine. La qualité dépend donc de la provenance du collagène, de la cuisson et du séchage. Nous avons sélectionné une gélatine sous forme de petites granules que nous avons fait gonfler pendant 12h dans de l’eau froide, pour une concentration à 2% ; puis nous avons procédé à une cuisson douce au bain-marie pour ne pas dénaturer le collagène et faire en sorte que les molécules se lient entre-elles. Nos tests nécessitant une viscosité élevée des fixatifs, nous avons attendu que la

125

72

Voir en annexe 9 p. 213 la liste des produits utilisés du mémoire et des liens pour les fiches techniques Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014


gélatine refroidisse pour pouvoir procéder à notre méthode d’application de la colle pour les échantillons.

1.4.2. L’hydroxypropylcellulose Pour les éthers de cellulose on passe par un étherification qui joue sur leurs groupements hydroxyles. Ils ont l’avantage d’avoir un faible degré de substitution, ce qui les rend solubles dans l’eau froide. L’hydroxypropylcellulose est un polymère anionique qui a la particularité d’être soluble dans l’eau et dans les alcools. On procède à une étherification de l’hydroxypropylcellulose avec de l’oxyde de propylène. Cela lui confère un avantage : il crée des ramifications plus longues, et donc a une chaîne moléculaire plus longue que les autres éthers de cellulose. Ce fixatif donne après séchage, un film souple et transparent, mais au pouvoir adhésif moins important quand il est fortement dilué. Il a aussi le désavantage d’être brillant à concentration basse (à partir de 1%), ce qui peut être handicapant quand on l’utilise en consolidant. Pour la préparation de nos échantillons, l’hydroxypropylcelullose se présente sous forme de poudre blanche que l’on a dilué à 2% dans de l’éthanol126 . Il est nécessaire de remuer le mélange pour une meilleure solubilisation des cristaux. Il faut attendre 12h pour que la colle soit bien homogène.

1.4.3. La méthylcellulose La méthylcellulose est aussi un éther de cellulose. C’est un polymère anionique linéaire qui est obtenu par étherification du produit avec du chlorure de méthyle. C’est un fixatif qui est très largement utilisés parce qu’il allie quatre facteurs très importants : un bon pouvoir collant, une souplesse du film, une stabilité et il est réversible. Lors de l’application son film est transparent, c’est une colle qui résiste aux huiles et aux graisses. Cependant il se peut que ce fixatif forme un film brillant, notamment parce qu’il se solubilise dans l’eau, et si le support papier que l’on traite n’a pas été humidifié au préalable, l’eau présente dans la colle se trouve aspirée. Mais dans l’ensemble c’est un fixatif qui confère le moins de changements optiques en consolidant. Pour nos tests, la méthylcellulose utilisée se présentait sous la forme de poudre blanche que l’on a dissout à 2% dans de l’eau. On a ensuite procédé à une agitation mécanique de la colle, puis nous l’avons placé au réfrigérateur pendant une nuit pour que le fixatif soit homogène.

126

Voir en annexe 9 p. 213 la liste des produits utilisés

Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014

73


1.4.4. Tableau comparatif des avantages et des inconvénients des colles utilisées pour notre protocole expérimental

Hydroxypropylcellulose Nom commercial : Klucel G Concentration : 2%

Méthylcellulose Nom commercial : Tylose Concentration : 2%

Avantages

Inconvénients

- Composition proche de celle de la cellulose - Soluble dans l’éthanol et l’eau - Réversibilité - Films transparents - Films flexibles - Stabilité (pH) - Pouvoir protecteur sur les chaînes cellulosiques (not. par rapport à l’oxydation) - Bon fixatif pour les fusains, dessins, craies, etc.

- Faible pouvoir adhésif - Film brillant dès 1% - Avis contradictoires par rapport à son vieillissement - Perte de souplesse en vieillissant - Perte de réversibilité en vieillissant - Sensibilité aux micro-organismes

- Composition proche de celle de la cellulose - Bon pouvoir adhésif - Films transparents, - Films flexibles - Films résistants aux graisses et huiles - Degré de substitution plus grand que les autres éthers (stabilité et résistance aux attaques enzymatiques) - Réversibilité

- Film brillant - Jaunissement pour peinture pulvérulente à la gouache - Sensibilité aux micro-organismes - n’adhère pas correctement au papier de surface lisse

Gélatine

- Qualité de laprotocole gélatine expérimental dépend de Tabl. 2 Tableau comparatif des avantages- Souplesse et des inconvénients des colles utilisées lors de notre la provenance du collagène, de - Bon pouvoir adhésif sa cuisson, de son séchage Nom commercial : Gélatine - Réversibilité - Acidification - Jaunissement Concentration : 2% - Sensibilité aux micro-organismes - Nécessite d’être utilisée chaude pour rester fluide - Brillance

Tabl. 2 Tableau comparatif des avantages et des inconvénients des colles utilisées lors de notre protocole expérimental

Pour plus de fluidité, nous utiliserons désormais les noms commerciaux de ces trois fixatifs. 74

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2. Mise en place du protocole expérimental 2.1. Recherche d’une machine à l’abrasion En analysant nos oeuvres, il était intéressant de se pencher sur l’efficacité des fixatifs lorsqu’ils subissent une abrasion. Nous avons donc décidé tout simplement de procéder à un classement de consolidants le plus communément utilisés en Conservation-Restauration d’oeuvres graphiques. Une problématique a rapidement émergé : comment créer une machine qui pourrait abraser de manière constante une surface, et dont le temps abrasé peut-être reproduit de manière fiable ? Un long processus de réflexion a alors commencé. Pour cela nous avons parlé de notre projet au plus grand nombre et notamment à notre entourage. Pour commencer j’ai eu un entretien avec Mr Morel Ingénieur des Arts et Métiers qui me suggérait les machines de ponçage Dremel127 . Mais la pression apportée ne pouvait être constante, vu que c’est la main de l’homme qui l’exerce, et donc cela est trop subjectif. Ensuite j’ai fait appel à des amis ingénieurs (Mr Lagarde, Mr Gautier et Mr Gouineau), ainsi qu’à un ami Chercheur CNRS à l’Université de Poitiers (Dr Jaunet). C’est finalement lors d’une conversation en octobre 2012 avec Mr Émile Picheny ingénieur des Arts et Métiers, chef de projet chez Airbus, que l’idée d’un tourne-disque a lentement pris racine dans mon esprit. Cette idée a été validée par Mr Pepe, professeur émérite de l’Université Pierre et Marie Curie, le 14 janvier 2013.

Poids de 500g pour bloquer l’oscillation de la tête vers le centre

Un des échantillons de fixatif, collé avec du double face Tesa

Poids de 25g pour une abrasion constante et homogène de la tête, fixé avec du scotch double face Tesa L’abrasif (feutre) collé avec du scotch double face Tesa Fig 6 Photo du tourne-disque lors des pré-tests d’abrasion du 3 février 2014

127

Recherches effectuées sur le site de l’entreprise Dremel : http://www.dremel.com/Pages/default.aspx

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75


Ce système est très appréciable pour la suite de nos recherches puisqu’il permet de régler le nombre de tours par minute de 33, 45 ou 78 tours/minute et ainsi de déterminer et de maitriser le nombre de tours minimum avant l’abrasion du fixatif. Pour cela nous nous sommes aidés d’un chronomètre. Il permet également d’apporter une abrasion homogène en bloquant le bras par un poids calé sur la tête, ce qui engendre un frottement constant et régulier. Le tourne disque, constitué d’une tête pivotante, permet de placer un abrasif à la place du diamant, et de placer ainsi la tête plus précisément. Pour éviter que le bras n’oscille vers le centre du tourne-disque, nous avons placé un poids de 500g à gauche du bras, pour le bloquer. Ainsi nous avons pu régler la position verticale et horizontale de la tête du tourne-disque à l’endroit précis où nous souhaitions générer des frottements.

2.2. Description des paramètres Le principal travail de ce sujet technico-scientifique a été de trouver la répétabilité de la méthode d’application du fixatif, pour avoir une quantité égale et homogène de colle mais aussi de confirmer qu’un tourne-disque apportait bien un frottement constant et régulier sur nos échantillons de fixatifs. Tous les paramètres suivants ont été choisis en fonction d’une série de pré-tests scientifiques128 de mise au point de la machine. • Le choix des fixatifs Nous avons choisi pour nos tests trois fixatifs : la Tylose, la Klucel G et la gélatine. Ces trois fixatifs ont été sélectionnés parce qu’ils sont couramment utilisés en arts graphiques mais aussi parce qu’ils sont facilement disponibles dans le commerce, tout comme les milieux dans lesquels ils se dispersent (alcools et eau). • Mise en place du tourne-disque Le tourne-disque, comme nous l’avons dit précédemment, est appréciable parce qu’il permet une abrasion constante, régulière et précise de nos échantillons. Cela grâce à la recherche de la position verticale et horizontale de la tête. Le tourne-disque est posé sur une surface plane pour ne pas fausser les résultats. Nous avons choisi un tourne-disque à trois vitesses : 33, 45 ou 78 tours/ minute ; ainsi nous avons pu choisir la vitesse adaptée pour nos tests.

128

Voir en annexe 10 p. 215-224 le pré-protocole et la série de pré-tests scientifiques qui ont été réalisés dans le but de mettre au point la répétabilité de l’application des colles pour les échantillons et les paramètres de la machine 76 Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014


• Brillancemètre Pour mesurer l’abrasion de nos échantillons de colle nous avons pensé à un brillancemètre. Le principe du brillancemètre se base sur une mesure de l’angle de réflexion dirigée. L’intensité de la lumière réfléchie est mesuré dans un domaine étroit de l’angle de réflexion. Les résultats ne sont pas basés sur la quantité de lumière incidente mais sur un étalon en verre noir et poli d’indice de réfraction défini. La mesure d’unité de valeur est fixée à 100 Unité de Brillance (UB) 129 . L’Unité de Brillance est la valeur de mesure de nos échantillons lors de nos tests scientifiques. Pour réaliser nos relevés d’Unité de Brillance, nous avons fait des marques pour chaque échantillon ; c’est-à-dire que nous avons placé le brillancemètre sur l’échantillon et une fois la valeur devenue fixe, nous avons pris les repères du brillancemètre grâce à un crayon graphite. Cette opération nous a permis de pouvoir replacer le brillancemètre à l’endroit de la mesure avant abrasion. Le brillancemètre que nous avons eu à notre disposition est le Picogloss 560 MC-X de la marque Erichsen130.

Fig. 7 et 8 Schéma de mesure de la réflexion dirigée et le brillancemètre Erichsen Picogloss 560 MC-X

• Réalisation des échantillons Le principal paramètre pour les échantillons a été de trouver un système de dépose de colle répétable. Pour cela nous avons réalisé les échantillons avec le système à encoche131 . Ce système, qui consiste à déposer dans le colle en excès dans une sorte de moule, ne peut se faire qu’avec des fixatifs relativement visqueux, pour avoir le temps de racler le surplus avec une spatule en métal. Pour cela nous avons opté pour des concentrations de colle à 2% et pour voir la répétabilité de 129

Informations issu d’un PDF sur la brillance sur le site http://www.byk.com/fileadmin/byk/support/instruments/ theory/appearance/fr/Intro_Brillance.pdf 130 Voir en annexe 11 p. 225-230 la fiche technique du Brillancemètre Erichsen Picogloss 560 MC-X 131 Système expliqué en annexe 10 p. 215-224 dans les différents modes d’application testés dans les pré-tests Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014 77


l’expérience nous avons utilisé de la Klucel G à 2% dans l’éthanol. On a choisi dans un magasin de beaux-arts une sorte de pochoir en plastique d’une épaisseur de 0,2mm. Cela nous a permis de pouvoir déposer une goutte de fixatif avec une pipette en plastique dans l’encoche et d’enlever l'excédent au moyen d’un couteau de peinture à l’huile. Fig. 9 Planche de 20 échantillons de Klucel G, en cours de séchage

Initialement nous avions choisi une pipette en plastique graduée, pour mesurer la quantité de colle

mesurée. Mais le système à encoche permet de déposer une quantité égale de colle et de toute façon le surplus est enlevé. Ensuite nous avons mesuré chaque échantillon de colle avec le brillancemètre, à l’instant 0, puis nous avons découpé dix échantillons pour effectuer les tests.

• Le papier de support des échantillons Le choix du papier de support devait remplir deux fonctions : avoir une surface relativement lisse pour permettre au brillancemètre de bien mesurer la réflexion de la colle et non la rugosité de la surface ; être d’un grammage élevé pour empêcher une déformation du papier qui génèrerait là aussi des erreurs de relevé de mesure. Notre choix s’est porté sur un papier utilisé pour les aquarelles et collé sur les quatre bords. Ainsi nous avions une feuille bien tendue qui pouvait recevoir des échantillons plus ou moins humides sans se déformer. Cela est dû à des fibres longues qui rendent le papier résistant et absorbant. Le bloc utilisé est d’un grammage de 300g/m2 de la marque Arche, 100% pur coton, au grain satiné et spécialement conçu pour l’aquarelle et la détrempe. Ce papier, avant dépôt des échantillons, mesure 4,1 en Unité de Brillance. Cette donnée sera une référence lors de nos tests, pour savoir si on atteint cette valeur lors de l’abrasion de nos échantillons de fixatif.

78

Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014


• L’abrasif Plusieurs abrasifs ont été utilisés lors des pré-tests, mais c’est le feutre qui a apporté les résultats les plus satisfaisants. Nous avons donc utilisé le feutre de patin de chaises, qui s’achète par lot de vingt, offrant ainsi une bonne réserve d’abrasifs. Nous avons choisi un feutre carré qui recouvrait les échantillons en totalité, pour être sûr que l’abrasion se ferait sur l’ensemble de l’échantillon. Pour chaque série de test, le feutre a été changé pour des relevés de mesure fiables.

• Le support Pour abraser les échantillons de manière constante et surtout de manière uniforme, nous avons délaissé les disques en carton pour des vinyles. Lors de nos pré-tests nous avons observé qu’un support qui n’était pas totalement plat, engendrait une abrasion partielle de certains échantillons, et donc faussait nos résultats. Le vinyle, quand à lui, offrait une surface très plane et est, logiquement, plus adapté au tourne-disque. L’abrasion est donc constante. Le vinyle ne pouvant recevoir les dix échantillons d’un coup, nous avons procédé en deux fois cinq échantillons, avec changement de patin pour chaque série de test. Les échantillons ont été collés avec du scotch double face Tesa et du scotch transparent sur les bords, pour éviter au patin de buter sur un bord du papier, et ainsi faire échouer les tests.

• La vitesse Nous avons choisi de régler le tourne-disque à 78 tours/minute pour des résultats plus rapides. Nous avons essayé lors des pré-tests les vitesses inférieures (33 et 45 tours/minute) mais elles n’étaient pas satisfaisantes en terme de temps et de résultat à l’abrasion.

Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014

79


Nombre de tours effectués 33 t/min

45 t/min

78 t/min

30’’

16,5

22,5

39

1’

33

45

78

2’

66

90

156

5’

165

225

390

10’

330

450

780

20’

660

900

1560

30’

990

1350

2340

40’

1320

1800

3120

50’

1650

2250

3900

Tabl. 3 Comparatif des tours par minute selon le mode choisit sur le tourne-disque

• Le temps Nous avons choisi de faire des relevés de données dès 30 secondes d’abrasion, puis à 1 minute, 2 minutes, 5 minutes et après toutes les 10 minutes jusqu’à l’observation d’une stagnation des résultats sur trois mesures. Les tests s’effectuent sur 50 minutes. En tout nous avons procédé à neuf mesures pour chaque série de tests. Pour contrôler le temps nous nous sommes aidés d’un chronomètre précis au centième de seconde, de marque Oregon scientific et de modèle C510. La problématique, lors des expériences, a été d'arrêter simultanément le chronomètre et le tourne-disque, de manière assez précise pour procéder aux relevés de mesures. D’une manière générale, cette étape s’est bien déroulée. Les tests se sont effectués au total sur trois jours. Cela correspond à une colle testée par jour (hors pré-tests qui ont été effectués en aval et qui ont pris plus de temps).

80

Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014


Fig. 10 Photo du tourne-disque d’une série de cinq échantillons de Klucel G à 2% dans l’éthanol. Test du 5 mars 2014 avec tous les paramètres finaux

3. Protocole expérimental 3.1. Étude de la répétabilité de la méthode La répétabilité de la méthode s’est faite avec une seule colle : la Klucel G. On a pris dix échantillons que l’on a fixé sur un vinyle, pour avoir une planéité idéale, avec du papier collant double face Tesa. L’opération s’est faite en deux fois, puisque l’on ne pouvait pas mettre plus de cinq échantillons par vinyle. L’abrasif a donc été changé à chaque fois pour ne pas fausser les résultats. Les échantillons ont été abrasés dans les mêmes conditions132 : vitesse, papier, etc. Nous avons été jusqu’à un temps de 50 minutes parce qu’au-delà l’abrasion ne se faisait plus, nous avions atteint un palier. Les mesures se sont faites à l’aide d’un brillancemètre, et les valeurs mesurées sont en UB133. À chaque temps mesuré avec le brillancemètre, correspond une valeur en UB et cela a été reporté dans le tableau ci-dessous. Nous avons ensuite effectué un tableau pour déterminer les calculs d’erreur, pour la répétabilité de la machine.

132

Voir description des paramètres p. 76-80 Pour plus de fluidité dans le déroulement de notre partie scientifique nous utiliserons, dès lors, l’abréviation UB pour Unité de Brillance Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014 81 133


1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

Moy.

M0 - M t

t0

5.6

5.6

5.6

5.6

5.6

5.6

5.6

5.6

5.6

5.6

5.6

0

30’’

5.4

5.5

5.5

5.4

5.4

5.5

5.5

5.5

5.6

5.5

5.48

0.12

1’

5.3

5.4

5.4

5.4

5.4

5.4

5.4

5.3

5.6

5.4

5.4

0.20

2’

5.2

5.3

5.3

5.3

5.3

5.3

5.3

5.3

5.5

5.4

5.32

0.28

5’

5.2

5.3

5.3

5.3

5.3

5.2

5.2

5.2

5.3

5.3

5.26

0.34

10’

5.1

5.2

5.1

5.2

5.2

5.1

5.1

5.1

5.3

5.2

5.16

0.44

20’

5.1

5.2

5.1

5.2

5.2

5.0

5.0

5.1

5.1

5.2

5.12

0.48

30’

5.0

5.2

5.1

5.1

5.1

5.0

5.0

5.1

5.1

5.2

5.09

0.51

40’

5.0

5.2

5.1

5.1

5.1

5.0

5.0

5.1

5.1

5.2

5.09

0.51

50’

5.0

5.2

5.1

5.1

5.1

5.0

5.0

5.1

5.1

5.2

5.09

0.51

Tabl. 4 Mesures relevées sur les 10 échantillons de la Klucel G, leurs moyennes et la moyenne de la matière abrasée. Les valeurs sont en UB

On observe que les valeurs d’UB ont diminué au fur et à mesure sur tous les échantillons, et qu’un palier est atteint au bout de 30 minutes d’abrasion puisqu’il n’y a pas de changement dans les mesures. Il y a donc bien une abrasion et une perte de matière puisque l’UB diminue, ainsi qu’un seuil d’abrasion au-delà de 30 minutes. Dans l’ensemble la perte de matière abrasée est relativement constante en fonction des échantillons.

82

Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014


Temps en minutes

Moyenne en UB

Matière abrasée en UB

Incertitude relative en %

Incertitude absolue en UB

0

5.6

0

0

0

0,5

5.48

0.12

0.36

0.02

1

5.4

0.20

0.56

0.03

2

5.32

0.28

0.38

0.02

5

5.26

0.34

0.38

0.02

10

5.16

0.44

0.39

0.02

20

5.12

0.48

0.39

0.02

30

5.09

0.51

0.39

0.02

40

5.09

0.51

0.39

0.02

50

5.09

0.51

0.39

0.02

Tabl. 5 Calculs des incertitudes relatives en pourcentage et des incertitudes absolues en UB pour la Klucel G. Ces calculs ont été faits en fonction des moyennes

Dans le tableau 5 nous observons que nous nous situons en-dessous de 1% en incertitude relative avec des incertitudes qui varient de plus ou moins 0,02 et une à 0,03. La méthode est donc répétable et l’expérience peut être appliquée à la Tylose et à la gélatine. Le calcul des incertitudes s’est fait sur la moyenne de fixatif restant et non sur la perte abrasée. Cette dernière donnée sera exploitée plus loin avec les résultats des autres colles 134.

3.2. La gélatine

134

1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

Moy.

M0 - M t

t0

9.8

9.8

9.8

9.8

9.8

9.8

9.8

9.8

9.8

9.8

9.8

0

30’’

9.8

9.8

9.7

9.8

9.7

9.7

9.8

9.8

9.8

9.7

9.76

0.04

1’

9.8

9.8

9.7

9.8

9.7

9.7

9.8

9.8

9.8

9.7

9.76

0.04

2’

9.8

9.8

9.7

9.8

9.7

9.7

9.7

9.8

9.7

9.7

9.74

0.06

5’

9.7

9.7

9.7

9.8

9.7

9.7

9.7

9.7

9.7

9.7

9.71

0.09

10’

9.7

9.7

9.7

9.8

9.7

9.7

9.7

9.7

9.7

9.7

9.71

0.09

Voir p. 88 Croisement et interprétations des résultats

Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014

83


1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

Moy.

M0 - M t

20’

9.7

9.7

9.7

9.8

9.7

9.7

9.7

9.7

9.7

9.7

9.71

0.09

30’

9.7

9.7

9.7

9.8

9.7

9.7

9.7

9.7

9.7

9.7

9.71

0.09

40’

9.7

9.7

9.7

9.8

9.7

9.7

9.7

9.7

9.7

9.7

9.71

0.09

50’

9.7

9.7

9.7

9.8

9.7

9.7

9.7

9.7

9.7

9.7

9.71

0.09

Tabl. 6 Mesures relevées sur les 10 échantillons de gélatine, leurs moyennes et la moyenne de la matière abrasée. Les valeurs sont en UB

On observe que les valeurs d’UB diminuent là aussi au fur et à mesure, mais qu’un palier est rapidement atteint, à partir de 5 minutes d’abrasion. Il y a donc bien une abrasion et une perte de matière puisque les UB diminuent et il y a un seuil d’abrasion au-delà de 5 minutes. On observe aussi que la perte de matière abrasée est relativement constante en fonction des échantillons.

3.3. La Tylose 1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

Moy.

M0 - M t

t0

7.3

7.3

7.3

7.3

7.3

7.3

7.3

7.3

7.3

7.3

7.3

0

30’’

7.0

7.0

7.2

7.2

7.3

7.1

7.2

7.2

7.1

7.1

7.14

0.16

1’

7.0

7.0

7.2

7.2

7.3

7.1

7.2

7.2

7.1

7.1

7.14

0.16

2’

7.0

7.0

7.2

7.2

7.3

7.1

7.2

7.2

7.1

7.1

7.14

0.16

5’

7.0

7.0

7.2

7.2

7.3

7.1

7.2

7.2

7.1

7.1

7.14

0.16

10’

7.0

7.0

7.2

7.2

7.3

7.1

7.2

7.2

7.1

7.1

7.14

0.16

20’

7.0

7.0

7.2

7.2

7.3

7.1

7.2

7.2

7.1

7.1

7.14

0.16

30’

7.0

7.0

7.2

7.2

7.3

7.1

7.2

7.2

7.1

7.1

7.14

0.16

40’

7.0

7.0

7.2

7.2

7.3

7.1

7.2

7.2

7.1

7.1

7.14

0.16

50’

7.0

7.0

7.2

7.2

7.3

7.1

7.2

7.2

7.1

7.1

7.14

0.16

Tabl. 7 Mesures relevées sur les 10 échantillons de Tylose, leurs moyennes et la moyenne de la matière abrasée. Les valeurs sont en UB

On observe une abrasion immédiate comme sur les autres échantillons de fixatifs, mais ici on atteint un palier instantanément au bout de 30 secondes d’abrasion. Cela veut dire qu’il y a une perte de matière abrasée, mais une fois cette perte faite la colle se ‘stabilise’ et ne s’abrase plus. 84

Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014


4. Calculs d’erreur, courbes et analyse des données 4.1. La Klucel G 4.2. Hydroxypropylcellulose

0,6 0,5

0,51

0,51

0,51

30’

40’

50’

0,48 0,44

0,4 0,34

0,3 0,28

0,2 0,20

0,1 0

0,12

0

30’’

1’

2’

5’

10’

20’

Courbe 1 Courbe de la Klucel G. Le temps en abscisse et la matière abrasée en UB en ordonnée

En observant la courbe de la Klucel G, on a bien une perte de matière de ce fixatif. Un seuil est atteint assez rapidement, au bout de 30 minutes d’abrasion. Cette courbe est d’abord exponentielle, puis elle se stabilise.

4.3. La gélatine Temps en minutes

Moyenne en UB

Matière abrasée en UB

Incertitude relative en %

Incertitude absolue en UB

0

9.8

0

0

0

0,5

9.76

0.04

0.20

0.02

1

9.76

0.04

0.20

0.02

2

9.74

0.06

0.20

0.02

5

9.71

0.09

0.10

0.01

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85


Temps en minutes

Moyenne en UB

Matière abrasée en UB

Incertitude relative en %

Incertitude absolue en UB

10

9.71

0.09

0.10

0.01

20

9.71

0.09

0.10

0.01

30

9.71

0.09

0.10

0.01

40

9.71

0.09

0.10

0.01

50

9.71

0.09

0.10

0.01

Tabl. 8 Calculs des incertitudes relatives en pourcentage et des incertitudes absolues en UB pour la gélatine. Ces calculs ont été faits en fonction des moyennes

Là encore les incertitudes relatives et absolues sont faibles, encore plus que celles de la Klucel G. Ces calculs attestent de la répétabilité de notre méthode et d’une marge d’erreur moindre. Gélatine

0,1 0,083

0,09

0,09

0,09

0,09

0,09

0,09

5’

10’

20’

30’

40’

50’

0,067 0,06

0,05 0,033

0,04

0,04

30’’

1’

0,017 0

0

2’

Courbe 2 Courbe de la gélatine. Le temps en abscisse et la matière abrasée en UB en ordonnée

On voit sur la courbe de la gélatine qu’un premier palier est atteint à 30 secondes d’abrasion et qui dure jusqu’à une minute. Ensuite l’abrasion du fixatif continue, pour ré-atteindre un palier à 5 minutes.

86

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4.4. La méthylcellulose Temps en minutes

Moyenne en UB

Matière abrasée en UB

Incertitude relative en %

Incertitude absolue en UB

0

7.3

0

0

0

0,5

7.14

0.16

0.42

0.03

1

7.14

0.16

0.42

0.03

2

7.14

0.16

0.42

0.03

5

7.14

0.16

0.42

0.03

10

7.14

0.16

0.42

0.03

20

7.14

0.16

0.42

0.03

30

7.14

0.16

0.42

0.03

40

7.14

0.16

0.42

0.03

50

7.14

0.16

0.42

0.03

Tabl. 9 Calculs des incertitudes relatives en pourcentage et des incertitudes absolues en UB pour la Tylose. Ces calculs ont été faits en fonction des moyennes

Méthylcellulose

0,2 0,167 0,16

0,16

0,16

0,16

0,16

0,16

0,16

0,16

0,16

30’’

1’

2’

5’

10’

20’

30’

40’

50’

0,133 0,1 0,067 0,033 0

0

Courbe 3 Courbe de la Tylose. Le temps en abscisse et la matière abrasée en UB en ordonnée

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87


Là aussi les incertitudes sont faibles, elles se situent toujours en dessous de 1%. De plus les marges d’erreur entre chaque point sont aussi faibles. Pour la courbe de Tylose, on observe qu’un palier est atteint à partir de 30 secondes de test. La courbe atteint un seuil quasi instantanément. Il est probable qu’il y ait une abrasion immédiate de la Tylose. On a donc une perte minime de l’adhésif puisque la matière abrasée est de 0,16 UB.

