ECOLE DE CONDE Département Conservation-Restauration Spécialité Peintures de chevalet Étude et restauration d’une copie anonyme d’après Claude-Joseph Vernet Musée départemental Thomas Dobrée - Nantes Étude de l’utilisation des non-tissés de polyester en remplacement du papier Canson® dans le cadre du cartonnage
Mots clés : Marine, Claude-Joseph Vernet, copie, fin XVIIIème siècle, oxydation, dérestauration, imprégnations, cartonnage, rétention, rétractation, tests de pelage Mémoire présenté et soutenu publiquement par MAUD POULIOT
Mastère II – Promotion 2016
REMERCIEMENTS
Je tiens tout d’abord à exprimer ma gratitude à Mme Claire DE LALANDE, conservatrice du patrimoine au Musée départemental Thomas Dobrée et Chrystelle QUEBRIAC, régisseur des collections, pour la confiance qu’elles m’ont accordée en me proposant la restauration de cette œuvre, ainsi que pour leur disponibilité. Je remercie ensuite tous les professeurs qui m’ont guidée durant ces cinq années d’études et tout particulièrement pour mon projet de mémoire. Merci à Mme Marguerite SZYC pour son soutien et ses conseils, à M. Oliver NOUAILLE et M. Philippe OLLIER pour leurs précieux enseignements, Mme Fabienne-Eva WOLFF-BACHA et M. Claude PEPE pour l’aide apportée dans mon projet scientifique, ainsi que Mme Alix PASQUET, et tout particulièrement M. Yves CRINEL pour sa présence et ses précieux conseils. Je remercie chaleureusement mes trois maîtres de stage qui m’ont transmis leur savoir, leur passion et auprès desquels j’ai énormément appris : Mme Geneviève REILLE-TAILLEFERT pour sa transmission, Mme Nicola COSTARAS pour son enseignement et Mme Anne SILLINGER pour sa confiance et sa bienveillance au quotidien. Une pensée toute particulière pour Anna ERTZBISCHOFF et Cinzia CAMPIOLI, deux très belles rencontres. Un grand merci à mes proches pour leurs relectures et leurs conseils, et tout particulièrement mes parents pour leur présence, leur grande patience et leur soutien au quotidien. Je destine finalement une pensée à mes camarades de promotions, et surtout mes précieuses amies Sarah ALBRAND et Océane MINOT pour leur sagesse et leur soutien infaillible.
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RÉSUMÉ INTRODUCTIF
Ce mémoire porte sur l’étude d’une huile sur toile de 99 x 79 cm, conservée au Musée départemental Thomas Dobrée à Nantes.! Trois axes sont développés durant ce travail de recherches : une étude historique de l’oeuvre, la présentation du travail de restauration et une étude technico-scientifique. L’œuvre qui nous a été confiée présentait de nombreuses interrogations puisqu’elle n’était ni datée, ni signée. Son contexte de création était un mystère, tout comme son arrivée au musée nantais. L’étude des éléments iconographiques et plastiques a mis en évidence des similitudes avec un tableau de Claude-Joseph Vernet intitulé Marine, le midi ; Pêcheurs tirant un filet. La représentation inversée du tableau du musée Dobrée par rapport à cette œuvre conservée au musée du Louvre a démontré une réalisation d’après une estampe. En approfondissant les recherches, cette estampe a pu être retrouvée à la bibliothèque de l’Arsenal à Paris et à la bibliothèque Ceccano à Avignon. L’oeuvre a été peinte en s’inspirant de cette estampe publiée en plusieurs tirages, dès 1769, par la veuve du graveur Jean Daullé, et réalisée d’après la marine de Joseph Vernet. L’œuvre du musée Dobrée est une peinture décorative probablement située dans la fin du XVIIIème– début XIXème siècle. L’analyse des éléments constitutifs a permis d’appuyer cette hypothèse de datation et de mettre en évidence qu’il s’agirait d’un tableau intégré dans un ensemble de boiseries. L’artiste reste toutefois inconnu puisque Vernet a été un peintre abondamment copié et que l’estampe était accessible à chacun. Des failles dans la traçabilité de l’œuvre au musée Dobrée nous empêchent de connaître les conditions de son arrivée au sein des collections et d’affiner la datation. Un numéro d’inventaire témoigne de la présence du tableau au musée dès les années 1950. Dans la seconde partie, une analyse des éléments qui constituent l’œuvre et ses altérations, puis un diagnostic ont permis de comprendre l’objet confié et de mettre en évidence ses sensibilités, qu’elles soient originelles ou survenues au cours du temps. Cela a permis d’établir un protocole d’intervention adapté, énonçant et justifiant nos choix de traitement. 3
Le rapport de restauration a finalement présenté les opérations effectuées sur la couche picturale et le support textile.! La couche picturale a été nettoyée pour supprimer la couche de crasse accumulée, les repeints huileux discordants et les couches de vernis hétérogènes devenues brunes.! Cela a révélé la présence de taches brunes sur la majorité de la surface peinte. Ces taches avaient diverses causes, demandant différentes approches. Après une remise à plat de l’oeuvre à l’aide d’un cartonnage et la réalisation d’incrustations, une consolidation générale de la stratigraphie a été réalisée par imprégnations de Plexisol® P550. Cela a permis de rétablir une stabilité au sein de la couche picturale pour continuer le nettoyage. Il n’a pas été possible de supprimer le phénomène de tache d’oxydation. Finalement, nous nous sommes employés à rétablir une harmonie esthétique et une lisibilité du tableau à travers un travail de masticage, de réintégration colorée et de vernissage. L’objectif du travail de réintégration colorée était de rétablir une homogénéité de la couche picturale sans dissimuler les traces de son histoire. Le but du projet technico-scientifique était d’évaluer le rôle des non-tissés synthétiques dans un cartonnage. Le papier Canson®, traditionnellement utilisé, est de plus en plus remplacé par des non-tissés de polyester, censés être peu sensibles à l’humidité et ne possédant pas de sens des fibres. Ce projet a permis de comprendre les propriétés du cartonnage au non-tissé et de le comparer avec le cartonnage traditionnel au Canson®. Cette étude comparative a été mise en place à travers trois expérimentations. L’étude de la rétention d’eau a mis en évidence le temps d’exposition d’une couche picturale à l’humidité, étonnamment plus élevé pour le non-tissé que pour le papier Canson®. L’étude de la rétractation des échantillons encollés à la colle de pâte a démontré que le nontissé ne présentait aucun mouvement et donc que la traction est réalisée seulement au niveau des tirants.! Les deux papiers à dessin, quant à eux, ont montré une rétractation plus importante dans le sens transversal. Finalement, les tests de pelage ont permis de déterminer que le non-tissé présente un maintien sur une couche picturale remarquablement plus élevé que le papier Canson®, dû à sa structure.
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ABSTRACT
The focus of this dissertation is the study of an oil on canvas (99 x 79 cm), in the collections of the musée Thomas Dobrée in Nantes. Three lines of researches are developed: first an historical study, then the presentation of the restoration process, finally a technical-scientific project. The painting presented many questions since it was neither dated nor signed. Its origin was a mystery, as was its arrival at the musée Dobrée. An iconographical and technical examination was carried out and highlighted similarities with a painting of Claude-Joseph Vernet entitled Marine, le midi ; Pêcheurs tirant un filet in the musée du Louvre. The representation in mirror compared with the Louvre painting demonstrates a realisation from an engraving. Further research allowed finding the original engraving in the bibliothèque de l’Arsenal in Paris and the bibliothèque Ceccano in Avignon. Dobrée painting was realized from an engraving published in several prints in 1769 in Paris, by Jean Daullé widow. This engraving was executed from Joseph Vernet seascape. The work of art from Nantes museum is a decorative painting probably realized in the late eighteenth – early nineteenth century. The analysis of its components helped in the dating and highlighted it would probably be a painting put in woodwork. The artist remains unknown because Vernet was abundantly copied and the engraving was accessible to everyone. Flaws in the traceability of the painting prevent us to know the conditions of the painting arrival in the Dobrée collections and to refine the dating. It was in the collections by the 1950’s, thanks to an inventory number on the stretcher. In the second part, a study of the painting components and its degradations, then a diagnosis allowed to better understanding the degradation process. It revealed its sensibilities, whether original or occurring over time. This helped to establish the most appropriate restoration treatment, presenting and justifying our choices. The restoration report finally presented the operations performed on the paint layer and textile support. 5
The paint layer was cleaned to remove the accumulated dirt layer, the overlapping oil overpaints and layers of brown varnish. It revealed a surface covered by uneven browns spots. These elements had diverse causes and required different approaches. A general consolidation of the stratigraphy was carried out using Plexisol® P550. It was not possible to remove all the brown staining. The aesthetic harmony was restored through filling, retouching and varnishing. The retouching was challenging; the aim was to restore harmony to the composition without completely hiding its real condition. The aim of the technical-scientific project was to assess the efficiency of synthetic non-woven materials in a pre-stretching. This is a treatment where the drying of several different papers is improving the plane of a painting on canvas. The drawing paper Canson® is traditionally used for its flexibility and capacity of movement. It is sometimes replaced by nonwoven polyester, which are supposed to be low sensitive to moisture and without fibres direction. This project helped to understand the properties of the pre-stretching with a synthetic material in comparison with the traditional method. A comparative study was undertaken through three experimentations. The study of the water retention, by weighing, showed the exposure time of a paint layer to moisture, surprisingly higher for the nonwoven than for the paper Canson®. The study of the tension of glued samples during their drying demonstrated that the nonwoven had no movement and therefore the traction is carried out only on the edges. The Canson® showed a greater shrinking in the transverse direction. Finally, peel tests illustrated that the nonwoven presents a support on a paint film remarkably higher than the Canson®, due to its structure.
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FICHE D’IDENTIFICATION
Figure 1. Vue générale de l'oeuvre avant restauration (recto-verso)
Date d’entrée dans l’atelier : Le 11.09.2014 Titre : Marine, le midi ; Pêcheurs tirant un filet d’après Claude-Joseph Vernet (1714-1789). Nom de l’artiste : Anonyme, œuvre non signée. Époque de création : Fin XVIIIème – début XIXème siècle (estimation). Technique : Huile sur toile, clouée par la face sur un châssis fixe non chanfreiné. Dimensions : 99 x 79 centimètres. Inscription(s) particulière(s) : Numéro d’inventaire 896-1-3812 (châssis, pièce de renfort). Prêteur/ propriétaire de l’œuvre : Mme Claire DELALANDE, conservatrice du patrimoine au Musée départemental Thomas Dobrée, Nantes. Lieu de conservation : Musée départemental Thomas Dobrée, Nantes. État de conservation : Mauvais état de conservation. Châssis non adapté, support toile découpé, déformations, préparation pulvérulente, lacunes de couche picturale, fort encrassement de la surface, oxydation prononcée des couches de vernis hétérogènes, nombreux repeints discordants et débordants […].
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TABLE DES MATIÈRES
REMERCIEMENTS ............................................................................................................................. 2 RÉSUMÉ INTRODUCTIF ................................................................................................................... 3 ABSTRACT ............................................................................................................................................ 5 FICHE D’IDENTIFICATION.............................................................................................................. 7 AVANT-PROPOS ................................................................................................................................ 12 INTRODUCTION GÉNÉRALE ........................................................................................................ 13 PARTIE 1.HISTOIRE DE L’ART ..................................................................................................... 14 INTRODUCTION ................................................................................................................................ 15 I. La nature de l’œuvre du musée Dobrée ......................................................................................... 16 1. Identification des éléments iconographiques de l’œuvre du musée Dobrée ....................... 17 1.1 Identification de l’embarcation principale ........................................................................... 17 1.2 Identification des embarcations secondaires ....................................................................... 21 1.3 Les pêcheurs ........................................................................................................................ 23 1.4 Le port et la montagne ......................................................................................................... 26 1.5 Le ciel .................................................................................................................................. 26 2. Étude des moyens plastiques de l’œuvre du musée Dobrée ................................................. 28 2.1 Matérialité ............................................................................................................................ 28 2.2 Composition et espace ......................................................................................................... 29 2.3 Couleurs, dessin et facture ................................................................................................... 30 II.
Une oeuvre inspirée de Claude-Joseph Vernet (1714-1789).................................................... 33 1. Claude-Joseph Vernet, un artiste marqué par la nature italienne ...................................... 36 2. Le tableau original conservé au musée du Louvre................................................................ 39 3. Les imitateurs de Joseph Vernet............................................................................................. 43
III. La copie du musée départemental Thomas Dobrée ............................................................... 46 1. Une copie réalisée d’après une estampe ................................................................................. 46 2. Une peinture décorative de la fin du XVIIIème siècle ............................................................. 50 3. Son parcours historique........................................................................................................... 54 CONCLUSION..................................................................................................................................... 57 PARTIE 2. RESTAURATION ........................................................................................................... 58 INTRODUCTION ................................................................................................................................ 59 EXAMEN DES MATÉRIAUX CONSTITUTIFS ............................................................................ 60 I.
Le support ...................................................................................................................................... 60 1. Le châssis .................................................................................................................................. 60 1.1 Nature .................................................................................................................................. 60 1.2 Fabrication ........................................................................................................................... 61 1.3 Inscriptions et marques exogènes ........................................................................................ 62 1.4 Observations ........................................................................................................................ 63 2. Le support textile ..................................................................................................................... 65 2.1 Nature ...................................................................................................................................... 66
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2.2 Caractéristiques du tissage ..................................................................................................... 66 2.3 Observations ........................................................................................................................... 67 3. Mode de fixation de la toile sur le châssis .............................................................................. 70 II.
Stratigraphie de la couche picturale .......................................................................................... 73 Encollage ................................................................................................................................... 73 Préparation ............................................................................................................................... 73 Couche colorée.......................................................................................................................... 74 3.1 Le liant ................................................................................................................................. 74 3.2 La technique d’exécution ..................................................................................................... 75 3.3 L’étude des pigments ........................................................................................................... 76 4. Couches de vernis ..................................................................................................................... 79 1. 2. 3.
EXAMEN DÉTAILLÉ DES ALTÉRATIONS ................................................................................. 81 1. Le châssis .................................................................................................................................. 81 2. Le support textile ..................................................................................................................... 82 2.1 Encrassement ....................................................................................................................... 82 2.2 Déformations du support ..................................................................................................... 82 2.3 La couche d’enduit .............................................................................................................. 83 3. La stratigraphie de la couche picturale.................................................................................. 84 3.1 Préparation ........................................................................................................................... 84 3.2 Couche picturale .................................................................................................................. 85 3.3 Les couches de protection .................................................................................................... 90 4. Anciennes restaurations .......................................................................................................... 91 4.1 Le support ............................................................................................................................ 91 4.2 La couche picturale .............................................................................................................. 93 RELEVÉS DES ALTÉRATIONS ...................................................................................................... 96 DIAGNOSTIC ...................................................................................................................................... 98 1. Altérations liées à la mise en œuvre ........................................................................................ 98 1.1 Un assemblage artisanal ...................................................................................................... 98 1.2 Une préparation pulvérulente .............................................................................................. 99 1.3 L’impression toile ................................................................................................................ 99 2. Altérations liées au vieillissement naturel .............................................................................. 99 3. Altérations liées aux conditions de manutention, de stockage et aux anciennes campagnes de restauration ............................................................................................................................... 100 3.1 Un mode de fixation dommageable ................................................................................... 100 3.2 Un traitement inapproprié .................................................................................................. 101 4. Altérations liées aux causes environnementales .................................................................. 101 PROTOCOLE DE RESTAURATION ............................................................................................ 102 I.
Nécessité et niveau d’intervention ............................................................................................. 102
II. 1. 2.
Cahier des charges ..................................................................................................................... 103 Les contraintes liées à l’oeuvre ............................................................................................. 103 Protocole d’interventions ...................................................................................................... 104 2.1 Protection et purification de la couche picturale ............................................................... 104 2.2 Rétablissement de la continuité et de la planéité du support ............................................. 106 2.3 Rétablissement de la cohésion de la stratigraphie ............................................................. 107 2.4 Consolidation du support ? ................................................................................................ 108 2.5 Harmonisation de la couche picturale................................................................................ 108 2.6 Remise en tension de l’œuvre ............................................................................................ 108 2.7 Rétablissement de la lisibilité de l’œuvre .......................................................................... 109
III. Proposition de traitement ......................................................................................................... 112 PROTOCOLE DE NETTOYAGE ................................................................................................... 113
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1. 2.
Décrassage............................................................................................................................... 113 Allègement des couches de vernis ......................................................................................... 116
RAPPORT D’INTERVENTION ...................................................................................................... 126 1. Refixages locaux provisoires ................................................................................................. 126 2. Suppression des papiers de protection ................................................................................. 126 3. Purification de la couche picturale ....................................................................................... 127 3.1 Décrassage ......................................................................................................................... 127 3.2 Allègement des couches de vernis ..................................................................................... 127 3.3 Suppression des repeints .................................................................................................... 129 4. Pose d’une protection de surface .......................................................................................... 131 5. Dépose de la toile .................................................................................................................... 131 6. Retrait de la pièce de renfort et des mastics ........................................................................ 132 7. Cartonnage ............................................................................................................................. 135 8. Retrait de la couche d’enduit ................................................................................................ 135 9. Nettoyage sous la pièce de renfort ........................................................................................ 137 10. Rétablissement de la continuité du support ...................................................................... 138 11. Rétablissement de la cohésion de la stratigraphie ............................................................ 139 12. Mise en extension sur bâti et imprégnations générales du support ................................ 140 13. Consolidation de la stratigraphie ....................................................................................... 141 14. Pontages et pose de pièces de consolidation ...................................................................... 142 15. Délitage du cartonnage et du papier de protection .......................................................... 143 16. Harmonisation du nettoyage............................................................................................... 144 17. Remise en tension sur un nouveau châssis ........................................................................ 150 18. Bordage provisoire .............................................................................................................. 151 19. Premier vernissage .............................................................................................................. 151 20. Masticage des lacunes de couche picturale........................................................................ 152 21. Vernissage intermédiaire .................................................................................................... 153 22. Réintégration colorée .......................................................................................................... 153 23. Vernissage final .................................................................................................................... 156 24. Bordage final ........................................................................................................................ 157 CONCLUSION................................................................................................................................... 158 PARTIE 3. ÉTUDE TECHNICO-SCIENTIFIQUE ....................................................................... 159 INTRODUCTION .............................................................................................................................. 160 I.
II.
Le cartonnage .............................................................................................................................. 161 1. Définition, mise en œuvre ...................................................................................................... 161 2. Matériaux employés ............................................................................................................... 162 2.1 Papier Canson® ................................................................................................................. 162 2.2 Non-tissé synthétique......................................................................................................... 163 2.3 Le papier journal ................................................................................................................ 164 2.4 Colle de pâte ...................................................................................................................... 164 Protocoles d’expérimentation ................................................................................................... 166 Rétention et temps de séchage .............................................................................................. 167 1.1 Objectif .............................................................................................................................. 167 1.2 Préparation des échantillons et méthode de prise des mesures.......................................... 167 1.3 Validation du protocole expérimental et résultats obtenus ................................................ 168 1.4 Interprétations des résultats ............................................................................................... 172 2. Tension des échantillons au séchage ........................................................................................ 175 2.1 Objectif .............................................................................................................................. 175 2.2 Préparation des échantillons et méthode de prise des mesures.......................................... 176 2.3 Validation du protocole expérimental et résultats obtenus ................................................ 177 2.4 Interprétations des résultats ............................................................................................... 179 1.
