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Ecole de condĂŠ paris
Master de design global
Camille Brunet
2009/2011
Tome 1
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ommair
TOME 1 Avant Propos
p8
Introduction
p6
Partie 1 : Recherches I- La mort présente et assimilée au quotidien A) Recherches A-1. Au Moyen Age, la mort est omniprésente A-2. Au Mexique, une façon différente de célébrer la mort A-3. La mort au dîner A-4. Les attributs de la mort sont à la mode A-5. Le cas des Catacombes
p10 p12 p14 p16 p18
B) Expérimentations B-1. Accumulation d’os B-2. Banquet macabre
p20 p22
II-La mort exhibée A) Recherches A-1. La mort comme trophée A-2. La mort comme moyen d’expression A-3. Le cas cadavre A-4. L’imagerie medicale A-5. Les cadavres éducatifs A-6. Les planches anatomiques
p24 p26 p28 p30 p32 p34
B) Experimentations B-1. Le squelette rebrodé B-2. Scène de boucherie
p36 p38
III- La mort adoucie A) Recherches A-1. La religion, adoucissant de la mort A-2. Les bijoux mortifères A-3. La poésie macabre en art A-4. La chirurgie esthétique, comme acte de déni de la vieillesse
p40 p42 p44 p46
B) Experimentations B-1. Scène précieuse de cadavres B-2. Crépine dentelle B-3. Du papier de boucher à la soie B-4. Os précieux B-5. Peau morte B-6. Masquer l’organique
p48 p50 p52 p54 p56 p58
Partie 2 : Développement I- Disparition du mortifère
p63
II- Un allez-retour dérangeant
p66
III- Poésie et mort
p70
Conclusion
p74
Bibliographie
p76
Remerciements
p78
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vant Propo
Masaccio, La TrinitĂŠ, 1426
“J’ai été ce que vous êtes, et ce que je suis, vous le serez vous aussi.” Masaccio 1420 “Nous causerons de nos morts en prenant une tasse de thé.” Henry James 1850
L
a manière dont la société occidentale envisage la mort est très complexe et présente de nombreuses ambivalences entre peur et fascination. Explorer cette relation à la mort, au corps, à la société, m’a amenée à m’interroger également au rapport existant entre le corps, cette peau et le vêtement. Quel est le lien entre ce corps qui vieillit, meurt, et le vêtement qui vêt, cache, accompagne de la naissance au trépas ? Je souhaite explorer, à travers ma recherche, l’intérieur du corps, de cette chair, en tant que structures, motifs, surfaces et ses correspondances avec le vêtement, le textile, la mode qui passe et tous les symboles qui les relient en termes de vanités. Une vanité est une catégorie particulière de nature morte. Elle montre que l’existence terrestre est vide, vaine, et que la vie humaine est précaire et de peu d’importance. “Vanitas”, le terme traduit par « vanité » signifie littéralement « souffle léger, vapeur éphémère». Nous sommes amenés à méditer sur la nature passagère et vaine de la vie humaine, ainsi que sur l’inutilité des plaisirs du monde face à la mort qui nous guette. La symbolique de la fragilité et de la brièveté de la vie est centrale, ainsi que celles du temps qui passe, et de la mort. Le crâne humain représente la mort. On utilise aussi les symboliques des activités humaines, c’est à dire du savoir, de la science, de la richesse, de la beauté, des plaisirs ,etc.Il y a un lien évident entre cette notion de “beauté vanité”, inutile et éphémère, et la mode. Le vêtement peut aussi être rapproché de la nature morte. D’où cette réflexion : l’embellissement corporel est-il futile? On parle ici d’un embellissement effectué à l’aide de l’habillement, du maquillage, ou des accessoires. La vie humaine semble consacrée à la recherche passionnée d’un embellissement de son apparence, de son image, afin de se rendre plus désirable aux yeux d’autrui, selon son milieu, son époque ... bref, en fonction de son conditionnement. Voilà pourquoi nous avons recours à la mode.
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ne des allégories de la vanité est d’ailleurs représentée par une jolie femme dénudée accompagnée d’un paon, qui se contemple dans un miroir. Elle se regarde et se trouve belle. Mais tout cela n’est pas forcément négatif, comme le rappelle le “Memento Mori”, qui signifie: la nature est belle, mais souviens-toi que tu es mortel, et que passe le temps. On peut profiter de la vie, mais sans perdre de vue que la jeunesse fuit, ainsi que la vigueur et la beauté etc. De nos jours, cet embellissement superficiel de notre apparence est encore plus significatif : le vêtement est plus qu’un moyen d’améliorer son apparence générale. Il devient réellement vanité, en utilisant les codes et l’iconographie du Memento Mori. Comment en sommes-nous arrivés là ?
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ntroduction
Copy Magazine, dyptique extrait de la serie “Havings guts always work out for me”, 2003
I
l y a bien longtemps, les vanités du Moyen Age mettaient en avant le côté vain des apparences. La mort était présente partout, elle était totalement assimilée : le pauvre ne vivrait pas longtemps, le riche oui, tout en se faisant sermonner par les artistes et les penseurs, qui leur rappelaient que malgré leurs beaux habits et leurs richesses, la mort finirait par les prendre eux aussi. L’Eglise leur rappelait constamment leur fin inéluctable. Maintenant la mort est plus ou moins dissimulée, du moins la vraie mort, tout en étant vulgarisée par la télévision. On la remise dans un petit coin de notre tête, on a bien le temps de la voir venir. Les gens perdent le sens premier de la mort, et le sens de la vanité est dévié. En effet, la mort est de plus en plus présente, et on s’y habitue doucement et gentiment. On se laisse bercer par cette mort trop vue, que ce soit à la télévision, aux informations, dans les journaux. Un vrai matraquage de morts, toutes plus horribles les unes que les autres, a lieu tous les soirs à 20h, ce qui nous y rend insensibles. La mort des autres ne nous préoccupe pas, tant que la nôtre ou celle de nos proches est lointaine. Un cadavre devant nous nous choquera, mais un corps atrocement mutilé en image télévisuelle ne nous fera plus grand chose, diffusé entre le plat et le dessert. J’ai étudié les vanités par le biais de la mort, qu’elle nous rappelle sans cesse, et je me suis interrogée sur ce qu’elle nous évoque à tous.
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’ai donc choisi d’examiner la mort sous les différents angles dont nous la percevons. J’en ai tiré trois grands axes, qui m’ont permis de faire diverses expérimentations, en en explorant les différents aspects. Dans une première partie, je m’interroge sur cette idée de mort omniprésente, et assimilée. Je passe en revue quelques cultes mortuaires de différentes époques et différents pays : ces multiples façons d’adapter la mort à notre quotidien, ou du moins de l’encadrer sans qu’elle nous fasse vraiment peur. Dans une deuxième partie, je m’interesse à la mort repoussante, celle qui nous fait peur et nous dégoûte. Je parle de ceux qui utilisent la mort ou la provoquent, soit pour délivrer un message, soit pour choquer. Dans ma troisième et dernière partie, j’aborde une mort encore differente : celle que l’on va embellir, pour créer du beau, adoucir une douleur, repousser loin de nous le macabre. Passer en revue les différentes façons d’aborder un thème qui dérange m’a permis d’explorer de nombreux univers dans lesquels la mort est niée, reconnue, utilisée, voire détournée.