4.5. Croisement et interprétation des résultats

Moyenne avant abrasion en UB

Moyenne après abrasion en UB

Moyenne de la matière abrasée en UB

Klucel G

5,6

5,09

0,51

Gélatine

9,8

9,71

0,09

Tylose

7,3

7,14

0,16

Tabl. 10 Tableau des moyennes de l’état initial et de l’état final de chaque fixatif, ainsi que la moyenne de leur matière abrasée

Hydroxypropylcellulose

Gélatine

Méthylcellulose

0,6 0,5 0,4 0,3 0,2 0,1 0

0

30’’

1’

2’

5’

10’

20’

30’

40’

50’

Courbe 4 Les trois courbes des fixatifs sur le même graphique. Le temps en abscisse et la matière abrasée en UB en ordonnée. Dans les cercles rouges, les points qui se confondent selon leurs incertitudes absolues

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En croisant les résultats avec le tableau 10 et la courbe 4 de la page précédente on peut voir que les trois colles atteignent un seuil d’abrasion maximale : de 30 minutes pour la Klucel G, 30 secondes pour la Tylose et de 5 minutes pour la gélatine. Pour la méthylcellulose le seuil est atteint instantanément. Il faudrait revoir les critères d’abrasion en modifiant le nombre de tours/minute, l’abrasif et la prise de relevés des échantillons, pour évaluer à quel moment l’abrasion de ce fixatif commence. Mais, avec le feutre comme abrasif, et selon les critères définis pour cette expérience, c’est la Tylose qui apparait comme étant la plus performante, puisqu’elle atteint un seuil très rapidement. Par contre au niveau de la matière abrasée c’est la gélatine qui a une perte de matière moindre en comparaison des deux autres fixatifs. De plus, les incertitudes relatives de chaque colle sont en-dessous de 1% ce qui atteste de la fiabilité du système mise au point. Nous avons aussi effectué une observation visuelle de l’aspect de surface des colles et il s’avère qu’elles sont plus au moins brillantes. Les colles de la plus brillante à la moins brillante sont : gélatine, Klucel G et Tylose. Là aussi c’est la Tylose qui est satisfaisante d’un point de vue optique : elle forme un film moins brillant que les deux autres colles. Au niveau des recettes des colles, la Tylose est la colle la plus rapide à faire, tout comme la Klucel G, mais elle est moins chère puisque les cristaux de colle se dissolvent dans de l’eau. Alors que la Klucel G se dissout en milieu alcoolique. La gélatine n’est pas une colle trop complexe à fabriquer, mais elle reste moins aisée à réaliser comparé aux deux autres colles. De plus il a fallu être attentif dans la réalisation de la gélatine : la colle ne devait être ni trop chaude, ni trop froide, permettant ainsi d’avoir une bonne viscosité pour l’application de la colle avec le système à encoche.

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89


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Conclusion de l’étude technico-scientifique Cette étude avait pour objectif d’établir un classement entre trois fixatifs. Pour cela nous nous sommes basés sur la comparaison de matière abrasée déterminée à partir des mesures d’UB présentées. De plus, la présence d’un palier pour chaque test d’abrasion nous a servi de critère de comparaison. En cela, nous avons jugé qu’un palier atteint rapidement traduisait un meilleur comportement du fixatif vis-à-vis de la résistance à l’abrasion. Nous pouvons ainsi juger l’aptitude d’un fixatif à se comporter de manière stable dans le temps. En conjuguant ces deux critères, il en ressortait le classement suivant du fixatif le plus intéressant au moins intéressant : Tylose, Gélatine et Klucel G. Lors de notre étude technico-scientifique nous avons abordé un sujet vaste et très intéressant pour la restauration en arts graphiques. En effet ces fixatifs, que nous avons testés, sont utilisés très régulièrement pour refixer des techniques dites sensibles. Lors de nos tests nous avons mis en exergue que c’est la méthylcellulose qui était la plus satisfaisante, mais cette colle ne peut être utilisée sur n’importe quel média ou support. Lors d’un travail pratique effectué en quatrième année, nous avions constaté que l’hydroxypropylcellulose, en raison de sa dispersion en milieu alcoolique, apportait le moins de changement visuel (auréole, matité etc) au contraire de la méthylcellulose et surtout de la gélatine. De plus dans le cas d’un traitement sur un papier calque, le refixage se fera très vraisemblablement avec de l’hydroxypropylcellulose, pour limiter l’apport en humidité sur le support et/ou le média. Ce sujet technico-scientifique m’a appris à être rigoureuse et précise. Cependant nous nous sommes rendu compte qu’effectuer un classement de ces fixatifs n’était pas pertinent, puisqu’il faut aussi prendre en compte, par exemple, l’aspect de surface de ces colles. On relève que la méthylcellulose est l’abrasif le plus intéressant pour l’abrasion et la brillance, au vue des résultats de nos tests. Dans le cas de l’utilisation de ce fixatif pour un refixage, il est important d’effectuer un pré-test avant toute opération de conservation de la technique.

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D’un point de vue pratique le refixage se fait au moyen d’un écospray 135 (ex. gouache) ou d’un pinceau (ex. encres métallogalliques). Notre système à encoche n’est pas vraiment applicable au domaine de La Conservation-Restauration mais il permet d’avoir une quantité égale de colle et ainsi d’effectuer des tests. Pour le refixage, on privilégie quand même les éthers de cellulose, qui chimiquement sont composés de la même molécule que le papier (cellulose) et donc il y a une meilleure synergie entre le matériau à refixer et le fixatif. Il faut aussi garder à l’esprit que les produits peuvent être de pureté et de viscosité différentes, selon les fournisseurs. Ce qui pourrait modifier les résultats des tests. Il n’y a pas de fixatif ‘miracle’ utilisé en consolidant. Certains sont plus appropriés pour des techniques pulvérulentes et d’autres pour des tracés secs. On peut aussi songer à tester des mélanges de colle : par exemple Allison Michel, étudiante de la Cambre136 , a conclu dans sa partie scientifique que le mélange funoriesturgeon était le fixatif qui apportait les meilleurs résultats en terme de vieillissement, de pH, etc. Le mélange de fixatif est donc un bon moyen d’allier les avantages de deux colles. Nous sommes conscients que la concentration testée (2%) est élevée par rapport aux pourcentages utilisés en pratique. Mais nous étions dans l’obligation d’avoir une viscosité plus importante des colles, pour appliquer notre système d’application des fixatifs. Cette étude nous permet de mettre en application nos résultats pour l’étude technologique de nos documents de mémoire137. Ainsi nous utiliserons la Tylose pour la consolidation d’une partie de nos documents. Nous appliquerons le fixatif au moyen d’un écospray avec une solution à 0,5% de concentration. Cela concernera la première de couverture du carnet d’adresses, la carte de rapatriée et la première de couverture du carnet du Musée de l’Ordre de la Libération. Ces documents contiennent des informations qui doivent être conservées et donc consolidées.

L’écospray est un microdiffuseur à réserve de pression qui pulvérise une brume de solution uniformément répartie MICHEL, Allison. Op. Cit., p. 139 à 141 137 Voir traitement de consolidation des techniques graphiques p. 134-135 92 Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014 135 136


Ce sujet a été très enrichissant et nécessiterait d’être approfondi. Ainsi nous avons pensé à plusieurs perspectives de recherches : (1) Pour les techniques manuscrites, telles que le graphite ou l’encre de papier carbone, l’effacement est en parti dû à l’homme, à une mauvaise manipulation des documents et surtout à une méconnaissance du sujet. Nous sommes d’accord pour dire que c’est l’information qui prime. Il serait intéressant de faire des expériences à l’abrasion avec de la peau synthétique humaine constituée de biomatériaux (2) Abrasion de la même colle avec différents matériaux abrasifs (3) Abrasion de la même colle mais à des pourcentages différents (4) Abrasion d’un fixatif avec en dessous un média à consolider (5) Vieillissement de ces colles aux UVB et UVA, chaleur, humidité... (6) Classement à l’abrasion de fixatifs ou d’une technique graphique, avec un papier en support et le même papier en abrasif (7) Abrasion de gélatines de différents fournisseurs, puisque la qualité de cette dernière dépend de la façon dont elle a été préparée (8) ...

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C h a p i t r e

t r o i s

:

Rapport de restauration

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Introduction La restauration de cet ensemble de documents écrits en camp de concentration pendant la Seconde Guerre Mondiale, est le fruit d’une réflexion personnelle, après la découverte de carnets de recettes culinaires au sein de mon cercle familial. S’est ensuite ajouté le carnet de recettes de cuisine appartenant au Musée de l’Ordre de la Libération (Paris). En effet l’état matériel de ce document ne permettait pas de le rendre manipulable, ou tout au moins consultable. Selon Sylvia Païn, membre du Service archéologique départemental des Yvelines, un constat d’état c’est « la description de l’état de conservation/des altérations, issue de l’observation et datée138 ». Un futur colloque de l’Institut National du Patrimoine, qui se déroulera du 1er au 3 juillet 2014, nous annonce dans son catalogue de formations, que le constat d’état peut avoir plusieurs rôles. Dans notre cas nous retiendrons, qu’un examen approfondi d’une oeuvre, d’un document, permet « d’évaluer l’état de conservation d’un objet afin d’en suivre l’évolution éventuelle et de prendre les mesures de conservation adaptées, de déterminer des priorités en matière de Conservation Restauration »139. Cette approche de définition nous paraissait essentielle afin d’avoir l’observation et les décisions les plus objectives qui soient. Nous avons dans un premier temps dressé un examen détaillé de nos documents, ce qui nous a permis d’établir une proposition de traitement relative à chaque document. Ces traitements ont pour objectif de pérenniser les documents et de leur rendre leur intégrité pour les rendre manipulables, consultables, voire exposables. Ainsi, dans un souci de clarté nous avons effectué deux examens distincts de notre corpus d’oeuvres. Le premier sera celui des deux déportées de Leipzig, et le second celui de la déportée de Mauthausen. Nous avons continuellement gardé à l’esprit lors de la restauration, de l’importance des matériaux constitutifs des oeuvres, puisqu’ils sont les témoins d’une période. Mais aussi du contenu, qui peut paraitre légèrement trivial au premier abord, mais qui s’avère justement subjuguant étant donné les conditions d’écriture. Le défi a donc été double.

PAÏN, Sylvia. Constat d’état : approches d’une définition. Paris : Conservation-Restauration des Biens Culturels°15, 1999, Araafu, p. 43-47 139 http://www.inp.fr/index.php/fr/formation_permanente/catalogue_de_formation/un_constat_des_constats_d_etat Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014 97 138


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Constat d’état n°1 : octobre 2012 Ensemble de documents ramenés du camp de travail de Leipzig, par deux déportées, pendant la Seconde Guerre Mondiale

Fig. 1 Recto des trois carnets de recettes de cuisine, du carnet d’adresse et de la carte de rapatriée ramenés par Léonce Hingouët et Christiane Hingouët-Cabalé

1. Nature des matériaux constitutifs La nature des matériaux constitutifs de ces cinq documents ont été étudiés séparément, ce qui nous a permis d’éviter les redondances et d’obtenir ainsi une meilleure lisibilité. Cette partie analytique est essentielle pour comprendre si les altérations de nos documents sont dues à une mauvaise conservation, aux constituants mêmes du papier ou aux deux. De ce fait nous pourrons apporter notre diagnostic.

1.1. Le carnet d’adresses Le carnet d’adresses est composé d’un papier machine occidental de couleur rose, à pâte mécanique140. Il est relativement souple et fin. On voit à la surface des feuilles, une légère brillance du papier, sans doute est-ce un papier satiné141 , ou calandré142 ou apprêté143 . 140

Voir identification des fibres et des pâtes p. 123 Papier qui a été soumis à un calandrage poussé pour lui donner une surface plus unie et plus brillante que le papier apprêté 142 Papier à la planéité élevée pour un état de surface lisse et brillant 143 Papier traité afin d’améliorer le lissé et l’uniformité de l’aspect Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014 99 141


Le carnet est cousu de manière relativement simple : il s‘agit de feuilles simples cousues ensemble sur le bord gauche avec un fil de couleur crème. Quatre trous ont été nécessaires pour faire cette reliure. Ouvert, le carnet mesure 9,15 x 7,5 cm. Plusieurs techniques graphiques sont présentes sur ce document. On peut affirmer qu’il y a la présence de copy pencil144 sur la majeure partie du document. On voit également de l’encre de couleur noire et bleue, probablement de l’encre provenant d’un stylo. Enfin il y a l’encre utilisée pour les tampons allemands, qui est de couleur rose et violette. Ces tampons se trouvent sur la partie imprimée des feuilles, qui ont été récupérées par les déportées de Leipzig . Ce papier rose est le même que pour les carnets de recettes145.

Fig. 2 Vue de la couture (en jaune) sur le côté gauche du carnet

Fig. 3 Différentes techniques graphiques

1.2. La carte de rapatriée La carte est composée d’un papier machine occidental de couleur ivoire. C’est un papier à pâte mécanique146 , relativement souple et épais. Quand la carte est ouverte, elle mesure 13,25 x 20,35 cm. On observe une légère brillance à la surface du papier, cela suggère qu’il s’agit peut-être d’un papier calandré, satiné, ou que le papier a Fig. 4 Détail de l’encre carbone, de quatre

subi un apprêt de surface, voire un encollage.

tampons et d’encre de stylo plume bleue

Crayon graphite à base d’aniline et de gomme adragante, très soluble à l’eau et à l’éthanol (prend une teinte violette) CURDY M., Derniers témoignages de déportés. Étude préalable et Conservation-Restauration de graffitis du camp de Drancy. Application de l’imagerie Térahertz à la lecture d’inscriptions recouvertes, mémoire master 2, INP, SaintDenis, 2011 145 Voir en 1.3 Les carnets de recettes culinaires p. 101 146 Voir identification des fibres et des pâtes p. 123 100 Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014 144


La carte est composée de plusieurs techniques graphiques, tout d’abord d’encre de papier carbone qui a servi à remplir les champs relatifs aux informations personnelles de Christiane Hingouët et d’encre de stylo plume bleue foncée, bleue claire et noire. Fig. 5 Les empreintes digitales des deux index, à l’encre bleue

Ces dernières restent encore à déterminer à l’aide de spots test sur les encres, mais le tracé nous indique une forte probabilité qu’il puisse s’agir d’encre de stylo plume. On voit aussi les empreintes digitales de Christiane Hingouët, dont l’encre est de couleur bleue. Plusieurs tampons ont été apposés sur la carte, de couleurs diverses : noire, violette, bleue claire et bleue foncée ; ainsi que des encres d’imprimerie noires et bleues.

1.3. Les carnets de recettes culinaires

Fig. 6 Le carnet de recettes culinaires n°2 ouvert

Les trois livres de recettes culinaires présentent les mêmes matériaux constitutifs et les mêmes altérations. Nous avons donc décidé de les traiter conjointement dans la même sous-partie, pour un travail plus synthétique. Le corps d’ouvrage est composé d’un papier machine occidental de couleur rose. Il est à pâte

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mécanique147, et est souple et fin. Le papier de couvrure est un papier machine occidental vert, à pâte mécanique. Lui aussi est souple, cependant il est plus épais que les feuilles du corps d’ouvrage. La reliure se compose de feuilles simples assemblées et cousues ensemble, avec un fil de couleur crème. L’aspect légèrement brillant de ces deux types de papier, nous amène à nous demander s’il ne s’agit pas de papier calandré, ou satiné ; ou s’il s’agit d’un apprêt de surface ou d’un encollage. La couture du carnet de recettes culinaires n°1 se fait en trois étapes. Elle se termine par des noeuds, mais cela n’enlève rien à la solidité de la couture. Le carnet de recettes culinaires n°3 fonctionne de la même façon. Le n°2 cependant présente une couture en deux temps et pratiquement cousue tout du long. En bas de la gouttière la couture présente sept trous d’aiguille et en haut on en compte quatre.

Fig.7 Détail de la couture du carnet de recettes culinaires n°1

Fig. 8 Détail de la couture du carnet de recettes culinaires n°2

Fig. 9 Détail de la couture du carnet de recettes culinaires n°3

L’ensemble des recettes semblaient avoir été écrites à l’aide d’un crayon graphite, puisque l’aspect du tracé est brillant. Mais après avoir effectué des tests de solubilité148 , il s’agit là aussi de copy pencil. On a aussi la présence d’encre de stylo bleu sur les premières de couverture, ainsi que sur les rectos du premier feuillet du carnet 1 et 3. Le carnet 2 n’a pas de feuillet préliminaire. Ces feuilles Voir identification des fibres et des pâtes p. 123 Voir tests de sensibilité des techniques graphiques p. 120-122 102 Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014 147 148


de papier rose comportent au verso les grilles d’heures de travail remplies par les allemands. Ces grilles sont le fruit d’une impression, sans doute off set. Enfin on peut voir sur ces grilles, des tampons de couleur violette, apposés par les allemands, ainsi que des inscriptions manuscrites, peutêtre du graphite.

Fig. 10 Schéma en coupe des reliures des carnets 1 et 3

Fig. 12 Schéma de couture des carnets 1 et 3

Fig. 11 Schéma en coupe de la reliure du carnet 2

Fig. 13 Schéma de couture du carnet 2

2. Constat d’état des altérations Le constat d’état des altérations a été effectué pour l’ensemble des documents, et non par éléments. Nous avons décidé de procéder de la sorte pour une lisibilité globale des altérations de nos documents, et éviter ainsi une approche trop dense.

2.1. État de conservation général Le carnet d’adresse a un état de conservation moyen, la carte de rapatriée de Christiane Hingouët Cabalé présente un état relativement mauvais de conservation et les livres de recettes culinaires sont corrects.

2.2. La mesure du pH La mesure du pH se fait avec un pH-mètre à électrode de contact. Il s'agit d’un potentiomètre que l’on relie à deux électrodes dont l’une, est sensible à la concentration en H+. On peut ainsi mesurer le pH de surface des papiers. Cet appareil donne une lecture digitale directe de la valeur mesurée.

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103


Avant toute mesure, le pH-mètre doit être calibré avec des solutions tampons à pH connu (dans notre cas : 4,01 et 7) et la surface à mesurer doit être dépoussiéré pour éviter une migration des saletés dans le papier, créant ainsi une auréole. Nous avons effectué trois mesures sur le papier rose des carnets de recettes culinaires n°1 et n°2, et sur la carte de déportée. Le papier du carnet d’adresse étant similaire aux carnets, nous ne l’avons pas testé. Fig. 14 pH-mètre à électrode de contact utilisé pour nos mesures de pH

Document

Localisation

Mesures

Carnet n°2

Bas droite

6,25

couvrure verte

Haut droite

5,54

Milieu gauche

5,73

Carnet n°2

Bas gauche

5,4

p.1 rose

Haut droite

5,6

Milieu gauche

5,28

Carnet n°1

Bas gauche

5,24

couvrure verte

Haut droite

5,9

Milieu gauche

6,51

Carnet n°1

Bas droite

5,3

dernière page rose

Bas gauche

5,09

Milieu gauche

5,8

Carte de déportée

Bas droite

6,68

ouverte

Haut milieu

6,63

verso

recto

recto

verso

Pages 5,84

Global

5,63

5,42

5,88

5,39

6,69

6,69

Tableau Mesures et moyennes 6,77 des pH sur les documents de Leipzig Haut1.gauche Tabl. 1 Mesures et moyennes des pH sur les documents de Leipzig

104

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Nous pouvons voir que le pH des carnets de recettes, et du carnet d’adresses, est acide puisque la moyenne globale se situe aux alentours de 5,63. Une désacidification sera peut-être à envisager dans les propositions de traitement. Pour la carte de déportée cependant son pH est de 6,69 ce qui est satisfaisant.

2.3. Altérations de surface L’ensemble de ces cinq documents ne sont que très légèrement empoussiérés. On observe une abrasion en continu sur la première de couverture du carnet d’adresses, qui à force de frottement, a altéré la technique graphique du crayon graphite. Le dessin représenté en première de couverture est désormais très peu visible. On retrouve le même problème sur les couvertures des livres de cuisine n°1 et n°3, où le crayon graphite a tendance à s’effacer. Par ailleurs, on observe sur la couverture du livre de cuisine n°2 que le crayon graphite avait presque disparu et que la propriétaire en a repassé l’écriture avec un stylo à encre bleu (ainsi que pour les numéros des livres 1 et 3).

Fig. 15 Détail du livre de cuisine n°2 où le graphite s’est effacé et l’écriture a été repassée avec un stylo à encre

Fig. 16 Détail du carnet d’adresse où la technique

bleue

s’efface, sur la 1ère de couverture

2.4. Altérations mécaniques L’ensemble de ces cinq documents présentent une fragilité sur les périphéries du fait que les couvrures du carnet d’adresses et des livres de cuisine sont en papier, qui n’est pas un matériau assez rigide pour la bonne conservation de document. En découle alors une fragilité des coutures qui cisaillent le papier, notamment pour le carnet d’adresse, créant ainsi un pli vertical. Cela a donc créé des déchirures, des plis et des lacunes sur les documents, surtout sur les premières pages, ainsi

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105


que sur les bords. De plus le papier rose utilisé pour le carnet d’adresses, ainsi que les corps d’ouvrage des livres de cuisine, est cassant et s’effrite.

Fig. 18 Exemple de la fragilité des périphéries des documents, livre de cuisine n°1

Fig. 17 Verso du carnet d’adresse : la couture cisaille le papier, plis, lacunes et déchirures

Fig. 19 Détail de la périphérie droite de la carte de rapatriée : fragilité, plis, déchirures et lacunes

2.5. Autres Altérations On observe sur ce corpus, un jaunissement général du papier, que ce soit pour les papiers de couleur ivoire, rose ou vert. Il y a également la présence de foxing et de résidus non identifiés, sûrement d’origine alimentaire. On observe aux rayons ultra-violets une fluorescence sur certaines bordures des carnets. Nous émettons l’hypothèse qu’il pourrait s’agir d’urine de rongeur, puisque les ultraviolets ont la capacité de révéler la présence d’ammoniac présent dans l’urine149. Étant donné les conditions dans lesquels ces carnets ont été créés, cette hypothèse est fort probable.

149

L’urine présente une luminescence lorsqu’elle contient des résidus de drogue ou dans le cas d’urine de personnes pathologiques. L’urine n’est révélée par les ultraviolets uniquement dans le cas où il y a une forte concentration de bactéries que ce soit chez l’homme ou chez les animaux. Les couleurs révélées sous lumière de Wood peuvent aller d’un blanc éclatant, au jaune jusqu’au bleu-mauve. Ces informations ont été recueillies dans l’article de STOFFER, Éric. Trouver des possibilités de test pour la détection d’urine. Lausanne : Université de Lausanne, Institut de Police scientifique et de criminologie, 1996, p. 8-9 106 Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014


Fig. 20 Détail de la carte de rapatriée, présence

Fig. 21 Détail du livre de cuisine n°1,

de foxing et jaunissement du papier

présence de résidus non identifiés

Fig. 22 Traces fluorescentes sur les bordures du carnet de cuisine n°2

2.6. État de conservation des techniques graphiques L’abrasion en première de couverture, du carnet d’adresses, a provoqué un effacement de la technique graphique. Le dessin illustrant le carnet d’adresses est alors très peu visible. On retrouve le même problème de fixation de la technique graphique sur la première de couverture du livre de cuisine n°1, qui a tendance à s’effacer avec le temps. Enfin, sur la carte de rapatriée, l’encre carbone utilisée a tendance à disparaître elle aussi. De plus, on observe sur la carte, une décoloration de l’encre de stylo plume bleue. On observe que les encres des tampons n’ont pas fusé dans les fibres du papier : que ce soit les tampons de la carte de rapatriée ou tampons des meisters sur les feuilles horaires des carnets de cuisine. Il nous reste donc à déterminer si ces encres sont sensibles à l’eau ou à l’alcool, lors de tests de sensibilité des techniques150. 150

Voir test de solubilité des techniques graphiques p. 120-122

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107


Fig. 23 Détail du coin supérieur droit de la carte de rapatriée ouverte, où l’encre carbone s’efface

Fig. 24. Détail du carnet d’adresse, le dessin s’efface et n’est plus identifiable

Carnet d’adresse

Carte de rapatriée

Carnets des recettes culinaires

Abrasion

xxx

/

/

Fragilité du papier

xxx

xxx

xxx

Plis

xx

x

x

Déchirures

x

xx

x

Lacunes

x

xxx

x

Problème de reliure

/

/

/

xx

xx

xx

Foxing

/

xxx

/

Fragilité de la reliure

x

/

x

Fragilité des périphéries

x

xxx

xx

Taches alimentaires

/

/

x

Empoussièrement

x

x

xxx

Jaunissement

xxx Très présent

xx Moyennement présent

x Peu présent

/ Absent

Tabl. 2 Récapitulatif des altérations et leurs degrés

3. Diagnostic : les causes des altérations Ce corpus de document a été relativement bien conservé pendant un peu plus de 67 ans. En effet ils étaient conservés dans une armoire, à l’abri des différents facteurs externes (lumière, poussière, 108

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homme, rongeurs, dégât des eaux...). Le carnet d’adresses était conservé dans une pochette plastique en polyester ; la carte de rapatriée a été conservée dans une chemise de couleur blanche ; et les carnets de recettes de cuisine quant à eux n’avaient pas de contenant, ils étaient directement entreposés dans l’armoire. Cela aurait pu induire un empoussièrement plus important des carnets, mais ce n’est pas le cas. Le problème de l’effacement du crayon graphite et de l’encre carbone est dû à une manipulation fréquente et répétée de ces documents. Le carnet d’adresses, qui est de petit format et où le papier est fin, a subit ces manipulations répétées, ce qui a fragilisé le document, le rendant désormais difficilement manipulable. C’est aussi le cas pour la carte de rapatriée, qui a servi de pièce d’identité à Christiane Hingouët-Cabalé au retour de la guerre. Cette carte a été très utilisée : elle a été pliée et dépliée de nombreuses fois, rendant la manipulation plus compliquée. Cela explique la fragilité du papier, les lacunes, les plis et surtout les déchirures au niveau des axes d’ouverture des documents, fragilisant ainsi la reliure et le papier. Le jaunissement du corpus, ainsi que les traces de foxing sur la carte de rapatriée, sont liés aux constituants mêmes des papiers, qui sont des papiers qui contiennent de la lignine151 , et dont les facteurs internes, appauvrissent la qualité du papier dans le temps. Cette hypothèse est avancée vu la bonne conservation du document au fil des ans, et est confirmée par les tests de pH. Pour ce qui est des résidus de type inconnu, on peut dire qu’il s’agit probablement de résidus alimentaires, compte tenu de la nature des carnets. Cependant ces traces ne sont pas nombreuses, ce qui indique que les carnets n’ont que très peu été utilisés après guerre. Enfin le crayon graphite et l’encre carbone, sont tous deux des matériaux d’écriture à base de cire, qui de fait, a une durée de vie plus réduite. Ces matériaux sont donc sujet à s’effacer à cause de frottements divers (manipulation, feuille....), comme on le voit sur nos documents. N’oublions pas que ces derniers ont des conditions de réalisation particulières, puisqu’ils ont été fait en période de guerre. Les feuilles horaires doivent être produites en quantité, au détriment de la qualité. De bonnes conditions de conservation ne peuvent empêcher la dégradation des papiers de mauvaises qualité152 .

151

Voir identification des fibres et des pâtes p. 123 LIENARDY, Anne, VAN DAMME, Philippe. Inter Folia : Manuel de conservation et de restauration du papier. Bruxelles : Institut royal du patrimoine artistique, 1989, p. 28 Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014 109 152


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Constat d’état n°2 : octobre 2012 Carnet de recettes de cuisine ramené du camp de déportation de Mauthausen, par une déportée, pendant la Seconde Guerre Mondiale

Fig. 25 Le carnet ouvert en son centre, avec les feuilles de dimensions et d’écritures différentes

! 4. Nature des matériaux constitutifs L’analyse de la nature des matériaux constitutifs du carnet de la déportée inconnu du Musée de l’Ordre de la Libération est là aussi primordiale pour comprendre si les altérations de ce document sont dues à une mauvaise conservation, aux constituants mêmes du papier ou aux deux. De ce fait nous pourrons apporter notre diagnostic. Le papier du carnet, et des pages volantes, est un papier machine occidental ivoire, à pâte mécanique153, souple et fin. Le carnet ressemble à un carnet d’écolier, dont les pages sont légèrement brillantes en surface ce qui note peut être la présence d’un encollage. De plus à contrejour on peut voir que le papier est légèrement tramé et régulière.

153

Voir identification des fibres et des pâtes p. 123

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111


Il devait y avoir une reliure brochée qui s’est rompue, d’où la présence de fils de couture dans le carnet. Le carnet est dépourvu de plat et de papier de couvrure. Plusieurs techniques graphiques sont présentes : du crayon graphite, du copy pencil, de l’encre de stylo bleu et du crayon de couleur vert. Les techniques graphiques en présence ont été confirmées par des tests de solubilité des techniques 154, ainsi que d’une observation visuelle.

Fig. 26 Vue à contre-jour de la trame du papier

5. Constat d’état des altérations Un constat d’état des altérations est un travail en amont essentiel qui nous permet de déterminer les causes de ces altérations et d’ainsi d’établir un diagnostic.

5.1. État de conservation Le carnet de recettes écrit à Mauthausen a un état de conservation relativement mauvais. Il n’y a aucune pagination, les pages sont mélangées et certains feuillets sont des feuilles simples volantes dont le papier et l’écriture semblent être différents de l’ensemble du document. Cela nous a amené à interpréter le sens du carnet, en se basant sur les carnets de type européen dont la reliure se trouve sur la gauche du document.