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2.5 Mesure de la pression de contact ....................................................................................... 181 3. Maintien sur la couche polychrome ......................................................................................... 182 3.1 Objectif .............................................................................................................................. 182 3.2 Préparation des échantillons et méthode de prise des mesures.......................................... 183 3.3 Validation du protocole expérimental et résultats obtenus ............................................... 184 3.4 Interprétations des résultats ............................................................................................... 186 CONCLUSION................................................................................................................................... 189 CONCLUSION GÉNÉRALE ........................................................................................................... 191 BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................................. 193 TABLE DES ILLUSTRATIONS ..................................................................................................... 198 ANNEXES........................................................................................................................................... 199 ANNEXE N°1 : Notice complète de l’œuvre fournie par le musée Thomas Dobrée ....................... 199 ANNEXE N°2 : Glossaire des termes de la marine utilisés .............................................................. 201 ANNEXE N°3 : Gravure intitulée Vue d’une Maison de campagne aux environs de Naples, recueil de la veuve de Jean Daullé.................................................................................................................. 202 ANNEXE N°4 : Gravure intitulée Les Pêcheurs à l’ouvrage, recueil de la veuve de Jean Daullé . 203 ANNEXE N°5 : Informations transmises par Mme Nicole Lemoine, responsable du Centre de Documentation du musée Thomas Dobrée ........................................................................................ 204 ANNEXE N°6 : Suite de la correspondance avec Mme Nicole Lemoine ......................................... 205 ANNEXE N°7 : Constat d’état réalisé par le musée Thomas Dobrée en 2010 ................................ 206 ANNEXE N°8 : Tests effectués sur l’oeuvre ..................................................................................... 208 ANNEXE N°9 : Fiches techniques des produits employés ............................................................... 211 ANNEXE N°11 : Tests d’immersion des non-tissés de polyester ...................................................... 225
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AVANT-PROPOS
Lorsque le Musée Thomas Dobrée m’a proposé de réaliser mon projet de mémoire sur cette marine, intitulée Les pêcheurs à l'ouvrage selon sa fiche descriptive, j’en fus ravie. Cette œuvre, dont se dégage une grande sérénité, m’a plu au premier regard. L’état dans lequel elle se trouvait m’a donné envie d’en faire mon sujet de mémoire. Une lumière intense et dorée se devinait sous un vernis épais et brun, de nombreux repeints et une couche de crasse, modifiant beaucoup l’aspect de surface original. Le travail de purification de la couche picturale s’avérait très intéressant. Le montage particulier de la toile, sa découpe, ainsi que les traces d’un ancien encadrement, soulevaient de nombreuses questions concernant son format d’origine et son parcours historique. Finalement, la couture originale et le revers enduit d’huile ajoutaient des problématiques singulières, rendant cette œuvre d’autant plus authentique. Il me tenait à cœur de redonner sa valeur, aussi bien esthétique qu’historique, à cette œuvre ni datée, ni signée. Les recherches d’histoire de l’art se présentaient donc comme une véritable investigation afin de pouvoir relier de nouveau cette œuvre à son histoire. Cela nous a permis d’approfondir nos connaissances sur le travail de Joseph Vernet, mais aussi sur l’influence majeure qu’il a pu avoir sur ses contemporains. Etre plongée dans l’histoire de l’œuvre originale, de sa commande à son arrivée au musée du Louvre a été passionnant, tout comme partir à la recherche de l’estampe ayant inspiré le peintre et retrouver sa datation.
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INTRODUCTION GÉNÉRALE
Ce travail de mémoire porte sur une étude historique, un rapport de conservationrestauration et un projet technico-scientifique. L’étude d’histoire de l’art répond principalement aux problématiques d’attribution et de datation de l’œuvre. Pour ce faire, les éléments iconographiques et la technique picturale seront analysés afin de vérifier le lien avec l’œuvre de Joseph Vernet. S’ensuivra l’étude de l’œuvre originale puis des artistes ayant copié les travaux de Vernet. Finalement, la découverte de l’estampe ayant inspiré cet artiste inconnu guidera une possible datation de l’oeuvre, comme la mise en évidence de son usage décoratif et de son parcours historique au cours du temps. La seconde partie porte sur l’étude des éléments constituants l’œuvre et ses dégradations, afin d’établir un diagnostic, puis un protocole de restauration adapté à ses sensibilités et singularités. La procédure d’intervention sera ainsi présentée, en précisant les choix de restauration entrepris et les matériaux employés. Finalement, le traitement sera décrit dans le rapport de restauration en présentant chaque étape de manière chronologique. L’étude comparative du cartonnage traditionnel au papier Canson® et du cartonnage au nontissé synthétique fait l’objet de la dernière partie consacrée au projet technico-scientifique. Cette étude s’interroge sur les différences comportementales entre ces deux techniques, et principalement sur les propriétés mécaniques du cartonnage au non-tissé, censé ne pas être sensible à l’humidité. Nous chercherons à répondre à ces interrogations à travers la réalisation de trois expérimentations. Premièrement, la rétention d’eau de chacun des cartonnages sera mise en évidence par des pesées au cours de leur séchage. Ensuite, la mesure de la tension des échantillons encollés au cours de leur séchage permettra de localiser et quantifier les forces mises en jeu. En fin de compte, une série de tests de pelage déterminera quel échantillon dispose du meilleur maintien sur une couche polychrome.
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PARTIE 1 HISTOIRE DE L’ART
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INTRODUCTION
Le Musée départemental Thomas Dobrée de Nantes nous a confié une huile sur toile mesurant 99 x 79 cm. Cette œuvre représente une vue calme de port de mer, agrémentée d’une scène de pêche au premier plan et de navires de différentes natures. Nous ne savons que très peu de choses sur cette œuvre qui présente un problème d’attribution car elle n’est ni datée, ni signée. Son arrivée dans les collections Dobrée est un mystère, tout comme son contexte de création. De nombreuses questions se posent alors : par qui cette représentation a-t-elle été peinte et quand ? Dans quel contexte et pourquoi ? A t-elle un sens et où se déroule-t-elle ? L’unique piste que nous ayons réside dans une note du musée indiquant une similitude entre cette œuvre et un tableau conservé au musée du Louvre réalisé par le célèbre peintre de marines Claude-Joseph Vernet. Cette information met en évidence un axe de recherches qui permettra peut-être de comprendre la nature de l’œuvre étudiée, le programme dans lequel elle s’inscrit et de la replacer dans un contexte historique. Les recherches s’organiseront selon trois axes. Dans un premier temps, une analyse comparative de l’iconographie et des moyens plastiques permettra de vérifier le lien entre ces deux œuvres et de rétablir la nature de l’œuvre de mémoire. Dans un second temps, nous nous concentrerons sur l’œuvre originale conservée au musée du Louvre qui a inspiré l’œuvre de mémoire et nous présenterons les imitateurs de Vernet pour mettre en évidence d’éventuels auteurs de la copie. Finalement, nous étudierons l’estampe qui a appuyé la réalisation de cette œuvre et nous essayerons de retracer son parcours historique au sein du musée Thomas Dobrée. Nous mettrons aussi en évidence son usage décoratif.
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I. La nature de l’œuvre du musée Dobrée
Cette œuvre est une vue calme de marine composée d’un groupe de cinq pêcheurs au premier plan qui retirent des filets de l’eau. Des navires de différentes natures parsèment la composition, dominée par un trois-mâts au centre, à proximité d’un port parsemé de constructions à dextre. En arrière plan se dessine une montagne dans la brume au-delà de la jetée du port.
Figure 2. Oeuvre du musée Dobrée
Lors de la réception de l’œuvre, le musée Thomas Dobrée nous a fait part d’une fiche descriptive dans laquelle est mentionnée la présence d’un tableau conservé au musée du Louvre dont l’iconographie est similaire à celle du musée nantais1. Selon la base de données Joconde, il s’agit d’une huile sur toile s’intitulant Marine, le midi ; pêcheurs tirant un filet, réalisée au XVIIIème siècle. Elle est attribuée au peintre de marines Claude-Joseph Vernet.
1
Le dossier complet se situe en annexe n°1 p.199.
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Figure 3. VERNET Claude-Joseph, Marine, le midi ; pêcheurs tirant un filet, XVIIIème siècle, huile sur toile, 0,44 x 0,65 m. Paris, Musée du Louvre.
Une comparaison de l’iconographique et de la plastique des deux marines permettra de déterminer si l’œuvre faisant l’objet de ce mémoire est effectivement une copie de Joseph Vernet. La nature de l’œuvre de mémoire sera ainsi établie.
1. Identification des éléments iconographiques de l’œuvre du musée Dobrée
1.1
Identification de l’embarcation principale
Il s’agit d’un navire à propulsion à voile présentant trois mâts. Le navire est visible de trois-quarts avant par son côté droit. Le mât situé à l’avant du pont est appelé mât de misaine2, il est ici surmonté d’un petit pavillon aux couleurs des Provinces-Unies, et se trouve légèrement plus petit que le grand mât, qui est le mât central. Enfin, le mât d’artimon est le plus petit mât, situé à l’arrière du navire.
2
Les termes en italique sont expliqués en annexe n°2 : Glossaire des termes de la marine, p.201.
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Grand mât Mât de misaine
Vergue
Mât de beaupré
Mât d’artimon Mât de pavillon
Figure 4. Description des éléments navals
Civadière
Hauban
Les vergues sont visibles, placées en travers des mâts, elles ont pour rôle de soutenir et d’orienter la voile. Le mât de beaupré est le mât incliné vers l’avant situé à la proue du navire qui sert de support de fixation des étais. Une voile est ici carguée3 sous le mât de beaupré. Cette voile est appelée civadière. Il s’agit d’une voile carrée présente sur les anciens voiliers et assez peu employée4. Les étais et les haubans font partie du gréement dormant5. Ce sont les cordages qui servent à maintenir la mâture qui comprend les mâts, les vergues et le beaupré. La mâture nous donne justement des informations concernant la nature du navire. Le brigantin et le brick, d’origine anglaise, sont des navires ne comprenant que deux mâts, le mât de misaine et le grand mât. La goélette, très appréciée pour la pêche et le cabotage6, présente aussi deux mâts. Ces bâtiments ne peuvent donc correspondre à celui que nous cherchons à identifier, qui possède trois mâts. L’examen de la coque apporte d’autres informations. 3
C’est-à-dire repliée autour de la vergue. De Montferrier A-S, Barginet Alexandre, Dictionnaire universel et raisonné de marine, Paris : Bureau du dictionnaire de marine, 1841, p. 183. 5 On appelle gréement dormant les parties qui restent fixes. 6 Vergé-Franceschi Michel, Dictionnaire d’histoire maritime, Paris : Editions Robert Laffont, 2002, p.676. 4
18
La forme de la proue, ronde et volumineuse, induit une origine hollandaise7 comme l’indique aussi le pavillon des Provinces-Unies (rouge, blanc et bleu), présent sur le mât de pavillon à la poupe du navire.
Figure 5. Détail de la proue
Il pourrait ainsi s’agir d’une flûte, ce navire marchand hollandais « tout en rondeur, aussi bien à l’avant qu’à l’arrière »8 et de faible tirant d’eau, lui permettant de naviguer dans des eaux peu profondes. Longue de 30 à 43 mètres environ9, la flûte est à l’origine un bâtiment de guerre aménagé pour le transport de vivres et de munitions qui servait de bâtiment logistique aux armées. On dit d’un navire qu’il est armé en flûte lorsqu’on diminue son artillerie pour lui permettre un plus grand chargement10. Cette information justifie la présence d’ouvertures sur le flanc du navire appelées sabords, pour le passage des fûts de canons. On en dénombre huit à tribord.
Figure 6. Gravure d'une flûte hollandaise par Baugean
7
Joseph Vernet (1714-1789), Les vues des Ports de France, Paris : Musée national de la Marine, 2003, p.30. Vergé-Franceschi Michel, op. cit., p.610. 9 Ibidem. 10 De Montferrier A-S, Barginet Alexandre, op. cit., p. 277. 8
19
La frégate présente une mâture et un gréement similaire à la flûte11. Au XVIIIème siècle, la frégate désignait un bâtiment de guerre léger et rapide, muni entre une vingtaine et une quarantaine de canons12. L’armement du navire à identifier parait donc léger comparé à celui d’une frégate.
Figure 7. Gravure d'une frégate par Baugean
Ainsi, les recherches d’identification nous permettent d’avancer l’hypothèse qu’il s’agirait d’une flûte hollandaise. Le grand mât arbore ici une longue bande d’étamine qui désigne un bâtiment de guerre. Lorsqu’elle est découpée et présente deux pointes à son extrémité, il s’agit d’une cornette ou d’un guidon13. Dans le cas présent, deux pointes se distinguent nettement (figure 8). La cornette ou le guidon sont des marques de commandement désignant le lieutenant ou le capitaine de vaisseau commandant une division de bâtiments de guerre14. Figure 8. Détail de l'étamine
11
BAUGEAN Jean-Jérôme, Collection de toutes les espèces de bâtiments de guerre et de bâtiments marchands qui naviguent sur l'Océan et dans la Méditerranée, dessinée d'après nature et gravée par Baugean, Paris : Chez Jean, 1826, p.5. 12 Vergé-Franceschi Michel, op. cit., p.635. 13 Ibid., p.520. 14 Ibidem.
20
L’orientation des voiles et du pavillon indique que le navire fait route avec un vent transversal à bâbord. Une embarcation légère à rame et sans voile est reliée au navire par une corde et présente deux personnages en son bord. Ce type d’embarcation sert principalement au transport de personnes ou de marchandises.
Figure 9. Détail de l'embarcation
Le navire dans l’œuvre du musée du Louvre est constitué des mêmes éléments que ceux précédemment énoncés : les trois mâts, la proue ronde, le pavillon aux couleurs des Provinces-Unies, la bande d’étamine à deux pointes et l’embarcation légère à ses côtés.
Figure 10. Détails de l'oeuvre originale du musée du Louvre
1.2
Identification des embarcations secondaires
Trois navires de plus petite dimension sont présents à dextre de la représentation. Trois hommes se réchauffent autour d’un feu à bord de l’un d’entre eux.
21
La forme allongée et élancée de leur coque évoque les navires typiques de la Méditerranée occidentale, nommés tartanes, qui servent principalement au cabotage et à la pêche15.
Figure 11. Détail des embarcations secondaires. Dessin d’une tartane à deux mâts.
Ces navires présentent un gréement latin, c’est-à-dire à voiles triangulaires, et de longues antennes. Dans le cas présent, toutes les voiles sont carguées. La tartane peut présenter un seul arbre, c’est-à-dire un mât unique, ou deux à partir d’une quarantaine de pieds de longueur16. Dans le cas des tartanes à deux arbres, un trinquet très incliné est présent à l’avant et permet une meilleure répartition de la voilure17. Une embarcation d’agrément surmontée d’un tendelet est amarrée au port. Ce type d’embarcation sert principalement au transport de personnes de la haute société. Finalement, plusieurs trois-mâts et deux tartanes (repérables par leurs antennes) sont rapidement esquissés en arrière plan.
Figure 12. Détail de l'embarcation d'agrément et des trois-mâts esquissés 15
Joseph Vernet (1714-1789), Les vues des Ports de France, Paris : Musée national de la Marine, 2003, p. 35. Boudriot Jean, Le navire marchand : Ancien régime. Etude historique et monographie, Paris : J. Boudriot, 1991, p.122. Coll. « Archéologie navale française ». 17 Vergé-Franceschi Michel, op. cit., p.1385. 16
22
Trois tartanes sont aussi visibles dans la représentation de Vernet. On retrouve les mêmes personnages se réchauffant autour d’un feu, libérant des volutes de fumée blanche.
Figure 13. Détails des tartanes dans l’oeuvre du musée du Louvre
L’horizon est lui aussi agrémenté de navires esquissés, trois-mâts et tartanes, ainsi que d’une embarcation d’agrément.
Figure 14. Détails de l'embarcation d'agrément et des navires esquissés - oeuvre du musée du Louvre
Les navires qui parsèment cette composition sont donc de provenances différentes. La présence majoritaire de tartanes induirait un port d’origine méditerranéenne. 1.3
Les pêcheurs
Un détail anecdotique, comme pris sur le vif, est représenté au premier plan par un groupe de pêcheurs. Deux hommes sont occupés à tirer des filets de pêche tandis qu’un autre, à demiallongé, contemple la scène au côté de deux femmes entrelacées.
Figure 15. Détail de la scène de pêche
23
Le premier plan présente ainsi des éléments de genre à travers une représentation de la vie quotidienne. Ces personnages, pieds nus, représentent une classe sociale modeste. Les femmes portent des chemises blanches aux manches longues sous des corsages, et des jupons dont les tissus peu nobles (coton, chanvre, laine) témoignent de la condition des personnages. L’une a un corsage rouge et l’autre jaune sur des jupons foncés. Une des femmes porte une coiffe blanche ajustée par deux liens qui retombent sur ses épaules. Le pêcheur principal présente une chemise blanche à manches longues sous un gilet rouge avec une culotte courte lui arrivant aux genoux, assez large et jaune vif. Une ceinture rouge enroulée autour de la taille appelée taïole sert à maintenir la chemise et le pantalon. Son voisin est torse nu et porte une culotte courte rouge.
La pêche est réalisée à l’aide de filets mobiles non loin du rivage.
Figure 13. Détail des pêcheurs
L’œuvre de Vernet présente ces mêmes personnages pittoresques, bien que les couleurs ne correspondent pas. Par exemple, dans l’œuvre originale le pêcheur en extension porte un gilet noir (rouge concernant l’œuvre de mémoire), et le pêcheur torse nu est habillé d’une culotte courte foncée, alors qu’elle est rouge vif dans l’œuvre étudiée.
Figure 17. Détails du premier plan de l'oeuvre du musée du Louvre
24
De plus, dans cette œuvre la scène du premier plan est plus fournie en détails. Ainsi, quelques hommes pêchent nus dans l’eau à mi corps. Nos recherches nous ont mené à Naples où il existait une population identifiée comme la plus pauvre de la ville, nommée les « lazzaroni ». Dépeints comme des « vagabonds ou des sauvages sans vêtements et sans abris »18, certains lazzaroni résidaient dans les quartiers les plus proches de la mer et vivaient des produits de leur pêche19. Les « lazzaroni » pêcheurs étaient ordinairement nus20, ce qui coïncide avec la présence de ces hommes dans l’œuvre originale.
Figure 18. Détail des hommes nus oeuvre originale
Un autre pêcheur, absent de l’œuvre étudiée, est au côté du groupe principal et les aide à retirer les filets.
Figure 19. Détail des éléments manquants à l'oeuvre du musée Dobrée
Finalement, une ancre et un tonneau viennent agrémenter cette scène anecdotique dans les deux oeuvres. L’étude de ces éléments a mis en évidence des indices faisant référence à Naples. L’hypothèse d’un port méditerranéen, précédemment énoncée, semble se confirmer.
18
COLLETTA Pietro, Histoire du royaume de Naples, depuis Charles VII jusqu’à Ferdinand IV, 1734 à 1825, tome 1, Paris : Librairie Historique de Ladvocat, 1835, p. 312. 19 Dictionnaire de la conversation et de la lecture, tome 34, Paris : Belin-Mandar, 1837, p.446. 20 Ibidem.
25
1.4
Le port et la montagne
Le port est surplombé de plusieurs fortifications. Une tour haute domine l’ensemble, d’un aspect imposant, elle signale l’entrée du port.
Figure 20. Vue des éléments en arrière plan
Une montagne se dessine dans la brume, derrière le port. Dans l’hypothèse d’un port des environs de Naples, il pourrait s’agir d’une représentation imaginée du Vésuve. Ces éléments sont aussi présents dans l’œuvre originale.
Figure 21. Détail de l'arrière plan - oeuvre originale
1.5
Le ciel
La scène s’ouvre ici sur un ciel immense apportant une atmosphère douce et fraîche. Quelques légers nuages se morcèlent au-dessus du port et apportent de l’intensité à la composition. L’horizon est voilé d’une brume légère. Il est difficile de déterminer à quelle partie de la journée se situe la représentation. Le soleil, dissimulé par les voiles du navire, diffuse une lumière intense, chaude et dorée, proche de la ligne d’horizon. 26
Les pêcheurs semblent retirer de l’eau les filets de pêche. Il est ainsi possible d’émettre l’hypothèse que la scène se déroule à l’aube, lorsque les pêcheurs récupèrent les produits de leur pêche afin de les vendre au petit matin.
Figure 22. Détails des nuages et du soleil en contre-jour
D’une manière générale, Joseph Vernet accorde une importance considérable aux ciels, qui occupent les deux-tiers de ses représentations. L’œuvre originale de Vernet met donc aussi l’accent sur le ciel, toutefois la représentation diffère de celle de l’œuvre de mémoire. La lumière est plus diffuse et naturelle, et la représentation plus réaliste. Des nuages sont aussi présents dans la composition. Plus légers et vaporeux, ils sont principalement positionnés dans le coin supérieur dextre, au-dessus du navire.
Figure 23. Détails du ciel de l’œuvre original, nuages ; soleil en contre-jour
On note ainsi une interprétation différente de cet élément pictural dans l’œuvre du musée Dobrée. L’étude des éléments iconographiques a permis de mettre en évidence des similitudes notoires entre l’œuvre de mémoire et l’œuvre originale de Joseph Vernet. Ces informations mettent en avant le lien entre ces deux œuvres et permettent de comprendre 27
la nature de l’œuvre étudiée. Ainsi, il s’agirait bien d’une œuvre inspirée de Marine, le midi ; Pêcheurs tirant un filet de Vernet. Toutefois, nous avons noté des dissemblances entre les deux œuvres, notamment dans la réalisation du ciel, l’absence de certains personnages et l’utilisation de couleurs différentes. L’étude des moyens plastiques de l’œuvre de mémoire (suivi d’une comparaison avec l’original) permettra d’analyser la technicité du peintre et apporter des éléments de datation en étudiant sa matérialité. Cela apportera plus d’informations sur les conditions de réalisation de l’œuvre du musée Dobrée. 2. Étude des moyens plastiques de l’œuvre du musée Dobrée
2.1
Matérialité
Il s’agit d’une huile sur toile sur un format vertical. Les marines étant principalement réalisées sur des formats à l’italienne, c’est-à-dire à l’horizontal, le format actuel n’est pas considéré comme classique. Cela pourrait indiquer que l’œuvre s’inscrivait dans une commande avec une contrainte de dimensions. Le travail du restaurateur dans le processus d’étude et d’examen d’une œuvre est intimement lié à celui de l’historien d’art. La matérialité d’une oeuvre, c’est-à-dire l’étude des éléments qui la compose, peut nous guider dans des recherches de datation. La couche polychrome huileuse est déposée sur une couche de préparation blanche. C’est dans le dernier quart du XVIIIème siècle que les préparations blanches réapparaissent dans le processus de création des peintures sur toile, en France et plus généralement en Europe21. Du XVIIème au début du XIXème siècle, les préparations sont réalisées à l’huile, et plus généralement au blanc de plomb concernant le XIXème siècle22. Les caractéristiques de la préparation actuelle viennent nous guider dans l’hypothèse d’une création de l’œuvre à partir de la fin du XVIIIème siècle.