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echerches - La mort prĂŠsente et assimilĂŠe au quotidien
Partie 1
Philippe de Champaigne, VanitĂŠ 1644
Hans Holbein, Les ambassadeurs, 1533
II- La mort présente et assimilée au quotidien A) Recherches A-1. Au Moyen Age, la mort est omniprésente
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u Moyen Age (entre 500 à environ 1500 après JC) l’Eglise s’était emparé de la mort et l’avait mêlée à la religion : la mort ne doit pas être crainte et nous devons être sereins tout le long de notre vie. Une vie sans péché et sans écart nous garantit le Paradis, et nous ne devons pasnous inquiéter du Jugement dernier, nous arriverons à ce jour blancs comme neige, nous mourrons donc en paix, et avec sérénité. Les images de mort sont omniprésentes et ne choquent personne. L’ image du Christ en croix, assez morbide mais très forte en symbolisme, a un caractère sacré très puissant. Elle se retrouve sur les bijoux, vitraux, icônes et autres peintures. L’Eglise fait planer la menace de l’Enfer après la mort au-dessus des croyants, pour les empêcher de faire le mal et les garder dans le droit chemin. La mort n’est pas censée faire peur, elle fait partie de la vie et ne doit pas nous inquiéter si nous avons suivi les préceptes de l’Eglise. De fait, la mauvaise hygiène et les mauvaises habitudes du Moyen Age faisait que les maladies étaient très fréquentes. Comme la médecine n’était pas encore très efficace, chaque épidémie se transformait en véritable hécatombe, et l’espérance de vie était très réduite, d’à peine une vingtaine d’années par moments. Par exemple, lors de la Grande Peste, vers 1350 après JC, les morts s’entassaient dans les rues et ce spectacle n’était pas plus choquant pour ceux qui le croisaient tous les jours, qu’une scène de vie habituelle. La mort ne se cachait pas, et on amenait les morts par charettes au cimetière, au vu de tous. Les peintres de la fin du Moyen Age, tels que Masaccio (1401-1428), Champaigne (16021674), Holbein (1498-1543), Caravage (1571-1610), font partie de ces peintres mettant la mort en scène dans leurs Vanités, dont la plupart sont célèbres et représentatives de cette période. Pour autant, cette vision de la mort n’est pas universelle. Dans ce qu’on allait appeler le Nouveau monde, la mort était beaucoup plus “joyeuse”.
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Andrew Rae, The Human Body, 2005 Même en occident, de nos jours, on peut se jouer de la mort !
Dr Lemon tequila célèbre le jour des morts mexicain et lance sa campagne de publicité en Novembre 2010, utilisant de petits personnages squelette représentant la mort, avec des couleurs joyeuses. La tequila et la fête ne sont donc pas forcément dissociables de la mort !
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A-2. Au Mexique, une façon différente de célébrer la mort
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otre culture occidentale dépeignait la mort comme quelque chose de triste et froid.Mais ailleurs, par exemple au Mexique, la fête des morts (Dia de los Muertos) est une fête très joyeuse et de très grande importance. Elle se déroule pendant deux jours, le 1er et 2 novembre juste après la fête de Halloween qui n’a aucun rapport. C’est aussi l’occasion de se retrouver en famille. Lors de cette fête, on vient se recueillir sur les tombes des défunts, on apporte des offrandes aux morts et on boit à leur santé. Pour guider les âmes, un chemin de pétales de fleurs est réalisé de la rue jusqu’à l’autel. Des prières sont récitées et de la musique est jouée. Les Mexicains, qui sont presque tous catholiques, débutent la journée en priant les défunts, et la terminent en buvant à leur santé - plus généralement, ils n’ont pas peur de la mort, il se moquent d’elle, jouent et même, cohabitent avec elle. Cette coutume nous semble choquante voire provocante car la mort est traitée comme un personnage quasi humain, avec familiarité et dérision. Ne serait-ce pas, tout simplement, une autre manière d’aborder la vie et par là même, d’intégrer plus naturellement et sans honte cette mort qui nous fait peur et nous fascine ? Une figure revient très souvent : celle de La Catrina mexicaine, un squelette de femme à l’air plutôt amusant. Le terme “catrina” est la déclinaison féminine du mot catrín, qui signifie « dandy » en espagnol mexicain. Ce squelette, qui porte un chapeau très élégant, représentatif de la haute bourgeoisie de l’époque, a une fonction de Memento Mori : il rappelle que les différences de statut social n’ont aucune importance face à la mort. Beaucoup d’artistes mexicains représentent cette mort que l’on célèbre en s’amusant : Artemio Rodriguez, José Guadalupe Posada.
La Catrina, José Guadalupe Posada
Emanuel Ungaro habille la mort 2007
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HaĂŻti janvier 2010, image LibĂŠration.fr
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A-3. La mort au dîner
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la télévision et dans les autres grands médias très populaires, la mort est encore vue autrement : accidents, fusillades, épidémies, meutres, attentats, les images sont très crues. Qui n’a pas vu des centaines de cadavres au journal de 20 heures, au moment des tristes évènements du tsunami en Thaïlande, en 2004 ? Ces images, largement diffusées, aboutissent à une certaine banalisation de la mort : on regarde celle-ci “dans les yeux” tous les soirs en dînant avec les enfants. On peut avoir un petit sursaut, mais qui ne va pas bien loin, sauf peut être chez les plus sensibles d’entre nous.
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Boots Dsquared 2010
Pochette Alexander McQueen
Pendentif Golden Bird, Bird On The Wire Page Citizen K
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A-4. Les attributs de la mort sont à la mode
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ela se ressent évidemment dans le secteur de la mode : tout, ou presque, a déjà été fait. On peut donc se permettre de ss servir des attributs de la mort, car cela ne choque plus grand monde. On utilise les symboles des vanités comme motif, les codes de la mort comme impression textile, des reproductions de crânes d’animaux comme bijoux précieux, des os en pendentif etc. On a même trouvé des motifs faits à partir de radiographies ou d’os, dans un trend book de 2010. Le célèbre magazine Citizen K, quant à lui, présente certains vêtements sur un squelette déguisé. On assiste même à une recrudescence de crucifixs, arborés aux cous des jeunes les plus “tendance”, comme accessoire de mode, et donc totalement vidés de leur sens.
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Quelques photographies des catacombes quand je les ai visiteĂŠs
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A-5. Le cas des Catacombes
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’ai visité les Catacombes de Paris, dans le 14ème arrondissement, afin de photographier ces rangées d’ossements et de crânes humains. On peut les voir pour la modique somme de 8 euros. Les Catacombes connaissent un grand succès : la queue, composée de touristes et de Parisiens voulant assouvir leur curiosité, ne cesse de s’étirer devant l’entrée. Cette accumulation d’os humains ne choque plus grand monde. Certains visiteurs manquent tellement de respect face à la mort qu’ils vont jusqu’à voler, dégrader des ossements, et graver leur prénom dans la pierre, ou carrément sur les crânes des défunts.
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J’ai redessine ce motif que m’a inspire les catacombes
Impression du motif sur de la toile
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B) Experimentations B-1. Accumulation d’os
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endant toute ma visite des Catacombres, j’ai été fascinée par le rangement des ossements : régulier et presque calculé au millimètre près, organisé de manière symétrique et logique. Cet entassement de restes de défunts forme un motif régulier et presque esthétique : Il est très troublant de contempler tous ces crânes qui ont appartenu a des individus ayant vécu par le passé, rangés par des vivants qui essayaient de “faire joli”. Cette recherche esthétique me paraît absurde mais néanmoins non dénuée d’interêt. J’ai donc redessiné ce motif, que j’ai par la suite imprimé sur du textile : si on range bien les os pour faire joli, pourquoi ne pas utiliser exactement ce même motif en textile ? Ceux qui ont organisé ces ossements avaient sûrement comme but de rendre les Catacombes plus attractives, et de montrer que l’on ne jette pas en vrac les ossements des ancêtres, sans en détourner l’aspect morbide : ça reste toujours un tas d’os.
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Dyptiques d’une seance photo que j’ai realisee
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B-2. Banquet macabre
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’ai fait des expérimentations en rapport avec ce grand axe: la mort assimilée au quotidien, une mort qui ne nous choque pas. Comment représenter visuellement cet état de choses ? J’ai pris une série de photos mettant en scène chaque vision de la mort. La première série montre la mort d’une façon évidente, celle que nous connaissons et assimilons tous, sans trop de problèmes (à part bien sûr certaines personnes plus sensibles, ou ayant des idées radicalement différentes, comme les végétariens, végétaliens etc., qui refusent de cautionner la mort d’animaux). J’ai mis en scène différents cadavres d’animaux, tous trouvés assez facilement au marché; les divers commerçants (tripier, boucher...) étaient juste assez étonnés de ma demande d’animaux entiers et non préparés. Généralement, les gens répugnent à vider la viande et demandent qu’au moins la tête soit coupée. Si certains ne sont pas dérangés par une tête de canard aux yeux vitreux, d’autres, qui pourtant mangent et cuisinent de la viande, ne veulent pas voir qu’il y avait là un être vivant. Ils préfèrent éviter qu’un élément, qu’ils vont retrouver dans leur assiette, leur rappelle cette vie. ’ai donc disposé toute cette viande crue et entière dans une jolie vaisselle de porcelaine, et autres plats en argent, avec des couverts, le tout sur une belle nappe blanche, parsemée de petites tomates et de chataîgnes. Cela forme une nature morte qui fait penser à un banquet, un festin d’amateurs de viande. Un coeur de boeuf dans une assiette, un lapin entier agrémenté d’une grappe de raisin, mais aussi un crâne humain avec une tomate cerise dans la bouche, comme on présentait parfois les pièces de porc, une tomate ou une pomme dans la bouche. C’est donc une mise en scène qui n’a pas pour but de choquer, mais de montrer que des cadavres frais et morts, disposés d’une certaine manière, ne choquent pas plus que ça et font plutôt penser à un riche banquet : une image de mort assimilée au quotidien par excellence, une nature morte contemporaine.