5.2. Mesure du pH du papier La mesure s’est faite sur trois pages du carnet et à trois endroits différents. Une moyenne pour chaque page a été effectuée, ainsi qu’une moyenne globale du document. Les trois pages choisies présentaient une teinte de papier différente, mais qui ne s’avèrera pas révélatrice d’une quelconque acidité par la suite.

154

Voir les tests de solubilité p. 120-122 112 Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014


Pages

Localisation

Mesures

n°1

Haut gauche

4,7

recto

Haut droite

4,9

Milieu gauche

4,7

n°10

Bas droite

5,4

verso

Bas gauche

5,5

Haut gauche

5,3

n°28

Bas droite

5,3

recto

Bas gauche

4,8

Milieu droite

5,6

Pages 4,76

Globale

5,13

5,4

5,23

Tabl. 3 Mesures et moyennes des pH sur le carnet de Mauthausen

On peut voir suite aux mesures de pH, que la moyenne globale du pH est de 5,13, ce qui est relativement acide. Nous envisagerons là encore dans les propositions de traitement une désacidification.

5.3. Altérations de surface Le carnet est légèrement empoussiéré sur l’ensemble des pages du document, notamment sur la périphérie, et sur les premières pages du recto et du verso.

5.4. Altérations mécaniques Le carnet a une fragilité sur les périphéries de toutes les pages puisqu’il a subi des contraintes au fil du temps. Ces dernières ont rompu la couture, laissant les pages désolidarisées les unes des autres, ainsi que des fonds de cahier endommagés. Les cahiers, sensés former le corps d’ouvrage, sont organisés de façon illogique . Il y a donc des déchirures, des plis et les pages ne sont pas dans l’ordre. On observe également des lacunes correspondant à l’usure du papier : le papier étant de mauvaise qualité, les fibres ont tendance à se casser facilement, ce qui entraine une perte du matériau. Il y a également une fragilité des fonds de cahier du fait que la couture s’est rompue. Le carnet est cependant bien conservé actuellement, dans une pochette de papier permanent, et dans une boite de conservation, évitant ainsi toute perte supplémentaire d’information.

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113


Fig. 28 Détail de la périphérie du carnet où il y a des plis, des déchirures et où le papier s’use

Fig. 27 Détail de la couture rompue

5.5. Autres Altérations Nous observons là encore un jaunissement général du papier, et cela est particulièrement frappant sur la dernière page du carnet où nous avons le négatif d’une feuille de papier (de type A5) qui devait recouvrir la première page, créant ainsi une bordure d’un jaune plus soutenu. Nous remarquons également sur l’ensemble du document des traces de foxing, qui se révèlent bien sous lampe à rayons ultraviolets.

Fig. 30 Vue en lumière ultraviolette, de taches de foxing à l’intérieur du carnet

Fig. 29 Verso du carnet, où on observe une bordure jaune plus soutenue qu’au centre de la feuille

114

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Carnet de recettes de cuisine, Mauthausen

/

Abrasion Fragilité du papier

xxx

Plis

xx

Déchirures

xx

Lacunes

x

Problème de reliure

xxx

Jaunissement

xxx x

Foxing Fragilité de la reliure

xxx

Fragilité des périphéries

xxx

Taches alimentaires Empoussièrement xxx Très présent

xx Moyennement présent

/ xx

x Peu présent

/ Absent

Tabl. 4 Récapitulatif des altérations et leurs degrés

5.6. État de conservation des techniques graphiques Dans l’ensemble, seules les techniques graphiques qui se trouvent sur les couvrures et qui sont donc directement exposées à des facteurs internes ou externes d’altérations, présentent une abrasion ou un pâlissement des techniques. L’état de conservation de ces techniques ont rendu le travail d’identification de la déportée inconnue plus difficile155.

6. Diagnostic : les causes des altérations Le Musée de l’Ordre de la Libération, prêteur de ce carnet de recettes de cuisine, ne sait pas quand l’objet est rentré dans les collections. On ne sait donc pas à partir de quand ce document a pu bénéficier d’une bonne conservation, c’est-à-dire dans une pochette de papier blanc, une autre la recouvrant de papier bleu, le tout dans une boite de conservation. On peut quand même en déduire qu’avant cela le document n’était pas très bien conservé, vu l’état du carnet. Le carnet est légèrement empoussiéré sur toutes les pages et en particulier les premières pages, qui 155

Voir recherche de l’inconnue en annexe 5 p. 181

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115


sont les plus touchées. Il est possible que le carnet ait eu une couverture plus rigide par le passé, or elle n’est plus présente et le corps d’ouvrage est exposé directement aux facteurs externes de dégradation. De plus la couture du carnet est rompue, sans doute à cause d’une manipulation trop fréquente. Les pages sont donc désolidarisées et elles sont sujettes à des déchirures, des plis, des lacunes... Cela ne facilite pas la consultation de l’ouvrage, qu’il faut manipuler avec précaution pour éviter toute perte d’information. De plus on observe un jaunissement général du document, sans doute causé en partie par un phénomène de dégradation du papier par la lumière, puisque le verso du carnet présente le négatif, l’empreinte, d’une feuille qui se trouvait par dessus. Présentement et d’une manière générale ce sont les facteurs externes qui ont endommagé le document : manipulation humaine, mauvais conditionnement, lumière, poussière... Cependant des facteurs internes rentrent aussi en compte puisque le jaunissement général du papier, ainsi que les traces de foxing peuvent avoir été causés par les constituants même du papier. Ce papier contient de la lignine156 , ce qui amoindrie la qualité du papier.

Cela facilite alors les

différentes dégradations de la matière, surtout sur le long terme, accentué par les facteurs externes de dégradation du papier. Cela est confirmé par les tests de pH qui révèle une acidité générale du document.

156

Voir identification des fibres et des pâtes p. 123 116 Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014


Propositions de traitement 7. Privilégier l’information & la consultation Dans un premier temps il convient de définir si notre corpus peut prendre l’appellation de «document» ou d’ «oeuvre». Si l’on se base sur une définition encyclopédique157 des termes, l’appellation « document » semble être la plus appropriée pour notre corpus : « 1. Écrit qui sert à nous renseigner. 2. Tout ce qui sert de preuve, de témoignage ». La restauration de tels documents obéit donc à des règles différentes de celle d’un document à valeur artistique. En effet ce qui prime ici c’est le contenu, la lisibilité de l’information et non l’intégrité esthétique de l’oeuvre. On privilégiera donc le côté historique des carnets, puisqu’ils n’ont pas de valeur esthétique particulière. De ce fait la restauration a pour but principal de favoriser la consultation, l’étude, voire l’exposition de ces documents. Nous gardons aussi à l’esprit que la conservation de ces carnets joue une part essentielle pour assurer leur pérennité, en évitant des dégradations futures. Ainsi la Conservation - Restauration de ces documents sera relativement minimaliste. Dorénavant, nous allons organiser notre développement en traitant les six documents simultanément, ce qui permet d’avoir une vision claire des propositions de traitement et des traitements de restauration effectués.

8. Tests de solubilité Avant de pouvoir formuler des propositions de traitement, il est essentiel de réaliser des tests de solubilité des techniques graphiques et des papiers colorés, aux solvants les plus utilisés en restauration (eau, alcools). Cela nous permet de connaitre les risques encourus, de choisir les produits adéquats relatifs à nos traitements de restauration et de connaitre de façon plus précise la stabilité des techniques graphiques en présence. Cela nous renseigne aussi sur la perméabilité du support.

157

COLLECTIF. Le Petit Larousse. Paris : Larousse, 1997, p. 343

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117


De plus ce corpus est composé d’un grand nombre de techniques graphiques manuscrites, dont une partie n’a pas encore été clairement identifiée. Pour ces tests de solubilité, nous avons effectué un test à la goutte158 , que ce soit pour les techniques graphiques, comme pour les papiers colorés.

8.1. Les papiers colorés Dès le départ la diversité de tonalité des papiers colorés, notamment le papier de couleur rose utilisé très largement dans les trois carnets de recettes de cuisine et du carnet d’adresse provenant de Ravensbrück, nous a amené à nous poser la question d’une éventuelle solubilité des colorants. Cela pourrait entrainer une décoloration et des auréoles sur le support. De ce fait des tests de solubilité sont essentiels pour envisager les futurs traitements de restauration, et ils sont représentés dans le tableau ci-dessous. Pour ces tests à la goutte, nous avons utilisé des solvants largement utilisés en restauration d’oeuvres graphiques (eau, éthanol, isopropanol) et susceptibles d’être employés pour nos traitements. Les tests ont été effectués aux extrémités du carnet de recette n°2.

Solvants Papiers

Eau

Éthanol

Isopropanol

Hydroxypropylce llulose à 5% dans isopropanol

Vert (1ère page)

Non sensible

Non sensible

Non testé

Non testé

Rose clair (page 1)

Non sensible

Non sensible

Non testé

Non testé

Rose foncé

Sensible

Très sensible

Sensible

Non sensible

(page 5)

(présence d’une auréole et colorant fuse)

Tabl. 5 Tests de solubilité des papiers colorés

Au vu des résultats, on peut en déduire que le papier de couleur rose est le seul papier de couleur qui pourrait nous poser problème lors de la restauration, notamment lorsque la concentration en colorant est plus importante. 158

118

AIC, « spot test », Paper conservation Catalog, chapitre 10, 1990, p. 61 Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014


Il faudra donc adapter nos traitements, en fonction de la tonalité de rose du papier, puisque ceux en faible concentration ne présentent aucun danger en présence du solvant eau ou éthanol.

Fig. 32 gauche. Dégorgement du colorant rose sur le buvard (éthanol) Fig. 33 droite. Création d’une auréole (éthanol) Fig. 31 Vue des papiers de couleurs testés, dont les différentes tonalités de rose

8.2. Les techniques graphiques Au vu du grand nombre de techniques manuscrites et de tampons présents sur l’ensemble des documents, nous ne présenterons ici que les techniques les plus sensibles. En ce qui concerne les carnets de Ravensbrück, étant donné qu’il y a un grand nombre de pages avec les trois carnets de recettes de cuisine, nous avons décidé de ne traiter qu’une page représentative : la page 38 du livre n°1. Pour ce qui est du carnet de recettes de cuisine de Mauthausen, nous avons testé les techniques les plus présentes, celles qui sont sur des zones jugées « à risque ». Nous entendons par là les zones qui sont les plus endommagées et qui nécessiteront d’être traitées, consolidées.

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119


Techniques graphiques

Solvants Eau

Eau 50% Éthanol 50%

Éthanol

Isopropanol

Tampon bleu

Peu sensible

Sensible

Très sensible

Non sensible

Crayon gris 1

Sensible

Très sensible

Très sensible

Peu sensible

(trace violette)

(trace violette et changement de couleur de l’encre)

Crayon gris 2

Peu sensible

Sensible

Sensible

Peu sensible

Crayon gris 3

Non sensible

Non sensible

Non sensible

Non sensible

Crayon violet

Très sensible

Très sensible

Sensible

Non sensible

Tabl. 6 Tests de solubilité des techniques graphiques des carnets de Ravensbrück

Au vu des résultats des tests de solubilité sur les carnets de Ravensbrück on peut voir que les techniques sont surtout sensibles au mélange eau 50% - éthanol 50%, mais de manière générale ces techniques sont sensibles à l’eau et à l’éthanol. Nous avons donc testé l’isopropanol et les résultats sont satisfaisants, au vu de la sensibilité des techniques des carnets de Ravensbrück. Ainsi nous utiliserons ce solvant lors des travaux de restauration, notamment pour le renfort de déchirures ou le comblement de lacunes.

Techniques graphiques

Solvants Eau

Eau 50% Éthanol 50%

Éthanol

Isopropanol

Encre noire

Sensible

Non sensible

Non sensible

Non sensible

Crayon gris p.2

Non sensible

Non sensible

Très sensible

Non sensible

Crayon gris p.3

Sensible

Sensible

Sensible

Peu sensible

Tampon violet

Non sensible

Non sensible

Très sensible

Peu sensible

Tabl. 7 Tests de solubilité des techniques graphiques du carnet d’adresse

Là aussi les techniques du carnet d’adresse sont sensibles à l’eau et à l’éthanol. Nous avons décidé de tester là encore l’isopropanol, qui donne des résultats satisfaisants. Nous l’utiliserons donc pour nos travaux de restauration, dans la fabrication de colle par exemple. 120

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Techniques graphiques

Solvants Eau

Eau 50% Éthanol 50%

Éthanol

Isopropanol

Encre noire 1

Très sensible

Sensible

Non sensible

Non sensible

Encre noire 2

Sensible

Sensible

Non sensible

Non sensible

Encre bleue 1

Très sensible

Très sensible

Peu sensible

Non sensible

Encre bleue 2

Sensible

Sensible

Sensible

Non sensible

Encre bleue 3

Sensible

Sensible

Non sensible

Non sensible

Encre turquoise

Sensible

Sensible

Non sensible

Non sensible

Encre noire/

Peu sensible

Sensible

Sensible

Peu sensible

Tampon violet 1

Peu sensible

Sensible

Très sensible

Très sensible

Tampon violet 2

Peu sensible

Sensible

Très sensible

Très sensible

Tampon bleu/vert

Sensible

Sensible

Peu sensible

Non sensible

violette

Tabl. 8 Tests de solubilité des techniques graphiques de la carte de rapatriée

Pour la carte de rapatriée c’est l’isopropanol qui est le solvant le plus adapté pour la majorité des techniques en présence. Cependant les tampons de couleur violette sont extrêmement sensibles à ce solvant, mais très peu à l’eau. De ce fait nous ciblerons les traitements en fonction des techniques, en utilisant l’eau et l’isopropanol dans les traitements de restauration.

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121


Techniques graphiques

Solvants Eau

Eau 50% Éthanol 50%

Éthanol

Isopropanol

Non sensible

Non sensible

Sensible

Non sensible

Non sensible

Peu sensible

Sensible

Peu sensible

Crayon gris p.1 verso

Non sensible

Peu sensible

Sensible

Peu sensible

Crayon gris p.4

Non sensible

Non sensible

Peu sensible

Non sensible

Crayon violet p.

Peu sensible

Peu sensible

Sensible

Sensible

Crayon vert p.43 verso

Peu sensible

Peu sensible

Peu sensible

Non sensible

Crayon bleu p.54

Non sensible

Non sensible

Non sensible

Non sensible

Crayon violet p. 55 verso

Non sensible

Peu sensible

Sensible

Peu sensible

Crayon p.57 verso

Sensible

Sensible

Très sensible

Sensible

Encre bleue p.1 Graphite surligné d’encre bleue (en grande majorité dans le document)

42

Tabl. 9 Tests de solubilité des techniques graphiques du carnet de Mauthausen

D’une manière générale les techniques du carnet de Mauthausen ne sont pas ou peu sensibles à l’eau, nous pourrons donc utiliser des techniques aqueuses de restauration. Toutefois certaines techniques, comme le montre le tableau ci-dessus, sont sensibles au solvant eau. Ainsi nous devrons au fil de la restauration, toujours retester les techniques qui semblent sensibles, pour ensuite envisager l’utilisation d’un mélange Eau 50% - Éthanol 50% ou de l’isopropanol. Au vu des tests de solubilité nous constatons qu’une large utilisation du copy pencil159 a été faite sur ces documents, ainsi que du crayon graphite. Nous constatons également, que les carnets de Ravensbrück et le carnet d’adresse n'encourront aucun risque avec des traitements à l’isopropanol. Cependant en ce qui concerne la carte de rapatriée ainsi que le carnet de Mauthausen les traitements 159

Crayon graphite à base d’aniline et de gomme adragante, très soluble à l’eau et à l’éthanol (prend une teinte violette) CURDY M., Op. Cit. 122 Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014


aux solvants devront être adaptés en fonction des zones à traiter, puisque les différents tampons ainsi que le copy pencil en présence sont très solubles à toutes sortes de solvants. Il sera donc nécessaire de bien vérifier la non solubilité constante des techniques graphiques tout au long de la restauration, pour choisir le meilleur traitement adapté.

9. Identification des fibres L’identification des fibres s’est faite grâce à notre professeur, Mme Mouraud, qui nous a donné des photographies microscopiques des différentes fibres utilisées pour la fabrication du papier 160. Ainsi nous avons pu identifier les caractéristiques des fibres de feuillus et de résineux, qui composent nos papiers. Ce type de fibres a largement été utilisé dans les papiers à pâte mécanique de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle. Cela nous renseigne donc sur la qualité de nos papiers, qui est un papier qui présente des faiblesses d’un point de vue mécanique. De plus après avoir réalisé des tests au phloroglucinol161 , tous nos papiers présentent de la lignine, composant majoritaire du bois qui favorise la dégradation du papier en cas d’oxydation.

Couleur du papier

Type de fibres

Type de pâte

Carnets de Leipzig

vert

résineux

pâte de bois mécanique

Carnet d’adresse

rose

résineux

pâte de bois mécanique

Carte de rapatriée

ivoire

feuillus + résineux

pâte de bois mécanique

Carnet de Mauthausen

ivoire

résineux (sapin)

pâte de bois mécanique

Tabl. 10 Identification des différentes fibres

160

Voir en annexe 12 p. 231 des photographies de résineux et de feuillus qui ont été utilisés pour l’identification de nos fibres 161 Ce réactif permet de déceler la présence de pâte mécanique de bois et d’autres fibres très lignifiées et non désincrustées. La présence de lignine est révélée immédiatement par le phloroglucinol qui donne une teinte rouge/rosée plus ou moins foncée s’il s’agit de pâte de bois mécanique. Informations recueillies dans AIC, « Fiber identification », Paper conservation Catalog, chapitre 1, 1994, p.9 et LIENARDY, Anne, VAN DAMME, Philippe. Op. Cit., p. 29-30 Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014 123


Fig. 34 (x 40). Fibre de feuillus, carte de

Fig. 35 (x 40). Fibre de résineux, carte de

rapatriée

rapatriée

Fig. 36 (x 10). Fibre de résineux (sapin), carnet de

Fig. 37 (x 40). Fibre de résineux (papier vert), carnet de

Mauthausen

Ravensbrück

Fig. 38 (x 10). présence de lignine après test, carnet de Mauthausen

Fig. 39 (x 10). présence de lignine après test, carnets de Ravensbrück, papier rose

Fig. 40 (x 10). présence de lignine après test, carnets de Ravensbrück, papier vert

124

Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014


10.Propositions de traitements de restauration Au vu de toutes les analyses que nous avons pu faire sur nos documents, une notion reste à clarifier : celle de l’intervention minimum. Selon Ludovic Roudet, dans une publication de 2009 sur L’intervention minimale en conservation-restauration des biens culturels : exploration d’une notion162, l’intervention minimale n’est pas la même selon l’essence, l’unicité de chaque objet. Il évoque quatre critères principaux163 qui permettent de déterminer si une oeuvre requiert une intervention minimale ou non. Dans notre cas nous retiendrons le statut 164 et l’usage165 du bien culturel. De ce fait, il écrit qu’il « est toujours possible de faire évoluer le statut et l’usage d’un bien culturel pour les besoins de sa conservation », tout en évitant de perdre le sens premier du bien. C’est cette attitude que nous adopterons lors de la restauration de nos documents. Certes cela pourra paraître minimal mais il semble évident que cela relève d’une attitude et d’une « volonté de s’imposer des limites » pour la pérennité de nos documents.

10.1. Dépoussiérage, gommage Le dépoussiérage est une première étape indispensable en restauration, et ce avant tout autre traitement. Il est nécessaire pour des raisons esthétiques, pour que le document soit plus lisible, mais aussi pour empêcher le développement de micro-organismes en présence d’une trop forte humidité. De plus, si l’objet est mal dépoussiéré, cela peut créer des auréoles avec l’utilisation de solvants. Les documents du corpus ne présentent qu’un faible empoussiérement, et comme les techniques graphiques sont sensibles au frottement, le dépoussiérage doit rester assez minimaliste. Nous envisageons donc d’utiliser soit une ‘smoked sponge’, soit de la gomme plastique en poudre pour les couvrures vertes des carnets de Ravensbrück. Le corps d’ouvrage étant peu empoussiéré, une brosse douce semble être la solution la plus adéquate pour éviter d’endommager davantage les périphéries des feuillets. Pour les marges du corps d’ouvrage nous utiliserons si nécessaire, une ‘smoked sponge’. Pour le carnet de Mauthausen et le carnet d’adresses de Ravensbrück nous procèderons vraisemblablement de la même manière : ‘smoked sponge’ et brosse douce, pour ne pas abraser davantage la technique graphique (crayon et copy pencil). Nous utiliserons enfin un 162

ROUDET Ludovic, L’intervention minimale en conservation-restauration des biens culturels : exploration d’une notion, Conservation-Restauration des Biens Culturels, n°27, 2009. Paris : ARAAFU, p. 21-24 163 Le statut, l’usage, l’origine culturelle et l’intention du créateur 164 « Les objets dont la valeur d’exposition est faible, et la valeur documentaire élevée » 165 « C’est la nature matérielle de l’objet, qui prévaut sur tout autre critère, puisque sa résistance physique est impérative» Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014 125


chiffon microfibre pour la carte de rapatriée pour ne pas causer de dégradations mécaniques plus importantes. Le dépoussiérage devra être effectué avec délicatesse pour ne pas abraser les matériaux et altérer les techniques graphiques. Cela nous permettra de mieux contrôler l’opération de dépoussiérage.

10.2.Désacidification Après avoir mesuré le pH de chaque papier 166, nous constatons que l’étape de désacidification est envisageable, étant donné l’acidité générale présente dans les papiers. Les normes de la BnF 167 préconisent une désacidification pour les papiers dont le pH est inférieur à 5,8. Ce qui est notre cas. Cependant un traitement aqueux est inenvisageable au vu de la réactivité élevée des techniques graphiques168. Nous prenons donc le parti d’une désacidification non aqueuse et en spray, qui est une méthode moins invasive. Selon un collectif qui a rédigé Observations on the Use of Bookkeeper® Desacidification Spray for the Treatment of Individual Objects 169, le spray Bookkeeper® ne contient ni solvant, ni eau. Ce spray neutralise les acides en toute sécurité et permet une durée de vie plus longue de l’objet.

10.3.Consolidation de la technique graphique Le sujet de notre partie scientifique étant une étude comparative de résistance à l’abrasion de trois fixatifs utilisés en consolidant de techniques graphiques170, nous attendrons d’avoir le classement des fixatifs qui supporte le mieux une abrasion mécanique. Néanmoins nous pouvons dès à présent donner la liste des fixatifs utilisés pour cette expérience : deux éthers de cellulose (l’hydroxypropylcellulose et la méthylcellulose) et une colle animale (la gélatine). La consolidation de la technique graphique de nos documents portera sur la première page du carnet d’adresses, où figure un dessin ; sur l’encre de papier carbone présent sur la carte de rapatriée ; ainsi que sur la première de couverture du carnet de Mauthausen. Nous avons choisis de ne consolider que ces documents parce que ce sont les plus altérés, et qu’ils comportent des informations

166

Voir les tests de pH qui ont été effectués p. 104 et p. 113 PARCHAS Marie-Dominique, La désacidification dans les services d’archives, bilan en Mars 2011. Journée d’étude Bibliothèque nationale de France, 29 mars 2011, p.10 168 Voir les tests de solubilité des techniques graphiques p. 120-122 169 The Book and Paper Group Annual, 1996, The American Institute for Conservation http://cool.conservation-us.org/ coolaic/sg/bpg/annual/v15/bp15-17.html 170 Voir conclusion de l’étude technico-scientifique p. 91-93 126 Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014 167


importantes, notamment dans le cas du carnet de Mauthausen. Nous utiliserons pour cela le fixatif qui a donné les meilleurs résultats.

10.4.Consolidation des déchirures et renforts Étant donné que les documents seront probablement manipulés, consultés, voire exposés par la suite, il est impératif de garder leur intégrité. La plupart des documents de Leipzig ne présentent que de petites déchirures localisées, essentiellement en bordure de pages. Pour éviter qu’elles ne se propagent nous envisageons des renforts de déchirures au papier thaïlandais teinté171 (ivoire, rose et vert), de grammages assez fin allant de 6g/m2 à 9g/m2 pour les papiers roses, et du papier japon de grammage similaire pour les papiers de couvrure verts. Le choix de l’adhésif est important, dans le sens où certaines techniques et matériaux sont relativement sensibles 172. Ainsi nous utiliserons de la colle d’amidon épaisse, c’est-à-dire à 20% très peu délayée dans l’eau, pour le carnet de Mauthausen. Le séchage se fera sous poids pour éviter des déformations. Pour les documents de Leipzig nous utiliserons de l’Hydroxypropylcellulose à 5% dans de l’isopropanol pour les papiers de couleur rose, ainsi que de l’amidon épaisse pour les tampons (surtout pour les tampons de couleur violette, présents sur la carte de déportée) et les couvrures vertes (ce qui les rigidifieront). Dans le cas de l’utilisation de l’hydroxypropylcellulose, nous ferons un séchage accéléré avec une spatule chauffante. Nous justifions ce mode de séchage par deux aspects : tout d’abord parce qu’il y a un certain nombre de feuillets à renforcer, et ensuite parce que les carnets ne subiront pas de démontage, ce qui nous amène à travailler localement sur les déchirures. De ce fait une spatule chauffante nous semble plus appropriée parce qu’elle permet de contrôler le séchage de la colle en adaptant la température, mais aussi d’éviter un séchage sous poids, qui serait chronophage et inadapté. Les bandes de papier thaïlandais teintées seront probablement préencollés avec la Klucel G (hydroxypropylcellulose)173, comme nous l’avons fait lors des tests du projet retouche. Un renfort des fonds de cahier du carnet de Mauthausen et des déchirures s’avère nécessaire pour favoriser ensuite un remontage de l’oeuvre. Nous proposons donc de les doubler partiellement avec du papier japonais de grammage 9g/m2 pour éviter une surépaisseur au niveau des fonds de cahier.

171

Ce choix a été fait pour des raisons esthétiques. C’est le papier qui donnait les meilleurs résultats. Voir le projet retouche effectué : le renfort de déchirures avec du papier coloré p.137-140 172 Voir les tableaux des tests de solubilité des papiers colorés et des techniques graphiques p. 120-122 173 Pour plus de fluidité nous utiliserons le nom commercial du fixatif et ce jusqu’à la fin du mémoire Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014 127


Pour les déchirures nous utiliserons un papier japon de grammage probablement inférieur à celui utilisé pour les fonds de cahier. Dans les deux cas, notre choix s’est porté sur un papier japonais de couleur crème ou ivoire pour des questions esthétiques. Une colle d’amidon épaisse à 20% sera utilisée, en faisant bien attention aux techniques graphiques. L'utilisation de l’amidon épaisse nous servira à limiter l’apport d’humidité et éviter alors une solubilité des techniques. Cela nous permettra de contrôler notre restauration. Mais le papier étant fin, il peut y avoir création de tensions et un risque d’auréole. Si cela s’avère nécessaire, nous envisagerons de remplacer un adhésif aqueux par un adhésif dans un solvant (ex. isopropanol). En cas de problème, nous pourrons également recourir à des papiers pré-encollés qui limitent l’apport d’humidité et de solvants. Des renforts sont aussi envisageables pour les feuilles annexes, voire des doublages. Enfin, une mise à plat n’est pas envisageable, puisque nos documents présentent des techniques graphiques diverses et qui réagissent différemment aux solvants. Nous veillerons alors à faire une mise sous poids convenable pour chaque déchirure et pour chaque renfort.

10.5.Comblement des lacunes Comme nous avons pu le voir dans le constat d’état, les oeuvres présentent quelques lacunes. Un comblement de ces manques pourra être effectué à l’aide de papier japonais de grammage et d’aspect similaire. Une réintégration colorée est envisageable pour les papiers colorés, pour ne pas dénaturer l’aspect et la lisibilité des documents. Comme vu précédemment avec le renfort des déchirures, nous utiliserons là aussi de la colle d’amidon épaisse à 20%, peu délayée et de Klucel G à 5% dans l’éthanol, en fonction des techniques graphiques et des papiers colorés en présence.

10.6.Retouche indirecte Une retouche pourra être envisagée pour les papiers de couleur, ainsi que pour la teinte ivoire du carnet de Mauthausen. En effet, si nous jugeons pour des raisons esthétiques, qu’il est préférable d’avoir un papier de restauration d’une nuance en dessous du papier d’origine, nous pourrons venir

128

Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014


retoucher très légèrement au crayon de couleur ou à la Terre pourrie de chez Laverdure174 . Le but étant de passer le renfort de déchirures ou la lacune au second plan. C’est ce qu’on appelle une abstraction colorée175 : « on met la lacune à la couleur du papier pour la passer à l’arrière-plan ». Cela ne remet pas en doute l’authenticité de l’oeuvre mais permet une meilleure lisibilité : le but c’est de repousser les lacunes pour lire l’oeuvre en premier. Tout en respectant l’article 12 de la charte de Venise de 1964176, qui suggère que la lacune doit rester visible et lisible par tous, tout en respectant l’oeuvre.