21
LABREUCHE, Pascal, Paris, capitale de la toile à peindre XVIIIème – XIXème siècle, Paris : Comité des travaux historiques et scientifiques – CTHS, 2011, (coll. L'art & l'essai), p.51, 57. 22 BERGEON-LANGLE, Ségolène, CURIE, Pierre, Peinture et dessin, vocabulaire typologique et technique, Paris : Éditions du Patrimoine, Centre des Monuments Nationaux, 2009, p. 519.
28
Ensuite, l’imprégnation, probablement d’huile siccative, qui recouvre tout le revers de l’œuvre est réalisée dans le but de stabiliser et protéger la toile contre l’humidité et les microorganismes. Cette méthode d’enduction était apparemment encore employée au XVIIIème siècle23 mais nous ne retrouvons aucune trace de cette technique au XIXème siècle dans la littérature. C’est pourquoi une datation restreinte à la fin du XVIIIème siècle jusqu’au début du XIXème siècle semble judicieuse. 2.2
Composition et espace
La ligne d’horizon divise le tableau en deux parties distinctes. La partie relative au ciel occupe les deux-tiers de la composition tandis que la narration, exprimée par la scène de pêche, se trouve dans la partie inférieure. Cette ligne d’horizon très basse permet de donner une grande importance au ciel. Quatre plans se distinguent dans la composition : -
la baie rocheuse et les pêcheurs.
-
les tartanes appareillés à dextre et le plan d’eau.
-
le port avec le navire marchand.
-
la montagne en arrière-plan.
Ces plans sont rythmés par des lignes qui s’élèvent de la composition. Ainsi, la ligne horizontale formée par la baie rocheuse est rythmée par les corps obliques et verticaux des pêcheurs.
Figure 24. Vue générale de l'oeuvre du musée Dobrée
De même, la ligne d’horizon est rompue par les éléments architecturaux du port et la mâture du trois mâts.
23
Ibidem.
29
Les lignes horizontales structurent la composition en la stabilisant. Les lignes verticales et obliques, quant à elles, convergent toutes vers le ciel, guidant le regard vers cet espace ouvert et infini. L’illusion de profondeur est suggérée par une perspective atmosphérique et des jeux de lumière. Le premier plan, situé dans l’ombre, accentue cette impression de profondeur et permet d’attirer l’attention sur l’horizon invitant ainsi le spectateur au voyage. C’est aussi l'arrière-plan en pleine lumière qui donne de la profondeur à la composition. Le spectateur surplombe la composition ce qui lui confère une vue d’ensemble et lui permet d’être intégré à la scène. Le regard est attiré par la scène pittoresque au premier plan qui ponctue la composition de couleurs vives, puis guidé vers les tartanes à dextre. Leurs antennes créent le lien avec le port qui amène le regard au trois-mâts, au centre de la représentation. Le regard suit les mâts pour se perdre ensuite dans le ciel, ouvrant à la songerie. 2.3
Couleurs, dessin et facture
La palette de l’artiste est riche et variée. Les tons sont équilibrés entre la partie inférieure dominée par des terres et le ciel, présentant des teintes fraiches et claires. L’utilisation de complémentaires crée des contrastes qui s’harmonisent au sein de la composition. Le ciel est notamment dominé par un passage chromatique du bleu accentué, à l’orange, puis au rose. Le regard est attiré par des touches de rouge, discrètement disséminées dans la composition (le pavillon du trois-mâts, les vêtements des pêcheurs). Elles sont accompagnées de notes de blanc qui les intensifient et les mettent en valeur (le pavillon, les vêtements et la fumée qui se dégage d’une des tartanes).
Figure 25. Mise en évidence des notes de rouge qui parsèment la composition
30
Ces notes de rouge sont assez fréquentes afin de créer une dynamique visuelle. Ainsi, l’œuvre de mémoire a été réalisée par un artiste ayant connaissance de l’intérêt des moyens plastiques et des astuces pour rythmer et harmoniser sa peinture. L’ensemble de la composition baigne dans une lumière dorée, tamisée par les voiles du navire en contre-jour. Cette unique source lumineuse provient du centre du tableau et se diffuse subtilement sur les principaux éléments de la scène, mettant en valeur le port et le groupe de pêcheurs au premier plan. Cet élément apporte cohérence et unité au sein de la représentation. Le jeu d’alternance des ombres et des lumières en facettes ajoute un rythme à la composition, et les ombres portées créent de subtils contrastes. Le dessin fin et maitrisé témoigne de l’adresse du peintre. La matière picturale est très fine, toutefois travaillée en demi-pâte par endroits. Quelques empâtements se remarquent dans les nuages, les voiles du navire ou encore les plis des vêtements des pêcheurs. Ces touches en relief accrochent la lumière et mettent en valeur les éléments. Les modelés sont soulignés par un système de valeurs et de passages chromatiques doux qui mettent en évidence les drapés des personnages. Après une étude des éléments plastiques de l’œuvre de mémoire, nous nous intéressons à l’œuvre originale de Vernet afin de réaliser une comparaison.
Figure 26. Oeuvre originale
Cette huile sur toile est réalisée sur un format horizontal qui modifie totalement la composition en comparaison avec l’œuvre du musée Dobrée. Le paysage rectangulaire offre une vision panoramique. 31
L’illusion de profondeur est ici aussi suggérée par une perspective atmosphérique et plusieurs plans horizontaux et verticaux. Le premier plan dans l’ombre attire le regard sur le grand ciel lumineux. Les bases de la composition sont donc similaires à l’œuvre de mémoire mais le format horizontal permet une disposition des éléments aérée et équilibrée. La composition de l’œuvre de mémoire est quant à elle ramassée pour faire rentrer les éléments dans un format vertical, c’est probablement pourquoi des éléments de l’œuvre originale sont manquants à la composition actuelle. L’ensemble est donc moins cohérent et le cadrage bien plus serré. La palette de Vernet est harmonieuse et dominée par des tons bleus, verts et des terres. Les passages chromatiques sont doux et subtils. Des touches de rouge sont aussi disséminées dans la composition, dans des endroits similaires à l’œuvre de mémoire, soit le pavillon du trois-mâts et les vêtements des différents pêcheurs. Les couleurs utilisées dans l’œuvre originale diffèrent de celle de l’œuvre de mémoire. Le ciel est ici dans des tons bleus, où se mêle des teintes de jaune pour suggérer le soleil derrière les voiles du navire. Les couleurs du ciel de l’œuvre de mémoire sont bien plus saturées et contrastées. La lumière qui imprègne l’œuvre originale est plus douce et réaliste que celle de l’œuvre de mémoire. Elle se diffuse progressivement, et provient aussi de derrière le navire marchand. Elle éclaire les éléments de la composition que l’artiste souhaite souligner en laissant d’autres parties dans l’ombre. Cela permet d’unifier la représentation et offre de délicats contrastes. Finalement, le dessin de Vernet est fin et subtil, et surpasse l’œuvre du musée Dobrée. La matière picturale est elle aussi fine et travaillée en demi-pâte par endroits. Le ciel est brossé assez rapidement à l’aide d’une brosse moyenne et quelques empâtements ourlent les nuages.
32
L’étude des moyens plastiques permet non seulement d’analyser le travail du peintre et mettre en évidence sa technicité, mais aussi de comprendre le processus de réflexion de l’artiste : le dessein qu’il veut donner à son tableau et le sentiment qu’il veut transmettre au spectateur. Les libertés que l’artiste a pris dans la réalisation de l’œuvre de mémoire montrent qu’il ne s’agit pas d’une copie analogue mais plus une réinterprétation inspirée de l’œuvre originale de Joseph Vernet. Bien que l’on puisse constater des velléités d’imitation dans les éléments iconographiques et que l’œuvre soit de bonne facture, le style de la copie est un peu différent de l’original à travers des contours moins fins, des éléments moins précis et des dégradés moins subtils dans le ciel. La technicité et la maîtrise dans le dessin, les modelés et le rendu relativement ressemblant de l‘oeuvre de mémoire montrent, quant à eux, une habileté du « copiste ». Celui-ci a peut-être reçu un enseignement académique justifiant son adresse. Finalement, le fait qu’il ne s’agisse pas des mêmes couleurs que l’original souligne les libertés d’interprétation de l’artiste. La principale dissemblance entre les deux œuvres est l’agencement des éléments qui sont inversés. Cette particularité est la preuve directe que l’œuvre du Louvre a été gravée. L’œuvre de mémoire aurait donc été réalisée d’après une estampe. Il est donc tout à fait envisageable que le peintre de cette œuvre n’ait jamais vu le tableau de Vernet.
II.
Une oeuvre inspirée de Claude-Joseph Vernet (1714-1789)
Claude Joseph Vernet naît à Avignon en 1714 et meurt à Paris en 1789. Il sera très tôt initié à l’art de la peinture par son père Antoine Vernet, peintre-décorateur, qui lui transmet de solides connaissances de la technique picturale. L’assurance et la facilité d’exécution dont il fait preuve vont le conduire très jeune à entreprendre un apprentissage. À quatorze ans, il entre dans l’atelier du peintre d’histoire
33
Philippe Sauvan (1697-1792) à Avignon24. Il poursuit ensuite sa formation artistique dans l’atelier de Jacques Viali (1681-1745) à Aix-en-Provence. En 1734, Joseph Vernet part pour Rome afin de parfaire sa formation. Faute de pouvoir entrer à l’Académie de France à Rome, Joseph Vernet s’installe dans la ville pendant vingt ans et se forge une solide réputation. Son premier maître est le peintre de marines et de paysages Adrien Manglard25 (1695-1760) qui influencera son art, notamment dans le rendu de la lumière et de ses variations26. L’artiste gagne ainsi en légèreté et en finesse27. C’est Bernardino Fergioni qui lui enseigne la manière d’agrémenter ses compositions d’éléments accessoires (rochers, figures de pêcheurs, navires, phares)28, qui meublent la majorité des ses compositions. Dès 1740, sa renommée de peintre de marines et de paysages est établie. Joseph Vernet est définitivement reçu à l’Académie en 1753 avec son morceau de réception Marine, effet de soleil couchant.
Figure 27. VERNET Claude-Joseph (17141789), Marine, effet de soleil couchant, 1753, huile sur toile, 1,16 x 1,51 m. Paris, Musée du Louvre.
Il revient vivre en France cette même année et se voit confier par le marquis de Marigny29 une des plus importantes commandes royales sous le règne de Louis XV.
24
Joseph Vernet (1714-1789), Les vues des Ports de France, Paris : Musée national de la Marine, 2003, p.9. Qui fut l’élève du hollandais Van der Cabel. 26 Ibid., p.10. 27 Musée des Beaux-Arts de Rouen, La marine à voile de 1650 à 1890, autour de Claude- Joseph Vernet, Anthèse, 1999, p.16. 28 LAGRANGE, Léon, Joseph Vernet et la peinture au XVIIIème siècle, Paris : Didier et Ce, Libraires-Éditeurs, 1864, p.14. 29 Surintendant des Bâtiments du Roi et frère de la marquise de Pompadour. 25
34
C’est la seconde période dans l’oeuvre du peintre, où la série monumentale des Vues des Ports de France le conduit sur un voyage de dix années, de 1753 à 1763, du littoral méditerranéen à la côte atlantique. Vingt-quatre tableaux sont commandés à l’artiste, chargé de représenter les différentes activités portuaires du pays et mettre ainsi en valeur le patrimoine maritime français au XVIIIème siècle.
Figure 28. VERNET Claude-Joseph(1714-1789), L’entrée du Port de Marseille, 1754, huile sur toile, 1,65 x 2,63 m. Paris, Musée du Louvre.
Bien que décorative, cette série est aussi un véritable témoignage des spécificités régionales maritimes (les navires en usage, les activités typiques : pêche, cabotage etc.) et présente donc un caractère instructif. Elle fait aussi œuvre de propagande de la marine royale française, dans un contexte de rivalité avec l’Angleterre marquée par la guerre de Sept ans30. Les œuvres sont exposées au Salon de peinture et de sculpture du Louvre, aux yeux de la société éclairée et donnent ainsi à voir « les bienfaits du règne de Louis XV »31 et la puissance maritime de la France. Ces toiles sont principalement conservées au musée national de la Marine et au musée du Louvre. En juillet 1762, Vernet arrive à Paris32 où il entame la dernière partie de sa carrière, considéré comme un des peintres les plus célèbres de son temps. Il meurt en 1789 et avec lui disparait la fin d’un genre de peinture, le paysage de marines classique. 30
Joseph Vernet (1714-1789), Les vues des Ports de France, op. cit., p.8. Musée des Beaux-Arts de Rouen, op. cit., p. 39. 32 INGERSOLL-SMOUSE, Florence, op. cit., p.26. 31
35
1. Claude-Joseph Vernet, un artiste marqué par la nature italienne Le talent de l’artiste repose notamment sur sa qualité d’observateur. Ainsi, à travers une observation directe de la nature qui l’entoure, et principalement des effets atmosphériques, Vernet arrive à capter la véracité des paysages. Cette harmonie qui se dégage des œuvres de Vernet est liée à sa méthode de travail, soit l’étude directe sur le motif. Les conseils de Joshua Reynolds au peintre Nicholas Pocock en témoignent : « Je vous recommanderais, par dessus toutes choses, de peindre d’après nature […]. C’était la pratique de Vernet, que j’ai connu à Rome ; il me montra ensuite ses études en couleurs, qui me frappèrent beaucoup par leur vérité que ces oeuvres ont seulement lorsqu’elles sont produites quand l’impression de la nature est chaude »33. Vernet examine la nature et recompose ensuite en atelier. Bien qu’il soit considéré comme un peintre de la nature, il est important de noter que ses tableaux ne représentent pas la réalité mais relèvent de sa fantaisie34. L’artiste joue avec la lumière, dont il a pris l’habitude de représenter la constante évolution au fil des heures de la journée, ainsi que les différentes conditions météorologiques. Il retranscrit cette évolution dans ses tableaux qu’il conçoit généralement comme un ensemble de plusieurs toiles (généralement deux paires de pendants). Des vues calmes de coucher de soleil côtoient généralement des vues tumultueuses de tempêtes.
Figure 29. VERNET Claude-Joseph, Tempête sur la côte méditerranéenne, 1767 et son pendant Port méditerranéen, temps calme, coucher de soleil, 1770, huiles sur toile, 1,13 x 1,45 m. Collection privée. 33
HILLES, F.W., Letters of Sir Joshua Reynolds, Cambridge University Press, 1929, p. 73. ARLAUD , Pierre, Catalogue raisonné des estampes gravées d’après Joseph Vernet, Avignon : RullièreLibeccio, 1976, p.2-3. 34
36
C’est en Italie que Vernet trouvera une de ses plus grandes sources d’inspiration. Son séjour romain correspond à la période de 1734 à 1752. Dès son arrivée à Rome, il recherche la nature et va la trouver en dehors des murs de la ville. C’est ainsi qu’on le retrouve étudiant d’après nature à Tivoli, Narni, Népi, ou encore sur les côtes de Civita-Vecchia et d’Ostie35.
Figure 30. VERNET Claude-Joseph, Rivage près de Tivoli, 1746, huile sur toile, 0,97 x 1,23 m. Minneapolis, The Minneapolis Institute of Arts.
C’est principalement à Naples et ses environs que Vernet trouve une source intarissable d’inspiration à travers de riches paysages pittoresques. C’est surtout la vue des paysages du peintre italien Salvator Rosa (1615-1673) qui donna l’envie à Vernet d’aller voir de lui-même les sites qui ont inspiré le peintre, et de faire ainsi le voyage jusqu’à la ville natale de l’artiste36. En 1737, il entreprend son premier voyage et sa production artistique en est considérablement enrichie.
Figure 31. VERNET Claude-Joseph, Vue du golfe de Naples et Vue de Naples avec le Vésuve, 1748, huiles sur toile, 0,99 x 1,97 m. Paris, Musée du Louvre.
La production artistique de la période italienne est très féconde et diversifiée, à travers le style d’un artiste en perpétuelle évolution. 35
Ibid., p.21. MARIETTE, Pierre-Jean, Abecedario de P. J. Mariette : et autres notes inédites de cet amateur sur les arts et les artistes, Paris : J.-B. Dumoulin, 1853-1862, vol. 6, p.51. 36
37
Ainsi, Vernet peint d’abord à la manière de Rosa, soit une peinture spontanée à la facture empâtée, et parsemée de personnages secondaires pittoresques.
Figure 32. VERNET Claude-Joseph, Les cascades de Tivoli, 1740-1748, huile sur toile, 0,97 x 1,35 m. Paris, Le Petit Palais.
S’ensuit une peinture plus poétique, dominée par les gris, les roses et les verts avec une touche fluide et lumineuse37. Cette peinture deviendra la manière usuelle du peintre 38 , dans laquelle s’inscrit la représentation originale.
Figure 33. VERNET Claude-Joseph, Le Pont et le château Saint-Ange à Rome et Le Ponte Rotto, 1745, huiles sur toile, 0,40 x 0,77 m. Paris, Musée du Louvre.
Cette période italienne est très importante dans l’art de Vernet car l’on y voit apparaître les prémices de son style, notamment dans les représentations de plusieurs parties du jour39 formant des ensembles de toiles décoratives très prisées par sa clientèle privée. Le tableau original du musée du Louvre et son pendant en sont un bon exemple.
37
INGERSOLL-SMOUSE, Florence, op. cit., p.18. Ibidem. 39 Ibid., p.17. 38
38
2. Le tableau original conservé au musée du Louvre La base de données Joconde ne donne pas d’information précise sur la date de création de l’œuvre, située au XVIIIème siècle. Cette œuvre de Joseph Vernet est répertoriée dans le catalogue d’exposition du musée des Beaux-Arts de Rouen sous le nom de « Marine, le midi ou Pêcheurs à l’ouvrage » exécutée en 1743 et portant le numéro d’inventaire 8343.
Figure 34. VERNET Claude-Joseph, Marine, le midi ou Pêcheurs tirant un filet, XVIIIème siècle, huile sur toile, 0,44 x 0,65 m. Paris, Musée du Louvre.
Florence Ingersoll-Smouse 40 mentionne l’existence d’un pendant s’intitulant Maison des environs de Naples, de dimensions 44 x 65 cm. Cette œuvre est aussi désignée sous le nom de Marine ; effet de soleil couchant dans le dossier documentaire du service d’études et de documentation du Louvre, et porte le numéro d’inventaire 8344. Cette vue représente un paysage pittoresque dont le premier plan est occupé par des groupes de pêcheurs, certains à demi nus poussent leur embarcation, d’autres pêchent au trident et des femmes ravaudent les filets. L’arrière plan est composé d’une falaise percée d’un escalier permettant d’accéder à une belle demeure, dont des convives se rendent dans une élégante gondole.
40
Florence Ingersoll-Smouse est l’auteur d’une étude critique et d’un catalogue raisonné des œuvres de Joseph Vernet, écrit en 1926.
39
Figure 35. VERNET Claude-Joseph, Marine ; effet de soleil couchant, XVIIIème siècle, huile sur toile, 0,44 x 0,65 m. Paris, Musée du Louvre.