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I- La mort exhibee
Trophée de chasse : tête de cerf empaillée photo derision de la mort ?
II- La mort exhibée A) Recherches
A-1. La mort comme trophée
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a mort peut aussi être perçue et utilisée de manière radicalement différente. Loin d’une assimilation respectueuse du macabre, certains ne reculent devant rien. La mort est ainsi souvent glorifiée et mise en avant, comme une manière de la défier, mais de façon bien moins réjouissante que celle des Mexicains qui la prennent avec un certain humour. Les détracteurs de la chasse dénoncent cette tendance : certains chassent uniquement pour le plaisir de tuer, et surtout de triompher d’un animal. Ils en retirent de la gloire, car ils ont dominé un être vivant, l’ont fait passer de vie à trépas, de leur seul bon vouloir. Quelques- uns vont plus loin, en gardant comme trophées morbides le fruit de leur chasse, qu’il s’agisse de têtes empaillées (sanglier, biche, ou pour les plus exotiques, zèbre, lion ou autres bêtes), qui nous observent des murs, ou d’animaux entiers, plus vrais que nature.
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Lady Gaga pour Terry Richardson, The Naked Truth, 2010
Robes Jeremy Scott, 2010
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A-2. Utiliser la mort comme moyen d’expressiion
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ans les milieux artistiques, on utilise parfois différemment les images de la mort, pour choquer ou pour délivrer un message. Citons, dans le milieu de la mode,Terry Richardson (qui photographie Lady Gaga en robe de viande) Jana Sterbak ou Jeremy Scott. D’autres artistes poussent le côté sale de la mort à son paroxysme, comme Jake et Dinos Chapman, Andres Serrano, Joel-Peter Witkin.
Jake and Dino Chapman, Migraine, 2004
Andres Serrano, The Morgue, 1992
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Action de Zhu Yu, 2006
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Zhang Huan, “My New York”, 2002
A-3. Le cas cadavre
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ertains utilisent la mort comme signe de défiance culturelle, ou tout simplement pour choquer. C’est le cas du groupe d’art chinois “Cadavre”, composé de jeunes artistes qui utilisent des cadavres humains dans leurs oeuvres : le support du cadavre est sensible sur le plan moral, et permet d’exprimer de la violence et de la provocation qui montre leur révolte. Il constituerait aussi un matériau artistique nouveau et non ininteressant. Ils ont été très vite mis sur le devant de la scène vers les années 2000. Ils soulèvent aussi un point très interessant : le corps humain est composé d’hydrate de carbone : après la mort, il se transforme en matière. Pour certains donc, un mort n’est plus un être humain. Sur le plan conceptuel, le cadavre n’est plus un être humain, mais sur le plan psychologique pour les vivants, il le demeure.,
Tsu Yuan et Peng Yu, “Body Link”, 2000
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Wim Delvoye, “Blow”, 2001
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A-4. L’imagerie médicale
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a médecine a contribué à poser des images sur la mort et les maladies : une nouvelle esthétique a été créée avec ces nouveaux moyens de voir à l’intérieur du corps (irm, radiographies etc...). Maintenant, on peut voir à quoi ressemble la tumeur que l’on a dans le cerveau, on peut voir la forme qu’à pris l’os lors d’une fracture, on pose des images sur le mal qui peut nous amener vers la souffrance, la maladie et la mort. C’est la naissance d’une esthétique nouvelle, étrange, et curieusement réelle. Les radiographies laissent apparaître le squelette, comme un être étrange vêtu d’ombres blanches. Wim Delvoye mélange sexe et mort : il célèbre la pulsion de vie qu’est le sexe en l’opposant à l’image de radiographie qui est négative. On ne va pas faire une radio le coeur léger, et on attend le résultat avec inquiétude. On voit son squelette, qui représente la finalité de sa vie, notre futur être, enterré et mort.
Radiographies
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Ecorché de l’exposition Our Body, à corps ouvert, 2010
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Le cavalier de l’apocalypse, de Fragonard, 1766
A-5. Les cadavres éducatifs
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n médecine aussi on a utilisé des cadavres tout frais. Certains professeurs étaient d’ailleurs totalement dans l’illégalité en utilisant des corps. On flirte ici entre trouble éthique et morbidité. Mais comment mieux apprendre sur le corps humain qu’en ouvrant un vrai corps ? La médecine a produit de nombreux écorchés, certains vitrifiés donc de vrais corps qui se conservent avec le temps, selon un procédé complexe. Honoré Fragonard (17321799) est un anatomiste célèbre pour sa technique de conservation des écorchés, dont on a découvert les principales particularités en 2005. Beaucoup d’autres artistes ont représenté des écorchés, tels que Léonard de Vinci, Michel-Ange, Brancusi etc...
L
es écorchés suscitent toujours des réactions controversées, comme nous avons pu le voir avec l’exposition “Our Body / A corps ouverts”, qui met en scène une quinzaine d’écorchés : “Plutôt que d’utiliser des modèles anatomiques, “Our Body / A corps ouvert” fait appel à de véritables corps humains pour permettre au public le plus large de voir ce qu’en principe seuls les docteurs et les anatomistes sont capables d’étudier. En révélant toute la complexité du corps humain, “Our Body / A corps ouvert” propose un regard de près et en trois dimensions sur l’intérieur du corps.” L’exposition a été interdite.
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Planches anatomiques extraites de l’”Atlas of human anatomy and surgery”
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A-6. Les planches anatomiques
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oiciunepetitesélectiondeplanchesanatomiques.Jepensequecesillustrations,dessinées à la main à partir de vrais ecorchés humains sont très intéressantes et illustrent bien cette polémique autour de l’utilisation de cadavres au service du savoir et de la médecine. Comment rester insensible et simplement redessiner le cadavre ouvert que l’on a en face de nous ? Mais on se rend compte que l’intérieur du corps humain est plein de couleurs, de formes, en bref plein d’une certaine poésie que l’on pourrait détourner et transformer en motif. Les muscles créent comme une étoffe sur le squelette, les réseaux sanguins ressemblent à une dentelle morbide, les formes des différents organes peuvent faire penser à un vêtement à la construction folle... Le corps humain est une réelle source d’inspiration.
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Cage thoracique rebrodĂŠe et impression textile
Squelette recto/verso en couture
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B) Expérimentations B-1. Le squelette rebrodé
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’ai imprimé des motifs d’ossements sur du textile, mais en les retravaillant par la suite. Je suis partie d’une cage thoracique dont j’ai repris les lignes principales en couture : ça leur a donné de la consistance et une matière irréguliere, qui salit un peu ce dessin tout propre. J’ai rajouté des annotations “à l’ancienne”, comme sur un croquis anatomique, pour indiquer tel ou tel os. J’ai joué sur le sens de ces annotations, certaines étant à l’envers ou non, de différentes tailles. La couture des os sur l’envers donne un autre motif intéressant : on sent une ambivalence du recto-verso : double sens, double signification.
Motifs de cages thoraciques que j’ai accentués avec des coutures
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Banquet macabre realise lors de mon shooting photo
La texture de la viande ainsi que le ficelage d’un rôti
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B-2.Scène de boucherie
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fin d’illustrer cet axe sur la vérité toute crue, la mort montrée cruement voire poussée à son paroxysme de dégoût, j’ai repris les mêmes éléments que les photos précédentes mettant en scène un banquet de viande, et je les ai remis en scène. Sauf que, cette fois , j’ai fait en sorte que la scène nous inspire un dégoût immédiat. On voit les abas, l’intérieur de tout ces cadavres d’animaux, la chair comme mutilée. C’est sale, c’est gluant, on voit du papier de boucher et beaucoup d’attributs de mort : couteaux, hachoir, planche à découper, fusil à aiguiser, fourche plantée dans la viande, tâches rosâtres de sang et diverses sécrétions. La tête de canard semble crier de douleur, la tête de poulet a un air de cadavre résigné. On est loin de l’impression de mort propre des photos précédentes.