10.7.Remontage du carnet de Mauthausen Plusieurs possibilités s’offrent à nous lors du remontage du carnet. En effet, comme nous l’avons vu dans le constat d’état les feuillets du carnet sont rangés de manière assez éparse. Nous pouvons donc prendre le parti de laisser le document tel quel, dans son « jus » ou de le reclasser de manière plus logique. De ce fait se posera la question de savoir que faire des feuillets uniques, qui présentent des dimensions différentes du carnet. Nous pouvons faire : - soit un remontage en incorporant les feuillets à la fin ou au début du carnet en indiquant leur position d’origine - soit en faisant deux remontages distincts, en indiquant là encore leur position - soit en remontant l’oeuvre telle qu’elle nous a été donnée à restaurer. Enfin nous proposons une reliure de conservation souple, sans colle et aux matériaux neutres chimiquement. Pour cela nous allons nous inspirer de l’ouvrage de Keith A. Smith, Non-Adhesive Binding. Books without paste or glue (2009). Cet ouvrage correspond exactement au type de couture/reliure que nous souhaitons effectuer. Bien sûr ces différentes étapes doivent être validées par le Conservateur du Musée de l’Ordre de la Libération.

174

Retouche apprise lors de notre stage au Musée des Arts Décoratifs, qui apporte de très bons résultats visuellement. Technique qui avait été apprise par notre maître de stage, lors d’un stage à la BnF 175 Cours sur la réintégration colorée de Mme Alcade, 11 mars 2012, en troisième année 176 Article 12 : « Les éléments destinés à remplacer les parties manquantes doivent s’intégrer harmonieusement à l’ensemble, tout en se distinguant des parties originales, afin que la restauration ne falsifie pas le document d’art et d’histoire ». Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014 129


Fig. 41 Exemple de reliure de conservation souple et sans colle que nous souhaitons réaliser pour le carnet de Mauthausen

10.1. Recherche de conditionnements Une fois tous les traitements de restauration effectués, nous pourrons envisager un conditionnement qui favorise la consultation et le bon stockage des oeuvres. Comme le corpus provient de deux collections différentes, d’un particulier et d’un musée, nous ferons deux boites de conservation distinctes. Pour le corpus de Ravensbrück on peut envisager une boîte de conservation unique qui regrouperait les documents. Des compartiments faits de mousse plastazote, permettraient un bon stockage des oeuvres, puisque cette mousse est relativement rigide. Mais nous pouvons aussi songer à du carton pour les compartiments, qui est un matériau plus durable. Pour faciliter la consultation nous pouvons imaginer un retrait des oeuvres par un système de ruban ou d’encoche, pour éviter d’abîmer les côtés des carnets. Le ruban devra être placé en dessous des oeuvres et devra dépasser légèrement pour pouvoir retirer l’oeuvre de son compartiment. La carte de rapatriée nécessitera d’être conservée dans du papier permanent. Cette carte pourra être fixée à l’intérieur de la boite, par une sorte de pochette, qui permettra de la maintenir contre le support. Pour le carnet de Mauthausen nous effectuerons aussi une boite similaire, mais sans compartiment cette fois, et aux dimensions de l’oeuvre. L’ensemble des matériaux utilisés devra être neutre chimiquement ou permanent, pour une meilleure stabilité des documents dans le temps. Les conditionnements seront fais sur mesure en fonction des dimensions des objets.

130

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10.2.Projet de numérisation Un projet de numérisation est à penser, puisque suite à notre étude historique de l’ensemble de notre corpus, mais plus particulièrement les carnets de recettes de cuisine, il nous semble à propos de les pérenniser sous forme numérique. Pour cela nous essayerons, pour nos archives familiales, de trouver une société de numérisation, qui prend en compte toute la dimension de l’objet pour ne pas altérer davantage l’objet et pour restituer au mieux les couleurs des matériaux (papier et techniques graphiques).

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131


132

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Les traitements de restauration 11.Dépoussiérage Le dépoussiérage de nos documents a été une étape longue et importante. C’est une des rares phases de restauration qui est irréversible. Dans l’ensemble nous avons utilisé pour la carte de rapatriée et le carnet d’adresses une ‘smoked sponge’ pour les marges et une brosse douce pour le fond du carnet. Pour les quatre carnets de cuisine nous avons utilisé un chiffon microfibre, une ‘smoked sponge’ et une brosse douce là aussi pour les fonds de cahiers. La ‘smoked sponge’ a été utilisée pour les couvrures vertes des carnets de Léonce et Christiane Hingouët, le papier étant moins fragile que le reste des feuillets. Le choix du chiffon microfibre se justifie par la fragilité des techniques graphiques qui s’abrasent et du papier qui est fragile mécaniquement. De plus le dépoussiérage s’est fait dans les marges des pages, une à une, ce qui est une étape fastidieuse et le chiffon microfibre permet une meilleure rentabilité de temps et de résultats. Dans tous les cas nous avons agi doucement sur les documents, avec le chiffon ou la ‘smoked sponge’, et nous avons fait attention aux endroits non lisses qui auraient pu accrocher la gomme ou le chiffon, et créer ainsi une perte de papier. L’étape du dépoussiérage est indispensable pour éviter tout risque de pénétration de poussière dans le papier, ce qui créerait des auréoles. Nous avons agi avec une attention particulière pour les techniques les plus abrasées, pour éviter d’altérer davantage les écrits. Mais l’opération a été légèrement plus poussée dans les marges et aux endroits où il y avait une absence de techniques manuscrites. Après cette opération, nous n’observons pas de réels changements visuels sur les documents, seul l’état du chiffon microfibre utilisé, atteste de l’utilité du dépoussiérage.

Fig. 42 et 43 Le chiffon microfibre avant et après utilisation sur le carnet du Musée de l’Ordre de la Libération

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133


12.Désacidification Nous avions pris le parti, dans la proposition de traitement, de faire une désacidification in situ de nos documents. Après réflexion, nous avons abandonné cette étape pour plusieurs raisons. Tout d’abord, bien que le spray Bookkeeper® permette une stabilité des techniques graphiques sensibles, nous avons préféré éviter tout risque de dégradation que ce soit sur les techniques, les objets ou les formations d’auréoles. Ensuite, au vu du grand nombre de pages pour les documents que nous voulions traiter, une vigilance accrue pour les techniques était indispensable. Il aurait fallu également attendre entre chaque traitement de page, que le produit sèche et cette étape est chronophage. De plus, nous aurions dû retester ponctuellement les techniques, pour éviter qu’elles ne réagissent et ne fusent. Enfin, nous savons que les papiers sont acides, mais l’acidité est relative. Avec un bon conditionnement nous pouvons ralentir la dégradation naturelle des papiers. Pour terminer, nous avons abandonné cette étape pour des raisons purement économiques au vu du très grand nombre de pages à traiter et de la quantité de spray qu’il aurait fallu acheter.

13.Consolidation de la technique graphique Suite à notre étude scientifique sur un classement à l’abrasion de différents fixatifs177, nous avons fait ressortir de nos tests que c’était la Tylose qui était la colle la plus adaptée et qui supporte le mieux les abrasions, mais aussi parce qu’elle a une Unité de Brillance relative. Malheureusement notre méthode d’application du système à encoche n’est pas reproductible dans ce cas, parce qu’il dépose une quantité importante de fixatif. Nous avons trouvé une méthode répétable, mais pas reproductible dans l’application du fixatif en consolidant. Nous avons donc décidé d’appliquer le consolidant à l’aide d’un écospray 178 avec une concentration de Tylose à 0,5%. L’opération s’est faite en deux fois pour arriver à un pourcentage de 1% en consolidant 179. Cette double application est nécessaire puisque pour éviter de boucher l’éco-spray, les concentrations de colle doivent être assez faibles, et permettre ainsi une application homogène du fixatif. Nous avons alors consolidé la page du carnet de Mauthausen qui comporte des informations importantes, et qui peut être directement soumise aux abrasions, puisque c’est une page qui sert de couvrure. Pour des raisons identiques, nous avons traité la première de couverture du carnet 177

Voir conclusion de l’étude technico-scientifique p. 91-93 L’écospray est un microdiffuseur à réserve de pression qui pulvérise une brume de solution uniformément répartie 179 Nous avons effectué un test avec un écospray sur un papier journal de 1922, qui présente des caractéristiques similaires à nos documents (matériaux constitutifs). Le test a été concluant puisqu’il n’a pas provoqué d’auréoles, de tâches ou d’assombrissement des particules de colle sur un papier de mauvaise qualité 134 Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014 178


d’adresses et l’encre de papier carbone utilisée sur la carte de rapatriée. Pour cela nous avons fabriqué des petits caches de papier buvard pour protéger les techniques sensibles à l’eau du carnet d’adresses et de la carte de rapatriée. Nous avons respecté une distance de 20 à 30 cm sur les documents, pour appliquer une couche homogène et contrôlée. Lors de ces consolidations nous avons veillé à ne pas apporter une humidification trop importante. Enfin, un test au frottement180 nous a permis de constater que la consolidation avait été efficace : qu’il n’y avait pas eu de brillance des papiers ou des techniques, ni d’assombrissement général ou d’auréoles.

Fig. 44 Confection d’un cache en papier buvard

Fig. 45 Utilisation de l’écospray avec la Tylose à

pour les encres des tampons solubles à l’eau

0,5% sur le carnet d’adresses. Cache en buvard dans la partie inférieure

14.Aplanissement des plis Avant de pouvoir consolider et renforcer nos documents, nous avons mis à plat les plis et les papiers qui étaient froissés. Par exemple pour la carte de rapatriée nous avons travaillé sur la périphérie du document qui présente des lacunes, des plis et des déchirures. À ces endroits, il n’y avait pas de techniques sensibles, nous avons donc pu remettre à plat les éléments pliés. Pour cela nous avons pris un pinceau à eau à réservoir, de pointe assez fine pour contrôler précisément la quantité d’eau et le faire de manière ciblée. Ensuite nous avons aplani le pli avec un plioir en Teflon, puis nous avons mis cela sous poids. Le séchage a été très rapide, au vu de la faible quantité d’eau apportée sur le document afin d’éviter les auréoles.

180

Pour cela nous avons frotté un coton ouaté sur les techniques, pour voir si elles s’abrasaient

Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014

135


Pour les plis du carnet de Mauthausen, nous avons procédé de la même manière, en retestant ponctuellement les encres qui nous semblaient susceptibles de réagir. Cela nous a permis de défroisser le papier localement à leurs extrémités et de voir que plusieurs pages s’assemblaient. Nous avons pu observer que le carnet se lit majoritairement dans un sens, mais que pour cinq feuillets il se lit dans le sens contraire, sans qu’une explication logique puisse être donnée. Quand on voit la figure n°46 ci contre, la page de gauche est écrite à l’endroit et celle de droite à

Fig. 46 Utilisation de l’écospray avec la Tylose à 0,5% sur le carnet d’adresses. Cache en buvard dans la partie inférieure

l’envers. On rediscutera de cette problématique lors du remontage du carnet 181. À l’intérieur de ce même carnet, que nous a confié le Musée de l’Ordre de la Libération, nous avons découvert des feuillets de format et de papier différents, écrit par d’autres personnes. Nous avons aplani l’ensemble de ces documents avec la même technique. Cette opération a bien fonctionné, et nous avons procédé à une mise sous presse pour une mise à plat totale. Cela nous a permis de pouvoir traiter de manière simultanée beaucoup de feuillets et ainsi d’avoir une bonne rentabilité de temps et de place. Pour les plis des papiers roses, nous avions peur que la couleur dégorge. Nous avons donc testé notre méthode sur un papier rose clair et un de couleur plus foncé. Dans le cas du papier rose clair , le résultat était conforme à notre attente puisque nous avions apporté une très faible quantité d’eau, compte tenu que notre papier est assez fin. Par contre pour les papiers roses foncés nous avons pris la précaution de mettre un buvard enFig. 47 Le carnet d’adresses sous poids, après avoir aplani les plis

dessous et au-dessus, de chaque feuille. Après avoir humidifié localement le document, nous avons passé un rapide coup de

plioir et mis tout de suite sous poids, pour que les colorants du papier n’aient pas le temps de migrer. Là aussi le résultat est concluant.

181

Voir point 18. Le remontage du carnet du Musée p. 148-149 136 Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014


Fig. 48 et 49 Avant et après aplanissement des plis d’une des pages volantes du carnet du Musée de l’Ordre de la Libération

15.Consolidation des déchirures, renforcement du papier 15.1. Projet retouche : le camouflage de déchirures avec du papier coloré Les carnets de recettes culinaires provenant du camp de concentration et de travail de Leipzig, étant majoritairement composés de papier rose avec des couvrures de couleur verte, il nous parait important d’effectuer un projet retouche pour le camouflage de déchirures avec du papier coloré. Tout cela dans un but esthétique, puisque le papier japonais non teinté serait trop visible. Pour réaliser ce projet retouche, nous avons utilisé un papier d’aspect et de grammage similaire à notre papier d’oeuvre. Au préalable nous avons légèrement lustré la zone utilisée au plioir à l’os, pour recréer l’effet satiné de notre papier rose/orangé du corps d’ouvrage. Pour ce faire, nous avons utilisé un papier d’aspect et de grammage similaire, de couleur orange (couleur qui se rapprochait le plus de notre papier rose/orangé). Ainsi nous avons testé des papiers de grammages différents et diverses applications de teinte. Nous déterminerons alors quelle est la technique de teinte la plus adaptée, quels sont le grammage et la qualité de papier les plus pertinents Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014

137


pour la restauration des carnets. Les papiers sont teintés à l’aquarelle Windsor & Newton à l’aide d’un pinceau à lavis Da Vinci, puis séchés au sèche-cheveux. La difficulté que nous avons rencontrée lors de ce projet retouche, c’est la complexité de faire des photographies acceptables des tests que nous avions réalisés.

Fig. 50 Matériels utilisés pour le projet retouche : aquarelle Windsor & Newton, papier orange, papiers de renfort

Les trois papiers testés : - papier japonais écru 6g/m2, 100% kozo 182 - papier japonais blanc 9g/m2, 100% chanvre de Manille - papier thaïlandais blanc 9g/m2, 100% kozo Le papier thaïlandais blanc 9g/m2 présente un léger encollage, qui peut gêner la bonne pénétration de l’aquarelle dans les fibres. Nous avons donc décidé de laisser le papier quelques minutes dans un bain d’eau tiède pour enlever toute trace de colle. Le séchage a ensuite été accéléré avec un sèche cheveux. De plus, en se fiant à nos conclusions des tableaux des tests de solubilité183, nous avons décidé de renforcer les déchirures avec de l’Hydroxypropylcellulose (Klucel G) à 5% dans l’isopropanol (seul solvant ne solubilisant pas les techniques graphiques). Pour faciliter le collage, nous avons préencollé les papiers avant de les poser sur le papier orange. Puis nous avons utilisé un plioir en Téflon à travers un intissé pour que la colle adhère. Enfin le tout est mis sous poids, avec un intissé, un buvard, un carton et un poids, et ce pendant environ 45 minutes. Les tests ont été synthétisés dans de tableaux, à la page suivante.

182

Voir en annexe 9 p. 213 la liste des produits utilisés Voir les tests de solubilité des techniques graphiques p. 120-122 138 Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014 183


Photographies des tests

Descriptions

Observations

Papier japon écru 6g/m2, 100% kozo. La bande de gauche a été coupée au scalpel, celle de droite a été défibrée à l’eau. L’aquarelle a été appliquée une seule fois

Le papier présente encore des fibres écrues, ce qui «casse» la couleur. Nous décidons donc de refaire le même test en faisant deux passages d’aquarelles (voir photo ci-dessous)

Papier japon écru 6g/m2, 100% kozo. Bande de gauche coupée au scalpel, bande de droite défibrée à l’eau. Deux passages de teinte

Le papier présente encore quelques fibres écrues, mais la couleur se révèle trop foncée par rapport au papier. Nous allons donc essayer un papier de composition, de grammage et de teinte différent, fait de chanvre de Manille, ainsi que d’une nouvelle application de teinte

Papier japon blanc 9g/m2, 100% chanvre de Manille. Bande de gauche coupée au scalpel, bande de droite défibrée à l’eau. Deux passages de teinte

La couleur blanche des fibres du papier, blanchit la couleur et un troisième passage de teinte serait beaucoup trop sombre. De plus on observe sur les trois renforts défibrés à l’eau, ne donnent pas un rendu assez satisfaisant. Dès lors nous défibrerons à sec, juste avec un trait au plioir à l’os pour faciliter le défibrage, et nous couperons les fibres trop longues au ciseau-pincette

Papier thaïlandais blanc 9g/m2, 100% kozo. Bande de gauche coupée au scalpel posée côté rugueux, bande de droite défibrée à sec posée côté lisse. Trois passages de teinte au recto et un passage au verso

La bande de gauche parait beaucoup plus foncée que celle de droite, sûrement dû au fait que c’est la partie rugueuse du papier qui est collée. La bande de droite apporte de bons résultats de teinte, mais aussi d’esthétisme, grâce aux bords défibrés. Cependant passer 4 couches de teintes parait excessif, sûrement dû à un encollage du papier. Nous décidons donc de laisser les bandes de papier quelques minutes dans un bain d’eau tiède pour enlever toute trace de colle. Puis nous accélérons le séchage avec un sèche-cheveux

Papier thaïlandais blanc 9g/m2, 100% kozo. Bande de gauche coupée au scalpel, bande de droite défibrée à sec. Un passage de teinte

C’est le test qui apporte le plus de résultats positifs : - La teinte est bien homogène et relativement proche de la couleur du papier - L’esthétisme des bords, qu’ils soient coupés au scalpel ou défibrés à sec - Le désencollage du papier a facilité l’absorption de la couleur par les fibres (un seul passage de couleur)

Vue avant lustrage des deux renforts sur papier coloré

Nous avons segmenté les bandes en trois parties. Dans la partie haute nous appliquerons la colle qui a servi à préencoller les papiers des tests, c’est-à-dire de la Klucel G à 5% dans l’isopropanol. La partie du milieu servira de témoin, et restera donc vierge. Enfin, le lustrage de la partie basse s’effectuera à l’aide d’un plioir en os

Vue après lustrage à la Klucel G et au plioir en os, lumière de jour rasante

Les tests de lustrage avec la Klucel G se révèlent moins probants : la colle est trop brillante et le papier est rugueux au toucher. Le lustrage au plioir en os apporte lui de meilleurs résultats : le satiné du papier d’origine est respecté et le plioir a bien aplati les fibres du papier thaïlandais, ce qui lui redonne le côté velouté du papier au toucher, rendant l’ensemble du renfort homogène

Tabl. 11 Tableau synthétique des tests du projet retouche : le camouflage de déchirures avec du papier coloré Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014

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papier japonais écru 6g/m2

papier japonais blanc 9g/m2

papier thaïlandais blanc 9g/m2 Avec encollage

papier thaïlandais blanc 9g/m2 Sans encollage

2

2

3 au recto et 1 au verso

1

Passage de lavis

Défibrage du papier

scalpel

eau

scalpel

eau

scalpel

plioir et ciseau

scalpel

pincette Appréciation

+

-

- insatisfaisant

-

+ moyen

-

++ bon

+

plioir et ciseau pincette

++

+++

++

+++ très bon

Tabl. 12 Tableau récapitulatif des méthodes employées pour le projet retouche

Papier coupé au scalpel

Papier défibré à sec au plioir en os et au ciseau pincette

Klucel G à 5% dans l’isopropanol

-

-

Témoin

++

++

Plioir en os

+++

+++

- insatisfaisant

+ moyen

++ bon

+++ très bon

Tabl. 13 Tableau récapitulatif des méthodes de lustrage

En conclusion, nous pouvons dire que le projet retouche de renforts de déchirures à l’aide de papiers colorés s’est avéré concluant. Lors de notre restauration, nous utiliserons donc du papier thaïlandais 9g/m2, 100% kozo, préalablement désencollé. Nous colorerons le papier à l’aquarelle Windsor & Newton, que nous préencollerons à l’Hydroxypropylcellulose à 5% dans l’isopropanol. Ainsi, nous aurons de bons résultats visuels. Si au niveau du toucher, le papier reste rugueux, nous pourrons le lustrer au plioir en os. Si le plioir en os apporte trop de brillance quant au papier d’origine, nous utiliserons un plioir en Téflon. Ce dernier aplatira les fibres du papier thaïlandais pour lui donner du velouté, tout en respectant un degré de brillance acceptable. Enfin nous respecterons les différentes gammes de teintes de rose, pour une unité visuelle des renforts de déchirures.

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15.2. Le renfort de papiers colorés : application Cette opération de restauration a été la plus longue à effectuer. D’une part parce qu’il a fallu trouver la bonne teinte de rose, d’autre part parce que le papier thaïlandais 9g/m2 s’est avéré être d’un grammage trop important pour nos papiers. Cela fonçait nos camouflages, qui étaient alors trop visibles. Nous avons donc opté pour un papier japonais 100% kozo de 6g/m2. Pour pouvoir teindre à l’aquarelle une portion importante de papier, et pour que le papier n’absorbe pas tout de suite les pigments, nous avons au préalable humidifié notre papier sur une surface plane de manière à éviter une mauvaise répartition des pigments de l’aquarelle. Nous avons ensuite séché l’ensemble au sèche-cheveux. Nous avons donc cherché deux teintes de roses : une claire et une autre plus foncée. Cette opération s’est avérée beaucoup plus longue que lors de nos tests. Nous avons commencé par faire le renfort des papiers roses des carnets de recettes de cuisine, ainsi que du carnet d’adresses avec notre papier japonais teinté, avec de la Klucel G à 5% dans de l’isopropanol. Pour cela nous avons placé, sous chaque feuille traitée, un buvard et un intissé en polyester pour éviter des transferts de couleur sur la page du dessous. Nous avons également ouvert les carnets de manière à ce que la reliure ne soit pas sollicitée trop massivement. Le fait de préencoller nos papiers et de les réactiver par la suite à l’isopropanol, donnait un aspect trop brillant aux renforts et ils n’adhéraient pas suffisamment au support. De plus nous nous sommes aperçus, et cela à cause de la Klucel G, que pour les papiers roses foncés, la colle fonçait les renforts de manière très prononcée. Nous avons donc décidé d’encoller nos papiers sur un mylar et de les placer sur les endroits à consolider à l’aide d’une pince à bout en Teflon. Nous appliquions ensuite le plioir pour que la colle adhère184 et nous avons absorbé la colle avec un petit buvard. Le résultat était satisfaisant et nous avons ensuite traité l’intégralité de nos feuillets roses de cette manière.

Fig. 51 Détail d’un renfort de déchirure avec le papier coloré 184

La Klucel G est une colle de contact qui nécessite une pression certaine pour que la colle adhère

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Fig. 52 Vue de côté de plusieurs pages qui ont été renforcées à l’aide du papier coloré, sur un des carnets de recettes culinaires

15.3. Renforts et consolidations du carnet du Musée de l’Ordre de la Libération et de la carte de rapatriée Pour les renforts et les consolidations du carnet du Musée de l’Ordre de la Libération, des doublages au papier japonais 6g/m2 100% kozo ont été nécessaires, notamment pour les premiers feuillets, mais aussi pour les papiers qui présentaient une trop grande fragilité mécanique. Pour cela nous avons procédé à des doublages sur table lumineuse pour reconstituer au mieux les feuillets qui allaient ensemble. Nous avons humidifié au préalable notre papier, pour éviter qu’il n’absorbe trop la colle de doublage, ce qui aurait créé des tensions et le papier aurait perdu de sa souplesse. Le doublage s’est fait à l’aide d’un bake185 blanc à poil de chèvre avec de la colle d’amidon délayée à 10% dans de la Tylose et de l’eau. Ce mélange d’adhésifs a permis de conjuguer les avantages de chaque colle186 : la souplesse de la Tylose et le pouvoir collant de la colle d’amidon. Le doublage terminé, nous avons procédé à un séchage sous presse, en changeant régulièrement les buvards pour éviter tout risque de moisissures. Le séchage a duré 3 à 4 jours maximum. Cette étape nous a permis également de rentabiliser notre temps de restauration au vu du grand nombre de feuillets à restaurer. Pour les renforts et les consolidations nous avions préalablement dit que nous utiliserions une colle d’amidon épaisse à 20% dans de l’eau187. Or le papier avait tendance à créer des auréoles très rapidement, et ce malgré notre attention particulière lors du dépoussiérage. Nous avons essayé d’absorber l’excédent d’eau de la colle en la déposant d’abord sur un buvard, mais même ainsi la colle créait des auréoles et surtout elle rigidifiait énormément le papier. Pour les quelques auréoles

185

Terme japonais qui désigne un pinceau Voir tableau des avantages et des inconvénients des fixatifs utilisés pour nos tests scientifiques p. 74 187 Voir proposition de traitement p. 127-128 142 Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014 186


créées, nous avons procédé à l’aide d’une pâte-mouille : nous avons humidifié un petit morceau de buvard légèrement plus grand que l'auréole, que nous avons placé directement sur l’oeuvre. Puis nous avons utilisé une spatule chauffante à 60°-65°. Cette technique permet une solubilisation et un transfert des produits de dégradation, qui ont créé l’auréole, sur le buvard. Nous avons utilisé la spatule chauffante pour sécher plus rapidement nos consolidations au papier japonais 6g/m2 de couleur crème, avec un intissé en intermédiaire. Cette technique a bien fonctionné et a permis de continuer nos consolidations sur l’ensemble des feuillets du carnet, sans laisser le temps à la colle de créer d’autres auréoles.

Fig. 53 et 54 À gauche l’auréole créée, à droite le coin après traitement à l’aide d’un buvard humide et d’une spatule chauffante

Pour la carte de rapatriée nous avons consolidé les déchirures avec un papier japonais 6g/m2 crème, et de la colle d’amidon. Nous avons dû utiliser de la Klucel G à 5% dans l’éthanol dans la partie inférieure de la carte, là où les tampons violets sont le plus sensibles à l’eau. Nous avions peur que des tensions ne se créent puisque nous n’avions pas utilisé la même colle. Mais finalement il n’y a pas eu de problème. Une déchirure était présente sur le haut du document, sur les inscriptions poinçonnées. Le fait de l’avoir consolidé, avait occulté ces trous. Nous avons réussi à les ajourer grâce à un poinçon et un scalpel.

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Fig. 55 et 56 À gauche la déchirure sur les écritures poinçonnées, à droite le renfort effectué et ajouré

15.4. Comblement des lacunes Les comblements de lacunes ont été faits au papier japonais 100% kozo 18g/m2 de couleur crème. Pour la carte de rapatriée nous avons mis deux couches de papier japonais, pour arriver à un grammage de 36g/m2, et ainsi combler la lacune. Nous avons pris l’empreinte des zones à combler sur une table lumineuse, puis avec une pointe nous avons découpé la forme souhaitée. Enfin nous avons collé la lacune avec une colle d’amidon, étant donné que ces endroits ne présentaient pas de techniques sensibles à l’eau. Puis nous avons mis sous poids. Nous avons cependant pris le parti de ne pas combler l’angle supérieur droit de la carte, puisque ce coin semblait avoir été coupé net. Nous n’avons pas trouvé sa signification, et Mme Christiane Hingouët -Cabalé ne s’en souvient plus. Cependant, nous avons trouvé des exemples de cartes de rapatriés sur internet ayant ce même coin coupé. Nous avons donc décidé dans le doute de ne pas combler ce coin188. Nous avons aussi comblé les trois derniers feuillets du carnet d’adresse, avec ce papier japon que nous avons légèrement teinté au préalable à l’aquarelle. Pour un rendu esthétique final nous avons appliqué notre papier de renfort rose par dessus pour homogénéiser la couleur des lacunes. Fig. 57 Comblement de lacunes de la dernière page du carnet d’adresse

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Voir en annexe 13 p. 233 les autres cartes de rapatriés au coin coupé 144 Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014


En ce qui concerne les lacunes du carnet du Musée de l’Ordre de la Libération, nous avons choisi de ne mettre qu’une épaisseur de papier japon, le grammage étant suffisant par rapport au papier d’origine. Nous les avons collé avec le même mélange que pour les renforts (amidon-tylose à 10%) pour éviter de créer des tensions avec l’utilisation de plusieurs colles au sein d’un même document. Pour éviter les auréoles, nous avons là aussi accéléré le séchage avec une spatule chauffante. Nous avions en périphérie de certaines pages des déchirures qui s’étaient élargies 189. Nous avons inséré des fibres de papier japon encollées, pour combler ces petits manques. Cette étape a aussi été très longue, puisque toutes les pages avaient ce genre de petites lèvres écartées. Là aussi nous avons accéléré le séchage avec la spatule chauffante.