En 1855, l’historien Léon Lagrange prend connaissance des Livres de Raison de Joseph Vernet. Il s’agit d’un « véritable trésor autobiographique » 41 car l’artiste y répertorie la liste de ses nombreuses commandes, ses dépenses journalières, ses créances et dettes, mais aussi ses souvenirs de voyage et bien plus. « Les faits les plus disparates se mêlent, se confondent, se brouillent de la façon la plus originale, la plus imprévue, et, pour tout dire en un mot, la plus vivante »42. Les Livres de Raison donnent ainsi des informations sur les conditions de réalisation de ces oeuvres, et notamment leur destination, c’est-à-dire la commande dont elles ont fait l’objet. Concernant ces deux pendants, le catalogue du musée des Beaux-Arts de Rouen renvoie à la commande n°26 des Livres de Raison : « Pour M. Bernard peintre à Marseille deux marines a ma fantesie ordonnées l’an 1743 »43. L’artiste ne donne pas plus de précisions sur la représentation de ces œuvres, il est donc possible que cette notice n’ait aucun rapport avec l’œuvre étudiée. Ce même catalogue d’exposition ainsi que Florence Ingersoll-Smouse font référence à une autre commande réalisée en 1780 par M. François-Charles Bernard, Président à la Cour des Aides. 41
LAGRANGE, Léon, op. cit., p.11. Ibid., p. 14. 43 LAGRANGE, Léon, op. cit., p.324. 42
40
Des inscriptions sont présentes au revers des deux toiles originales : « MR. LE PRDT BERNARD » (8343) et « Mr LE PRESIDENT BERNARD » (8344) ont été reportées après rentoilage et pourraient confirmer cette commande44.
Figure 36. Vues du revers de l’œuvre originale Marine, le midi; Pêcheurs tirant un filet et mise en évidence des inscriptions
Selon deux sources45, l’œuvre originale est entrée dans les collections du musée du Louvre en 1794 suite à la saisie révolutionnaire de la collection de l’émigré François-Charles Bernard. D’autres inscriptions sont visibles au revers de l’œuvre originale Marine, le midi; Pêcheurs tirant un filet, dont le numéro d’inventaire actuel INV. 8343, l’ancien numéro d’inventaire MR n°2653 avec une fleur de lys et une couronne, et cette mention Mr le Prdt Bernard. En 1810, Vivant-Denon, directeur général du musée Napoléon, est chargé de dresser l’inventaire des collections. Il va mettre en place un inventaire par ordre alphabétique et rassembler des informations sur chaque oeuvre (nom du maître, désignation de l’œuvre, description sommaire, dimensions)46. L’inventaire était toutefois loin d’être terminé à la chute du Premier Empire, et aucun numéro n’était encore attribué.
44
Informations tirées du rapport d’intervention rédigé par Nathalie PINCAS, Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France, 9 juin 1999. 45 INGERSOLL-SMOUSE, Florence, op. cit., p.44. et les informations tirées de la notice d’œuvre du Service d’étude et de documentation des peintures du Louvre. 46 BARNAUD, Germaine, « Les anciens inventaires de tableaux au Louvre » in Revue de l’Art, n°18 (1972).
41
Il est à noter que l’on dissimulait la provenance de saisies d’émigrés (et de condamnés) en les réunissant sous l’intitulé « Ancienne collection de la Couronne », les assimilant ainsi aux anciennes collections royales47. Dès la première Restauration, la loi du 18 novembre 1814 exige un nouvel inventaire. C’est grâce à M. de Forbin et ses collaborateurs que les tableaux reçurent un numéro d’immatriculation noté au revers des oeuvres48. Sur cet inventaire, les numéros d’immatriculation sont appliqués en rouge au revers des peintures et précédés des lettres MR (Musées Royaux), séparés par une fleur de lys et surmontés d’une couronne49. La présence de ce numéro d’inventaire au revers des toiles vient donc attester la propriété des Musées nationaux. Cela permet une authentification de l’œuvre, d’où son report essentiel après rentoilage. En mai 1824, ce premier inventaire MR est terminé et comprend 2727 numéros. Le second numéro d’inventaire visible INV 8343 est dû à Frédéric Villot, conservateur des peintures, à qui l’on confia dès 1848 le récolement général de tous les tableaux des Musées nationaux. En 1860, le travail considérable de Villot est terminé et tous les anciens inventaires ont été regroupés en un unique, caractérisé par le signe INV suivi d’un nouveau numéro. 10 109 tableaux ont été examinés et identifiés à nouveau50, dont les deux marines de Vernet qui présentent ces nouveaux numéros d’inventaire. Lors de ce second inventaire, les collections d’émigrés sont elles aussi désignées sous le titre ancienne collection. C’est d’ailleurs sous cette appellation que l’on retrouve l’œuvre de Vernet dans la Notice des tableaux exposés dans les galeries du Musée national impérial du Louvre de Villot (1855). Dans la commande réalisée pour le Président Bernard, le format concorde avec ces deux marines du musée du Louvre mais pas la description faite par Joseph Vernet dans ses Livres de Raison : 47
Ibidem. Ibidem. 49 Ibidem. 50 Ibidem. 48
42
« Pour M. le Président Bernard deux tableaux de deux pieds de large sur la hauteur a proportion, un doit représenter un coucher de soleil et l'autre un clair de lune, marine ou païsage, toujours en calme, ordonnez les derniers jours d'Aoust 1780 et promis pour le mois de Juillet 1781. Le prix est de 1200 chaque. »51 Si le pendant Marine ; effet de soleil couchant concorde avec un coucher de soleil, l’œuvre intitulée Marine, le midi ; Les pêcheurs tirant un filet ne peut correspondre à un clair de lune. Vernet a-t-il modifié la représentation sans le mentionner dans ses Livres de Raison ? Lagrange nous informe pourtant que le Président Bernard avait bien commandé un coucher de soleil et un clair de lune, « toujours en calme », lui qui avait peur des tempêtes52. Une incohérence se précise alors. Si l’œuvre a été réalisée en 1780 pour le Président Bernard, comment se fait-il que la commande ne corresponde pas aux représentations décrites par Vernet ? Des réponses seront apportées dans la dernière partie de l’étude concernant l’estampe ayant inspirée l’œuvre de mémoire. Dans tous les cas de figure, il est possible tout du moins d’affirmer que les deux pendants sont des vues imaginées par Vernet et d’inspiration italienne. L’étude des imitateurs de Joseph Vernet qui suit permettra de présenter les principaux peintres ayant gravités autour de l’artiste. Cela mettra en évidence quelques artistes dont les représentations présentent des similitudes avec l’œuvre de mémoire.
3. Les imitateurs de Joseph Vernet Le succès de Joseph Vernet en a fait un des peintres les plus imités de son temps. Ses estampes étaient accessibles à chacun, l’attribution de l’œuvre de mémoire à un peintre est donc impossible sans signature. Ceci étant, un nombre considérable d’imitateurs gravite autour de l’artiste, déjà de son vivant. Il nous paraissait donc intéressant d’en mentionner les principaux et de réaliser une comparaison lorsque des éléments plastiques concordaient. 51 52
LAGRANGE, Léon, op. cit., p.354. Ibid., p. 279.
43
Parmi les plus connus, nous citerons tout d’abord Ignace et Antoine-François Vernet, ses frères. Le premier suivit Vernet à Rome et le second était un « modeste paysagiste et peintre décorateur » à Paris53. Pierre-Jacques Volaire (1729-1802) était un peintre d’histoire qui rencontra Vernet à Toulon en 1754 et qui l’aida notamment à exécuter la série des Ports de France pour ensuite s’établir en Italie, à Rome puis Naples et se spécialiser dans des vues « grandioses et dramatiques » du Vésuve54. Jean-François Hüe (1751-1823), paysagiste et peintre de marine, dont les œuvres étaient parfois difficilement distinguables de celles de Vernet 55 , fut officiellement chargé de continuer la série des Ports de France dès 1792. Jean-Henry d’Arles (1734-1784) entra dans l’atelier de Vernet en 1753 en tant qu’aide du peintre et assimila sa technique et son style56. Ses œuvres sont principalement des rivages méditerranéens, soleils couchants et clairs de lune. .
Figure 37. Jean-Henry d’Arles, Marine, effet de brouillard, 4ème quart du XVIIIème siècle, huile sur toile, Grenoble, musée de Grenoble
Les effets atmosphériques rappellent l’œuvre de mémoire, mais l’oeuvre ci-contre est d’une facture plus maîtrisée et raffinée.
53
INGERSOLL-SMOUSE, Florence, Joseph Vernet, peintre de marine. Étude critique suivie d’un catalogue raisonné de son œuvre peint avec 357 reproductions, Vol. 1 et 2, Paris : Étienne BIGNOU, 1926, p.33-34. 54 Catalogue d’exposition musée de la marine, Joseph Vernet (1714-1789), Paris : Musée de la Marine – Palais de Chaillot, 1976, p.23. 55 INGERSOLL-SMOUSE, Florence, op. cit., p.35. 56 Catalogue d’exposition, Trumeaux et dessus de portes, une tradition décorative XVII-XVIIIème siècles, Ville de Nice, 1999, p.24.
44
Charles-François Grenier de La Croix, dit La Croix de Marseille ( ?-1782), copia les sujets récurrents chez Vernet lorsqu’il était à Rome en 1754 (levers et couchers de soleil, ports de mer, clairs de lune, vues d’Italie et petits personnages (pêcheurs, baigneuses, matelots)57. Il réalisa des œuvres décoratives souvent répétitives mais agréables, et ponctua sa peinture de personnages aux attitudes stéréotypées58.
Figure 38. Charles-François Grenier de La Croix, Rivage méditerranéen avec des pêcheurs, 1770, huile sur toile, 0,28 x 0,41 m. France, collection privée.
Les œuvres de La Croix de Marseille présentent des analogies avec l’œuvre de mémoire, notamment dans le rendu de la lumière chaude et diffuse, au dessin maitrisé mais parfois naïf. Philippe Rey, quant à lui, était un peintre marseillais actif entre 1763 et 1790 qui exécuta des copies d’après Vernet59.
Figure 39. Philippe REY, Pêcheurs au coucher du soleil au Port de La Rochelle, XVIIIème siècle, huile sur toile, 0,67 x 0,49 m
La lumière dorée et les passages chromatiques du ciel rappellent l’œuvre de mémoire, tout comme les personnages pittoresques aux gestes maniérés. 57
INGERSOLL-SMOUSE, Florence, op. cit., p.34. Catalogue d’exposition, Trumeaux et dessus de portes, une tradition décorative XVII-XVIIIème siècles, op. cit., p. 26. 59 Ibid., p.22. 58
45
En dépit des analogies soulignées, l’œuvre de mémoire ne paraît pas attribuable à l’entourage de Joseph Vernet dont les représentations sont le plus souvent de facture plus fine et subtile. Il est probable qu’il s’agisse d’un artiste sans lien direct avec Joseph Vernet qui ait acheté l’estampe réalisée d’après l’œuvre originale de Vernet.
III.
La copie du musée départemental Thomas Dobrée
1. Une copie réalisée d’après une estampe Les études préalables ont montré que la copie faisant l’objet de ce mémoire de fin d’études a été réalisée d’après une estampe. L’objet de cette troisième et dernière partie est de pouvoir mettre en évidence des pistes de datation en retrouvant cette source iconographique et pouvoir replacer la copie dans un contexte historique. La gravure a joué un rôle majeur dans la popularité de Joseph Vernet, à travers une reproduction à l’infini de son art. La reproduction de ses tableaux était d’ailleurs une source majeure de profit pour les graveurs, grâce à la grande renommée du peintre et le caractère plaisant et décoratif de ses œuvres. C’est pourquoi les œuvres de Vernet ont été reproduites par un nombre considérable de graveurs français et étrangers du XVIIIème siècle60. Le catalogue raisonné des estampes gravées d’après Joseph Vernet de Pierre Arlaud indique que le tableau intitulé Les Pêcheurs à l’ouvrage61, peint par Joseph Vernet, a été gravé par Jean Daullé et Robert Daudet62. Ce dernier aurait gravé le tableau dans le même sens que l’original alors que Jean Daullé l’aurait gravé en sens inverse63.
60
ARLAUD, Pierre, op. cit., p. 1. Il était très fréquent de ne pas retrouver les œuvres gravées de Vernet sous des titres identiques, mais certaines sous des titres de fantaisie ou bien comportant des imprécisions. Dans le cas présent, il s’agit du titre donné par le graveur Jean Daullé. 62 La description énoncée par Pierre Arlaud dans son recueil correspond nettement à celle de l’œuvre étudiée. 63 ARLAUD, Pierre, op. cit., p. 39. 61
46
L’œuvre faisant l’objet de ce mémoire étant inversée par rapport à l’original du Louvre, la piste d’une œuvre gravée par Jean Daullé est à envisager. Selon Arlaud, l’estampe aurait été commencée par Daullé puis achevée par un interprète anonyme après 1763, date du décès du graveur. Arlaud mentionne aussi la contribution de la veuve de Daullé en précisant dans ses notes la mention « A Paris chez la Vve DAULLÉ sur le quai des Augustins » ; « Peint par Joseph VERNET et fait exécuter par la Veuve de Jean DAULLÉ, Graveur du Roi »64. Selon Lagrange, c’est aussi la veuve de Daullé qui fit achever Les Pêcheurs à l'ouvrage par un anonyme65. Jean Daullé est né à Abbeville au début du XVIIIème siècle. Dès son enfance, il présenta des dispositions pour les arts et partit se perfectionner en dessin et en gravure dans l’atelier de Robert Hecquet à Paris66. Vers la fin de sa vie, il décida de se lancer dans la reproduction de sujets de genre, mythologiques, allégoriques, et de paysages qui furent souvent de qualité inférieure67. C’est aussi à la fin de sa vie, qu’il établit un commerce d’estampes quai des Augustins qui fut continué par sa veuve quelques temps après sa mort, puis passa dans le fonds de JacquesFrançois Chéreau (1742-1794)68. Dans son recueil, Delignières distingue douze estampes éditées seulement par Daullé (ou par sa veuve), bien qu’elles ne soient pas de la main du graveur69. Les Pêcheurs à l’ouvrage et Vue d’une Maison de campagne aux environs de Naples en font partie. L’hypothèse d’une estampe gravée par un anonyme après la mort de Daullé et sous la direction de sa veuve est ainsi de plus en plus vérifiée. Une notice publiée le lundi 10 Juillet 1769 dans le journal L’Avantcoureur indique que la veuve de Jean Daullé venait de former un volume de 84 estampes « […] dont les planches 64
Ibidem. LAGRANGE, Léon, op. cit., p.215. 66 DELIGNIÈRES, Émile, Catalogue raisonné de l’œuvre gravé de Jean Daullé d’Abbeville précédé d’une notice sur sa vie et ses ouvrages, Abbeville : C. Paillart et Retaux, 1872, p.7-8. 67 Ibid., p.18. 68 Ibid., p.16. 69 Ibid., p.19. 65
47
qui sont en sa possession ont été gravées par défunt son mari ou sous sa direction. Elles sont imprimées sur le papier de grand aigle fin. Les sujets en sont très agréables et d’après les plus grands peintres Italiens, Flamands et Français. […] Bien des Amateurs qui désirent avoir des collections d’estampes toutes formées pour les placer dans leurs Bibliothèques seront sans doute flattés de celle qui leur est ici offerte. Le prix du volume est de six louis d’or en feuilles. On en trouvera de brochés et de reliés chez ladite veuve Daullé, Marchande d’Estampes, quai des Augustins »70. Cette publication indique donc que les estampes étaient en vente chez la veuve Daullé en 1769, en plusieurs exemplaires. Nous avons pu retrouver ce recueil à la bibliothèque de l’Arsenal qui contient effectivement 84 estampes gravées dont Vue d’une Maison de campagne aux environs de Naples (n°57) et Les Pêcheurs à l’ouvrage (n°58), accompagnées de succinctes descriptions : Vue d’une maison de campagne aux environs de Naples, située au bord de la mer ; autre vue de mer, au de bord de laquelle se voient divers Pêcheurs occupés à retirer leurs filets71. L’estampe des Pêcheurs à l’ouvrage était donc en vente libre, ainsi accessible à tous.
Figure 40. Gravure des Pêcheurs à l’ouvrage provenant du recueil de la veuve de Jean Daullé 70
« Arts. Gravure. » in L'Avantcoureur, feuille hebdomadaire où sont annoncés les objets particuliers des Sciences, de la Littérature, des Arts, des Métiers, de l’Industrie, des Spectacles, & les Nouveautés en tout genre, Paris : Chez LACOMBE, n°28 (lundi 10 Juillet 1769), p. 434-435. 71 Œuvre de Jean Daullé, graveur du roi. Ce recueil contient quatre-vingt-quatre estampes gravées d'après les tableaux des plus grands peintres italiens, flamands & français, tirés des plus célèbres cabinets de Paris, Paris : Chez la veuve Daullé, 1769, p.2.
48
Ces deux gravures72, non datées, sont accompagnées de la mention « A Paris chez la Vve de J. Daullé, Graveur du Roy, Quai des Augustins ». Une inscription manuscrite a été rajoutée au crayon à papier, non pas sur l’estampe mais sur la page sur laquelle elle est exposée. On discerne « Ferrandini Sculp. ? ».
Figure 41. Détail de l’inscription
Le dictionnaire Benezit indique l’existence de deux Ferrandini, l’un est un peintre italien du XVIIIème siècle nommé Giovanni Battista Ferrandini qui réalisa en majorité des peintures d’église. Le second, Jean François Ferrandini, est un graveur français du XVIIIème siècle. Il travailla à Paris et à Toulon et a gravé des paysages, des marines et des vues d’après Claude Gellée, Joseph Vernet et Teniers73. Ce dernier s’inscrit donc totalement dans nos recherches, il se pourrait qu’il soit l’auteur anonyme de la gravure. Toutefois, la source de cette inscription ne peut être vérifiée. À travers ces recherches, il est possible d’émettre au moins une certitude : la présence de cette estampe inversée, support de la copie étudiée, en 1769, date à laquelle la veuve publia son recueil. Grâce à la datation de l’estampe, le contexte de création de l’œuvre originale du Louvre peut alors être éclairci. Il est improbable que l’œuvre ait été peinte en 1780 puisque la gravure du tableau était en vente dès 1769. Néanmoins, les inscriptions au revers des toiles originales sont une authentification de la commande pour le Président Bernard, de même que l’histoire de la saisie révolutionnaire et des numéros d’inventaire concordent dans ce sens.
72
Des agrandissements des deux gravures sont situées en annexe n°3 et n°4, p. 202 et 203. BENEZIT, Emmanuel, Dictionnaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs, tome 3, Paris : Gründ, 1999, p. 398. 73
49
Plusieurs hypothèses sont envisageables : -
il peut s’agir d’une réplique réalisée par Vernet en 1780 pour le Président à la Cour des Aides M. François-Charles Bernard. Il s’agirait de l’hypothèse la plus probable.
-
ou bien, l’oeuvre de Vernet a été commandée par le peintre Bernard à Marseille en 1743 et est venue enrichir, par un cheminement inconnu, les collections de FrançoisCharles Bernard.
Nous ne disposons toutefois d’aucune information venant appuyer l’une ou l’autre de ces hypothèses. Il est tout à fait possible que le lien avec la commande du peintre Bernard à Marseille soit erroné, la description des Livres de raison étant très succincte et sans lien vérifié avec l’oeuvre Pêcheurs tirant un filet. Il pourrait s’agir d’une confusion des noms. Concernant la commande de 1780, qui ne correspond pas aux vues énoncées originellement par Vernet, il se peut que l’artiste ait changé le clair de lune en vue calme de port de mer le midi.
2. Une peinture décorative de la fin du XVIIIème siècle La décoration des intérieurs est en plein essor et se renouvelle dès le début du XVIIIème siècle. Robert de Cotte (1657-1735), premier architecte du roi et surintendant des bâtiments, jardins, arts et manufactures royales, bouleverse les principes de la décoration intérieure en usage. Il met en place l’emploi de glaces placées sur les cheminées, se renvoyant ainsi les images opposées, et il remplace les panneaux peints par des lambris sculptés. Les peintures se retrouvent donc seulement au-dessus des portes et sont entourées de bordures en bois doré74. Un rôle ornemental est assigné à la peinture sous le règne de Louis XV (1715-1774) et le développement du style rocaille75, où trumeaux et dessus-de-porte sont en vogue. Il est à noter que les portes, fenêtres et cheminées sont les axes principaux de la composition ornementale des intérieurs76. Des lambris richement sculptés et peints ornent les murs, propice à l’assemblage de peintures décoratives en leur sein. 74
CHAMPEAUX De A, Histoire de la peinture décorative, Paris : Henri Laurens, 1890, p.237. FRIDE-CARRASSAT Patricia, MARCADE Isabelle, Les mouvements dans la peinture, Paris : Larousse, 2008 p. 35-36. 76 Catalogue d’exposition, Trumeaux et dessus de portes, une tradition décorative XVII-XVIIIème siècles, Ville de Nice, 1999, p. 39. 75
50
Le terme « trumeau » est utilisé dans le langage architectural depuis le Moyen-Âge pour désigner soit un pilier qui soutient le linteau d’un portail en son milieu ; soit une portion de mur comprise entre deux baies. Par extension, « les artisans ont fini par nommer trumeau tout panneau occupant cet espace, puis des glaces ou panneaux disposés au-dessus d’une cheminée ou d’une porte »77. Les peintures décoratives étaient donc souvent enchâssées dans ces décors de boiseries, trumeaux, lambris ou dessus-de-porte.
