Mémoire présenté en vue de l’obtention du titre de ConservateurRestaurateur de biens culturels des Écoles de Condé
Conservation et restauration de la Descente de croix conservée dans le chœur de la basilique de Saint-Maurice en Valais
Évaluation d’un système de tension des toiles à bords flottants
Essai de traction Effet de l’humidité relative Stéréo-corrélation d’images
Sébastien GRAU Spécialité peinture – Promotion 2014 1
2
Remerciements Lors de ces deux dernières années, j’ai rencontré de nombreuses personnes qui m’ont assisté dans la réalisation de ce travail. C’est un plaisir pour moi de les remercier. Je tiens tout d’abord à exprimer ma profonde gratitude au pèreabbé, Mgr Joseph Roduit, pour la confiance qu’il a bien voulu m’accorder en me confiant la responsabilité de la conservation et de la restauration de la Descente de croix exposée dans le chœur de la basilique de l’abbaye de Saint-Maurice. Je tiens également à remercier le corps professoral et plus particulièrement Olivier Nouaille qui, par ses remarques, a contribué au développement de ma réflexion. Je suis très sincèrement reconnaissant à Gaëtan Cassina, historien de l’art, professeur honoraire à l’université de Lausanne, pour la disponibilité dont il a fait preuve à mon égard et la richesse de son enseignement. Je tiens ensuite à remercier très chaleureusement à la fois François Hild, directeur de recherche au CNRS, affecté au laboratoire de mécanique de l’École Normale Supérieure de Cachan, pour son enthousiasme dans la mise en place de la partie expérimentale du projet technico-scientifique, et John-Éric Dufour, doctorant, qui, en plus d’avoir réalisé l’ensemble des calculs de stéréo-corrélation d’images, a su répondre clairement à mes questions. Merci également à Antonio Idelson Iccarino, conservateurrestaurateur, professeur à l’université d’Urbino, qui, par ses connaissances dans le domaine de la tension des peintures sur toile, a contribué à la mise en place d’un protocole de conservation adapté à la Descente de croix et à son lieu de conservation. Je remercie encore Gisèle Carron et Madeleine Meyer de Weck, conservatrices-restauratrices en Valais, pour les informations qu’elles m’ont transmises, ainsi que Bernard Gallarotti, ébéniste à Clarens, pour son aide dans les étapes de conservation du châssis. Enfin, je destine une pensée à Anne-Christel Zeiter-Grau pour sa relecture de mon travail.
3
Résumé Pour mener à bien le projet de conservation et restauration de la Descente de croix, conservée dans le chœur de la basilique de Saint-Maurice en Suisse, des recherches historiques ont été entreprises. Elles ont révélé les informations suivantes : - Le tableau n’a probablement pas été conçu pour le chœur de la basilique, mais plutôt pour une chapelle de l’abbaye ; - La peinture est vraisemblablement une copie exécutée d’après une gravure, elle-même effectuée d’après une esquisse à l’huile sur bois d’Antoine van Dyck ; - Un faisceau d’indices attribue l’œuvre à Sebastian Düring, un peintre lucernois de passage en Valais à la fin du XVIIe siècle. Parallèlement à ces recherches, un examen détaillé des matériaux constitutifs du tableau a été réalisé et les conditions climatiques du chœur de la basilique ont été évaluées. L’ensemble de ces informations a permis l’établissement du protocole de conservation et restauration de l’œuvre, les problématiques principales étant les suivantes : - Le nettoyage de la couche picturale ; - Le rétablissement de la planéité ; - Le rétablissement de l’adhérence de la couche picturale au support ; - Le montage de la toile sur le châssis. Afin de déterminer le mode de fixation de la toile le plus adapté aux besoins du tableau et aux conditions hygrométriques du lieu de conservation, une recherche scientifique a été menée en collaboration avec le laboratoire de mécanique de l’École Normale Supérieure de Cachan. Deux séries d’échantillons de peinture, tendus selon deux méthodes différentes, ont été introduites dans une enceinte climatique afin d’être soumises à des cycles précis d’humidité relative. Les observations suivantes ont été constatées : - Lorsque l’humidité augmente d’environ 40 à 80 %, les dimensions des éprouvettes croissent ; - Les échantillons fixés sur la tranche du châssis au moyen d’agrafes gondolent en formant de grandes ondulations ; - Ceux agrafés, à travers une bande en polypropylène, au revers du châssis préalablement recouvert d’un film de Téflon®, gondolent en formant une succession d’ondulations de moindre ampleur. 4
Abstract In order to achieve the project of conservation and restoration of the Descent from the cross, which is exhibited in the choir of the basilica of Saint-Maurice in Switzerland, historical studies were first conducted. They revealed the following elements: - The painting was probably not initially designed for the choir of the basilica but for a chapel of the abbey of Saint-Maurice; - The picture is in all likelihood made on the basis of an Antoon van Dyck sketch in oil-painting on wood; - Consistent evidence attributes the work to Sebastian DĂźring, a Lucerne-native artist who worked in the Valais at the end of the 17th century. A detailed examination of the several components of the painting as well as an evaluation of the climatic conditions inside the choir of the basilica were undertaken, in addition to these historical studies. The information collected in this 3-steps-analysis allowed the determination of the protocol of conservation and restoration of the work. The key issues are the following: -
The cleaning of the painting; The recovery of the support flatness; The recovery of the adhesion to the painting layer; The method of attachment canvas stretching.
In order to assess which method of canvas stretching attachment was the most appropriate to the need of the painting and to the conservation site, scientific experiments were conducted in collaboration with the mechanic laboratory of the École SupÊrieure de Cachan. Two series of painting samples, stretched on a frame using two different methods were put into a climate chamber in order to study their response to moisture. The following was observed: - As moisture approximately increases from 40 to 80 %, the size of the samples enlarges; - Samples, mounted on the edge of the stretcher with staples form large waves; - Samples stapled through a strip of polypropylene on the back of the stretcher form many smaller waves.
5
Figure 1. Descente de croix, vue de face avant le traitement de conservation-restauration.
6
Fiche d’identification Titre
Descente de croix
Attribution
Attribuée à Sebastian Düring
Datation
Fin du XVIIe siècle
Dimensions
75,3 x 56,4 cm
Technique
Peinture à l’huile sur toile tendue sur châssis
Propriétaire
Abbaye de Saint-Maurice, Valais, Suisse
Provenance
Chœur de la basilique de Saint-Maurice
Élément d’un ensemble
Le tableau est placé dans un cadre sculpté en bois dont les motifs représentent des feuilles d’acanthe torsadées. Le cadre est luimême installé sur les lambris du chœur qui encadrent le maîtreautel. L’œuvre est exposée sur la paroi sud-ouest du sanctuaire et possède un pendant situé sur le mur est, dont l’iconographie n’est pas identifiée.
Figure 2. Chœur de la basilique de Saint-Maurice.
7
8
Sommaire Avant-propos Introduction générale Étude historique Introduction I Le chœur de la basilique 1 Chronologie des décors 2 Giovanni Battista Bozzo, un sculpteur ossolan en Valais 3 Les cadres sculptés et dorés II Un thème religieux récurrent 1 Un sujet connu 2 Une riche tradition iconographique 3 Une gravure comme modèle III Un peintre lucernois de passage à Saint-Maurice 1 La reproduction de la composition de van Dyck 2 Une technique reconnaissable 3 Une production locale Conclusion Rapport de conservation et restauration Introduction I Examen de l’œuvre 1 Nature des matériaux constitutifs 1.1 Le châssis 1.2 Le support textile 1.3 La couche picturale 1.4 Les couches de protection 2 Constat d’état 2.1 Le châssis 2.2 Le support textile 2.3 La couche picturale 2.4 Les couches de protection II Diagnostic III Évaluation des conditions de conservation IV Protocole de conservation-restauration 1 Opérations de conservation 1.1 Nettoyage 1.2 Rétablissement de la planéité 1.3 Rétablissement de l’adhérence 1.4 Montage de la toile sur le châssis
p. 1 p. 3 pp. 5-45 p. 5 p. 6 p. 6 p. 17 p. 19 p. 22 p. 22 p. 26 p. 30 p. 35 p. 35 p. 37 p. 40 p. 45 pp. 47-124 p. 47 p. 49 p. 49 p. 49 p. 52 p. 59 p. 62 p. 64 p. 64 p. 65 p. 66 p. 69 p. 71 p. 77 p. 81 p. 81 p. 81 p. 90 p. 91 p. 94
9
2 Opérations de restauration 2.1 Mastics 2.2 Retouche 2.3 Vernis V Rapport d’interventions 1 Traitement de conservation 1.1 Nettoyage 1.2 Rétablissement de la planéité 1.3 Rétablissement de l’adhérence 1.4 Montage de la toile sur le châssis 2 Traitement de restauration 2.1 Mastics 2.2 Retouche 2.3 Vernis Conclusion
Etude technico-scientifique
p. 88 p. 98 p. 98 p. 99 p. 103 p. 103 p. 103 p. 106 p. 110 p. 115 p. 122 p. 122 p. 123 p. 123 p. 124
p. 127-172
Introduction I Les toiles, matériaux anisotropes 1 Objectif de l’étude 2 Protocole expérimental 3 Résultats II Réactivité des peintures à l’huile sur toile face aux variations d’humidité 1 Objectif de l’étude 2 Protocole expérimental 3 Résultats III Évaluation du montage élastique de la Descente de croix 1 Objectif de l’étude 2 Protocole expérimental 3 Résultats Conclusion
p. 127 p. 128 p. 128 p. 129 p. 136 p. 142
Conclusion générale Bibliographie Table des illustrations
p. 175 p. 177 p. 186
10
p. 142 p. 144 p. 152 p. 164 p. 164 p. 164 p. 167 p. 172
11
12
Avant-propos En 2015, l’abbaye de Saint-Maurice célèbrera ses 1500 ans d’existence. À l’occasion de ce jubilé, d’importants projets de conservation et de restauration sont entrepris sous l’impulsion du père-abbé, Mgr Joseph Roduit. Le plus important d’entre eux concerne sans doute les pièces d’orfèvrerie précieuses qui composent le trésor. En collaboration avec la Haute École Arc de Neuchâtel, un atelier de conservationrestauration a même été ouvert, sous la responsabilité de Denise Witschard, dans les locaux de l’abbaye. Une partie des objets liturgiques restaurés a d’ailleurs été dévoilée à Notre-Dame de Paris, puis exposée au musée du Louvre entre le 12 mars et le 16 juin 2014. Si l’envergure du projet de conservation-restauration de la Descente de croix se révèle bien plus modeste, il s’inscrit tout de même dans cet élan de valorisation du patrimoine historique et artistique de l’abbaye Dans cette volonté de préservation des biens culturels, plusieurs tableaux se trouvant dans les bâtiments abbatiaux auraient pu être choisis pour réaliser ce travail de mémoire. En concertation avec Mgr Roduit, la décision a été prise de conserver et restaurer la Descente de croix pour deux raisons principales, l’une étant liée à l’état de conservation de l’œuvre, l’autre à son lieu d’exposition. Un examen rapide du tableau avait en effet révélé plusieurs pertes d’écailles et la situation, sans être dramatique, paraissait préoccupante. De plus, comme l’œuvre est suspendue sur les boiseries du chœur, son emplacement fait que les chanoines l’observent plusieurs fois par jour au moment des lectures et des prières. Par conséquent, l’objectif de ce projet est de réaliser des recherches à la fois historiques et scientifiques afin de proposer un protocole de conservation-restauration qui tiennent compte des spécificités matérielles et esthétiques du tableau, afin de permettre au public, aussi bien qu’aux chanoines, de redécouvrir cette œuvre faisant partie de la mémoire vivante de l’abbaye de Saint-Maurice.
1
2
Introduction générale Le projet de conservation-restauration de la Descente de croix s’articule selon trois axes principaux : une étude historique, un rapport de conservation-restauration et une étude technicoscientifique. Les recherches historiques tentent de répondre aux deux problématiques majeures que sont la datation et l’attribution du tableau. Pour ce faire, le lieu de conservation de la peinture, l’iconographie de l’œuvre et la technique picturale de l’artiste sont analysés de manière précise. Dans une deuxième partie, les différentes étapes du rapport de conservation-restauration sont présentées. L’examen de l’œuvre et le diagnostic étudient la nature des matériaux constitutifs du tableau, leur état de conservation et les phénomènes d’altération, tandis que le protocole de conservation-restauration et le rapport d’intervention s’intéressent aux différents traitements envisagés et à leur application. Enfin, l’influence du mode de fixation d’une peinture à l’huile tendue sur un châssis est évaluée. Des essais de traction simple sont d’abord réalisés pour caractériser la toile étudiée, puis, plusieurs échantillons, examinés au moyen de la stéré-corrélation d’images, sont soumis à des cycles d’humidité relative. Finalement, le comportement de la Descente de croix, au moment de son remontage sur le châssis est également apprécié à l’aide de cette technique optique.
3
4
Étude historique Introduction En franchissant les marches qui mènent au chœur de la basilique, on aperçoit au fond de l’abside un autel imposant dont l’image centrale célèbre le sacrifice de saint Maurice et de ses frères d’armes. Si on observe maintenant les parois qui bordent l’autel, on découvre deux tableaux disposés dans des cadres en bois sculptés et dorés maintenus contre des lambris gris-bleu. À gauche, sur le mur orienté à l’est, on discerne une scène dont l’iconographie n’est pas clairement identifiée tandis qu’à droite, en direction du sud-ouest, on devine une Descente de croix. Au premier abord, elle apparaît fort conventionnelle, s’inscrivant dans une tradition iconographique séculaire, mais malgré cette évidence, attardons-nous tout de même avec attention sur elle afin d’entendre son histoire. Comme le tableau n’est ni signé, ni daté et qu’aucune information le concernant n’est connue, l’enjeu principal de cette recherche est de rétablir des liens entre l’œuvre et son contexte de création. Dans un premier temps, nous nous intéresserons au lieu de conservation du tableau, en établissant une chronologie des éléments constitutifs et décoratifs du chœur, dans l’intention de comprendre les relations qui unissent les objets entre eux. Nous analyserons ensuite avec précision le sujet représenté en nous concentrant particulièrement sur les sources iconographiques, de manière à déterminer si la Descente de croix a été réalisée d’après un tableau, un dessin, une esquisse ou une gravure connue. Nous étudierons finalement la technique de l’artiste pour tenter de déceler des indices qui suggéreraient une datation et pour comparer ce travail pictural à celui d’autres œuvres conservées dans des édifices religieux de la même région.
5
I Le chœur de la basilique Plusieurs ouvrages ou articles relatent l’histoire de l’abbaye de Saint-Maurice et de sa basilique. Nous choisissons donc de ne pas l’aborder dans un sens général mais de nous concentrer plus précisément sur les objets qui, par leur proximité, entrent en dialogue avec la Descente de croix. Comme le tableau est exposé dans le chœur de l’église abbatiale, nous tenterons d’abord d’en préciser la chronologie des décors afin d’évaluer s’il appartient à un ensemble ornemental propre. Puis, nous étudierons plus attentivement les lambris sur lesquels l’œuvre est accrochée ainsi que le cadre doré dans lequel elle s’insère, de manière à estimer la période d’aménagement de ces éléments.
1 Chronologie des décors L’Abbé Pierre III de Grilly pose la première pierre du chœur de la basilique actuelle en 1614, et l’Abbé Georges Ier de Quartéry termine la construction en 16271 : le Nonce du Pape, Monseigneur Scappi, consacre l’édifice le 20 juin 16272. Même si le monument date du XVIIe siècle, la disposition et les proportions du bâtiment ainsi que les détails architecturaux rappellent plus les édifices gothiques3 : la nef se divise en trois parties, le plafond est composé de voûtes d’arêtes et les arcades forment des arcs brisés4. Le tracé géométrique du chœur s’inscrit dans un plan polygonal, l’abside étant orientée en direction du sud-est. Cinq fenêtres à meneaux, s’insérant dans des arcs brisés, l’éclairent : l’une se situe au fond de l’abside alors que les quatre autres se trouvent de part et d’autre du chœur. Les vitraux portent les armoiries de Louis XIII puisqu’ils ont été offerts par son ambassadeur à Soleure, Robert de Miron, en 16275.
L. Dupont Lachenal, « L’abbatiale depuis le 17e siècle » in Les Échos de SaintMaurice, t.49, 1951, p. 33. 2 Ibid., p. 35. 3 C. Jaccottet, « La Basilique restaurée », in Les Échos de Saint-Maurice, t.49, 1951, p. 67. 4 Ibid. 5 L. Dupont Lachenal, « Une élévation abbatiale à Saint-Maurice il y a trois siècle » in Les Échos de Saint-Maurice, t.41, 1943, p. 158. 1
6
Figure 3. La Descente de croix exposÊe avec son cadre au sommet des lambris du chœur.
7
Au milieu du XVIIe siècle, l’Abbé Pierre IV Maurice Odet dote le chœur d’un nouveau maître-autel6, mais le 23 février 1693, un incendie dévaste la cité de Saint-Maurice et l’abbaye7. Il détruit la majorité des bâtiments : comme les flammes pénètrent dans l’église abbatiale par la porte du chœur, le maître-autel, les boiseries, les stalles, les vitraux et les orgues sont ravagés 8. Toutefois, les murs de l’église abbatiale et les voûtes subsistent9. Une importante campagne de rénovation s’ouvre ainsi au début du XVIIIe siècle et confère à l’édifice un caractère baroque10. En 1721, le Chanoine Jean-Antoine Chandiou du Grand-SaintBernard effectue une visite apostolique à l’abbaye et rédige un rapport détaillé11. Il ordonne une série de mesure concernant le chœur de la basilique : 1° de munir le ciboire d’un pavillon de soie et d’une croix sur le sommet du couvercle ; 2° de faire fabriquer une clef en argent massif pour le tabernacle ; 3° d’entourer le tabernacle lui-même d’un conopée de soie ou d’un voile de ce genre en blanc, rouge, vert et violet, selon les Rubriques de la sainte Église romaine pour les divers temps et offices ; 4° de revêtir, dans les deux mois, l’intérieur du tabernacle d’un tissu léger ; 5° de se procurer pour le maître-autel des antependia interchangeables dans les couleurs ci-dessus désignées ; 6° de prévoir la réfection du marche-pied de l’autel et des degrés de pierre cassés et usés ; 7° de restaurer le tableau de Notre-Dame de Compassion dans la partie supérieure de l’autel, et de façon générale tout l’autel, sauf la table qui est consacrée12.
L. Dupont Lachenal, op.cit., p. 35. Ibid. 8 J.-B. Bertrand, « L’incendie de St-Maurice du 23 février 1693 », in Annales valaisannes, t.8, 1933, p. 126. 9 L. Dupont Lachenal, op.cit., p. 35. 10 Ibid., p. 36. 11 Le Chanoine J.-A. Chandiou cité par L. Müller, « Les édifices sacrées de l’Abbaye de Saint-Maurice selon un témoignage autorisé de 1721 », in Annales valaisannes, t.37, 1962, p. 426. 12 Ibid., pp. 430-431. 6 7
8
Le maître-autel dont parle le Chanoine Chandiou est probablement un autel provisoire bâti au lendemain de l’incendie. Il est entièrement reconstruit en marbre par David Mathey-Doret, sous la direction de l’Abbé Louis I Nicolas Charléty, en 172713. Il masque désormais la fenêtre qui s’ouvrait au fond de l’abside : cette fenêtre est condamnée puisqu’un nouveau bâtiment s’appuie contre le chevet de l’église et la prive de lumière14. Le Chanoine Chandiou évoque également dans son rapport les stalles en bois : Puis nous avons visité au chœur les stalles ou bancs des révérends chanoines réguliers ; nous les avons trouvées fort belles. Nous avons fait remarquer toutefois qu’à notre avis la stalle du Révme Abbé devrait être quelque peu détachée des autres, dans la partie droite et la plus éloignée de l’autel, de telle manière que l’Abbé ait tout le chœur sous ses yeux15. Il s’agit là des stalles commandées par l’Abbé Nicolas II François Camanis et sculptées dans du bois de noyer par Alexandre Mayer et son fils Jean-Pierre entre 1704 et 170616.
Figure 4. Chœur de la Basilique. Les stalles sont visibles à droite, la Descente de croix à gauche. L. Müller, op. cit., p. 431. C. Jaccottet, op. cit., p. 61. 15 Le Chanoine J.-A. Chandiou cité par L. Müller, op. cit., p. 431. 16 Ibid. 13 14
9
En 1738, l’Abbé Jean VII Claret fait aménager deux petits autels à l’entrée du chœur : l’un dédié à saint Nicolas de Flue, l’autre à saint Louis17. Puis, entre 1741 et 1742, il charge Maître Botz de sculpter le trône de célébrant et les lambris du chœur18. À la même période, cet artisan exécute également les ornements en feuilles d’acanthe qui bordent le maître-autel19.
Figure 5. Chœur de la basilique vers 1880. L. Dupont Lachenal, op.cit., p. 37. Ibid. 19 Ibid. 17 18
10
Ainsi, les stalles, le maître-autel et le trône de célébrant, ayant été préservés des importantes rénovations et transformations de la basilique réalisées tout au long des XIXe et XXe siècles, constituent aujourd’hui les principaux témoins du décor baroque de la première moitié XVIIIe siècle. Dans les années 1840, Casimir Vicario, originaire d’Italie, peint sur les voûtes du chœur des scènes bibliques20. L’artiste orne également les plafonds des cathédrales d’Annecy et de Chambéry ainsi que ceux de l’ancienne église abbatiale d’Abondance et de la Saint-Chapelle de Chambéry21. La première prise de vue connue du chœur de la basilique date des années 1880. Au premier regard, le maître-autel de 1727 apparaît distinctement au centre de l’image avec ses ornements en feuilles d’acanthe. Devant, les stalles en bois se détachent gracieusement des parois. Elles sont surmontées d’une corniche qui court autour du chœur et de la nef. Les voûtes présentent quant à elles le décor peint par Vicario. En observant plus attentivement la photographie, les lambris dorés se dévoilent sous les fenêtres de part et d’autre de l’autel. Surplombant ces boiseries, la Descente de croix et son pendant sont visibles aux emplacements qu’ils occupent actuellement, mais le système d’accrochage semble différent : les deux tableaux sont penchés en raison de la corniche qui se trouve au sommet des lambris et qui fait obstacle à un alignement parallèle au mur. À la fin du XIXe siècle, le Chanoine Guillaume de Courten initie une importante campagne de rénovation de la basilique. La volonté principale du projet est de conférer à l’édifice un caractère roman qui s’accorderait plus harmonieusement avec la tour abbatiale érigée dans le premier quart du XIe siècle22. Les fenêtres du chœur sont transformées et accueillent des vitraux réalisés dans les ateliers Mouilleron à Bar-le-Duc : la frise de motifs géométriques qui dansait le long de l’embrasure est remplacée par de larges bandes qui simulent l’alternance de pierres foncés et claires. La corniche faisant le tour du chœur et de la nef est détruite et elle est remplacée par des colonnettes peintes qui feignent de soutenir les voûtes23.
L. Dupond Lachenal, op.cit., p. 37. Ibid. 22 Ibid. 23 Ibid., pp. 37-49. 20 21
11
Figure 6. Chœur de la basilique en 1894.
Les parois du chœur sont recouvertes de dessins géométriques et floraux, [probablement par le Chanoine de Courten lui-même]. En effet, celui-ci est initié à l’art en Bavière et plus précisément à l’École de Beuron24. Ainsi, s’il impulse un style roman à la rénovation de la basilique, c’est sans doute sous l’influence de Peter Lenz, figure principale de l’École25. Les principes artistiques que ce dernier défend sont principalement fondés sur « un sens de l’ordre et de l’hiératique dépendant étroitement de modules géométriques »26. Ce goût de l’ordre explique vraisemblablement le retrait des ornements en feuilles d’acanthe qui bordaient le maîtreautel depuis 1742. Le 1er octobre 1914, le tableau central du maître-autel brûle accidentellement27. Il est remplacé en 1920 par la mosaïque du couronnement de saint Maurice réalisée par Maurice Denis28. Dans les années 1930, l’Abbé Bernard Alexis Burquier amorce une nouvelle campagne de rénovation de l’église abbatiale29. Il souhaite conférer à l’édifice une certaine sobriété : les peintures de Vicario, celles du Chanoine de Courten et les colonnettes peintes sont éliminées au profit d’un enduit blanc30.
L. Dupont Lachenal, op.cit., p. 38. C. Bergeron, G. Simmins, L’abbaye de Saint-Benoît-du-Lac et ses bâtisseurs, Sainte-Foy, Québec, Presses de l’Université Laval, 1997, p. 150. 26 Ibid. 27 E. Gross, « L’Église actuelle de l’abbaye, in Les Échos de Saint-Maurice, t.16, 1917, p. 133. 28 L. Dupont Lachenal, op.cit., p. 51. 29 Ibid., p. 40. 30 Ibid. 24 25
12
Figure 7. Chœur et nef de la basilique en 1933.
Au sommet des lambris du chœur, la Descente de croix et son pendant sont discernables. L’accrochage des tableaux change: ils ne sont plus penchés mais parallèles au plan du mur. Pour effectuer cette variation, la corniche supérieure des lambris a été sciée afin de permettre aux cadres sculptés de se positionner contre la paroi. Le 3 mars 1942, deux blocs de pierre se détachent de la falaise et s’abattent sur l’église abbatiale31. Si le chœur n’est pas directement atteint, le clocher est quant à lui « éventré sur toute sa hauteur »32. Cet effondrement pulvérise des matériaux ainsi qu’une épaisse couche de poussière sur le sol et le mobilier de l’église33. Une photographie de 1943, représentant une partie des stalles et des lambris du chœur, dévoile un espace vide à l’emplacement de la Descente de croix. Durant la Seconde Guerre mondiale, certains objets sont cachés par les chanoines dans un lieu inconnu34. Les tableaux du chœur font partie de ces objets dissimulés. Figure 8. Chœur de la basilique en 1943. F.-M. Bussard, « La tour abbatiale de St-Maurice », in Les Échos de SaintMaurice, t.41, 1942, p. 218. 32 Ibid. 33 Ibid., p. 220. 34 Ces informations ont été recueillies par l’Abbé Joseph Roduit auprès des chanoines. 31
13
Figure 9. Chœur de la basilique en 1950.
Un important chantier de reconstruction et de rénovation se met en place dans les années qui suivent la catastrophe. Des travaux sont entrepris sur la structure même du bâtiment, mais aussi sur les éléments décoratifs, en vue « d’établir une certaine unité entre l’intérieur et l’extérieur de l’édifice »35.
35
C. Jaccottet, op. cit., p. 61.
14
Au niveau du chœur, le grand arc en tuf est retrouvé sous plusieurs couches de plâtre36. Les colonnes en marbre noir qui le soutenaient sont remplacées par deux piliers de la même pierre37. Une partie des lambris de 1741 est retirée afin de faciliter la circulation entre le chœur, la sacristie et les chapelles38. Mais surtout, le chœur est agrandi en direction de la nef par la création d’un chancel39. Cette clôture en pierre, qui s’avance en direction de la nef, marque nettement la séparation entre l’espace dans lequel sont réunis les fidèles et l’espace liturgique réservé au clergé40. Un ambon datant du VIIe ou VIIIe siècle y est placé en vue de « tenir lieu de chaire pour la prédication »41. De 1949 à 1956, Edmond Bille réalise treize vitraux pour la basilique42. L’artiste met en scène la gloire des Martyrs thébains : ceux du chœur représentent d’un côté « des cavaliers (bondissant) dans l’aurore éternelle »43, de l’autre « la théorie des Martyrs présentée au Seigneur Jésus pour un hommage divin »44. En 2004 débute de nouveaux travaux d’aménagement du chœur. Le chancel de 1948 est supprimé « pour laisser place à un large espace de célébration ouvert sur la nef, au milieu duquel trône un nouvel autel en pierre noire »45. Le maître-autel de 1727 apparaît alors comme un décor « et non (plus) comme un autel de célébration »46. Devant lui, un lieu de lecture est créé : de nouveaux sièges en bois sont disposés en demi-cercle avec au centre, un pupitre. Le dallage en marbre noir de Collombey est remplacé par un dallage en serpentine vert foncé47. Sur les côtés, deux bandes en marbre griotte « descendent jusqu’à la nef et symbolisent le sang du martyr qui irrigue notre terre et fait germer la vie du Christ, le premier martyr »48
C. Jaccottet, op. cit., p. 72. Ibid. 38 Ibid. 39 Ibid., p. 79. 40 Ibid. 41 Ibid., p. 76. 42 N. Viatte, « Edmond Bille (1878-1959) », in Les Échos de Saint-Maurice, t.57, 1959, p. 124. 43 Ibid. 44 Ibid. 45 F. Roten, « La restauration du chœur de la Basilique », in Les Échos de SaintMaurice, Nouvelles de l’Abbaye, n° 12, 2005, p. 26. 46 Ibid., pp. 26-27. 47 Ibid., pp. 27-28. 48 Ibid. 36 37
15
Figure 10. Chœur de la basilique en 2012.
16
2 Giovanni Battista Bozzo, un sculpteur ossolan en Valais L’étude historique du chœur de la basilique a permis de dresser, avec plus ou moins de détails suivant les périodes, une chronologie des décors. Tentons donc maintenant de comprendre si la Descente de croix et son pendant appartiennent à un projet décoratif global ou s’ils constituent des ajouts à un ensemble déjà existant. La Descente de croix et son pendant sont exposés au sommet des lambris sculptés et dorés du chœur. Le nom de l’artisan qui a réalisés les boiseries est connu grâce au livre des comptes de l’Abbé Claret: 1741 J'ay fait boiser le Chœur, dorer les mollures, fait orner le grand autel d'un fleurage dorée tout autour, fait orné les petits autels, ajouter un fleurage a celuy de Notre-Dame, fait poser et dorer le faldistoire et pour ce J'ay payé à Maître Botz sculpteur et doreur outre 87 florins qu'il a rescu en graine et un petit reste que je luy redois n'ayant pas achevé tout l'ouvrage a cause de la fièvre qu'il a pris scavoir a compte florins 1403 et cela outre les aisses et façon du boisage du Chœur des fers et massons pour poser le dit ouvrage dont les comptes ne sont pas encore fait49. Maître Botz est sans aucun doute le nom francisé de Giovanni Battista Bozzo50. Il est l’apprenti de Pietro Antonio Lanti puis de Giovanni Maria Albasino51. Ces sculpteurs sont originaires du Val d’Ossola, vallée piémontaise située à la frontière du Valais. La situation géographique du Valais en fait un véritable lieu de passage placé dans l’axe Milan-Lausanne-Lyon-Paris52. Si aux XVIIe et XVIIIe siècles les activités de la région sont dominées par l’élevage de bétail et l’agriculture, la circulation des artisans, des artistes et des commerçants venus des pays voisins apporte à la population locale des savoir-faire spécialisés53.
Archives de l’abbaye de Saint-Maurice, CH-AASM, CPT, 600, 001, 003, f. 23 : Comptes de l’Abbé Jean VII Claret depuis le 24 janvier 1737 jusqu'en 1745. 50 G. Cassina, « Notes sur l’activité en Bas-Valais de Giorgio Bernardi et Gerolamo Roncho, sculpteurs ossolans du XVII e siècle », in Vallesia, XXXIII, 1978, p. 146. 51 Ibid. 52 Office fédéral de la culture, « L’Italianità en Valais », in Traditions vivantes, 2012, p.3. 53 Ibid. 49
17
Dans ce contexte, plusieurs sculpteurs ossolans se déplacent en Valais : certains apportent uniquement une commande préparée en atelier54, alors que d’autres travaillent directement sur place55. La présence de Bozzo en Bas-Valais est attestée de 1739 à 176156. Si avant cette période, il travaille essentiellement dans le Haut-Valais, il semble s’être rendu à l’abbaye de Saint-Maurice en 1723 pour y installer les quatre statuettes dorées qui garnissent les niches du maître-autel de la basilique57. Puis, entre 1741 et 1742, il réalise, pour le chœur de l’église abbatiale, les lambris, le trône de célébrant et les ornements en feuilles d’acanthe du maître-autel58. En 1751, il restaure les stalles qui avaient été endommagées par un incendie59.
Figure 11. Trône de célébrant réalisé par Giovanni Battista Bozzo entre 1741 et 1742. G. Cassina, op. cit., p. 137. Giorgio Bernardi réalise la plupart du temps ses commandes en atelier et ne se rend en Valais que pour l’installation des éléments. 55 Ibid., p. 145. Giulio Gualio se présente, quant à lui, comme un artisan itinérant. 56 Ibid., p.146. 57 E. Voirol, « Saint Augustin, Notes iconographiques », in Les Échos de SaintMaurice, t.29, 1930, p. 156. (source inconnue) 58 Archives de l’abbaye de Saint-Maurice, CH-AASM, CPT, 600, 001, 003, f. 23. 59 Comptes de l’Abbé Jean VII Claret depuis le 24 janvier 1737 jusqu'en 1745, f. 69. 54
18
Ainsi, dans la première moitié du XVIIIe siècle, le chœur se pare progressivement d’un décor baroque réalisé essentiellement par trois sculpteurs : Alexandre Mayer60, David Mathey-Doret61 et Giovanni Battista Bozzo. Au moment de l’élaboration des boiseries du chœur, ce dernier avait-il l’intention d’y placer deux tableaux dans des cadres sculptés ? Le cas échéant, aurait-il lui-même réalisé les cadres ? Les comptes de l’Abbé Claret ne mentionnent aucune commande de cadre à Bozzo en 1741. Comparons malgré tout les motifs du trône de célébrant avec ceux des cadres afin d’évaluer leurs similitudes et différences. Dans chacune des pièces, les motifs se composent de feuilles d’acanthe torsadées. Toutefois, le traitement des feuilles se différencie : les feuilles du cadre semble s’évader du corps d’œuvre dans un effet de tourbillon tandis qu’au niveau des boiseries elles paraissent danser sans pour autant s’envoler des lambris.
3 Les cadres sculptés et dorés Par ailleurs, le travail des cadres en bois s’apparente plus à celui de l’atelier d’Hans Heinrich Knecht. Ce sculpteur originaire de Laufemburg, actif entre les années 1670 et 1725, est vraisemblablement à l’origine du maître-autel et de l’autel des Ames de l’église du Châble62.