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ais la mort ne se résume pas à un tas de chair inanimée. Le passage vers d’au delà permet de la dédramatiser, en ouvrant d’autres pespectives.
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II- La mort embellie pour ne plus en avoir peu Giotto, l’Ascension, 1304-1306
III- La mort embellie pour ne plus en avoir peur A) Recherches
A-1. La religion, adoucissant de la mort
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a religion nous promet une mort dans la sérénité et la douceur si on a bien suivi ses préceptes. Les images de Paradis pullulent, toutes plus féériques les unes que les autres. Tout le monde a une petite représentation du Paradis dans le coin de sa tête, un monde dans les nuages, avec des anges, blancheur, douceur et beauté pour la vie après la mort si on est chrétien. Certains croient en la réincarnation : dans cette doctrine, à la mort du corps physique, l’ “esprit” quitte ce dernier pour habiter, après une nouvelle naissance, un autre corps, ce qui permettrait à l’individualité de poursuivre ses expériences de vie et son évolution spirituelle ou morale. Autant de vies après la mort qui donnent espoir pour le futur, et qui effacent les angoisses qui peuvent exister en pensant à la mort. La religion aide à faire face à la mort.
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Bijoux de Attilio Codognato
Medaillon Faberger
Bague en or avec les cheveux entrelacĂŠs de Louis XVI et de Marie-Antoinette.
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A-2. Les bijoux mortifères
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iés à la religon et à la mort, de nombreux bijoux ont fait leur apparition : bijoux Memento Mori, pour rester humble pendant sa vie, ou véritables petits gri-gris contenant mèche de cheveux d’un proche défunt, un portrait ou autre élément rappelant un individu cher à notre coeur. Promesse de vie sur des sautoirs, broches de style “Belle époque” qui recèlent à l’intérieur une étoffe, brodée de cheveux d’enfance. Car à l’origine de cet élan, ces objets servaient à se ré-approprier sa mort et retrouver ainsi le cycle de la vie. Ces derniers bijoux, qui permettent de se sentir toujours proche d’un mort et de ne pas l’oublier constituent un souvenir, mais aussi une forme d’acceptation de la mort : oui, mon frère est mort, mais ce bijou me permettra de le garder toujours près de mon coeur, il devient métaphore de la mort de ce proche, de manière précieuse et belle. n tel bijou peut aussi constituer un exorcisme, transformant la mort laide et triste en joli bijou souvenir. Ces bijoux sont essentiellement conçus comme un mémento biologique pour démontrer la brièveté de la vie et l’inutilité des biens terrestres. A l’origine, ce bijou mortifère adopte des airs de gris-gris chargés de mémoire et de force. Certains cristallisent des souvenirs qui recueillent le passage du temps et apportent une dimension affective.Déjà, chez les romains, les bijoux memento mori participaient avec art à mettre en garde l’homme contre sa mortalité, sans toutefois être chargé de témoigner de la mort d’un proche.
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Philippe Pasqua, Crâne aux papillons, 2006
Damien Hirst, For the love of God Laugh, 2007
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Niki de Saint-Phalle, Tête de mort II, 1988
A-3.Utilisation poétique des attributs de la mort en art
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n mode, de très nombreux créateurs ont utilisé la mort comme source d’inspiration, mais de manière détournée. Ils n’ont pris que ce qui est transformable en “beau”, ce qui peut tendre à une rêverie poétique ou souvenir, que ce soit des bijoux ou des vêtements, comme la robe d’Elsa Schiaparelli, ou d’Yves Saint Laurent.Ils ont retiré tout ce qu’il y’avait de trop laid dans la mort, contrairement aux créateurs cités ci dessus. De nombreux autres artistes ont aussi tenté d’esthétiser les attributs de la mort et de la vanité. Ils lui donnent une image de beauté et elle devient précieuse et rare, comme Philippe Pasqua, Damien Hirst ou Niki de Saint Phalle.
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Extrait du film Brazil, Terry Gilliam, 1985
Les indications dessinees sur la peau font penser au marquage de la viande
46 Un visage recouvert de pansements apres une intervention chirurgicale
A-4.La chirurgie esthétique, comme acte de déni de la vieillesse
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n chasse la mort par tous les moyens, en l’enjolivant, ou en essayant carrément de la supprimer : l’acte de chirurgie esthétique en est assez proche. En effet, de plus en plus de monde, surtout des femmes, ont recours à la chirurgie, afin d’empêcher leur visage ou le reste du corps d’être atteints par les signes de la vieillesse. Ces signes de vieillesse sont normaux et tout un chacun doit s’y attendre, mais certains ne s’y font jamais et tentent de les effacer à coup de botox et de silicone. Ne serait-ce pas une quête incessante de jeunesse, afin de repousser la mort qui est l’inéluctable fin qui nous guette tous ? Le vieillissement nous rapproche de la mort en laissant le visage se couvrir de rides et ressembler de plus en plus au squelette qui se trouve sous nos chairs. La superficialité et la vanité de la beauté se trouventcélébrées par ces actes de mutilation des chairs.
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Mise en scene précieuse de cadavres que j’ai photographiée
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B) Expérimentations
B-1. Scène précieuse de cadavres
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ans la lignée de mes recherches, j’ai encore repris ces mêmes éléments de viande, canard, poulet, tête de cochon, crâne, pour faire une mise en scène plus ou moins jolie. J’ai embelli ces tas de chair, à l’aide de perles, paillettes, bijoux, strass, fleurs fraîches et branchages argentés. Une impression de douceur s’exhale de ces photos, alors que ce ne sont que des cadavres décorés.
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Tulle rebrodé inspiré de la crépine
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B-2. Crépine dentelle
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oici une autre série de photos, où j’ai utilisé de la crépine de porc, la crépine étant la membrane de la panse du porc, du veau et du mouton utilisée en boucherie.J’ai voulu confronter le corps humain et vivant, la peau humaine a la peau morte des organes d’un porc. C’est donc assez peu ragoûtant, mais l’aspect de la crépine m’évoque une dentelle blanche rosée et transparente, pleine de finesse. J’ai donc eu l’envie de la mettre en scène sur le corps, sur la peau nue, à la manière d’une étoffe. Sans savoir ce que c’est, on pourrait vraiment croire à un fin tissu, mais dès que l’on apprend ce que c’est, on est plutôt horrifié ! On assiste à une certaine disparition du mortifère : on passe de la crépine, de l’organique, un élement interne d’un animal autrefois en vie, à du tulle brodé.
La crépine sur la peau
51
La soie imprimĂŠe
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B-3.Du papier de boucher à la soie
J
’ai découvert de la soie avec un imprimé assez semblable au papier que le boucher utilise pour emballer sa viande, que je trouve assez interessant pour faire du vêtement. J’ai fait un haut avec ce tissu, comme pour enrober le corps de papier de boucher avec, en velours et en polaire, deux steacks qui se placent sur la poitrine, pour symboliser l’acte de chirurgie esthétique le plus répandu : la retouche des seins, de la même manière que l’on traite cette partie de l’anatomie comme de la vulgaire viande. C’est un moyen de dénoncer la femme objet, assimilée à un morceau de viande.
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Bas de manche orné d’os précieux
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B-4. Os précieux
E
n pensant à la mort, on pense évidemment aux os. J’ai donc récuperé et nettoyé des os de poulet, que j’ai enroulés de fil doré, afin de leur donner un côté précieux. Je voulais les utiliser comme tels avec du tissu. J’ai donc décidé de les coudre sur le bas d’une manche froncée, en ajoutant d’autres éléments précieux : perles nacrées, pendentif couleur or, camée argenté renfermant une image d’ecorché. Je ne voulais pas modifier l’os en le représentant de manière graphique, en brodant de petits os ou autres. Je voulais utiliser l’os tel qu’il est, simplement en lui ajoutant de petits éléments qui ne le camouflent pas et ne font que lui donner un côté précieux, l’embellir et l’ annoblir.