Fig. 58 Séchage accéléré à la spatule chauffante

15.5. Consolidation des reliures et des papiers de couvrure Nous avons consolidé nos papiers de couvrure vert avec un papier japon 6g/m2 que l’on avait teinté à l’aquarelle, comme pour nos renforts de papiers roses. Au préalable nous avons aplani les bords, à l’aide d’une spatule chauffante et d’un intissé, pour permettre une mise en place plus aisée du papier de renfort. Le papier a été placé, recto et verso, assurant ainsi un bon maintien des périphéries. Il a été collé avec de la Klucel G à 5% dans de l’isopropanol, comme pour les renforts des feuillets roses. Nous aurions voulu utiliser de la colle d’amidon, pour son pouvoir collant, mais au vu des auréoles créées précédemment, nous avons voulu éviter de refaire cette erreur. Ainsi nous avons utilisé la Klucel G avec la spatule chauffante à 40°, pour un séchage plus rapide.

189 Au

fur et à mesure ces déchirures se sont distancées et il n’était pas possible de les remettre bord à bord

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Le grammage du papier que nous avons choisi est de 12g/m2, ce qui est relativement faible et donc ne rigidifie pas les périphéries des carnets de Christiane et Léonce Hingouët, évitant ainsi une coercition des matériaux des carnets, avec les matériaux de restauration. Nous avons aussi, quand c’était nécessaire, placé directement sur le fil de couture ces mêmes papiers teintés pour maintenir la couture, comme c’est le cas pour le carnet d’adresse, où le fil de couture avait tendance à être un peu lâche, et une partie des coutures des carnets. Enfin les carnets de recettes, le carnet d’adresse et les feuillets ont été mis sous poids pour bien les aplanir.

Fig. 59 Consolidation de la reliure du carnet d’adresses, au japon 6g/m2 teinté en rose clair et à la Klucel G à 5% dans l’isopropanol

16.Numérisation des carnets de recettes La numérisation des quatre carnets de recettes de cuisine ne s’est pas faite au même moment. Nous entendons par là que les problématiques liées à ces objets n’étaient pas les mêmes. Pour les carnets de Léonce et Christiane Hingouët, étant donné qu’ils étaient reliés, nous avons préféré faire une numérisation avant la restauration des documents, au cas où il aurait fallu intervenir au niveau des fils de couture, puisque la numérisation nécessite une large ouverture des carnets. Cela pouvait être préjudiciable si la restauration était terminée et qu’il faille recommencer. Nous avons donc préféré faire la numérisation avant la restauration des carnets. 146

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Dans le cas du carnet de la déportée inconnue, la manipulation avant restauration était difficile, le papier étant très fragile mécaniquement. De plus, l’ordre des feuillets ne semblait pas être le bon. Dans ce cas nous avons préféré d’abord consolider les feuillets et faire numériser le carnet avant de le relier. C’est lors de notre stage à la Bibliothèque du Musée des Arts Décoratifs que l’opportunité de numérisation s’est présentée. Effectivement la Bibliothèque visitait des entreprises de numérisation de la région parisienne, en vue de numériser une partie de leurs collections. Lors d’une visite dans l’entreprise TRIBVN190, nous avons exposé notre souhait de vouloir numériser les carnets de recettes de Mme Christiane Hingouët et de sa mère, à Mr Pierre Hauri et à Mme Emmanuelle Schmitt. L’histoire et la puissance dimensionnelle de ces carnets les ont intéressé et ce faisant ils nous ont proposé de numériser gracieusement les trois carnets de Christiane Hingouët. Cette entreprise est spécialisée dans l’imagerie médicale, mais aussi dans la numérisation patrimoniale. Elle offre des prestations de qualités et les images obtenues sont d’une résolution élevée. Pour le carnet de notre déportée inconnue c’est le Musée de l’Ordre de la Libération qui s’est chargé de la numérisation du carnet, en avril 2014. L’opération a été plus que satisfaisante puisque les renforts et les comblements ont bien tenus lors de cette mise en application pratique de manipulation. Cette numérisation a été réalisée avant la reliure de conservation, pour éviter des ouvertures répétées du carnet, ce qui l’aurait fragilisé. Dans les deux cas, que ce soit pour des archives publiques ou des archives privées, la numérisation des données devient une étape essentielle dans la conservation des documents. Elle permet de consulter la ressource, de voir l’objet, tout en préservant ce dernier de mauvaises manipulations, de dégradations futures ou du vieillissement naturel de ces matériaux.

190

Voir en annexe 14 p. 235 une description des méthodes employées sur leur site www.tribvnscan.com

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Fig. 60 Deux pages numérisées par la société TRIBVN, qui s’est chargée de scanner les carnets de recettes culinaires de Léonce Hingouët et de Christiane Cabalé-Hingouët

17.Retouche Une retouche s’est imposée pour la carte de rapatriée, le papier d’origine étant très jaune. Nous avons procédé à des retouches directement sur les comblements de lacunes, en appliquant petit à petit la couleur, jusqu’à l’obtention d’une teinte satisfaisante. Nous sommes conscients du risque que nous prenons avec cette méthode directe, du fait de l’eau et de la migration de pigments. Nous avons agi très précautionneusement en faisant attention aux barbes du papier d’origine, qui auraient pu absorber notre couleur. Nous avons fini la retouche avec de la terre pourrie de chez Laverdure, qui est un pigment sec. On prélève un peu de poudre avec le pinceau, puis on l’applique sur la lacune. Ce pigment a la faculté de ‘salir’ une teinte, ce qui est très appréciable en arts graphiques. Pour les papiers roses, nous avons un peu retouché certaines consolidations qui étaient trop pâles, avec des crayons de couleur Faber-Castell, mais cela de façon très marginale.

18.Remontage du carnet du Musée Après plusieurs heures à remettre les pages dans l’ordre, malgré une pagination initiale au crayon graphite, nous avons retrouvé un sens logique au carnet du Musée de l’Ordre de la Libération. Malgré cela, il semble que le carnet soit inreliable. Il y a un enchevêtrement de cahiers doubles, simples et de feuillets éparses qui laissent peu de recours possibles, le tout enveloppé dans deux feuillets double. Nous avons pensé à monter certaines de ces pages sur onglets et de créer des 148

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fausses marges pour les feuillets simples, mais il faudrait alors le faire pour la quasi-totalité du document. Cela augmenterait l’épaisseur du dos de façon trop importante. Nous savons que des systèmes de compensations d’épaisseur de dos existent 191, mais nous ne pouvons traiter six documents de la même façon que l’on en traite un seul. De plus la couture serait ardue et sûrement aléatoire. On aurait alors une fragilité au niveau des fonds de cahiers réparés. Nous prenons alors le parti de laisser le carnet sous forme de liasse, et d’apporter un soin particulier à son conditionnement Ce dernier reprendra le rôle premier d’une reliure, c’est-à-dire de protéger le corps d’ouvrage.

Fig. 61 Vue du carnet de Mauthausen, où l’on voit un exemple de cahier où les pages s’enchevêtrent. L’ensemble est aléatoire et différent selon chaque cahiers : aucun cahier n’est formé de la même manière

19.Conditionnements 19.1. Les documents de Christiane Hingouët-Cabalé Nous avons réalisé une protection individuelle des documents avec du papier permanent blanc192 de 120g/m2, le tout conservé dans une boite de conservation sur mesure. Pour une bonne conservation des documents, nous avons fait un système de ‘plateaux’ en carton museum blanc neutre, qui s’enlèvent et se replacent dans la boîte. Les objets tiennent grâce à des petites bandes de carton d’une hauteur réduite, qui délimitent l’emplacement des documents. Cela vaut pour le carnet d’adresse et la carte de rapatriée, puisque nous avons élaboré la boîte en fonction des dimensions des trois carnets de recettes culinaires.

191

Couture de cahiers alternés par exemple (VINAS V. et R. Les techniques traditionnelles de Restauration : une étude RAMP. Paris : Unesco, septembre 1992, p. 71) 192 Norme ISO 9706, mars 1994, fixe " les prescriptions pour qu’un papier destiné à l’établissement de documents soit permanent ", c’est-à-dire qu’il reste chimiquement et physiquement stable pendant une longue période. Informations recueillies sur le site http://classes.bnf.fr/dossisup/supports/art15bs.htm Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014 149


Fig. 62 Vue du dessus de la boîte de conservation sur mesure. Les deux plateaux ne sont pas solidaires de la boîte. La photographie a été prise sans les pochettes individuelles pour mieux situer l’emplacement de chaque document dans la boite

19.2.Le carnet du Musée de l’Ordre de la Libération Après plusieurs discussions avec Mr Vladimir Trouplin, nous sommes convenus que nous laisserions le carnet sous forme de liasse, et garderions séparément les feuillets qui ont été rajoutés (feuilles horaires de l’usine Siemens ou les recettes des autres déportées). Cela dans l’unique but d’une meilleure conservation pour l’ensemble des feuillets. Si nous les réintégrions au carnet, cela induirait de les replier de manière à ce que les feuilles s’ajustent au format du carnet. Nous avons pensé que cela n’était pas vraiment une bonne idée et ne change rien quant au contenu, puisque les recettes ne se suivent pas. Cela induit que ce carnet soit séparé en trois parties : le corps d’ouvrage du carnet qui a retrouvé un ordre logique ; les cinq feuilles au format différent ; et les feuilles horaires, ainsi que tous les autres feuillets qui ne trouvent pas leur place dans le corps d’ouvrage. Nous ferons donc trois pochettes en papier permanent pour cet ensemble, le tout conservé dans le même type de boîte que celle qui a été faite pour Mme Hingouët-Cabalé.

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Fig. 63 et 64 Avant et Après restauration des documents de Christiane Hingouët-Cabalé

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Fig. 65 et 66 Avant et Après restauration du carnet de la déportée inconnue du Musée de l’Ordre de la Libération

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Conclusion Cet ensemble de documents, produits dans les camps de concentration, ont nécessité une attention particulière et une prise de conscience de la fonction de ces objets. Grâce au travail de restauration, les carnets et la carte de rapatriée, ont retrouvé leurs qualités usuelles et fonctionnelles. Dès le départ nous voulions numériser ces carnets, et l’opportunité s’est présentée avec la société TRIBVN. Ainsi, nous avons pu découvrir que la numérisation se fait toujours en fonction de l’objet, dans le sens où la numérisation est adaptée selon le ‘cahier des charges’ du document ; de sa faculté a être manipulé ou non. Plusieurs techniques de numérisation en très haute résolution sont alors possibles. Cela permet une consultation du contenu de l’objet, sans risque de dégradation causée par des manipulations maladroites. La sensibilité des techniques graphiques des documents à l’eau et aux alcools, a demandé des traitements de restauration adaptés. Les traitements effectués ne représentaient pas de difficulté outre-mesure. Toutefois il a fallu procéder avec méthode, en raison du grand nombre de documents à traiter. Lors de nos stages en ateliers privés, nous avons appris à être autonome dans notre travail et d’avoir un bon rendement de temps et de matériels. Cela nous a permis d’être rigoureux lors dans la restauration de notre corpus d’oeuvre en cinquième année. Ces restaurations ont été menées dans le respect de l’intégrité et de l’histoire de ces documents, au vu de leur contexte de création. Avec les renforts de réintégrations colorées, nous avons apporté un soin particulier à l’esthétisme des papiers roses. En effet, nous n’omettons pas l’éventualité qu’ils soient un jour exposés.

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Conclusion générale Ce mémoire de fin d’études a été émotionnellement sensible dans le sens où nous avons été confrontés à des témoignages plus ou moins directs sur la souffrance physique et psychique. Ce fût l’opportunité de redécouvrir une période que nous pensions déjà connaître, au vu de notre propre histoire familiale. Cela a été également l’occasion de mettre en pratique l’apprentissage technique apporté par notre formation à l’École de Condé, ainsi que lors de nos stages. En parallèle de ces recherches, nous avons eu la chance d’être entourée de personnes qui nous ont fait partager leur savoir, leurs connaissances ; engageant ainsi des discussions passionnantes. Ces deux dernières années d’études nous ont appris à être organisée, méthodique et surtout de ne jamais perdre espoir dans des recherches que nous pensions vaines. Nous avons découvert un patrimoine insolite et nous avons tenté de répondre au mieux aux problématiques qu’engendraient notre corpus de documents. Cependant, nous sommes conscients des limites de temps et de moyens d’un mémoire de fin d’études. Nous souhaiterions poursuivre ces recherches : qu’il s‘agisse de la partie historique où nous aimerions saisir l’ampleur du phénomène ; de la partie scientifique pour approfondir et perfectionner notre sujet sur les fixatifs et l’abrasion ; et enfin pour la partie restauration pour maîtriser davantage les papiers et les techniques graphiques propres au XXe siècle, ainsi que sur la conservation de tels documents. Ce travail d’études et de restauration a permis de rendre les documents consultables et présentables au public. Nous pensons qu’il est primordial de faire perdurer ces témoignages, au travers de ces carnets, puisqu’il s’agit véritablement de documents hors du commun.

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Bibliographie - Histoire Ouvrages spécialisés AMICALE DE RAVENSBRÜCK ET ASSOCIATION DES DÉPORTÉES ET INTERNÉES DE LA RÉSISTANCE. Les françaises à Ravensbrück. Le Mesnil-sur-l’Estrée : Gallimard, 1965, 338 p. ASSOULY, Olivier. Essai sur l’organisation criminelle de la faim. Arles : Actes Sud, octobre 2013, 205 p. HERBERSTEIN, Elsie, GEORGET, Anne. Les Carnets de Minna. Tours : Seuil, septembre 2008, 155 p. KARAY, Felicja. Hsag-Leipzig slave labour camp for women : the struggle for survival told by the women and their Poetry. London : Vallentine Mitchell, 2002, 261 p. LEVI, Primo. Les naufragés et les rescapés : Quarante ans après Auschwitz. Saint-Amand : Arcades Gallimard, mars 2013 [© mars 1989], 199 p. SIMON-LETERTRE, Patrick. Marcel Letertre : Notes de déportation. [s.l.] : Association M. & G. Letertre, 2005, 216 p. THOMAS, Rémi. Bordeaux Ravensbrück Leipzig Bordeaux. Paris : Éditions le Manuscrit, 2006, 401 p.

Mémoire MICHEL, Allison. Les dessins de Josy Fosty à Buchenwald : Étude, conservation et restauration d’une collection du Cabinet des Estampes et des Dessins de la ville de Liège. Bruxelles : 2013, 190 p.

Ouvrages biographiques HINGOUËT-CABALÉ, Christiane. En 1944, j’ai 20 ans. Savenay : Impression Le Sillon, octobre 2009, 94 p. LEVI, Primo. Si c’est un homme = Se questo è un uomo. Malesherbes : Juillard Pocket, mai 2013 [© 1958], 314 p. ROUSSET, David. L’univers concentrationnaire. Paris : Hachette littératures, mars 2003 [© 1965], 190 p. SAINT MACARY, Pierre. Mauthausen : Percer l’oubli. Paris : L’harmattan, février 2004, 144 p. Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014

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SEMPRUN, Jorge. L’écriture ou la vie. Mesnil-sur-l’Estrée : Gallimard, avril 2004 [© avril 1996], 397 p. TILLION, Germaine. Ravensbrück. [s.l.] : Le Seuil, mai 1988 [© 1973], 517 p.

Catalogue d’exposition Les robes grises : Dessins et manuscrits clandestins de Jeannette l’Herminier et Germaine Tillion réalisés au camp de Ravensbrück : exposition Besançon, Musée de la Résistance et de la Déportation. Besançon : Février-mai 2012. Strasbourg : Bibliothèque nationale et universitaire, février 2011, [s.p.]

Interviews CABALÉ, Christiane, 2013. Déportée à Ravensbrück et Leipzig. Interview le 25 décembre 2013 COMBOSH, Edith. Déportée à Ravensbrück. Interview conservée au Memorial Yad Vashem de Jérusalem GEORGET, Anne. Interview d’Olivier Assouly, décembre 2013

Film documentaire RESNAIS, Alain, Nuit et Brouillard, Film documentaire de 1956, 32 minutes

Sources Web Article de journal sur Marcel Letertre : http://www.la-croix.com/Actualite/France/Le-fils-d-undeporte-devoile-les-recettes-ecrites-dans-les-camps-_NG_-2011-04-07-606638 Base de données multimédia de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation http:// www.bddm.org/liv/search.php Bulletin pédagogique annuel sur la résistance : http://www.musee-resistance.com/IMG/pdf/ cndr2012__resistance_web.pdf Centre Régional Résistance & Liberté. Lexique Système Concentrationnaire : http://www.crrl.fr/ module-Contenus-viewpub-tid-2-pid-177.html CRDP de l’Académie de Créteil, des ressources pour enseigner, « un crayon pour fuir la réalité » : http://www.cndp.fr/crdp-creteil/component/ressources/?task=view&id=381 CRDP de l’Académie de Créteil, des ressources pour enseigner « le refus de savoir »: http:// www.cndp.fr/crdp-creteil/component/ressources/?task=view&id=396 160

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Informations sur le camp de Mauthausen : http://mauthausen.ouvaton.org/mauthausen.html Informations sur le camp de Ravensbrück : http://www.encyclopedie.bseditions.fr Liste complète des kommandos du Reich http://mediatheque.territoires-memoire.be/doc_num.php? explnum_id=1771 Témoignage de Jacqueline Weill : http://www.buchenwald-dora.fr/3temoignages/tem/095.htm Témoignage de Suzanne Orts : http://www.39-45.org/viewtopic.php?f=37&t=27734 Témoignage de Pierre Laidet http://www.campmauthausen.org/connaitre/temoignages#

- Sciences Mémoire MICHEL, Allison. Les dessins de Josy Fosty à Buchenwald : Étude, conservation et restauration d’une collection du Cabinet des Estampes et des Dessins de la ville de Liège. Bruxelles : 2013, 190 p. Sources Web Explication de la notion de brillance en physique, pdf : http://www.byk.com/fileadmin/byk/support/ instruments/theory/appearance/fr/Intro_Brillance.pdf Informations sur le graphite : http://www.artstage.fr/technique/dessin/crayon.php Informations sur le papier carbone : http://www.gralon.net/articles/materiel-et-consommables/ materiel-bureautique/article-le-papier-carbone---histoire-d-une-invention-3685.htm Laboratoire de tribologie et dynamique des systèmes : http://ltds.ec-lyon.fr/spip/spip.php?rubrique1 Société Dremel : http://www.dremel.com/Pages/default.aspx

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- Restauration -

Dictionnaire COLLECTIF. Le Petit Larousse. Paris : Larousse, 1997, 1870 p.

Ouvrages spécialisés APPELBAUM, Barbara. Conservation Treatment Methodology. [s.l.] : Butterworth-Heinemann, 2004, 470 p. LIENARDY, Anne, VAN DAMME, Philippe. Inter Folia : Manuel de conservation et de restauration du papier. Bruxelles : Institut royal du patrimoine artistique, 1989, 247 p. VINAS V. et R. Les techniques traditionnelles de Restauration : une étude RAMP. Paris : Unesco, septembre 1992, 82 p.

Mémoire CURDY. Derniers témoignages de déportés. Étude préalable et Conservation-Restauration de graffitis du camp de Drancy. Application de l’imagerie Térahertz à la lecture d’inscriptions recouvertes. Saint-Denis : mémoire master 2, 2011, INP

Revues & Articles AIC, « Spot test », Paper conservation Catalog, chapitre 10, 1990 AIC, « Fiber identification », Paper conservation Catalog, chapitre 1, 1994 PAÏN, Sylvia. Constat d’état : approches d’une définition. Paris : Conservation-Restauration des Biens Culturels°15, 1999, Araafu ROUDET Ludovic, L’intervention minimale en conservation-restauration des biens culturels : exploration d’une notion, Conservation-Restauration des Biens Culturels, n°27, 2009. Paris : ARAAFU STOFFER, Éric. Trouver des possibilités de test pour la détection d’urine. Lausanne : Université de Lausanne, Institut de Police scientifique et de criminologie, 1996

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Sources Web Entreprise de numérisation TRIBVN : www.tribvnscan.com INP séminaire du le constat d’état : http://www.inp.fr/index.php/fr/formation_permanente/ catalogue_de_formation/un_constat_des_constats_d_etat Norme ISO 9706 : http://classes.bnf.fr/dossisup/supports/art15bs.htm Observations sur les traitements de restauration du Bookkeeper : http://cool.conservation-us.org/ coolaic/sg/bpg/annual/v15/bp15-17.html

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Table des illustrations Étude Historique Illustration chapitre un : SPIEGELMAN, Art. Maus II. Luçon : Flammarion, 2006 [© 1992], p.59 Fig. 1 : Situation géographiques des principales villes qui sont évoquées lors de la partie historique Fig. 2 : Document officiel fourni le 5 janvier 1946 par le Ministère des prisonniers, déportés et réfugiés, qui atteste de la déportation de Christiane Hingouët en tant que déportée politique Fig. 3 : Dans l’encadré rouge le convoi de Ravensbrück à Leipzig où se trouvait Léonce et Christiane Hingouët, en date du 21 juillet 1944 Fig. 4 : Les feuilles horaires découpées pour la réalisation du carnet d’adresse Fig. 5 : Un des carnets de Recettes Culinaires de Léonce et Christiane Hingouët Fig. 6 et 7 : Première de couverture du carnet de la déportée inconnue et son détail Fig. 8 et 9 : Une des fiches horaire de l’usine Siemens de la déportée inconnue et son détail Tabl. 1 : Tableau synthétique des informations sur le camp de Ravensbrück Tabl. 2 : Tableau récapitulatif des principaux kommandos où furent envoyées les déportées de Ravensbrück Fig. 10 : Situation du camp de Ravensbrück Tabl. 3 : Tableau synthétique des informations sur le camp de Mauthausen Tabl. 4 : Tableau synthétique des informations sur le camp de Leipzig Fig. 11 : Photographie de l’usine Hasag. Non datée Fig. 12 : Dessin d’une détenue de l’usine Hasag, « Détenues en plein lavage », kommando de Buchenwald, été 1944 - printemps 1945. Élément de journal mural, dessin ironique Fig 13 : Un quart français Fig. 14 : Un quart allemand Fig. 15 : Dessin de Jeannette l’Herminier, La recette du dimanche..., février 1945, Holleischen Fig. 16 : Recette de bûche aux marrons, carnet de recette n°1, écrit par Christiane Hingouët Fig. 17 : Recette de poulet aux pruneaux, carnet de recette n°2, écrit par Léonce Hingouët Graph. 1 : Graphique récapitulatif des 433 recettes de Léonce et Christiane Hingouët Graph. 2 : Graphique récapitulatif des 306 recettes de la déportée inconnue Graph. 3 : Graphique représentatif des recettes catégorisées de Léonce et Christiane Hingouët Graph. 4 : Graphique représentatif des recettes catégorisées de la déportée inconnue Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014

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Fig. 18 : Recette sans titre de Léonce Hingouët, carnet n°2, qui indique la disposition des aliments pour avoir une horloge en résultat final Fig. 19 : Fiche horaire du carnet n°2 p.8 remplie par un des meisters de l’usine Hasag, Leipzig Fig. 20 : Une des cinq feuilles horaires d’une des usines Siemens, ramenée par la déportée de Mauthausen. Probablement de l’usine Siemens à Ravensbrück Fig. 21 : Couvrure du carnet n°3, fabriquée avec une page de contrôle de l’usine Hasag Fig. 22 : Carnet de recettes de cuisine, écrit en collectif et rédigé par Marcel Letertre, camp de Flöha, 1943-1945, Archives Départementales de Loire-Atlantique. Papier de récupération et reliure en duralumin Fig. 23 : Carnet de recettes de cuisine, écrit par une déportée inconnue, camp de Leipzig, usine Hasag, archives privées Fig. 24 : Recette de l’oeuf à la Christophe Colomb, avec son dessin. Détail d’une des pages faisant parti du corpus de la déportée inconnue de Mauthausen, mais qui a été écrit par une tierce personne Fig. 25 et 26 : Page de recettes et détail d’une recette sans titre d’oeuf et de tomate montés pour former un champignon, carnet n°2 Fig. 27 : Carnet de 97 recettes de cuisine, camp de Ravensbrück, écrit par Edith Combosh, Musée Juif, Sydney Fig. 28 : Carnet de Jean Kréher contenant notamment quelques recettes de cuisine, camp de Buchenwald, 1944-1945, collection particulière Fig. 29 : Carnet de recettes de cuisine de Minna Pächter, camp de Tezerin (Autriche), 1942-1944, Musée de l’Holocauste, Washington Fig. 30 : Détail d’une recette polonaise écrite par la déportée inconnue de Mauthausen Fig. 31 et 32 : Deux recettes de cuisine acrostiches de Germaine Tillion. Les premières lettres de chaque début de phrase forment à la verticale des noms de commandants SS Fig. 33 : Détail de la dernière page du carnet de Minna Pächter : « S’il vous plait, prenez soin de ces recettes. »

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Étude Technico-Scientifique Illustration chapitre deux : SPIEGELMAN, Art. Op. Cit., p.60 Fig. 1 : Graphite à l’état naturel, sous sa forme brute Fig. 2 : Échelle de dureté des crayons graphite Fig. 3 : Exemple de quatre feuilles de papier d’encre carbone Fig. 4 et 5 : Abrasion du graphite et de l’encre de papier carbone sur le carnet d’adresse et sur la carte de rapatriée de Léonce et Christiane Hingouët Tabl. 1 : Tableau récapitulatif des fixatifs utilisés couramment en restauration d’arts graphiques Tabl. 2 : Tableau comparatif des avantages et des inconvénients des colles utilisées lors de notre protocole expérimental Fig. 6 : Photo du tourne-disque lors des pré-tests d’abrasion du 3 février 2014 Fig. 7 : Schéma de mesure de la réflexion dirigée Fig. 8 : Brillancemètre Erichsen Picogloss 560 MC-X Fig. 9 : Planche de 20 échantillons d’hydroxypropylcellulose en cours de séchage Tabl. 3 : Comparatif des tours par minute selon le mode choisit sur le tourne-disque Fig. 10 : Photo du tourne-disque d’une série de cinq échantillons d’hydroxypropylcellulose à 2% dans de l’éthanol. Test du 5 mars 2014 avec tous les paramètres finaux Tabl. 4 : Mesures relevées sur les 10 échantillons de Klucel G, leurs moyennes et la moyenne de la matière abrasée. Valeurs en UB Tabl. 5 : Calculs des incertitudes relatives en pourcentage et des incertitudes absolues en UB pour la Klucel G Tabl. 6 : Mesures relevées sur les 10 échantillons de gélatine, leurs moyennes et la moyenne de la matière abrasée. Valeurs en UB Tabl. 7 : Mesures relevées sur les 10 échantillons de Tylose, leurs moyennes et la moyenne de la matière abrasée. Valeurs en UB Courbe 1 : Courbe de la Klucel G Tabl. 8 : Calculs des incertitudes relatives en pourcentage et des incertitudes absolues en UB pour la gélatine Courbe 2 : Courbe de la gélatine Tabl. 9 : Calculs des incertitudes relatives en pourcentage et des incertitudes absolues en UB pour la Tylose Courbe 3 : Courbe de la Tylose Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014

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Tabl. 10 : Tableau des moyennes de l’état initial et de l’état final de chaque fixatif, ainsi que la moyenne de leur matière abrasée Courbe 4 : Les trois courbes des fixatifs sur le même graphique

Rapport de Restauration Illustration chapitre trois : SPIEGELMAN, Art. Op. Cit., p.63 Fig. 1 à 24 - Tabl. 1 et 2 : Constat d’état n°1 Fig. 25 à 30 - Tabl. 3 et 4 : Constat d’état n°2 Fig. 31 à 41 - Tabl. 5 à 10 : Propositions de traitements Fig. 42 à 66 - Tabl. 11 à 13 : Les traitements de restauration

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Source des illustrations Étude Historique Illustration chapitre un : SPIEGELMAN, Art. Maus II. Luçon : Flammarion, 2006 [© 1992], p.59 Fig. 1 : http://www.hist-geo.com/Fond-de-carte/UE/UE-Pays-1.php Fig. 2 : Cliché personnel Fig. 3 : KARAY, Felicja. Hsag-Leipzig slave labour camp for women : the struggle for survival told by the women and their Poetry. London : Vallentine Mitchell, 2002, p. 37 Fig. 4 : Cliché personnel Fig. 5 : Numérisation TRIBVN Fig. 6 à 9 : Clichés personnels Tabl. 1 à 4 : Tableaux personnels Fig. 10 : http://www.encyclopedie.bseditions.fr/article.php? Fig. 11 : http://in-de-voetsporen-van-onze-ouders.webnode.nl/fotogalerij/#h9-jpg Fig. 12 : http://www.cndp.fr/crdp-creteil/component/ressources/?task=view&id=284 Fig 13 à 15 : Images google Fig. 16 à 21 : Clichés personnels Graph. 1 à 4 : Graphiques personnels Fig. 22 : Image google Fig. 23 et 27: Cliché d’Anne Georget Fig. 24 à 26 : Clichés personnels Fig. 28 : http://www.musee-resistance.com/IMG/pdf/cndr2012__resistance_web.pdf Fig. 29 : Cliché d’Anne Georget Fig. 30 : Cliché personnel Fig. 31 et 32 : www.cndp.fr Fig. 33 : Cliché d’Anne Georget

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Étude Technico-Scientifique Illustration chapitre deux : SPIEGELMAN, Art. Op. Cit., p.60 Fig. 1 et 2 : http://www.artstage.fr/technique/dessin/crayon.php Fig. 3 : Image google Fig. 4 à 6 : Clichés personnels Tabl. 1 à 10 : Tableaux personnels Fig. 7 et 8 : Images google Fig. 9 et 10 : Clichés personnels Courbe 1 à 4 : Courbes personnelles

Rapport de Restauration Illustration chapitre trois : SPIEGELMAN, Art. Op. Cit., p.63 Fig. 1 à 13 : Clichés personnels Fig. 14 et 41 : Images google Fig. 15 à 59 : Clichés personnels Fig. 60 : numérisation TRIBVN Fig. 61 à 66 : Clichés personnels Tabl. 1 à 13 : Tableaux personnels

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Annexe 1

Vue des cinq fiches récapitulatives

Ces fiches récapitulatives ont été faites au retour de la guerre et elles reprennent dans l’ordre les intitulés de toutes les recettes de cuisine. C’est Christiane Hingouët qui a rédigé ces fiches pour pouvoir répertorier les recettes et mieux situer leur emplacement dans un des carnets de cuisine.