Figure 13. Détail trône de célébrant.
Figure 12. Détail cadre de la Descente de croix.
Il réalise les stalles entre 1704 et 1706. Il installe le maître-autel en marbre en 1727. 62 G. Cassina, op. cit., p. 60. 60 61
19
Bien que le maître-autel ait été détruit, des fragments ont été employés pour créer des crédences63. Ces panneaux sont formés de motifs en feuilles d’acanthe torsadées. Leur style se rapproche étroitement de celui des feuilles qui constituent les deux cadres des tableaux du chœur de la basilique. En ce qui concerne la technique d’exécution des cadres et des panneaux, leur conservation-restauration aurait mis en évidence une spécificité locale propre aux œuvres en bois dorées datant approximativement de la deuxième moitié du XVIIe siècle et des premières décennies du XVIIIe siècle64. En effet, le premier enduit appliqué sur le bois se compose de terres vertes liées par une colle animale. L’étude stratigraphique a révélé d’ailleurs la succession suivante : un première couche de préparation maigre et verte est posée sur le bois, suivie d’une deuxième constituée de charges calcaires et de colle animale, tandis que la troisième est formée par plusieurs films d’assiettes à dorer65. Si l’emploi de gesso et d’assiettes à dorer se fonde sur la technique traditionnelle de la dorure à l’eau, la première couche de terres vertes se révèlerait en revanche être une particularité technique. Quelle fonction remplirait-elle ?
Figure 14. Crédence réalisée à partir des panneaux ornés de reliefs en ajour provenant de l'ancien maître-autel de l'église du Châble, 1696-1697.
Ibid., p. 61. Le travail de conservation-restauration des cadres de Saint-Maurice a été mené par G. Carron, à Martigny. 65 Ces informations nous ont été fournies par G. Carron. 63 64
20
Comme ce pigment est élaboré en utilisant de la céladonite et de la glauconie, ses principaux composés sont siliceux66. Il n’a par conséquent aucune action antifongique ou insecticide. Aurait-il ainsi été employé par soucis d’économie ? Il est effectivement possible qu’à cette période, le prix des charges calcaires en Valais ait été plus élevé que celui des terres vertes. Le cas échéant, les artisans et artistes de l’époque auraient commencé par appliquer une couche de ce pigment dans l’intention de réduire ensuite l’épaisseur du gesso. Ces suppositions exigent toutefois une étude plus approfondie. Il est en revanche certain que le sculpteur Knecht se rend à SaintMaurice en 1694, puisqu’il y réalise le maître-autel de l’église du couvent des Capucins67. Depuis, l’autel a été transformé, mais sa partie supérieure conserve des éléments originaux : les mêmes motifs en feuilles d’acanthe torsadées sont visibles. Il semblerait donc que les cadres de la Descente de croix et de son pendant soient originaux et, s’ils n’ont pas directement été réalisés par l’atelier de Knecht, un lien de parenté les y associe vraisemblablement. En revanche, la position qu’ils occupent sur les boiseries renforce l’hypothèse d’un accrochage postérieur. Dès lors, la Descente de croix et son pendant auraient probablement été placés au sommet de les lambris dans le but de les orner. Le cas échéant, où auraient-ils été exposés jusqu’à leur déménagement dans le chœur ? La tentative de datation de l’œuvre de mémoire apportera un élément de réponse plausible.
J. Petit, J. Roire, H. Valot, Des liants et des couleurs, Paris, Erec, 2006, p. 347. Archives de l’État du Valais, Prot. cons. bourg., n° 1613 : « Der Meister Knecht bidthäuwer befelcht sicht umb ein trinkh gelt wegen gemachten altar der Capucineren zu St. Moritzen ». 66 67
21
I Un thème religieux récurrent Bien que la Descente de croix soit un épisode connu de la vie du Christ, nous analyserons dans un premier temps la signification de ce sujet afin d’en saisir la portée spirituelle. Nous nous intéresserons ensuite à son développement iconographique en vue de replacer le tableau de Saint-Maurice au sein d’une tradition séculaire. Puis, nous examinerons plus attentivement l’œuvre dans le but d’y discerner la source iconographique. 1 Un sujet connu Sous un ciel menaçant, un arbre au tronc massif se dresse à proximité d’une croix latine contre laquelle s’appuient deux échelles étroites. Dans cet espace sept personnes forment un groupe compact. Au centre, un corps masculin sans vie glisse délicatement sur un drap blanc vers le sol. Trois hommes le maintiennent : l’un deux, s’arc-boutant sur une échelle, retient le drap et son bras, les deux autres, au pied de la croix, soutiennent son épaule, ses reins et son bassin pendant qu’une femme agenouillée enlace tendrement ses pieds. Deux femmes se tiennent aussi debout. La première se penche avec désarroi en direction du corps livide, tandis que derrière elle, la seconde essuie douloureusement ses larmes. La Descente du Christ de la Croix est relatée dans les quatre Évangiles68. Sans détail superflu, on apprend que Pilate autorise Joseph d’Arimathie à enlever le corps de Jésus avec l’aide de Nicodème69. D’ailleurs, les plus anciennes représentations connues de cet épisode mettent en scène uniquement ces trois personnages70 : Joseph, décrit comme un homme riche et « membre considéré du Sanhédrin »71 saisit le corps inerte du Christ alors que Nicodème, plus humble, lui retire les clous des pieds ou des mains72.
L. Réau, Iconographie de l’art chrétien, t.2, Iconographie de la Bible, Nouveau Testament, Paris, Presse Universitaires de France, 1957, p. 513. 69 Ibid. 70 Ibid., p. 515. 71 Ibid. 72 Ibid., p. 515-516. 68
22
Marie et Jean sont, quant à eux, intégrés à la scène dès le XIe siècle73 : la tradition byzantine supposait que ces deux figures présentes au moment de la Crucifixion, avaient également assisté à la Descente de croix74. Avant d’analyser de manière plus détaillée le développement iconographique de ce thème, examinons à présent les éléments représentés dans le tableau afin de comprendre ce sujet.
Figure 15. Descente de croix (détail), enluminure, IXe-Xe siècle, bibliothèque municipale, Angers. 73 74
P. Clertant (trad.), Descente de croix, Londres, Phaidon, 2000, p. 8. Ibid. 23
Le corps du Christ, inerte mais léger, descend de la Croix sur un suaire blanc dans les bras de ses disciples qui l’accueillent. Son cadavre est meurtri par des plaies discrètes trahissant les supplices qui lui ont été infligés avant et pendant sa crucifixion75. Si son visage serein s’incline avec douceur sur le côté, ses mains, ses pieds et son flanc sont marqués par les stigmates. Plusieurs instruments posés sur le sol rappellent par ailleurs certains épisodes de la Passion : les clous, la couronne d’épines et la bassine de cuivre contenant le vinaigre avec l’éponge76. Devant ces objets, les initiales « INRI » apparaissent sur le titulus en forme de phylactère. Elles correspondent à la formule latine dictée par Pilate qui stipule le motif de la condamnation : « Jésus le Nazaréen, le roi des Juifs »77. Joseph d’Arimathie, le crâne dégarni et la barbe longue, saisit d’une main sûre les reins et le bassin du mort tout en agrippant le linceul. Il porte un manteau rosé doublé d’une fourrure en hermine. Ce vêtement élégant témoigne de « sa réputation de juif riche et très respecté »78. C’est lui qui « aurait recueilli sur le Golgotha le sang du Christ dans le saint Graal »79. Nicodème, sur l’échelle, retient avec précaution le coude du défunt et l’extrémité supérieure du suaire. Ses habits sont plus sobres : il est vêtu d’un manteau bleu-gris qui recouvre une chemise rouge et porte un turban sombre. Il s’est rendu de nuit sur le Calvaire pour voir le Christ avant sa mort80 et, au moment du décès, c’est lui qui apporte le mélange de myrrhe et d’aloès pour l’embaumement81. Saint Jean, le jeune homme encore imberbe, reçoit avec beaucoup de sérénité la dépouille mortelle dans ses bras. « C’est le plus jeune des douze Apôtres, l’Apôtre virginal »82. Avant cet instant, il a accompagné Jésus lors de son interrogatoire par Caïphe, le grand prêtre du Temple de Jérusalem, et Pilate, le gouverneur romain de la Judée. Il a assisté impuissant à sa condamnation et l’a suivi jusqu’au Golgotha83.
Bible, Jn 19, 15. Ce sont les Arma Christi ou Instruments de la Passion. 77 Bible, Jn 19, 15. 78 P. Clertant, op. cit., p. 52. 79 L. Réau, Iconographie de l’Art Chrétien, t.3, Iconographie des Saints, Paris, Presses Universitaire de France, 1958, p. 760. 80 Bible, Jn 20, 21. 81 Bible, Jn 20, 21. 82 L. Réau, op. cit., p. 711. 83 Bible, Jn 17, 20 ; Jn 19, 14 ; Jn 19, 15. 75 76
24
Trois figures féminines se trouvent également à côté de la croix. Marie-Madeleine, dans une robe mordorée et verte, à genoux sur le sol, les cheveux détachés, tient dans ses mains les pieds du Christ. Son attitude dévouée évoque le Repas chez Simon lors duquel elle arrosa de ses larmes les pieds de Jésus, les essuya avec ses cheveux, les embrassa et les oignit de parfum84. Elle occupe une position centrale puisque dès la fin du XVIe siècle et plus particulièrement au XVIIe siècle, « l’église [catholique] en fit l’exemple idéal de la pénitence chrétienne »85. La Vierge, vêtue d’un ample manteau bleu, les cheveux masqués par un voile brun, s’incline avec compassion vers son fils : des larmes troublent son regard tandis que ses mains démunies cherchent le contact du défunt. Appuyée contre son dos, sa sœur, Marie femme de Clopas, joint les mains dans un geste de souffrance. En définitive, l’ensemble de l’image s’articule autour de la figure du Christ. Elle dévoile son abandon paisible malgré les traces laissées par la couronne d’épines, le javelot et les clous. Mais si le Christ apparaît bien être au centre de la scène, un personnage invisible y confère pour autant un sens particulier. En effet, c’est le Père qui donne son Fils « afin que quiconque qui croit en lui ait la vie éternelle »86. La sérénité du Christ témoigne dès lors de sa confiance en ceux qui l’accueillent les bras ouverts. L’attitude des personnages qui le reçoivent évoque ainsi la conduite des croyants qui apprennent le message de pardon de Dieu. La douceur du Christ s’apparente ainsi plus à celle d’un Vivant et annonce déjà la Résurrection. Ce message d’espérance et de joie fait l’objet de méditations de la part des croyants pratiquants. Dans ce contexte, l’image du tableau de la Descente de croix peut accompagner ou même faciliter leur recueillement et participer, de cette manière, à leur parcours spirituel.
Bible, Jn 12, 1-8. P. Clertant, op. cit., p. 54. 86 Bible, Jn 3,16. 84 85
25
2 Une riche tradition iconographique Afin de replacer la Descente de croix au sein d’une tradition iconographique, nous allons analyser, à travers trois œuvres majeures, la façon dont certains artistes talentueux ont su enrichir ce thème récurrent. Fra Giovanni Angelico réalise, entre 1433 et 1434, une Descente de croix destinée à la sacristie de l’église de la Sainte-Trinité à Florence87. Le panneau est commencé par son maître, Lorenzo Monaco, qui élabore le cadre gothique ; Fra Angelico exécute quant à lui la peinture à tempera88. Dans sa composition, il place le corps du Christ diagonalement alors que, traditionnellement, il était plutôt positionné de manière verticale89. Il annonce ainsi la Déposition, « second acte où le cadavre décloué du Sauveur est étendu sur la pierre de l’Onction avant que commence la Lamentation »90
Figure 16. Fra Giovanni Angelico, Descente de croix, tempera sur bois, 176 x 185 cm, 1433-1434, Musée San Marco, Florence. T. S. Centi, Le Bienheureux Fra Angelico, Paris, Éditions du Cerf, 2005, p. 75. Ibid. 89 Y. Nagatsuka, Descente de croix : son développement iconographique des origines jusqu’à la fin du XIVe siècle, Tokyo, Presses de l’Université Tokai, 1979, p. 68. 90 L. Réau, Iconographie de l’art chrétien, t.2, p. 518. 87 88
26
Suite au Concile de Trente, la mise en scène de la Descente de croix « adopte une nouvelle ordonnance dont le créateur est Daniele da Volterra »91. Il exécute dans l’église de la Trinité-desMonts, à Rome, en 1541, une fresque qui se distingue par « le nombre des acteurs et l’art avec lequel ils sont disposés »92.
Figure 17. Daniele da Volterra, Descente de croix, fresque, 1541, église de la Trinité-des-Monts, Rome.
L. Réau, op. cit., p. 516. E. Mâle, L’art religieux du XVIIe siècle, Italie, France, Espagne, Flandres, Paris, Armand Colin, 1984, p. 214. 91 92
27
Quatre échelles imposantes sont désormais appuyées contre la croix si bien que « Joseph et Nicodème se font aider par des valets dont deux se penchent au-dessus des bras de la croix »93. Si les porteurs de Fra Angelico semblent à peine soutenir le corps du défunt, ceux de da Volterra le retiennent, dans un effort musculaire intense. Devant eux, la Vierge s’évanouit dans les bras d’une sainte femme. Pierre Paul Rubens s’inspire directement de cette composition pour exécuter le panneau central du triptyque de la cathédrale d’Anvers entre 1612 et 1614 : « on […] retrouve les échelles et les cinq hommes […]»94. Il y introduit cependant quelques nouveautés : pendant que le corps inerte du Christ glisse sur un grand linceul blanc, la Vierge tend ses mains en direction de son Fils95. En représentant la Vierge magnanime, Rubens dévoile « non sa faiblesse, mais (au contraire) […] sa grandeur d’âme »96. Il retranscrit ainsi à travers son œuvre « la pensée des théologiens du temps qui ne voulaient pas voir la Vierge évanouie sur le Calvaire »97. La Descente de croix d’Anvers figure dès lors comme le modèle iconographique à suivre. Charles le Brun s’en inspire nettement dans la réalisation du tableau initialement destiné à la chapelle des Villeroy au couvent des Carmélites de Lyon98. Jean-Baptiste Jouvenet en fait de même pour l’église des Capucines à Paris99.
L. Réau, op. cit., p. 516. E. Mâle, op. cit., p. 214. 95 Ibid. 96 Ibid. 97 Ibid. 98 Ibid. 99 Ibid. 93 94
28
Figure 18. Pierre Paul Rubens, Descente de croix, panneau central du triptyque, huile sur bois, 420 x 310 cm, 1612-1614, CathĂŠdrale Notre-Dame, Anvers.
29
3 Une gravure comme modèle La Descente de croix de Saint-Maurice, tant par sa composition d’ensemble que par certains détails, s’inscrit dans le sillage du panneau central du triptyque de la cathédrale d’Anvers. Si elle reflète effectivement l’iconographie du Nord de l’Europe, « (l’) effet prodigieux (qu’a su tirer Rubens) du glissement du corps du Sauveur qui descend sur un suaire dans les bras de la Vierge, de la Madeleine et de saint Jean prêts à le recevoir » 100 n’est pas retranscrit avec la même intensité. Par ailleurs, une dissonance semble s’installer entre l’attitude adoptée par les personnages et l’expression placide des visages. À ce décalage s’ajoute une impression de « silhouettes découpées » : la composition fait l’effet d’avoir été ordonnée suivant un dessin rigoureux. Ces caractéristiques indiquent sans doute que le tableau a été réalisé suivant un modèle précis. Cette source iconographique, bien que n’étant pas une œuvre de Rubens, s’apparente manifestement à sa production. Plusieurs élèves du maître s’inspirent encore de son travail après avoir quitté son atelier101. Parmi eux, Antoine van Dyck, « d’une nature plus fine et moins exubérantes »102, tout en le conservant comme modèle, « adopte pour ses œuvres religieuses une veine plus expressive destinée à frapper l’esprit des fidèles »103. S’il réalise un grand nombre de tableaux représentant la Crucifixion et la Déposition du Christ, il semble n’illustrer que rarement le thème de la Descente de croix. Toutefois, c’est au sein de la production de cet artiste que nous avons décelé la source iconographique de la Descente de croix de Saint-Maurice. Il s’agit plus précisément d’une gravure exécutée d’après un panneau de van Dyck. Cette gravure à l’eau forte a été réalisée par Francesco Bartolozzi et Giovanni Battista Cipriani en 1767. Elle appartient aujourd’hui aux collections du Bristish Museum. Dans sa partie inférieure se trouve une inscription de quatre lignes en italien :
L. Réau, op. cit., p. 516. L. van Puyvelde, La peinture flamande au XVIIe siècle, Paris, Elsevier, 1961, p. 60. 102 L. Bréhier, L’Art Chrétien, son développement iconographique des origines à nos jours, Paris, Laurens, 2e, Édition, 1928, p. 416. 103 E. Brugerolles, Le Baroque en Flandres, Rubens, van Dyck, Jordaens, Carnets d’étude t.16, Paris, École nationale supérieure des beaux-arts, 2010, p. 27. 100 101
30
Un Francese, trovato un suo figliuolo, che scriveva un trattato contro la religione patria, mostratogli un crocifisso, disse, ecco il fato di un riformatore. Disegnato e intagliato a aqua forte, l’anno MDCCLXVII, in Londra, dallo schizzo di Antonio van Dyck, della stessa grandezza, dipinto sul legno, a olio, in chiaroscuro, nella collezione di Tommaso Hollis, Inglese. Ces quelques lignes communiquent deux catégories d’information : la première phrase renvoie, de manière confuse, au contexte religieux de l’époque, tandis que la deuxième précise des indications techniques et historiques. Nous proposons la traduction suivante : Un Français ayant trouvé son fils qui écrivait un traité contre la religion de nos pères, lui montre un crucifix et lui dit : « Voilà le destin d’un réformateur ». Dessinée et gravée à l’eau forte, en 1767, à Londres, d’après une esquisse d’Antoine van Dyck, de mêmes dimensions, peinte à l’huile sur bois, en clair-obscur, dans la collection de Thomas Hollis, l’Anglais. De prime abord, la première phrase, par son caractère religieux, inscrirait la gravure dans un programme de propagande initié par Louis XIV à la suite de la révocation de l’édit de Nantes. En effet, dès la fin du XVIIe siècle et jusqu’en 1787, le protestantisme est interdit sur le territoire français. Selon cette interprétation, le Français évoquerait cette interdiction et mettrait son cadet en garde contre les dangers de la Réforme. Cependant, la seconde phrase indique que la gravure se trouve dans la collection de l’Anglais Thomas Hollis, écrivain et philosophe politique, défenseur des libertés civiques et confessionnelles104. Lui-même baptiste, il fait illustrer plusieurs de ses ouvrages par Cipriani et Bartolozzi105. S’il avait commandé la réalisation de cette eau forte, la phrase signifierait peut-être que le Christ est le premier des réformateurs et qu’en dépit des différences entre catholiques et protestants, le jugement dernier sera quoi qu’il en soit prononcé par Jésus-Christ.
P. D. Marshall, « Thomas Hollis (1720-74) : The bibliophile as libertarian », dans Bulletin of the John Rylands Library, t.66, 2e édition, 2013, p. 247. 105 Ibid., p. 248. 104
31
Figure 19. Descente de croix de Saint-Maurice avant le vernissage final.
32
Figure 20. Francesco Bartolozzi et Giovanni Battista Cipriani, Descente de croix d'après Antoine van Dyck, gravure à l'eau forte, 46,5 x 35,1 cm, 1767, British Museum, Londres.
33
Dans la deuxième phrase, nous apprenons également que le modèle de la gravure est une esquisse exécutée à l’huile sur bois par Antoine van Dyck. Nous n’avons malheureusement pas retrouvé le panneau original à ce jour106. Toutefois, nous savons que van Dyck réalise « entre 1627 et 1632 plusieurs dizaines de peintures religieuses […]»107 : « (il) est dès lors très sollicité par les défenseurs de la Contre-Réforme, qui renouvellent l’iconographie chrétienne en privilégiant les martyres des saints, mais aussi le rôle d’intercesseur joué par la Vierge auprès des fidèles »108. Plus d’un siècle s’est donc écoulé entre la création du modèle par van Dyck et la réalisation de la gravure par Bartolozzi et Cipriani109. Par conséquent, nous pouvons supposer qu’il ne s’agit pas de la première reproduction de ce panneau. En effet, « l’estampe a connu une grande vogue au XVIIe siècle »110 et les artistes « ont utilisé avec une maîtrise extraordinaire ce moyen de se faire connaître »111.
Figure 22. Visage de la Vierge, détail de la gravure de Bartolzzi et Cipriani.
Figure 21. Visage de la Vierge, détail du tableau de Saint-Maurice.
Le panneau n’est pas mentionné dans le catalogue raisonné établi par l’Université de Yale en 2004 : S. J. Barnes, O. Millar, N. de Poorter, H. Vey, Van Dyck : a complete catalogue of the paintings, New Haven London, Yale University Press, 2004. 107 E. Brugerolle, op. cit., p. 31. 108 Ibid. 109 Antoine van Dyck est né à Anvers en 1599 et mort à Blackfriars en 1641. 110 E. Rouir, La Gravure originale au XVII e siècle, Paris, Aimery Somogy, 1974, p. 238. 111 Ibid. 106
34
III Un peintre lucernois de passage à SaintMaurice Bien que l’œuvre originale de van Dyck n’ait pas été retrouvée et que l’estampe de Bartolozzi et Cipriani ne soit probablement pas la première reproduction de ce panneau, comparons tout de même le tableau de l’abbatiale avec la gravure de Bartolozzi et Cipriani afin de comprendre la manière dont l’œuvre a été mis en place.
1 La reproduction de la composition de van Dyck Dans l’ensemble, la composition mise en place par van Dyck a été fidèlement reproduite. Elle est centrée sur le corps du Christ qui glisse en douceur du sommet de la croix vers le sol en formant une grande diagonale accentuée par le linceul immaculé. Même si les postures et les vêtements des autres personnages s’inscrivent dans un jeu de lignes courbes et contre-courbes, la diagonale tracée par la dépouille constitue la véritable ligne de force du tableau. L’espace est rendu par plusieurs éléments : les personnages prennent leur assise sur un sol sombre, derrière eux, la croix et les échelles surplombent un ciel nuageux tandis qu’en retrait, sur la droite, un tronc épais ferme la composition. Une lumière blanche éclaire l’ensemble de la scène en intensifiant la lividité du cadavre et du suaire. Elle met également en valeur la quiétude des visages en recueillement, tout en révélant les plis compliqués des vêtements. Une distinction apparaît, dans le traitement des visages : ceux du tableau de Saint-Maurice semblent peu expressifs, contrairement à ceux de l’estampe. Les graveurs ont sans doute su transmette une caractéristique de l’œuvre religieuse de van Dyck dans lesquelles « le pathos destiné à accroître l’émotion du fidèle (est accentué)»112. Quant aux vêtements, le dessin des drapés paraît plus fluide et nerveux dans la gravure que dans le tableau. Dans celui-ci, les contours des formes semblent, en effet, être marqués de manière accentuée. Certains drapés, notamment ceux des vêtements de saint Jean, paraissent presque être découpés. Cette impression trahit sans aucun doute la mise en place de la composition d’après un modèle.
112
E. Brugerolle, op. cit., p. 31. 35
Par ailleurs, au niveau de l’exécution de ces drapés, un élément nous interpelle. Il s’agit du morceau d’étoffe placé dans l’espace situé entre l’extrémité droite de l’habit rouge de saint Jean, le bas du dos de la Madeleine et la partie inférieure du suaire. Il semblerait que dans cette zone se placent les jambes de Joseph d’Arimathie. Si nous regardons attentivement la gravure, nous devinons le sommet d’une botte. Par contre, si nous nous concentrons sur le tableau nous apercevons un drapé de la même couleur que celui de la Madeleine. L’artiste aurait-il mal interprété son modèle ? Quoi qu’il en soit, la compréhension de ce motif n’est pas aisée.
Figure 23. Botte de Joseph Figure 24. Botte de Joseph d'Arimathie, d'Arimathie, détail de la gravure de détail du tableau de Saint-Maurice. Bartolozzi et Cipriani.
36
2 Une technique reconnaissable Examinons maintenant le pendant de la Descente de croix dont l’iconographie n’est, pour l’instant, pas établie avec précision, afin d’évaluer la ressemblance du travail pictural de chacun de ces tableaux. Dès le premier regard, leur style semble se correspondre : le traitement des visages est semblable, le rendu des drapés est analogue et les couleurs utilisés paraissent pratiquement identiques. Leur technique d’exécution se révèle très proche. Sur le support encollé est appliquée une préparation huileuse, de couleur ocre rouge, en une couche plutôt épaisse. Les tons de fonds sont mis en place au moyen d’une matière picturale couvrante et opaque. Puis une peinture claire et dense apporte des lumières aux modelés tandis qu’une pâte plus fluide est utilisée pour traiter les zones sombres. Un détail s’avère même être pratiquement identique entre les pendants: les mains droites du soldat agenouillé et de la Vierge semblent pour ainsi dire se confondre d’un tableau à l’autre. Au vue de l’ensemble de ces observations, nous pouvons par conséquent affirmer que ces œuvres ont été réalisées par le même artiste.
Figure 26. Main de la Vierge, détail Descente de croix.
Figure 25. Main de saint Maurice, détail, Episode de la vie de saint Maurice.
37
Figure 27. Descente de croix, vue de face avant le traitement de conservation-restauration.
38
Figure 28. Scène non identifiÊe, huile sur toile, 75,3 x 56, 4 cm, basilique de Saint-Maurice.
39
3 Une production locale Maintenant que le style du peintre a été appréhendé, comparonsle avec la technique picturale d’autres tableaux conservés en BasValais. Les bâtiments religieux de cette région renferment de nombreuses œuvres mais, parmi ces édifices, l’église du Châble attire plus particulièrement notre attention. En effet, dans le chœur se trouvent deux tableaux illustrant la Sainte-Cène et l’Adoration des Mages qui, par leur facture, semblent s’apparenter et à la Descente de croix et à son pendant. Plusieurs caractéristiques communes se retrouvent dans le traitement des personnages : les visages sont calmes, rien ne perturbe leur quiétude, quelques touches rouges vivifient les lèvres et les pommettes, les oreilles possèdent de longs lobes, et les avant-bras sont puissants comme ceux de Nicodème et du Mage vêtu de rouge. Le tracé des drapés est également similaire : tout en étant compliqués, les plis ont tendance à être lourds, comme s’ils manquaient de nervosité.
Figure 29. Sebastian Düring, Adoration des Mages, huile sur toile, 111 x 127,5 cm, 1698, église du Châble.
40
Figure 30. Sebastian Düring, Sainte-Cène, huile sur toile, 112 x 127 cm, 1698, église du Châble.
En arrière-plan, la végétation, plutôt rare, est rendue par des touches rapides qui forment de légers empâtements. Si aucune signature n’est visible sur les tableaux du Châble, les recherches menées par Gaëtan Cassina ont permis de les attribuer de manière formelle à Sebastian Düring113. Originaire de Lucerne, sa présence est attestée à Bagnes entre 1695 et 1698114 : « il a d’ailleurs griffonné ses nom, prénom, qualité et origine sur l’ébrasement peint […] d’une fenêtre de la cure, en 1695 »115. Il est également l’auteur d’une Annonciation et d’une Sainte-Cène qui se trouvent dans le chœur arrière du couvent des Capucins à SaintMaurice116. Les tableaux du Châble et ceux du couvent des Capucins portent tous les armoiries des donateurs. Anthoine Devanthéry et son épouse, de Courten, ont offert la Sainte-Cène aux Capucins de Saint-Maurice tandis que l’Annonciation est un don de la famille du Fay117. G. Cassina, « Objets de culte et mobilier du moyen âge au XIXe siècle », dans L’église du Châble, Bagnes, Centre de recherches historiques de Bagnes, 1982, p. 61. 114 Ibid. 115 Ibid. 116 G. Cassina, op. cit., p. 61. 117 Les armoiries ont été identifiées par G. Cassina. 113
41
Quant au curé de Bagnes, François de Fago, et à son vicaire, JeanFrançois Pellissier, ils ont fait présent de l’Adoration des Mages et de la Sainte-Cène à l’église du Châble 118. Il est intéressant de noter que François de Fago, avant d’être le curé de Bagnes, est un chanoine de l’abbaye de Saint-Maurice. Il en deviendra même l’abbé entre 1715 et 1719119. En réalité l’église du Châble fait partie, depuis le XIIe siècle, des possessions de l’abbaye120. Une relation de dépendance lie par conséquent ces deux institutions. Quant à la vie et à la carrière de Sebastian Düring, peu d’informations sont connues. Le dictionnaire Benezit situe sa naissance à Lucerne le 9 octobre 1671 et sa mort, dans cette même ville, le 20 janvier 1723121. Il révèle également qu’il réalise, en 1716, un tableau représentant saint Charles Borromée visitant les victimes de la peste à Milan pour un autel de l’église des Capucines à Schüpfheim122. Il aurait aussi exécuté en 1718 le portrait d’un membre de la famille Göldin123. Il travaille ainsi, au cours de cette période, dans la région de Lucerne. Mais pour quelles raisons séjourne-t-il-donc en Valais à la fin du XVIIe siècle ?
Figure 31. Avant-bras de Nicodème, détail, Descente de croix.
Figure 32. Avant-bras d’un des Mages, détail, Adoration des Mages.
G. Cassina, op. cit., p. 61. J.-E. Tamini, P. Délèze, Nouvel essai de Vallesia Christiana, Saint-Maurice, 1940, pp. 214-215. 120 J.-M. Gard, « Histoire et architecture », dans L’église du Châble, Bagnes, Centre de recherches historiques de Bagnes, 1982, p. 11. 121 E. Benezit, Dictionnaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs, t.3, Paris, Gründ, 1966, p. 445. 122 Ibid. 123 Ibid. 118 119
42
Alors âgé d’une vingtaine d’année, soit il revient d’un séjour d’initiation en Italie, soit il vient directement de Lucerne pour honorer une commande. Comme le village du Châble est niché sur les pentes du Val de Bagnes, il se trouve sur la route du col du Grand-Saint-Bernard, importante voie d’accès entre le nord et le sud des Alpes. Il est possible que Düring se soit rendu en Italie afin de parfaire son apprentissage artistique et qu’au moment de son retour, il se soit attardé en Bas-Valais pour réaliser plusieurs commandes. Mais il est également concevable qu’il soit venu de Lucerne, sans passer par l’Italie. Quoi qu’il en soit, le 23 juin 1696, il assiste à un mariage à Monthey. Le registre de la maison du notaire le mentionne de la manière suivante : « Bastiano Düring pictore lucernensi »124. Ce document nous indique son origine, sa profession, son nom et son prénom sous sa forme latine. Les archives de Bagnes attestent également de sa présence le 22 mai 1697, puis le 28 avril 1698. Elles consignent son nom et prénom ainsi que deux caractéristiques : « Sebastiano Durin Germano »125 et « Sebastiano Durin pictore »126. L’orthographe de son nom de famille varie légèrement et son prénom devient Sebastiano. Il conserve ainsi sa consonance latine. Le 6 avril 1699, Antoine Devanthéry précise, dans son livre de compte, qu’il « doit 120 fl. au Sr Bastien During, après avoir payé pour lui à Sion (à Henri Challamel 110 b., à Mr De Bons 2 écus blancs) »127. Dans ce document son prénom est francisé. Sa présence en Bas-Valais, d’une durée d’environ cinq ans, est ainsi attestée par plusieurs documents et, comme le témoigne les armoiries des tableaux conservés au couvent des Capucins et à l’église du Châble, lors de cette période, il a vraisemblablement dû honorer plusieurs contrats. La Descente de croix et son pendant ne portent, quant à eux, aucune armoirie. Cette absence de blasons n’est pas pour autant surprenante. Elle pourrait même appuyer l’hypothèse que l’abbaye, en tant que congrégation, serait bien à l’origine de cette commande.
Archives de l’État du Valais, AV, AVL 202/3/5 : min. Anthoine Devanthéry, 1692-1699, fo. 16 V°. 125 Archives de Bagnes, AP, Registre de paroisse, mariages, 1691-1827, p. 30. 126 Ibid., p. 36. 127 Archives de l’État du Valais, AV, AV 92/96. 124
43
Figure 33. Figure 8. Sebastian Düring, La Sainte-Cène, huile sur toile, 142,5 x 207,5 cm, 1698, couvent des Capucins de Saint-Maurice.
Bien qu’aucun document ne mentionnant directement ces deux tableaux n’ait été à ce jour découvert, un relevé de quittances en faveur de l’abbaye révèlerait un détail important128. Après l’incendie de 1693, l’Abbé Pierre-François Odet aurait occupé, pendant deux ans, la maison que son frère avait rebâtie. Il aurait logé dans « la grosse sale […] avec une chambre pour son valet […] (et) son peintre » 129. Le peintre n’est pas nommé mais il paraît vraisemblable que ce soit Sebastian Düring puisque sa présence à Bagnes est attestée en 1695, 1697 et 1698. A la suite du sinistre, Düring aurait ainsi été le peintre attaché au service de l’Abbé Odet pendant trois ans. Durant cette période de rénovation et de reconstruction, il paraît dès lors plausible que la Descente de croix et son pendant aient été commandés à l’artiste dans l’intention d’orner une chapelle de l’abbaye.
128 129
44
Ce document a été découvert par Gaëtan Cassina. Archives de l’abbaye de Saint-Maurice, AASM, CHA 69/2/8-5,1.