Figure 42. Décoration du côté de la cheminée de la chambre à coucher de l’Hôtel de Roquelaure. Eau forte, gravé par Mariette d’après Le ROUX. Paris, Musée Carnavalet. Photothèque des Musées de la Ville de Paris.
Nous sommes ici en présence d’une œuvre réalisée à partir des années 1769. Dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, le courant néoclassique se développe en rupture avec le style « rococo », faisant l’objet d’une appréciation négative. Le néoclassicisme annonce une volonté de quitter la fantaisie du style rocaille pour se rapprocher de la réalité et principalement de la nature. S’y greffe une volonté de retrouver une éthique morale dans l’art. En réalisant une copie d’après Joseph Vernet, l’artiste se situe dans cette volonté de retour à une peinture plus naturelle et proche de la nature. La composition, classique et simple, renvoie aux idées du néoclassicisme.
77
Ibid., p.5.
51
Des éléments constitutifs78 à l’œuvre de mémoire viennent appuyer cette hypothèse d’une peinture décorative intégrée dans des boiseries. Le mode de fixation de la toile apporte notamment des éléments intéressants. Le support textile a été cloué par la face sur un châssis non original de mauvaise facture qui n’est pas adapté à la taille de l’œuvre puisque qu’il est plus grand. De même, la toile a été découpée et ne présente plus son format d’origine. Les bords de la peinture présentent aussi une facture plus rapide et des passages chromatiques moins subtils, voire négligés, par rapport au reste de la réalisation. Ceci est notamment visible dans le passage du rose au bleu de la zone supérieure senestre du ciel (figure 43).
Figure 43. Détail du passage chromatique - en cours de restauration
Tous ces éléments montrent une négligence dans les parties périmétriques de l’œuvre, parties qui seraient cachées par l’assemblage des boiseries. De plus, les bords de la peinture n’ont pas été touchés par le phénomène d’oxydation du vernis, induisant la présence d’un cadre ou d’une structure les protégeant (figure 44). Des trous circulaires et symétriques sont aussi présents au revers du châssis, témoins d’un précédent système d’accrochage.
Figure 44. Détail du coin supérieur dextre (toile clouée par la face, châssis non adapté, marque du cadre)
78
Ces éléments sont décrits dans la partie technique, à partir de la page 58.
52
Finalement, l’enduit ocre rouge qui recouvre tout le revers de l’œuvre (châssis et toile) est le témoin d’une pratique assez courante au XVIIIème siècle pour traiter l’arrière des tableaux intégrés dans des boiseries79.
Figure 45. Détails de l'enduit ocre rouge au revers
À travers cette étude des matériaux constitutifs, l’usage de l’œuvre de mémoire a ainsi pu être rétabli. Cela a permis de replacer l’œuvre dans le contexte historique de la fin du XVIIIème siècle, à travers sa représentation picturale mais aussi ses éléments constitutifs. Finalement, grâce aux recherches nous pouvons émettre des hypothèses concernant la provenance de l’œuvre et ses conditions de réalisation. Ainsi, cette œuvre est probablement venue enrichir des boiseries décoratives dans une demeure. L’artiste l’a-t-elle peinte dans le cadre d’une commande ? Était-elle destinée à être intégrée dans un ensemble décoratif dès sa conception ? Deux coutures originales, dans la partie inférieure, témoignent d’un rajout de textile de 7cm. Ce rajout de petite dimension est étonnant et viendraient affirmer l’hypothèse d’une contrainte de format dans la réalisation de l’œuvre et donc d’une potentielle commande. L’absence de marques de châssis original viendrait affirmer l’hypothèse que l’œuvre ne soit pas restée longtemps sur son châssis d’origine, ou bien qu’elle ait même été réalisée sur un bâti de travail dans l’idée de l’insérer rapidement après sa conception dans les boiseries.
79
La couche d’imprégnation est étudiée page 67.
53
3. Son parcours historique Retracer le parcours de l’œuvre permettrait de savoir comment le tableau est arrivé au sein des collections du musée (par legs, don, acquisition), et comprendre ainsi une partie de son cheminement historique. L’œuvre faisant l’objet de ce mémoire provient du musée Thomas Dobrée à Nantes qui a vu le jour grâce à la passion d’un homme, Thomas (II) Dobrée (1810-1895), fils du riche armateur et négociant Thomas (I) Dobrée (1781-1828). Il devient très vite à la tête d’une importante fortune, lui permettant de s’adonner à sa passion pour l’art, développant ainsi une vocation de collectionneur. À la fin de sa vie, sa collection réunira près de 10 000 œuvres du XIIème au XIXème siècle d’un éclectisme impressionnant (peintures, estampes, enluminures, tapisseries, mobiliers, porcelaines chinoises etc.). L’ensemble est emprunt d’une vive curiosité pour le Moyen Âge, la Renaissance et le XVIIème siècle80. Afin d’abriter ses collections, Thomas Dobrée entreprend le projet de construire un palais. En 1862, il acquiert à Nantes le terrain des Irlandais sur lequel est situé le manoir de la Touche, ancienne résidence épiscopale et manoir médiéval construit au XVème siècle par l'évêque Jean de Malestroit81. Thomas Dobrée fait édifier le « palais Dobrée » dès 1862, un bâtiment de style néo-roman juxtaposé au manoir de la Touche.
Figure 46. Musée Dobrée©, vue de la cour intérieure et du jardin, Hervé Neveu Dérotrie – Grand Patrimoine de Loire Atlantique, oct. 2014
80
APTEL, Claire, BIOTTEAU, Nathalie, RICHARD, Marie, Thomas Dobrée : 1810-1895, un homme, un musée, Paris : Somogy éditions d'art, 1997, p.82. 81 Grand Patrimoine de Loire-Atlantique, Musée Dobrée [en ligne]. [Consulté le 31.03.2015]. Disponible à l’adresse : <http://grand-patrimoine.loire-atlantique.fr/jcms/les-sites-a-visiter/musee-dobree-a-nantes/histoire-dumusee-fr-t1_129911>.
54
Dans les années 1860, les collections de la Société archéologique de Nantes et de la LoireInférieure entrent par legs dans les collections départementales. En 1894, cette demeure privée ainsi que l’ensemble des collections de Thomas Dobrée sont léguées au Département de Loire-Atlantique par la volonté testamentaire du collectionneur et donnent naissance au musée départemental Thomas Dobrée qui ouvre au public le 8 janvier 189982. Le musée est aujourd’hui financé par le Conseil général de Loire-Atlantique et labellisé « Musée de France ». Des inscriptions permettent d’établir un lien direct avec le musée puisqu’une étiquette collée sur le châssis présente l’inscription « DOBRÉE – n°60 – 896-1-3812 ». Un numéro d’inventaire qui est aussi inscrit au revers de la toile et sur le châssis.
Figure 47. Détails des inscriptions au revers de l'oeuvre de mémoire
Ces numéros en 896.1. ont été donnés rétrospectivement dans les années 1955-5683. Toutefois, le registre d’inventaire du musée ne précise rien de plus, et le numéro 60 ne donne pas d’informations supplémentaires. Cette œuvre n’est d’ailleurs pas citée dans le Catalogue général des collections du musée de 1906. Nous ne pouvons savoir s’il s’agit d’une acquisition postérieure à 1905 ou d’un récolement incomplet. Sur les 400 peintures conservées au musée, cette œuvre est la seule marine réalisée à la fin du XVIIIème siècle.
82
Ibidem. D’après les informations transmises par Mme Nicole Lemoine, responsable du Centre de Documentation du musée Thomas Dobrée. Voir annexe n°5 et 6, p.204 et 205. 83
55
Deux autres entrées de port ayant appartenu à Thomas Dobrée, peuvent être datées du XVIIIème, mais sont un peu plus anciennes et dateraient du milieu du siècle84. L’œuvre de mémoire semble donc isolée par rapport au cheminement historique des œuvres du musée, provenant pour la majorité de la collection Dobrée, c’est-à-dire du legs de 189485. De plus, les correspondances que le musée conserve sur l'acquisition des collections, concernent les livres et les estampes et non les peintures. Les recherches concernant le cheminement historique de cette œuvre confiée par Mme Claire Delalande posent donc plus de questions qu’elles n’apportent de réponses. Au regard des éléments réunis, il est difficile de savoir à quelle date le tableau est entré dans les collections du musée Dobrée, ni la provenance de cette œuvre. Nous savons seulement que le musée était en possession de cette œuvre dès les années 1950 grâce au numéro d’inventaire.
84
D’après les informations transmises par Mme Claire De Lalande, conservatrice du patrimoine du musée Thomas Dobrée. 85 Ibidem.
56
CONCLUSION
À travers cette étude, l’œuvre du musée Thomas Dobrée a retrouvé une partie de son histoire. L’identification des éléments représentés et l’analyse plastique en comparaison avec l’œuvre du musée du Louvre a permis de rétablir le lien entre les deux tableaux. Il s’agit effectivement d’une oeuvre inspirée de Marine, le midi ; Pêcheurs tirant un filet de Claude-Joseph Vernet. L’étude de l’œuvre originale a suscité une réelle curiosité afin de retracer son histoire, de la commande à l’acquisition par le Louvre. Ces recherches ont mis en évidence l’estampe d’après laquelle l’œuvre de mémoire a été peinte conservée aujourd’hui à la bibliothèque de l’Arsenal à Paris et à la bibliothèque Ceccano à Avignon. La date de publication officielle de l’estampe a permis d’affiner la datation puisque l’oeuvre ne peut avoir été réalisée avant 1769. Une fourchette de datation confirmée par l’analyse des éléments constitutifs de l’œuvre, mettant en évidence son usage décoratif. Finalement, des incertitudes persistent comme l’attribution à un peintre, rendue impossible par la présence d’un nombre considérable d’artistes qui ont copié Joseph Vernet et de l’estampe accessible à tous. Des failles dans la traçabilité de l’œuvre au cours de son parcours au sein du musée Dobrée, alimentent aussi les interrogations à son propos. Les informations rassemblées ont permis de retrouver la nature initiale de l’œuvre du musée Dobrée et de rétablir un lien avec sa source iconographique, mais aussi retrouver le contexte historique dans lequel elle s’inscrit.
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PARTIE 2 RESTAURATION
58
INTRODUCTION
À la réception de l’œuvre, un travail d’études et de documentation a débuté par l’élaboration d’un constat d’état comprenant une étude des éléments constituants l’œuvre et l’examen des altérations survenues au cours du temps. Cette étude de l’œuvre est accompagnée d’un rapport photographique. Elle permet de comprendre sa matérialité, soit les éléments hétéroclites qui composent la stratigraphie, son parcours et parfois même de retracer une partie de son histoire. Cela permet aussi de déterminer l’état de conservation dans lequel l’oeuvre se trouve, la nature des altérations et leur étendue. Cet examen est suivi d’un diagnostic expliquant la cause et le processus des altérations, permettant de mieux appréhender les dégradations de l’œuvre dans le but d’établir un traitement le plus adapté à la peinture. L’ensemble de ces observations, les informations recueillies lors des études préalables et les réflexions mises en évidence, permettent d’élaborer un protocole de restauration. Celui-ci souligne la nécessité d’intervenir sur l’œuvre et le niveau d’intervention, intimement lié à ses sensibilités. Le cahier des charges qui suit détermine la procédure d’intervention. Il présente donc chaque intervention dans l’ordre chronologique et précise le choix des matériaux et la réflexion associée. Finalement, le traitement est décrit dans le rapport de restauration qui explique les opérations réalisées au travers notamment d’un rapport photographique détaillé. L’objectif de ce projet est d’entreprendre un examen diagnostique aussi exhaustif que possible afin de réaliser une restauration qui redonnera à l’œuvre une stabilité, une harmonie et une cohérence autant esthétique que structurelle.
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EXAMEN DES MATÉRIAUX CONSTITUTIFS
L’examen de l’œuvre est réalisé avant toute intervention de restauration afin d’étudier, d’analyser et de comprendre les spécificités de l’objet qui nous est confié. La stratigraphie de l’œuvre est relativement simple. Un châssis en bois résineux fait office de soutien du support original en toile. Plusieurs strates hétérogènes sont superposées sur ce support : un encollage supposé, suivi d’une couche de préparation blanche, d’un ton de fond rose, d’une couche colorée et de plusieurs couches de vernis. La principale particularité de cette stratigraphie est la couche d’enduit rouge qui recouvre l’ensemble du revers de l’œuvre, la toile et le châssis compris.
I.
Le support 1.
Le châssis 1.1. Nature
L’essence du châssis présente les mêmes caractéristiques qu’une essence de peuplier, c’est-à-dire un bois blanc, léger et tendre. Le peuplier fait partie de la famille des feuillus, ses veines sont généralement droites et sa texture est fine et unie86.
Figure 48. Détail de l'essence du bois du châssis
86
PARMENTIER Jean-Louis, Le grand livre du bois, Édition Fernand Nathan, 1977, p.252.
60
1.2 Fabrication Les montants ont le même profil, bien que leurs mesures soient irrégulières. Les montants dextre et senestre mesurent 104 cm de long pour 4,7 cm de large. Les montants inférieurs et supérieurs mesurent 80 cm de long et ont une largeur inégale. Celle-ci varie entre 6 cm pour le montant inférieur et 7,5 cm pour le montant supérieur. L’épaisseur de la rive est de 13 mm pour l’ensemble des montants ainsi que la traverse qui mesure 3,5 cm de largeur. Il n’y a aucune présence de biseau ou de chanfrein sur les montants, censé éviter les déformations et craquelures dues au contact du bois contre la toile87. Des traces d’outils sont visibles sur le revers des quatre montants et la traverse. Ces traces sont irrégulières et rappellent l’utilisation de rabot et de scie, témoins d’une élaboration manuelle.
Figure 49. Détail de traces d'outils sur le montant dextre
C’est un châssis de grande dimension avec une traverse simple de 70 cm, c’est-à-dire un montant horizontal qui vient s’intégrer au revers du châssis en son centre pour consolider l’assemblage.
Figure 50. Vue du châssis recto/verso
87
« (…) Le profilage en talus, ou chanfrein, de la face intérieure des côtés du châssis, pour éviter le contact du bois et de la toile le long des arêtes intérieures. (…) Peut empêcher dans bien des cas, l’apparition à la longue de déformations et craquelures typiques dessinant sur la surface peinte la silhouette du châssis." LABREUCHE, Pascal, op. cit., p.44.
61
L’assemblage des montants est à tenon et mortaise. Ce type d’assemblage est simple et consiste à insérer une partie d'un morceau de bois, dit le tenon, dans l'épaisseur d'un autre morceau de bois, dit la mortaise. Les traverses sont assemblées par le même procédé.
Figure 51. Détail de l'assemblage des angles
L’assemblage est fixe, c’est-à-dire que l’on ne peut moduler ses dimensions. Les quatre angles et la traverse sont chevillés, c’est-à-dire bloqués par deux chevilles en bois.
Figure 42. Détails de l’assemblage recto-verso, angle supérieur senestre
1.3 Inscriptions et marques exogènes Une inscription au crayon à papier « châssis enlever 2 cm », se situe sur la face du montant supérieur, à 15 cm du bord senestre. Cette inscription vient conforter l'hypothèse d'une modification des dimensions du châssis. Les dimensions de 104 x 80 cm ne correspondent pas à un format standard, il s’agirait donc d’un châssis réalisé sur mesures.
Figure 53. Vue de l’inscription
62
Les traces d’outils perceptibles dans le bois, ainsi que l’assemblage simple et rudimentaire seraient des témoins d’une élaboration artisanale. Des témoins de la possession de l’œuvre par le musée Thomas Dobrée sont présents au revers du châssis (figure 54). Ce sont des marques exogènes, ne relevant ni de l’auteur, ni du fabricant, ou du marchand de support88. Un numéro d’inventaire « 896-1-381 » est inscrit au revers du montant inférieur, à dextre. Ce numéro, recouvert d’un adhésif transparent et brillant, est écrit à la main à l’encre noire. Une étiquette89 collée dans le coin inférieur du montant senestre porte le nom du musée ainsi que le numéro d’inventaire : « DOBRÉE – N°60, 896-1-3812 ». Trois tampons jaunes de 2 cm de diamètre sont présents aux coins senestre et dextre des montants supérieurs.
Figure 54. Marques exogènes
1.4 Observations Des trous circulaires et symétriques, de 4 mm de diamètre, sont présents dans le bois du châssis. Ces trous transpercent le bois et se retrouvent sur la face des montants. Il y en a quatre au niveau des montants dextre et senestre, à 6 cm d’écart ; un à chaque coin supérieur ; un au centre du montant supérieur et deux sur la tranche supérieure.
88
BERGEON-LANGLE Ségolène, CURIE Pierre, Peinture et dessin, Vocabulaire typologique et technique, Paris, Éditions du Patrimoine, Centre des Monuments Nationaux, 2009, TOM 1, p. 303. 89 4 x 5,3 cm.
63
Ces marques indiqueraient un système d’accrochage dans une volonté d’exposition du tableau. La présence de ces témoins d’accrochage sur le châssis actuel, non adapté à la taille de l’œuvre, rend possible l’hypothèse d’un tableau intégré dans une boiserie. En effet, lorsqu’une œuvre est intégrée dans une boiserie ou un lambris, les bords ne sont pas visibles ce qui pourrait justifier la négligence de l’assemblage actuel90.
Figure 55. Mise en évidence du clouage au revers du châssis
Une couche d’enduit ocre rouge recouvre entièrement le revers du châssis incluant la traverse et les rives intérieures. Cette couche est fine et déposée de manière relativement homogène. Elle est présente aussi au revers de la toile. Les tranches du châssis sont visibles car il n’y a pas de cadre. Une fine couche de couleur ocre jaune y est déposée de manière assez grossière et dépasse sur la face des montants.
Figure 56. Détail de l’enduit ocre rouge au revers du châssis et ocre jaune sur ses tranches
90
L’étude du mode de fixation est réalisée p. 70.
64
2. Le support textile Le support toile mesure 99 cm de hauteur sur 79 cm de largeur. Il s’agit de la toile originale constituée de deux lés assemblés par une couture horizontale sur toute la largeur du tableau91. Le support est donc composé de deux pièces de toile. La pièce principale mesure 92 cm de hauteur et la deuxième 7,5 cm92. La couture est régulière et relativement serrée (2 à 3 mm entre chaque point).
Figure 57. Détail de la couture au revers. Schéma d’une couture en surjet
Il s’agit d’une couture en surjet. Ce point est solide et simple : le fil chevauche les bords des deux lès de toile superposés. Cette technique ancienne était la seule utilisée jusqu’au XVIIIème siècle et ne présente qu’une légère surépaisseur linéaire93. Le fil de la couture est visible par la face à l’aide de lacunes de couche picturale (figure 58). Sa nature ne peut être déterminée puisque nous ne pouvons faire aucun prélèvement sous peine de compromettre la cohésion de l’assemblage.
Figure 58. Détail de la couture vue de face
91
La dépose de la toile a mis en évidence de nouveaux éléments, présentés dans le rapport d’intervention p. 125. Les bords du support toile étant irréguliers, les dimensions maximales ont été retenues. 93 BERGEON-LANGLE, Ségolène, CURIE, Pierre, op. cit., p. 516. 92
65
2.1 Nature Les deux lès possèdent des fibres relativement fines et claires. Ces caractéristiques rappellent le lin. Le « test de Brossard » réalisé sur deux fils de toile dans le sens chaîne et trame ainsi qu’un test de combustion94, ont permis de conforter cette hypothèse. 2.2 Caractéristiques du tissage Il s’est avéré que les deux toiles sont relativement similaires au niveau de la finesse, du tissage et de la contexture. Le tissage ne présentant pas de lisière et l’irrégularité des fils étant similaire dans les deux sens, la détermination du sens chaine et du sens trame a pu être effectuée seulement par l’observation de l’embuvage95 après prélèvement. Ainsi, concernant les deux lés, les fils horizontaux ont un embuvage de 8,2%, bien plus important que les fils verticaux (2,6%)96. Les fils horizontaux sont donc plus ondulés, caractéristique du sens chaîne. Ainsi dans le sens de la lecture de l’œuvre, les fils de chaîne se situent à l’horizontale et les fils de trame à la verticale. La contexture à sec est de 10 fils de chaine pour 9 fils de trame au cm2 pour le plus grand lé et de 11 fils de chaine pour 9 fils de trame pour le deuxième97. Chaîne : 11 fils au cm2 Trame : 9 fils au cm2
Trame : 9 fils au cm2
Chaîne : 10 fils au cm2
Figure 55. Visualisation du sens chaîne et trame ; lé principal à gauche (bord de toile supérieur) et second lé à droite (sous la pièce de renfort) 94
Voir annexe n°8 : Tests effectués sur l’œuvre, p.205 L’embuvage s’exprime en pourcentage. C’est le rapport entre la différence de longueur d’un fil ondulé l0 et déondulé l par la longueur initiale. Calcul : [(l-lo)/lo] x 100. ROCHE, Alain, Comportement mécanique des peintures sur toile, Paris : CNRS EDITIONS, 2003, p.10. 96 Les échantillons ont été prélevés sur les bords de toile affaiblis, les résultats mettent donc en avant une tendance. 97 Il s’agit ici de la moyenne de trois mesures réalisées sur chaque lé. 95
66
Les deux lés sont en armure toile. C’est l’entrecroisement des fils le plus simple, c’est-à-dire que le fil de trame passe successivement au-dessus et en-dessous du fil de chaine. Le tissage du lé principal est particulièrement irrégulier (figure 60), notamment dans l’épaisseur des fils qui varie de manière significative. Les fils de chaîne ont une épaisseur variant de 0,5 à 1,5 mm en moyenne tandis que les fils de trame varient de 0,3 à 1 mm98. Le tissage est moyennement serré, des interstices de 0,5mm en moyenne, sont discernables entre les fils.