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M没es de serpent cousues
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B-5. Peau morte
J
’ai décidé d’utiliser un autre attribut de l’animal : mais ça n’est pas l’animal qui est mort ici : c’est de la peau morte, de la mue de serpent. Le serpent, régulièrement, grandit et se débarrasse de son ancienne peau,en l’abandonnant; c’est un renouvellement ponctuel de son apparence extérieure. Cette ancienne peau morte symbolise son renouveau : et si la mort n’était qu’un commencement ? J’ai donc utilisé cette mue en la découpant et en la cousant sur un autre support pour créer une matière intéressante.
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58 Photos de viande modifiĂŠes
B-6. Masquer l’organique
J
’ai cherché à modifier des photos prises de l’intérieur de cages thoraciques d’animaux morts, afin de créer un motif qui ne rappellera plus la viande. J’ai tenté de brouiller, camoufler sans totalement faire disparaître ce qui nous ramène à la mort : j’ai repris des photos de l’intérieur de cadavres d’animaux, un morceau de photo de viscères et d’une cage thoracique. Je les ai transformées en utilisant des filtres photoshop, pour qu’on reconnaisse moins la viande morte. Dans un premier temps on ne la comprend plus, cela se transforme presque en motif abstrait. Je suis partie de viscères pour arriver à un motif coloré , très éloigné de l’organique.
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Motifs de côtes modifiées et rebrodées
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P
ar la suite, je me suis amusée à brouiller ces codes, c’est à dire que j’ai d’abord montré, caché puis re-montré... Je suis partie d’une photo de viande que j’ai transformée en motif abstrait, puis que j’ai remodifiée à l’aide de la couture. J’ai fait des couture sur les côtes de la cage thoracique, par dessus le motif imprimé, pour remettre en évidence ces os. On montre, on cache, on remet en évidence, voilà tout un jeu complexe qui symbolise notre rapport fragile à la mort. C’est le sujet de mon développement, qui constitue la deuxième partie du tome 1.
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Partie 2
éveloppement
- Disparition du mortifère
Le tricot rigidifié sur le corps
I- Disparition du mortifère
O
n assiste ici à une tendance qui consiste à nier presque complètement la mort et ses attributs, mais sans la faire totalement disparaître. J’ai trouvé que cet acte de “camouflage” se ressentait beaucoup lors de mes précédentes recherches et j’ai donc voulu le développer. C’est une démarche simple en soi : on prend des éléments en rapport avec la mort, et on en retire tout ce qui ne nous plaît pas, à nous ou au commun des mortels, c’est à dire ce qui rappelle l’organique, la chair, ce qui est sale, gluant, froid, l’os trop apparent... Je l’ai masqué en le modifiant, que ce soit graphiquement, ou en reprenant un élément organique et en le retranscrivant de manière esthétique et propre. Il ya une évolution. Mais cette retranscription, si elle perd de son côté organique, ne doit pas totalement abandonner son modèle. Elle doit toujours le laisser deviner, il doit rester là, même si on ne le sent pas forcément, et c’est là sa force : il est là, devant nos yeux et on ne le voit pas, nos yeux préférant s’intéresser à la finesse de la broderie, aux couleurs du motif. C’est presque un acte hypocrite visant à nier ce qui ne nous plaît pas, mais en utilisant ce qu’il ya d’exploitable dans cette source d’inspiration éternelle et intarissable qu’est l’univers de la mort et des Memento Mori.
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Une des étapes de la réalisation de la crépine au crochet
La crépine-crochet sur le corps
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P
récédemment, j’avais travaillé avec de la crépine de porc sur la peau, comme une fine étoffe. La crépine de porc m’a intéressée dès le début, de par son côté organique repoussant quand on la regarde de près, et étrange et pas si laid quand on la regarde globalement. La crépine est un élément pas forcément connu de tous, qui vient de l’intérieur de l’animal, et c’est cet acte de mettre à découvert un élément venant de l’anatomie, proche des organes interne, à l’extérieur, aux yeux de tous, de la même manière que les radiographies et les planches anatomiques, qui fait que c’est dérangeant et rappelle la mort, car nous ne sommes pas censés voir ces choses sans avoir provoqué la mort. J’ai par la suite cherché à retraduire cette crépine avec du tulle et du fil, et j’ai voulu développer ce côté là : la disparition du mortifère, en passant de l’organique au tulle, qui va devenir une extension de la mort assimilée au quotidien, tout comme les motifs de cage thoracique modifiés par photoshop et rebrodés en motif, etc. J’ai donc cherché à rendre cette crépine encore plus attractive et portable. Mais comment la retranscrire de manière plus efficace qu’avec du tulle ? J’ai tout d’abord réalisé un tricot, très irrégulier comme l’est la crépine, avec de la fine laine de couleur écrue. Les mailles ne rendant pas assez bien ses formes géométriques, j’ai raidi ce tricot en le trempant dans un sirop de sucre que j’ai ensuite laissé sécher en l’étendant sur une planche, chaque maille étant tirée par des épingles. Le raidissement de la maille est analogue au corps raidi par la mort, on parle de rigidité cadavérique quand un corps sans vie va devenir petit à petit raide, et cet acte de tremper de la chair dans diverses solutions pour le changer d’état n’est pas sans rappeller la momification.
J
’ai ensuite procédé de même en tentant de créer des mailles, mais cette fois au crochet, en faisant du point chaînette, plusieurs petits morceaux tout d’abord fixés sur une planche pour obtenir la bonne forme, puis tous fixés un par un; ensuite j’ai raidi cette étoffe; toujjours avec un sirop de sucre.
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Transfert de schéma de corps d’enfant accompagné d’une légende erronée sur de la toile dont certaines parties ont été rebrodées de fil de différentes couleurs sur le recto et le verso. Le verso ne laisse apparaître que certaines parties de la cage thoracique enfantine.
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II- Un allez-retour dérangeant
I
l s’agit ici de révéler une ambiguîté qui revient sans cesse dans notre rapport à la mort. C’est un jeu pervers qui se joue aux enterrements, à la télévision, lors des fêtes des morts : on cache, on camoufle, on masque, on montre, on met en avant, on mélange les codes, on joue avec... On maquille un mort de manière à le faire paraître vivant et souvent beaucoup trop apprêté pour mieux “faire passer la pilule”. On camoufle le souffle mortifère qui l’enveloppe. Au Mexique, on plaisante sur la mort,et ailleurs, on pleure, on rit: autant de codes qui se croisent et s’embrouillent. J’ai donc cherché à mélanger ces codes pour montrer cette dimension fragile qui se trouve dans notre perception du glauque, pour donner de nouveaux sens et brouiller les pistes. Il s’agit ici, contrairement à ma première partie qui niait les choses avec du faux vivant et de la retouche photographique, de brouiller les pistes tout en utilisant et en montrant les attributs du corps humain ouvert : des os, des organes. La mort est totalement visible mais trop visible, et elle est détournée par les indications données en couleur et qui sont en totale inadéquation avec le sujet.
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Voici les transferts rebrodĂŠs
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J
’ai fait des transferts textiles de croquis d’anatomie, rappelant l’existence d’organes périssables dans le corps, montrant comment la médecine nous traite quand notre corps est en mauvais état. Je suis partie d’un schéma de poumons d’enfant, avec des inscriptions en typographie “comic sans ms” colorées de notions en rapport avec les enfants, chocolat, mots inventés. Pour détourner, masquer avec les mots, donc sans cacher au sens propre du terme, c’est ici plutôt une petite manipulation psychologique, qui tend à montrer notre rapport ambigû à la mort. On se voile la face, ou au contraire on met son nez dedans par curiosité morbide: autant de comportements divers qu’un être humain va adopter successivement. C’est un allez-retour entre l’horrible et le mignon, entre le jeu et le morbide, et c’est celà qui est dérangeant. J’ai également rebrodé certains organes reproduits en transferts textiles pour les mettre en valeur. J’ai utilisé des couleurs de l’arc en ciel pour relever ce côté enfantin. Cela fait ressortir les organes mais de manière toujours enfantine et naïve, comme le rapport que les enfants ont avec la mort. Mais si on retourne le morceau de tissu, on se rend compte que le fil qui a été mis en dessous est de couleur rouge, blanche ou noire, donc beaucoup moins gaie, ce qui rappelle le blanc des os, le rouge du sang et le noir du désespoir, dans un motif qui devient presque abstrait. La dualité des sentiments face à la mort est infinie.