Conclusion Bien qu’un certain nombre d’incertitudes persiste, la découverte de plusieurs éléments a permis d’établir des liens entre la Descente de croix et son contexte de création. Dans un premier temps, l’étude historique du chœur de la basilique a révélé qu’essentiellement trois sculpteurs ont participé à l’élaboration du décor baroque datant de la première moitié du XVIIIe siècle : Alexandre Mayer a réalisé les stalles, David MathexDoret le maître-autel et Giovanni Battista Bozzo les boiseries ainsi que le trône de célébrant. Si la Descente de croix et son pendant sont aujourd’hui exposées au sommet des lambris du chœur, certains indices suggèrent toutefois qu’initialement ils n’auraient pas été accrochés à cet emplacement. L’analyse stylistique du cadre a d’ailleurs révélée d’étroites similitudes avec le travail de l’atelier d’Hans Heinrich Knecht. Cependant, un doute persiste quant à la destination originelle de ces tableaux. Les recherches iconographiques ont ensuite mis en évidence la source de la composition. Il s’agirait d’une gravure exécutée d’après un panneau de van Dyck. Toutefois, ni le panneau, ni la première série d’estampes n’ayant été retrouvés, seules des gravures plus récentes ont été identifiées. Finalement, l’analyse plastique de l’œuvre a souligné des correspondances notables avec le travail pictural d’un ensemble de tableaux réalisés par Sebastian Düring : l’Adoration des Mages et la Sainte-Cène qui se trouvent dans le chœur de l’église du Châble ainsi que l’Annonciation et la Sainte-Cène conservées dans le chœur arrière du couvent des Capucins à Saint-Maurice. La présence en Bas-Valais de ce peintre originaire de Lucerne est attestée à plusieurs reprises dans les archives de Bagnes et de l’État du Valais entre 1693 et 1698. Ainsi la proximité stylistique entre ces œuvres et les documents historiques constituent-ils un faisceau d’indices nous permettant d’attribuer la Descente de croix et son pendant à Düring.
45
46
Rapport de conservation et restauration Introduction Le rapport de conservation et restauration documente, à la fois par des textes et des images, l’examen de l’œuvre, le diagnostic, l’étude des conditions de conservation, le protocole d’interventions et le traitement130. L’examen de l’œuvre s’intéresse à la matérialité du tableau. Son objectif est l’identification des matériaux qui le composent, l’analyse de la technique d’exécution du peintre et la description de « l’état dans lequel l’œuvre nous est parvenue »131. Le diagnostic, quant à lui, tente d’expliquer les processus de dégradation en jeu. Ceux-ci sont par conséquent analysés individuellement afin d’évaluer le rôle de chacun d’eux. L’étude des conditions de conservation se penche enfin sur l’emplacement et l’accrochage du tableau au sein du lieu d’exposition et mesure les variations hygrométriques de ce dernier. La compilation des observations réalisées au moment de l’examen de l’œuvre, du diagnostic et de l’étude des conditions de conservation permet l’établissement du protocole de conservationrestauration. Ainsi, en fonction des nécessités de l’œuvre, les différentes propositions de traitement à adopter, de manière à respecter l’intégrité historique, esthétique et physique du bien culturel, sont abordées. Finalement, chacune des opérations de conservation-restauration menée sur le tableau est décrite et le résultat obtenu est expliqué. L’objectif de ce travail est de fournir une image aussi précise et complète que possible de l’évolution matérielle de la Descente de croix. Pour ce faire, nous avons choisi de respecter « la chronologie de la structure technique du tableau »132 en adoptant une présentation stratigraphique des observations : nous débutons, de cette manière, par le support pour terminer avec les couches de protection.
Code E.C.C.O : La profession de conservateur-restaurateur – code d’éthique et formation, 2002. Le document est disponible en ligne à l’adresse suivante : http://www.ecco-eu.org/about-e.c.c.o./professional-guidelines.html 131 R.-H. Marijnissen, Dégradation, conservation et restauration de l’œuvre d’art, t.1, Bruxelles, Arcade, 1967, p. 258. 132 R.-H. Marijnissen, Tableaux authentiques, maquillés, faux : l’expertise des tableaux et les méthodes de laboratoire, Bruxelles, Elsevier, 1985, p. 53. 130
47
Figure 34. Revers du tableau. Toutes les mesures sont exprimÊes en centimètre.
48
I Examen de l’œuvre 1 Nature des matériaux constitutifs 1.1 Le châssis Le châssis se compose de « quatre barres de bois qui forment les côtés »133, et qui assurent le maintien du support textile dans le plan. La mise en tension de la toile est donc étroitement liée aux caractéristiques techniques du châssis. Afin de comprendre comment celui-ci a pu influencer le comportement du textile, commençons par le décrire précisément. Dimensions
Il est quadrangulaire : il mesure 75,3 cm en hauteur et 56,4 cm en longueur134. Ces dimensions correspondent-elles à un format standard ? Le Dictionnaire portatif de peinture (…) de Pernety, publié en 1757, mentionne que « les marchands de couleurs vendaient des toiles prêtes à l’emploi, clouées sur châssis et préparées »135. L’auteur dresse également une table de formats qui indique le prix de vente des toiles et leurs dimensions136. Celles-ci sont exprimées dans l’ancien système de mesure de longueur qui « (était régi) par le pied et ses subdivisions, le pouce et la ligne, reliés entre eux par un rapport de 12 »137. Aucune des grandeurs qui figurent dans ce tableau de référence ne correspond à celles de la Descente de croix. Le châssis a vraisemblablement été conçu sur mesure. Il s’insère d’ailleurs avec précision dans son cadre baroque. L’analyse historique du tableau et de son encadrement soutient en outre l’hypothèse qu’ils datent de la même période. Une relation étroite existe ainsi entre ces deux éléments. Tous les montants sont de section rectangulaire : ils ont une largeur de 3,7 cm et une épaisseur de 2 cm.
F. Perego, Dictionnaire des matériaux du peintre, Paris, Belin, 2005, p. 179. La figure 1 indique les différentes mesures effectuées sur le châssis. 135 P. Labreuche, « Correspondances entre les toiles de mesure du XVIII e siècle et les châssis standard actuels », in Indigo, 1996, n° 1, p 12. 136 A.-J. Pernety, Dictionnaire portatif de peinture, sculpture et gravure […], Paris, Bauche, 1757 ; éd. cons. Genève, Minkoff Reprint, 1972, pp. 534-535. 137 P. Labreuche, op. cit., p 12. 133 134
49
Les angles sont assemblés selon une technique qui dérive de l’enfourchement à 90°138. L’assemblage se compose de trois parties : « deux joues et un tenon »139. Les joues mesurent chacune 0,6 cm d’épaisseur et le tenon 0,8 cm. La mise en œuvre de ce système se révèle relativement simple et témoigne de bon sens. Elle nécessite l’utilisation d’une scie qui permet la découpe des trois parties composant l’assemblage, ainsi que l’emploi d’un bédane pour le dégagement de l’enfourchement140.
Assemblage
Ni clou, ni cheville n’entre dans la composition de ce châssis : il n’est pas fixe mais mobile dans le sens vertical. Puisque le jeu des assemblages n’est pas bloqué, les montants dextre et sénestre peuvent coulisser. Mais, en réalité, l’accrochage de la toile maintient les montants fixes. Les barres ne possèdent pas de chanfrein au niveau de la face intérieure de leurs côtés, par contre, l’arrête extérieure du revers est légèrement dégraissée.
Menuiserie
Elles ont probablement été débitées dans un résineux : le bois se révèle léger et son examen au moyen d’un microscope numérique révèle « une structure cellulaire simple et régulière »141. Ces observations matérielles semblent corroborer les remarques de Léonard Defrance rédigées vers 1788. Selon lui, « il faut (…) que le châssis soit tendre »142 afin de faciliter le clouage de la toile et d’éviter ainsi de « le violenter à coups de marteau »143. De plus, comme le précise Pierre Louis Bouvier en 1827, un bois léger est meilleur marché qu’un bois dur, c’est pourquoi les châssis étaient « presque toujours en bois de sapin »144.
Essence
Quatre taquets en bois sont fixés aux châssis chacun par deux semences. Ils font partie du système d’accrochage du cadre au tableau. Celui-ci a probablement été mis en place au cours du XIXe ou du XXe siècle puisque les taquets rotatifs installés sur le cadre sont retenus chacun par une vis industrielle à tête fendue.
Taquets
J. Crochemore, Tous les assemblages du bois et leurs utilisations, Paris, Eyrolles, 1989, réimprimé en 2011, p. 11. 139 Ibid., p. 11. 140 Ibid., p. 12. 141 N. Knut, Manuel de restauration des tableaux, Cologne, Könemann, 1998, p. 14. La structure cellulaire est discernable avec un agrandissement x 100. 142 L. Defrance cité par P. Tomsin, Léonard Defrance. Les broyeurs de couleurs, leur métier et leurs maladies, Liège, Céfal, 2005, p. 50. 143 Ibid. 144 P. L. Bouvier cité par J.-N. Paillot de Montabert, Traité complet de la peinture, t.9, Paris, Delion, 1829-51, p. 141. 138
50
du bois
Figure 35. Revers du tableau avec son cadre. L'ensemble est maintenu au mur à l'aide de deux crochets métalliques fixés par des vis dans le cadre. Ces derniers prennent appui contre la partie supérieure des boiseries du choeur.
51
1.2 Le support textile Le comportement du tissu qui compose le support textile « (dépend) de la nature des fibres qui le constituent, (…) du procédé de filature des fibres, (…) (et) du mode de tissage des fils »145. Quelles sont donc les caractéristiques de la toile ? L’examen au microscope numérique des fils prélevés au niveau des bandes de rabat met en évidence les fibres qui les constituent146. Elles apparaissent torsadées. Cette torsion « (minimise) le jeu du fil lors du mouillage qui le fait vriller »147 et « permet (…) aux fibres courtes de former un fil continu cohérent et résistant »148. Toutes sont orientées en sens Z149. Cette direction délivre un indice sur l’origine des fibres puisque les fils de lin sont généralement orientés dans le sens Z alors que ceux en chanvre sont en S150.
Nature des fibres
Il semblerait que la valeur de torsion des fils prélevés dans le sens horizontal151 soit plus élevée que celle des fils verticaux. Ces derniers se caractérisent en effet par un angle de torsion d’environ 20° alors que celui formé par les fils horizontaux mesure approximativement 35°. Ces évaluations sont à considérer avec beaucoup de recul car les échantillons testés sont réduits et proviennent des bandes de rabat. Leur qualité ne correspond donc peut-être qu’en partie à celle de l’ensemble des fils de la toile. Pour former le tissu, une série longitudinale de fils est entrelacée avec une autre série de fils perpendiculaires. La chaîne désigne l’ensemble des fils parallèles fixés sur le métier à tisser « ayant la longueur de la pièce de tissu »152 alors que la trame est formée par l’ensemble des fils qui sont entrecroisés avec les fils de chaîne dans le sens de la largeur du tissu153.
C. Bergeaud, J.-F. Hulot, A. Roche, La dégradation des peintures sur toile. Méthode d’examen des altérations, Paris, École national du patrimoine, 1997, p. 15. 146 Pour chaque bord, deux fils ont été prélevés et étudiés. 147 F. Perego, op. cit., p. 734. 148 Ibid. 149 Ibid. La légende du schéma des sens de torsion Z et S explique qu’il suffit de retenir que la barre oblique de la lettre passe devant le fil pour en déterminer le sens. 150 Ibid., p. 458. 151 Il s’agit en fait des fils de sens chaîne. 152 I. Brossard, Technologie des textiles, Paris, Duno, 1997, p. 188. 153 Ibid. 145
52
Tissage
Sur le support de la Descente de croix, une lisère est présente à l’extrémité du bord inférieure : il s’agit « (du) groupe de fils de la trame qui terminent les bords en revenant en boucle sur les fils de chaine »154. Puisqu’elle se situe au niveau de la bande de rabat inférieure, les fils de chaîne sont orientés horizontalement alors que les fils de trame sont verticaux. Leur mode d’entrecroisement est simple, « (un fil) passe successivement sur puis sous les fils qu’ (il) croise »155 : c’est une armure toile. De manière générale, 14 fils au centimètre sont dénombrables dans les sens chaîne et trame156. Si au premier abord le tissage paraît homogène, plusieurs irrégularités ponctuelles sont malgré tout discernables : l’épaisseur des fils varie par endroits, certains fils sont sautés et d’autres forment des nœuds. Sur l’ensemble du tissage, peu d’espaces sont visibles entre les fils : la trame est moyenne. Les écarts varient toutefois beaucoup en fonction des zones observées. Tous ces fils sont marqués par une ondulation. Le calcul de l’embuvage permet de la mesurer en établissant « (un) rapport entre la longueur du fil dans le tissu et la longueur initiale »157. Dès lors, les fils de chaîne se distinguent par un embuvage moyen de 10 % alors que celui des fils de trame est de 3 %158. Nous rappelons que ce calcul se fonde sur les données récoltées à partir des échantillons qui proviennent des bords de la toile. Ces pourcentages ne reflètent donc pas forcément une image fidèle et représentative des caractéristiques des fils qui composent l’ensemble de la toile. Ils mettent cependant en avant une tendance : le fil de chaîne est plus ondulé que le fil de trame. Mise en tension de la toile
La toile est fixée au châssis par des pointes rabattues. L’étude de ce clouage et des trous présents dans les bords permet d’en déduire des informations importantes sur la mise en œuvre du tableau au moment de sa création ainsi que sur d’éventuelles interventions postérieures. Commençons par relever le nombre de points d’attache actuels du support textile sur les barres du châssis. On compte : - quatre pointes rabattues sur le montant supérieur,
I. Brossard, op. cit., p. 188. F. Perego, op. cit., p. 732. 156 Ces moyennes sont obtenues par cinq comptages effectués respectivement aux quatre angles et au centre. 157 I. Brossard, op. cit., p. 302. 158 Chacune des deux moyennes est obtenue sur quatre mesures. 154 155
53
Figure 36. Revers avec le relevé des guirlandes de tension ainsi que celui des points d’attache actuels de la toile sur le châssis.
54
Figure 37. Revers avec le relevé des guirlandes de tension. Les flèches rouges schématisent les points d’attaches probablement originaux : elles correspondent aux « sommets » des guirlandes de tension ainsi qu’aux trous observés sur les bandes de rabat.
55
- trois pointes rabattues et une semence sur le montant inférieur, - quatre pointes rabattues sur le montant sénestre, - quatre pointes rabattues sur le montant dextre. Lorsqu’on examine plus attentivement ces bords, on constate que sur le montant supérieur une des pointes rabattue ne maintient plus la toile. La trace d’une ancienne pointe est également discernable sur le montant inférieur. Ces observations soutiennent l’hypothèse que les côtés du support étaient, à un moment donné, fixés chacun par quatre pointes rabattues. Leur espacement était d’environ 20 cm. La semence située sur la barre inférieure aurait été placée ultérieurement, sans doute dans l’intention de remédier à un problème de tension. Par ailleurs, de petits trous sont visibles, à intervalles réguliers, à la limite de la couche picturale : aucune marque dans le châssis ne concorde avec eux et leurs bords ne présentent pas de tache d’oxydation. Ce ne sont, par conséquent, probablement pas les vestiges d’un ancien clouage. Dans ce cas, à quoi correspondentils ? Une guirlande de tension se manifeste sur les quatre côtés du tableau. Son apparition a été « (déterminée) par la force et la durée de la tension exercée (sur la toile) »159 qui a provoqué « des déformations permanentes »160. Ces distorsions surviennent communément lors de la mise en tension du support et sont accentuées lors de son encollage puisque ce dernier agit comme un « agent tenseur »161. Si cette guirlande est considérée comme une succession de plusieurs vagues, leur sommet coïncide alors avec les petits trous évoqués plus haut. Ils seraient de cette façon liés à la mise en tension originelle de la toile puisque, « (le) tissage, (une fois le textile préparé), devient beaucoup moins susceptible de déformations »162 si bien qu’ « une guirlande accentuée ne peut plus apparaître »163.
R.-H. Marijnissen, 1985, p. 77. Ibid., p. 77. 161 P. Garcia, Le métier du peintre, Abrégé d’atelier, Paris, Dessain et Tolra, 1990, p. 34. 162 P. Labreuche, Mémoire de fin d’études à l’Institut français de restauration des œuvres d’art, 1995, p. 66. 163 Ibid., p. 66. 159 160
56
Figure 38. Bande de rabat du montant supĂŠrieur. Les trous sont visibles dans la toile Ă la limite de la couche picturale.
57
Ainsi, la confrontation de l’emplacement de ces trous avec la distribution des guirlandes de tension appuie l’hypothèse que ces derniers seraient liés à la mise en tension originelle de la toile. Le cas échéant, au moment de la mise en œuvre du tableau, le support n’aurait pas été fixé par des pointes rabattues ou des semences sur un châssis mais plutôt tendu au moyen de ficelles sur un bâti provisoire. C’est une fois l’œuvre terminée ou en voie d’achèvement, qu’elle aurait été fixée sur le châssis à l’aide de pointes rabattues. Dès lors, ce système de montage aurait provoqué une déformation particulière de la toile, probablement accentuée au moment de l’encollage. Ces distorsions seraient ainsi apparues lors des premières étapes de la création de l’œuvre. En collaboration avec Madeleine Meyer et Gisèle Carron164, plusieurs tableaux datant des XVIIe et XVIIIe siècles et présentant les mêmes caractéristiques ont été retrouvés. La conservationrestauration d’un portrait réalisé par Joseph Rabiato en 1773 a même révélé le fil ayant servi au laçage original de la toile165.
Figure 39. Jan Miense Molenaer, L’atelier de l’artiste, peinture à l'huile sur toile, 1631, Staatliche Museen, Berlin.
Madeleine Meyer et Gisèle Carron sont conservatrices-restauratrices et travaillent en Valais depuis plusieurs années. 165 Si ce procédé a encore peu été étudié, son analyse détaillée permettrait non seulement d’approfondir nos connaissances au niveau des techniques d’ateliers mais elle pourrait également donner des renseignements importants au sujet des traitements portant sur les supports textiles. 164
58
Laçage de la toile sur un bâti
1.3 La couche picturale La couche picturale d’un tableau est généralement formée par plusieurs strates superposées. L’artiste a mis en place une structure complexe qui témoigne de son métier et de son style. Afin de tenter de comprendre les différentes étapes d’exécution de l’œuvre et les intentions de son auteur, étudions maintenant cette stratigraphie. Encollage
Les pertes localisées de matière picturale révèlent le tissage de la toile. L’observation des fils à l’aide d’un microscope numérique, met en évidence l’encollage : les fibres du tissu paraissent en effet enrobées de cristaux166. Lorsqu’une goutte d’eau est déposée sur eux, elle est absorbée rapidement et un léger gonflement des fils et des cristaux est perceptible. Cette observation dévoile le comportement hygroscopique de l’encollage et de la toile ainsi que leur degré de perméabilité. Les cristaux témoignent donc probablement d’un encollage traditionnel. Celui-ci remplit d’ailleurs des fonctions importantes puisqu’il « limite l’absorbance du support (…) (,) crée une couche d’accrochage (…) entre (ce dernier) et le revêtement à venir »167 et permet de « maîtriser la tension des (toiles)»168. Compte tenu de son intérêt et vu que des traces ont été retrouvées autour des fils, la toile a sans aucun doute été encollée. L’encollage traditionnel se compose de colle de peau de lapin. Ses propriétés adhésives sont engendrées par la structure chimique du collagène qu’elle renferme. Le collagène est constitué de longues molécules de protéine composées d’acides aminés naturels qui sont reliés en une séquence spécifique par des liaisons covalentes169. Ce sont ces molécules formant de triples hélices, qui confèrent au collagène ses facultés170. Il est insoluble dans l’eau froide mais se transforme en un gel plus ou moins visqueux lorsque l’eau est chaude. Ce processus de gélification est décisif puisqu’il détermine les performances de la colle obtenue. La température recommandée se situe en général aux environs de 55-63°C171. Une température excessive aurait pour effet de détruire une partie des molécules hélicoïdales172. Ils sont visibles avec un agrandissement 50x. F. Perego, op. cit., p. 274. 168 P. Garcia, op. cit., p. 31. 169 N. C. Schellman, « Animal glues : a review of their key properties relevant to conservation », Reviews in conservation, n° 8, 2007, p. 56. 170 Ibid. 171 Ibid. 172 Ibid. 166 167
59
En général, la colle de peau de lapin se trouvait sous forme de plaque pesant 100 g. Elle était mise à gonfler dans 1L d’eau froide pendant une nuit puis chauffée au bain-marie et appliquée, encore chaude, sur la toile. Sa concentration se situait donc aux alentours de 9 %. Quant à la préparation, elle est visible à plusieurs endroits : elle apparaît en réserve à la périphérie de la couche picturale, et des traces sont clairement discernables sur les bandes de rabat. Elle est colorée. Sa teinte, plutôt sombre, se situe entre les terres de Sienne brûlées et les ocres rouges. Ce type de coloration a fréquemment été utilisé « à partir du milieu du XVIe siècle » 173. En effet, un grand nombre de peintres appliquèrent alors des « préparations relativement foncées, rouges, brunes et même d’un noir brunâtre »174. Mais à quelles fins répondent-elles ? Traditionnellement, « la préparation est une couche protectrice et préparatoire du support qui le rend apte à recevoir la peinture »175. Elle exerce ainsi « un rôle mécanique »176 étant donné qu’ « elle permet au support de devenir un subjectile en aplanissant les irrégularités de surface, en servant d’isolant et en évitant les interactions entre (…) (la) toile et (les) couches de couleur»177. Parallèlement, elle peut également remplir « une fonction esthétique fondamentale »178 puisque « la couleur (qu’elle) donne (…) au support (permettrait) au peintre de contrôler la tonalité et les nuances de son tableau à tous les stades de l’exécution »179. La façon dont elle a été appliquée peut également avoir « des effets sensibles (…) sur la texture (…) du tableau achevé »180. Lorsqu’on observe attentivement cette préparation rouge sombre, on constate qu’elle forme une couche plutôt épaisse sur l’ensemble de l’œuvre. Des stries apparaissent dans les parties les moins écaillées : ce détail indique qu’elle a été appliquée au pinceau de manière à laisser apparent les coups de la brosse.
P. Hendy, A. S. Lucas, « La préparation des peintures », in Museum, Vol. 21, n° 4, 1968, p 246. 174 Ibid., pp. 246-247. 175 G. Émile-Mâle, Restauration des peintures de Chevalet, Fribourg, Office du Livre, Troisième édition, 1986, p. 41. 176 Ibid. 177 Ibid. 178 R.-H Marijnissen, 1985 p. 79. 179 P. Hendy, A. S. Lucas, op. cit., p. 245. 180 Ibid. 173
60
Préparation
Sa nature est lipidique. Ce type de couches préparatoires est d’ordinaire élaboré à partir « de carbonate basique de plomb, parfois mêlé à d’autres matières de charge, et dilué dans de l’huile de lin ou dans un autre siccatif »181. Dans la majorité des cas, les charges qui la composent sont constituées de matériaux peu coûteux182 : « les ateliers de peinture pouvaient (même) recycler des résidus de palettes pour composer les enduits »183. Couche colorée
La présence de cette préparation foncée et épaisse a imposé à l’artiste d’appliquer une matière picturale couvrante et opaque. Il a alors utilisé « une peinture claire et dense pour rendre le modelé dans les zones lumineuses »184 et une pâte plus fluide pour traiter les ombres. Toutefois, avant d’appliquer ces couches de peinture, l’artiste a nécessairement mis en place le dessin de la composition sur la préparation rouge. L’analyse iconographique du tableau a en effet révélé qu’une gravure a probablement servi de modèle au peintre. Si ni la loupe binoculaire, ni la lumière infrarouge n’ont dévoilé les traces d’un dessin préparatoire, il est vraisemblable que celui-ci ait été réalisé à la craie ou au lavis. D’une manière générale, la couche colorée est plutôt fine. Elle a été posée en pleine pâte. Son application a été modulée au regard des éléments représentés : les visages ont été lissés, la fourrure du manteau de Joseph d’Arimathie a été traitée avec de fines touches, tandis que le feuillage a été rendu par de légers empâtements. En ce qui concerne la palette, bien que les couleurs soient vives et franches, elle paraît relativement réduite. Mais étant donné qu’aucune analyse scientifique n’a été effectuée, la détermination de la nature des pigments utilisés repose sur des hypothèses historiques et qualitatives. Nous proposons la liste suivante : -
Blanc de plomb ; Terres d’origines diverses ; Ocres jaune et rouge ; Rouge de cinabre ; Bleu azurite ; Vert de chrome ; Noir de fumée.
P. Hendy, A. S. Lucas, op. cit., p. 245. K. Groen, « Scannig electron-microscopy as an aid in the study of blanching », in The bulletin of the Hamilton Kerr Institute, n° 1, 1988, p. 50-51. 183 P. Labreuche, Paris, capitale de la toile à peindre, XVIII e-XIXe siècle., Paris, Comité Des Travaux Historiques et Scientifiques – Institut National d’Histoire de l’Art, 2011, p. 54. 184 P. Hendy, A. S. Lucas, op. cit., p. 247. 181 182
61
1.4 Les couches de protection Le vernis forme la dernière couche de la stratigraphie du tableau. Son intérêt est double puisqu’il exerce une fonction de protection et joue un rôle esthétique. Ces qualités sont déjà évoquées par Jean Félix Watin qui précise dans son traité L’art du peintre, doreur, vernisseur, publié en 1772, que « le vernis doit réunir l’éclat et la solidité (…) » 185. Dans cette optique, le double rôle du film de vernis se manifeste à la fois dans la protection de la couche picturale qu’il offre à l’égard des attaques du milieu ambiant et dans les modifications optiques qu’il provoque au niveau de la surface sur laquelle il est appliqué. Pour répondre à ces exigences, plusieurs recettes ont été développées au cours des siècles mais toutes sont établies sur le même principe qui permet l’application du vernis sous forme liquide afin d’obtenir, après durcissement, une fine pellicule translucide.186 La présence de ce film peut être mise en évidence par les rayons ultraviolets : ils excitent les molécules constituant le vernis qui émettent alors des radiations sous forme de fluorescence dont l’aspect plus ou moins coloré varie en fonction de la nature des matériaux examinés et de leur état de conservation187. Lorsque le vernis de la Descente de croix est observé sous un éclairage UV, il arbore une légère fluorescence d’un vert laiteux qui suggère l’identification d’une résine naturelle. La mise en œuvre de ce type de substances remonte au tournant du XVIe siècle188. Plusieurs auteurs anciens dont Giovanni Battista Armeni189 évoquent la préparation d’un vernis « à partir de résines naturelles simplement dissoutes dans un des solvants dont on disposait alors, alcool, essence de térébenthine, huile d’aspic, naphte »190.
J. F. Watin, L’Art du peintre, doreur, vernisseur, Paris, 1772 ; 2e éd. Grangé et Durand, 1773 ; rééd. Paris, Laget, 1975, pp. 187-188. 186 F. Perego , op. cit., p. 749. 187 B. H. Stuart., Analytical techniques in materials conservation, Chichester, John Wiley & Sons Ltd, 2007, p. 75. 188 J. Petit, J. Roire, H. Valot, Des liants et des couleurs, Paris, Erec, 2006, p. 360. 189 G. B. Armeni, Dei veri precetti della pittura, Ravenne, 1587. 190 J. Petit, J. Roire, H. Valot, op. cit., p. 360. 185
62
La variété des résines utilisées se révèle très importante et cette gamme semble encore s’étendre au cours du XVIIIe siècle191. Toutefois, les plus accessible étaient vraisemblablement « la sandaraque, la colophane, la résine issue de la térébenthine de Venise ou celle-ci entière et le mastic »192. La résine dammar, quant à elle, n’apparaît qu’au milieu du XIXe siècle193. L’étude du tableau sous rayonnement ultraviolet révèle également des anomalies de l’état de surface qui seront examinées dans le constat d’état de la couche protectrice. Dès lors, l’observation minutieuse de la pellicule de vernis décèlera des indices qui permettront d’évaluer l’ancienneté de ce film et d’estimer, peut-être, son caractère originel ou non.
Figure 40. Détail de la partie centrale du tableau.
F. Perego, op. cit., p. 750. J. Petit, J. Roire, H. Valot, op. cit., p. 360. 193 Ibid. 191 192
63
2 Constat d’état 2.1 Le châssis L’assemblage à enfourchement a perdu de sa rigidité : les montants ne sont plus maintenus dans le même plan, ils ont pris du jeu. Cet affaiblissement se traduit par une fragilisation du châssis qui remet en question le rôle fonctionnel qu’il occupe dans la composition du tableau.
Altérations mécaniques
Des trous d’envol d’insectes xylophages sont visibles au revers de tous les montants. D’une manière générale, ils sont peu nombreux mais le réseau de galeries créé a provoqué « un effondrement localisé de structures stratifiées »194 au niveau de l’arrête intérieure de la barre inférieure. Même si peu de trous sont actuellement visibles, il est possible que la vermoulure soit plus étendue puisqu’« il peut arriver qu’un bois soit déjà gravement rongé avant qu’on ne s’en aperçoive »195.
Altérations biologiques
Figure 41. Montant inférieur du châssis. Un effondrement des structures fibreuses est localisée sur l'arrête intérieure du montant. Les galeries creusées par les insectes xylophages sont visibles.
194 195
64
R.-H Marijnissen, 1967, p. 123. Ibid., p. 122.
2.2 Le support textile Altérations Étant donné que le support textile est constitué de fibres naturelles mécaniques hygroscopiques, ses mouvements sont influencés par les fluctuations du degré hygrométrique de l’air ambiant. Quand un tissu n’est pas préparé, « (ses) fibres absorbent l’humidité de l’air, gonflent, deviennent plus épaisses et plus courtes »196. En revanche, du moment où la toile est encollée et préparée, en dessous de 80% d’humidité relative, une augmentation de l’humidité entraîne un gonflement de la colle qui « écarte » les fibres de la toile et provoque de la sorte un allongement du support197. Ces variations dimensionnelles ont compromis la tension du support : la toile s’est détendue. Comme le châssis n’avait pas été biseauté, lorsqu’elle s’est affaissée, les montants lui ont imprimé leurs contours. Ce relâchement a également engendré la formation de vagues en périphérie et a produit un pli important situé à la limite de la bordure inférieure du tableau. Dans cette zone, et plus précisément dans l’angle sénestre, comme la toile n’était plus fixée au châssis, elle a subi un phénomène de retrait. Son amplitude est d’environ 1,5 cm. Altérations chimiques
Les pointes rabattues qui assurent normalement le maintien de la toile sur le châssis ont déclenché un processus d’oxydation des fils : étant donné qu’elles sont en fer, celui-ci a agi comme un catalyseur de l’oxydation des fibres textiles. Dès lors, les parties de toile en contact avec les pointes en fer ont été mangées et leur couleur s’est altérée.
Altérations biologiques
Ni moisissures, ni traces d’insectes ne sont observables. Une fine pellicule de poussière grise recouvre le revers du tableau. Elle forme des agrégats derrière le montant inférieur.
Interventions Aucun travail précédent de conservation du support textile n’est antérieures actuellement visible.
N. Knut, op. cit, p. 83. G. Hedley, « Relative humidity and the stress/strain response of canvas paintings : uniaxial measurements of naturally aged samples », Studies in Conservation, Vol. 33, 1988, pp. 133-148. 196 197
65
Figure 42. Face du tableau en lumière rasante (le faisceau lumineux provient de la droite). L'éclairage en lumière tangentielle met en évidence le réseau de craquelures en cuvettes, le phénomène d'écaillage et les déformations du support textile.
66
Figure 43. Face du tableau sous rayonnement ultraviolet. Le vernis souffre d’un manque d’homogénéité et apparaît légèrement laiteux.
67
2.3 La couche picturale D’une manière générale, un réseau de craquelures « d’âge » s’est développé sur l’ensemble de l’œuvre. Il est le résultat du vieillissement chimique de la couche picturale : l’oxygène présent dans l’air, les variations hygrométriques et le rayonnement ultraviolet en transforment la structure chimique198. Dès lors, si l’état d’équilibre au sein de la peinture est rompu, en d’autres termes, si les contraintes dans le film surpassent sa résistance, les conditions sont favorables à l’apparition d’un réseau de craquelures199.
Altérations mécaniques
Les barres du châssis ont provoqué des marques et une modification du réseau de craquelures : il est moins prononcé sur la largeur du montant car « le bois (a joué) le rôle de matériau tampon »200. Par contre, dans ces zones, des craquelures engendrées par le clouage de la toile sont visibles. Par ailleurs, aux emplacements qui correspondent probablement aux zones contenant du blanc de plomb, pratiquement aucune craquelure n’est visible. En effet, les éléments clairs de la composition tels que les parties éclairées du corps du Christ, son perizonium, son linceul et les manteaux verts, présentent un état de surface continu et plan. C’est la lumière rasante qui permet de prendre conscience de l’état de la couche picturale en soulignant les aspérités de la surface et en accentuant les moindres reliefs.201 Cet éclairage met en évidence un phénomène d’écaillage présent plus particulièrement dans les couleurs sombres. Les îlots de matière picturale se sont déformés à leur périphérie pour former des cuvettes. Localement, leur développement a occasionné l’apparition de petites lacunes. La déformation de la toile a engendré des pertes de matière picturale. Elles se situent principalement dans la partie inférieure du tableau, lieu où le support est le plus déformé. Ces accidents indiquent que la couche picturale était trop rigide pour pouvoir se déformer et suivre les mouvements du textile.
L. Pauchard, V. Lazarus, « Craquelures dans les couches picturales des peintures d’art », in Reflets de la Physique, n°3, 2007, p. 6. 199 A. Roche, op. cit., p. 135. 200 F. Perego, op. cit., p. 128. 201 M. Hours, Analyse scientifique et conservation des peintures, Fribourg, Office du Livre, 1976, Rééd. 1986, pp. 20-21. 198
68
Altérations physiques
2.4 Les couche de protection Interventions antérieures
La couche de vernis n’est pas homogène. Des zones semblent avoir subi des tentatives de nettoyage. Il est vraisemblable que ce soit cette opération qui ait fait apparaitre les agrégats de résines visibles actuellement.
Altérations chimiques
La surface du tableau est fortement encrassée. Les particules de saleté sont logées dans les interstices des craquelures. Les dépôts présents sur la surface forment une couche brunâtre qui atténue les contrastes de l’image et en modifie les couleurs. Des souillures d’insectes sont également discernables et contribuent à l’encrassement de l’œuvre. Elles forment des taches sombres disgracieuses.
Figure 44. Détail de la partie inférieure du tableau. Les couleurs sombres sont divisées en îlots qui forment une surface concave et qui, par endroits, ont donné lieu à des pertes de matière. Les couleurs claires sont quant à elle peu déformées.
69
Figure 45. Cartographie des principales altĂŠrations de la couche picturale.