Dimensions ◦ fiche recettes culinaires n° 1

19,9 x 12 cm

◦ fiche recettes culinaires n°2

19,5 x 15,4 cm

◦ fiche recettes culinaires n°2 bis

20 x 12,3 cm

◦ fiche recettes culinaires n°3

19,5 x 15,4 cm

◦ fiche recettes culinaires n°4

19,4 x 16 cm

On peut remarquer qu’il y a une fiche récapitulative pour le carnet de recettes culinaires n°4. Ce livre a été perdu par sa propriétaire et ne fera donc pas partie du mémoire.

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De plus ces fiches récapitulatives ne feront pas partie de l’étude et de la conservation-restauration du corpus de documents proposé dans ce mémoire, parce qu’elles ne représentent pas de valeur culturelle particulière et qu’elles ne sont pas altérées.

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Annexe 2 27 octobre 1924 : naissance à Nantes de Christiane Hingouët - son père Julien Hingouët était gardien de square, et sa mère Léonce Grossin était vendeuse sur le marché de la Petite Hollande à Nantes Année 1939 : la famille habite rue Charles Boissière à Nantes 3 Septembre 1939 : Déclaration de guerre avec L’Allemagne - Julien Hingouët est responsable syndical au service des Jardins de la ville de Nantes. Il rencontre donc des résistants et participe à des actions Année 1942 : Christiane suit des cours du soir et en Novembre 1942 premier emploi aux Galeries Lafayette à Nantes Octobre 1942 : L’occupation des Allemands est de plus en plus pressante. Julien Hingouët demande de l’aide à sa fille Christiane - Léonce rédige les tracts qui sont imprimés dans la cave de la maison familiale – 1 nuit pour sortir 500 tracts – la cuisine est le lieu de travail et de stockage. Il faut intensifier les actes de résistance et Christiane est chargée de faire des « tags » sur les murs de la ville comme « A bas les boches – Vive la République – A bas la police – Vive la France – Vive de Gaulle » Année 1943 : un des responsables de la région Ouest a parlé sous la torture et a dénoncé les 19 personnes qui travaillaient dans la maison Hingouët. Christiane a 18 ans lorsqu’elle est arrêtée. 1ER avril 1943 : des policiers français envahissent la maison à 2h du matin. Du 7 avril 1943 au 15 Mai 1944 : Prison de Nantes, Vitré et Rennes 23 Septembre : Bombardement de Nantes 14 octobre : départ pour la prison de Vitré puis Rennes pour y être jugée – sentence 1 an de prison et 2 ans pour Léonce – pas de nouvelle de Julien qui a été beaucoup torturé Année 1944 : Christiane et Léonce font partie des 3 convois de prisonnières politiques en direction des camps de déportés en l’Allemagne – Bref arrêt à Romainville 30 Mai 1944 : Départ pour l’Allemagne Juin 1944 : Camp de Sarrebruck, Stroutoff (camp disciplinaire à la limite de la France et de l’Allemagne). Camp de Ravensbrück du 10 Juin au 19 Juillet - Christiane fête ses 20 ans le 27 Octobre 1944 à Leipzig Année 1945 : Camp de travail de Leipzig (usine Schneider) – période d’écriture des carnets de cuisine 6 mai 1945 : les alliés bombardent la ville de Dresde 8 Mai 1945 : le commandant du camp ouvre les portes du camp et les prisonnières sont libres 28 mai : arrivée à Paris à l’hôtel Lutetia – Christiane pèse 37 kg – La rue Charles Boissière porte aujourd’hui le nom d’une résistante : Juliette Bocq morte au camp de Bergen Belsen. Julien, qui a été soigné à l’hôpital de Nantes car trop de blessures suite à la torture, les attend sur le quai de la gare. Christiane est partie à l’hôpital, pas directement à la maison, mais s’évade de l’hôpital (taxi Julien). Année 1946 : Christiane a une activité salariée à la SNCF à Paris – elle s’investit dans du militantisme et du syndicalisme 1947 : Christiane est mariée – elle a une fille, puis un garçon en 1949, et un autre garçon en 1959 Elle témoigne de nombreuses années dans les collèges et les lycées - une école fait revivre la rose «Résurrection », emblème des anciennes de Ravensbrück, et le travail aboutit à la reproduction de plusieurs rosiers. Un lycée horticole a fait revivre la rose résurrection emblème des anciennes du camp de Ravensbrück dont une centaine de roses ont été plantées devant le carré France à R. En 1995 : confrontation avec un professeur d’histoire, du collège René-Guy-Cadou à Montoir-de-Bretagne. En 2008 : inauguration de la rue «Christiane Cabalé» à Montoir-de-Bretagne. En 2009 : elle écrit un petit livre «En 1944, j’ai 20 ans» qui raconte sa déportation. En 2010 : décorée de la Légion d’honneur. Elle est promue au grade d’Officier de la Légion d’honneur En 2012 : Inauguration d’un bâtiment social «Christiane Cabalé» à Saint-Nazaire Aujourd’hui, elle a 89 ans, elle est grand-mère de 5 petits enfants et arrière-grand-mère de 3 arrières-petitsenfants.

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Annexe 3 POLOGNE Heures à État du coût

Département

Nom Imposable

N° de contrôle

RM = Reichsmark

Argent à répartir

Heures de travail effectuées Lu.

Je.

Ma. Mer.

Ve.

Sa.

Total

Exonéré d’impôt

Brut en RM

Heures

Jour

Di.

Montant total

District ?

Impôts

?

Assurance maladie

Impôts

Assurance maladie

Payer en Pologne Zloty

Le bordereau du bureau du salaire ne doit pas être compté sans contre-signature manuscrite du contremaître

Feuille de tâche Poste

Vérifier : Nom

Pièce - Performance

Tension du corps

Total prod.

Compte de la semaine

Reste

Contraste

Salaire n°

Prix

Vitesse de travail

Différence de LW

Différence Prod. ?

Tâche

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Date

Groupe de Salaire

Poste

Horaire de travail

Pièces produites

Pièces défectueuses

Pièces ‘bonnes’

Salaire

Temps d’attente

Alerte aérienne

Temps libre pour appels

Accord - Minutes :

Directive de temps en minutes pour

Facteur

Congé

Pièce

N° de C. identité

Nom Département Machine

Date

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Poste

Horaires de travail

État des coûts

employé en tant que

Poste de travail

Pièces Pièces produites défectueuses

Paiement

Pièces ‘bonnes’

Salaire

Temps d’attente

Alerte aérienne

Congé

Temps libre pour appels

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Annexe 4

Carte de rapatriement M.P.G.D.R

Trésorerie générale Vérification Loire-Inférieure

Nantes TG 29 Août 1944 Vérification

Nantes ? Janvier 1946 Vérification

TG ? Nantes 26 juin 1945 Vestiaire au Service des réfugiés Préfecture de LoireInférieure

Direction départementale des Réfugiés et sinistrés 23 Novembre 1945. Magasin

Ravitaillement 1.A Mairie de Nantes

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Annexe 5

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Recherche de la déportée inconnue avec pour seule mention « Recettes écrites par Ma(??) à Mauthausen 1943 ». En me confiant le carnet afin que je le restaure, le Conservateur m’a indiqué qu’il avait remarqué que des noms et parfois des adresses, apparaissaient sur ce carnet. J’ai donc repris celui-ci page par page en photographiant les inscriptions (noms et adresses), ainsi que toutes les informations susceptibles de m’aider à retrouver l’identité de cette déportée inconnue. J’ai donc pu comparer mes recherches, en mettant de façon systématique la photographie du nom et de sa retranscription, et à côté la capture d’écran prise à partir de la base de données multi-média des convois de déportées. Dans le cas où plusieurs prénoms apparaissent en regard du même nom de famille, nous expliquerons pourquoi avoir choisi telle ou telle personne. Je me suis aperçue qu’aucune femme n’a été déportée à Mauthausen avant 1945, à l’exception de prisonnières servant « d’esclaves sexuelles » aux Kapos et aux officiers SS. Nous pensons donc que cette femme a bien été arrêtée et déportée en 1943 et qu’elle n’a pas été transférée au camp de Mauthausen avant 1945. Nous supposons que cette mention qui n’est pas de la main de l’auteur, est erronée. Rappelons aussi que l’étude graphologique montrait que cette femme était d’un certain âge, et que nous pouvons en déduire qu’elle a difficilement pu être recrutée en tant qu’esclave sexuelle. Cette mention qui a une valeur purement indicative, entraine le lecteur vers une interprétation erronée. De plus je suggère que la femme qui a écrit ce carnet devait habiter Paris au moment de sa déportation puisqu’à chaque fois qu’elle met une adresse qui n’est pas parisienne, elle précise bien le code postal... Alors que pour les adresses parisiennes, nous avons les indications suivantes :

Ici elle marque simplement ‘Bastille’ entre parenthèses, au lieu de 75011. Ainsi que ‘Paris 4e’.


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Mme Chatelain

Mme Chatelain : transport parti de Paris le 18 avril 1944 (I.204.). Secrétaire à l’amicale de Ravensbrück.

Mme Parizot pour la charcuterie à Cluny Mme Parizot Marie : Transport via Aix-la-Chapelle parti de Paris le 16 mars 1944 (I.189.)

Mme Parizot Ginette : Transport parti de Belfort le 1er septembre 1944 (I.282.)

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Mme Beaufort ou Mme Meaufort

Mme Beaufort Babette : Liste alphabétique des femmes (IV.2.)

Mme Beaufort Jeanne : Transport via Aix-la-Chapelle de Paris le 30 mars 1944 (I.194.)

Nous avons fait ici deux recherches : une pour Beaufort et une pour Meaufort, puisque l’on avait des doutes sur la première lettre du nom de famille. Aucune personne au nom de Meaufort n’est mentionnée dans la base de données.


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Coiffeur Mme Agostini Raynal - 4 rue St Antoine (Bastille) (n°20)

Mme Agostini Sylvia : Transport parti de Paris le 11 juillet 1944 (I.244.)

Mme Agostini Anaïs-Jeanne : Transport via Aix-la-Chapelle de Paris le 30 mars 1944 (I.194.)


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Raymonde Pierru 23 rue des Granges Besançon Mme Raymonde Pierru : Transport Paris-Trèves du 4 mars 1943 (I.83.)

Il n’existe qu’une Raymonde Pierru dans le livre mémorial. Il est intéressant de noter qu’elle est née dans le département du Doubs (25) et que notre déportée inconnue a marqué que sa résidence se situait à Besançon, également dans le Doubs. De plus elle a été déportée en 1943. Peut-être ont-elles été déportées et/ emprisonnées en même temps. Il est notifié sur le site que les femmes de ce convoi ont été en prison un certain temps à Trèves, puis elles ont été dirigées vers les prisons d’Aix-la-chapelle et Flussbach. Et jusque là on a deux noms qui partent d’un convoi d’Aix la chapelle le 30 mars 1944 (Agostini et Beaufort) ! On voit aussi dans la liste de Trèves qu’il y a 10 femmes de déportées, dont 4 dont le prénom commence par M. Mais parmi ces femmes, seule Raymonde Pierru a terminé à Mauthausen. Mais peutêtre qu’une erreur s’est glissé dans la liste. On ne peut donc considérer cette piste comme étant véritablement sérieuse.


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Pudding Leveque Ce qui est intéressant ici c’est le « Pudding Leveque ». Il existe une ou deux autres recettes de pudding juste avant celle là. Mais ici je pense que la déportée qui a écrit le carnet, a qualifié le pudding du nom de famille de la personne qui lui a dicté. Je pencherais plus pour la capture d’écran de la deuxième ligne, Marguerite Leveque, qui a été déportée à Ravensbrück. Mme Leveque Louise : Transport parti de Paris le 18 avril 1944 (I.204.)

Mme Leveque Marguerite : Transport parti de Belfort le 1er septembre 1944 (I.282.)


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Mme Métayer Boulangère à Neullé par (...) Vivy-Maine ?

Mme Metayer Marie : Transport via Aix-la-Chapelle de Paris le 30 mars 1944 (I.194.)

Il y a trois déportées du nom de Métayer, mais Marie Métayer est la plus intéressante pour plusieurs raisons : 1. Elle a été déportée à Ravensbrück et à Mauthausen 2. Son lieu de naissance est dans le 49 (Maine-et-Loire) 3. Il existe une ville dans le 49 qui est Neuillé (49680). Ce qui s’apparente étrangement à la ville qui est associée à la profession de cette dame. 4. Elle est elle aussi dans le transport d’Aix la chapelle du 30 mars 1944


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Mme André Hennart 3 Place Carnot/Carnst Douai (Nord) - (Maguy) Spécialités de gâteaux

Mme Hennart Marguerite : Les départs de «NN» pour Bruxelles (St-Gilles) en octobre 1943 (I.150.) («NN» = «Nuits et Brouillards»)

Ici nous n’avions que le prénom du mari de cette dame. Mais suite à des recherches sur internet, il est intéressant de noter qu’André Hennart est bien l’époux de Marguerite Hennart/Henu (avis de décès ci-dessous). Dans cet avis de décès, on peut voir qu’André Hennart est décédé à Douai, la même ville qui est mentionnée sur le carnet. À noter aussi un lien internet qui raconte les péripéties de ce couple pendant la 2nde Guerre Mondiale (http://mediatheque.mairie-lille.fr/mda/fr/ blogs/rawa%20lille/R%E9cit.pdf?41540910052011=).


189

Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014

Mme Besnard Charles - 1 rue du (effacé) Usine Frigorifique Chateaubriant

Mme Besnard Berthe : Transport via Aix-la-Chapelle de Paris le 30 mars 1944 (I.194.)

Comme avec Beaufort, il s’agit bien ici d’un B au début de son nom de famille, puisque personne portant le nom de Mesnard n’a été déporté. Trois Mme Besnard ont été déportées, mais toujours suite à des recherches faites sur internet, j’ai trouvé que c’était Berthe qui nous intéressait (http://www.chateaubriant.org/534livre-8-mois-en-glaciere). J’ai fait le lien en fonction de la ville et de l’usine frigorifique, qui appartient à cette famille. Ce qui est intéressant c’est que cette famille a fait partie du groupe de résistance Letertre à Chateaubriand et c’est pour cela que cette femme a été arrêtée en décembre 1943. Ce qui est encore plus intéressant c’est que Marcel Letertre a lui même écrit des recettes de cuisine avec d’autres déportés hommes et il connaissait très bien Berthe Besnard puisqu’ils sont « tombés dans les bras l’un de l’autre dans la gare de Amstetten en mars 1945 ». Ce carnet a normalement été donné aux archives départementales de Loire-Atlantique et sa particularité réside surtout dans le fait que la reliure a été conçue à partie de métal provenant de carlingue d’avion (il a travaillé dans une usine de fabrique d’avion lors de sa déportation). La date de libération de Berthe Besnard serait plutôt le 24 avril 1945 comme le raconte Marcel Letertre fils dans son témoignage sur ce site (http://www.chateaubriant.org/544-livre-marcel-letertre). Berthe Besnard étant la 4e femme qui se retrouve dans le même convoi, J’ai décidé d’analyser de plus près la liste du convoi d’Aix la chapelle, car il y a une Gouin Marie qui me parait très intéressante pour un nom que je n’arrivais pas à déchiffrer...


190

Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014

Mme Gouin Le Grand Breil Fontenay sur vègre Par Poillé

Sarthe

Telph. 3 Asnières sur vègre

Mme Gouin Marie : Transport via Aix-la-Chapelle de Paris le 30 mars 1944 (I.194.)

Ce que nous pouvons noter : 1. Cette femme figure sur les listes de résistantes de la Sarthe et qui ont été déportées 2. Le Grand Breil existe toujours à Fontenay sur Vègre, il s’agit d’une propriété agricole qui a dû changer de propriétaire et donc de nom de famille (mes appels sont restés sans réponse)Mais l’adresse est toujours la même. Département de naissance est également le même que l’adresse relevé Sarthe (72). Cette personne habitait donc, au moment du relevée de son adresse, là où elle était née. 3. Ce convoi est très intéressant puisque toutes les femmes présentent dans celui-ci, ont été déportées à Ravensbrück, puis à Mauthausen. Peut-être est-ce le trajet qu’a effectué notre déportée inconnue...


191

Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014

Mlle A. Martin 68, rue de Rivoli Paris 4e

Ayant beaucoup de mal à lire le nom de famille, j’ai regardé la liste du convoi d’Aix du 30 mars et j’ai trouvé une Mlle Alice Martin née à Paris

Elle aussi a été déportée à Ravensbrück et Mauthausen. La piste de ce convoi est donc sérieuse. Ce qui porte à 6 le nombre de femmes sur un convoi qui comprenait 48 femmes... Je décide maintenant de reprendre tous les noms que j’avais du mal à lire et de voir avec la liste du convoi en parallèle si des noms pouvaient être déchiffrés. Je pars du principe que la récurrence de ce convoi n’est pas qu’une coïncidence.


192

Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014

Mlle Fredin 12, rue (??)let - 15ème

Mme Fredin Hélène et Mlle Fredin Suzanne : Transport via Aix-la-Chapelle de Paris le 30 mars 1944 (I.194.)

Je pense que ces deux femmes sont mère et fille au vu des dates de naissance. Elle aurait eu sa fille à 23 ans, ce qui est fort probable. Ce sont les seules Fredin que j’ai trouvé dans la liste. Toutes les 2 nées à Paris, et dans le 15ème arrondissement comme indiqué sur le carnet d’adresse. J’ai trouvé en prenant une carte de Paris, une rue « Violet » dans le 15ème arrondissement , qui pourrait correspondre, mais comme le début du mot est presque effacé il est difficile d’en avoir la certitude. Mes recherches ne m’ont pas permis de savoir si une famille Fredin avait habité à cette adresse, mais cela est fort probable.


193

Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014

Mlle Lio Bardes à l’Isle en Jourdain Gers

Je me suis basée sur la ville dans le Gers qui était déchiffrable et à partir de là j’ai regardé dans la liste d’Aix pour voir s’il n’y avait pas une femme née dans le 32 (Gers) et dont le nom ressemblait et j’ai trouvé....

Il s’agit donc de ‘Léo’ et non ‘Lio’ que la déportée a écrit, et Bordes et non Bardes ! Ce convoi m’intrigue de plus en plus...


194

Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014

Consul Pologne pour Jarsina (?) Sur la liste d’Aix du 30 mars 2 polonaises faisaient partie du convoi et....

Ce n’est donc pas Jarsina mais Janina que l’on peut lire. À l’époque les n et r se confondent souvent. On voit aussi que la déportée a écrit une recette de cuisine avec des pâtes polonaises et elle y fait un petit dessin. Et ça elle a difficilement pu inventer cela. Dans tous les cas il a fallu qu’elle soit en contact avec des polonaises ou des femmes d’origine polonaise.


195

Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014

Si on reprend la liste du convoi d’Aix et qu’on recoupe avec certaines informations on obtient une liste de 12 personnes. Mais en fait il faudrait savoir comme pour Marie-élise Roserot de Melin (déportée que j’ai rajoutée dans la liste bien que n’étant pas née à Paris, mais résidant rue de Vaugirard dans le 6e au moment de son arrestation), les lieux de résidence lors de l’arrestation de ces femmes (et donc de revoir la totalité de la liste). À ce stade il faudrait une autre étude graphologique plus poussée et surtout écrite (la femme que j’avais vu était une vieille dame, Mme Françoise de Ricci, à la retraite qui ne m’a pas accordé beaucoup de temps, mais qui m’a dit qu’elle lisait « Mamine » sur la première de couverture. Selon elle il s’agissait plus d’un surnom que d’un prénom). Il faudrait avant tout déterminer la tranche d’âge de la personne qui a écrit ce carnet, ce qui nous permettrait d’emblée d’éliminer des noms, mais aussi de voir si la personne pourrait lire le surnom écrit. Et de faire en parallèle des recherches pour les autres femmes n’étant pas nées à Paris, mais qui auraient résidé là bas lors de leur arrestation. Il y a de très fortes probabilités pour que notre inconnue fasse partie du convoi d’Aix la chapelle du 30 mars 1944. La coïncidence me parait trop importante pour la négliger (11 à 13 femmes sur 48 du convoi, sont présentes dans le carnet de notre inconnue (pas loin donc de 30% du convoi !)). Ci-après la liste du convoi du 30 mars 1944, avec en jaune les femmes présentes dans le carnet et en rouge celles qui me semblent probable selon trois critères : 1. Leur lieu de naissance (Ile de France) 2. Le fait qu’elles ont fait Ravensbrück et Mauthausen 3. Le prénom commençant par M 4. Certaines ont habité Paris au moment de leur arrestation Il faudrait donc les éliminer une à une pour réduire la liste au maximum. Et vraiment contacter un graphologue. Matricule au KL Ravensbrü ck

Nom

Prénom

Se xe

Date de naissance

Lieu de naissance

Nati onalit é

Parcour s après Aachen

Situ atio n

Date de libératio n ou de décès

Lieu de libération ou de décès

Observations

38047

AGOSTINI

AnaïsJeanne

F

25.11.1905

Charenton-lePont (75)

F

Ra,Ma

R*

22.04.19 45

Mauthause n

"* Libérée par la Croix-Rouge ; ""NN"""

38048

BARBERO

Adrienne

F

17.08.1901

Cannes (06)

F

Ra,Ma

R*

22.04.19 45

Mauthause n

"* Libérée par la Croix-Rouge ; ""NN"""

38096

BAUDON / VERMEIL

Lucienne

F

08.01.1920

St-Ouen (75)

F

Ra,Ma

R*

22.04.19 45

Mauthause n

"* Libérée par la Croix-Rouge ; ""NN"""

38097

BEAUFORT

Jeanne

F

22.02.1911

Roanne (42)

F

Ra,Ma

R*

22.04.19 45

Mauthause n

"* Libérée par la Croix-Rouge ; ""NN"""


196

Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014 38049

BERNARDREJOUY

Madeleine

F

28.08.1911

Blois (41)

F

Ra,Ma

R*

22.04.19 45

Mauthause n

"* Libérée par la Croix-Rouge ; ""NN"""

38050

BESNARD

Berthe

F

24/11/1895

Montebourg (50)

F

Ra,Ma

R

05.05.19 45

Mauthause n

"""NN"""

38051

BILLONET

Claudine

F

16/01/1896

Cluny (71)

F

Ra,Ma

R*

28/04/19 45 ?

Mauthause n

"* Libérée par la Croix-Rouge ; ""NN"""

38052

BINIO

Renée

F

31.03.1924

Ploërmel (56)

F

Ra,Ma

R*

02.05.19 45

Mauthause n

"* Libérée par la Croix-Rouge ; ""NN"""

38053

BOCCUS

Germaine

F

01.07.1901

Paris (75)

F

Ra,Ma,B B

DCD *

??/ 04/1945

BergenBelsen

" * Avant le rapatriement ; ""NN"""

38055

BOISNAULT

Raymonde

F

21.05.1902

Montmorillon (86)

F

Ra,Ma

R*

22.04.19 45

Mauthause n

"* Libérée par la Croix-Rouge ; ""NN"""

38054

BOISSINOT

Madeleine

F

13.07.1900

Cholet (49)

F

Ra,Ma

R

05.05.19 45

Mauthause n

"""NN"""

38086

BORDES

Léontine

F

12.10.1900

Samatan (32)

F

Ra

DCD

28.12.19 44

Ravensbrü ck

"""NN"""

38056

CHATELIN

Pauline

F

22.11.1901

Glos (14)

F

Ra,Ma

R*

22.04.19 45

Mauthause n

"* Libérée par la Croix-Rouge ; ""NN"""

38058

CHRETIEN

MarieLouise

F

26.05.1917

Gagny (78)

F

Ra,Ma

R*

22.04.19 45

Mauthause n

"* Libérée par la Croix-Rouge ; ""NN"""

38059

CORMERAIS

AnneMarie

F

01.03.1922

Vannes (56)

F

Ra

DCD

04.03.19 45

Ravensbrü ck

"""NN"""

38060

COULON

Thérèse

F

10.03.1905

Paris (75)

F

Ra

DCD

01.12.19 44

Ravensbrü ck

"""NN"""

38061

CRETIN

Henriette

F

11.11.1903

St-Nazaire (44)

F

Ra,Ma

R*

28/04/19 45 ?