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Une des illustrations de squelette que l’on peut deviner sous le voile
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III- Poésie et mort
J
e me suis ici intéressée à un autre aspect de notre rapport à la mort, toujours proche des précédents mais encore différent : la manière que l’on a d’adoucir la mort, mais sans la masquer. J’ai plutôt cherché à en faire ressortir les aspects poétiques que l’on retrouve dans les histoires de vie après la mort: la sérénité, la vie éternelle, la décoration de certains tombeaux, le recueillement extatique de certains ont, le mysthicisme lié à la mort. De très nombreux artistes ont exploité cette poésie macabre dans leurs oeuvres, qui sont toutes empreintes d’une beauté étrange et dérangeante, esthétique et inesthétique à la fois. Tim Burton utilise justement ces codes de la mort, du squelette amusant, ni méchant ni gentil avec ses accolytes effrayants mais attachants.
J
’ai tenté d’utiliser le poétique de la mort: une âme qui s’échappe d’un corps, le Paradis que nous promet la religion si l’on a été bon durant sa vie terrestre, avec des anges dans les nuages et la blancheur vaporeuse de la mort tranquille. Les linceuls ne sont-ils pas éclatants de blancheur ? J’ai cherché à faire un travail plus de texture et de forme. J’ai donc réalisé une composition qui se place sur la tête et qui peut, soit se porter comme un voile de veuve, ou comme une coiffe de religieuse avec une étoffe qui englobe les épaules. On peut ici faire une analogie avec la mort qui nous enveloppe, et que l’on sait présente et inéluctable. J’ai utilisé des matières vaopreuses, mais aussi de la tarlatane qui me fait penser à la gaze d’hôpital. J’ai fait des transfert textiles (tête de mort, squelettes dansants, cage thoracique), qui sont plus ou moins camouflés sous ces superpositions de transparences. On les voit à peine, mais ils sont là. Ce chapeau peut permettre de se voiler la face quand à la vraie mort, la nier en la rendant blanche et invisible aux yeux de tous. Plutôt qu’une forme précise, j’ai cherché à mettre en valeur ces matières blanches en créant du pli, du drapé, une forme incertaine, comme un nuage étrange autour du visage. La tête de mort se situe au niveau du visage, la mort vous observe ! Vous êtes vousmême ce crâne qui sera visible un jour où l’autre, quand la peau dégarnira vos os.
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Le chapeau voile porté à la façon religieuse, ou veuve.
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L
a mort est ici représentée de manière bien plus abstraite que précedemment. Avec ce voile de deuil, on est davantage dans la suggestion. Cette voilette folle relève du fantômatique. Elle est là pour renforcer cette idée d’une mort inéluctable, avec cette trame qui donne au visage un aspect ridé, comme s’il nous montrait ce qu’il allait devenir : d’abord flétri par l’âge, ensuite attaqué par la décomposition et enfin réduit à un crâne.
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onclusio
M
a première partie “Recherches” représente mon travail d’exploration qui, en partant du thème des Vanités, m’a amenée à dresser un inventaire tournant autour de la mort et à établir le lien existant entre le corps, le vêtement et la mort. J’ai découvert que l’homme a des rapports multiples avec la mort, propres à chaque culture, chaque époque, chaque individualité. J’ai cherché à analyser les principales relations que l’on peut entretenir avec la mort, et j’en ai principalement étudié trois : la mort présente et assimilée au quotidien, la mort exhibée et la mort adoucie. J’ai rapproché la mort et le vêtement, ce cocon qui nous entoure et nous accompagne de la naissance au trépas, de la layette au linceul, et qui protège notre corps périssable. Au cours de mes expérimentations j’ai manipulé les textiles, utilisé la couture, le transfert, le tricot et le crochet pour habiller ce corps. Ma deuxième partie “Développement” m’a permis d’illustrer les rapports avec la mort définis précédemment.. J’ai eu recours au textile ( transfert, broderie, tricot, couture) pour décliner trois thèmes : la disparition du mortifère, l’allez-retour dérangeant, et le côté poétique de la mort. Le vêtement est un bon support pour exprimer ces ambivalences marquées, de par la multitude de techniques et d’illustrations qu’il nous offre, et surtout son infinie adaptabilité.
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ibliographi
Catalogues d’expositions : TAPIE (Alain), Vanité, mort, que me veux-tu ? Paris, Editions de La Martinière, 2010, 218 pages C’est la vie ! Vanités, de Pompéi à Damien Hirst Paris, Editions Skira Flammarion, 2010, 299 pages Ouvrages : “Puro Muerto”, La Mano Press, 2005, non paginé “Paris Trends Book Dressing”, Spring Summer 2011 CADOT (Laure), En chair et en os : le cadavre au musée Paris, école du Louvre, 2009 QUIN (Elisabeth), Le livre des Vanités CHARBONNEAUX (Anne Marie), Les Vanités dans l’art contemporain J.M (Bourgery) & N.H (Jacob), Atlas of human anatomy and surgery Taschen LUGLI (Andrea), Handmade Gingko press, 2006 PASCAL, Les pensées POME DE MIRIMONDE (Albert), Les natures mortes symboliques LANEYRIE-DAGEN (Nadeije), L’invention du corps : La représentation de l’homme du Moyen-âge à la fin du XIXème DE MERIDIEU (Florence), Histoire matérielle et immatérielle Parutions : DAGEN (Philippe), Au jeu de la mort, victoire des anciens Dans Le Monde, 22/07/2010 Art Press Hors série 4, 2001, Représenter l’horreur Citizen K Beaux arts magazine 81, Juillet 90
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emerciements
J
e tiens à remercier mes professeurs, Mme Schmidgen et M. Hager, qui m’ont aiguillée et aidée durant tout le processus de rédaction de ce mémoire. Je tiens également à remercier mes proches, ma mère Agnès, Cyril, Laetitia, Valiouka, Flavie, qui m’ont épaulée et apporté une aide précieuse, et surtout un réel soutien. Une mention spéciale pour tout ceux qui se sont interéssés à mon travail, malgré les aspects parfois peu réjouissant du sujet traité. Je pense, entre autres, à ma mère négociant chez le boucher, à Laetitia nettoyant des os de poulet, à Sébastien vidant un poisson entier pour moi, à Laetitia pour les photos (et Flavie ) et à Alexandra pour son aide précieuse en mise en page ! Merci au reste de mon entourage pour ces petits riens qui font tout !
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1
Ecole de condĂŠ paris
Camille Brunet Master de design global
2009/2011
Tome 2
ommair
TOME 2
Introduction
p6
I- Un jeu d’abstraction de la mort : Les Vanités Textiles 1- Présentation du projet 2- La marque 3- Choix de l’orientation féminine 4- Une forme commune
p10 p12 p14 p16
II-Thèmes retenus 1- Disparition du mortifère 2- Un aller-retour dérangeant 3- Poésie et mort III-Présentation de la collection 1- La collection en figurines 2- Dessins à-plat 3- Photos des robes
Conclusion
p18 p20 p22
p24 p36 p48
p52
7
Introduction
Yves Saint Laurent, Essayage pour “Maldoror”, 1962
D
ans mon tome 1, il m’apparaissait évident que le vêtement était un support idéal pour exprimer le rapport à la mort que nous avons chacun et qui nous est multiple et propre. La mort est une source d’inspiration inépuisable que plus d’un créateur de mode a exploitée : Jeremy Scott, Yves Saint Laurent, Vivienne Westwood, Elsa Schiaparelli et tant d’autres. Le vêtement vanité, l’allégorie féminine de la vanité, cet incessant aller-retour auquel nous assistons sur les podiums des défilés de mode, tout ceci m’a donné envie de travailler le vêtement en dessinant une collection en rapport avec mon thème de mémoire d’une trentaine de modèles : Les Vanités Textiles. La mode est ici utilisée pour exprimer des sentiments que l’on a tendance à masquer, comme un Memento Mori portable en permanence sur le corps. Le vêtement, que l’on peut rapprocher du linceul, dernier tissu à protéger notre corps quand nous passons de vie à trépas, est également l’enveloppe qui nous accompagne tout au long de notre vie...