70
II Diagnostic L’examen de l’œuvre, en évaluant la fonction structurelle ou esthétique des matériaux constitutifs et en analysant leur état de conservation, a permis de déceler les altérations dont souffre la Descente de croix. Les facteurs principaux ayant une action sur la transformation des matériaux et sur leur vieillissement sont la température, l’humidité, la lumière, la qualité de l’air et le conservateur-restaurateur202. Les causes de dégradations paraissent donc diverses. Pour comprendre leurs conséquences actuelles et futures sur la conservation et l’aspect du tableau, analysons leurs origines et leurs mécanismes. Comme l’œuvre est exposée dans le chœur d’une église dont les conditions climatiques fluctuent en fonction des jours et des saisons203, les variations thermo-hygrométriques s’enchaînent de manière cyclique. Cette succession de périodes humides, froides, sèches ou chaudes provoquent la déformation et la fatigue des matériaux constitutifs204. Effets de la température
Lorsque la température s’élève, la plupart des solides se dilatent. Cette augmentation de volume varie en fonction du coefficient de dilatation thermique des matériaux. Une hausse de 2 à 3° C provoque déjà l’expansion d’une couche picturale épaisse et dure205. Si elle était libre, la matière se dilaterait dans toutes les directions, mais vu qu’elle est maintenue par un support rigide, l’accroissement de volume s’effectue en majorité dans le sens opposé206. Cette dilatation du film de peinture contribue cependant à « écarter » ou « desserrer » la toile de façon à en soulager les contraintes et à engendrer ainsi une diminution de la tension207. À l’inverse, lors d’un refroidissement, la couche picturale tente de se contracter, des tensions apparaissent alors dans le film208.
S. Lorusso, M. Marabelli, G. Viviano, Pollution de l’environnement et impact sur les biens culturels, Puteaux, Erec, 1999, p.87. 203 Un thermo-hygromètre enregistreur a été installé pour évaluer les variations climatiques. Les données récoltées sont présentées et interprétées pp.77-78. 204 J.F. Hulot, A. Roche, « Dispositif de montage des toiles peintes, interventions préventives », in Science et Technologie de la Conservation et de la Restauration, N°3, septembre 1993, p. 74. 205 G. Berger, W. Russell, « Interaction between canvas and paint film in response to environmental changes », in Studies in Conservation, Vol. 39, 1994, p.77. 206 Ibid., p. 78. 207 Ibid., p. 77. 208 Ibid., p. 78. 202
71
Les changements du taux d’humidité relative affectent l’ensemble de la stratigraphie du tableau. Lorsque le taux est inférieur à 80 %, la tension de la toile s’accroît avec une baisse de l’humidité relative et diminue avec une hausse de l’humidité relative209. « Audessus de ce taux de 80%, l’inverse se produit »210. Ce comportement est déterminé par « (les) diverses techniques employées pour la fabrication, la torsion et le filage des fibres »211 qui constituent le textile.
Effets de l’humidité relative
Chaque extension du support, engendrée par les changements répétés de température et d’humidité relative, conduit à une perte progressive de la tension initiale212. La toile devenue lâche ne fournit plus un soutien rigide à la peinture : les contractions et les dilatations de la couche picturale insuffisamment maintenue, déclenchent l’apparition de nouvelles tensions au sein de la stratigraphie213. À ces tensions causées par des sollicitations externes, s’ajoutent les tensions internes originelles apparues au moment de la solidification du film de peinture214. Comme l’huile réticule d’abord superficiellement, le processus de durcissement ne se produit pas de manière homogène215. Ainsi, « les contraintes en surface sont en général supérieures aux contraintes en profondeur »216. L’accumulation de ces tensions menaçant l’intégrité physique de l’œuvre, a déclenché une succession d’altérations. Le cycle des variations climatiques a participé à l’affaiblissement de la rigidité du support-toile. Celui-ci n’a pu contenir les mouvements de la couche picturale, un réseau de craquelures mécaniques s’est par conséquent formé. Dans l’angle inférieur sénestre, la toile, en plus d’être lâche, n’était plus fixée au châssis : une déformation et un léger retrait ont de ce fait été occasionnés. Les tensions apparues dans ces conditions ont localement provoqué une désolidarisation de la couche picturale par rapport à son support ainsi que des soulèvements de matière qui ont donné lieu à des pertes d’écailles. Les lacunes se situent en majorité à l’endroit où la déformation du textile est la plus forte : le film de peinture n’a pu suivre l’amplitude des mouvements du support. G. Hedley, op. cit., p.148. Ibid. 211 S. Lorusso, M. Marabelli, G. Viviano, op. cit., p. 144. 212 G. Berger, A. Russel, op. cit., p. 82. 213 Ibid. 214 G. Delcroix, M. Havel, op. cit., p. 265. 215 A. Roche, op. cit., p. 117. 216 Ibid., p. 118. 209 210
72
Altérations d’origine physique
Parallèlement, le réseau de craquelures situé dans les zones sombres du tableau forme maintenant des écailles dont les bords tendent à se redresser. L’origine de ces cuvettes réside probablement dans la propriété qu’ont certains pigments à être pénétrés par la vapeur d’eau présente dans l’air217. La perméabilité des couleurs varie notamment en fonction de la concentration volumique pigmentaire, de la granulométrie et de la forme des particules. Souvent, le broyage des terres paraît plutôt grossier et les granules sont assez irrégulières. La prise d’huile de ces pigments s’avère donc importante218. Si ces couleurs contiennent en plus des minéraux argileux, leur sensibilité à l’humidité est accrue.
Figure 46. Visage du Christ, détail en lumière rasante.
V. Schaible, « Réflexions sur la formation de cuvettes à la surface des peintures sur toile » 9e réunion triennale du comité de l’ICOM pour la conservation, Dresde, 26-31 août 1990, pp. 141-142. 218 N. Knut, op. cit., p. 272. 217
73
Les films de peinture contenant des terres se révèlent ainsi relativement perméables à la vapeur d’eau, c’est pourquoi les cuvettes sont essentiellement localisées dans les zones sombres de la couche picturale. Elles influent de manière importante sur l’état de surface du tableau puisque les bords des écailles concaves réfléchissent la lumière au point de rendre difficile la lecture des motifs présents dans les zones foncées. L’éclairage contribue également au processus de vieillissement des matériaux. Les rayons infrarouges dégagent de la chaleur et affectent, de la sorte, le taux d’humidité relative de l’air219. Quant aux rayons ultraviolets, ils déclenchent, par leur énergie, des réactions photochimiques sur les matériaux organiques220.
Effets de la lumière
Par ailleurs, comme le tableau est conservé à l’intérieur d’un édifice religieux, il subit les effets des polluants atmosphériques internes issus en majorité des systèmes de chauffage, de la combustion des cierges et de l’encens, auxquels s’ajoutent les polluants externes résultants principalement des industries et des véhicules à moteur. Ces polluants peuvent interagir avec les matériaux constitutifs de l’œuvre et augmenter ainsi leur vitesse de détérioration221.
Effets de la pollution de l’air
De manière générale, la lumière et la pollution atmosphérique accroissent le processus de vieillissement de la couche picturale. Les rayons ultraviolets transforment la structure chimique des vernis « (en créant) des groupes chromophores dont les queues d’absorption peuvent être actives au-delà de la zone du rayonnement ultraviolet et s’étendre dans le bleu »222. Le film de vernis apparaît alors jaunâtre voire brunâtre.
Altérations d’origine chimique
Cette modification de tonalité résulte d’un processus de vieillissement naturel et confère à l’œuvre sa patine, témoin de son histoire. L’examen de la Descente de croix a cependant mis en évidence une pellicule de vernis discontinue formant des amas de résines sombres et disgracieux.
A. Levillain, La conservation préventive des collections : fiches pratiques à l’usage des personnels des musées, Dijon, Office de coopération et d’information muséographique, 2002, p. 16. 220 Ibid. 221 S. Lorusso, M. Marabelli, G. Viviano, op. cit., p. 107. 222 M. Thoury, Identification non-destructive des vernis des œuvres d’art par fluorescence UV, Thèse de doctorat-Université Pierre et Marie Curie, Paris, 2006, p. 15. 219
74
D’autre part, une couche de crasse recouvre le tableau et en obscurcit la gamme chromatique. L’encrassement dépend, entre autres, de l’état de surface de la couche picturale et de la quantité de polluants présents dans l’atmosphère. Parmi ces aérosols, les oxydes de soufre, d’azote et l’ozone sont potentiellement les plus dommageables pour une peinture : ils peuvent causer une fragilisation des matériaux et un palissement ou un changement de couleur223. Comme le vernis de la Descente de croix ne forme pas un film homogène mais plutôt une succession d’agglomérats, le rôle protecteur qu’il assure normalement envers la couche picturale n’est plus garanti. Celle-ci subit par conséquent les effets de la pollution de l’air de façon plus ou moins directe. Altérations L’état irrégulier de la pellicule de vernis est probablement le causées par le résultat d’un précédent traitement d’ordre esthétique. Ne restaurateur disposant d’aucun document mentionnant une restauration antérieure, il est difficile d’en déterminer la date. Il paraît en revanche vraisemblable que ce soit au moment de cette restauration qu’une partie des glacis posés sur le vêtement vert de saint Jean ait été arrachée. Ce nettoyage invasif a certainement été réalisé au moyen d’un produit ammoniaqué. Exigences de Ainsi, plusieurs éléments perturbent actuellement les qualités conservation et esthétiques du tableau : l’encrassement obscurcit l’ensemble de restauration l’œuvre et les résidus de vernis forment des taches sombres et irrégulières. Ces deux phénomènes se manifestent par un assombrissement et une modification générale de la tonalité du tableau. En outre, certaines zones de la couche picturale se soulèvent et, par endroits, des pertes d’écailles sont déjà notables. L’adhérence de la couche picturale est donc défaillante. Comme il s’agit d’un phénomène évolutif, il doit être stoppé car la formation de lacunes « est le préjudice le plus grave que l’œuvre puisse subir puisqu’il y a disparition de matière originale »224.
223 224
S. Lorusso, M. Marabelli, G. Viviano, op. cit., p. 124. A. Roche, op. cit., p. 149. 75
Figure 47. Plan de la basilique et des bâtiments de l'abbaye.
76
III Évaluation des conditions de conservation Lieu de conservation
Le tracé géométrique de l’abside de l’église abbatiale suit un plan demi-octogonal. La Descente de croix se trouve contre la paroi sudouest qui borde le maître-autel orienté en direction du sud-est. Ce mur porteur n’est pas en contact direct avec l’extérieur puisque derrière se situe la sacristie. Il se divise en deux parties : des lambris sont plaqués à sa base alors qu’un enduit recouvre la section supérieure. Les deux tiers inférieurs du tableau reposent contre les boiseries tandis que le sommet déborde sur le revêtement blanc.
Mode d’accrochage
Le tableau est maintenu dans sa bordure à l’aide d’un système de taquets : un morceau de bois est fixé au châssis alors qu’un autre, vissé dans le cadre en vis-à-vis, est orientable. L’ensemble est suspendu au mur par deux crochets métalliques montés sur l’encadrement. Ceux-ci prennent appui contre la partie supérieure des lambris de manière à créer un espace d’environ cinq centimètres entre le revers du tableau et les boiseries.
Étude des conditions climatiques
Afin d’évaluer l’environnement climatique du chœur de la basilique, un thermo-hygromètre enregistreur y a été installé225. Pour que les mesures recueillies reflètent précisément les conditions auxquelles le tableau est exposé, le capteur a été mis en place à l’emplacement qu’occupe normalement l’œuvre au sommet des lambris, à une distance de cinq centimètres du mur. Ainsi, de manière à caractériser l’ensemble des phénomènes climatiques, l’étude est conduite sur une année. Les données sont récoltées toutes les quinze minutes par le capteur. Elles sont ensuite organisées dans des graphiques mettant en évidence les variations de température, d’humidité relative ainsi que le point de rosée. Pour faciliter la compréhension de ces graphiques, nous avons choisi d’en présenter six : les deux premiers mettent en évidence les conditions climatiques sur trois mois, les deux autres sur une semaine et les deux derniers sur un jour.
Il s’agit de l’appareil commercialisé par la maison Conrad sous le nom de Thermo-hygromètre KlimaLogg Pro®. 225
77
100 90 80 70 60 50 40 30 20 10 0 oct.13
nov.13
déc.13
janv.14
févr.14
mars.14
100 90 80 70 60 50 40
30 20 10 0
100
90 80
70 60
50 40
30 20
10 0 30.09.13
01.10.13
02.10.13
Humidité relative
78
03.10.13
04.10.13
Température
05.10.13
06.10.13
Point de rosée
100 90 80 70 60 50 40 30 20 10 0 02.12.13
03.12.13
04.12.13
05.12.13
06.12.13
07.12.13
08.12.13
100 90 80 70 60 50 40 30 20 10 0 00:00
03:00
06:00
09:00
12:00 25.09.13
15:00
18:00
21:00
00:00
03:00
06:00
09:00
12:00 29.01.14
15:00
18:00
21:00
00:00
100 90
80 70 60 50 40 30 20 10 0 00:00
Humidité relative
Température
Point de rosée
79
Le relevé des conditions thermo-hygrométriques du chœur dévoile des phénomènes climatiques qui fluctuent en fonction des saisons. Deux états se distinguent. De mai à octobre, la température et le taux d’humidité relative s’avèrent stable. Leurs valeurs se situent respectivement entre de 18 et 20° C et entre 60 et 70 %.
Variations saisonnières
En revanche à partir de la fin du mois d’octobre et jusqu’au mois d’avril, si la température avoisine toujours les 18 à 20° C, l’humidité se trouve quant à elle comprise entre 35 et 50 %. La basilique actuelle a été construite à proximité d’une grande paroi rocheuse qui domine la ville. Plusieurs sources issues de cette falaise traversent les fondations des différents bâtiments de l’abbaye. La présence d’eau souterraine à proximité de l’église contribue probablement à créer une ambiance plutôt humide, cependant aucune trace de remontée capillaire n’a été décelée sur les murs du chœur. Par ailleurs, bien que le taux d’humidité relative dépasse occasionnellement les 70%, ni moisissures ni champignons n’ont été observés. En revanche des larves d’insectes ont été retrouvées. Ainsi, de la fin du printemps jusqu’à la mi-automne, les conditions thermo-hygrométriques du chœur se trouvent dans un état d’équilibre. Cette situation stable est rompue aux environs du 15 octobre lorsque le chauffage se met en route. En effet, le chœur a été équipé d’un chauffage central en 2004 dont le thermostat est réglé sur 18° C. Outre ce chauffage central, deux fois par jour, de l’air chaud est propulsé du fond de la basilique en direction du chœur. Ce système a été installé de manière à augmenter la température de l’église au moment où les chanoines se réunissent pour la prière, une fois à six heures du matin et l’autre à dix-huit heures. Cette élévation de la température provoque une chute d’environ 8 % du taux d’humidité relative. Même si du point de vue de la conservation des objets, cet apport d’air chaud participe certainement au processus de vieillissement des objets conservés dans la basilique, nous ne pouvons décemment pas demander aux chanoines d’y renoncer. Nous devons dès lors mettre au point, au moment de l’établissement du protocole de conservation-restauration du tableau, des stratégies qui limiteraient l’influence de ce phénomène.
80
Variations journalières
IV Protocole de conservation-restauration Dans un premier temps, l’examen de la Descente de croix a évalué la nature des matériaux constitutifs du tableau et en a décrit les altérations. Puis, le diagnostic a mis en évidence les phénomènes de dégradation qui affectent l’œuvre en tentant d’expliquer leur processus. L’étude des conditions de conservation a ensuite présenté l’environnement climatique du lieu d’exposition et à présent, la réunion de l’ensemble de ces informations permet l’établissement du protocole de conservation-restauration. Afin de prendre en compte la totalité des paramètres dans la mise en place de ce protocole, les opérations de conservation sont abordées dans un premier temps, puis le traitement de restauration est envisagé.
1. Opérations de conservation « La conservation curative consiste principalement à intervenir directement sur le bien culturel dans le but d’en retarder l’altération »226. Dès lors, au regard des exigences de conservation de la Descente de croix, les opérations s’organiseront selon quatre problématiques principales : -
Le nettoyage227 ; Le rétablissement de la planéité ; Le rétablissement de l’adhérence ; Le montage de la toile sur le châssis.
1.1 Nettoyage Le nettoyage de la couche picturale peut se dérouler en différentes phases : un dépoussiérage à sec pour ôter les impuretés superficielles, un décrassage aqueux pour éliminer les résidus gras, un allègement ou une suppression des vernis et, en fonction des circonstances, une élimination ou non des repeints ainsi qu’un assainissement des mastics anciens.
Code E.C.C.O : La profession de conservateur-restaurateur – code d’éthique et formation, 2002. 227 Le nettoyage d’un tableau peut suivant les cas de figures relevés du domaine de la conservation ou de la restauration. En ce qui concerne la Descente de croix, il semblerait que cette opération relève à la fois de la conservation curative et de la restauration c’est pourquoi nous avons choisi de la traitée dans cette partie. 226
81
Mais à quel moment du traitement ces opérations doivent-elles être envisagées ? Seront-elles conduites avant ou après les interventions sur le support ? L’examen de l’état de conservation de la couche picturale a dévoilé plusieurs éléments à prendre en compte dans ce choix. L’observation sous lumière rasante a souligné un phénomène d’écaillage atteignant en particulier les couleurs sombres. Étant donné la fragilité de ces zones, l’action mécanique engendrée par le passage d’un bâtonnet ouaté semblerait problématique. Si le nettoyage avait lieu suite au traitement du support, la couche picturale conserverait ainsi son film de vernis qui jouerait alors un rôle protecteur. Dans cette optique, les actions accomplies sur la toile dans le but de retrouver sa planéité et de rétablir l’adhérence de la couche picturale auraient pour conséquence de refermer, plus ou moins, le réseau de craquelures. Le cas échéant, lors du nettoyage, la résine solubilisée et les solvants véhiculés ne pénètreraient-ils pas moins dans la stratigraphie ? Quoi qu’il en soit, vu l’état discontinu de la pellicule de vernis, son rôle protecteur s’avère compromis. Il semblerait en outre qu’effectuer le traitement du support avant le nettoyage aurait également comme résultat de consolider les souillures, les crasses et les accumulations de vernis que nous souhaitons à l’inverse éliminer. Par ailleurs, dans la plus grande partie du tableau, malgré la présence d’un réseau de craquelures en cuvette, l’adhérence et la cohésion de la couche colorée paraissent autoriser cette intervention. Procéder au nettoyage avant le traitement du support éviterait d’ancrer les impuretés sur la surface du tableau. De plus, la suppression de l’encrassement combinée à l’allègement du vernis favoriserait, éventuellement, le travail de relaxation de la couche colorée lors de son refixage. En conséquence, nous proposons de débuter l’intervention sur la Descente de croix par le nettoyage. Les zones sensibles, sujettes à l’écaillage, seront refixées préalablement afin de garantir qu’aucun déplacement ou nouvelle perte d’écailles ne se produise.
82
Position du nettoyage par rapport au traitement du support
Tests de décrassage Au niveau des zones testés, un dépoussiérage à la verticale de la face et du revers est d’abord effectué dans le but d’éliminer l’encrassement sec228 et d’éviter, de cette manière, l’infiltration d’impuretés dans le réseau d’anfractuosités et de craquelures. Dans un premier temps, les tests de décrassage sont menés le long du bord dextre, sur le ciel. Au moyen d’un bâtonnet ouaté, différentes solutions aqueuses sont expérimentées et leur efficacité est estimée. Eau déminéralisée froide
Totalement inefficace.
Eau déminéralisée tiède
Totalement inefficace.
Solution tampon pH 7,5
Totalement inefficace.
Solution tampon pH 8
Totalement inefficace.
Solution tampon pH 8,5
Pratiquement sans effet.
Triton® X-100 1%
Totalement inefficace.
Triton® X-100 2%
Totalement inefficace.
Citrate de triammonium 1%
Peu efficace : une action mécanique répétée est nécessaire afin que le coton se colore faiblement.
Citrate de triammonium 2%
Efficacité moyenne : seule une action mécanique prolongée permet d’obtenir un résultat correct.
Solution tampon pH 8 avec 1% de TAC
Efficacité moyenne.
Solution tampon pH 8 avec 2% de TAC
Efficacité moyenne.
Solution tampon pH 8,5 avec 1% de TAC
Bonne efficacité : un léger frottement permet déjà une élimination importante de la couche de crasse.
Solution tampon pH 8,5 avec 2% de TAC
Bonne efficacité.
La poussière forme simplement un léger voile : lors de la restauration du chœur de la basilique en 2005, la face et le revers du tableau ont été dépoussiérés. 228
83
La dissolution d’un corps correspond à la destruction de sa cohésion229. Comme la couche de crasse qui recouvre la surface du tableau semble plutôt acide et grasse230, son élimination au moyen d’eau déminéralisée s’avère impossible mais le recours à une solution basique paraît efficace.
Action du pH
L’eau, à un pH neutre, contient autant de cation H+ que d’anion OH-231. En revanche, lorsqu’une solution est basique, comme la solution tamponnée au pH 8,5, elle possède plus d’anions OH- que de cations H+232. Cette concentration en anions et cations influe de manière significative sur le pouvoir solvant de l’eau233. Ainsi cette solution tampon est-t-elle capable d’ioniser les particules de crasses et permet de cette manière leur élimination. Quant au citrate de triammonium, il s’agit d’un chélateur qui possède une structure moléculaire particulière : ses « bras flexibles » pourvus de charges négatives, sont capables de se lier à des ions métalliques234. De cette manière, la molécule de citrate se fixe sur la particule de crasse et « l’enserre telle une pince »235 de façon à la solubiliser.
Action du TAC
À la lumière de ces résultats, la solution tamponnée au pH 8,5 contenant 1% de citrate de triammonium est choisie. Elle est obtenue d’après la préparation que propose Paolo Cremonesi: dans 100 mL d’eau désionnisée sont ajoutés 0,8 g de triéthanolamine et quelques gouttes d’acide chloridrique afin d’obtenir une solution dont le pH est égal à 8,5236. Dans un deuxième temps, le 1% de citrate de triammonium est ajouté. Alors, la valeur du pH est à nouveau contrôlée.
Choix de la solution
Une première fenêtre de décrassage est ouverte au niveau du bras gauche du Christ : cette zone regroupe des parties claires qui correspondent au suaire et des éléments plus foncés comme le pantalon de Nicodème.
G. Delcroix, M. Havel, op. cit., p. 112. La mesure du pH de surface du tableau a mis en évidence un pH légèrement acide dont la valeur approximative est comprise entre 5,5 et 6. 231 G. Delcroix, M. Havel, op. cit., p. 112. 232 Ibid., p. 113. 233 P. Cremonesi, L’ambiente acquoso per la pulitura di opere policrome, Vicenza, Il prato, 2011, p. 75. 234 Ibid., pp. 56-57. 235 C. Dupré, « L’emploi du citrate de triammonium pour le nettoyage des couches picturales contemporaines », CeROArt [En ligne], 2010. 236 P. Cremonesi, op. cit., pp. 61-64. 229 230
84
La couche de crasse se révèle relativement épaisse : son élimination requiert environ trois passages de coton. Le premier arbore rapidement une teinte noirâtre. Quant au second et au troisième, ils présentent une coloration moins soutenue. La pellicule de crasse paraît homogène, les cotons ne démontrent aucune variation de tonalité.
Figure 48. Détail, sous rayonnement ultraviolet, de la fenêtre de décrassage ouverte au niveau du bras gauche du Christ.
85
Tests d’allègement et de suppression de vernis L’observation sous UV des fenêtres de décrassage trahit la présence d’une pellicule de vernis très irrégulière constituée d’amas de résine. L’état discontinu du film ne permettant pas un allègement, un dévernissage sera donc entrepris. En premier lieu, pour se rendre compte de la porosité de ce film et pour vérifier la résistance de la couche colorée, une goutte d’éthanol est déposée sur la surface du tableau (dans le ciel). Les réactions sont appréciées au moyen d’une loupe binoculaire. La goutte est très rapidement absorbée : le vernis semble plutôt poreux. En général, ce test a comme effet la formation d’une auréole mais aucune n’a clairement été identifiée dans ce cas. En revanche, l’action mécanique d’une aiguille prouve que la résine s’est ramollie mais pas la couche colorée. Les tests de solvants sont ensuite réalisés le long du bord dextre, au niveau du ciel. Plusieurs listes de mélanges de solvants sont disponibles. Celle proposée par Paolo Cremonesi a l’avantage de reposer sur trois solvants types : l’acétone, l’éthanol, la ligroïne237. Étant donné que la ligroïne n’est pas un solvant pur, nous avons choisi de la remplacer par le cyclohexane qui est également un hydrocarbure saturé. Au moyen d’un bâtonnet ouaté, les différents solvants sont expérimentés et leur efficacité est estimée. Acétone
Très efficace : le coton se charge très rapidement de crasse et de résine.
Éthanol
Très efficace.
Cyclohexane
Aucune solubilisation.
Le diagramme de Teas permet d’une part de représenter un solvant dans un triangle en fonction des forces intermoléculaires présentes dans le liquide et d’autre part d’évaluer la zone de solubilité des polymères238. À chaque côté du triangle correspondent ainsi le paramètres de dispersion fd, le paramètre de polarité fp et le paramètre de liaisons hydrogènes fh.
P. Cremonesi, L’uso dei solventi organici nella pulitura di opere policrome, il prato, Vicenza, 2004, p. 102. 238 G. Delcroix, M. Havel, op. cit., pp. 104-105. 237
86
Diagramme de Teas
Choix du mélange
À partir de ces premiers résultats, plusieurs mélanges sont testés dans l’intention de déterminer les proportions les plus adéquates pour l’œuvre. Le mélange contenant 30% d’éthanol et 70% de cyclohexane semble offrir l’efficacité de solubilisation la plus importante tout en évitant le ramollissement de la couche colorée. Toutefois, à la suite de l’application de ce mélange, un blanchiment apparaît à la surface de la couche picturale. Les solvants sont probablement trop volatils et « le froid produit par leur évaporation rapide amènerait une condensation d’eau atmosphérique dans le film qui deviendrait opaque »239. Afin d’éviter ce phénomène de blanchiment, nous choisissons donc d’ajouter une petite quantité d’un solvant moins volatil. Nous obtenons ainsi un mélange constitué de 30 % d’éthanol, de 50 % de cyclohexane et de 20 % de toluène.
Action de l’éthanol
L’éthanol fait partie des alcools dont les molécules sont caractérisées par la présence d’un groupement OH. Ses paramètres de solubilité sont fd = 36, fp = 18 et fh = 46. Étant capable de dissoudre les résines naturelles, il se révèle être le principe actif de ce mélange240.
Figure 49. Détail des deux fenêtres ouvertes dans la partie supérieure du tableau. Le décrassage a été réalisé avec la solution tampon au pH 8,5 avec du TAC à 1 % et la suppression de vernis avec le mélange contenant 30 % éthanol et 70 % de cyclohexane. G. Delcroix, M. Havel, op. cit., p. 88. L. Masschelein-Kleiner, Les solvants, Bruxelles, Institut Royal du Patrimoine Artistique, 1994 (Cours de conservation Institut Royal du Patrimoine Artistique 2), p. 71. 239 240
87
Le cyclohexane est un hydrocarbure cyclique de la famille des alcanes de formule brute C6H12. Ses paramètres de solubilité sont fd = 94, fp = 2 et fh = 4. Il est apolaire et très peu polarisable. Étant inerte, il sert de diluant au mélange241.
Action du cyclohexane
Le toluène appartient à la famille des hydrocarbures aromatiques. Ses paramètres de solubilité sont fd = 78, fp = 6 et fh = 16. Il est également apolaire et peu polarisable. Ajouté au mélange en petite quantité, il évite la formation de chancis de travail242.
Action du toluène
Figure 50243. Triangle de Teas. Le point S correspond au mélange formé par 30 % d’éthanol, 50 % de cyclohexane et 20 % de toluène.
L. Masschelein-Kleiner, op. cit., p. 61. Ibid., p. 65. 243 Le positionnement du mélange a été réalisé en ligne, à l’aide du Triangle interactif des solvants et des solubilités© créé par l’Instituto Superiore per la Conservazione ed il Restauro de Rome : http://iscr.beniculturali.it/flash/progetti/trisolv/trisolv.html 241 242
88
Si la position qu’occupe le mélange dans le triangle coïncide avec les aires de solubilité des cires, des huiles et des résines synthétiques, elle correspond également à celle de la résine mastique. Toutefois, cette observation est à prendre avec précaution car la solution tamponnée au pH 8,5 appliquée lors du décrassage, modifie probablement les paramètres de solubilité du vernis. En effet, les anions OH- sont capables d’interagir avec le vernis et peuvent même, dans certains cas, l’ioniser et favoriser ainsi son élimination244. Une première fenêtre de suppression de vernis est pratiquée dans le bord dextre, au niveau de ciel. Le résultat obtenu laisse apparaître des particules de crasse sous la pellicule de vernis. Cette observation indique vraisemblablement que le tableau, lors d’une restauration ancienne, aurait été verni sans décrassage préalable. Ces particules de crasse sont insolubles dans le mélange de solvants. Nous reprenons alors les solutions préparées pour les tests de décrassage et évaluons leur efficacité. C’est à nouveau la solution tamponnée au pH 8,5 contenant 1% de citrate de triammonium qui offre le meilleur résultat. Elle est appliquée sur cette fenêtre d’allègement du vernis : le coton se charge d’impureté et devient noirâtre. Les résidus de vernis sont ainsi pris entre deux couches de crasse. Nous proposons donc de commencer l’opération de nettoyage par un décrassage au moyen d’une solution tamponnée au pH 8,5 contenant 1% de TAC. Nous suggérons d’appliquer le mélange de solvant, composé de 30 % d’éthanol, de 50 % de cyclohexane et de 20 %, sur la surface décrassée dans la même journée afin de bénéficier de l’action ionisante de la solution alcaline sur le vernis. Puis dans une dernière phase les particules de crasse présentes sous le vernis seraient éliminées grâce à l’action de la solution tamponnée au pH 8,5 contenant 1 % de TAC.
244
P. Cremonesi, op. cit., p. 69. 89
1.2 Rétablissement de la planéité Le protocole de nettoyage étant en place, celui concernant le rétablissement de la planéité peut être envisagé. Si plusieurs facteurs conditionnent le choix de la technique utilisée, les plus importants semblent être les suivants: - La nature des fibres qui constituent la toile ; - L’état de conservation général du support (le degré d’oxydation, la présence ou non de déchirures…) ; - L’amplitude des déformations du textile ; - Sa réactivité à l’humidité ; - L’étendue du réseau de craquelures ; - Le niveau d’adhérence de la couche picturale au support. En prenant en compte l’ensemble de ces éléments, le traitement le plus approprié pour la Descente de croix combinerait l’action de l’humidité et de l’extension.
Choix du traitement
En effet, l’humidité influe de manière directe sur le module d’élasticité longitudinale des matériaux constituants le tableau. À 40 % d’humidité relative, la colle de peau de lapin possède le module le plus élevé, celui de la toile de lin est très faible alors que celui du film de peinture est intermédiaire245. Lorsque l’humidité augmente, les modules ont tendance à converger vers une valeur. « Cette valeur correspond à l’état de contraintes minimum »246 et « dans les peintures « traditionnelles » […], (elle) se situe aux environs de 80 % d’humidité relative »247.
Action de l’humidité
Ces conditions devraient favoriser la détente progressive de la toile ainsi que l’assouplissement de la couche picturale. Une fois parvenu à cet état de relaxation, le support pourrait alors être graduellement étiré afin de retrouver sa planéité.
Action de la tension
Dans cette optique, nous proposons de commencer par la pose d’une protection de surface sur la couche picturale de manière à la protéger durant le traitement du support. Nous envisageons ensuite de démonter l’œuvre de son châssis afin de la fixer sur un bâti de travail extensible et d’introduire l’ensemble dans une chambre humide.
Protocole
A. Roche, op. cit., p. 102. Ibid., p. 103. 247 Ibid., p. 104. 245 246
90
1.3 Rétablissement de l’adhérence L’objectif de cette intervention est de rétablir l’adhérence de la préparation à la toile par l’apport d’une petite quantité d’adhésif. Le choix de l’adhésif est primordial puisqu’il détermine, dans une large mesure, l’efficacité de l’opération. Il peut se révéler de nature synthétique, il s’agit alors en général de résines thermoplastiques, ou être d’origine naturelle, il est dans ce cas question soit d’adhésifs collagéniques, soit de cire-résine. Ce choix dépend d’une part de la nature et de l’état de conservation des matériaux constitutifs de l’œuvre et d’autre part des propriétés propres à l’adhésif. Les paramètres pris en compte sont donc les suivants: Données se
- La contexture de la toile ;
rapportant au
- L’état de conservation de l’encollage ;
tableau
- L’état de conservation de la préparation (sa cohésion, son adhérence) ; - L’étendue de réseau de craquelures ; - L’amplitude des déformations des écailles en cuvette ; - Les conditions hygrométriques du lieu de conservation.
Données se
- Le pouvoir collant ;
rapportant à
- La pénétration capillaire ;
l’adhésif
- La réversibilité ; - L’influence sur l’aspect de la matière ; - La sensibilité biologiques.
aux
variations
climatiques
et
attaques
L’étude climatique du chœur de la basilique sur une année a mis en évidence deux phénomènes climatiques distincts. L’été et l’automne le taux d’humidité relative s’avère stable, il se situe approximativement entre 60 et 70 %. Par contre, l’hiver et le printemps ce taux se retrouve globalement entre 35 et 50 % et il fluctue de manière quotidienne sous l’effet d’un chauffage à air chaud. Choix de l’adhésif
Face à ces variations, un traitement synthétique aurait l’avantage de stabiliser la toile. En revanche, il présenterait l’inconvénient d’introduire au sein de la stratigraphie un matériau étranger aux éléments constitutifs de l’œuvre.