Figure 6. Détail de l'irrégularité du tissage du lé principal (x8)
Un fil est composé d’un enchevêtrement de fibres torsadées permettant ainsi de former un ensemble continu et résistant99. La torsion est ici en Z.
Z" Figure 61. Torsion des fils en Z (x8)
À la vue de l’importante irrégularité des fils et de la présence de nombreux nœuds dans le tissage, l’hypothèse d’une toile artisanale est à envisager. 2.3 Observations Le revers du support toile est recouvert du même enduit ocre rouge que le châssis. Cette couche est inexistante sous les montants et la traverse, laissant ainsi supposer que la toile a été enduite une fois montée sur châssis. Elle est relativement fine et irrégulière, la trame n’étant pas obstruée de manière uniforme. Son aspect dense et empâté rappelle la peinture à l’huile bien qu’aucune analyse chimique n’a pu être réalisée100.
98
Trois mesures ont été réalisées sur différentes zones. PEREGO, François, Dictionnaire des matériaux du peintre, Paris : Editions Belin, 2005, p. 734. 100 Voir annexe n°8, p .208. 99
67
Figure 7. Détails de l’enduit ocre rouge au revers de la toile
Cette couche directement en contact avec le revers de la toile rappelle les « protections directes du revers », ces imprégnations ou badigeons servant à stabiliser et protéger les toiles contre l’humidité et les micro-organismes101. Ces couches d’imprégnations consistent à saturer les fibres textiles avec différentes substances, originellement un adhésif de type collagénique qui sera suppléé plus tard par des huiles siccatives, de la cire, ou des mélanges cire-résine102. Elles ont plusieurs rôles. Un rôle direct en consolidant les fibres textiles, il s’agit alors d’un renforcement structurel du support, localisé ou général; ou bien préventif dans une volonté de protection contre les aléas climatiques, la saleté et les micro-organismes. Par l’imprégnation d’huile siccative, on pensait aussi rendre sa plasticité à un support textile rigidifié. On parle alors de « nourrissement »103. C’est au XVIIème siècle que l’ont voit apparaître ces procédés avec notamment Turquet de Mayerne (1573-1655) qui mit au point une recette d’huile bouillie en 1620104, composée d’huile de lin chauffée avec ajout de pigment terre d’ombre jusqu’à l’obtention d’une consistance sirupeuse. La substance est ensuite déposée à la brosse au revers du textile, et après séchage la peinture peut-être exposée contre un mur humide limitant les risques de détérioration105. 101
KNUT Nicolaus, Manuel de restauration des tableaux, Cologne : Könemann, 1999, p.114. TEIXEIRA Andréa Carolina, Canvas support impregnation materials and techniques: a study of Portuguese painting and its conservation issues, CeROArt [En ligne], mars 2016, consulté le 29 avril 2016. URL : http://ceroart.revues.org/4918. 103 KNUT Nicolaus, op. cit., p.114. 104 Ibiddem. 105 TEIXEIRA Andréa Carolina, op. cit. 102
68
Ces techniques d’imprégnation d’huile siccative se répandront largement au XVIIIème siècle106. L’huile de lin et l’huile de noix sont les deux plus importantes huiles siccatives utilisées dans l’histoire de la peinture107. L’imprégnation d’huile est généralement additionnée d’un pigment minéral. La nature du pigment peut jouer un rôle sur la siccativité de l’huile. Ainsi, les pigments comme la terre de Sienne, la terre d’ombre ou encore l’ocre rouge sont des pigments dits siccatifs, car ils forment un film qui durcit plus vite108. Ces pigments auraient donc tendance à être privilégiés. Dans le cas présent, l’ocre rouge semble avoir été utilisée. L’enduit a traversé la stratigraphie puisqu’il est visible sur la face de la peinture dans des lacunes de couche picturale et imprègne les fibres textiles de manière irréversible.
Figure 8. Détails de lacunes de couche picturale sur la face laissant apparaitre l’enduit au revers (x60)
Il était aussi assez courant de traiter de cette manière l’arrière des tableaux intégrés dans des boiseries. En effet, l’espace entre le mur et le décor est propice à l’apparition d’une atmosphère saturée en humidité et sans lumière, augmentant ainsi le risque de dégradations du support textile et le développement de micro-organismes. Cet enduit serait donc un témoin supplémentaire indiquant que l’œuvre aurait été intégrée dans un ensemble de boiseries.
106
Ibidem. PEREGO, François, op. cit., p. 371. 108 ROCHE, Alain, op. cit., p. 79. 107
69
3. Mode de fixation de la toile sur le châssis La toile a été clouée par la face sur les montants du châssis à l’aide de clous à tête ronde et plate, plus fine que les semences. Ce système de fixation n’est pas d’origine puisque la toile a été découpée, elle ne présente donc plus ses bandes de rabat et son format original. La découpe est franche et nette. Le format a été réduit de manière inégale selon les bords, perceptible notamment dans les écarts entre le bord du tissage et le bord du châssis. Bord supérieur : 3,5 à 4 cm. Bord inférieur : 0,3 cm. Bord dextre : 0,3 à 0,5 cm. Bord senestre : 0,5 cm. Figure 9. Détail du mode de fixation
Un bord original de la peinture a tout de même été préservé car la découpe a été réalisée 3mm au dessus de la peinture.
Figure 65. Détails du bord original supérieur
La découpe prive d’informations précieuses sur la mise en œuvre originale, toutefois l’étude du mode de fixation et donc de la mise en tension de la toile permet d’émettre des hypothèses sur l’histoire matérielle de l’œuvre. Une guirlande de tension est visible sur les quatre côtés de l’œuvre. Il s’agit d’une déformation permanente qui apparaît suite à la mise en tension de l’œuvre.
70
La déformation est liée à une perte de tension et un relâchement de la toile entre chaque point de tension (clou, agrafe ou semence) créant ainsi une déformation en guirlande (figure 66) que l’on nomme aussi festons.
Figure 66. Détail de la guirlande de tension, bord dextre
Cette déformation est originale car elle « n’apparaît que lors de la mise sur châssis et est accentuée par l’encollage, qui provoque un gonflement des fils et un retrait consécutif de la toile. »109 La préparation quant à elle a un effet stabilisant. Ainsi, une fois la toile encollée et préparée, « son tissage devient beaucoup moins susceptible de déformations et une guirlande accentuée ne peut plus apparaître »110. La présence de cette guirlande de tension nous donne donc des informations utiles sur le format et la mise en tension originale de la toile. Cela indique notamment que le format actuel est relativement proche de celui d’origine et que le tableau a été mis en oeuvre sur un châssis ou un bâti de travail de dimensions proches de celles actuelles. L’amplitude de la guirlande diffère selon les bords111. Elle est nettement discernable sur le bord supérieur avec 8 vagues d’une amplitude de 3,5 mm112 et le bord dextre avec 7 vagues d’une amplitude de 3 mm. Figure 107. Détail d’un feston, coin inférieur senestre 109
LABREUCHE, Pascal. Étude des déformations de trame dans le cas des toiles tendues sur châssis et enduites : essai de cartographie de ces déformations et étude de leur influence sur la formation et l'évolution des réseaux de craquelures. Mémoire de fin d’études : Peinture. Paris : IFROA, 1995, p.66. 110 Ibidem. 111 Dans l’ordre décroissant : le bord inférieur, senestre, supérieur, dextre. 112 Il s’agit de la moyenne des mesures.
71
La guirlande est plus subtile sur le bord inférieur avec 2 vagues de 3,5 mm (à senestre), et sur le bord senestre où l’on distingue 2 vagues de 2 mm d’amplitude (au centre) et une vague hypothétique de 1 mm (partie supérieure). Le bord dextre serait donc le mieux préservé avec une découpe la moins importante tandis que les autres bords auraient subi une plus grande réduction, le bord senestre étant le plus touché. La guirlande de tension renseigne aussi sur le clouage original puisque les pointes de la guirlande correspondent à l’emplacement des points de tension originaux. Dans le cas présent, le clouage actuel ne correspond pas aux pointes de la guirlande de tension, cela confirme donc que nous ne sommes pas en présence du clouage original. Les clous présents sont relativement réguliers en nombre et en distance. On en dénombre 22 sur le montant senestre, 23 sur le montant dextre ; puis 18 sur le montant inférieur et 19 sur le montant supérieur. La distance entre chaque varie de 4,5 à 5 cm en moyenne. Certains ne sont plus présents, et d’autres ne maintiennent plus le support textile.
Figure 68. Schéma des semences jouant encore leur rôle de maintien (vert)
Il n’y a aucune marque laissée par un châssis antérieur. L’œuvre a donc dû rester peu de temps sur son châssis d’origine avant d’être montée sur celui-ci. Ainsi, il est possible d’émettre l’hypothèse que la réalisation du tableau a été mise en œuvre par l’artiste sur un premier châssis, dans l’optique d’intégrer l’œuvre dans une boiserie d’où le mode de fixation actuel par la face. 72
L’aspect décoratif de l’œuvre abonde dans ce sens. Il est donc possible que la première tension et la mise en œuvre de l’œuvre aient été réalisées sur un châssis provisoire comme un bâti de travail.
II.
Stratigraphie de la couche picturale
1. Encollage Il n’y a aucune indication visuelle permettant de distinguer la présence de couche d’encollage. De nombreuses lacunes de préparation laissent apparaitre le tissage de la toile dépourvue d’une substance pouvant être assimilée à la colle collagénique. Ce phénomène est présent sur toutes les zones lacunaires, ce n’est donc pas une perte d’encollage localisé.
Figure 69. Détails du support à travers des lacunes de couche picturale (à l’œil nu et x60)
Toutefois, la technique traditionnelle de la peinture, ainsi que l'époque et le style de l'oeuvre sont des indices concordants dans l'hypothèse de la présence d'une couche d’encollage.
2. Préparation La couche de préparation est visible à l’œil nu dans quelques lacunes de couche colorée et sur le bord de toile supérieur. Il s’agit d’une préparation fine et blanche, probablement de nature huileuse. Cette affirmation est possible car aucune réactivité et solubilisation n’ont été observées lors de l’immersion d’une écaille de couche picturale dans de l’eau déminéralisée113. L’hypothèse d’une préparation additionnée d’une charge à base de carbonates est fortement probable puisqu’une effervescence est constatée lors de l’immersion d’une écaille dans de l’acide chlorhydrique.
113
Voir annexe n°8, p.208.
73
Rares sont les lacunes de couche colorée laissant apercevoir la préparation. Les principaux témoins de cette strate se situent dans des zones lacunaires de la partie inférieure du tableau, et laissent apercevoir une couche pulvérulente114.
Figure 70. Détails de lacunes de couche colorée (dextre) et d’un bord de toile (supérieur) laissant apercevoir la préparation blanche
C’est dans le dernier quart du XVIIIème siècle que les préparations blanches réapparaissent dans le processus de création des peintures sur toile, en France et plus généralement en Europe115. Du XVIIème au début du XIXème siècle, les préparations sont réalisées à l’huile et plus généralement au blanc de plomb concernant le XIXème siècle116. Les caractéristiques de la préparation actuelle viennent confirmer l’hypothèse d’une création de l’œuvre dans la fin du XVIIIème - début XIXème siècle.
3. Couche colorée 3.1 Le liant Il s’agirait très probablement d’une peinture à l’huile. L’observation du comportement d’une écaille de couche colorée immergée dans l’eau a permis de soutenir cette hypothèse. Aucune réaction n’ayant pu être observée (gonflement, solubilisation, ramollissement), la matière picturale est donc probablement de nature lipidique. Il est probable que le liant utilisé soit une huile végétale siccative couramment conseillée dans les traités de peinture au XVIIIème siècle comme l’huile de lin.
114
Il s’agit toutefois de zones altérées, l’état de dégradation visible dans ces lacunes n’est probablement pas représentatif de l’état de l’ensemble de la couche de préparation. 115 LABREUCHE, Pascal, op. cit., p.51,57. 116 BERGEON-LANGLE, Ségolène, CURIE, Pierre, op. cit., p. 519.
74
3.2 La technique d’exécution La couche colorée est fine et épouse les reliefs du support textile. Cette impression de texture est caractéristique d’un état de surface révélant le tissage de la toile117. La trame du support, fine et relativement serrée, se dessine sur la couche picturale.
Figure 71. Vue de l'impression toile sur la couche picturale, lumière rasante
L’artiste n’a pas apporté la même attention selon les zones à représenter et a modulé sa touche en travaillant en demi-pâte. Ces légers empâtements sont fluides, c’est-à-dire réalisés avec une matière riche en liant118 et en rehauts afin de suggérer un modelé ou un effet lumineux119. Cela met en valeur certains éléments de la composition tel que la scène narrative au premier plan et le ciel nuageux (figure 72).
Figure 72. Détails des reliefs de la couche colorée
Une brosse souple d’environ 5 mm de large a laissé son empreinte dans la couche colorée lors de la réalisation des mouvements des nuages, tandis que les éléments narratifs nécessitant plus de précision, ont été réalisés avec des pinceaux fins. 117
Ibid., p. 756. Ibid., p. 772. 119 Ibid., p. 716. 118
75
Une sous-couche colorée est visible à l’œil nu sur la préparation. Cette strate est relativement fine et de couleur rose. Il s’agit d’un ton de fond c’est-à-dire une teinte opaque, non modulée, déposée uniformément sur la surface de la préparation120.
Figure 73. Vues de la sous-couche colorée, à l’œil nu
Cette strate joue un rôle esthétique puisqu’elle a des conséquences optiques sur la couche colorée. 3.3 L’étude des pigments La palette de l’artiste est riche et variée, dominée par des tonalités chaudes et douces. Les terres de la partie inférieure s’équilibrent avec les teintes fraîches et claires du ciel, créant un ensemble harmonieux et lumineux. Il est impossible de déterminer avec certitude la nature des pigments sans analyse chimique, des hypothèses seront donc émises en se basant sur l’époque de création de l’œuvre et les couleurs visibles. Terres Les terres ferrugineuses sont des pigments minéraux bruns caractérisés par une forte proportion d’oxydes de fer et parfois d’oxyde de manganèse121. Cette famille des terres comprend de nombreux pigments utilisés en peinture depuis la nuit des temps. Terres d’ombre : la terre d’ombre naturelle possède une teinte brune verdâtre, tandis que la terre d’ombre brûlée tire vers le rouge. Terre de Sienne : elle se compose essentiellement d’hydroxydes de fer, d’argiles et de petites quantités d’oxydes de manganèse122. D’un jaune-brun chaud quand elle est sous sa forme
120 121
Ibid., p. 736. PEREGO, François, op. cit., p.723.
76
naturelle, la terre de Sienne devient rouge orangé, « couleur de l’acajou »123, lorsqu’elle est calcinée. Ocres : il s’agit de terres argileuses colorées par de l’oxyde de fer124. Watin les définit comme étant « des terres mélangées, grasses, pesantes (…) dont l’intensité s’augmente par l’action du feu »125. Ainsi, c’est le chauffage de l’ocre jaune qui lui fait perdre son eau de constitution et la transforme en ocre rouge126. Les ocres jaunes et rouges sont les plus anciens pigments utilisés par l’homme127. Noirs Les noirs, en général, sont le résultat de la carbonisation de matières végétales et animales. Cette couleur est aussi obtenue par mélanges de pigments tels que la laque de garance (ou carmin) et le bleu de Prusse ou bleu d’outremer artificiel128. Les noirs à base de carbone sont les plus répandus et se divisent en deux groupes : les noirs de carbonisation (noir d’ivoire, noir de charbon végétal) et de combustion (noir de carbone) 129. Le noir de carbone donne un noir profond dont les nuances varient selon la finesse du broyage. Ainsi, plus les particules sont fines, plus le noir est bleuté130. Le noir d’ivoire est quant à lui très intense et transparent131. Blancs Dans cette composition, le blanc est beaucoup utilisé en mélange dans le ciel, l’eau et les éléments du paysage (le port, la montagne). Le blanc de plomb est un des premiers pigments artificiels, et règne en maître depuis l’Antiquité jusqu’au milieu du XIXème siècle132. À partir de 1840 apparaît le blanc de zinc, et le blanc de titane en 1918133 qui sera par la suite privilégié pour son meilleur pouvoir couvrant et son innocuité.
122
PETIT, Jean, ROIRE, Jacques, VALOT, Henri, des liants et des couleurs, Puteaux : EREC, 2006, p.234. PEREGO, François, op. cit., p.725. 124 Ibid., p.505. 125 WATIN, Jean-Félix, L'art du peintre, doreur, vernisseur et du fabricant de couleurs, Paris : Grangé, 1773, p.22. 126 PETIT, Jean, ROIRE, Jacques, VALOT, Henri, op. cit., p.232. 127 PEREGO, François, op. cit., p.506. 128 Ibid., p.498. 129 Ibid., p.492. 130 Ibid., p.495. 131 MÉRIMÉE, J.-F.-L., De la peinture à l’huile ou des procédés matériels employés dans ce genre de peinture depuis Hubert et Jean Van-Eyck jusqu’à nos jours, Paris : EREC, 2006, p.13. 132 Ibid., p.95. 133 KNUT, Nicolaus, op. cit., p.267. 123
77
Rouges Le cinabre : ce pigment minéral possède une couleur rouge vif opaque. Le vermillon de mercure en est sa forme synthétique et présente les mêmes caractéristiques optiques134. Jusqu’au XIXème siècle, le cinabre, le vermillon et les terres rouges font partie intégrante de la palette des artistes. Le rouge de cadmium est exclu car il n’est commercialisé que dans les années 1910135, bien postérieur à l’époque de création de l’oeuvre. Jaunes Le jaune de Naples : il s’agit d’un pigment inorganique de synthèse à base d’antimoniates de plomb. Il est probablement employé dans la peinture dès le XVIème siècle et domine vers la fin du XVIIIème siècle136. « Il sert pour les fonds chamois, les beaux jaunes imitant l’or (…) »137. Bleus Le bleu de Prusse : dès 1730, ce pigment de synthèse est largement répandu et son utilisation est croissante jusqu’en 1800. C’est seulement dans la deuxième moitié du XXème siècle qu’il est remplacé par les bleus de phtalocyanine de cuivre138. Le bleu de smalt sera largement utilisé au XVIIIème mais rapidement supplanté par le bleu de Prusse139, d’autant plus qu’il est instable à l’huile et possède un faible pouvoir colorant et couvrant140. L’indigo est un pigment organique d’origine végétal et synthétisé en 1870. La couleur varie d’un bleu vif à un violet-rouge141. Il connaît un regain d’intérêt au début du XVIIIème siècle, pour être évincé au XIXème siècle car on lui privilégie « des pigments plus vifs et plus solides. »142. L’utilisation de l’azurite quant à elle, décroit à partir de la deuxième moitié du XVIIème, et le bleu d’outremer artificiel fit son apparition dans la première moitié du XIXème siècle. Il relaye le bleu d’outremer naturel très coûteux.
134
PEREGO, François, op. cit., p.196-197. Ibid., p.642. 136 Ibid., p.420. 137 WATIN, Jean-Félix, op. cit., p.27. 138 PEREGO, François, op. cit., p.118. 139 Ibid., p.675. 140 BERGEON-LANGLE, Ségolène, CURIE, Pierre, op. cit. Tom 2, p. 904. 141 PEREGO, François, op. cit., p.399. 142 Ibidem. 135
78
Verts La terre verte est un pigment minéral avec plus ou moins de corps. Watin en indique deux sortes, la terre verte commune assez pâle et la terre verte de Vérone en Italie « […] d’un beau vert, ayant beaucoup plus de corps que la commune ; elle devient d’un vert foncé, broyée à l’huile ». Réputée pour ses transparences, il convient de l’employer en glacis. La malachite, utilisée en peinture de chevalet jusqu’à la fin du XVIIIème, se présente comme une poudre vert clair dont « la nuance peut aller de l‘émeraude clair au vert foncé presque noir »143. Le vert-de-gris, à base d’acétate de cuivre, est vert clair et assez vif. Selon Perego, on le mélangeait souvent au blanc de plomb pour une couleur opaque. Les verts sont aussi préparés par mélanges d’un jaune et d’un bleu.