Mauthause n

"* Libérée par la Croix-Rouge ; ""NN"""


197

Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014 38063

DELETANG

Paulette

F

21.10.1918

Baugé (49)

F

Ra,Ma

R*

22.04.19 45

Mauthause n

"* Libérée par la Croix-Rouge ; ""NN"""

38062

DITTRICH

Wanda

F

10.07.1902

Pietroskoje (R)

PL

Ra

R*

28.04.19 45

Ravensbrü ck

"* Libérée par la Croix-Rouge ; ""NN"""

38064

DREYER

Elisabeth

F

23.12.1908

Nice (06)

F

Ra,Ma

R*

22.04.19 45

Mauthause n

"* Libérée par la Croix-Rouge ; ""NN"""

38067

FERY

Fabienne

F

30.09.1900

Paris (75)

F

Ra,Ma

R*

22.04.19 45

Mauthause n

"* Libérée par la Croix-Rouge ; ""NN"""

38068

FRANCOIS

Yvonne

F

01.06.1923

Angers (49)

F

Ra,Ma

R*

22.04.19 45

Mauthause n

"* Libérée par la Croix-Rouge ; ""NN"""

38070

FREDIN

Hélène

F

24/04/1891

Paris (75)

F

Ra,Ma

R*

28.04.19 45

Mauthause n

"* Libérée par la Croix-Rouge ; ""NN"""

38069

FREDIN

Suzanne

F

04.10.1914

Paris (75)

F

Ra,Ma

R*

22.04.19 45

Mauthause n

"* Libérée par la Croix-Rouge ; ""NN"""

38092

GODARD

Paulette

F

30.05.1907

Angers (49)

F

Ra,Ma

R*

22.04.19 45

Mauthause n

"* Libérée par la Croix-Rouge ; ""NN"""

38071

GOUIN

Marie

F

11/10/1897

Poillé-sur-Vègre (72)

F

Ra,Ma

R*

22.04.19 45

Mauthause n

"* Libérée par la Croix-Rouge ; ""NN"""

38081

HEYM

Aline

F

20.05.1914

St-Genis (63)

F

Ra,Ma,B B

R

15.04.19 45

BergenBelsen

"""NN"""

38072

HONGUET

Emilienne

F

26.03.1920

Tarbes (65)

F

Ra,Ma

R*

??/ 04/1945

Mauthause n

"* Libérée par la Croix-Rouge ; ""NN"""

38073

JACQUELOT

Albertine

F

04.06.1907

Paris (75)

F

Ra

R*

23.04.19 45

Ravensbrü ck

"* Libérée par la Croix-Rouge ; ""NN"""


198

Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014 38075

LAURENT

Suzanne

F

27.08.1906

Paris (75)

F

Ra,Ma

R*

22.04.19 45

Mauthause n

"* Libérée par la Croix-Rouge ; ""NN"""

38074

LAYGUES

Jacqueline

F

10.09.1919

Les Andelys (27)

F

Ra

R*

23.04.19 45

Ravensbrü ck

"* Libérée par la Croix-Rouge ; ""NN"""

38076

LEFEBVRE

Camille

F

21.02.1914

Vincennes (75)

F

Ra,Ma

R*

??/ 04/1945

Mauthause n

"* Libérée par la Croix-Rouge ; ""NN"""

38082

MARCZEWSK A

Janina

F

23.12.1904

Czestochowa (PL)

PL

Ra,Ma

R

05.05.19 45

Mauthause n

"""NN"""

38080

MARQUET

Germaine

F

08.03.1906

Paris (75)

F

Ra,Ma

R*

22.04.19 45

Mauthause n

"* Libérée par la Croix-Rouge ; ""NN"""

38079

MARTIN

Alice

F

06/07/1883

Paris (75)

F

Ra,Ma,B B

DCD

??/ 04/1945

BergenBelsen

"""NN"""

38078

METAYER

Marie

F

27/11/1896

St-Philbert-duPeuple (49)

F

Ra,Ma

R*

22.04.19 45

Mauthause n

"* Libérée par la Croix-Rouge ; ""NN"""

38077

MORLEVAT

Clarisse

F

04.05.1911

Broye (71)

F

Ra

DCD

15.10.19 44

Ravensbrü ck

"""NN"""

38083

NICOLAS

Claire

F

22/03/1896

Oloron-SteMarie (64)

F

Ra,Ma

R*

22.04.19 45

Mauthause n

"* Libérée par la Croix-Rouge ; ""NN"""

38084

NICOLAS

Madeleine

F

12.04.1902

Sète (34)

F

Ra,Ma

R*

28.04.19 45

Mauthause n

"* Libérée par la Croix-Rouge ; ""NN"""

38085

OGER

Marcelle

F

29.11.1913

Rosiers-surLoire (49)

F

Ra,Ma

R*

22.04.19 45

Mauthause n

"* Libérée par la Croix-Rouge ; ""NN"""

38087

PATRIGEON

MarieAnne

F

10/03/1891

La Possonnière (49)

F

Ra,Ma,B B

R

15.04.19 45

BergenBelsen

"""NN"""

38088

ROECKEL / NEDE

Armande

F

21.07.1911

Bourg-la-Reine (75)

F

Ra,Ma

R*

22.04.19 45

Mauthause n

"* Libérée par la Croix-Rouge ; ""NN"""


199

Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014 38089

ROSEROT DE MELIN

MarieElise

F

25/01/1891

Grenoble (38)

F

Ra,Ma

R*

22.04.19 45

Mauthause n

"* Libérée par la Croix-Rouge ; ""NN"""

38090

ROUSSEAU

Julia

F

19.10.1912

Montignies-surSambre (B)

F

Ra,Ma

R*

22.04.19 45

Mauthause n

"* Libérée par la Croix-Rouge ; ""NN"""

38091

RUMEAU

Albanie

F

07/10/1898

St-Jean-deVerges (09)

F

Ra,Ma

R*

22.04.19 45

Mauthause n

"* Libérée par la Croix-Rouge ; ""NN"""

38093

TERRA

Mireille

F

08.01.1901

Boulogne-surSeine (75)

F

Ra

R

30.04.19 45

Ravensbrü ck

"""NN"""

38094

VERJAT

Marcelle

F

13/10/1897

Bouligney (70)

F

Ra,Ma

R*

28.04.19 45

Mauthause n

"* Libérée par la Croix-Rouge ; ""NN"""

38095

VIGNE

Zulma

F

27/02/1885 ou 03/05/1885

?

F

Ra,Ma

R

05.05.19 45

Mauthause n

"""NN"""

Je suis donc allée voir une deuxième graphologue, Laurence Crespel-Taudière, je suis toujours en attente de sa réponse pour la lecture (demande à un ami) mais elle lit peut-être Mamine. J’ai aussi demandé à ma tante, Mme Pascale Gautier, infirmière et donc habituée à déchiffrer des écritures très ‘sinueuses’. Sans rien lui dire elle lit aussi ‘Mamine’. Donc sans doute ne faut-il pas prendre en compte le M majuscule pour chercher un éventuel prénom... Cela peut-être le surnom d’une petite-fille à sa grand-mère. Mais c’est intéressant parce que cette femme aurait des descendants. Il convient de prendre chaque cas un par un, afin d’éliminer le plus de pistes possibles. Il faudrait reprendre la liste en fonction des dates de naissance aussi et chercher les convois de Ravensbrück à Mauthausen. J’ai cependant de gros doutes sur Marie-Élise Roserot de Melin : 1. Son nom de famille a l’air d’appartenir à une certaine catégorie sociale 2. Elle a été déportée à Ravensbrück et à Mauthausen 3. Elle a habité Paris au moment de sa déportation (rue de Vaugirard 4. Son âge


Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014

200

Ces mentions trouvées dans le carnet sur un feuillet libre seront cruciales si on contacte les descendants de ces femmes déportées (car nous n’avons pas de critère précis pour nos recherches, en espérant que le hasard et al chance seront de notre côté…). Des prénoms de familiers y sont inscrits : - télégraphier à Juliette à Lyon - tante Zélia - Tante Jeanne - Suzanne Plot - Gaby - Edith Stalh Avant de contacter les familles, nous ferons des recherches aux Archives Nationales, ainsi que sur les sites de généalogie.


Annexe 6 Analyse graphologique de l’écriture de la déportée inconnue effectuée par Laurence CrespelTaudière suite à une conférence dont le thème était : «Notre écriture, le reflet de nousmêmes».

S’agit-il d’un homme ou d’une femme ? La graphologie est l’étude de la personnalité d’une personne à travers son écriture. L’écriture que vous me présentez ici est une écriture caractéristique de la fin du siècle dernier. C’est une écriture que l’on appelle ‘sacré-coeur’ et qui était enseignée à l’école. Plusieurs espèces s’associent ici (on compte environ 171 espèces réparties dans 7 genres), comme par exemple ce qu’on appelle la pression déplacée, ainsi que l’hyper liaison. Il s’agit très certainement d’une femme.

Qu’apprend-on sur son tempérament ? L’écriture est anguleuse ce qui dénote une personnalité affirmée, combative et autoritaire. C’est sans doute quelqu’un de tenace, avec beaucoup de charisme, qui est intransigeante et pas ‘très commode’. Mais cette exigence, elle se l’inflige également à elle-même. C’est quelqu'un de déterminé, qui a des objectifs précis. Elle est énergique, elle va de l’avant, sans s’écouter.

L’écriture peut-elle nous apporter des éclairages sur la provenance du milieu social de cette personne ? On voit que dans l’écriture de ses recettes elle s’impose de la rigueur et cette exigence se ressent dans la clarté du texte et dans sa forme (les recettes sont soulignées et séparées). Cette femme avait une réelle présence, sûrement rassurante et qui pouvait être un peu trop pesante. Elle ne provenait pas d’un milieu simple, sûrement était-elle issu d’une catégorie sociale élevée (bourgeoisie ou noblesse). On voit dans son écriture un réel souci qualitatif, avec des valeurs et des convictions fortes. C’est une femme affective, ce que montre son écriture ample, mais aussi une certaine droiture. Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014

201


Quel âge, à votre avis, avait cette personne ? Mme Crespel-Taudière n’aime pas donner des indications sur l’âge éventuel d’une personne mais elle est quasiment sûre que c’est une personne d’un certain âge. Minimum 40 ans, voire plus de 50 ans. Au vu des informations, des recherches plus ciblées sur la déportée inconnue, pourront être faites. Les pistes de noms/surnoms données par la graphologue à propos du nom que nous n’arrivons pas à lire, pourraient être : - Mamine - Marraine - Mamanie

Quand on lit cette liste, faisant partie du carnet, sur une feuille volante, on se rend compte que la graphologue a sûrement raison sur la catégorie sociale de la déportée.

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Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014


Annexe 7 Interview Christiane Cabalé 25.12.2013 38’44 - Dans quel contexte avoir écrit ces carnets ? À Ravensbrück ? - Non ce n’était pas à Ravensbrück, c’était à Leipzig quand je travaillais. Parce qu’on travaillait 12h, on s’arrêtait 12h. Alors on avait une petite heure ou deux de pause et puis on travaillait pas le dimanche, alors on communiquait les recettes. On parlait de bouffe parce que comme on mangeait rien, de parler de bouffe ça nous calmait. - Tu avais un sentiment de satiété en parlant justement de nourriture ? - C’est pas de la satiété, c’est... tu salives ! Tu parles par exemple... d’une pintade. Tu salives, tu la vois. Dans ta tête ça y est tu sais comment c’est. - Et justement ce n’était pas trop dur ? - Bah ce n’était pas dur dans le sens où on avait tellement faim.... On rêvait tellement de manger que ça faisait partie de nos rêves. - Tu avais l’impression que vous parliez autant de salé que de sucré en recettes ? - Ah oui autant. Oui parce qu’il y avait des copines qui étaient surtout salé et d’autres qui étaient sucré. Alors chacun racontait son truc. - Et toi tu n’avais pas de préférence ? - Oh bah moi j’avais 18 ans je ne savais rien faire. Même pas cuire un oeuf ! (rires) - Et du coup ta maman elle aussi a écrit des recettes ? - Maman, elle n’était pas avec moi , elle était dans un autre block. Où elle faisait des recettes aussi ! - Est-ce que tu as su, pendant que vous étiez à Leipzig, qu’elle aussi faisait des recettes ? - Oui, elle me l’avait dit. - Et comment tu expliques qu’elle aussi a eu l’idée d’écrire des recettes ? - Mais c’est pas une idée ma chérie, c’est un besoin de parler de bouffe ! Tu vois ? Tu sais quand on a très faim, qu’on a l’estomac complètement vidé et qu’on a rien à se mettre sous la dent, tu revois des poulets grillés, tu revois des saucisses cuites, des poissons qui sautent dans la poêle... C’est ça ! C’était pas envie de copier des recettes. C’était... Comment on pourrait dire ? Reposant ! C’était reposant. Quand tu copiais ça tu oubliais tout. Tu étais dans ton truc : les petits champignons, la crème fraîche... - Et pour écrire ces carnets, quels matériaux vous utilisiez ? - Alors on volait du papier aux allemands. C’était celles qui étaient près du contrôle parce qu’elles avaient des papiers, alors elles piquaient une ou deux pages. On piquait de la ficelle pour le relier. Et puis on se servait de ces papiers là, qui n’étaient d’ailleurs pas toujours très propres (...). - C’est quoi le contrôle ? - Le contrôle des obus. - Et elles en volaient 2/3 par jour des pages ? Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014

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- Oui ou peut-être plus je sais pas. Mais tout le monde écrivait dessus. Et on volait aussi le crayon ! (rires) - Et la personne qui les volait, vous les distribuait ensuite ? - Oui, c’était une copine. - Elle ne vous demandait rien en échange ? - Oh bah non ! Il n’y avait pas de troc. Il n’y en avait vraiment pas parce que d’abord on n’avait pas d’argent. Et puis il y avait un... comment dire... un respect des copines qui piquaient, parce que pour nous c’était de la solidarité tu vois. - C’était risqué dans quel sens ? - Eh bien c’était risqué que les allemands nous tombent dessus. Si les allemands nous étaient tombés dessus à recopier des recettes, et bien ils nous les auraient déchirés. - Et vous, vous auriez-été pénalisé ? - Ah bah sûrement on aurait été battues ! On aurait eu droit aux coups de schlag193 . - Il y en avait souvent ça ? - Oh il y en avait souvent ! Il y en avait aussi quand tu sortais du rang. Quand tu allais travailler, fallait suivre la copine de près ! Il y avait les chiens aussi. - Des bergers allemands ? - Bien sûr. Dressés ! - Quand vous vous rejoigniez le dimanche, vous étiez nombreuses ou pas ? - On était tout le block. Le dernier étage des lits c’était que les jeunes donc on s’organisait entre nous. Et comme il nous fallait des vieilles qui avaient des recettes, et bien elles montaient sur nos lits et on écoutait. C’était une vraie organisation ! - Et les femmes qui étaient plus âgées, elles aussi elles prenaient note ? - Maman elle en a copié aussi. Tu vois, dès qu’on avait du papier, c’était pour ça. On ne racontait pas ce qu’on avait travaillé à l’usine. C’était la bouffe ! - Tout le block participait ou il y en avait qui faisait autre chose ? - Il y en avait qui apprenait à chanter, d’autres à réciter... - Mais ça n’en gênait pas certaines que vous parliez de nourriture ? - Non parce qu’on était sur nos lits en haut. Et il y avait des filles qui faisait le guet et si les allemands arrivaient on criait « Achtung, achtung ! »194. - Donc dans le bloc ça ne dérangeait pas tes camarades ? - Non parce que quand tu ne copiais pas les recettes, tu dormais ou tu lavais ton linge. Tu avais toujours des occupations... Et puis ça ne faisait pas de bruit ! La copine elle était assise et elle nous racontait comment elle faisait ci comment elle faisait ça. Les oeufs au lait... - Il y a une recette en particulier que tu te souviens, qui t’as marqué ? - Non je ne m’en rappelle pas. Il y en a qu’une que je pourrais me rappeler c’est quand on a fait le gâteau à Noël. Là on avait émietté du pain, on avait donné chacune un morceau de pain, je sais pas

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Sorte de cravache utilisée par les SS pour frapper les prisonniers Litt. « attention, attention ! » 204 Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014 194


où la chef de block195 avait trouvé du lait, on avait trempé dans l’eau et le lait, et elle avait mis dessus de la confiture, un pot qu’elle avait dû piqué. Parce que les blokovas 196 elles allaient chercher les soupes à la cuisine et on s’était fait des copines à la cuisine, c’était les russes. Et les russes elles pouvaient donner 1L de lait, un pot de confiture. Elles donnaient du chocolat. Ça c’était la cuisine des allemands. La cuisine des SS197. - Il ne fallait pas qu’elles se fassent prendre... - Ah bah non fallait pas se faire prendre! - Et c’est un gâteau que vous avez fait pour Noël ? - C’était un gâteau qu’on a fait pour Noël. On avait des petits bouts, des petites tranches comme ça. - Mais il me semblait que c’était un gâteau que vous aviez fait pour l’anniversaire d’une copine... - On en a fait d’autres. J’en ai même eu un pour mon anniversaire pour mes 20 ans. - Tu as eu ce gâteau là alors ? - Non c’est pas celui-là que j’ai eu. Qu’est ce que j’ai eu déjà pour mes 20 ans... Je ne m’en rappelle plus... Il n’y avait pas de confiture, ça je m’en rappelle. Il y avait peut-être du chocolat. Enfin ce n’était pas du chocolat, c’était du cacao ! Ce n’était pas la tablette de chocolat. - Mais toujours sur le principe d’émietter du pain ? - Voilà. On laissait du pain tous les jours et on le laissait tremper et on faisait un gâteau. Mais ce n’était pas un gâteau qui cuisait ! (...) - Une sorte de pain perdu pas cuit ? - Voilà. - Ce que je voulais te demander c’est quand tu écoutais les recettes, vu que tu ne savais pas cuisiner, il n’y a pas une recette en particulier où tu t’es dis que tu la ferais quand tu rentrerais ? - Non. Je crois que je ne me suis jamais dis ça parce que du fait que je les copiais, je me disais dans ma tête « et bien quand je vais rentrer, je vais faire ça » ! Tu copiais les recettes, ça te faisait saliver ! Par exemple quand tu prenais une omelette flambée à je sais pas quoi, tu avais l’impression de la voir. Et à partir de ce moment là tu te disais, « celle là je la ferais chez moi, parce que celle là elle me plairait ». Mais il y a même des recettes de boeuf aux carottes, moi je me rappelle d’une copine, elle était de Clermont-Ferrand, elle savait très bien faire le boeuf aux carottes. Elle mettait des pieds de veau dedans et elle mettait plein de choses ! Et je me souviens, avec mon innocence de ne pas savoir faire la cuisine : « Mais comment tu fais cuire tout ça ?! » Parce que pour les carottes, le boeuf, le pied de cochon... Il en avait tellement que moi dans mon innocence je me demandais comment on faisait cuire tout ça. Et elle m’a dit « dans plusieurs casseroles ». Tu vois, j’avais jamais touché une casserole ! - Tu te disais les recettes je vais les faire en revenant ? - C’était si je reviens. - C’était quand même si je reviens ? - Tout le temps. - Tu n’étais pas certaine de revenir ? 195

Blokova Femme à la tête d’un bloc de prisonnière DIAMANT D., 250 combattants de la Résistance témoignent, L’Harmattan, Paris, 1991, 197 SS : Schutzstaffel : escadron de protection en allemand 196

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- Non. Quand on aura foutu les allemands dans leur trou, on rentrera. Il y eu toujours l’idée que l’on reviendra. Mais ça c’était bien pour notre moral. Même si on l’avait pas les copines elles t’entrainaient là dedans. Il y avait des copines qui copiaient des poèmes, il y en a eu plein. C’était toujours avec l’idée d’en revenir. Je crois qu’on a douté une fois, c’était au bombardement de Dresde quand les avions qui passaient au dessus et que les bombes tombaient tout autour. On a peut-être douté là. Mais une nuit, on a douté une nuit. Quand on a 20 ans, on ne pense pas à mourir !! Même si tu es malheureuse et que tu fais 30kg ! Tu te dis « je jouerais au basket, je ferais du vélo... ». - Quand vous écriviez vos recettes, vous les cachiez où après ? - Sous nos matelas. C’était de la paille avec une serpillère et on cachait ça là. Mais on les cachait pas reliés, c’était des feuilles seulement. - Mais vous les aviez relié quand alors ? - Je sais pas, 15 jours - 3 semaines avant d’être libéré. Il fallait d’abord trouver de la ficelle, et c’était pas facile ! Il y en a qui les ont attaché qu’avec du fil. La ficelle on la prenait à l’usine. - Les allemands ne fouillaient pas vos blocks ? - Non. Ils fouillaient les blocks quand on n’était pas là. Mais de toute façon la blokova elle était prévenue quand ils fouillaient, alors elle nous le disait. Alors on planquait ça ailleurs. Il y avait plein de cachettes. - Il y avait quoi d’autres comme cachettes ? - Il y avait le bureau de la blokova déjà, l’endroit où on mettait les gamelles de soupe... - C’était une armoire ? - Un espèce de petit réduit de rien du tout où on empilait les gamelles quand elles étaient vides. Les camps c’était des camps de travail donc il y avait des recoins de vestiaire où on planquait. - Personne s’est fait prendre leurs recettes ? - Je ne sais pas. - Quand tu étais à Leipzig, comment tu as su que ça allait être la libération et que la guerre était finie ? - On avait des prisonniers de guerre qui venaient vider les poubelles du camp. Et c’était des français qui étaient prédisposés aux ordures. C’était un sacré métier ça. Et ils avaient mis dans deux poubelles vides une petite carte où ils marquaient où étaient rendus les français. On savait que Paris était libéré. Mais on ne savait pas que ça allait être pareil pour nous. À partir de ce moment là on a fait une carte de France et avec des bouts d’allumettes on marquait l’avancée. On avait marqué le débarquement, on avait marqué qu’ils arrivaient aussi par Lyon. - Quand vous avez été libéré comment ça c’est passé ? - C’était le bombardement de Dresde qui nous a libéré. Ils ont rasé Dresde dans la nuit. - C’est les français qui ont bombardé ? - Non c’est les russes. Mais les premiers libérateurs qu’on a trouvé c’est les russes. Ils étaient tout près de Leipzig. - Qu’est-ce qui se passe alors dans vos têtes à partir de ce moment là ? - Quand le commandant annonce dans son micro que le camp est ouvert, que la porte est ouverte, on ne se le fait pas répéter deux fois. 206

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- Mais vous aviez pas peur que ce soit un piège ? - On y a pensé. On s’est dit qu’il y avait des gens qui allaient nous attendre dehors et qui vont nous descendre à la porte du camp. Mais non ! On était sur les routes. Ils nous ont d’abord fait marcher pendant 6 ou 7 km dans des espèces de champs, où j’avais trouvé de la luzerne pour maman. Et puis après on était dans une forêt et là il y a eu un raid avion qui est passé. Et les SS elles sont parties, on s’est retrouvé toutes seules. C’est là qu’on a décidé de ne pas rester là toute ensembles, qu’il fallait partir dans toutes les directions. - Et vous vous êtes séparés alors ? - Et là on s’est séparé. Dix par dix. - Je reviens juste un peu en arrière. Quand le commandant a dit que la porte du camp était ouverte, qu’est-ce que vous avez rassemblé comme affaires ? - Oh bah rien, on avait notre chemise et notre culotte. Les recettes bien sûr, que l’on a ramassé. C’était une copine qui les a emmené. On s’était fait des sacs en je sais pas quoi. Mais on n’avait pas de vêtements, on n’avait pas de brosse à dent, on n’avait rien ! On n’avait pas de bagages à emmener. Si le quart ! On avait emmener notre quart. Maman aussi elle avait emmener son quart. Mais moi le mien il était tout rouillé j’ai été obligé de le jeter. C’était un truc rouge tout rouillé et je ne pouvais même plus boire dedans. C’était dégueulasse. - Et la personne qui a pris les recettes... ? - Il y en a plusieurs qui ont pris les recettes ! Il y en avait qui les avait sur elle. - Toi tu avais pris les tiennes ? - Non. - Qui alors ? - C’est Josette Rocotte qui avait pris les miennes, elles les avaient mis sur elle. Non attends comment ça s’est passé... si j’en avais remmené. Mais où est-ce que je les ai mis moi ? Ah moi j’avais une cotte de travail avec une croix rouge dans le dos, parce que c’était déporté politique. Et j’avais planqué les recettes dans les deux poches intérieures. Mais c’était pas gros. - Tu avais les recettes de ta maman aussi ? - Maman je ne sais pas comment elles avait ramené les siennes... Je crois que maman elle s’était fait un petit sac pour mettre... Pour mettre quoi ? Qu’est-ce qu’elle avait mis dedans ? Que je lui ai jeté parce que c’était dégueulasse je ne voulais pas qu’on traine ça... Je ne me rappelle plus ce que c’était... (silence). Je ne m’en rappelle plus... Il y avait des crayons, ses recettes et il y avait autre chose... Et alors elle, elle avait son petit sac sous le bras. On n’avait plus les allemands derrière donc à partir du moment où on est sorti du camp, qu’on était sur les routes, c’était des allemandes qui nous surveillaient mais il y en avait une pour cinquante. Tu comprends ? Attends les allemandes elles s’étaient taillées ! Il n’y en avait pas beaucoup qui restaient avec nous. Elles avaient peur au bombardement et puis elles avaient peur de nous ! Parce qu’on pouvait se retourner contre elles aussi. On n’avait pas d’armes, rien du tout, mais on pouvait les foutre par terre quand même. On sentait qu’elles avaient peur. - Et vous avez marché pendant longtemps ? - Oui, on a marché une journée et demi à peu près. Et là l’avion est passé, tous les SS sont partis. On a plus jamais vu personne et c’est là qu’on est arrivé dans un grand champ et qu’on a décidé toute ensemble de se séparer. On ne pouvait pas rester toute ensemble, ce n’était pas possible. - Une fois séparé qu’est-ce qui s’est passé ? Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014

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- Chacune est partie : les unes à droite, les autres à gauche, les autres dans la campagne, les autres sur la route... - Vous vous avez pris quel chemin ? - Nous on a pris la campagne. - Combien de temps ? - Ça a été compliqué (soupir)... On a dû marcher un jour et demi. Une nuit on s’est caché dans une maison allemande qui était vide. Et puis le lendemain on a rencontré les prisonniers de guerre qui nous ont mis dans une maison, ils nous ont fait du chocolat chaud. Tu sais on trouvait ça vachement bon du chocolat chaud (rires). Et puis ils ont été cherchés des patates et ils nous les ont fait cuire à la braise. Mais c’est lourd les patates à la braise. Ça faisait 2 ans qu’on avait pas mangé. Après ils nous ont dit « c’est par là qu’il faut passer ». Ensuite, on a croisé des allemands à vélos, c’était la Wechmart en vélo. Donc tu sais ils nous ont regardé et puis c’est tout. On était en costume rayé. - Combien de jours après êtes-vous arrivés à la frontière, à Thionville ? - Non on est arrivé à l’aéroport de... Je ne me rappelle plus du nom... Mais c’est pas comme ça que ça s’est passé. C’est un officier de Normandie Yé men qui était descendu d’avion et que De Gaulle avait chargé de repérer tous les déportés qui étaient sur les routes. Et cet officier il nous a dit « ne bougez pas de là on va vous envoyer un camion ». Et on a eu un camion qui est tombé en panne. Et là quand il est revenu nous chercher, il nous a emmené à l’aéroport. Et à l’aéroport, quand on est arrivé, l’avion s’en allait. C’était les prisonniers de guerre qui avaient pris notre place. Et nous on a été coucher dans un collège. Pour la première fois on couchait dans des draps blancs ! Ça c’était sympa... Et on a pris une douche ! - Et à cet endroit là il y avait la Croix Rouge et plein d’organismes ? - Il y avait la Croix rouge, les anglais, les américains, les russes. Il y avait tout le monde là. Mais c’était dispatché très bien. On n’avait pas de problème : les françaises c’était là, les anglaises c’était là... C’était organisé quand même, heureusement. On était en 45 ! - Et justement ils vous passaient des contrôles de santé ? - Quand on est arrivé en France. À la frontière française. - Le fait que vous rameniez des objets des camps ça ne les gênait pas ? - Ça ils s’en foutaient, ils nous les laissaient. Ils nous laissaient nos vêtements aussi. C’était très sommaire. - Mais justement je pensais qu’ils ne voulaient pas que ça rentre sur le territoire français à cause des maladies etc ? - Oui mais si tu veux ils nous passaient un espèce de pchitt pchitt pour nous désinfecter. Mais ils n’avaient pas de vêtements à nous passer! Ils avaient des vêtements qu’ils donnaient mais à celles qui en avaient de déchirés. Parce qu’il y en avait qui étaient déchirés de partout. - Et les objets ? - Bah on n’avait que les recettes et le quart. - Et ça ne les dérangeait pas ces objets ? - La France ? Non ! Tu sais c’était la débâcle. Tu te rends compte ? Tous les prisonniers de guerre, les déportés... On était des milliers ! Ils ne pouvaient pas. C’était des militaires et ils étaient 208

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débordés. Sachsau198, Ravensbrück, Bergen-Belsen... Il y avait des gens de partout ! L’aéroport c’était pire qu’à Roissy. Ce n’était que des déportés ou des prisonniers de guerre. - Ils vous faisaient la carte de déporté ? - Ils ne nous faisaient pas la carte de déporté. Ils nous comptaient, ou il nous mettaient dans le train ou ils nous mettaient dans l’avion. Et c’est en France qu’on nous donnait la carte de déporté. On te prenait l’empreinte de ton doigt, la couleur de tes yeux... C’était que là. Le service de libération était débordé. Il y avait une multitude de gens (silence). Il y avait des biens portants, il y avait des mourants... Évidemment... Alors là il y avait la Croix Rouge quand même. Les mourants ils rentraient en avion spécial. - Toi tu es rentrée comment ? - Moi je suis rentrée en train puisque nous on avait loupé l’avion alors on a pris un train. Mais dans le train il y avait des sièges ! C’était un train correct. On a dormi une nuit avant d’arriver sur les bords du Rhin. Et on a vu des petits soldats français qui gardaient la voie. Alors j’ai ouvert la porte, j’avais 20 ans je faisais plein de conneries, je leur ai dis : « Est-ce qu’il y a encore des tickets en France ? ». Alors je revois encore le soldat : « Oui Mademoiselle ! Il y a encore des tickets ! » (rires). Bon et puis le train passait. Tu vois la bouffe ! Des tickets pour manger. Mais c’était... Personne se rend compte, qui n’a pas vécu ça, ne peut mesurer le degré de faim d’un être humain. C’est incroyable. La faim c’est cérébral... c’est... c’est tout tu vois ! Tu manges pas, t’as rien ! Une soupe dégueulasse, que même t’as peur de t’empoisonner dès fois quand elle est pas bonne ! Tu te dis « ils ont mis du poison dedans ». Ils étaient capables de tout. On était prisonnière ! C’était dur moralement ! Bon on avait notre jeunesse, on était une quinzaine là, on relativisait quoi. - Tu penses que c’était peut-être plus facile d’avoir 20 ans à ce moment là ? - Ah oui ! Sûrement. Maman a beaucoup souffert, beaucoup plus que moi moralement. Nous on se lavait pas, bon on ne se lavait pas. On avait un lavabo, on allait se laver. Mais les gens âgés trouvaient ça dur de ne pas pouvoir se laver. Pas nous... Moi j’avais plus de cheveux, alors c’est pas les cheveux qui me gênaient. - Pourquoi tu n’avais plus de cheveux ? - Bah j’avais été tondue ! J'avais des poux ! Mais la faim c’est quelque chose.... Et tu sais souvent j’y pense quand les gens vont au restaurant du coeur et tout ça. Je me dis eux ils connaissent la faim. Et c’est ça qui me fait peur. Moi quand les gens sont aux portes du supermarché et qu’il faut donner de la nourriture, moi je donne un caddie complet. J’ai plus de sous après mais ça fait rien, je m’en fous. Je mange ce que j’ai dans mon frigo. Mais je donne, je donne, tu peux pas savoir. Des petits pois, de l’huile, du café, du sucre, des bonbons pour les gamins, des couches... - Et de penser que même encore maintenant des gens peuvent ressentir la faim comme tu l’a ressenti... ? - Voilà, voilà ! Je pense qu’il y a des gens qui manquent de plein de choses et qu’on a pas le droit. Nous qu’avons tout. - Tu penses que maintenant on a pas le droit d’avoir faim ? - Ah non. On a pas le droit d’avoir faim. D’ailleurs dans la chanson on le dit « ni d’avoir faim, ni d’avoir froid ». Les restaus du coeur, Coluche ! On est dans des pays civilisés quoi ! Je sais pas si tu as lu les journaux ces jours-ci mais LePen il demande la suppression de l’IVG ! Non mais oh ! 198

Sachsenhausen

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Attends, c’est vachement grave ça ! Nous on s’est battu pour l’IVG. On est descendu dans la rue, on a pris des coups par les flics. On l’a gagné ça, c’est nous les femmes qui avons gagné ça ! Et maintenant on veut nous rabaisser pour être à la disposition des hommes ?! Mais si on veut faire un avortement, on fait un avortement ! Point ! C’est notre corps ! C’est vachement grave ! J’étais en colère quand j’ai lu ça hier... J’ai dis : « Simone Weil elle doit se remuer dans sa tombe ». - Bah non elle n’est pas morte - Ah oui... (rires) - Bon, je reviens sur les carnets, tu les as ramenés. Tu as fais ta vie... tu as eu tes enfants... Moi je me demande pourquoi tu les as conservé pendant plus de 60 ans ? - Et bien c’était la seule pièce intacte que j’avais ramené. J’avais ramené ma tête et ça. Mon corps et ça. Tu vois ? - Et comment tu expliques que dans la famille on n’était pas au courant des carnets avant que je découvre ça dans le cadre de mon mémoire ? - Moi je les avais dans mon placard. Mais tu ne m’en aurais jamais parlé elles y seraient encore hein ! J’avais même gardé celles de maman. Quand maman est morte je les ai pris dans son placard. - C’est une des premières choses que tu as prise quand elle est morte ? - Pas loin... pas loin. - Donc tu y pensais quand même. C’était important pour toi... - Pour moi c’était le témoin de ma déportation, j’avais plus que ça. De palpable. Mais je les lisais de temps en temps... Je me souviens qu’il y avait la recette du coq au vin (rires). Pour moi le coq au vin, je n’en avais jamais mangé. Maman elle ne faisait pas du coq au vin. Et j’avais été chez maman, on avait retouché aux recettes et puis elle me dit « tiens je vais te faire un coq au vin ». C’était marrant. - Et elle t’as fais un coq au vin ? - Et elle m’a fait un coq au vin. - Il était bon ? - J’aime pas trop le coq au vin. Le vin avec la viande c’est pas trop mon truc quand ça bouillotte. Mais bon, tu vois, c’était physique. C’était à nous, on avait copié ça. On les avait planqué, on les avait ramené. C’était un trophée... Une relique... tout ce qu’on veut. Ce n’était pas le témoin de notre déportation, mais presque. - Et vous en avez fait beaucoup des recettes avec ta maman ? - Non. Maman en a fait quelques unes. Moi non. Ton grand-père faisait bien la cuisine et après Jackie aussi. Donc je n’ai pas beaucoup fait de cuisine. Maintenant je me remets à la cuisine (rires). - Et tu ne sais pas du tout ce qui est arrivé au 4e carnet ? - Non... Il faudrait que je le recherche... Si je le trouve je te le donnerais... Je vais chercher et je te dirais. - (...)