91
Par ailleurs, l’ampleur des variations quotidiennes reste modérée puisque le taux d’humidité relative varie environ de 8 % au cours d’une journée. Si durant l’automne, le taux peut dépasser de manière ponctuelle les 70 %, aucune trace de moisissures n’a été retrouvée sur le tableau, le cadre, les lambris et les parois du chœur. Dès lors, le recours à une colle animale respecterait la nature des matériaux constitutifs mise en place par l’artiste et offrirait, dans une certaine mesure, la possibilité de régénérer une partie de l’encollage présent au sein de la stratigraphie. Cependant l’adhésif ne stabiliserait pas le support puisque sa rigidité dépendrait du taux d’humidité relative. Ces considérations orientent notre choix en direction d’une colle animale. Étant donné qu’un adhésif obtenu à partir d’une vessie natatoire d’esturgeon, à concentration égale avec une colle de peau de lapin, possède un pouvoir collant plus important et offre une meilleure pénétration capillaire, nous sélectionnons la colle d’esturgeon248. Le film obtenu à partir de cet adhésif présente, de surcroît, une plus grande élasticité et une meilleure stabilité aux variations environnementales249. Plusieurs éléments nous conduisent à proposer un refixage sur la table chauffante à basse pression. Ce procédé permettrait d’une part d’améliorer la pénétration de l’adhésif et d’autre part de réduire l’amplitude des déformations des écailles en cuvette tout en veillant à ne pas provoquer d’écrasement de matière. Le tableau, tendu sur le bâti extensible, serait placé sur la table aspirante, la couche picturale en direction du plateau. La colle serait alors appliquée par bandes sur l’ensemble du revers au moyen d’un spalter. Puis la toile serait recouverte d’un film en melinex® afin de concentrer l’action de la table à basse pression sur l’œuvre. De cette manière, la migration de l’adhésif à travers le support serait favorisée. À ce stade, une faible montée en température serait opérée dans le but de contribuer à l’atténuation des écailles en cuvette. L’œuvre serait maintenue dans ces conditions jusqu’à ce que l’humidité présente au revers soit évaporée.
La colle d’esturgeon est également appelée ichtyocolle. N. C. Schellmann, « Animal glues : a review of their key properties relevant to conservation », in Reviews in Conservation, n° 8, 2007, p. 59. 248 249
92
Protocole
Figure 51. DÊtail en lumière rasante.
93
1.4 Montage de la toile sur le châssis L’examen de l’œuvre a montré que la toile était fixée au châssis par des pointes rabattues. Et si le tableau n’avait pas été réalisé sur ce châssis, mais plutôt sur un bâti provisoire, il serait tout de même probable que ce châssis soit celui sur lequel l’œuvre fraîchement terminée ait été tendue. Par ailleurs, l’analyse historique du tableau a mis en évidence un faisceau d’indices permettant de l’attribuer à Sebastian Düring. Lors de ces investigations, l’Adoration des Mages et la Sainte-Cène de Düring conservées dans le chœur de l’église du Châble ont pu être décrochées. Nous avons alors remarqué que l’assemblage des montants des châssis était identique à celui de la Descente de croix et de son pendant. Ce châssis revêt par conséquent une importance historique, c’est pourquoi nous choisissons de le conserver. Sa conservation nécessite un traitement en trois étapes. Nous suggérons, dans un premier temps, un nettoyage des montants au moyen d’une solution aqueuse. Les montants seraient ensuite placés dans une chambre d’anoxie afin de désinfecter le bois des insectes et larves qui pourraient encore y séjourner. Finalement un travail de menuiserie serait conduit dans le but de réduire le jeu des assemblages et de poser des pentes en bois afin d’éviter que la toile ne soit en contact avec les montants.
Protocole de conservation du châssis
Nous rappelons que l’étude des conditions climatiques du chœur de la basilique a mis en évidence des variations saisonnières et journalières. Ainsi, ces changements répétés du taux d’humidité relative causeront des fluctuations de la tension du support qui se manifesteront par la déformation de la peinture250.
Choix du montage de la toile sur le châssis
Dans un premier temps, le châssis étant fixe, une baisse importante d’humidité se traduira par une élévation brutale du module d’élasticité de la peinture « en entrainant une violente augmentation des contraintes internes »251. « Si ces contraintes dépassent le seuil de la contrainte de rupture de la peinture »252, de nouvelles craquelures apparaîtront dans la couche picturale. Puis dans un second temps, la répétition de ces différents états de contraintes mènera à une perte progressive de la tension de la toile253. A. Roche, « Influence du type de châssis sur le vieillissement mécanique d’une peinture sur toile », in Studies in Conservation, Vol. 38, 1993, p. 22. 251 Ibid. 252 Ibid. 253 G. Berger, A. Russel, op. cit., p. 82. 250
94
L’objectif du montage de la toile sur le châssis est donc de trouver un système permettant de conserver le plus longtemps possible la tension que nous aurons appliquée à la toile tout en évitant l’apparition de nouvelles craquelures. Plusieurs châssis à tensions autorégulées ont été développés afin de répondre à ces problématiques. Le choix du système le plus adapté pour la Descente de croix doit notamment prendre en compte la conservation du châssis d’origine ainsi que l’impossibilité d’en augmenter les dimensions puisqu’il s’insère exactement dans son cadre. Protocole de montage de la toile sur le châssis
Le système mis au point par Roberto Carità puis amélioré par Antonio Iaccarino Idelson et Carlo Serino présente l’avantage de pouvoir s’adapter parfaitement au châssis fixe du tableau. Son mécanisme repose sur l’utilisation de ressorts de traction et de tirants en laiton254. Un ourlet est créé à l’extrémité des bandes de tension de manière à y introduire une barre en aluminium reliée au mécanisme par de minces câbles en acier255. Un film en Téflon® est placée au niveau des tranches du châssis et permet ainsi aux bandes de tensions de glisser sur les bords des montants256. Le choix de l’allongement du ressort détermine la tension appliquée à la toile257. À la suite de discussions avec Antonio Iaccarino Idelson, nous proposons un système s’inspirant de ce mécanisme sans avoir recours à des ressorts. En effet, vu les dimensions du tableau et l’amplitude des variations hygrométriques, il semblerait que leur utilisation ne soit pas nécessaire. Dans cette optique, un film en Téflon® serait déposé sur les quatre montants et les bandes de tension seraient fixées non pas sur les tranches du châssis mais sur le revers. Les bandes joueraient le rôle de ressorts et absorberaient, dans une certaine mesure, les déformations du support. Cette méthode présenterait en outre l’avantage de diminuer les irrégularités de tension. En effet, Christina Young et Roger Hibberd ont démontré que la répartition des tensions était plus homogène lorsque la toile était fixée au revers du châssis258. G. Capriotti, A. Iaccarino Idelson, Tensionameto dei dipinti su tela, La ricerca del valore di tensionamento, Florence, Nardini, 2004, p. 38. 255 Ibid. 256 Ibid. 257 Ibid. pp. 40-41. 258 C.R.T. Young, R. D. Hibberd, « The role of canvas attachments in the strain distribution and degradation of easel paintings », in Tradition and innovation : advances in conservation : contributions to Melbourne Congress, 10-14 octobre 2000, pp. 212-219. 254
95
Figure 52. Détail des trois bandes de tension posées à l’aide de Plextol® B500 épaissi au xylène. De gauche à droite, on retrouve une toile monofilament (18 g/m 2), une toile polyester (50 g/m2) et une autre toile polyester (130 g/m2).
Figure 53. Détail de l’agrafage des bandes de tension au revers du châssis. Les agrafes sont fixées à travers une bande en polypropylène afin d’éviter l’usure du textile. Ici le film de Téflon® a été remplacé par un Melinex® siliconé. De gauche à droite, on retrouve la toile monofilament (18 g/m 2), la toile polyester (50 g/m2) et la toile (130 g/m2).
96
Choix des matériaux
Afin d’évaluer les matériaux les plus adaptés pour la pose des bandes de tension dans un système avec glissement sur les bords, plusieurs éprouvettes sont construites. Trois types de bandes de tension et deux adhésifs sont évalués : -
Une toile monofilament Origam® 254 de 18 g/m2 ; Une toile polyester Delay® de 50 g/m2 ; Une toile polyester Ispra® de 130 g/m2 ; Le Plextol® B500 ; Le film de Beva® 371.
Le Plextol® B500 est une dispersion aqueuse d’un copolymère obtenu à partir d’acrylate d’éthyle et de méthacrylate de méthyle. Il se présente sous la forme d’un lait blanc contenant 50 % d’extraits secs pour 50% d’un mélange d’eau et de solvants. Sa température de transition vitreuse se situe à 9° C. Son allongement à la rupture est de 500%. Sa stabilité au vieillissement semble élevée259. La Beva® 371 se compose essentiellement d’un copolymère obtenu à partir d’acétate de vinyle et d’éthylène, de résine de cyclohexanone, d’ester de phtalate et de paraffine. Lorsqu’elle se présente sous forme de film, l’adhésif est pris entre deux feuilles en polyester siliconé260. Les toiles polyesters présentent une grande stabilité dimensionnelle ainsi qu’une grande résistance à la lumière, à l’humidité et à la traction. Concernant la résistance à la traction après étirement, ce serait la toile monofilament qui serait capable de la maintenir le plus longtemps. Lorsqu’une toile multifilament est soumise à un effort de traction répété, les fibres qui constituent le fil pourraient légèrement glisser les uns par rapport aux autres. Par contre, comme le fil monofilament est constitué d’un brin individuel continu, pratiquement aucun glissement ne se produirait. C’est d’ailleurs pour cette raison que les toiles monofilament sont utilisées en sérigraphie pour la création des écrans : elles sont aptes à maintenir la tension déterminée par l’opérateur tout au long du processus d’impression. Nous proposons, par conséquent, d’utiliser la toile monofilament et le Plextol® B500 pour la création des bandes de tension de la Descente de croix.
http://talasonline.com/photos/instructions/PLEXTOL_B500_INFO.pdf http://www.baudokumentation.ch/7/company/06/81/07/www.roehmschweiz.c h/PDF-files/plextol.pdf 260 http://www.kremer-pigmente.com/media/files_public/87050-51MSDS.pdf 259
97
2 Opérations de restauration « La restauration consiste à intervenir directement sur des biens culturels endommagés ou détériorés dans le but d’en faciliter la lecture tout en respectant autant que possible leur intégrité esthétique, historique et physique »261. Pour répondre aux exigences de restauration de la Descente de croix, les opérations s’articuleront autour des opérations suivantes : - La pose des mastics ; - La réintégration colorée des lacunes et des usures ; - L’application des vernis. 2.1 Mastics Nous proposons de combler les lacunes à l’aide d’un mastic traditionnel obtenu à partir de colle de peau et de blanc de Meudon. Il serait réalisé après l’application d’un premier vernis de manière à éviter que les particules blanches ne pénètrent dans les zones poreuses de la couche picturale. Puis, ces zones seraient isolées par un film de vernis. 2.2 Retouche L’état de conservation de la couche picturale impose l’établissement d’un protocole de retouche qui réponde à trois objectifs principaux : - La réintégration des zones mastiquées ; - La reprise ponctuelle des glacis arrachés au cours d’une intervention précédente ; - La réduction de l’impact visuel des usures et souillures d’insectes. Le choix des matériaux utilisés pour la retouche doit répondre à des critères rigoureux en ce qui concerne sa compatibilité avec les couches de protection, sa réversibilité et sa stabilité dans le temps. Face à ces exigences, une résine urée-aldéhyde, à faible poids moléculaire, commercialisée sous le nom de Laropal® A81, a été choisie comme liant de retouche.
Code E.C.C.O : La profession de conservateur-restaurateur – code d’éthique et formation, 2002. 261
98
Ses qualités en matière de vieillissement photochimique, de solubilisation, de pouvoir mouillant des pigments et de réfraction de la lumière semblent effectivement en faire un liant adapté pour la réintégration colorée262. Quant à la technique à adopter, nous tenterons d’appliquer le minimum de touches possibles afin de rétablir l’intégrité esthétique de l’œuvre tout en veillant à respecter son authenticité. 2.3 Vernis Plusieurs pellicules de vernis seront appliquées, à différentes étapes du traitement de restauration, sur la couche picturale. Les films obtenus devront être, transparents, incolores, réversibles, stables, posséder une certaine élasticité et surtout jouer un rôle protecteur envers la peinture. 1er vernis
L’objectif de ce premier vernis est d’apporter une saturation aux couleurs et de protéger la couche picturale au moment de la pose des mastics. Pour sa réalisation, nous proposons d’utiliser une résine Dammar puisque son nivellement, son mouillage et son indice de réfraction en font un excellent saturateur. La résine dissoute dans du white spirit serait appliquée avec un spalter dans l’intention d’obtenir un film tendu.
2e vernis
À la suite de l’opération de masticage, un deuxième vernis serait appliqué de la même manière, de façon à diminuer la porosité des mastics et à homogénéiser l’état de surface du tableau. Comme les vernis obtenus à partir de la résine Dammar jaunissent lors du vieillissent, nous suggérons de leur incorporer un stabilisant HALS qui « (interviendrait) au niveau des réactions qui sont à l’origine de la perte de propriétés initiales des résines »263. Dès lors, le vernis final devrait contenir des anti-ultraviolets afin de garantir l’efficacité de cet adjuvant264. Dans cette optique, la résine urée-aldéhyde Laropal® A81 permettrait l’obtention, grâce à son faible poids moléculaire et son indice de réfraction élevé, d’un film brillant et homogène.
Vernis final
M. Leonard, J. Whitten, R. Gamblin, E. R. de la Rie, « Developpement of new materiel for retouching », in Congress, International Institute for the Conservation of Historic and Artistic Works, Londres, 2000, pp. 29-33. 263 N. Balcar, Les vernis, usage et propositions issues de recherches récentes, Paris, Centre de recherche et de restauration des musées de France, 2005, p. 11. 264 Ibid., p. 4. 262
99
Propositions de traitement Interventions de conservation Refixage localisé des écailles à l’aide d’une colle de poisson ; Nettoyage de la Dépoussiérage léger de la couche picturale et du revers au moyen couche d’un pinceau doux ; picturale Décrassage de la couche picturale avec une solution aqueuse ; Dévernissage avec un mélange de solvants ; Élimination des crasses présentes sous le vernis avec une solution aqueuse. Pose d’une protection de surface en papier ; Dépose de la toile du châssis ; Élimination des poussières résiduelles à l’aide d’une brosse ; Rétablissement de la planéité au niveau des bandes de rabat ; Pose des bandes de tension provisoires en intissé polyester ; Mise en extension sur un bâti extensible ; Mise en chambre humide.
Rétablissement de la planéité
Refixage généralisé de la couche picturale sur la table chauffante à basse pression au moyen d’une colle d’esturgeon.
Rétablissement de l’adhérence
Démontage des montants ; Décrassage avec une solution aqueuse. Création d’une chambre d’anoxie ;
Nettoyage et désinfection du châssis
Mise en place des montants dans la chambre d’anoxie ; Application d’un insecticide. Création de pentes en bois de fruitier ;
Pose de pentes
Pose des pentes sur le châssis original. Retrait de la protection de surface ; Dépose de la toile du bâti extensible ; Retrait des bandes de tension provisoires ; Pose des bandes de tension en tissu monofilament ; Agrafages de l’œuvre sur le châssis.
100
Remontage de la toile sur le châssis
Interventions de restauration 1er vernis
Application au spalter d’un vernis Dammar.
Masticage
Pose des mastics composés de blanc de Meudon et de colle de peau ; Structuration des mastics.
2e vernis
Application en pulvérisation d’un vernis Dammar.
Retouche
Réintégration colorée des lacunes au moyen de pigments purs liés par la résine Laropal® A81 ; Repiquage des glacis arrachés ; Repiquage des usures et des souillures d’insectes.
Vernis final
Application en pulvérisation d’un vernis composé de résine Laropal® A81.
101
Figure 54. Tableau en cours de nettoyage, dĂŠtail.
102
V Rapport d’interventions 1 Traitement de conservation Deux interventions préliminaires sont menées sur le tableau afin de garantir le bon déroulement du traitement de conservation. Pose de bandes adhésives en périphérie
Le recours à une solution aqueuse lors du décrassage peut en effet provoquer des déformations du support textile. Vu que les fixations actuelles de la toile sur le châssis sont peu nombreuses, des bandes adhésives265 sont appliquées à la périphérie du tableau afin d’éviter des mouvements importants du support.
Refixage localisé
Dans le but d’empêcher le déplacement ou la perte d’écailles au moment du nettoyage, un refixage localisé par la face est exécuté. L’objectif de cette opération est de rétablir l’adhérence de la préparation à la toile au moyen d’un adhésif qui se caractérise par une très faible concentration et une grande perméabilité : il s’agit d’une colle de poisson à 2 % dans de l’eau déminéralisée. Son emploi autorise l’apport d’une petite quantité de colle et permet, dans une certaine mesure, la régénération de l’encollage originel. 1.1 Nettoyage Lors du nettoyage, le tableau repose sur le chevalet de manière verticale afin d’éviter que la solution de décrassage et le mélange de solvants ne soient entraînés par gravité au sein de la stratigraphie. Malgré cette précaution, les corps gras hydrolysés et la résine solubilisée pénètreront, en partie, dans les anfractuosités par migration capillaire.
Dépoussiérage Dans un premier temps, la couche picturale et le revers sont superficiel légèrement dépoussiérés au moyen d’un pinceau doux. Premier décrassage
Puis, le décrassage s’effectue de manière systématique au moyen de la solution tamponnée au pH 8,5 contenant 1 % de citrate de triammonium. Elle est appliquée sur la surface au moyen d’un bâtonnet ouaté en procédant par carré de manière à contrôler chacun de nos gestes et de garantir ainsi une opération progressive. Chaque carré est ensuite rincé à l’aide d’un coton faiblement imbibé d’eau déminéralisée.
Il s’agit de ruban microporeux disponible en pharmacie. Ce matériau a été choisi puisqu’il a l’avantage d’offrir un bon pouvoir adhésif sans laisser de traces sur les bandes de rabat. 265
103
Environ 30 minutes après le passage de la solution tamponnée, le mélange de solvants, composé de 30 % d’éthanol, de 50 % de cyclohexane et de 20 % de toluène, est appliqué sur la zone décrassée. L’élimination des résidus de vernis est de cette manière facilitée puisque la solution de décrassage, dont le pH est à 8,5, a exercé une action ionisante sur ces amas de résine.
Dévernissage
Ce même mélange de solvant permet le retrait des repeints situés sur le torse du Christ. Il s’agissait donc probablement de repeints résineux. Les particules de crasses présentes sous le vernis sont finalement retirées au moyen de la solution tamponnée au pH 8,5 contenant 1% de citrate de triammonium. En revanche, les souillures d’insectes résistent à la solution. Nous tentons de les enlever avec la pointe du scalpel mais cette action endommage la couche picturale. Nous renonçons à les ôter mécaniquement et choisissons de les camoufler au moment de la retouche. Le nettoyage terminé, les usures de la couche picturale sont d’avantages visibles. Elles se situent essentiellement au niveau de la partie verte du manteau de saint Jean.
Figure 55. Détail du torse du Christ avant le nettoyage.
104
Second décrassage
Figure 56. Tableau après le nettoyage.
105
1.2 Rétablissement de la planéité Afin d’entreprendre le rétablissement de la planéité du tableau dans les meilleures conditions possibles, plusieurs opérations préalables sont réalisées. Pour éviter le déplacement d’écailles et la perte de matière picturale, un papier Bolloré® de 11 g/m2 est appliqué sur le tableau avec de la méthylcellulose diluée dans de l’eau déminéralisée266. L’adhésif est appliqué au spalter.
Protection de surface
Les pointes rabattues sont ensuite retirées de façon à détacher l’œuvre de son châssis. Elles sont difficiles à ôter car elles sont devenues fragiles et cassantes. Elles mesurent environ 2 cm.
Dépose de la toile du châssis
Le tableau est alors posé sur un Melinex® en vue de nettoyer les poussières résiduelles présentes au revers et plus particulièrement entre le montant inférieur et le support original. Ce dépoussiérage est effectué avec un spalter. Un tissu légèrement humide est placé sur les bandes de rabat dans l’intention de détendre les fibres de la toile. Puis à l’aide d’une spatule chauffante, dont la température n’excède pas les 70° C, les bords de clouage sont aplanis.
Planéité des bandes de rabat
Des bandes de tension en non-tissé 33 g/m2 sont fixées au niveau des bandes de rabat, à environ 8 mm en deçà de la pliure qui correspond plus ou moins à la limite de la couche picturale, au moyen de Plextol® B500 épaissi au xylène. Un papier Bolloré® de 11 g/m2, posé avec le même adhésif, fait office d’intermédiaire entre la toile et le non-tissé. Il permettrait de mieux répartir les tensions et d’éviter le glissement des bandes en non-tissé au moment de la mise en extension.
Pose des bandes de tension
Un bâti à ressorts Starofix® est assemblé de manière à ce que ses dimensions soient supérieures à celle de l’œuvre. Le tableau est centré puis les bandes de tension sont agrafées sur les tranches en bois du bâti.
Mise en extension sur le bâti extensible
Un nettoyage plus poussé est alors effectué sur le revers avec une gomme Wishab® dont l’action permet la suppression des poussières incrustées dans la toile. Les résidus provoqués par le gommage sont éliminés par un aspirateur équipé d’un filtre HEPA®.
Les proportions sont approximativement les suivantes : une part de méthylcellulose pour 25 parts d’eau déminéralisée. 266
106
Mise en chambre humide
Lorsque le tableau est introduit dans l’enceinte climatique, la température de l’atelier est d’environ 22° C et le taux d’humidité relative oscille entre 40 et 50 %. Afin d’éviter de soumettre l’œuvre à un choc climatique qui engendrerait des variations dimensionnelles et des contraintes mécaniques au sein de sa stratigraphie, le taux d’humidité relative est élevé graduellement : en une heure, il augmente d’environ 8 %. Ainsi, après six heures d’humidification, le taux atteint son maximum à 85% approximativement. Cette valeur plafond est maintenue durant quatre heures pour détendre le support textile et pour plastifier, dans une certaine mesure, la couche picturale. À ce stade, les angles du bâti sont ouverts en actionnant les vis de réglage. Les bandes de tension s’étirent. La tension de la toile croît et les déformations du support se réduisent sous l’action de l’effort de traction. Le tableau est ensuite conservé à environ 75 % d’humidité relative pendant vingt heures. Puis, en deux heures, le taux augmente jusqu’à 85 % et demeure à cette valeur pendant six heures. Les angles sont à nouveau ouverts afin d’augmenter la tension de la toile. À ce moment, nous jugeons que la tension et la planéité du support ont atteint un degré raisonnable. Alors l’humidité relative diminue jusqu’à approximativement 75 %. Après une dizaine d’heures à ce taux, l’enceinte est ouverte. L’humidité relative décroît encore jusqu’à retrouver les 40 à 50 % qui correspondent aux conditions climatiques de l’atelier.
Figure 57. Tableau en extension placé dans la chambre humide.
107
Figure 58. Tableau tendu sur le châssis extensible, vue de face.
108
Figure 59. Tableau tendu sur le châssis extensible, vue du revers.
109
1.3 Rétablissement de l’adhérence Quelques jours après le rétablissement de la planéité du support, lorsque le tableau s’est équilibré aux conditions atmosphériques ambiantes267, le refixage à la colle d’esturgeon sur la table chauffante à basse pression est entrepris. Dans un premier temps l’adhésif est confectionné directement à partir d’une vessie natatoire d’esturgeon268 selon la technique traditionnelle des conservateurs-restaurateurs du Musée de l’Hermitage de Saint-Pétersbourg. Nous retranscrivons, dans les lignes suivantes, cette méthode de préparation qui nous a été expliquée par Olivier Nouaille. Premièrement, la vessie est écrasée dans de l’eau déminéralisée froide : pour une mesure pondérale de vessie sont ajoutée 3,3 mesures pondérales d’eau déminéralisée. L’ensemble est ensuite laissé à reposer pendant 12 à 24 heures. Puis la pâte obtenue est filtrée à travers une gaze préalablement nettoyée, afin d’en extraire tout le liquide qui est recueilli dans un récipient émaillé269. Le récipient est placé sur une plaque chauffante et dès les premiers bouillons, la préparation est mise au bain-marie. Dès lors, sa température doit impérativement être inférieure à 60° C. Les déchets de la vessie, capturés dans la gaze, sont écrasés avec les doigts jusqu’à obtenir la consistance de la mie de pain. Cette pâte est introduite au mélange au bain-marie qui est remué avec un bâton en verre jusqu’à obtenir un liquide homogène. Après quelques minutes, la préparation encore chaude est à nouveau filtrée à travers une gaze. Pour utiliser le liquide obtenu en tant qu’adhésif de refixage d’une peinture à l’huile sur toile, de l’eau déminéralisée est ajoutée afin de parvenir à la concentration suivante : 3 à 4 % du mélange confectionné à partir de la vessie pour 96 à 97 % d’eau déminéralisée270.
Nous rappelons qu’au moment de ces interventions la température de l’atelier est d’environ 22° C et le taux d’humidité relative oscille entre 40 et 50 %. 268 La vessie utilisée provient de la Maison Kremer. 269 À aucun moment un récipient métallique ne doit être utilisé. 270 Ces pourcentages expriment des rapports en masse. Par exemple pour 3,5 g du mélange confectionné à partir de la vessie, sont ajoutés 100 g d’eau déminéralisée. 267
110
Préparation de l’adhésif
Deux éléments dans cette technique de préparation nous interpellent. D’abord, pour quelle raison le mélange doit être porté aux premiers bouillons ? N’est-ce pas une température déraisonnable pour le collagène extrait de la vessie ? Par ailleurs, concernant le pouvoir adhésif de la colle, quel rôle joue les déchets récupérés dans la gaze ? Structure chimique et propriétés
Le collagène est une protéine composée de longues molécules d’acides aminés reliés en séquences spécifiques par des liaisons covalentes de manière à former une triple hélice. Il est insoluble dans l’eau froide mais se gélifie après dénaturation. Le procédé de dénaturation s’avère d’une importance capitale puisqu’il conditionne les performances de l’adhésif obtenu : il influe notamment sur le poids moléculaire de la colle et donc sur sa viscosité271.
Figure 60. Tableau au cours du traitement de refixage sur la table chauffante à basse pression. 271
N. C. Schellmann, op. cit., p. 56. 111
Ainsi, au moment de la préparation de la colle, si celle-ci est soumise à une température élevée durant quelques instants, un plus grand nombre de liaisons intra- et intermoléculaires est brisé272. Par conséquent, son poids moléculaire et sa viscosité diminuent273. La pénétration de l’ichtyocolle dans le substrat dépend donc en partie de la température à laquelle elle a été préparée. Lorsque la température d’élaboration est faible, l’adhésif contient une proportion importante de fragments à haut poids moléculaire qui pourraient entraver la migration capillaire et développer des tensions à l’interface des zones refixées et non-refixées274. Le maintien momentané de la préparation à une température élevée permettrait dès lors de réduire le poids moléculaire de ces fragments. Toutefois, comme les études scientifiques se rapportant à ce sujet ont jusqu’alors été réalisées dans différentes conditions expérimentales, il est difficile de confronter les résultats entre eux275. Par ailleurs, aucune information précise n’a pour le moment était relevée concernant le rôle joué par les déchets de la vessie ayant été récupérés, écrasés et ajouté à la préparation. Participent-ils au pouvoir adhésif de la colle ou lui confèrent-ils une plus grande élasticité ? Dans l’intention de procéder au refixage, le plateau de la table chauffante à basse pression est recouvert d’un Melinex® au milieu duquel une fenêtre est réalisée aux dimensions du tableau. Des repères sont tracés sur le film transparent afin de faciliter le positionnement ultérieur du bâti. Puis la fenêtre centrale est recouverte par plusieurs couches dans le but d’éviter l’impression des micro-perforations du tableau au niveau de la couche picturale et d’empêcher l’adhérence de celle-ci à la table.
N. C. Schellmann, op. cit., p. 56. Le poids moléculaire de la colle et donc sa viscosité, dépendent également de l’origine de l’esturgeon dont la vessie a été extraite. Ainsi une colle préparée à partir d’un esturgeon vivant en profondeur dans une eau froide ne présentera pas tout-à-fait les mêmes caractéristiques qu’une autre élaborée à partir d’un esturgeon vivant dans une eau chaude. Le dictionnaire technologique, édité par Lacrosse et C ie, précise que l’ichtyocolle est traditionnellement préparée avec la vessie natatoire des grands esturgeons, acipenser huso, pêchés dans la Mer Caspienne et les fleuves qui s’y jettent. Dictionnaire technologique, Bruxelles, Lacrosse et Cie, t.3, 1839, p. 256. 274 N. C. Schellmann, op. cit., p. 60. 275 Ibid. 272 273
112
Refixage
Le bâti est placé sur la table, la couche picturale en direction du plateau. Trois bandes en Melinex® sont posées sur le revers de la toile et la pression, engendrée par l’aspiration, augmente progressivement jusqu’au moment où le tableau est plaqué sur le plateau. Une des bandes de Melinex® est retirée et la colle d’esturgeon à environ 4 % est appliquée chaude au moyen d’un spalter. Lorsque la surface est imprégnée, la bande est repositionnée. L’opération est répétée de manière à traiter l’ensemble du revers de l’œuvre276. Cette manipulation permet d’une part, le maintien d’une certaine pression qui assure la pénétration de l’adhésif au sein de la stratigraphie du tableau et de l’autre, le ralentissement de l’évaporation. Elle favorise de ce fait la formation d’un film stable et élastique277. Après une heure, la température de la table augmente graduellement de sorte que la température du tableau avoisine les 50° C. Cet apport de chaleur, associé à l’humidité de l’adhésif, permet une relative plastification de la couche picturale si bien que l’amplitude des déformations des écailles en cuvettes est calmée sous l’action de la pression. Pendant encore trois heures, la pression est maintenue puis les bandes de Melinex® sont retirées. Lorsque la surface du revers de la toile est sèche au toucher, l’aspiration diminue doucement. Pour terminer le séchage, le tableau est alors installé sur des calles. À l’issue de cette opération, la protection de surface est retirée. L’adhérence de la préparation à la toile encollée semble satisfaisante et si le réseau d’écailles en cuvettes est toujours présent, l’intensité des déformations est moindre.
La vessie ayant servi à la préparation de l’adhésif pesait 12,5 g. Elle a permis l’obtention de 300 g de colle à environ 4 %. 100 g ont suffi à l’imprégnation du revers. Par conséquent, environ 4 g d’extrait sec ont été introduit dans la stratigraphie. 277 N. C. Schellmann, op. cit., p. 56. 276
113
Figure 61. Montants du châssis dans l'enveloppe anoxique. 114
1.4 Montage de la toile sur le châssis Avant que la toile ne soit remontée sur son châssis, plusieurs opérations de conservation sont menées sur celui-ci afin de garantir son rôle structurel. Les montants n’étant maintenus ni par des semences, ni par un adhésif, ils sont désassemblés facilement. Une fois démontés, ils sont nettoyés à l’aide d’une éponge légèrement humide. Ils sont ensuite placés dans une enveloppe étanche afin de procéder au traitement insecticide. Traitement anoxique
Les montants sont d’abord positionnés sur une armature rigide en carton de manière à ce qu’aucun d’eux ne se touche. Un emballage est ensuite confectionné à partir de films thermosoudables ayant une faible perméabilité à l’oxygène278 : un film en aluminium opaque est utilisé pour la partie inférieure et un film transparent pour la partie supérieure. La privation d’oxygène se fait à l’aide d’absorbeurs : petites pochettes qui suppriment les molécules d’oxygènes. Pour déterminer leur quantité, le volume de la poche est calculé279. Comme il est d’environ 14 500 cm3 et que l’air ambiant contient 20,9% d’oxygène280, l’enveloppe en renferme alors approximativement 2 900 cm3. Les pochettes dont nous disposons sont conçues pour absorber 1 000 cm3 d’oxygène. En théorie, il en suffirait donc de trois, mais par mesure de précaution, nous choisissons d’en utiliser six. Les absorbeurs sont placés sur le fond en carton en évitant tout contact direct avec le bois. Une pince à thermo-souder permet ensuite de sceller les lais de films entre eux. Un indicateur coloré est au préalable inséré dans l’enveloppe afin d’apporter un contrôle visuel : lorsque la concentration d’oxygène dépasse 0,1 à 0,3 % la bandelette vire du blanc au bleu. L’ensemble est conservé ainsi pendant quatre semaines à une température supérieure à 20° C. En général, une période de trois semaines est considérée comme suffisante pour éradiquer tout type d’infestation281.
Nous avons utilisé les films fournis par la société Hygiène Office, 4 rue Pelletier, 91320 Wissous. 279 L’enveloppe mesure environ 93 x 52 x 3 cm. 280 R. Payet, Traitements anoxiques statiques : généralités, fiche technique n° 4, p. 1. 281 Ibid. 278
115
L’anoxie terminée, un insecticide est appliqué de manière préventive : trois passages au spalter de per-xil 10® sont réalisés. Une fois les altérations biologiques traitées, les problèmes mécaniques sont appréhendés avec l’aide d’un ébéniste puisque les interventions de conservation que requière le châssis nécessitent un outillage et un savoir-faire spécialisé282. Le manque de rigidité des angles est corrigé par l’introduction de Consolidation des angles petits éléments en épicéa aux endroits où l’assemblage à enfourchement est le plus usé. Les morceaux de bois sont fixés à l’aide d’acétate de polyvinyle. Afin de créer un chanfrein, des pentes en bois de cerisier sont plaquées sur les montants au moyen du même adhésif. Leur épaisseur est choisie de manière à pouvoir supprimer les taquets qui avaient été ajoutés au cours d’une intervention précédente. Leur rôle était de mettre à niveau le dos du châssis et le cadre afin de faciliter le maintien du tableau dans sa bordure. Comme ils mesuraient 0,8 cm d’épaisseur, nous avons choisi cette même valeur pour le bord extérieur de la pente tandis que pour le bord inférieur nous avons opté pour une épaisseur de 0,3 cm. La pente obtenue forme ainsi un angle de 14 %. Les taquets, devenus inutiles, sont alors éliminés de manière mécanique.
Figure 62. Détail de la tranche du châssis après le traitement de conservation.
La consolidation des angles et la pose des pentes en bois de cerisier sont réalisées en association avec Bernard Gallarotti, dans son atelier à Clarens en Suisse. 282
116
Chanfrein
Figure 63. Schéma représentant les différents éléments d’un système de montage à bord flottant.