4. Couches de vernis L’œuvre a subie plusieurs campagnes de restauration, les couches successives de vernis ne sont donc probablement pas originales. À l’œil nu, une nette démarcation correspondant aux marques d’un cadre se distingue sur la couche picturale. Cette démarcation fait le pourtour de l’œuvre sur 4,5 cm de largeur pour les côtés dextre, senestre et le bord inférieur, et 0,5 à 1 cm sur le bord supérieur.
Figure 74. Détails de la démarcation du cadre présumé
Cette démarcation crée deux zones hétérogènes. L’une possède un vernis très oxydé, brun et hétérogène. L’autre laisse apparaître une couche picturale saine et claire confirmant ainsi la protection de la couche picturale sur sa périphérie.
143
Ibid., p.465-466.
79
Une observation sous lumière ultraviolette a dévoilé une fluorescence jaune-verte suggérant une résine naturelle. Dès le XVIème siècle, on préparait les vernis en faisant dissoudre les résines naturelles connues de l’époque comme la sandaraque, la térébenthine de Venise, la résine mastic (résine par excellence pour les vernis et les médiums à l’époque144) dans les solvants dont on disposait, soit l’alcool, l’essence de térébenthine, l’huile d’aspic ou encore le naphte145. Au XVIIIème siècle, l’usage de la résine copal est bien établi, décrit par J. F. Watin en 1773 comme étant « la plus belle résine qui serve au Vernis »146. Ces vernis au copal sont toutefois connus pour leur irréversibilité et leur forte coloration147. Les couches de vernis actuelles ne semblent pas d’origine. Ainsi, la fluorescence constatée pourrait correspondre à un vernis dammar, résine naturelle qui apparaît au cours du XIXème siècle. Il s’agit de la résine la plus utilisée dans les arts de nos jours148. Cette fluorescence est très hétérogène, témoin de l’irrégularité du vernis. Elle est aussi discernable, bien que plus légère, sur la zone encadrée.
Figure 75. Détails de la démarcation à l’œil nu et sous lumière ultraviolette
144
PEREGO, François, op. cit., p.468. PETIT, Jean, ROIRE, Jacques, VALOT, Henri, op. cit., p.360. 146 PEREGO, François, op. cit., p.235. 147 Ibidem. 148 Ibid., p.255. 145
80
EXAMEN DÉTAILLÉ DES ALTÉRATIONS
1. Le châssis Le châssis présente un important encrassement. Cette crasse s’est accumulée sur les tranches supérieures de chacun des montants, supposant un stockage vertical dans des conditions de conservation non favorables. Le bois est aussi abimé par endroits. Un éclat de 6 cm se distingue au centre du montant supérieur et le coin inférieur senestre est délité sur 5 cm.
Figure 76. Détails du bois dégradé
Un ancien numéro d’inventaire 891-1-3652, est situé au dessus de l’actuel sur le montant inférieur à dextre.! Celui-ci a été partiellement effacé, engendrant une perte localisée de la teinture du châssis.
Figure 77. Vue de l'ancien numéro d'inventaire du musée Dobrée
Une quinzaine de trous d’envols circulaires de 2 mm de diamètre sont visibles sur chaque montant. Il se pourrait que le bois ait été endommagé par des vrillettes, insectes coléoptères qui s’extraient du substrat par un trou de 2 mm de diamètre149.
149
Figure 78. Détail de trous d'envol
BERGEON-LANGLE, Ségolène, CURIE, Pierre, op. cit., p. 1113.
81
La face du montant supérieur est visible puisque le châssis n’est pas aux dimensions de la toile. Cela permet de constater de fines marques rectilignes dans le bois, comme une lame de cutter ou de scalpel. Une marque se distingue tout particulièrement puisqu’elle suit toute la longueur de la toile, et ce, sur chaque montant.
Figure 79. Détails d’incisions dans le bois du châssis
L’hypothèse d’une seconde découpe après mise sur châssis est à considérer. 2. Le support textile 2.1 Encrassement Le support textile présente une importante couche de poussière et de crasse qui s’est déposée sur la couche d’enduit au revers.
Figure 80. Détail de l'encrassement du revers
2.2 Déformations du support Le support textile a subi des déformations dues à son mode de fixation. Le système de clouage ne permettant aucune tension de la toile, celle-ci s’affaisse lorsqu’elle est stockée à plat. Cet affaissement a pu être accentué par le poids de l’enduit ajouté au support textile et crée des déformations avec l’empreinte du châssis non chanfreiné sur la toile. Ces déformations sont principalement présentes sur les montants latéraux et la traverse.
82
Figure 81. Marques de châssis, montant inférieur dextre et traverse
La couture en surjet crée une déformation originale sur la face de l’œuvre ainsi qu’une boursouflure au revers. Cette surépaisseur de quelques millimètres est perceptible sur toute la longueur de la couture.
Figure 82. Détails de la boursouflure au revers et de la déformation sur la face
2.3 La couche d’enduit Quelques auréoles circulaires d’en moyenne 1,5 x 1 cm sont visibles sur la couche d’enduit et témoignent de la diffusion d’un corps150.
Figure 83. Détail des auréoles au revers
150
BERGEON LANGLE, Ségolène, CURIE, Pierre, op. cit., p. 1120.
83
Ces taches correspondent à des lacunes de couche picturale retouchées directement sur la toile. Il est probable que le liant utilisé lors de la retouche soit passé au travers de la stratigraphie jusqu’à marquer l’enduit. La présence de cet enduit probablement huileux au contact direct du support textile implique des dégradations. Les matériaux inhérents à la peinture sont généralement des matériaux organiques, naturellement sensibles aux réactions d’oxydation, d’hydrolyse et de photochimie151. Dans le cas présent, ce sont les réactions d’oxydation qui nous intéressent. L’oxydation des polymères entraîne des « combinaisons de segments de chaîne, des ramifications, mais aussi des coupures » 152 qui, à long terme, fragilisent le matériau et entraînent une acidification du milieu. Une toile de lin, principalement constituée de cellulose, est naturellement soumise à ce processus d’oxydation. L’altération du support textile peut être favorisée par le contact de certains matériaux qui vont participer à son acidification, comme l’huile de lin153. Le support textile devient donc cassant en perdant son élasticité et s’affaiblit.
3. La stratigraphie de la couche picturale 3.1 Préparation 3.1.1
Problèmes d’adhérence
Les lacunes de couche colorée dévoilent une préparation pulvérulente, c’est-à-dire poudreuse et peu adhésive à la toile.
Figure 84. Vues de la préparation pulvérulente
151
BERGEAUD, Claire, ROCHE, Alain, HULOT, Jean-François, La dégradation des peintures sur toile : Méthode d'examen des altérations, Paris : Ecole Nationale Du Patrimoine, 1997, p.29. 152 Ibidem. 153 Ibidem.
84
La trame de la toile, perceptible dans les zones lacunaires, présente des résidus de préparation friable, témoins de sa faiblesse cohésive. Il s’agit d’une des altérations majeures sur cette œuvre puisqu’elle témoigne d’un clivage entre le support et la préparation ayant des conséquences irréversibles sur la couche picturale. 3.2 Couche picturale 3.2.1
Lacunes
De nombreuses lacunes de matière picturale sont discernables, disséminées sur l’ensemble de la surface. Elles sont le témoin de pertes localisées et irréversibles de matière, concernant une ou plusieurs strates de la couche picturale. La couche picturale est particulièrement lacunaire dans la zone centrale de l’oeuvre. Cette zone de 10 cm de hauteur sur 66 cm de longueur est sollicitée par les frottements de la traverse, augmentant la fragilité de la toile et de la couche picturale. Cette fragilisation a engendré de nombreuses pertes de matières. Les papiers de protection posés sur la couche picturale rendent toutefois difficile la lecture des altérations, des lacunes de couche picturale semblent discernables.
Figure 85. Détails de lacunes de couche picturale
Des zones lacunaires se situent le long de la couture. Celles-ci sont de tailles variables allant de 2 à 7 cm de longueur.
Figure 86. Détails des lacunes au niveau de la couture (à l’œil nu et grossissement x60)
85
D’autres lacunes de couche picturale sont présentes dans le ciel, à senestre. Celles-ci, au nombre de six, sont petites et circulaires et mesurent en moyenne 2 x 2 cm.
Figure 87. Détails des lacunes de couche picturale
Ces lacunes sont dites « profondes » car elles dévoilent le support et affectent donc la préparation154. 3.2.2
Craquelures
Des réseaux de craquelures d’âge sont présents sur l’ensemble de la surface et sont les témoins du vieillissement naturel des matériaux constitutifs d’une peinture155. Les craquelures sont des ruptures de la matière picturale. Dans le cas présent, elles sont linéaires et forment un réseau aléatoire et multidirectionnel.
Figure 88. Détails des craquelures d'âge (à l’œil nu et grossissement x60)
Des craquelures de natures et de motifs différents se côtoient. La surface est principalement touchée par des craquelures dites mécaniques, liées principalement à la perte d’élasticité et de cohésion d’un film de peinture156. La formation de craquelures mécaniques est très souvent suivie d’une rupture adhésive, c’està-dire un clivage à l’interface entre la couche picturale et le support textile.
154
BERGEON-LANGLE, Ségolène, CURIE, Pierre, op. cit., p. 826-827. Ibid., p. 802. 156 ROCHE, Alain, op. cit., p. 141. 155
86
Cette rupture adhésive entraîne des soulèvements de la matière picturale et débute par les zones les plus fragiles, soit dans le cas présent la zone centrale qui subit les frottements répétés de la traverse. L’état de surface a donc perdu sa planéité et des pertes de matières irréversibles peuvent survenir à court terme. Les ruptures adhésives les plus inquiétantes sont localisées dans les zones correspondant aux montants du châssis et notamment la traverse (figure 89).
Figure 89. Détail des soulèvements sous lumière rasante - zone centrale
Toutefois, ces ruptures adhésives touchent toute la surface car des craquelures commencent à se soulever dans d’autres zones disséminées de la couche picturale (figure 90). .
Figure 90. Détails des craquelures en cours de soulèvement
Des craquelures en arc-de-cercle sont situées autour des clous qui maintiennent le support toile, sur la périphérie du tableau, principalement sur les bords dextre et senestre. Ces craquelures arquées sont très ouvertes (de 0,5 à 1 mm), puisque la toile est perceptible au travers de ces ruptures de matière picturale.
87
On les appelle des craquelures en feston puisqu’elles sont liées au clouage de la peinture et sont les témoins de surtensions provoquées lors de cette opération157.
Figure 91. Détail des craquelures en feston (à l’œil et grossissement x60)
3.2.3
Taches
Des taches ocre sont visibles à l’œil nu à travers les couches de vernis, et parsèment la couche picturale. Les taches se concentrent principalement dans les deux-tiers supérieurs de la composition, dont notamment le ciel. Cependant, l’épaisseur du vernis et sa coloration brune nous empêchent de bien comprendre leur nature. Il pourrait s’agir de résidus de vernis anciens. Leur nature sera déterminée lors de l’allègement du vernis et décrite dans le protocole d’intervention.
Figure 92. Détails des taches et des agglomérats sur la couche picturale
157
ROCHE, Alain, op. cit., p. 164.
88
Des agglomérats bruns se distinguent aussi dans la partie centrale (au niveau de l’horizon et près de la scène de pêche). Une observation sous loupe binoculaire (grossissement x8) et sous microscope (x60) a permis de mettre en évidence des boursouflures de la couche polychrome (figure 93). Il ne s’agit donc pas d’éléments extérieurs qui se seraient déposés sur la peinture mais d’éléments constitutifs à l’œuvre.
Figure 93. Détails des boursouflures
Leur nature nous est inconnue mais l’aspect brun viendrait de résidus de vernis agglomérés dans ces aspérités. Les quatre bords de la peinture présentent une surface saine et dépourvue de vernis brun, de taches ou agglomérats.
Figure 94. Détails des bords de la peinture sains – à l’œil nu et au compte-fil (x6)
89
3.3 Les couches de protection 3.3.1
Encrassement
Une importante couche de crasse s’est accumulée à la surface de l’œuvre vernie, formant un voile grisâtre et mat sur la couche picturale. Les saletés se sont incrustées dans les craquelures et les aspérités de la surface peinte et modifient les couleurs originales.
Figure 95. Encrassement de la couche picturale
3.3.2
Oxydation
Plusieurs couches de vernis ont probablement été déposées sur la couche picturale et sont hétérogènes et brillantes.
Figure 96. Détail du vernis hétérogène et brillant en microphotographie x60
La résine naturelle déposée sur la surface a vieilli et s’est oxydée du fait de son exposition à la lumière. La couche de vernis superficielle a pris une coloration disgracieuse brune ne permettant plus une bonne appréciation des couleurs originales du tableau.
90
Figure 97. Mise en évidence de la surface vernie oxydée
4. Anciennes restaurations 4.1 Le support 4.1.1
La pièce de renfort
Une pièce en toile de 26 x 17 cm est collée au revers de la toile originale. Elle sert à la consolidation locale du support textile et provient d’une ancienne restauration.
Figure 98. Vue de la pièce de consolidation au revers
91
Sa contexture est de 18 fils horizontaux pour 18 fils verticaux, la trame est donc bien plus serrée que celle de la toile d’origine. Elle présente une certaine rigidité qui a créé une légère déformation du support textile original. Cette rigidité est accentuée par l’enduit huileux, qui n’est pas présent sous la pièce de renfort. La pièce est très empoussiérée et des toiles d’araignées sont discernables sous le côté inférieur dextre qui se décolle. Un adhésif est visible à la loupe binoculaire à la surface du textile et entre les fils. Un gonflement et un ramollissement sont constatés lors de l’immersion d’un échantillon dans de l’eau déminéralisée158, indiquant la possibilité d’un adhésif collagénique. La pièce semble se décoller très facilement, témoin d’un adhésif de faible pouvoir collant.
Figure 99. Coin inférieur dextre de la pièce ; détail des résidus d’adhésif (x8)
4.1.2
Les mastics de consolidation
Une matière blanche a été déposée localement et en épaisseur sur le revers de la toile. La pose est grossière et inégale. Ce matériau vient consolider les zones du support fragilisées par le châssis.
Figure 100. Détails des empâtements blancs au revers 158
Voir annexe n°8.
92
Cette matière est poreuse et se désagrège facilement au scalpel. Une effervescence constatée lors de l’immersion d’un échantillon dans de l’acide chlorhydrique159 indique la présence de carbonates dans leur composition. Ces mastics de consolidation ont été déposés au dessus de la traverse, probablement pour protéger la toile de ses frottements. Les deux empâtements les plus importants mesurent 3 x 8 cm et 2,5 x 9 cm, tandis que les autres, de plus petites dimensions, mesurent en moyenne 1,5 x 1 cm. 4.2 La couche picturale 4.2.1
Les papiers de protection
Cinquante-et-un papiers de protection sont collés sur des zones de la couche picturale fragilisées, nécessitant une protection de surface provisoire. Ils sont les témoins d’une ancienne intervention sur l’œuvre et de l’instabilité de la stratigraphie peinte. Ces papiers sont de faible grammage avec des fibres alignées, caractéristiques du papier Bolloré®.
Figure 101. Vue générale de l’oeuvre et détail des papiers de protection
Il n’y a pas trace de colle, ni aucune coloration des papiers. Il s’agirait probablement d’un dérivé cellulosique transparent, facile d’utilisation tel que la méthylcellulose®. 159
Voir annexe n°8.
93
4.2.2
Les repeints
De nombreux repeints de mauvaise qualité sont visibles à l’œil nu dans les zones correspondant aux montants du châssis et de la traverse, à la pièce de renfort et aux lacunes de couche picturale laissant apparaître la trame de la toile. Il s’agit de repeints techniques, c’est-à-dire de matière picturale apportée après la création de l’œuvre afin de cacher des lacunes ou usures éventuelles160, témoignant ainsi d’une ancienne restauration. Ces repeints sont débordants car ils recouvrent la couche picturale saine et originale. Ils sont aussi discordants, c’est-à-dire que leur teinte a viré et ne correspond pas aux plages de couleurs adjacentes. En effet, les couleurs dénotent par rapport aux teintes originales.
Figure 102. Détails de repeints débordants sur la couche picturale originale (à l’œil nu et grossissement x60)
Un certain nombre de repeints sont effectués directement sur la toile d’origine. La matière picturale s’est donc imprégnée dans les interstices de la trame rendant leur retrait plus difficile.
160
BERGEON-LANGLE, Ségolène, CURIE, Pierre, op. cit., p 828.
94
Figure 103. Détails de repeints effectués directement sur la toile (à l’œil nu et x60)
Une observation sous lumière ultraviolette a mis en évidence les repeints malgré l’épaisseur des couches de vernis.
Figure 104. Détails des repeints observés sous lumière ultraviolette
Des amas de vernis sont visibles au microscope, témoin d’un vernissage après « retouche ». Ces interventions ont probablement été réalisées durant la même campagne de restauration.
Figure 105. Détail d’un repeint et mise en évidence des résidus de vernis (x60)
95
RELEVÉS DES ALTÉRATIONS
Figure 106. Relevé des altérations du support
Marques des montants du châssis Déformation liée à la couture Festons Déformation liée à la pièce de renfort
96
Figure 107. Relevé des altérations de la couche picturale
Taches : résidus d’ancien vernis oxydé Agglomérats : boursouflures de la matière picturale Repeints Zones fragilisées Lacunes de couche picturale
97
DIAGNOSTIC
Les études préalables ont permis de mieux comprendre l’état actuel de la peinture. Ces informations sont indispensables pour essayer de déterminer la nature et l’origine des processus de dégradation observés sur l’œuvre.
1. Altérations liées à la mise en œuvre Des dégradations apparaissent dès la conception d’une oeuvre. Ce sont des contraintes inhérentes à la mise en œuvre par l’artiste.
1.1 Un assemblage artisanal Le support est un assemblage de deux morceaux de toile de lin, de contexture relativement similaire et liés par une couture en surjet. Cette mise en œuvre impose une fragilité du support dès sa conception puisque la couture crée une zone de faiblesse en son sein. Cette zone est soumise à des contraintes et devient un point référentiel de départ d’une craquelure. Les craquelures disposées autour de la couture sont des craquelures d’âge liées à cette fragilisation du support. La couture modifie l’élasticité de la toile, la rendant moins souple puisqu’il y a une rupture dans sa continuité. Les tensions internes créées au niveau de cet élément original qui contraint le support sont d’ordre mécanique. Lors de la libération de ces contraintes, la couche picturale se rompt. Un réseau de craquelures va alors naître à partir de la couture et se diffuser. La couture en surjet est solide et le maintien de l’assemblage est satisfaisant. Cependant, une nette déformation se dessine à la fois sur la couche picturale et au revers du support. Cette déformation provient directement de la mise en œuvre de la couture, c’est une altération d’ordre physique, présente à l’origine.
1.2 Une préparation pulvérulente La préparation a la particularité d’être pulvérulente. Cet état poudreux est le signe d’une perte de cohésion entre le liant et la charge de la préparation. Celle-ci n’étant pas assez enrobée par le liant, le film devient friable. Il peut s’agir d’un manque de liant à l’origine et donc d’un problème lors de la mise en œuvre de la peinture par l’artiste, ou bien d’une perte de souplesse du liant qui perd ainsi ses qualités enrobantes161. Dans le cas présent, une fine couche d’encollage aurait été posée sur le support (cette strate est aujourd’hui absente). Ainsi lors de la pose de la préparation, une partie du liant a pu être absorbée par la toile, faute de couche intermédiaire. Cette absorption crée alors un appauvrissement en liant, entrainant un phénomène de pulvérulence. Celle-ci, appauvrie, va avoir plus de mal à suivre les mouvements du support ce qui engendre un problème d’adhérence de la préparation sur la toile.
1.3 L’impression toile L’empreinte de la trame de la toile se dessine sur la couche picturale. La finesse d’une préparation peu cohésive déposée sur une couche d’encollage quasiment inexistante et sur une toile relativement fine et ouverte participe à ce processus d’impression.
2. Altérations liées au vieillissement naturel Une peinture est un ensemble d’éléments hétérogènes, ayant chacun un comportement qui lui est propre. Le vieillissement est un processus naturel et irréversible qui touche toute la stratigraphie. Des éléments environnementaux vont interagir avec la matière, elle-même composée de polymères organiques sensibles à ces éléments et sujets au vieillissement.
161
BERGEON-LANGLE Ségolène, CURIE Pierre, op. cit., p.798.