Robe “Skeleton” d’Elsa Schiaparelli et Dali, 1938
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Le Projet
I- Un jeu d’abstraction de la mort : Les Vanités Textiles
Philippe de Champaigne, Vanité 1644
Hans Holbein, Les ambassadeurs, 1533
Détail de la boutique “Memento Mori”, à Lille
I- Un jeu d’abstraction de la mort : Les Vanités textiles 1- Présentation du projet
M
on projet consiste à illustrer les axes que j’ai précédemment explorés dans mes recherches, puis dans mon développement. Ces axes sont au nombre de trois et m’ont servi de base d’inspiration pour dessiner ma collection. Cette collection sera présentée dans un contexte de boutique à thème ou “Concept Store”, comme il en existe tant, comme la boutique “Colette” , “Bird On The Wire”, “Artoyz” à Paris, ou encore “Memento Mori” à Lille. Cette boutique vendra donc les “Vanités Textiles” que j’ai dessinées, tout en reprenant l’inspiration mortifère pour la décoration de l’endroit. Pour sa décoration, je réutilise les motifs des robes sur les murs, qui pourraient également illustrer des objets du quotidien, coussins, rideaux, vaisselle, bijoux, accessoires...
E
n effet, pour créer cette collection, j’ai utilisé mes précédentes recherches, et j’ai effectué un travail accentué sur l’ennoblissement textile, le motif, la broderie, les jeux de matière, plus que sur la forme ou le patronnage. Je pense que j’étais vouée à travailler ainsi dès le commencement de mes expérimentations qui tournent exclusivement autour de ce qui m’a le plus inspirée pour ce projet. Également de manière plus globale : la manipulation textile, le mélange de matières, de couleurs, d’éléments différents, parfois détournés, sont mes “outils” de prédilection.
Détail de la boutique “Bird On The Wire”, à Paris Bastille
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La marque
Déclinaison de plusieurs possibilités de logos pour la marque “Vanitas”
2- La marque
I
l a donc fallu cadrer ce travail, lui trouver un concept de marque. J’ai donc choisi un nom qui me paraissait simple, court, résumant parfaitement ma démarche, tout en restant très proche de ma source d’inspiration originelle : J’ai choisi un mot que j’ai évoqué dans les premières lignes de mon mémoire : “ Vanitas”, qui est un mot latin signifiant “Souffle léger, vapeur éphèmère. On retrouve ce mot dans la locution latine “Vanitas vanitatum, omnia vanitas” (vanité des vanités, tout est vanité).
P
our le logo de la marque, je voulais quelque chose de très simple, du noir et blanc, comme ma mise en page générale, simple, basiquem et une tête de mort, que l’on retrouve très souvent dans les peinturs de Vanités. Le logo est déclinable en plusieurs possibilités, et est de même utilisé pour les étiquettes des vêtements. La marque propose des habits portables en journée, ou pour le soir, ce sont des habits un peu extraordinaires, pour les gens qui aiment l’originalité.
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a femme
Peinture de Hans Memling, “La Vanité”, 1485
3- Choix de l’orientation féminine
J
’ai choisi de créer une collection qui soit exclusivement féminine. En effet, contrairement à l’homme et à l’enfant, la femme représente parfaitement mon thème de départ : Les Vanités, qui ont évolué au fur et à mesure que mon projet s’est concrétisé, cest à la fois mon point de départ et mon point d’arrivée, en quelques sortes détourné.. J’ai donc choisi de dessiner une collection destinée à la femme, qui, comme je l’ai rapidement évoqué au début du Tome 1 de mon mémoire, est l’une des figures principales de l’allégorie des Vanités.
S
ouvent, la vanité de la femme s’auto-admirant dans le miroir est liée à la représentation de la Mort. La femme, perdue dans une profonde contemplation narcissique, ne remarque pas la Mort qui rôde à ses côtés. Elle est souvent accompagnée d’un animal connu aussi pour sa vanité comme le paon, le cygne, ou, chez Memling, le bichon et le lévrier. La femme se contemplant dans un miroir, admirant sa beauté, est le symbole de la beauté éphémère et du temps qui s’écoule irrémédiablement
Allégorie de la Vanité de Bernardo Strozzi
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a forme
Chasubles du XIXe siècle
4- Une forme commune
P
our ma collection, j’ai choisi le parti pris de surtout me focaliser sur l’ennoblissement textile et moins sur la forme du vêtement. Il me fallait donc des formes simples. Pour la femme, j’ai donc choisi de faire des robes de coton clair, la robe chasuble me paraissait alors tout indiquée. La robe chasuble est une robe sans manches ayant une forme évasée. Elle est inspirée du costume traditionnel des moines : la chasuble, qui est une robe très simplifiée, ce qui faisait écho à l’évoquation religieuse dans mon Tome 1. La robe chasuble a une coupe droite et sa taille n’est pas, ou peu, marquée. Dès le moyen âge, les femmes portaient une longue robe chasuble (le surcot) retenue par un lien en travers de la poitrine ou une chasuble à capuche par-dessus une robe justaucorps.
J
’ai également décidé d’utiliser la même forme pour tous les modèles de ma collection : en effet, chaque robe est une représentation différente de la mort. Mais c’est aussi un élément qui reste toujours le même, mais qui est simplement vu d’une manière différente par chacun. Chaque robe est une vision de la mort différente d’une autre à chaque fois. Chaque vêtement de ma collection sera donc une simple robe chasuble, mais traitée différemment, de par le travail de motif, de texture, et donc évoquant la mort sous un angle spécifique.
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isparition Mortifèr
II- Thèmes retenus
La crépine ou péritoine, qui soutient les viscères
II- Thèmes retenus 1- Disparition mortifère
I
l s’agit ici de nier la mort, de la transformer en la sublimant presque: on en prend les attributs, et on les modifie pour les rendre moins organiques, moins effrayants, beaucoup plus attractifs et jolis. On les vide de leur sens premier en apparence, mais la mort est toujours là, même si elle est invisible à première vue, comme sur la photo du tricot crépine, on est passés d’un élément organique et dégoûtant à un joli tricot écru posé sur la peau, évoquant une dentelle abstraite.
J
’ai donc dessiné une dizaine de robes chasubles en m’inspirant de ce thème avec des incrustations de crépine tricotée, un motif morbide qui devient illisible et abstrait... On suggère, on camoufle, on modifie, pour un résultat étrange, éloigné du morbide, mais pas totalement. La crépine en tricot est intéressante, car elle met à l’extérieur du corps, une partie des viscères qui normalement n’est jamais visible. Au lieu d’avoir le péritoine sous la peau, il se retrouve dessus.
Tricot rigidifié qui reproduit la crépine de porc
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Aller-retour dérangeant
Détail d’un transfert brodé
2- Un aller-retour dérangeant
D
ans mon second axe, j’ai surtout joué avec les motifs. L’aller-retour dérangeant est illustré par un motif qui met en exergue cette tendance à mélanger les codes. Je cherche ici à montrer l’ambivalence et les doubles sens que nous exprimons tous vis à vis de la mort : rejet, fascination, naïveté enfantine, peur, exaltation... Tous ces comportements différents que nous sommes amenés à ressentir tout au long de notre vie, aussi contradictoires que multiples. ’ai donc manipulé le transfert textile, la couture broderie, la couleur, le détournement de sens, de forme, le camouflage qui transforme. On mélange et on brouille les pistes pour donner un nouveau sens : le squelette devient abstrait, le coeur anatomique se confond avec le coeur symbolique, le motif à moitié voilé devient abstrait...
J
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oésie et mort
Voile vaporeux dévoilant légèrement une tête de mort
3- Poésie et mort
C
ette troisième orientation est inspirée du côté poétique de la mort. Cet aspect de la mort est parfaitement compréhensible dans l’iconographie religieuse : anges, Paradis... On utilise ici ce qui est joli naturellement dans la mort. Cette idée par exemple de mort corporelle avec une âme qui survit et s’envole vers le Paradis si elle a été pieuse, je reprend la blancheur des robes de beaucoup de Saints et d’anges, qui est aussi celle des nuages qui peuplent le ciel et le repos éternel des morts. Ce thème m’évoque le vaporeux, les transparences, qui laissent deviner la mort mais sans laideur. ’ai donc dessiné une dizaine de robes qui comportent des applications de voile, de tarlatane blanche, robes ajourées, chaque robe devant avoir une apparence douce, sans forcément l’être. Nom de maladie brodé en couleurs pastelles, cage thoracique et coeur anatomique symboliques en tarlatane et velour, motifs d’os que l’on devine sous le voile, tout autant d’éléments d’ennoblissement textile qui laissent entrevoir sous le vaporeux et le poétique la réalité.