Un film de Téflon® est agrafé sur le châssis de façon à recouvrir la pente, la tranche et le revers de chaque montant. Pose des bandes de tension définitives
Pendant trois jours, le tableau est conservé entre 50 et 60 % d’humidité relative, à une température d’environ 23° C283. Les angles du bâti sont alors refermés. Les bandes de tension provisoires en intissé sont incisées puis retirées. Le Plextol® B500 est d’abord ramolli à l’aide d’acétone appliqué au pinceau puis les bandes sont ôtées manuellement. Les résidus d’adhésif sont éliminés au moyen d’une gomme rigide. Les bandes définitives sont découpées dans un tissu monofilament Origam® 254 dont le grammage est de 18 g/m2. Elles sont ensuite fixées sur la toile originale avec du Plextol® B500 préalablement épaissi au xylène. Une fois l’adhésif sec, il est scellé au moyen d’une spatule chauffante aux alentours de 70° C.
Centrage du châssis
Le tableau est posé sur un plan de travail recouvert d’un Melinex® : la couche picturale repose sur la face siliconée. Le châssis est placé sur la toile de manière à retrouver son emplacement original. L’agrafage des bandes de tension sur le revers du châssis est effectué en maintenant cette disposition.
Choix de la tension
Comme le châssis est fixe, l’enjeu du remontage de la toile est d’appliquer une tension capable d’assurer la planéité du support tout en évitant de le tendre à l’excès.
Le remontage de la toile sur le châssis est effectué à environ 55% d’humidité relative car cette valeur correspond à la moyenne annuelle du taux enregistré dans le chœur. 283
117
Figure 64. Détail du film de téflon® agrafé sur le montant.
Figure 65. Détail de la bande de rabat avec la bande de tension en toile monofilament.
118
Les paramètres qui entrent traditionnellement en compte dans le choix du degré de tension, sont les suivants : - L’état de conservation général du tableau ; - La présence d’une ou plusieurs toiles de rentoilage ou de doublage ; - La masse du ou des supports textiles et de la couche picturale ; - La rigidité des couches de préparation et de peinture ; - Le taux d’humidité relative de l’atelier et du lieu de conservation284. Étant donné que la Descente de croix n’est ni rentoilée, ni doublée et que l’épaisseur de la couche picturale reste modérée, il semblerait que l’œuvre nécessite une tension plutôt faible. Par ailleurs, Gerry Hedley a mis en évidence que la valeur de tension de plusieurs échantillons de peinture à l’huile sur toile tendus sur châssis, s’équilibrait naturellement aux environs de 1,2 à 2,7 N/cm après 50 à 90 heures285. De plus, Gustave Berger et William Russel ont démontré que la force maximale pouvant être maintenue dans le temps par une toile de lin forte, se situait aux alentours de 1,75 N/cm286. Mise en tension
Par conséquent, la tension de la toile, au moment de son remontage sur le châssis, est réalisé à la main, sans pince à tendre afin d’éviter l’application d’un effort de traction exagéré. Les bandes en tissu monofilament Origam® 254 sont fixées au revers du châssis au moyen d’agrafes en acier inoxydable. L’intervalle entre chaque point de fixation est d’approximativement 4 cm afin de répartir de manière homogène la tension. Avant l’agrafage, une bande en polypropylène mesurant 1,5 mm d’épaisseur est positionnée sur le monofilament dans l’intention d’éviter son usure et de répartir encore plus régulièrement la tension. Puis, dans les heures qui suivent le remontage de l’œuvre, le taux d’humidité relative diminue : en plus ou moins dix heures, il passe de 55 % à 40 %. La tension du tableau demeure satisfaisante.
G. Capriotti et A. Iaccarino Idelson, op. cit., p. 61. G. Hedley, op. cit., pp. 133-148. 286 G. A. Berger, W. H. Russel, « Deterioration of surfaces exposed to environmental changes », in JAIC, 1990, Vol. 29, n° 1, pp. 45-77. 284 285
119
Figure 66. Revers du tableau après le traitement de conservation.
120
Figure 67. DÊtail du système avec glissement sur les bords.
121
2 Traitement de restauration 2.1 Mastics Avant de procéder au masticage des lacunes, un vernis Dammar à Premier vernis 17 % d’extrait sec dans du white spirit commercial287, stabilisé par un anti oxydant redox HALS288, est appliqué tiède à l’aide d’un spalter. La résine est travaillée pendant quelques minutes afin d’obtenir un film tendu. Les couleurs sont saturées et les contrastes retrouvés. Toutefois, au moment de l’application, la résine a migré à travers la couche picturale et a taché le revers de l’œuvre. Ce phénomène, s’il avait été redouté, n’avait pas été mis en évidence au moment des différents tests préalables. Deux facteurs expliquent cet incident : d’un côté, le faible poids moléculaire du vernis Dammar le rend capable de s’étaler sur une surface peinte et d’y pénétrer, de l’autre, la porosité et le réseau de craquelures de la couche picturale permettent le passage de la résine en direction du revers. Quant aux pertes de matières picturales, elles sont peu nombreuses et se situent majoritairement dans la partie inférieure du tableau, plus ou moins au niveau de l’arrête intérieure du châssis. Un mastic préparé à partir de blanc de Meudon et de colle de peau de lapin à environ 9 %, est posé avec une spatule fine de façon à ce que la surface de la lacune soit légèrement inférieure à celle de la peinture. Il est ensuite structuré à l’aide d’un mélange plus liquide afin de rappeler sommairement le réseau contigu d’écailles en cuvette. Un deuxième vernis est appliqué afin d’isoler les mastics et d’homogénéiser l’état de surface du tableau. Pour éviter une nouvelle migration de résine au revers, le même vernis Dammar à 17 % est cette fois pulvérisé à l’aide d’un ECOSPRAY®289. La distance de pulvérisation est d’environ 30 cm. Le film obtenu est plutôt régulier est brillant.
Le white spirit commercial contient environ 80 % d’alcanes aliphatiques et cycliques et 20 % d’hydrocarbures aromatiques. 288 Il s’agit du Tinuvin® 292 ajouté selon le pourcentage recommandé par René de la Rie : 3 % de la masse d’extrait sec de résine Dammar. 289 Il aurait été préférable de réaliser une pulvérisation au pistolet mais celui de l’atelier était défectueux à cette période. Comme le tableau est de petite taille nous avons malgré tout obtenu un vernis assez régulier. 287
122
Masticage
Deuxième vernis
2.2 Retouche La retouche est effectué au moyen de pigments secs Senneliers et de Laropal® A81 dilué à 20 % dans du lactate d’éthyle290. Réintégration des lacunes
Vu l’emplacement et la faible proportion de zones lacunaires, elles sont réintégrées à la composition de manière illusionniste. Un premier ton, d’une valeur légèrement plus claire et froide, est posé sur le mastic blanc par juxtaposition de petites touches. Les fonds obtenus sont couvrants et vibrants. Puis dans un deuxième temps, des minces glacis sont apportés de façon à obtenir une retouche dont la profondeur s’apparente à celle de la couche picturale originale. Reprise des Les glacis originaux situés au niveau de la partie verte du manteau glacis de saint Jean, ponctuellement arrachés, sont ensuite repiqués au moyen de fins points vert foncé. Intégration des Finalement, les usures et souillures d’insectes, principalement usures et présents dans le ciel, sont atténuées. Si la présence des taches souillures est affaiblie, celles-ci ne sont pas dissimulées par une retouche couvrante mais plutôt estompées par des touches transparentes. 2.3 Vernis Le vernis final est préparé à partir de Laropal® A81 dilué à 17% dans un mélange contenant la même quantité de white spirit D40291 et de xylène. Le Tinuvin® 292 est ajouté à la préparation puisque cet anti oxydant redox HALS confère au polymère la capacité de protéger les couches sous-jacentes des dégradations causées par les rayons ultraviolets292. Alors que la température de l’atelier est supérieure à 20°C, le vernis est pulvérisé avec un ECOSPRAY® en franges verticales puis horizontales à une distance d’environ 60 cm. Lors de la pulvérisation, la bombe est inclinée à environ 45°. Le film obtenu après la première application de ce vernis est homogène et brillant. Nous choisissons de ne pas réaliser une deuxième couche. Toutefois, si au moment de la mise en place du tableau dans le chœur de la basilique, nous jugeons sa brillance trop élevée, nous procéderons à un ajustement. Le lactate d’éthyle appartient à la famille des esters. Le white spirit D40 est un mélange d’alcanes aliphatiques et cycliques. Contrairement au white spirit commercial, il ne contient pas d’hydrocarbures aromatiques. 292 N. Balcar, op. cit., p. 11. René de la Rie recommande le pourcentage suivant: 2 % de la masse d’extrait sec de résine Laropal® A81. 290 291
123
Conclusion Les interventions de conservation-restauration, pratiquées sur la Descente de croix, s’articulent en différentes phase afin de répondre au mieux aux exigences de conservation du bien culturel. Ainsi face à quatre problématiques principales, chacune des solutions retenues pour le traitement du tableau prend en compte le respect de l’intégrité historique, esthétique et physique de l’œuvre. Dans un premier temps, le nettoyage de la couche picturale, en ôtant les crasses et les amas de résine, permet l’élimination des composés sulfurés et azotés susceptibles d’accélérer le processus de vieillissement de l’œuvre. Cette opération facilite également la lisibilité de la composition puisque la suppression du voile brunâtre révèle des coloris vifs et frais. Puis, en jouant sur le taux d’humidité relative et le degré de tension de la toile, les déformations du support se résorbent progressivement. Alors, l’introduction au sein de la stratigraphie d’un adhésif collagénique rétablit l’adhérence de la couche picturale au support. L’humidité et la chaleur apportées au cours de cette opération plastifient en partie la couche picturale et favorisent la diminution de l’amplitude des déformations des écailles en cuvettes. En dernier lieu, le montage élastique de la toile sur son châssis d’origine garantirait le maintien d’une tension suffisante en dépit des variations hygrométriques du lieu de conservation. Une fois le tableau retourné dans le chœur de la basilique de Saint-Maurice, il sera contrôlé régulièrement afin de vérifier si la méthode de fixation de la toile se révèle efficace. Dans cette optique, le thermo-hygromètre enregistreur, installé sur les boiseries de chœur au cours de l’été 2013, restera en place dans l’intention de poursuivre la collecte des données climatiques.
124
125
126
Sujet technico-scientifique Introduction L’analyse historique de la Descente de croix a décelé plusieurs indices suggérant l’hypothèse que l’œuvre soit de Sebastian Düring. Aux cours de ces recherches, les châssis de deux tableaux attribués à cet artiste ont directement pu être examinés. Ces observations ont révélé que leur travail de menuiserie était très proche de celui de la Descente de croix. Ce constat a par conséquent appuyé le choix de la conservation de ce dernier. Dès lors, le traitement de conservation-restauration a dû répondre à une série de problématiques particulières En effet comme ce châssis est fixe et que l’évaluation des conditions climatiques du lieu de conservation du tableau a révélé des variations saisonnières et quotidiennes du taux d’humidité relative, le remontage de la toile s’avérait de ce fait problématique. À la suite de discussions avec Antonio Iaccarino Idelson, le tableau a été retendu selon un système qui permettrait un léger glissement des bords de la toile sur le châssis en réponse aux fluctuations d’humidité. L’objectif de cette étude est d’évaluer les réactions d’une peinture à l’huile sur toile tendue sur châssis soumise à des cycles précis d’humidité. Ce travail est réalisé en collaboration avec le laboratoire de mécanique de l’École Normale Supérieure de Cachan et plus précisément avec John-Éric Dufour et François Hild. Dans un premier temps, une série d’essais de traction à température et humidité constante sera réalisée afin de caractériser le comportement mécanique de la toile. Puis des échantillons de peintures à l’huile sur toile tendues sur châssis seront placés dans une enceinte climatique dans l’intention d’en examiner les mouvements du support au moyen de la stéréocorrélation d’images. Dans une dernière partie, cette même technique sera utilisée pour étudier le comportement de la Descente de croix au moment du remontage de la toile sur le châssis.
127
I Les toiles, matériaux anisotropes Avant d’étudier l’influence du mode de fixation de la toile sur le châssis au niveau de la réactivité des peintures à l’huile face aux variations du taux d’humidité relative, une série d’essais à température et humidité constante est d’abord réalisée.
1 Objectif de l’étude L’objectif de ces tests préalables est de mieux appréhender le comportement mécanique des toiles de fibres naturelles. Pour ce faire, des échantillons de toiles, de forme et de dimensions analogues, sont soumis à un essai de traction. Un effort de traction F est appliqué à l’éprouvette et son allongement Δl est enregistré. Les données obtenues sont ensuite portées sur un diagramme afin d’obtenir la courbe expérimentale de traction du matériau étudié. L’essai de traction permet ainsi de recueillir plusieurs valeurs importantes telles que : - Le module d’élasticité longitudinale ou module de Young E : il s’agit de la constante qui relie la contrainte de traction à la déformation du matériau293 ; - La limite d’élasticité Re : « l’élasticité correspond à la capacité de déformation réversible du matériau sous l’effet d’une force, d’une charge ou d’une contrainte »294. De cette manière la limite d’élasticité Re est la contrainte à partir de laquelle le matériau se déforme de manière irréversible ; - La limite à la rupture Rm ; - L’allongement à la rupture A : il mesure la capacité d’un matériau à s’allonger sous charge avant sa rupture. Notre intention est de comprendre dans quelle mesure la toile présente un comportement anisotrope. En d’autres termes, nous souhaitons mettre en évidence la différence de comportement entre le sens trame et le sens chaîne de la toile.
G. Delcroix, M. Havel, Phénomènes physiques et peinture artistique, Puteaux, Erec, 1988, p. 245. 294 Alain Roche, op. cit., p. 12. 293
128
2 Protocole expérimental L’essai consiste à placer un échantillon de toile entre les mâchoires d’une machine de traction qui tire sur l’éprouvette jusqu’à sa rupture. La sollicitation s’effectue donc de manière uniaxiale. Comme la machine est équipée d’un capteur de force et d’un capteur de déplacement, l’effort de traction F et l’allongement Δl sont relevés tout au long de l’expérimentation. Préparation des échantillons Toile
Le choix de la toile étudiée correspond à la première étape de la préparation des échantillons. Nous avons choisi une toile de lin forte commercialisée par la Maison Marin, à Paris, sous le code n° 18. Elle présente les caractéristiques techniques suivantes : -
Décatissage
Armure : Poids au m2 : Compte (nombre de fils en sens chaîne au cm) ; Duitage (nombre de fils en sens trame au cm) ; Embuvage295 fil en sens chaîne Embuvage296 fil en sens trame Sens de torsion des fils
toile ; 320 g/m2 ; 12 fils/cm ; 10 fils/cm ; ~ 10 % ; ~2%; Z.
Afin de réduire le nombre de paramètres variables, un morceau de toile de 220 x 300 cm est décati dans le but de réaliser l’ensemble des échantillons dans la même pièce de tissu. La toile est d’abord montée et tendue sur un bâti en aluminium. Elle est ensuite mouillée de manière à la relaxer et à en retirer les apprêts de finition. « Durant cette opération la toile précontrainte lors de sa tension sur le bâti subit au mouillage une surtension qui modifie sa structure »297 ; plusieurs phénomènes se produisent : les fils glissent, se tordent, se déforment,…
Selon I. Brossard, « l’embuvage est le raccourcissement des fils de chaîne après le tissage », il peut être calculé de la manière suivante : - « Mesurer la longueur des fils sur le tissu. - Enlever un fil : allonger à l’extrême. - Mesurer, calculer le pourcentage ». I. Brossard, op. cit. p. 302. 296 Dans le domaine de la conservation et de la restauration du patrimoine le terme embuvage est également utilisé pour les fils de sens trame. I. Brossard emploie, quant à elle, le terme retrait pour désigner « le raccourcissement des fils de trame après le tissage. I. Brossard, op. cit., p. 302. 297 A. Roche, op. cit., p. 31. 295
129
Lorsque le textile sèche, il se détend. Il est alors foulé dans l’intention d’en « (accentuer) la modification de l’embuvage et le glissement des fibres les unes par rapport aux autres »298. L’ensemble de ces opérations est répété trois fois. L’objectif est de diminuer la réactivité de la toile à l’humidité mais « aucun de ces traitements ne (la) stabilise, ils n’agissent que sur l’amplitude des forces qui se développent dans (la toile) et déplacent (sa) sensibilité à l’humidité »299. Huit échantillons de toile sont préparés : quatre échantillons dans le sens trame et quatre dans le sens chaîne. Leur format est choisi en fonction de la taille des mors de la machine de traction : comme ils mesurent 6,8 cm, des bandes dont la largeur correspond à cette dimension sont découpées en droit fil.
Découpe des échantillons
Deux échantillons prélevés dans chacun des sens sont encollés dans l’intention d’évaluer l’influence de l’encollage dans le comportement du tissu à la traction. La colle utilisée et une colle de peau sous forme de grains commercialisée par la maison Kremer. Elle est élaborée selon la méthode de préparation à froid, à partir des ingrédients suivants300 :
Encollage
- 0,1 kg de colle de peau de lapin en grain ; - 1 l d’eau déminéralisée froide. La colle de peau est ainsi préparée à une concentration d’environ 9 %. Les granules sont immergées dans l’eau pendant 24 heures puis l’ensemble est chauffé au bain-marie en veillant à ne pas dépasser les 60°C. La colle, encore chaude, est ensuite appliquées au spalter sur les échantillons. Étant donné que la toile est un matériau souple et fin, les bandes ne peuvent pas directement être placées dans les attaches de la machine. Pour cette raison, à chaque extrémité des éprouvettes sont fixés deux morceaux de bois mesurant 3,8 x 6,8 x 0,9 cm : les bords supérieurs et inférieurs des échantillons sont agrafés et collés au moyen d’une résine époxyde sur les morceaux de bois. La hauteur totale de l’assemblage est de 27,6 cm. Sans les taquets, elle est de 20 cm. Cette meure correspond à la partie de la toile qui est étudiée au cours de l’essai de traction.
A. Roche, op. cit., p. 31. Ibid. 300 Aucun conservateur n’est ajouté à ces ingrédients car une fois la colle prête, elle est directement utilisée. 298 299
130
Préparation des extrémités
Figure 68. Échantillons de toile décatie : les deux premiers dans le sens trame (hauteur), les deux autres dans le sens chaîne.
Figure 69. Échantillons de toile décatie et encollée : les deux premiers dans le sens trame (hauteur), les deux autres dans le sens chaîne.
131
Figure 70. Schéma représentant l’extrémité supérieure des éprouvettes.
Figure 71. Extrémité supérieure d'une éprouvette au moment du perçage central.
132
Éléments en aluminium
Après réflexion, des éléments supplémentaires sont ajoutés aux pièces en bois de manière à éviter toute distorsion de l’éprouvette durant l’essai. Deux plaques en aluminium mesurant 3,8 x 6,8 x 0,2 cm sont percées en leur centre ainsi qu’aux angles. Elles sont ensuite vissées au niveau des coins sur les taquets. À l’aide d’un foret, les morceaux de bois sont à leur tour percés à travers le trou réalisé au préalable dans les plaques d’aluminium. L’objectif de ce montage est d’introduire un cylindre métallique à travers chacune des extrémités de l’échantillon pour l’insérer de manière exacte dans les mors de la machine de traction.
Figure 72. Montage de l'éprouvette dans les mors la machine de traction.
133
Déroulement de l’essai Une fois les échantillons préparés, l’essai de traction se déroule au sein du laboratoire de mécanique de l’École Normale Supérieure de Cachan à une température d’environ 26°C et à un taux d’humidité relative d’approximativement 30%. Une première éprouvette, orientée dans le sens trame, est placée dans les mors de la machine. Une légère précharge est appliquée afin d’éviter tout jeu. Puis, l’échantillon est soumis à un effort de traction F jusqu’à sa rupture.
1ère phase
Ainsi l’allongement Δl est produit par le déplacement de la travée de la machine de traction. Pour ce premier essai, nous avons choisi une vitesse constante de 0,5 mm/min. L’objectif de cette première phase est d’évaluer la limite à la rupture Rm de l’éprouvette et de vérifier si la vitesse de traction est appropriée. Dans un second temps, quatre échantillons, deux dans le sens trame et deux dans le sens chaîne, sont soumis à un effort de traction F jusqu’à la rupture des premiers fils. Lorsque la limite à la rupture Rm est atteinte, la force est alors déchargée. Pour ces essais, la vitesse est de 2 mm/min.
2ème phase
Un cycle de charges-décharges est ensuite appliqué à deux éprouvettes de sens trame. Au moment où l’effort de traction F atteint environ 500, 1000 et 1500 N, la force est déchargée jusqu’à approximativement 200 N. La vitesse reste inchangée.
3ème phase
Le nombre d’échantillons est limité, car notre intention n’est pas de comparer entre elles les valeurs numériques obtenues au cours des essais mais plutôt d’évaluer le comportement général de la toile soumise à un effort de traction. Dans cette optique, nous nous intéressons principalement à l’allure globale des courbes de traction.
134
Figure 73. Machine de traction avec l'ĂŠprouvette au centre avant le dĂŠbut de l'essai.
135
3 Résultats 1ère phase La première éprouvette testée est orientée dans le sens trame. Elle est placée dans les mors de la machine et elle est soumise à un effort de traction F jusqu’à sa rupture. Un ordinateur relié à la machine de traction enregistre simultanément les données récoltées par les capteurs de force et de déplacement. Les mesures récoltées par le capteur de force sont exprimées en N. Elles correspondent, dans le graphique, aux ordonnées et se lisent par conséquent sur l’axe vertical. Quant aux mesures recueillies par le capteur de déplacement, leur unité est le mm. Dans le graphique, elles se lisent sur l’axe horizontal.
Unités
La courbe obtenue se compose schématiquement de trois parties qui se caractérisent chacune par une pente spécifique :
Profil de la courbe
- Jusqu’aux environs de 400 N, la courbe est moyenne ; - Puis, sa pente augmente sensiblement et elle devient pratiquement linéaire ; - Légèrement avant 2000 N, elle s’inverse brusquement et forme des sauts. 2000 F en N
1500
1000
500
0 0
5
10
15
20
25
toile sens trame
30
35
40
45 Δl mm
Figure 74. Courbe de traction de l’éprouvette en sens trame (vitesse constante de 0,5 mm/min).
136
La pente de chacune de ces parties correspond à des phénomènes qui se manifestent dans la toile au moment de son élongation. Mais avant de procéder aux autres essais et de comparer les courbes entre elles, nous souhaitons effectuer quelques ajustements. Modifications du protocole
Ce premier essai a duré environ 50 min. En réalité, la rupture ne s’est pas produite de manière brutale mais fil par fil, les premiers ayant cédés après environ 15 min aux alentours des 2000 N. L’instant où les premiers fils commencent à se déchirer peut être considéré comme étant la limite à la rupture Rm de la toile. Dès lors nous décidons, pour les prochains essais, de stopper l’effort de traction F lorsque cette limite sera atteinte. Nous choisissons par ailleurs d’accélérer la vitesse de déplacement de la travée de la machine de traction : elle passe ainsi de 0,5 mm/min à 2 mm/min. 2ème phase Quatre échantillons sont testés selon ces nouvelles conditions : -
1er : toile sens trame ; 2ème : toile encollée sens trame ; 3ème : toile sens chaîne ; 4ème : toile encollée sens chaîne.
Réflexion sur Avant de présenter les courbes obtenues, nous souhaitons évoquer les incertitudes le problème des incertitudes de mesures. Les capteurs de force et de déplacement placés sur la machine de traction sont de grande précision. L’incertitude liée aux instruments est donc très faible. En revanche, le matériau que nous étudions n’est pas complètement homogène. Comme la toile est formée par l’entrecroisement de fils eux-mêmes constitués de plusieurs fibres d’origines naturelles, plusieurs irrégularités peuvent intervenir dans le tissage. Ainsi, l’incertitude liée au matériau testée se révèle importante. Dans le but d’évaluer ces incertitudes, nous avons effectué l’analyse statistique des mesures obtenues pour quatre échantillons de sens trame soumis à un effort de traction F jusqu’à la rupture du premier fil, la vitesse de la travée étant de 2 mm/min301.
Cette méthode de calcul est normalement appliquée à un ensemble important des résultats expérimentaux. Étant donnée le nombre restreint de nos échantillons, les valeurs obtenues sont à considérer avec précaution. 301
137
Limite à la rupture Rm
1466 N ; 1545 N ; 1451 N ; 1653 N
Moyenne ̅
1529 N
Variance σ2
8561,67 N2
Écart type σ
92, 6 N
Écart type à la moyenne
̅
46, 3 N
L’écart type σ prend à la fois en compte les erreurs aléatoires et systématiques, alors que l’écart-type à la moyenne ̅ ne fait intervenir que les erreurs aléatoires. Le calcul des incertitudes absolues et relatives est réalisé à partir de l’écart-type à la moyenne ̅ . Incertitude absolue avec un indice de confiance à 95 %
92,6 N
Incertitude relative avec un indice de confiance à 95 %
6%
Malgré le nombre restreint des éprouvettes testées, l’évaluation de leurs incertitudes nous indique que nous sommes tout de même en mesure de comparer entre elles l’allure des courbes obtenues. 2000 F en N 1500
1000
500
0 0
5
10
15
20
25
30
35
40 45 Δl en mm
Toile sens trame
Toile sens chaîne
Toile encollée sens trame
Toile encollée sens chaîne
Figure 75. Courbes de traction de deux éprouvettes en sens trame et de deux en sens chaîne.
138
Contrainte et déformation
Pour faciliter l’interprétation de ces courbes, l’effort de traction F et l’allongement Δl sont convertis en contrainte σ et en déformation . La constante qui relie la contrainte de traction σ et la déformation relative de l’objet , permet de présenter la courbe de traction du matériau quelles que soient les dimensions de l’éprouvette. La rigidité de la toile est ainsi mise en évidence en fonction du sens trame et chaîne. Contrainte
F (N)
σ (Pa) = S (m2 )
Déformation
Δl (m)
(%) = l
0
(m)
S
(m2)
F (N) Effort de traction Surface de l’éprouvette
Δl (m) Allongement de l’éprouvette l0 (m) Longueur initiale de l’éprouvette
Les données obtenues sont à leur tour présentées dans un graphique : la contrainte σ, exprimée en Pa, se lit sur l’axe vertical alors que la déformation relative , formulée en pourcentage, se lit sur l’axe horizontal. 120000 σ en Pa 100000
80000
60000
40000
20000
0 0
5
10
15
20
Toile sens trame
Toile sens chaîne
Toile encollées sens trame
Toile encollée sens chaîne
Figure 76. Courbes de traction exprimées en contrainte σ et déformation quatre échantillons obtenus à partir des essais de traction.
25 en %
des
139
De manière assez claire, la rigidité du sens trame paraît plus élevée que celle du sens chaîne. Au moment de la rupture des premiers fils des échantillons orientés dans le sens trame, la déformation est inférieure à 10 % alors que pour les éprouvettes en sens chaîne elle se situe environ entre 15 et 20 %. Par ailleurs, la limite à la rupture Rm du sens trame est plus importante que celle du sens chaîne puisqu’elles se situent respectivement aux alentours de 1000 hPa et de 600 hPa. La toile est donc un matériau anisotrope puisque son comportement dépend de sa direction. Ces différences de réaction, d’un sens à l’autre, sont le résultat de la fabrication du textile. Comme le tissage s’effectue sur deux lames, « à chaque coup de navette il suffit de lever la moitié des fils de chaîne, alternativement, fils pairs et fils impairs qui recouvriront le fil de trame lancé par la navette »302. « La navette est l’organe mobile du métier à tisser (qui) […] porte le fil de trame entre les fils de chaîne dans un mouvement constant de va-etvient »303. Ce mouvement nécessite par conséquent que les fils de trame soient tendus L’analyse tomographique d’un échantillon de la toile étudiée met en évidence la différence d’ondulation des fils au sein du tissage. Nous rappelons que l’embuvage en sens trame est approximativement de 2 % alors que celui en sens chaîne est plus proche de 10 %.
Figure 77. Tomographie de la toile étudiée. Le sens trame est orienté verticalement et le sens chaîne horizontalement.
302 303
I. Brossard, op. cit., p. 204. Ibid., p. 190.
140
Différences entre les sens trame et chaîne
Effet de l’encollage
Quelle que soit l’orientation du tissage, l’encollage augmente la rigidité de la toile. En effet, le film de colle de peau de lapin à une température de 26°C et à un taux d’humidité relative d’approximativement 30% est rigide et cassant, sa résistance à la rupture étant élevée304.
Phénomène d’hystérésis
Lorsque les échantillons sont soumis à un cycle de chargesdécharges, un phénomène d’hystérésis est mis en évidence : la courbe de décharge ne coïncide pas avec la courbe de charge, elle forme une boucle305. L’élasticité de la toile n’est pas parfaite étant donné que la déformation n’est pas instantanément réversible306. Il semblerait qu’au moment de la première décharge (celle effectuée à 500 N), la limite d’élasticité Re du matériau ait déjà été dépassée. Berger et Russel, en effectuant des essais de traction sur une toile de lin forte dont le poids au m2 était de 350 g/m2, ont évalué que sa limite d’élasticité Re se trouvait aux environs de 180 N/m307. Si nous considérons maintenant le cas d’une peinture à l’huile sur toile tendue sur châssis, le dépassement de la limite d’élasticité Re de la toile engendrerait une déformation plastique du support308. 2000 F en N 1500
1000
500
0 0
5
Toile sens trame
10
Δl mm
15
Toile encollée sens trame
Figure 78. Courbe de traction en charges-décharges de deux éprouvettes en sens trame, l'une encollée, l'autre non.
A. Roche, op. cit., p. 69. G. Delcroix, M. Havel, op. cit., p. 250. 306 « L’élasticité est la tendance d’un corps à reprendre la forme et les dimensions qu’il avait avant une sollicitation, lorsqu’on supprime cette sollicitation », G. Delcroix, M. Havel, op. cit., p. 248. 307 G. A. Berger, W. A. Russell, op. cit., p. 191. 308 « Nous dirons que le comportement plastique est celui d’un corps solide qui prend des déformations permanentes sans se fissurer », G. Delcroix, M. Havel, op. cit. p. 250. 304 305
141
II Réactivité des peintures à l’huile sur toile face aux variations d’humidité Maintenant que le comportement mécanique de la toile a été appréhendé de façon générale, nous allons nous concentrer plus précisément sur l’influence du son mode de fixation sur le châssis au niveau de la réactivité des peintures à l’huile face aux variations du taux d’humidité relative.
1 Objectif de l’étude Le mode de fixation d’une peinture de chevalet détermine le degré et la répartition de la tension au sein de la stratigraphie du tableau. Avec les méthodes traditionnelles, la répartition de la tension n’est pas homogène : certaines zones sont plus tendues que d’autres. Ces différences peuvent être à l’origine de déformations de tissage et peuvent également, dans certains cas, favoriser le développement d’un réseau de craquelures. En soumettant plusieurs séries d’échantillons à des essais de traction biaxiale, Christina Young et Roger Hibberd ont effectué les observations suivantes : - La répartition des tensions au sein d’un tableau dont la toile est fixée sur la tranche du châssis est quasiment identique dans le cas d’un clouage ou d’un agrafage ; - Plus les points de fixation sont rapprochés, meilleure est la distribution des tensions ; - Les irrégularités de tension diminuent successivement lorsque les fixations se trouvent sur la face du tableau, la tranche du châssis et le revers du châssis ; - La pose d’une bande de protection au moment du clouage ou de l’agrafage participe à une meilleure répartition de la tension309. L’objectif de notre étude est de comparer deux méthodes différentes de fixation de la toile sur un châssis fixe. Dans un cas le support textile est agrafé sur la tranche du châssis alors que dans le second, il est agrafé, à travers une bandes en polypropylène, au revers des montants préalablement recouverts d’un film en Téflon®.
309
C. R. T. Young, R. D. Hibberd, op. cit., p. 219.
142
Figure 79. Schéma représentant les différents éléments d'un système de fixation sur la tranche du châssis.
Figure 80. Schéma représentant les différents éléments d'un système de montage à bord flottant.
Pour comparer les deux méthodes entre elles, nous n’allons pas effectuer des essais de traction biaxiale comme Young et Hibberd, mais plutôt soumettre plusieurs échantillons à un cycle précis d’humidité. Le comportement de chacun d’eux sera étudié au moyen de la stéré-corrélation d’images.
143
2 Protocole expérimental L’expérience consiste à introduire simultanément deux échantillons à l’intérieur d’une enceinte climatique dont la température est stable, alors que le taux d’humidité relative fluctue. Étant donné que l’enceinte est équipée d’un banc de stéréo-corrélation, les réactions des échantillons face aux variations d’humidité sont étudiées tout au long de l’essai. Préparation des échantillons Deux châssis sont fabriqués chez un ébéniste310. Ils sont construits en bois de résineux et mesurent 28,2 x 37,6 cm. Chaque montant est dégraissé sur les côtés face et revers. Leur assemblage est fixe. Un film en Téflon® est agrafé sur un des châssis de manière à recouvrir la pente, la tranche extérieure et le revers.
Châssis
Dix échantillons de toile, d’environ 36 x 46 cm, sont découpés dans le morceau qui avait été décati pour la confection des éprouvettes de l’essai de traction. Il s’agit donc de la toile de lin forte n° 18 de la Maison Marin. Pour chacune des pièces le sens chaîne est parallèle au plus long côté.
Toile
Les morceaux de tissus sont repassés afin d’en éliminer les plis. Ils sont ensuite posés sur un panneau de bois lui-même recouvert d’un Melinex®. Les quatre extrémités des éprouvettes sont alors agrafées de manière à ce que le tissage conserve son orthogonalité.
Figure 81. Dimensions des montants des châssis. Toutes les mesures de longueur sont exprimées en cm.
Le travail de menuiserie a été effectué par Bernard Gallarotti à Clarens, en Suisse. 310
144
Au centre de chaque morceau de toile est tracé au crayon un rectangle de 28,2 x 37,6 cm qui correspond à la surface qui sera encollée et enduite. Le marquage respecte le plus rigoureusement possible le droit-fil. Encollage
Une colle de peau de lapin dont la concentration est d’environ 9 % est appliquée chaude au spalter sur les dix échantillons. Deux semaines de séchages sont respectées. Une préparation lipidique rouge est réalisée à partir des ingrédients suivants : -
Enduction
1 part de carbonate de calcium ; 1 part de pigments ocre rouge ; 1,5 part d’huile standolie ; 0,5 part de térébenthine rectifiée311.