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Annexe 8

Chick Fowler, G.I. AmĂŠricain, Camp de prisonniers de guerre Kawasaki 2, Banlieue de Tokyo, 1942-1945

Vera Nikolaevna Bekzadian, Chutes de lin brut, camp de Podma, Mordovie, 1937-1946 Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014

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Annexe 9 Papiers Nom

Couleur

Composition

Fournisseur

KIZUKI KOZO CRÈME (6g)

crème

100% kozo

Stouls

KIZUKI KOZO BLANC (6g)

blanc

100% kozo

Stouls

CHANVRE DE MANILLE (9g)

blanc

100% chanvre de manille

Stouls

TENGUJO M6 (9g)

blanc

100% kozo

Stouls

Papier japon (18g)

blanc

100% kozo

Stouls

Papier permanent (120g)

blanc

100% coton

Relma

Matériel autre Nom

Fournisseur

Smoked Sponge

Stouls

Chiffon microfibre

Stouls

Écospray

CTS

Toile Buckhram

Relma

Solvants Nom

Fournisseur

Fiche technique

Éthanol

CTS

www.inrs.fr/default/dms/inrs/ FicheToxicologique/TI-FT-48/ft48.pdf

Isopropanol

CTS

www.inrs.fr/default/dms/inrs/ FicheToxicologique/TI-FT-66/ft66.pdf

Colles Nom

Composition

Fournisseur

Fiche technique

Klucel G

Hydroxypropylcellulose

CTS

http://www.artechavignon.com/site/medias/ KLUCEL_G.pdf

Tylose MH300P

Méthylcellulose

CTS

http://www.artechavignon.com/tylosemh-300p,fr,4,TYLOSl.cfm

Gélatine

Gélatine de peaux

Stouls

http://artech-avignon.com/ site/medias/GELATINE.pdf

Amidon

Amidon de blé

Stouls

http://www.stoulsconservation.fr/FR/ boutique.asp? cha_id0=542&cha_idl=543

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Annexe 10 Proposition de protocole : 3/02/2014 Objectifs de la séance  Définir le mode d’application de la colle  Mettre en place le système tourne-disque (masse posée sur le bras, fixation des papiers)  Déterminer la durée de contact fixatif-abrasif jusqu’à une abrasion détectable par le brillance-mètre.  Choisir le papier abrasif à utiliser pour l’ensemble des tests

Matériels et produits

I.

Tourne disque

Chronomètre

Masse utilisée sur le bras

Spatule

Papier support

Klucel G

Papiers abrasifs

Éthanol

Préparation des échantillons (1) Préparation de la Klucel à 2% (2) Préparation des échantillons (nombre et dimensions à définir) (3) Application de la Klucel 2% : test 3 modes d’application - spatule sans épaisseur : raclette à vitre - spatule avec épaisseur : raclette à vitre et cure-dents qui servent de rails - aplat au pinceau (pinceau plat Léonard n°18)

II. Mise en place du système tourne-disque (1) Fixation des papiers (2) Mise en place de la masse (poids à définir, calcul de la force exercée) III. Pré-tests (1) Pré-tests : détermination du mode d’application de la colle (2) Définir la durée Pour chaque papier abrasif, faire tourner pendant x min et prendre des mesures au brillancemètre toutes les deux minutes puis toutes les cinq minutes. Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014

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Pré-tests scientifiques Le classement de 3 fixatifs, utilisés en consolidation de techniques graphiques, dans des tests d’abrasion de surface Lors de notre réflexion sur ce sujet, nous savons qu’il faut une machine qui apporte une abrasion de surface continue, avec une même pression et une même force. Nous avons donc détourné l’utilisation d’une platine vinyle, puisque ce mécanisme reprend tous les points du cahier des charges pour nos abrasions et permet selon les tours/minutes de déterminer à quel moment l’abrasion a lieu. Ce système nous parait donc plutôt fiable. Pour mesurer nos expériences nous utiliserons un brillancemètre portatif de la marque Erichsen, Picogloss. Il mesure en Unité de Brillance (UB) à une décimale après la virgule. Ce que nous respecteront pour les calculs. De plus le brillancemètre a une incertitude relative de plus ou moins 0,2 UB.

Plusieurs critères sont à prendre en compte et à définir rapidement lors de pré-tests scientifiques : - la méthode d’application de la colle qui permet une reproductibilité des échantillons - le poids à placer au bout du bras de la platine, pour apporter une pression suffisante sur les échantillons - la durée de l’abrasion - l’abrasif utilisé

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Pré-tests scientifiques n°1 : 3 modes d’application des fixatifs et mesures des abrasions Conditions : - disque carton - 78 t/min - papier échantillons 120 g/m2

2 x 4cm

- papier abrasif P240 - Klucel G 2% - masse bout de bras = 20g - masse immobilisante = 500g - chronomètre - 3 modes d’applications (donc 3 échantillons) - spatule (1) : raclette de vitre - spatule avec épaisseur (2) : raclette de vitre avec 2 cure-dents pour faire des rails - pinceau (3) : Pinceau plat Léonard n°18 Tests : échantillon

mode d’application

m0 en mg

m1 en mg

Mesures UB à t0 1

2

3

0

témoin sans colle

96

96

3.5

3.4

3.5

3.5

1

spatule sans épaisseur

95

104

5.9

6.8

5.5

6.1

2

spatule avec épaisseur

98

115

7.6

7.1

7.9

7.5

3

aplat pinceau

97

99

3.8

3.8

3.9

3.8

Spatule sans épaisseur t0

6.1

2 min

5.9

5.8

5.9

6.0

5.7

5.9

4 min

5.2

5.5

5.3

5.2

5.5

5.3

6 min

5.2

5.1

5.5

5.2

5.3

5.3

Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014

217


Spatule avec épaisseur t0

7.5

2 min

7.1

7.1

7.0

7.1

7.1

7.1

4 min

6.9

6.7

6.8

6.9

6.8

6.8

6 min

7.0

7.1

6.8

7.1

6.8

6.9

Aplat au pinceau t0

3.8

2 min

3.5

3.5

3.6

3.5

3.5

3.5

4 min

3.5

3.3

3.4

3.5

3.4

3.4

6 min

/

/

/

/

/

/

Remarques : problème : abrasion totale sur échantillon n°3 car on atteint 3,4 UB alors que le témoin est de 3,5 UB. Conclusion : changement de papier d’abrasif et de poids de tête du bras

218

Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014


Pré-tests scientifiques n°2 : : 3 modes d’application des fixatifs et mesures des abrasions Conditions : - disque carton - 78 t/min - papier échantillons 120 g/m2

2 x 4cm

- papier abrasif P1200 - Klucel G 2% - masse bout de bras = 25g - masse immobilisante = 500g - chronomètre - 3 modes d’applications Tests : échantillon

mode d’application

Mesures UB à t0 1

2

3

pré-tests n°1

écart

0

témoin sans colle

3.5

3.4

3.5

3.5

3.5

0

1

spatule sans épaisseur

3.7

3.7

3.6

3.7

6.1

+ 2.4

2

spatule avec épaisseur

6.7

7.1

6.9

6.9

7.5

- 0.6

3

aplat pinceau

4.4

4.5

4.6

4.5

3.8

+ 0.7

Remarques : pas la peine de faire abrasion parce que incertitude brillancemètre de plus ou moins 0,2 UB et là l’écart des différents mode d’application montre une trop grande hétérogénéité des applications. Ne permet pas la reproductibilité des échantillons et donc l’application du fixatif n’est pas au point. Conclusion : nouvelle réflexion : 4e mode d’application : avec « encoche ». On dépose la colle en excès dans l’encoche et on racle avec un plioir en Téflon ou une spatule. Là bonne reproductibilité du mode d’application puisque essai sur 10 échantillons tests et on a une UB à 5.5 à chaque fois. On joue en fait sur l’épaisseur pour gagner en homogénéité. Mais le papier 120g/m2 n’est pas adapté : sous l’effet de la colle le papier a légèrement tendance a se soulever sur les bords, ce qui n’assure pas une parfaite homogénéité du fixatif. Changement de papier, méthode d’appli et papier. Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014

219


Pré-tests scientifiques n°3 : mesures de l’abrasion sur 5 échantillons Conditions : - disque carton - 78 t/min - papier échantillon 300g/m2 spécial aquarelle Arche (encollé sur les bords aux autres feuilles pour un parfait maintien de la feuille lors d’opérations avec des liquides). Réalisation d’une planche de 20 déposes de fixatif - papier abrasif P1200 - Klucel G 2% - masse bout de bras = 25g - masse immobilisante = 500g - chronomètre - 1 mode d’application : système à encoche → On mesure 5,5 UB avant abrasion sur les échantillons mais on se met des repères pour placer le brillancemètre au même endroit, et ainsi faire des relevés précis lors de l’abrasion. → Le nouveau papier a une UB à 4,1 sans fixatif

1

2

3

4

5

Moy.

M0 - M t

t0

5.5

5.5

5.5

5.5

5.5

5.5

0

2 min

5.2

4.8

5.4

5.4

4.9

5.14

0.36

4 min

5.2

4.4

5.4

5.4

4.7

5.02

0.48

6 min

5.2

4.3

5.4

5.2

4.3

4.88

0.62

8 min

5.2

4.2

5.3

5.1

4.3

4.82

0.68

10 min

5.2

4.1

5.3

4.9

4.2

4.74

0.76

Remarques : On observe que l’on a des données inférieures à l’UB initial de la feuille (4,3 UB). Nous abrasons donc certainement la feuille de papier. Et il s’avère que c’est le cas en gommant vigoureusement la surface du papier pour tester. Nous passons de 4,3 UB à 3,7 UB, en abrasant assez fortement la surface du papier. Nous ne prolongeons pas au-delà de 10 min pour ce pré-tests. Conclusion : nouvel abrasif. 220

Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014


Pré-tests scientifiques n°4 : mesures de l’abrasion sur 5 échantillons Conditions : - disque carton - 78 t/min - papier échantillon 300g/m2 spécial aquarelle Arche - papier abrasif : feutre (patin de chaise) - Klucel G 2% - masse bout de bras = 25g - masse immobilisante = 500g - chronomètre - 1 mode d’application : système à encoche - UB feuille sans colle = 4,1 1

2

3

4

5

Moy.

M0 - M t

t0

5.5

5.5

5.5

5.5

5.5

5.5

0

2 min

5.4

5.3

5.1

5.2

5.5

5.3

0.20

4 min

5.3

5.2

5.0

5.2

5.5

5.24

0.26

6 min

5.3

5.1

4.9

5.1

5.5

5.18

0.32

8 min

5.2

5.0

4.9

5.0

5.5

5.12

0.38

10 min

5.2

5.0

4.9

5.0

5.5

5.12

0.38

15 min

5.0

5.0

4.9

5.0

5.4

5.06

0.44

20 min

4.9

4.9

4.9

4.9

5.2

4.96

0.54

25 min

4.9

4.9

4.9

4.9

5.2

4.96

0.54

Remarques : on a atteint l’abrasion maximum de 4.9 UB avec le feutre alors que la feuille toujours à 4.3 UB. On voit aussi des différences dans les UB des échantillons, notamment le n°5 qui varie très peu, surtout au début → Nécessité d’une surface très plane.

Conclusion : nouvelle surface pour coller les échantillons : vrai vinyle. Changer le nombre de tours/minutes pour voir quand l’abrasion commence réellement.

Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014

221


Pré-tests scientifiques n°5 : mesures de l’abrasion sur 5 échantillons Conditions : - disque vinyle - 78 t/min - papier échantillon 300g/m2 spécial aquarelle Arche - papier abrasif : feutre (patin de chaise) - Klucel G 2% - masse bout de bras = 25g - masse immobilisante = 500g - chronomètre - 1 mode d’application : système à encoche - UB feuille sans colle = 4,1

222

1

2

3

4

5

Moy.

M0 - M t

t0

5.6

5.6

5.6

5.6

5.6

5.6

0

30’’

5.4

5.5

5.5

5.4

5.4

5.44

0.16

1’

5.3

5.4

5.4

5.4

5.4

5.38

0.22

2’

5.2

5.3

5.3

5.3

5.3

5.28

0.32

5’

5.2

5.3

5.3

5.3

5.3

5.28

0.32

10’

5.1

5.2

5.1

5.2

5.2

5.16

0.44

20’

5.1

5.2

5.1

5.2

5.2

5.16

0.44

30’

5.0

5.2

5.1

5.1

5.1

5.1

0.50

40’

5.0

5.2

5.1

5.1

5.1

5.1

0.50

50’

5.0

5.2

5.1

5.1

5.1

5.1

0.50

Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014


Pré-tests scientifiques n°6 : mesures de l’abrasion sur 5 échantillons Conditions : - disque vinyle - 78 t/min - papier échantillon 300g/m2 spécial aquarelle Arche - papier abrasif : P1200 - Klucel G 2% - masse bout de bras = 25g - masse immobilisante = 500g - chronomètre - 1 mode d’application : système à encoche - UB feuille sans colle = 4,1 1

2

3

4

5

Moy.

M0 - M t

t0

5.6

5.6

5.6

5.6

5.6

5.6

0

30’’

5.6

5.5

5.6

5.6

5.5

5.56

0.04

1’

5.6

5.5

5.6

5.6

5.5

5.56

0.04

2’

5.6

5.5

5.6

5.6

5.5

5.56

0.04

5’

5.5

5.5

5.6

5.5

5.5

5.52

0.08

10’

5.5

5.5

5.6

5.5

5.5

5.52

0.08

NB : cet abrasif ne fonctionne pas bien. Nous restons donc sur le feutre pour les 10 pré-tests pour les incertitudes.

Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014

223


Pré-tests scientifiques définitifs : mesures de l’abrasion sur 10 échantillons Conditions : - disque vinyle - 78 t/min - papier échantillon 300g/m2 spécial aquarelle Arche - papier abrasif : feutre (patin de chaise) - Klucel G 2% - masse bout de bras = 25g - masse immobilisante = 500g - chronomètre - 1 mode d’application : système à encoche - UB feuille sans colle = 4,1 1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

Moy.

M0 - M t

t0

5.6

5.6

5.6

5.6

5.6

5.6

5.6

5.6

5.6

5.6

5.6

0

30’’

5.4

5.5

5.5

5.4

5.4

5.5

5.5

5.5

5.6

5.5

5.48

0.12

1’

5.3

5.4

5.4

5.4

5.4

5.4

5.4

5.3

5.6

5.4

5.4

0.20

2’

5.2

5.3

5.3

5.3

5.3

5.3

5.3

5.3

5.5

5.4

5.32

0.28

5’

5.2

5.3

5.3

5.3

5.3

5.2

5.2

5.2

5.3

5.3

5.26

0.34

10’

5.1

5.2

5.1

5.2

5.2

5.1

5.1

5.1

5.3

5.2

5.16

0.44

20’

5.1

5.2

5.1

5.2

5.2

5.0

5.0

5.1

5.1

5.2

5.12

0.48

30’

5.0

5.2

5.1

5.1

5.1

5.0

5.0

5.1

5.1

5.2

5.09

0.51

40’

5.0

5.2

5.1

5.1

5.1

5.0

5.0

5.1

5.1

5.2

5.09

0.51

50’

5.0

5.2

5.1

5.1

5.1

5.0

5.0

5.1

5.1

5.2

5.09

0.51

NB : De 30’ à 50’ le feutre n’abrase plus. On procède à l’incertitude relative sur les données relevées au bout de 50’. La répétabilité de la méthode est bonne. Le dispositif est trouvé.

224

Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014


Annexe 11 BRILLANCEMÈTRE PICOGLOSS 560MC-X Brillancemètre extrêmement compact et petit Géométrie de mesure 60° 3 modes de mesure EN ISO2813 –DIN 67 530 ISO 7668-ATTM D 523

Conception Comme dans l'industrie automobile, de nombreux utilisateurs doivent s’adapter aux

diverses spécifications pour la mesure du brillant. Le nouveau petit brillancemètre portatif PICOGLOSS 560 MC-X a été conçu pour la mesure mobile, rapide et simple du brillant selon l'angle de mesure le plus souvent demandé et normalisé de 60°. Caractéristiques particulières Manipulation La mesure du brillant est facile et simple grâce au système par une touche. La valeur de mesure reste affichée environ 30 secondes. Ensuite l’arrêt automatique garantie l’économie des batteries. D’autre part, La dernière mesure effectuée avant l’arrêt de l’appareil est affichée à la remise en service de l’appareil. • Affichage En plus de l’affichage de la mesure et des valeurs de calibration, de nombreux messages sont affichés sur l’écran à haut contraste. L'affichage peut être tourné de 180 degrés, de sorte que le dispositif est également facilement utilisable par des gauchers. Calibration Le PICOGLOSS 560 MC-X n’utilise qu’un seul standard de calibration pour une calibration en deux points. Après avoir sélectionné le mode calibration, la procédure se déroule automatiquement. La valeur du standard est stockée dans l’appareil (EPROM) Mesureà60° Dans tous les domaines , c’est la géométrie de mesure la plus couramment requise, par exemple pour les laques, matières plastiques, etc.. Brillantmiroir Des mesures du brillant miroir 60° sur des surfaces métalliques sont réalisables dans la Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014

225


gamme de 0 – 1000 unités de brillant. Le passage dans cette gamme se fait automatiquement à partir d’une valeur de mesure de 150.0 unités de brillance Commutation automatique de la résolution d'affichage de 0,0 à 150,0 UB → de 150 à1000 UB. InterfaceUSB Les données mémorisées peuvent être transférées à un ordinateur type PC par une interface USB et traitées par le logiciel PICOSOFT III*. Alimentation L’appareil fonctionne avec une pile ronde LR03 pour environ 10 000 mesures. Lors du transfert de données, l ‘appareil est alimenté par le port USB. Caractéristiques techniques Dimensions (L x l x h) Poids net Fenêtre de mesure Dimensions du faisceau de mesure8X16 mm Géométrie de mesure Source de lumière Détecteur Affichage Interface PC Alimentation 60° LED Photocellule Si Gamme de température admissible : Stockage Mesure (sans condensation) -10 à +60°C +15 à + 40°C Répétitivité : 0.2 Unités de brillance (UB) dans la gamme 0-150 UB 0.5UB dans la gamme 150-2000 UB Répétitivité avec des interférences Suivant (EN ISO 61000-4-3) (UB= Unité de Brillance) 1 UB 105x31x59 mm 200 g 10 X24 mm LCD 8 digits de 11.5mm USB Pile ronde(LR03)

226

Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014


PICOGLOSS 560MC Mesure de brillant sur des échantillons laqués DOC.560MC-S VII-11

Conception Le PICOGLOSS 560 MC- S est comme le PICOGLOSS 560 MC un des plus petits appareils de mesures de brillant portatifs jamais conçus. En raison du nombre sans cesse croissant de demandes de la part des constructeurs automobiles de mesures de brillant sur de petites pièces, Le PICOGLOSS 560 a une fenêtre de mesure avec une ouverture particulièrement petite (ronde de Ø 3mm), jusqu’à maintenant seul une appréciation visuelle était possible. Les mesures de brillant sur de petites pièces exigent une attention sur quelques points essentiels : Il faut considérer, qu’un brillancemètre avec une si petite ouverture de mesure a une sensibilité très élevée et toutes les influences qui peuvent affecter la valeur mesurée (planéité et irrégularité de surface, rayon, structures, léger chinage). Par conséquent, il est essentiel que la surface à mesurer soit absolument plane et ainsi qu’avec un aspect parfaitement homogène. Autrement, même un léger changement de la position de l'unité (moins de 1 millimètre) pourrait entrainer une variation de l’indice de brillant. Ceci serait immédiatement identifié comme variation de la valeur de mesure, parce qu'en raison de sa sensibilité le PICOGLOSS 560 MC-S est capable de mesurer et d’afficher des valeurs de brillant différentes de zones qui sont très près de l'une l'autre. L'impression visuelle de la brillance par l’œil est le résultat d'une impression générale sur une surface d’une taille minimum qui est distinctement plus grande que l’ouverture de mesure du le PICOGLOSS 560 MC-S. Ainsi, aussi la mesure par brillancemètre avec une plus grande surface de mesure et la valeur est une « moyenne » de l’impression ressentie. Mais, malheureusement, de tel brillancemètre ne sont pas approprié pour être utilisées pour les mesures de brillant sur beaucoup de petits échantillons devant être mesuré, Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014

227


parce que leur plus grande ouverture de mesure sera pas complètement couverte par ces spécimens. En raison de la sensibilité élevée du PICOGLOSS 560 MC-S, on lui recommande de prendre un nombre suffisant de mesures sur la surface à mesurer, avec de légers changements de positionnement , et de prendre la moyenne de valeurs tout presque semblables comme la valeur réelle de brillant des petits échantillons à mesurer. Pour de plus grands spécimens, le brillancemètre traditionnel avec leur plus grande ouverture de mesure « moins sensible » sont toujours un choix confortable Caractéristiques particulières Manipulation La mesure du brillant est facile et simple grâce au système par une touche. La valeur de mesure reste affichée environ 30 secondes. Ensuite l’arrêt automatique garantie l’économie des batteries. D’autre part, La dernière mesure effectuée avant l’arrêt de l’appareil est affichée à la remise en service de l’appareil. • Affichage En plus de l’affichage de la mesure et des valeurs de calibration, de nombreux messages sont affichés sur l’écran à haut contraste Calibration Le PICOGLOSS 560 MC-S n’utilise qu’un seul standard de calibration pour une calibration en deux points. Après avoir sélectionné le mode calibration, la procédure se déroule automatiquement. La valeur du standard est stockée dans l’appareil (EPROM) Mesure à 60° Spécialement conçu pour vernis et plastiques dans la gamme de 0UB jusqu'à environ 15 UB (la résolution est de 2 décimales) et dans la gamme de mesure de 0 – 150,0 unités de mesure. (La résolution est de 1décimale). Brillantmiroir Des mesures du brillant miroir 60° sur des surfaces métalliques sont réalisables dans une gamme jusqu’à 1000 unités de brillant. Le passage dans cette gamme se fait automatiquement à partir d’une valeur de mesure de 150.0 unités de brillance InterfaceUSB Les données mémorisées peuvent être transférées à un ordinateur type PC par une interface USB et traitées par le logiciel PICOSOFT II*. Deux gammes de mesure avec différentes résolutions avec ajustement automatique -de 0.00 UB à 15.00 UB → à 15.0 UB à 150.0 UB -de15.0UBà150.0UB→à150UB à1000UB Alimentation L’appareil fonctionne avec une pile ronde LR03 pour environ 10 000 mesures. Lors du transfert de données, l ‘appareil est alimenté par le port USB. (UB= Unité de Brillance) 228

Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014


PICOGLOSS 560MC-S Mesures sur des petit échantillons

DOC.560MC-S VII-11

Caractéristiques techniques Information produit Référence Désignation 0248.01 31 PICOGLOSS 560 MC-X Reference Class 0248.02.31 PICOGLOSS 560 MC-S Livré avec : 1

♦ Standard haute brillance

2

♦ Pile (ronde type LR03)

3

♦ Câble USB

4

♦ Peau de chamois

5

♦ Coffret de transport

6

♦ Mode d’emploi

Dimensions (L x l x h) Poids net Fenêtre de mesure Dimensions du faisceau de mesure rond Ø.3 mm 105x31x59 mm 200 g ronde Ø.3 mm Géométrie de mesure Source de lumière Détecteur Affichage Interface PC Alimentation 60° LED Photocellule Si Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014

229


LCD 8 digits de 11.5mm USB Accessoires Référence Désignation

0791.01.32 Standard de brillance moyenne 0718.01.32 Standard de haute brillance Répétitivité : 0.2 Unité de brillance (UB) dans la gamme 0-15 UB 0.2 Unité de brillance (UB) dans la gamme 0-150 UB 0.5UB dans la gamme 150-2000 UB • Le logiciel PICOSOFT III est disponible sur le site-web :www.erichsen.de/download

Répétitivité avec des interférences Suivant (EN ISO 61000-4-3) (UB= Unité de Brillance) 1 UB Pile ronde (LR03) -10 à +60°C 23°C+/-2°C Gamme de température admissible : Stockage Mesure (sans condensation)

230

Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014


Annexe 12

Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014

231


232

Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014


Annexe 13

Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014

233


234

Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014


Annexe 14 TRIBVN, spécialisé dans la numérisation de phototypes est très souvent sollicité par ses clients pour la numérisation d'ouvrages reliés avec une exigence de qualité très élevée (uniformité d'éclairages, colorimétrie, densités et surtout fidélité à l'original).

Pour satisfaire cette demande, TRIBVN a donc décidé de mettre en place une chaîne dédiée qui réponde à cette préoccupation de fidélité. Cette chaîne s’appuie sur les outils de mesure et de contrôle habituels. Le dispositif installé est totalement indépendant du système de capture ce qui nous permet d'utiliser nos équipements habituels (dos numériques) et des éclairages à LED conçus spécifiquement pour ce dispositif.

Anne Laure GAUTIER - Conservation Restauration Arts Graphiques - Promotion 2014

235


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