J
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Robe totalement composée de tricot rigidifié par du sucre
Disparition du mortifère
a collection
II- Présentation de la collection
Exencéphalie
Cardiomyopathie
Coeur figuratif réalisé en tricot rigidifié
III- Présentation de la collection 1- La collection en figurines
V
oici donc la trentaine de figurines dessinées pour ma collection : les “Vanités Textiles”, uniquement composée de robes chasubles de satin de coton écru et légèrement enduit pour un tissus qui soit simple, mais aussi élégant. Ce tissus est fin mais pas trop transparent pour supporter les traitements divers de broderie, transfert. Il est facile à travailler. Je l’ai choisi écru pour rester dans la simplicité, pas de blanc trop éclatant ou voyant, je trouve que la couleur écrue donne un aspect naturel mais propre. L’écru est la couleur du tissu avant traitement ou transformation, comme une mise à nu du tissu. J’ai donc regroupé ma collection selon les trois thèmes énoncés plus haut, à raison d’une dizaine de robes par axe.
P
our mes figurines, j’ai choisi de faire du collage car il permet un mélange de genres et d’images infini, j’ai donc mixé des têtes d’animaux avec des morceaux de croquis de cage thoracique, de photographies de plumes d’oiseaux, d’annotations de dessins anatomiques, pour en faire un mini Memento Mori. J’ai évidemment utilisé des têtes de paon, cygne et flamand rose pour leur apparence et leur regard qui peut paraître hautain, ce sont des oiseaux que l’on remarque de loin et que l’on admire pour leur beauté et leur port de tête. Le paon est également souvent représenté dans les allégories de la Vanité, avec une jeune fille admirant son reflet dans un miroir. haque robe porte un nom de maladie, pour faire encore un détournement de forme et de sens. Un nom de maladie peu connu peut donner une impression de mot exotique et lointain, dans une autre langue.
C
Fibromyalgie Broderie de squelette inachevé
Favisme Broderies de noms de maladies en tout sens, ce qui en brouille la lecture
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Fucosidose Robe avec empiècements de tricot rigidifié par du sucre
Glycogénose Robe avec empiècement de tricot rigidifié par du sucre sous la poitrine
Laryngocèle Robe écorchée qui laisse apparaître une impression de boyaux inachevés
Ichtyose Imprimé de boyaux recouvert d’un voile de crépine
Macrocéphalie Robe écorchée
Myxome Robe avec empiècement de tricot rigidifié par du sucre recouvrant le vrai péritoine
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Cytomégalie
Aller-retour dérangeant
Robe avec pan de tissu qui cache une broderie de cage thoracique colorée sur sa partie visible et dans des tons plus sombres du côté caché
Tularémie Robe à broderies de bassin, des coutures colorées mettent en avant une forme de papillon, le reste des broderies est en noir et blanc presque invisible
Borréliose Robe avec un pan de tissu, sur ce pan une broderie de bassin arc-en-ciel, et quand on le retourne on voit cette même broderie, mais de couleurs sombres
Lyme Une armature de fil de fer modifie les lignes de la robe pour créer un nouveau squelette, illustré d’annotations d’anatomie erronées
Histidinémie Robe à motif mélangé placé sur le côté, une face arc-en-ciel et l’autre de coloris sombres, le motif devient abstrait
Granulome Robe avec broderie de cage thoracique placée de manière erronée
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Toxoplasmose Robe avec armature interne en fils de fer qui sortent de la robe pour former des mots, à la manière des dessins anatomiques, mais mélangés
Lambliase Motif de fleur formé par des mots évoquant des troubles de la santé
Babébiose Robe avec motif imprimé de coeur anatomique avec des légendes enfantines
Encéphalite Robe avec impression textile de pomme et légendes anatomiques
Amibiase Robe à empiècement de tissu qui cache la moitié d’un motif de cage thoracique, arc-en-ciel sur sa face visible et sombre sur sa face cachée
Mycétome
Poésie et mort
Robe doublée de tarlatane transparente avec des effets de matière créés par des coutures colorées, on aperçoit un motif de cage thoracique en dessous
Myase Robe doublée de tarlatane transparente avec des effets de matière créés par des coutures colorées, on aperçoit un motif de fémurs en dessous
Trichomonose Cage thoracique faite de tulle grossièrement cousu
Ascaridiose Robe doublée de tarlatane transparente avec des effets de matière créés par des coutures colorées, on aperçoit des noms de parties du corps
Oxyurose Robe de tarlatane superposée à un motif de crâne
Toxocarose Robe à bandelettes de tarlatane
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Encéphalomyélite Robe doublée de tarlatane transparente avec des effets de matière créés par des coutures colorées, on aperçoit des noms de maladies brodés
Dermatite Robe à découpe de cage thoracique grossière en tarlatane, avec coeur en velour rouge
Hystoplasmose Robe avec empiècements de tissu transparent qui donne un aspect vieilli au corps
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Disparition du mortifère
es à-plats Laryngocèle
Fibromyalgie
2- Dessins à-plat
Cardiomyopathie
Favisme
Glycogénose
Myxome
Voici les trente dessins à-plat des robes de ma collection.
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MacrocĂŠphalie
Ichtyose
Fucosidose
ExencĂŠphalie
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Aller-retour dérangeant Lambliase
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Borréliose
Lyme
Granulome
Encéphalite
Tularémie
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BabĂŠliose
Amibiase
HistidinĂŠmie
CytomĂŠgalie
Toxoplasmose
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Poésie et mort
Encéphalomyélite
Trichonomose
Ascaridiose
MycĂŠtome
Toxocarose
Myase
Dermatite
Oxyurose
Hystoplasmose
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Les photographie
Voici deux robes du thème “Disparition du morttifère”, l’une en tricot-crépine, l’autre avec une ouverture de type écorché
3- Photographies des robes
J D
’ai fait les photographies de mes robes dans la boutique Deyrolles qui se situe rue du Bac, qui est une boutique connue de taxidermie, et qui me semblait l’endroit idéal pour mettre en scène les robes, au milieu de sa faune étrange :
epuis 1831, la maison Deyrolle propose aux passionnés de la nature des collections d’insectes et de coquillages, des animaux naturalisés de toutes sortes, des curiosités naturelles et du matériel pédagogique pour l’enseignement des sciences naturelles, dont les célèbres “planches Deyrolle”, qui étaient accrochées aux murs des écoles. Aujourd’hui, la boutique est même plus belle que jamais, avec de nombreux mammifères de grandes tailles, des splendides oiseaux naturalisés et des curiosités naturelles aussi belles qu’étonnantes. Depuis avril 2010 Deyrolle a reçu le label “Entreprise du Patrimoine Vivant”. Ce label, une marque de reconnaissance du ministère de Économie de l’Industrie et de l’emploi , distingue près de 800 entreprises pour l’excellence de leurs savoir faire artisanaux ou industriels. Par ce savoir-faire reconnu ces entreprises marquent leur appartenance au patrimoine historique national.
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Pour le deuxième thème, “Aller-retour dérangeant”, avec des broderies d’os humains, des jeux de couleurs et de montré-caché
Et voici les robes de mon dernier thème, “Poésie et mort”, on trouve ici du voile, de la tarlatane, des inscriptions de maladies en couleurs pastelles, une cage thoracique simplifiée et embellie
onclusio
J I
e vous ai donc proposé un grand voyage parmis les morts, les radiographies, l’anatomie, les crânes, la religion catholique, les catacombes, passant par la manipulation organique de peau, os, la manipulation de tissu, broderie, couture, avec comme point de départ Les Vanités et autres Memento Mori, et pour arrivée une collection de “Vanités textiles”, on arrive à la conclusion que l’on aura jamais fini... l est impossible de lister tous les rapports différents que nous avons avec la mort tant ils sont nombreux. La mort, cette grande inconnue, qui nous hante, nous effraie et nous fascine. J’y ai découvert une multitude d’aspects tous plus intéressants les uns que les autres, et surtout, une gigantesque et magique source d’inspiration pour le textile, l’habillement, mais aussi pour énormément de domaines. la mort change à chaque seconde de masque et se montre tour à tour amusée, amusante, énervante, décevante, effrayante, elle est insaisissable ! e lui ai couru après durant tout mon travail de mémoire, croyant la rattraper, en voler un bout. Elle m’a à chaque fois echappé ! Mais elle m’a appris beaucoup, et je ne la verrais plus jamais de la même façon, mais je pense avoir appris à légèrement l’apprivoiser...
J
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