La préparation est appliquée au pinceau, en une couche dense, sur les éprouvettes. Celles-ci sont conservées pendant cinq mois à une température qui varie entre 18 et 22° C et à un taux d’humidité relative qui fluctue entre 40 et 60 %. Bien qu’au moment de l’encollage et de l’enduction nous ayons tenté de répartir la matière le plus uniformément possible, il est probable que se présentent des variations d’épaisseur au sein de chaque échantillon ainsi que d’un échantillon à l’autre. Si ces étapes de préparation s’avèrent indispensables à la création d’échantillons reproduisant, de manière simplifiée, la stratigraphie d’une peinture à l’huile sur toile, elles se révèlent également être à la source de défauts d’homogénéité et participent, par conséquent, à l’augmentation des incertitudes de mesure. Après cinq mois, les dix échantillons sont déposés de leur panneau de bois. Ils sont placés sur un plan de travail recouvert d’un Melinex® de manière à ce que la couche picturale repose sur la face siliconée. Des bandes de tension en tissu monofilament Origam® 254 sont découpées puis fixées au niveau des bandes de rabat de chaque éprouvette avec du Plextol® B500 préalablement épaissi au xylène. L’adhésif est scellé à l’aide d’une spatule chauffante à environ 70° C.
311
L’ensemble des ingrédients provient de la Maison Marin. 145
Construction de l’enceinte climatique artisanale Une enceinte climatique artisanale est construite au sein du laboratoire de mécanique de l’École Normale Supérieure de Cachan. Ses dimensions sont choisies afin de permettre la mise en place d’un banc de stéréo-corrélation étudiant simultanément deux éprouvettes. Elle mesure 3 x 2 x 2 m. Son cubage est donc de 12 m3. La structure rigide se compose de barres en acier et l’enveloppe hermétique d’une bâche en polyéthylène tressée.
Figure 82. Enceinte climatique artisanale vue de l'extérieur.
Figure 83. Banc de stéréo-corrélation installé dans l'enceinte.
146
L’apport d’humidité est produit par un brumisateur constitué de deux cellules à ultrason Mist Maker®312, tandis que l’asséchement est opéré par un déshumidificateur Proline® DH 10313 pendant qu’un ventilateur assure le brassage de l’air. Une fois l’enceinte construite, plusieurs essais sont réalisés dans l’intention d’établir un cycle précis d’humidité. Nous choisissons de soumettre les échantillons à des taux d’humidité relative dont les valeurs maximale et minimale reproduisent approximativement celles enregistrées dans le chœur de la basilique de Saint-Maurice, tandis que la température reste plus ou moins constante. Chaque cycle dure sept heures et est obtenu de la manière suivante : - 20 min d’humidification : le brumisateur et le ventilateur sont en marche ; - 1 h 40 de brassage d’air : seul le ventilateur fonctionne ; - 4 h de déshumidification : le déshumidificateur et le ventilateur sont enclenchés ; - 1 h de brassage d’air : seul le ventilateur fonctionne. Les conditions hygrométriques à l’intérieur de l’enceinte climatique sont enregistrées au moyen d’un Thermo-hygromètre KlimaLogg Pro® placé au centre du banc de stéréo-corrélation. La précision des mesures de la température et l’humidité est respectivement de ± 1° C et de ± 2 %. 100 90 80 70 60 50 40 30 20 10 0 0
2
4
6
8
10
Humidité relative
12
14
16
18
20
Température
Figure 84. Relevé des courbes hygrométriques au sein de l'enceinte climatique. L'axe horizontal exprime des heures et l'axe vertical des pourcentages.
Le débit de chaque cellule peut atteindre 300 ml/h lorsque la circulation de l’air est importante. 313 La capacité d’extraction de l’appareil est d’environ 400 ml/h. 312
147
Stéréo-corrélation d’images La réaction des échantillons aux fluctuations d’humidité est analysée à l’aide de la stéréo-corrélation d’images. Cette technique d’analyse optique permet l’étude des déformations de surface d’un objet soumis à une contrainte. Son fonctionnement est décrit précisément dans l’article intitulé CAD-Based Calibration and Shape Measurement with StereoDIC Principle and Application on Test and Industrial Parts314. En s’appuyant sur ce texte, nous présentons, dans les lignes qui suivent, les principes généraux de cette méthode. L’objectif de la stéréo-corrélation est de reconstruire mathématiquement une image 3D qui représente l’objet étudié se déformant. Dans cette perspective, celui-ci est photographié, à plusieurs reprises, par deux appareils simultanément. Les images obtenues sont ensuite comparées : le principe est de « reconnaître » la texture de surface de l’objet entre le premier doublet d’images, qui sert de référence, et les autres. Pour analyser les déplacements ou déformations de l’objet, la surface de ce dernier doit présenter une structure visible aléatoire : si la surface n’est pas naturellement texturée, un mouchetis est réalisé par pulvérisation de peinture acrylique noire et blanche. Le motif ainsi créé s’identifie clairement et permet l’utilisation de la corrélation. Les photos sont converties en noir et blanc de façon à obtenir des images en niveau de gris. Un calcul de transformation permet ensuite le passage de l’objet réel en 3D aux repères 2D des images et, après plusieurs étapes de calibration, la corrélation d’images est effectuée entre les photos de gauche d’un côté et celles de droite de l’autre. Enfin, en inversant le système matriciel, les déplacements dans l’espace 3D sont obtenus.
B. Beaubier, J.-E. Dufour, F. Hild, S. Roux, S. Lavernhe, K. Lavernhe-Taillard, « CAD-Based Calibration and Shape Measurement with StereoDIC Principle and Application on Test and Industrial Parts », in Experimental Mechanic, V. 54, N°3, 2014, pp. 329-341. 314
148
Figure 85. Première étape de la phase de calibration, Beaubier et al, 2013 ©. Les matrices, qui sont des objets mathématiques représentant les appareils photo, sont transformées afin de correspondre, le plus précisément possible, à la surface de l’objet étudié.
Figure 86. Deuxième étape de la phase de calibration, Beaubier et al, 2013 ©. La forme 3D de l’objet observé est mesurée.
149
Déroulement de l’essai La mise en tension des échantillons sur leur châssis est réalisée au sein du laboratoire de mécanique de l’École Normale Supérieure de Cachan dans la salle qui abrite l’enceinte climatique. La température et l’humidité relative varient respectivement entre 22 et 24° C et entre 30 et 40 %. Deux premiers échantillons sont placés sur un plan de travail recouvert d’un Melinex®, la couche picturale repose sur la face siliconée. Les châssis sont centrés sur le revers de chacune des éprouvettes. L’agrafage des bandes de tension est exécuté en maintenant cette position. La tension des échantillons est effectuée à la main. Le degré de tension appliqué à la toile est faible. Dans un cas l’éprouvette est agrafée sur la tranche du châssis, les agrafes étant fixées directement à travers la toile en lin. Dans l’autre, les bandes de tension sont agrafées au revers du châssis recouvert du film en Téflon®, à travers une bande en polypropylène. Dans les deux cas l’agrafage débute par les centres des quatre montants et se poursuit symétriquement de part et d’autre de l’agrafe centrale, à un intervalle de quatre centimètres. Lorsque les deux échantillons sont tendus, des gouttelettes blanches et noires de peinture acrylique sont projetées sur leur surface afin de créer l’effet texturé caractéristique du mouchetis. Après environ une heure de séchage, les deux éprouvettes sont introduites au sein de l’enceinte climatique. Ils sont positionnés sur un socle en plexiglass. Une fois l’enceinte close, les prises de vue débutent : les quatre appareils photographiques prennent simultanément une image toutes les quinze minutes. Les échantillons sont soumis à trois cycles de sept heures, le premier apport d’humidité ayant lieu vingt minutes après le commencement des prises de vue. Comme l’essai dure plus de vingt-et-une heures, environ 1160 images sont prises puis analysées. À la fin des vingt-et-une heures, l’enceinte est ouverte et les échantillons sont retirés puis dégrafés. Deux autres éprouvettes sont alors mises en tension sur les châssis et mouchetées afin d’être à leur tour introduites dans la chambre climatique. Six échantillons sont successivement placés dans l’enceinte en suivant le même protocole.
150
1ère phase
2ème phase
Dans une seconde phase deux éprouvettes sont installées dans la chambre climatique pour une durée de cinq jours. Après chaque cycle de vingt-et-une heures, aucun instrument ne fonctionne plus durant trois heures. Les échantillons subissent par conséquent quinze pics d’humidité.
Figure 87. Échantillon moucheté placé sur le socle en plexiglass à l’intérieur de l’enceinte.
151
3 Résultats Avant d’analyser les résultats, leur exactitude est vérifiée. Réflexion sur Plusieurs facteurs d’incertitude de mesure interviennent en effet les incertitudes dans le calcul des déplacements surfaciques par corrélation d’images. Les principaux sont les suivants : - La qualité des images prises photographiques ; - Les erreurs liées au calibrage ; - Le choix des paramètres de calcul ; - La qualité du mouchetis ; - L’environnement de l’essai315.
par
les
appareils
Pour nous rendre compte de la précision des mesures, une carte des résidus de corrélation est dressée. Il s’agit du calcul des écarts entre l’image de référence et l’image déformée corrigé par le déplacement de la toile316.
Figure 88. Résidus de corrélation correspondant à l'image n° 80 (il s'agit de la dernière image de l'essai n° 3). L’incertitude de mesure d’un capteur de stéréo-corrélation est évaluée dans le compte rendu suivant : J.P. Chambard, S. Jaminion, M. Tazeroualti, C. Galerne, F. Hild, « Mesure de champs de déplacements 3D par corrélation d’images – Étude métrologique et application sur structures composites », Comptes rendus des JNC 16, Toulouse, 2009. 316 Comme nous mesurons des déplacements de la toile, nous ne comparons pas une image de droite avec une image de gauche mais bien deux images de droite prises à deux moments différents avec deux images de gauche prises à deux moments différents. B. Beaubier, J.-E. Dufour, F. Hild, S. Roux, S. Lavernhe, K. Lavernhe-Taillard, op. cit., pp. 329-341. 315
152
Comme les résidus sont très faibles, de l’ordre de 1 à 1,2 %, la correspondance entre les images de droite et gauche est excellente. Les écarts sont essentiellement dus aux bruits présents sur les images. Les appareils photographiques utilisent en effet des détecteurs numériques qui au moment de la prise de vue produisent un signal numérisé. Le « bruit de numérisation » correspond aux erreurs d’arrondi réalisées au moment de cette étape. L’incertitude de mesure est difficile à évaluer précisément mais, dans notre application, elle serait relativement faible, de l’ordre de 0,02 mm pour les déplacements enregistrés dans l’axe z et de 0,005 mm pour ceux des axes x et z. Présentation des résultats
Les variations du taux d’humidité relative ont engendré des déplacements surfaciques sur l’ensemble des échantillons. Si, quel que soit le mode d’accrochage de la toile au châssis, celle-ci s’est déformée, le comportement des échantillons agrafés sur la tranche n’a pas été identique à celui des éprouvettes fixées au revers du châssis. Pour comparer les différences entre les deux types d’échantillons, nous allons analyser les images 3D d’un des essais de vingt-et-une heures. Les déplacements de la toile étant étudiés dans les trois dimensions de l’espace, les mouvements sont repérés par les trois axes orthogonaux que sont les axes x, y, et z. Ceux enregistrés dans les axes x et y correspondent à des déplacements dans le plan alors que ceux de l’axe z sont perpendiculaires à la surface. Les résultats sont présentés selon la forme suivante : - Trois images 2D qui montrent les déplacements observés dans les axes x, y et z ; - Une vue 3D qui fait la synthèse des trois images précédentes ; - Un graphe représentant la courbe du taux d’humidité relative qui indique le positionnement du doublet d’images par une croix rouge.
153
Figure 89. Image 3D de la surface de l'échantillon fixé sur la tranche du châssis. Cette vue est obtenue à partir du premier doublet de photos (HR = 33 %, T = 22,5°C) de l’essai n° 3. Les valeurs sont en cm.
Figure 90. Image 3D de la surface de l'échantillon fixé au revers du châssis. Cette vue est obtenue à partir du premier doublet de photos (HR = 33 %, T = 22,5°C) de l’essai n° 3. Les valeurs sont en cm. 154
Figure 91. Image 3D d'une surface parfaitement plane. Cette vue n'est pas obtenue à partir de photos d'un échantillon mais à partir de points théoriques.
Problème de planéité
En comparant les images 3D des échantillons agrafés sur la tranche du châssis et ceux fixés au revers avec une surface théorique parfaitement plane, nous constatons des défauts de planéité dans les deux cas. Il s’agit pourtant des vues obtenues à partir des deux premiers doublets d’images. Pour quelle raison les échantillons sont-ils déjà déformés étant donné qu’aucune variation importante de taux d’humidité relative n’a encore eu lieu? L’étude effectuée par André Thomas Mielniczek sur les forces mécaniques mises en jeu lorsqu’une toile est tendue sur un châssis soutient l’hypothèse que l’absence de déformation de surface dépendrait en partie de « de la présence de […] forces contraires, proportionnellement identiques et régulièrement disposées »317. En théorie, comme les efforts de traction sont appliqués sur les quatre côté du tableau, ils se compenseraient et le système serait dans un état d’équilibre318.
A. T. Mielniczek, « La peinture sur toile et les lois de la mécanique », Conservation et Restauration, n° 5-6, 1986, p. 17. 318 Ibid., pp. 16-17. 317
155
Toutefois, lors du clouage ou de l’agrafage du support, des dissymétries apparaissent. Les efforts de traction exercés sur les bords du tableau, et plus précisément au niveau des bandes de rabat, ne peuvent pas être répartis de manière parfaitement homogène au moment du montage de la toile sur le châssis. Un certain déséquilibre apparaît ainsi au sein des matériaux constitutifs de l’œuvre319. L’amplitude des déformations observée sur les deux éprouvettes est d’environ 1 mm. Elle est donc relativement faible et n’est pas discernable à l’œil nu. Deux facteurs semblent en être à l’origine. Premièrement, même si les châssis ont été fabriqués à l’aide d’une machine de précision et il est possible que de petits défauts se trouvent dans le bois. Deuxièmement, comme le premier doublet d’images est réalisé plus d’une heure après la tension de la toile, il est vraisemblable que les forces s’exerçant au sein des matériaux se soient déjà en partie réalignées. Effectivement, en analysant le comportement de cinq échantillons de peinture à l’huile sur toile naturellement vieillis, Gerry Hedley a mis en évidence qu’à la suite de leur remontage sur châssis, la tension de la toile s’équilibrait naturellement dans les heures qui suivent le clouage ou l’agrafage320. Si nous nous concentrons maintenant sur les réactions de nos échantillons face au premier pic d’humidité relative, nous observons que la surface des deux éprouvettes ondule. Pourquoi ces ondulations apparaissent-elles ? En étudiant individuellement les propriétés mécaniques des matériaux constitutifs d’une peinture à l’huile sur toile, Marion Mecklenburg a démontré que leur rigidité dépendait directement du taux d’humidité relative. Il a également révélé qu’un superposant le comportement des différents constituants de l’œuvre, la réponse de l’ensemble du tableau pouvait être appréhendée321.
A. T. Mielniczek, op. cit., pp. 16-17. G. Hedley, op. cit., p. 136. Ce phénomène des réalignements des forces est étudié plus en détail dans le chapitre suivant. 321 M. F. Mecklenburg, « Some aspects of the mechanical behavior of fabric supported paintings », Report submitted to the Smithsonian Institution under the National Museum Act, Washington DC, 1982, pp. 1-68. 319 320
156
Ondulations
Figure 92. Image 3D de la surface de l'échantillon fixé sur la tranche du châssis obtenue à partir des images n° 4 (HR = 68 %, T = 21,5°C) de l’essai n° 3. Les valeurs sont en cm.
Figure 93. Image 3D de la surface de l'échantillon fixé au revers du châssis obtenue à partir des images n° 4 (HR = 68 %, T = 21,5°C) de l’essai n° 3. Les valeurs sont en cm.
157
De manière schématique et traditionnelle, une peinture de chevalet se compose de trois constituants : un support textile, un film de colle animale et un film de peinture à l’huile. Nos échantillons reproduisent d’ailleurs cette stratigraphie. D’un point de vue mécanique, « dans un matériau composite c’est l’élément possédant la rigidité la plus importante qui impose son comportement aux autres constituants »322. Ainsi, comme le taux d’humidité relative de la pièce dans laquelle les échantillons sont tendus sur les châssis est d’environ 33 %, c’est le film de colle de peau de lapin qui impose son comportement aux autres matériaux, son module d’élasticité Ec étant de long le plus élevé. Lorsque l’humidité atteint 75 %, les trois modules Et, Ec et Ep tendent à s’approcher d’une valeur correspondant à l’état de contraintes minimum de la peinture à l’huile sur toile323. Étant donné qu’au sein de l’enceinte climatique le taux d’humidité relative varie approximativement de 35 à 80 %, nous observons essentiellement le comportement de l’encollage. 100 90 80
Contrainte σ
70 60 50 40 30 20 10 0 0
10
20
30
40
Film de colle animale
50
60
Toile de lin
70
80
90 HR %
Film de peinture à l'huile Figure 94. Modules d'élasticité longitudinale E des principaux matériaux constitutifs d'un tableau à une température de 20° C (d'après Gerry Hedley, 1988©).
322 323
A. Roche, op. cit., p. 103. Ibid., pp. 102-103.
158
Effet de l’encollage
L’étude des déformations des films de colle de peau de lapin, menée par Adam Karpowicz, a montré que ceux-ci se contractaient lorsque le taux d’humidité relative excédé 70 à 80 % pendant plusieurs heures324. Si ce phénomène ne concerne pas directement notre expérience, les échantillons étant soumis à des pics d’humidité plutôt courts, la colle animale serait malgré tout responsable, en grande partie, des mouvements des éprouvettes. Afin de comprendre l’influence de cette couche sur la réactivité des peintures à l’huile sur toile face aux variations d’humidité, rappelons sommairement les mécanismes en jeu au moment de la formation de ce film. Aux alentours de 50° C, l’aspect d’une solution de colle de peau de lapin, à une concentration d’environ 9 %, est celui d’un liquide. Lorsqu’elle est appliquée sur la toile, la solution refroidie et forme un gel : « le nombre de liaisons hydrogène reliant les molécules les unes aux autres augmente ; il se forme un réseau ramifié »325. Le processus de séchage du gel se poursuit par une perte progressive de l’eau qui était, dans un premier temps, retenue au sein du réseau ramifié. Cette évaporation provoque une diminution considérable du volume du film et lorsque celui-ci est sec, il ne contient plus que 16 % d’eau de constitution à 25° C et à 50 % d’humidité relative326.
Tensions internes
La diminution de volume qui correspond à la phase de durcissement de la colle est à l’origine de l’apparition de tensions internes. Si le film était libre, le retrait lié à l’évaporation de l’eau s’effectuerait dans toute les directions, mais étant donné qu’il est lié à la toile par des forces d’adhésion, l’épaisseur de la couche diminue alors que sa surface non327. C’est probablement ce phénomène qui permet aux colles animales de se comporter comme des « agents tenseur »328. « Elles tendent (effectivement) les supports sur lesquels elles sont posées »329. Dans cette optique, lorsqu’à l’intérieur de l’enceinte climatique, le taux d’humidité relative varie de 33 à 68 %, le film de colle absorbe une partie de l’humidité. Cette absorption se traduit par des variations dimensionnelles : le volume du film augmente.
A. Karpowicz, « In-plane deformations of films of size on paintings in the glass transition region », in Studies in Conservation, V. 34, 1989, pp. 67-74. 325 G. Delcroix, M. Havel, op. cit., p. 174. 326 A. Karpowicz, op. cit., p. 68. 327 G. Delcroix, M. Havel, op. cit., p. 229. 328 P. Garcia, op. cit., p. 34. 329 Ibid. 324
159
Étant donné qu’entre 33 et 68 % d’humidité, le module d’élasticité longitudinale Ec du film de colle de peau de lapin est plus élevé que ceux de la toile de lin (Et) et du film de peinture (Ep), une augmentation du volume de la colle peut déclencher, dans une certaine mesure, un allongement de l’ensemble du tableau.
Allongement des éprouvettes
Comme les échantillons sont maintenus par des agrafes sur un châssis fixe, l’allongement qui se produit à 68 % d’humidité, se traduit par une déformation perpendiculaire au plan. Quel que soit le mode de montage de la toile sur le châssis, elle ondule et forme des vagues parallèles au sens chaîne330. Il semblerait donc que l’embuvage du fil joue un rôle important. Il est probable que les fils de sens chaîne, étant plus ondulés que ceux de sens trame, soient plus susceptibles de s’allonger sous l’effort engendré par l’augmentation du volume de la colle. Lorsque les éprouvettes sont fixées sur la tranche du châssis, apparaissent trois grandes ondulations alors que sur celles agrafés à travers une bande en polypropylène au revers du châssis préalablement recouvert d’un film de Téflon®, se présentent cinq ondulations plus petites. Ces déformations se manifestent pratiquement instantanément. Ainsi, contrairement au phénomène de rétractation du film, de colle mis en évidence par Karpowicz, qui lui se déclare seulement après plusieurs heures à une humidité supérieure à 70 ou 80 %, l’absorption de l’humidité par la colle entre 30 % et 80 % paraît quant à elle, être un phénomène immédiat. Dans un second temps, quand le taux d’humidité diminue jusqu’à atteindre 40 %, la toile retrouve presque la planéité de départ. Cela signifie vraisemblablement que l’eau absorbée par la colle, s’évapore lorsque l’ambiance s’assèche. Ce phénomène survient également de manière rapide. Dans l’état actuel des recherches, nous ne pouvons pas affirmer qu’un de ces modes de fixation soit plus efficace que l’autre face aux variations soudaines du taux d’humidité relative. Intuitivement, il semblerait toutefois qu’un enchaînement de petites ondulations soit moins dommageable à la couche picturale qu’une succession d’ondulations plus grandes mais cette intuition demande à être vérifier.
330
Nous rappelons que le sens chaîne est parallèle au plus long côté.
160
Désorption
Figure 95. Profil de la toile réalisé à partir du premier doublet d’images (HR = 30 %, T = 22 ° C) de l’essai n° 3. Il est obtenu en considérant une ligne passant par le centre de l’échantillon, dans le sens de la longueur, et montre de cette manière les déplacements observés dans l'axe z. La surface 1 correspond à l'éprouvette agrafée au revers du châssis et la surface 2 à celle qui est fixée sur la tranche. Les mesures sont en cm.
Figure 96. Profil de la toile réalisé à partir du doublet d’images n° 38 (HR = 67 %, T = 23 ° C) de l’essai n° 3. Il est obtenu de la même manière que le précédent. La surface 1 correspond à l'éprouvette agrafée au revers du châssis et la surface 2 à celle qui est fixée sur la tranche. Les mesures sont en cm.
161
Figure 97. Image 3D de la surface de l'échantillon fixé sur la tranche du châssis obtenue à partir des images n° 28 (HR = 42 %, T = 23,5°C) de l’essai n° 3. Les valeurs sont en cm.
Figure 98. Image 3D de la surface de l'échantillon fixé au revers du châssis obtenue à partir des images n° 4 (HR = 42 %, T = 23,5°C) de l’essai n° 3. Les valeurs sont en cm. 162
Figure 99. Image 3D de la surface de l'échantillon fixé sur la tranche du châssis obtenue à partir des images n° 34 (HR = 71 %, T = 23°C) de l’essai n° 3. Les valeurs sont en cm.
Figure 100. Image 3D de la surface de l'échantillon fixé au revers du châssis obtenue à partir des images n° 34 (HR = 71%, T = 23°C) de l’essai n° 3. Les valeurs sont en cm.
163
III Évaluation du montage élastique de la Descente de croix Dans cette dernière partie, la stéréo-corrélation d’images est directement utilisée sur la Descente de croix au moment du remontage de l’œuvre sur son châssis d’origine.
1 Objectif de l’étude Gerry Hedley a démontré qu’un échantillon de peinture à l’huile sur toile tendue sur châssis de manière traditionnelle perdait environ un tiers de sa tension initiale après quatre-vingt-seize heures à approximativement 50 % d’humidité relative et 21°C331. Cette diminution de la tension se produit-elle avec la même intensité dans le cas d’un montage élastique ? Comme la stéréo-corrélation d’image ne mesure pas directement la tension mais plutôt les déplacements de la surface étudiée, ce sont les éventuels mouvements de la Descente de croix à la suite de son remontage qui seront analysés, l’objectif étant d’évaluer si le phénomène de diminution de la tension initiale, mis en évidence par Hedley, se traduisait également dans le cas d’un montage à bords flottant, également par de légers déplacements de la toile.
2 Protocole expérimental Étant donné que le taux d’humidité relative et la température influent sur le degré de tension d’une peinture à l’huile sur toile, le remontage du tableau est réalisé dans des conditions hygrométriques précises. Les moyennes annuelles du taux d’humidité relative et de la température de lieu de conservation sont calculées. Elles se situent respectivement aux alentours de 58% et de 21°C. Une salle est aménagée dans les ateliers de l’école pour permettre la mise en place du banc de stéréocorrélation d’images. Lorsque les conditions climatiques de la pièce avoisinent ces moyennes, la mise en tension de la toile sur le châssis est réalisée. Durant approximativement soixante-douze heures, l’œuvre est conservée dans une ambiance dont la valeur du taux d’humidité relative oscille entre 50 et 60% et dont la température varie entre 22 et 24°C. Puis le tableau est remonté sur son châssis selon la méthode des bords élastiques332. G. Hedley, op. cit., p. 136. La mise en tension dans la toile sur son châssis est décrite dans le rapport de conservation-restauration pp. 94-97. 331 332
164
Quand les quatre bandes de tension sont fixées sur le revers du châssis dont les montants sont recouverts d’un film en téflon®, le tableau est suspendu à un crochet de manière à éviter qu’un des côtés ne soit bloqué. Comme le banc de stéréo-corrélation avait préalablement été mis en place dans la salle, dès que le tableau est accroché, les prises de vue débutent : chaque appareil photographique prend simultanément une photo toutes les quinze minutes pendant trois jours333. 100 90 80 70 60
50 40 30 20 10 0 22.02.2014 23.02.2014 24.02.2014 25.02.2014 26.02.2014 27.02.2014 Humidité relative
Température
Point de rosée
Figure 101. Courbes hygrométriques de la salle dans laquelle le tableau a été remonté sur son châssis.
Figure 102. Banc de stéréo-corrélation d'images installé dans une des salles des ateliers de l'école. 333
Plus de 558 photos sont réalisées puis traitées. 165
Nous rappelons que la stéréo-corrélation se fonde sur l’utilisation d’images enregistrées par deux appareils photographiques pour reconstruire la forme de l’objet étudié afin d’en évaluer les déformations de surface. Généralement, la comparaison des deux points de vue des appareils qui permet le calcul des déplacements surfaciques n’est possible que si la surface possède une « texture aléatoire ». Dans le cas de la Descente de croix, il est inimaginable d’appliquer un mouchetis sur la couche picturale afin d’obtenir cette texture. En revanche, comme le tableau se caractérise par de forts contrastes d’ombre et de lumière, les niveaux de gris des images obtenues sont forcément variés. La conversion en niveaux de gris à partir des couleurs est définie par la norme suivante : Y = 0,2126R + 0,7152G + 0,0722B334
Y (cd/m2) Luminance RGB (%) Format de codage des couleurs
Pour réaliser les calculs de déplacement, nous allons donc tenter de considérer la couche picturale comme un mouchetis. Afin de vérifier si la méthode fonctionne dans ces conditions particulières, nous effectuons un premier essai de stéréo-corrélation alors que le tableau est encore fixé sur le bâti extensible. L’essai s’avérant concluant, nous adoptons la méthode.
Figure 103. Couplet d'images qui permet le passage de l’espace en trois dimensions aux repères en deux dimensions. M. Stokes, M. Anderson, S. Chandrasekar, R. Motta, « A Standard Default Color Space for the Internet – sRGB », Version 1.10, 1996. http://www.w3.org/Graphics/Color/sRGB.html 334
166
Niveaux de gris
III Résultats Réflexion sur Avant d’analyser les résultats, leur exactitude est vérifiée. Comme les incertitudes les facteurs d’incertitude de mesure, liés à la stéréo-corrélation, ont déjà été évoqués, nous présentons directement la carte des résidus.
Figure 104. Résidus de corrélation correspondant à l'image n° 279 (il s’agit de la dernière image de l’expérience, réalisée environ 70 heures après le remontage de la toile sur le châssis).
Les résidus sont semblables à ceux observés pour les échantillons mouchetés placés dans l’enceinte climatique. Malgré l’absence des gouttelettes de peinture noire et blanche qui structurent habituellement de manière aléatoire la surface de l’objet étudié, le calcul de stéréo-corrélation de la Descente de croix permet d’observer avec précision des déplacements de faibles ampleurs puisque les résidus sont de l’ordre de 1 à 1,2 %. Trois observations générales peuvent être tirées des résultats obtenus. Premièrement, les mouvements enregistrés à la surface du tableau sont relativement faibles. Ils sont égaux ou inférieurs à 1 mm ± 0,02 mm. Deuxièmement, leur amplitude ne s’avère pas équivalente d’un axe à l’autre. Enfin, ils semblent se dérouler selon deux phases plus ou moins distinctes.
167
Figure 105. Image 3D de la surface de la Descente de croix obtenue à partir du premier doublet d'images (HR = 50 %, T = 23,5°C). Les valeurs sont en cm.
Figure 106. Image 3D de la surface de la Descente de croix obtenue à partir des images n° 75 (HR = 40 %, T = 23°C). Les valeurs sont en cm. 168
Figure 107. Image 3D de la surface de la Descente de croix obtenue à partir des images n° 224 (HR = 35 %, T = 23°C). Les valeurs sont en cm.
Figure 108. Image 3D de la surface de la Descente de croix obtenue à partir des images n° 279, les deux dernières (HR = 40 %, T = 22,5°C). Les valeurs sont en cm. 169
Les déplacements du tableau sont étudiés dans les trois dimensions de l’espace, les mouvements étant repérés par les axes orthogonaux x, y, et z. Nous rappelons que ceux enregistrés dans les axes x et y correspondent à des déplacements dans le plan alors que ceux de l’axe z sont perpendiculaires à la surface. Après trois jours, leur amplitude maximale est la suivante : - 1 mm ± 0,005 mm dans l’axe x ; - 0,3 mm ± 0,005 mm dans l’axe y ; - 0,5 mm ± 0,02 mm dans l’axe z. Le mouvement le plus important a eu lieu dans l’axe x, l’angle supérieur droit s’étant déplacé de 1 mm ± 0,005 mm en direction de la gauche. De manière plus générale, l’ensemble du tableau s’est d’ailleurs déplacé dans cette direction.
Déplacements en x
Dans l’axe y les mouvements sont de moindre ampleur. La zone Déplacements située au niveau de l’angle inférieur droit s’est déplacée d’environ en y 0,2 mm ± 0,005 mm en direction de la partie supérieur du tableau, alors que celle correspondant à l’angle supérieur gauche s’est déplacée d’approximativement 0,01 mm ± 0,005 mm en direction de la partie inférieure. Quant aux mouvements observés hors du plan, la partie supérieure et centrale de l’œuvre s’est enfoncée d’environ 0,04 mm ± 0,02 mm, tandis que les bords gauche, droite et inférieur se sont avancés d’approximativement 0,03 mm ± 0,02 mm. L’axe x correspondant au sens chaîne de la toile et l’axe y au sens trame, le tableau s’est déplacé de manière plus importante dans le sens chaîne. Lors de l’examen des matériaux constitutifs de l’œuvre, l’embuvage des fils a été calculé en réalisant, dans chacune des orientations du tissu, une moyenne à partir de quatre mesures pratiquées sur des fils provenant des bandes de rabat. Sa valeur est de 3% pour le sens trame et de 10% pour le sens chaîne335. Au moment de l’analyse des mouvements des échantillons soumis aux cycles d’humidité relative, nous avions évoqué la possibilité que les fils de sens chaîne seraient plus susceptibles de se déformer.
Comme ce calcul est fondé sur des données récoltées sur les bords du tableau, il ne reflète qu’approximativement les caractéristiques des fils qui composent la toile 335
170
Déplacements en z
Toutefois, il semblerait que, dans le cas présent, les déplacements surfaciques observés ne correspondent pas à une déformation du tissage mais plutôt à un glissement des bords de la toile sur le châssis recouvert du film en Téflon®. Réalignement des forces
Nous supposons qu’au moment du remontage de la toile, le degré de tension, appliqué manuellement sur le bord dextre de l’œuvre lors de l’agrafage de la bande de tension, se révélait supérieur à celui du bord sénestre. Par conséquent, dans les heures qui ont suivi la mise en tension, la toile se serait légèrement déplacée en direction du bord dextre afin de retrouver un état d’équilibre. Ce déplacement correspondrait au phénomène de réalignement des forces expliqué mécaniquement par Mielniczek336.
Effet de l’humidité relative
Comme le taux d’humidité relative n’est pas resté constant (en une dizaine d’heures il est passé d’environ 58 à 40%) il est également probable qu’une partie des déplacements ait été engendrée par cette diminution de la vapeur d’eau contenue dans l’air. Cependant, dans l’état actuel des recherches, nous ne pouvons pas distinguer d’un côté l’influence du processus d’équilibrage du tableau et de l’autre l’impact de l’asséchement de l’air sur les déplacements de la Descente de croix à la suite de son remontage sur le châssis. Quoi qu’il en soit, l’ensemble des déplacements semble s’être déroulé selon deux phases : l’une, d’environ cinq heures, au cours de laquelle les mouvements sont plus rapides, l’autre, d’approximativement cinquante-six heures, caractérisée par des mouvements plus lents et plus faibles. Il serait tentant de mettre en relation ces deux phases avec celles mises en évidence par Hedley, qui a en effet remarqué que l’équilibre des tensions au sein d’une peinture à l’huile sur toile tendue sur châssis se déroulait en deux étapes. Durant les cinq premières heures, la tension diminue de manière rapide, elle s’affaiblit ensuite de façon plus lente est progressive pour atteindre un état d’équilibre après environ quatre-vingt-seize heures à 50 % d’humidité relative et 21° C 337. Étant donné que nous n’avons pas mesuré la tension exercée sur le tableau, le lien qui unirait le phénomène de diminution de la tension à celui des déplacements de surface ne peut cependant être confirmé pour le moment.
336 337
A. T. Mielniczek, op cit., pp. 16-17. G. Hedley, op. cit., p. 136. 171
Conclusion L’étude de l’influence du mode de fixation de la toile sur le châssis s’organise en différentes étapes afin de comprendre au mieux l’action des phénomènes en jeu. Pour commencer, la mise en œuvre d’essais de traction, réalisés à température et humidité relative constantes, révèle que les échantillons de la toile testée ont un comportement anisotrope. Les fils de sens trame présentent une rigidité et une résistance à la traction plus importante que les fils de sens chaîne. Dans un deuxième temps, l’influence de deux modes de fixation de la toile sur le châssis au niveau de la réactivité des peintures à l’huile face aux variations du taux d’humidité relative, est évaluée. Deux séries d’échantillons sont placées au sein d’une enceinte climatique puis sont soumis à des cycles hygrométriques précis. Si l’augmentation de l’humidité provoque l’expansion de l’ensemble des éprouvettes testées, les déformations de surface, observées au moyen de la stéréo-corrélation d’images, dépendent, quant à elles, du mode d’accrochage de la toile. Les échantillons fixés sur la tranche du châssis gondolent en formant de grandes ondulations alors qu’apparaissent des ondulations plus nombreuses mais de moindre ampleur sur ceux agrafés, à travers une bande en polypropylène, au revers du châssis préalablement recouvert d’un film en Téflon®. Finalement, l’analyse de la Descente de croix, au moment de son remontage sur le châssis d’origine, indique que les déplacements ne se manifestent pas de manière homogène et se produisent de façon plus rapide et accentuée durant les cinq premières heures. Si cette étude a permis d’appréhender, en partie, le comportement mécanique des matériaux assemblés par l’artiste, plusieurs phénomènes observés exigent un examen plus approfondi. Nous proposons l’amélioration de deux éléments. Premièrement, il serait intéressant de coupler la technique de la stéréo-corrélation avec des capteurs de force placés sur les éprouvettes, afin de connaître à la fois les valeurs des déplacements et celles de la tension du support. Deuxièmement, le séjour des échantillons dans l’enceinte climatique devrait être plus long dans l’intention de vérifier si un lien unissait les déplacements surfaciques et le développement d’un réseau de craquelures. En collaboration, d’une part, avec le laboratoire de mécanique de l’École Normale Supérieure de Cachan et, d’autre part avec Antonio Iaccarino Idelson, nous souhaitons poursuivre la recherche dans cette direction. 172
173
174
Conclusion générale Pour tenter de répondre aux problématiques posées par le projet de conservation-restauration de la Descente de croix dans les domaines de l’histoire de l’art, de la conservation-restauration et de la science, plusieurs professionels ont été rencontrés dans chacune de ces spécialités. Ainsi, la suggestion d’attribuer le tableau au travail de Sebastian Düring est en grande partie encadrée par les recherches effectuées par Gaëtan Cassina. C’est lui, en effet, qui en explorant minutieusement les différents documents d’archives, a découvert les preuves qui attestent du passage de ce peintre lucernois en Bas-Valais à la fin du XVIIe siècle. Concernant le choix de la technique de fixation de l’œuvre sur son châssis d’origine, de nombreuses discussions avec Antonio Idelson Iaccarino ont guidé le choix de l’intervention en direction d’un montage avec glissement sur les bords. D’ailleurs, étant donné que la conservation du châssis d’origine nécessitait un travail précis de menuiserie, certaines étapes du traitement, notamment le renforcement des assemblages gauchis, ont été effectuées en collaboration avec Bernard Gallarotti. Quant à la partie scientifique, elle a bénéficié des améliorations apportées par John-Éric Dufour à la technique de la stéréocorrélation d’images dans le cadre de sa thèse sur l’apport des techniques de corrélation 3D surfacique pour la validation des modèles sur pièces composites. De cette manière, les déformations causées par une augmentation de taux d’humidité relative d’environ 40 à 80 % ont pu être mises en évidence sur deux séries d’échantillons de peinture, tendus selon deux méthodes différentes. Chacune de ces collaborations a suscité en moi une curiosité grandissante pour le métier de conservateur-restaurateur du patrimoine. Ce projet m’a en outre beaucoup appris, quant à la déontologie du conservateur-restaurateur, aussi bien que sur moimême en tant qu’intervenant sur une œuvre d’art.
175
176
Bibliographie Étude historique Ouvrages BARNES S. J., O. MILLAR, DE POORTER N., VEY H. Van Dyck : a complete catalogue of the paintings, New Haven London, Yale University Press, 2004. BENEZIT E. Dictionnaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs, Paris, Gründ, 1966.
t.3,
BERGERON C., SIMMINS G. L’abbaye de Saint-Benoît-du-Lac et ses bâtisseurs, Sainte-Foy, Québec, Presses de l’Université Laval, 1997. BRÉHIER L. L’Art Chrétien, son développement iconographique des origines à nos jours, Paris, Laurens, 2e, Édition, 1928. BRUGEROLLES E. Le Baroque en Flandres, Rubens, van Dyck, Jordaens, Carnets d’étude t.16, Paris, École nationale supérieure des beaux-arts, 2010. CENTI T. S. Le Bienheureux Fra Angelico, Paris, Éditions du Cerf, 2005. CLERTANT P. (TRAD.) Descente de croix, Londres, Phaidon, 2000. MÂLE E., L’art religieux du XVIIe siècle, Italie, France, Espagne, Flandres, Paris, Armand Colin, 1984. MARSHALL P. D. « Thomas Hollis (1720-74) : The bibliophile as libertarian », dans Bulletin of the John Rylands Library, t.66, 2e édition, 2013. NAGATSUKA Y. Descente de croix : son développement iconographique des origines jusqu’à la fin du XIVe siècle, Tokyo, Presses de l’Université Tokai, 1979. PETIT J., ROIRE J., VALOT H. Des liants et des couleurs, Puteaux, Erec, 2006. VAN PUYVELDE L. La peinture flamande au XVIIe siècle, Paris, Elsevier, 1961.
177
RÉAU L. Iconographie de l’art chrétien, t.2, Iconographie de la Bible, Nouveau Testament, Paris, Presse Universitaires de France, 1957. Iconographie de l’Art Chrétien, t.3, Iconographie des Saints, Paris, Presses Universitaire de France, 1958. ROUIR E. La Gravure originale au XVIIe siècle, Paris, Aimery Somogy, 1974. TAMINI J.-E., DÉLÈZE P. Nouvel essai de Vallesia Christiana, Saint-Maurice, 1940.
Articles BERTRAND J.-B. « L’incendie de St-Maurice du 23 février 1693 », in Annales valaisannes, t.8, 1933. BUSSARD F.-M. « La tour abbatiale de St-Maurice », in Les Échos de Saint-Maurice, t.41, 1942. CASSINA G. « Notes sur l’activité en Bas-Valais de Giorgio Bernardi et Gerolamo Roncho, sculpteurs ossolans du XVIIe siècle », in Vallesia, XXXIII, 1978. « Objets de culte et mobilier du moyen âge au XIXe siècle », dans L’église du Châble, Bagnes, Centre de recherches historiques de Bagnes, 1982. DUPONT LACHENAL L. « L’abbatiale depuis le 17e siècle » in Les Échos de Saint-Maurice, t.49, 1951. « Une élévation abbatiale à Saint-Maurice il y a trois siècle » in Les Échos de Saint-Maurice, t.41, 1943. GARD J.-M. « Histoire et architecture », dans L’église du Châble, Bagnes, Centre de recherches historiques de Bagnes, 1982. GROSS E. « L’Église actuelle de l’abbaye, in Les Échos de Saint-Maurice, t.16, 1917. JACCOTTET C. « La Basilique restaurée », in Les Échos de Saint-Maurice, t.49, 1951. MÜLLER L. « Les édifices sacrées de l’Abbaye de Saint-Maurice selon un témoignage autorisé de 1721 », in Annales valaisannes, t.37, 1962. OFFICE FÉDÉRAL DE LA CULTURE « L’Italianità en Valais », in Traditions vivantes, 2012.
178
ROTEN F. « La restauration du chœur de la Basilique », in Les Échos de SaintMaurice, Nouvelles de l’Abbaye, n° 12, 2005. VIATTE N. « Edmond Bille (1878-1959) », in Les Échos de Saint-Maurice, t.57, 1959. VOIROL E. « Saint Augustin, Notes iconographiques », in Les Échos de SaintMaurice, t.29, 1930.
Sources manuscrites Archives de Bagnes, AP, Registre de paroisse, mariages, 1691-1827. Archives de l’abbaye de Saint-Maurice, AASM, CHA 69/2/8-5,1. Archives de l’abbaye de Saint-Maurice, CH-AASM, CPT, 600, 001, 003, f. 23. Archives de l’abbaye de Saint-Maurice, Comptes de l’Abbé Jean VII Claret depuis le 24 janvier 1737 jusqu'en 1745, f. 69. Archives de l’État du Valais, AV, AV 92/96. Archives de l’État du Valais, AV, AVL 202/3/5 : min. Anthoine Devanthéry, 1692-1699, fo. 16 V°. Archives de l’État du Valais, Prot. cons. bourg., n° 1613 .
179
Rapport de conservation et restauration Ouvrages BERGEAUD C., HULOT J.-F., ROCHE A. La dégradation des peintures sur toile. Méthode d’examen des altérations, Paris, École national du patrimoine, 1997. BROSSARD I. Technologie des textiles, Paris, Duno, 1997. CAPRIOTTI G., IACCARINO IDELSON A., Tensionameto dei dipinti su tela, La ricerca del valore di tensionamento, Florence, Nardini, 2004. CREMONESI P. L’ambiente acquoso per la pulitura di opere policrome, Vicenza, Il prato, 2011. L’uso dei solventi organici nella pulitura di opere policrome, il prato, Vicenza, 2004. CROCHEMORE J. Tous les assemblages du bois et leurs utilisations, Paris, Eyrolles, 1989, réimprimé en 2011. Dictionnaire technologique, Bruxelles, Lacrosse et Cie, t.3, 1839. ÉMILE-MÂLE G. Restauration des peintures de Chevalet, Fribourg, Office du Livre, Troisième édition, 1986. GARCIA P. Le métier du peintre, Abrégé d’atelier, Paris, Dessain et Tolra, 1990. HOURS M. Analyse scientifique et conservation des peintures, Fribourg, Office du Livre, 1976, Rééd. 1986. KNUT N. Manuel de restauration des tableaux, Cologne, Könemann, 1998. LABREUCHE P. Paris, capitale de la toile à peindre, XVIIIe-XIXe siècle., Paris, Comité Des Travaux Historiques et Scientifiques – Institut National d’Histoire de l’Art, 2011. EVILLAIN A. La conservation préventive des collections : fiches pratiques à l’usage des personnels des musées, Dijon, Office de coopération et d’information muséographique, 2002. LORUSSO S., MARABELLI M., VIVIANO G. Pollution de l’environnement et impact sur les biens culturels, Puteaux, Erec, 1999. 180
MASSCHELEIN-KLEINER L.. Les solvants, Bruxelles, Institut Royal du Patrimoine Artistique, 1994 (Cours de conservation Institut Royal du Patrimoine Artistique 2). MARIJNISSEN, R.-H. Dégradation, conservation et restauration de l’œuvre d’art, t.1, Bruxelles, Arcade, 1967. Tableaux authentiques, maquillés, faux : l’expertise des tableaux et les méthodes de laboratoire, Bruxelles, Elsevier, 1985. PEREGO F. Dictionnaire des matériaux du peintre, Paris, Belin, 2005. PETIT J., ROIRE J., VALOT H. Des liants et des couleurs, Paris, Erec, 2006. STUART B. H. Analytical techniques in materials conservation, Chichester, John Wiley & Sons Ltd, 2007. TOMSIN P. Léonard Defrance. Les broyeurs de couleurs, leur métier et leurs maladies, Liège, Céfal, 2005.
Articles BERGER G. A., RUSSEL W. H. « Interaction between canvas and paint film in response to environmental changes », in Studies in Conservation, Vol. 39, 1994. « Deterioration of surfaces exposed to environmental changes », in JAIC, Vol. 29, n° 1, 1990. ROCHE A. « Influence du type de châssis sur le vieillissement mécanique d’une peinture sur toile », in Studies in Conservation, Vol. 38, 1993. DUPRÉ C. « L’emploi du citrate de triammonium pour le nettoyage des couches picturales contemporaines », CeROArt [En ligne], 2010. GROEN K. « Scannig electron-microscopy as an aid in the study of blanching », in The bulletin of the Hamilton Kerr Institute, n° 1, 1988. HEDLEY G. « Relative humidity and the stress/strain response of canvas paintings : uniaxial measurements of naturally aged samples », in Studies in Conservation, Vol. 33, 1988. HENDY P., LUCAS A. S. « La préparation des peintures », in Museum, Vol. 21, n° 4, 1968.
181
HULOT J.F., ROCHE A. « Dispositif de montage des toiles peintes, interventions préventives », in Science et Technologie de la Conservation et de la Restauration, n° 3, septembre 1993. LABREUCHE P. « Correspondances entre les toiles de mesure du XVIIIe siècle et les châssis standard actuels », in Indigo, n° 1, 1996. LEONARD M., WHITTEN J., GAMBLIN, R., DE LA RIE E. R. « Developpement of new materiel for retouching », in Congress, International Institute for the Conservation of Historic and Artistic Works, Londres, 2000. PAUCHARD L., LAZARUS V. « Craquelures dans les couches picturales des peintures d’art », in Reflets de la Physique, n° 3, 2007. SCHAIBLE V. « Réflexions sur la formation de cuvettes à la surface des peintures sur toile » 9e réunion triennale du comité de l’ICOM pour la conservation, Dresde, 26-31 août 1990. SCHELLMAN N. C. « Animal glues : a review of their key properties relevant to conservation », in Reviews in conservation, n° 8, 2007. YOUNG, C. R. T.,HIBBERD, R. D. « The role of canvas attachments in the strain distribution and degradation of easel paintings », in Tradition and innovation : advances in conservation : contributions to Melbourne Congress, 10-14 octobre 2000.
Traités anciens de peinture PERNETY A.-J. Dictionnaire portatif de peinture, sculpture et gravure […], Paris, Bauche, 1757 ; éd. cons. Genève, Minkoff Reprint, 1972. PAILLOT DE MONTABERT J.-N. Traité complet de la peinture, t.9, Paris, Delion, 1829-51. WATIN J. F. L’Art du peintre, doreur, vernisseur, Paris, 1772 ; 2e éd. Grangé et Durand, 1773 ; rééd. Paris, Laget, 1975. . ARMENI G. B. Dei veri precetti della pittura, Ravenne, 1587.
182
Mémoires et thèses LABREUCHE P. Mémoire de fin d’études à l’Institut français de restauration des œuvres d’art, 1995. THOURY M. Identification non-destructive des vernis des œuvres d’art par fluorescence UV, Thèse de doctorat-Université Pierre et Marie Curie, Paris, 2006.
Sites internet http://www.ecco-eu.org/about-e.c.c.o./professional-guidelines.html http://talasonline.com/photos/instructions/PLEXTOL_B500_INFO.pdf http://www.baudokumentation.ch/7/company/06/81/07/www.roehmsc hweiz.ch/PDF-files/plextol.pdf http://www.kremer-pigmente.com/media/files_public/8705051MSDS.pdf
Autres BALCAR N. Les vernis, usage et propositions issues de recherches récentes, Paris, Centre de recherche et de restauration des musées de France, 2005. PAYET, R. Traitements anoxiques statiques : généralités, fiche technique n° 4.
183
Étude technico-scientifique Ouvrages BROSSARD I. Technologie des textiles, Paris, Duno, 1997. CAPRIOTTI G., IACCARINO IDELSON A., Tensionameto dei dipinti su tela, La ricerca del valore di tensionamento, Florence, Nardini, 2004. DELCROIX G., HAVEL M. Phénomènes physiques et peinture artistique, Puteaux, Erec, 1988. ROCHE A. Comportement mécanique des peintures sur toile, Paris, CNRS Editions, 2003.
Articles BEAUBIER B., DUFOURJ.-E., HILD F., ROUX S., LAVERNHE S., LAVERNHETAILLARD K. « CAD-Based Calibration and Shape Measurement with StereoDIC Principle and Application on Test and Industrial Parts », in Experimental Mechanic, V. 54, N°3, 2014. BERGER G. A., RUSSEL W. H. « Interaction between canvas and paint film in response to environmental changes », in Studies in Conservation, Vol. 39, 1994. « Deterioration of surfaces exposed to environmental changes », in JAIC, Vol. 29, n° 1, 1990. CHAMBARD J.P., JAMINION S., TAZEROUALTI M., GALERNE,G., HILD F. « Mesure de champs de déplacements 3D par corrélation d’images – Étude métrologique et application sur structures composites », Comptes rendus des JNC 16, Toulouse, 2009. GARCIA P. Le métier du peintre, Abrégé d’atelier, Paris, Dessain et Tolra, 1990. HEDLEY G. « Relative humidity and the stress/strain response of canvas paintings : uniaxial measurements of naturally aged samples », in Studies in Conservation, Vol. 33, 1988. KARPOWICZ A., « In-plane deformations of films of size on paintings in the glass transition region », in Studies in Conservation, V. 34, 1989. MECKLENBURG M. F. « Some aspects of the mechanical behavior of fabric supported paintings », Report submitted to the Smithsonian Institution under the National Museum Act, Washington DC, 1982.
184
MIELNICZEK A. T. « La peinture sur toile et les lois de la mécanique », Conservation et Restauration, n° 5-6, 1986. ROCHE A. « Influence du type de châssis sur le vieillissement mécanique d’une peinture sur toile », in Studies in Conservation, Vol. 38, 1993. YOUNG, C. R. T.,HIBBERD, R. D. « The role of canvas attachments in the strain distribution and degradation of easel paintings », in Tradition and innovation : advances in conservation : contributions to Melbourne Congress, 10-14 octobre 2000.
Sites internet Stokes, M. Anderson, S. Chandrasekar, R. Motta, « A Standard Default Color Space for the Internet – sRGB », Version 1.10, 1996. http://www.w3.org/Graphics/Color/sRGB.html
185
Table des illustrations Figure 1. Descente de croix, vue de face avant le traitement de conservation-restauration. 6 Figure 2. Chœur de la basilique de Saint-Maurice. .................................................................... 7 Figure 3. La Descente de croix exposée avec son cadre au sommet des lambris du chœur. 7 Figure 4. Chœur de la Basilique. Les stalles sont visibles à droite, la Descente de croix à gauche........................................................................................................................................... 9 Figure 5. Chœur de la basilique vers 1880. ............................................................................. 10 Figure 6. Chœur de la basilique en 1894. ................................................................................ 12 Figure 7. Chœur et nef de la basilique en 1933. ..................................................................... 13 Figure 8. Chœur de la basilique en 1943. ................................................................................ 13 Figure 9. Chœur de la basilique en 1950. ................................................................................ 14 Figure 10. Chœur de la basilique en 2012. ............................................................................. 16 Figure 11. Trône de célébrant réalisé par Giovanni Battista Bozzo entre 1741 et 1742. .... 18 Figure 12. Détail cadre de la Descente de croix. ..................................................................... 19 Figure 13. Détail trône de célébrant. ....................................................................................... 19 Figure 14. Crédence réalisée à partir des panneaux ornés de reliefs en ajour provenant de l'ancien maître-autel de l'église du Châble, 1696-1697. ........................................................ 20 Figure 15. Descente de croix (détail), enluminure, IXe-Xe siècle, bibliothèque municipale, Angers. ........................................................................................................................................ 23 Figure 16. Fra Giovanni Angelico, Descente de croix, tempera sur bois, 176 x 185 cm, 1433-1434, Musée San Marco, Florence. ............................................................................... 26 Figure 17. Daniele da Volterra, Descente de croix, fresque, 1541, église de la Trinité-desMonts, Rome. ............................................................................................................................. 27 Figure 18. Pierre Paul Rubens, Descente de croix, panneau central du triptyque, huile sur bois, 420 x 310 cm, 1612-1614, Cathédrale Notre-Dame, Anvers. ...................................... 29 Figure 19. Descente de croix de Saint-Maurice avant le vernissage final. ............................ 32 Figure 20. Francesco Bartolozzi et Giovanni Battista Cipriani, Descente de croix d'après Antoine van Dyck, gravure à l'eau forte, 46,5 x 35,1 cm, 1767, British Museum, Londres. 33 Figure 21. Visage de la Vierge, détail du tableau de Saint-Maurice. ...................................... 34 Figure 22. Visage de la Vierge, détail de la gravure de Bartolzzi et Cipriani. ......................... 34 Figure 23. Botte de Joseph d'Arimathie, détail de la gravure de Bartolozzi et Cipriani. ........ 36 Figure 24. Botte de Joseph d'Arimathie, détail du tableau de Saint-Maurice. ....................... 36 Figure 25. Main de saint Maurice, détail, Episode de la vie de saint Maurice. ..................... 37 Figure 26. Main de la Vierge, détail Descente de croix. .......................................................... 37 Figure 27. Descente de croix, vue de face avant le traitement de conservation-restauration. ..................................................................................................................................................... 38 Figure 28. Scène non identifiée, huile sur toile, 75,3 x 56, 4 cm, basilique de Saint-Maurice. ..................................................................................................................................................... 39 Figure 29. Sebastian Düring, Adoration des Mages, huile sur toile, 111 x 127,5 cm, 1698, église du Châble. ............................................................................................................. 40 Figure 30. Sebastian Düring, Sainte-Cène, huile sur toile, 112 x 127 cm, 1698, église du Châble. ........................................................................................................................................ 41 Figure 31. Avant-bras de Nicodème, détail, Descente de croix. ............................................. 42 Figure 32. Avant-bras d’un des Mages, détail, Adoration des Mages. .................................. 42 186
Figure 33. Figure 8. Sebastian Düring, La Sainte-Cène, huile sur toile, 142,5 x 207,5 cm, 1698, couvent des Capucins de Saint-Maurice. ...................................................................... 44 Figure 34. Revers du tableau. Toutes les mesures sont exprimées en centimètre. ............. 48 Figure 35. Revers du tableau avec son cadre. L'ensemble est maintenu au mur à l'aide de deux crochets métalliques fixés par des vis dans le cadre. Ces derniers prennent appui contre la partie supérieure des boiseries du choeur. .............................................................. 51 Figure 36. Revers avec le relevé des guirlandes de tension ainsi que celui des points d’attache actuels de la toile sur le châssis. ............................................................................. 54 Figure 37. Revers avec le relevé des guirlandes de tension. Les flèches rouges schématisent les points d’attaches probablement originaux : elles correspondent aux « sommets » des guirlandes de tension ainsi qu’aux trous observés sur les bandes de rabat. ..................................................................................................................................................... 55 Figure 38. Bande de rabat du montant supérieur. Les trous sont visibles dans la toile à la limite de la couche picturale. .................................................................................................... 57 Figure 39. Jan Miense Molenaer, L’atelier de l’artiste, peinture à l'huile sur toile, 1631, Staatliche Museen, Berlin. ........................................................................................................ 58 Figure 40. Détail de la partie centrale du tableau. .................................................................. 63 Figure 41. Montant inférieur du châssis. Un effondrement des structures fibreuses est localisée sur l'arrête intérieure du montant. Les galeries creusées par les insectes xylophages sont visibles. ........................................................................................................... 64 Figure 42. Face du tableau en lumière rasante (le faisceau lumineux provient de la droite). L'éclairage en lumière tangentielle met en évidence le réseau de craquelures en cuvettes, le phénomène d'écaillage et les déformations du support textile. ......................................... 66 Figure 43. Face du tableau sous rayonnement ultraviolet. Le vernis souffre d’un manque d’homogénéité et apparaît légèrement laiteux. ....................................................................... 67 Figure 44. Détail de la partie inférieure du tableau. Les couleurs sombres sont divisées en îlots qui forment une surface concave et qui, par endroits, ont donné lieu à des pertes de matière. Les couleurs claires sont quant à elle peu déformées. ............................................ 69 Figure 45. Cartographie des principales altérations de la couche picturale. ........................ 70 Figure 46. Visage du Christ, détail en lumière rasante. .......................................................... 73 Figure 47. Plan de la basilique et des bâtiments de l'abbaye. ............................................... 76 Figure 48. Détail, sous rayonnement ultraviolet, de la fenêtre de décrassage ouverte au niveau du bras gauche du Christ. ............................................................................................. 85 Figure 49. Détail des deux fenêtres ouvertes dans la partie supérieure du tableau. Le décrassage a été réalisé avec la solution tampon au pH 8,5 avec du TAC à 1 % et la suppression de vernis avec le mélange contenant 30 % éthanol et 70 % de cyclohexane. 87 Figure 50. Triangle de Teas. Le point S correspond au mélange formé par 30 % d’éthanol, 50 % de cyclohexane et 20 % de toluène. .............................................................. 88 Figure 51. Détail en lumière rasante. ....................................................................................... 93 Figure 52. Détail des trois bandes de tension posées à l’aide de Plextol® B500 épaissi au xylène. De gauche à droite, on retrouve une toile monofilament (18 g/m2), une toile polyester (50 g/m2) et une autre toile polyester (130 g/m2). ................................................. 96 Figure 53. Détail de l’agrafage des bandes de tension au revers du châssis. Les agrafes sont fixées à travers une bande en polypropylène afin d’éviter l’usure du textile. Ici le film de Téflon® a été remplacé par un Melinex® siliconé. De gauche à droite, on retrouve la toile monofilament (18 g/m2), la toile polyester (50 g/m2) et la toile (130 g/m2). ....................... 96 Figure 54. Tableau en cours de nettoyage, détail. ................................................................ 102 187
Figure 55. Détail du torse du Christ avant le nettoyage. ....................................................... 104 Figure 56. Tableau après le nettoyage. .................................................................................. 105 Figure 57. Tableau en extension placé dans la chambre humide. ....................................... 107 Figure 58. Tableau tendu sur le châssis extensible, vue de face. ........................................ 108 Figure 59. Tableau tendu sur le châssis extensible, vue du revers. ..................................... 109 Figure 60. Tableau au cours du traitement de refixage sur la table chauffante à basse pression. ................................................................................................................................... 111 Figure 61. Montants du châssis dans l'enveloppe anoxique. ............................................... 114 Figure 62. Détail de la tranche du châssis après le traitement de conservation. ............... 116 Figure 63. Schéma représentant les différents éléments d’un système de montage à bord flottant. ...................................................................................................................................... 117 Figure 64. Détail du film de téflon® agrafé sur le montant. ................................................. 118 Figure 65. Détail de la bande de rabat avec la bande de tension en toile monofilament. . 118 Figure 66. Revers du tableau après le traitement de conservation. .................................... 120 Figure 67. Détail du système avec glissement sur les bords. ............................................... 121 Figure 68. Échantillons de toile décatie : les deux premiers dans le sens trame (hauteur), les deux autres dans le sens chaîne. ...................................................................................... 131 Figure 69. Échantillons de toile décatie et encollée : les deux premiers dans le sens trame (hauteur), les deux autres dans le sens chaîne. .................................................................... 131 Figure 70. Schéma représentant l’extrémité supérieure des éprouvettes. ......................... 132 Figure 71. Extrémité supérieure d'une éprouvette au moment du perçage central............ 132 Figure 72. Montage de l'éprouvette dans les mors la machine de traction. ........................ 133 Figure 73. Machine de traction avec l'éprouvette au centre avant le début de l'essai. ...... 135 Figure 74. Courbe de traction de l’éprouvette en sens trame (vitesse constante de 0,5 mm/min). .................................................................................................................................. 136 Figure 75. Courbes de traction de deux éprouvettes en sens trame et de deux en sens chaîne........................................................................................................................................ 138 Figure 76. Courbes de traction exprimées en contrainte σ et déformation des quatre échantillons obtenus à partir des essais de traction. ............................................................ 139 Figure 77. Tomographie de la toile étudiée. Le sens trame est orienté verticalement et le sens chaîne horizontalement. ................................................................................................. 140 Figure 78. Courbe de traction en charges-décharges de deux éprouvettes en sens trame, l'une encollée, l'autre non. ....................................................................................................... 141 Figure 79. Schéma représentant les différents éléments d'un système de fixation sur la tranche du châssis. .................................................................................................................. 143 Figure 80. Schéma représentant les différents éléments d'un système de montage à bord flottant. ...................................................................................................................................... 143 Figure 81. Dimensions des montants des châssis. Toutes les mesures de longueur sont exprimées en cm. ..................................................................................................................... 144 Figure 82. Enceinte climatique artisanale vue de l'extérieur. ............................................... 146 Figure 83. Banc de stéréo-corrélation installé dans l'enceinte. ............................................ 146 Figure 84. Relevé des courbes hygrométriques au sein de l'enceinte climatique. L'axe horizontal exprime des heures et l'axe vertical des pourcentages. ...................................... 147 Figure 85. Première étape de la phase de calibration, Beaubier et al, 2013©. Les matrices, qui sont des objets mathématiques représentant les appareils photo, sont transformées afin de correspondre, le plus précisément possible, à la surface de l’objet étudié. ........... 149 188
Figure 86. Deuxième étape de la phase de calibration, Beaubier et al, 2013©. La forme 3D de l’objet observé est mesurée. .............................................................................................. 149 Figure 87. Échantillon moucheté placé sur le socle en plexiglass à l’intérieur de l’enceinte. ................................................................................................................................................... 151 Figure 88. Résidus de corrélation correspondant à l'image n° 80 (il s'agit de la dernière image de l'essai n° 3).............................................................................................................. 152 Figure 89. Image 3D de la surface de l'échantillon fixé sur la tranche du châssis. Cette vue est obtenue à partir du premier doublet de photos (HR = 33 %, T = 22,5°C) de l’essai n° 3. Les valeurs sont en cm. ........................................................................................................... 154 Figure 90. Image 3D de la surface de l'échantillon fixé au revers du châssis. Cette vue est obtenue à partir du premier doublet de photos (HR = 33 %, T = 22,5°C) de l’essai n° 3. Les valeurs sont en cm. .................................................................................................................. 154 Figure 91. Image 3D d'une surface parfaitement plane. Cette vue n'est pas obtenue à partir de photos d'un échantillon mais à partir de points théoriques. ........................................... 155 Figure 92. Image 3D de la surface de l'échantillon fixé sur la tranche du châssis obtenue à partir des images n° 4 (HR = 68 %, T = 21,5°C) de l’essai n° 3. Les valeurs sont en cm. 157 Figure 93. Image 3D de la surface de l'échantillon fixé au revers du châssis obtenue à partir des images n° 4 (HR = 68 %, T = 21,5°C) de l’essai n° 3. Les valeurs sont en cm. ......... 157 Figure 94. Modules d'élasticité longitudinale E des principaux matériaux constitutifs d'un tableau à une température de 20° C (d'après Gerry Hedley, 1988©).................................. 158 Figure 95. Profil de la toile réalisé à partir du premier doublet d’images (HR = 30 %, T = 22 ° C) de l’essai n° 3. Il est obtenu en considérant une ligne passant par le centre de l’échantillon, dans le sens de la longueur, et montre de cette manière les déplacements observés dans l'axe z. La surface 1 correspond à l'éprouvette agrafée au revers du châssis et la surface 2 à celle qui est fixée sur la tranche. Les mesures sont en cm. ..................... 161 Figure 96. Profil de la toile réalisé à partir du doublet d’images n° 38 (HR = 67 %, T = 23 ° C) de l’essai n° 3. Il est obtenu de la même manière que le précédent. La surface 1 correspond à l'éprouvette agrafée au revers du châssis et la surface 2 à celle qui est fixée sur la tranche. Les mesures sont en cm. ............................................................................... 161 Figure 97. Image 3D de la surface de l'échantillon fixé sur la tranche du châssis obtenue à partir des images n° 28 (HR = 42 %, T = 23,5°C) de l’essai n° 3. Les valeurs sont en cm. ................................................................................................................................................... 162 Figure 98. Image 3D de la surface de l'échantillon fixé au revers du châssis obtenue à partir des images n° 4 (HR = 42 %, T = 23,5°C) de l’essai n° 3. Les valeurs sont en cm. ......... 162 Figure 99. Image 3D de la surface de l'échantillon fixé sur la tranche du châssis obtenue à partir des images n° 34 (HR = 71 %, T = 23°C) de l’essai n° 3. Les valeurs sont en cm. 163 Figure 100. Image 3D de la surface de l'échantillon fixé au revers du châssis obtenue à partir des images n° 34 (HR = 71%, T = 23°C) de l’essai n° 3. Les valeurs sont en cm. . 163 Figure 101. Courbes hygrométriques de la salle dans laquelle le tableau a été remonté sur son châssis. .............................................................................................................................. 165 Figure 102. Banc de stéréo-corrélation d'images installé dans une des salles des ateliers de l'école. .................................................................................................................................. 165 Figure 103. Couplet d'images qui permet le passage de l’espace en trois dimensions aux repères en deux dimensions. .................................................................................................. 166 Figure 104. Résidus de corrélation correspondant à l'image n° 279 (il s’agit de la dernière image de l’expérience, réalisée environ 70 heures après le remontage de la toile sur le châssis). .................................................................................................................................... 167 189
Figure 105. Image 3D de la surface de la Descente de croix obtenue à partir du premier doublet d'images (HR = 50 %, T = 23,5°C). Les valeurs sont en cm. .................................. 168 Figure 106. Image 3D de la surface de la Descente de croix obtenue à partir des images n° 75 (HR = 40 %, T = 23°C). Les valeurs sont en cm. .......................................................... 168 Figure 107. Image 3D de la surface de la Descente de croix obtenue à partir des images n° 224 (HR = 35 %, T = 23°C). Les valeurs sont en cm. .......................................................... 169 Figure 108. Image 3D de la surface de la Descente de croix obtenue à partir des images n° 279, les deux dernières (HR = 40 %, T = 22,5°C). Les valeurs sont en cm. ....................... 169
190