99
La dégradation d’un polymère se distingue par la modification de ses propriétés physiques, mécaniques et optiques à travers des réactions chimiques. C’est le cas notamment du film de vernis qui s’oxyde suite à la présence de doubles liaisons réactives au sein des résines naturelles162. Elles s’acidifient et jaunissent, voire brunissent. Le film s’opacifie progressivement, dû à la formation de microfissures163. Les fibres de lin ont aussi subi une oxydation entraînant une perte d’élasticité du support. La couche picturale est sujette à la formation de craquelures. Ces craquelures sont inhérentes au vieillissement naturel de l’oeuvre, ce sont des craquelures dites « d’âge ». « La résistance de chaque constituant de la peinture est limitée. Elle est définie par la contrainte à la rupture » 164 .
C’est cette contrainte qui va provoquer la formation de
craquelures. Lors de la polymérisation du film de peinture, c’est-à-dire la formation d’un réseau tridimensionnel par oxydation, celui-ci perd en souplesse. Le support toile quant à lui est rythmé par des mouvements singuliers (retrait, dilatation). La couche picturale n’est pas assez souple pour suivre les mouvements du support. Des contraintes de cisaillement vont donc apparaître à l’interface support/couche picturale. La rupture est le seul moyen pour la couche picturale de se libérer de ces forces.
3. Altérations liées aux conditions de manutention, de stockage et aux anciennes campagnes de restauration
3.1 Un mode de fixation dommageable Le mode de fixation de l’œuvre sur son châssis est hasardeux. Le clouage de la toile par la face affaiblit le support, dénué de tension. Cette perte de tension de la toile a créé des forces internes inégales, notamment au niveau des semences. Ces forces ont provoqué des contraintes et des ruptures de la couche picturale. En effet, les bords de toile présentent des craquelures dites « arquées »165. Ce clouage entraîne la formation d’un réseau de craquelures en feston. Elles sont liées à une surtension lors de la fixation de l’oeuvre. 162
PEREGO François, op. cit., p. 634. Ibidem. 164 ROCHE Alain, op. cit., p.130. 163
100
Les lacunes de couche picturale sont principalement situées au centre de l’œuvre. Cette zone est victime des frottements mécaniques de la traverse contre la toile. Cette fragilisation du support engendre des contraintes sur la couche picturale qui entrainent un affaiblissement ainsi qu’une rupture cohésive. Ainsi soumise aux contraintes mécaniques de la traverse, celle-ci s’est rompue provoquant des pertes de matières irréversibles. 3.2 Un traitement inapproprié Certaines dégradations du châssis sont les témoins d’une mauvaise manutention de l’œuvre. Le bois éclaté, délité et la présence de chocs, confirment une manipulation peu délicate du tableau. Les témoins d’anciennes restaurations contribuent aussi à la dégradation de l’œuvre au travers d’une perte d’harmonie et de lecture. L’aspect original de l’œuvre en est modifié. Les repeints présents sur la couche picturale provoquent des discordances au niveau esthétique. Leur exécution directement au sein de la toile, sans protection intermédiaire, favorise la modification de la structure interne de la peinture. Leur débordement sur la couche picturale saine entraîne aussi des tensions locales. L’encrassement est un processus de dégradation lié à de multiples facteurs. Dans le cas présent, la couche de crasse est prononcée et relativement épaisse. Elle est due à des conditions de stockage peu adéquates.
4. Altérations liées aux causes environnementales Les éléments environnementaux jouent un rôle important dans le processus de dégradation des oeuvres. Les trous d’envol sont les témoins d’une dégradation biologique qui dépend des conditions climatiques et environnementales166. Ils indiquent l’extraction de l’insecte du substrat, participant à la fragilisation des matières organiques présentes au sein d’une oeuvre peinte.
165 166
Ibid., p.164. BERGEON LANGLE Ségolène, CURIE Pierre, op. cit., p. 1112.
101
Ainsi, le processus de dégradation est en constante évolution. Les matériaux constitutifs de l’œuvre vont être continuellement soumis à un vieillissement naturel ainsi qu’à des contraintes mécaniques. La nécessité d’une réflexion sur le devenir de ces dégradations est primordiale dans le but de stabiliser et d’anticiper ces phénomènes. À court terme, le montage non adapté de l’œuvre va engendrer d’autres pertes de matières irréversibles, tandis que la mise en œuvre originale met en péril la pérennité de l’œuvre.
PROTOCOLE DE RESTAURATION
L’examen des matériaux constitutifs de l’œuvre et de ses altérations, ainsi que la détermination des causes des altérations a dévoilé un état de dégradation particulièrement avancé. Cela nous a aussi permis de comprendre les spécificités inhérentes à la mise en œuvre du tableau et ainsi, pouvoir adapter un traitement adéquat en fonction de ses sensibilités.
I.
Nécessité et niveau d’intervention
Dans le cas présent, l’esthétique de l’oeuvre est remise en question à travers un important encrassement, un vernis oxydé et hétérogène et de nombreux repeints qui viennent perturber la vision du lecteur et dénaturent l’aspect original de l’œuvre. Les lacunes de couche picturale accentuent ces phénomènes. Il est donc nécessaire d’intervenir afin de rétablir la lisibilité compromise de l’œuvre, ainsi que son harmonie et son homogénéité, dans le but de pouvoir l’exposer à nouveau au sein du musée Dobrée. Les dégradations du support liées au montage, et le manque de cohésion au sein de la stratigraphie participent aussi à la fragilisation et l’instabilité de l’œuvre. Une restauration paraît nécessaire afin de rétablir une cohérence structurelle et esthétique au sein de l’œuvre.
102
Il est primordial d’avoir une réflexion sur le niveau d’intervention à adopter afin d’établir un traitement le plus adapté aux besoins et aux exigences de l’œuvre. La notion de réversibilité est essentielle dans tout traitement de restauration, mais difficile à mettre en pratique. La suppression des crasses, des couches de vernis ou bien d’anciennes restaurations sont des suppressions définitives mais nécessaires. Il en est de même pour l’apport de matériaux de consolidation, irréversible mais indispensable pour la pérennité de l’œuvre. Une attention particulière sera portée sur la notion de stabilité des produits et matériaux utilisés lors de la restauration.
II.
Cahier des charges
L’élaboration du cahier des charges se fait de manière progressive. Au fil de la restauration viennent s’ajouter de nouvelles problématiques et des questionnements face au traitement précédemment élaboré. Chaque choix d’intervention doit être réfléchi et répondre aux exigences et aux sensibilités de l’œuvre. 1. Les contraintes liées à l’oeuvre La principale contrainte de cette œuvre est la couche d’enduit présente au dos de la toile. Cette strate empêche l’accessibilité du revers ce qui engendre une difficulté lors de l’établissement du protocole de restauration. La question de sa suppression s’est posée. La couche d’enduit dispose d’une adhérence à la toile satisfaisante. Elle est le témoin d’une précédente intervention sur l’œuvre, probablement dans une volonté de stabilisation du support. Toutefois, cette strate est totalement hétérogène dans son épaisseur et son comportement167. Cette couche participe donc à la complexification de la stratigraphie générale. Son retrait semble nécessaire afin de retrouver un accès du revers et faciliter l’introduction de consolidant dans la stratigraphie dans l’optique d’un rétablissement de la cohésion.
167
Voir annexe n°8.
103
De plus, cela tendra vers une homogénéité du revers. Il convient également de mentionner que l’oeuvre a déjà été restaurée à plusieurs reprises. Les différents matériaux apportés au sein de la stratigraphie (repeints, pièce de renfort) ont modifié sa structure d’origine et imposent des contraintes mécaniques au support ainsi qu’à la couche picturale. La suppression de ces précédentes interventions est donc nécessaire afin de rétablir une homogénéité au sein de l’œuvre.
2. Protocole d’interventions
2.1 Protection et purification de la couche picturale
2.1.1
Refixages locaux provisoires
Avant tout traitement, il est nécessaire de rétablir provisoirement une stabilité au sein de la couche picturale afin d’effectuer son nettoyage sans encombre. Des refixages locaux seront effectués par la face sur des zones présentant des risques de soulèvement à court terme. Un adhésif aqueux collagénique sera privilégié comme une colle de poisson présentant une souplesse, une bonne adhésivité et une pénétration satisfaisante. Les refixages seront principalement effectués au niveau des papiers de protection, il est donc nécessaire d’avoir une bonne pénétration capillaire afin que l’adhésif traverse le papier.
2.1.2
Nettoyage de la couche picturale168
La purification de la couche picturale est une étape essentielle du traitement visant à rétablir une homogénéité et une clarté. Cela comprend un décrassage, un allègement des couches de vernis et une suppression des repeints. 168
Voir le protocole de nettoyage p.113.
104
La suppression des papiers de protection sera effectuée au préalable afin de réaliser un nettoyage homogène. L’important encrassement vient modifier la structure interne de la peinture en perturbant la stabilité physico-chimique de la couche picturale. Ces substances principalement organiques retiennent l’humidité et peuvent favoriser le développement de microorganismes. Le premier travail qui s’impose à nous est d’effectuer le retrait de cette crasse. Cette suppression permet d’assainir la couche picturale et influence l’efficacité des traitements ultérieurs. Si cette étape est négligée, cela entraînerait le maintien des crasses au sein de la stratigraphie et rendrait leur suppression d’autant plus difficile par la suite. La couche picturale ne présentant aucune sensibilité à l’eau, il n’y a pas de problématique particulière concernant cette étape. L’opération qui s’effectue après le décrassage est l’allègement des couches de vernis et la suppression des repeints. La difficulté de la suppression de ces repeints réside dans leur exécution directement sur la toile et leur nature huileuse. Enfin, le retrait des couches de vernis a pour but de retrouver une harmonie et une homogénéité au sein de l’œuvre. Cela impose une éventuelle fragilisation de l’ensemble de la stratigraphie à travers l’emploi de mélange de solvants forts. C’est pourquoi notre geste sera mesuré afin de respecter la sensibilité de la couche picturale.
2.1.3
Pose d’une protection de surface
L’œuvre doit être démontée de son châssis. Cette dépose va soulager la toile des frottements de la traverse et de son montage hasardeux. Ce démontage s’avère problématique car les clous sont présents sur la face de la couche picturale et sont solidement et profondément enfoncés. C’est pourquoi la pose d’une protection de surface est nécessaire avant le démontage. Elle va permettre de protéger la couche picturale en évitant toute pertes de matières ou aggravation des altérations.
105
Un papier Bolloré® au grammage fin (12 g/m2) permettra de maintenir la couche picturale dans le plan tout en exerçant une pression modérée. Le Bolloré® présente une certaine solidité à l’humidité qui le rend très pratique lors de la pose, c’est pourquoi une colle de pâte diluée sera privilégiée.
2.2 Rétablissement de la continuité et de la planéité du support Une chronologie rigoureuse est indispensable s’agissant des traitements structurels. Dans une optique de rétablissement de la cohésion de la stratigraphie, il est essentiel de retrouver au préalable une planéité du support.
2.2.1
Dépose de la toile, retrait de la pièce de renfort et des mastics
Une fois la protection posée, la dépose de la toile sera minutieusement réalisée. L’œuvre sera retournée pour pouvoir supprimer la pièce de consolidation et les mastics présents au revers, car ces éléments contraignants empêcheront une mise à plat satisfaisante de la peinture. Des lacunes de couche picturale coïncident avec l’emplacement de la pièce de renfort mais aucune indication visuelle ne nous permet d’affirmer la présence de déchirures ou de lacunes de toile. Le traitement sera donc à adapter en fonction de l’état du support sous la pièce de consolidation. Il n’y a pas de difficulté spécifique à cette opération puisque les études préalables169 ont démontré que la pièce pouvait être aisément supprimée par action mécanique en raison du faible pouvoir collant de son adhésif.
2.2.2
Cartonnage
L’œuvre libérée de son châssis, un cartonnage permettra un maintien et une mise à plat de l’œuvre en résorbant les déformations initiales.
169
Voir annexe n°8.
106
Le montage va exercer une traction et une pression sur le tableau grâce au papier et aux tirants en papier journal qui vont se dilater à l’humidité et se rétracter au séchage. Le support toile présentant des déformations légères, un cartonnage léger, donc moins contraignant, sera privilégié. Après séchage, nous procéderons à son retournement afin d’avoir accès au revers.
2.2.3
Retrait de l’enduit et incrustations
Le travail au revers consistera principalement au retrait de la couche d’enduit. Cette opération implique des pressions sur la toile d’où la réalisation du cartonnage au préalable qui va maintenir l’œuvre. Des tests seront réalisés afin de trouver la méthode de suppression la plus adéquate. Une fois l’homogénéité du revers retrouvée, le rétablissement de la continuité pourra être entrepris. Des incrustations de toile seront peut-être nécessaires et devront présenter une contexture similaire à la toile d’origine pour s’intégrer au mieux dans le tissage original et créer le moins de contraintes mécaniques. Les trous de clous liés au montage de l’œuvre seront aussi incrustés pour rétablir cette unité dans le support. Un adhésif synthétique souple présentant un bon pouvoir collant, une transparence au séchage et une stabilité sera privilégié, comme le Plextol® B500.
2.3 Rétablissement de la cohésion de la stratigraphie Il est indispensable de consolider intégralement la stratigraphie puisqu’elle présente des clivages et donc une perte de cohésion. L’introduction d’adhésifs de consolidation est beaucoup plus efficace et homogène par la voie la plus perméable, c’est-à-dire le revers. La stratigraphie, simplifiée par le retrait de l’enduit, deviendrait suffisamment poreuse pour envisager le passage des adhésifs par le revers.
107
Cette étape est réalisée dans une démarche de stabilisation et de rétablissement de l’adhérence des différentes interfaces de la stratigraphie. Cela permettrait aussi de diminuer la réactivité de la toile en la stabilisant, et de la protéger de l’humidité. L’adhésif de consolidation devra donc avoir une pénétration capillaire satisfaisante afin de circuler au sein de toutes les strates et une bonne adhésivité. Dans cette optique de stabilisation, un adhésif synthétique sera privilégié. 2.4 Consolidation du support ? L’état de la toile semble être satisfaisant dans son rôle de support de la peinture. Une consolidation générale du support n’est pas envisagée au vu de son état actuel. Les informations apportées lors de la dépose de l’œuvre, du retrait de la pièce de renfort et de l’enduit seront précieuses pour déterminer la suite du traitement. Toutefois, la présence d’une couture fragilise le support et augmente les risques de dégradations de l’oeuvre. Une consolidation locale de cet élément original serait à envisager. 2.5 Harmonisation de la couche picturale Le premier nettoyage est réalisé dans la limite de ce que peut supporter l’œuvre non refixée. C’est pourquoi, une fois la stabilité de la stratigraphie retrouvée, il sera possible d’harmoniser l’aspect général de la couche picturale en supprimant les taches et les résidus d’anciens vernis. 2.6 Remise en tension de l’œuvre Le châssis actuel ne sera pas conservé car il n’est pas aux dimensions de l’œuvre. Ses montants ne sont donc pas adaptés pour accueillir la toile et il n’est pas de bonne facture. L’œuvre sera remontée sur un nouveau châssis en croix adapté, chanfreiné et à clefs, pour pouvoir réguler la tension de la toile. Un bordage, avec du papier kraft encollé à la colle de pâte, sera effectué afin d’homogénéiser la tension. Cette reprise de tension sera obligatoirement réalisée directement après le remontage de l’œuvre, afin d’être efficace.
108
2.7 Rétablissement de la lisibilité de l’œuvre Les opérations de restauration de la couche picturale sont les dernières interventions sur l’œuvre et s’articulent autour des trois étapes suivantes : -
Le comblement des lacunes
-
La réintégration colorée
-
La pose des couches de vernis
Le comblement des lacunes de couche picturale permet une remise à niveau de la surface et doit se limiter strictement au contour de la lacune. Les mastics sont structurés afin de recréer l’aspect et le relief de la couche picturale originale, intégrant ainsi les lacunes à l’ensemble de la composition. Le matériau de comblement doit être assez souple pour suivre les mouvements du support, facile à structurer et réversible, ce qui sera obtenu avec un mastic traditionnel à base de colle de peau à 10% et de carbonate de calcium. Le travail de réintégration picturale permet de rétablir une harmonie et une cohérence au sein de la couche picturale. La dimension esthétique de l’œuvre est ainsi rétablie. L’état de conservation de la couche picturale impose l’établissement d’un protocole de retouche suivant une logique particulière. Dans un premier temps, les usures seront fermées et les lacunes de moindres importances réintégrées de manière illusionniste, afin de rétablir une image générale cohérente. Cette étape permettra d’avoir une meilleure lecture des zones colorées adjacentes, ce qui aidera à la réintégration des lacunes de plus grandes dimensions. Une réintégration de type illusionniste a été choisie au vu de la fonction décorative de l’œuvre. Une fois que la surface aura retrouvé une certaine homogénéité, un recul sera nécessaire pour traiter les taches. Ces taches sont présentes sur une majeure partie de la surface et ont un impact visuel important car elles attirent le regard et viennent gêner la vision générale de l’œuvre. 109
Elles font toutefois parties intégrantes de l’histoire de cette œuvre et toutes les masquer reviendrait à retoucher une majorité de la surface qui présente encore de la matière originale. « […] On falsifie l’histoire en privant pour ainsi dire de leur ancienneté les témoignages historiques, c’est-à-dire en contraignant la matière à retrouver une fraîcheur, une coupe nette, une évidence telle qu’elle contredit l’ancienneté qu’elle atteste. »170 Notre travail ne doit pas consister à remettre à neuf cette peinture en masquant les traces du temps, ni toutefois la laisser dans une lisibilité gênante lui faisant perdre ainsi sa fonction décorative. L’objectif est donc de faire en sorte que leur présence devienne secondaire, que les taches s’intègrent à l’image générale, devenant ainsi invisible à la distance où l’œuvre est observée mais perceptible une fois que l’on se rapproche. On rétablit ainsi une unité au sein de l’œuvre sans dissimuler les traces de son histoire. Pour cela, les taches les plus gênantes seront atténuées par repiquage, cassant ainsi la teinte ocre. Cela permettra d’obtenir une retouche légère, qui joue sur un jeu optique et non une retouche couvrante. Le liant de retouche doit présenter des caractéristiques de stabilité et de réversibilité. Il est aussi sélectionné en fonction de la résine utilisée pour le vernissage. En effet, afin d’éviter une solubilisation de la retouche lors du passage du vernis final, il est nécessaire de choisir un liant de retouche dont l’aire de solubilité ne se confonde pas avec celle du vernis. La retouche sera réalisée aux pigments secs liés dans le liant G. Berger et dilués dans un mélange à proportion égale de diacétone alcool et d’éthanol. Le liant de retouche Berger est un acétate de polyvinyle (PVA) qui présente une réversibilité satisfaisante dans les alcools171.
170 171
Ibid., p.58. BERGER, Gustav, Inpainting using PVA medium, IIC Brussels Congress, 1990, p. 150-155.
110
Plusieurs films de vernis sont posés au cours du traitement de restauration de la couche picturale. Un premier vernissage est réalisé avant la pose des mastics afin d’isoler la couche picturale. Cela permet aussi une saturation des couleurs et de nourrir la couche picturale suite au traitement de nettoyage. Une résine Dammar offrira une saturation optimale et un rendu esthétique satisfaisant. Plusieurs tests, à différents pourcentages, ont été effectués afin de se rapprocher de l’aspect souhaité, en voulant notamment éviter une surface trop brillante. Le vernis sera préparé à 20% dans du White-Spirit afin d’avoir une absorption de la couche polychrome maîtrisée. Celui-ci sera bien travaillé au spalter pour obtenir un rendu satiné. Un vernissage intermédiaire est essentiel afin d’isoler les mastics de la réintégration picturale et d’en diminuer leur porosité. Celui-ci sera réalisé selon la même mise en œuvre que le premier vernissage. Le vernissage final doit remplir une fonction aussi bien esthétique que protectrice. Le vernis protège la couche colorée des éléments extérieurs (la lumière, les polluants atmosphériques, les dégradations mécaniques causées lors de manutention) mais il met aussi en valeur la couche polychrome. Dans la mesure du possible, le film de vernis doit être transparent, incolore et réversible. Un vernissage final au Laropal®A81 sera réalisé dans cette volonté protectrice puisque cette résine urée-aldéhyde de faible poids moléculaire est susceptible de filtrer les rayonnements UV. Le vernis sera réalisé par pulvérisation pour homogénéiser les zones de matité et de brillance suite au traitement de réintégration colorée, et limiter la pénétration du vernis en appliquant une couche plus fine.
111
III. Proposition de traitement Les interventions de restauration doivent répondre à plusieurs objectifs : -
La purification de la couche picturale
-
Le rétablissement de la planéité
-
Le rétablissement de la cohésion de la stratigraphie
-
Le rétablissement de la lisibilité et de l’harmonie de l’oeuvre
La proposition de traitement suivante reprend la chronologie d’intervention énoncée précédemment : !
Refixages locaux par la face
!
Suppression des papiers de protection
!
Décrassage de la couche picturale
!
Allègement du vernis et suppression des repeints
!
Pose d’une protection de surface
!
Dépose de la toile
!
Retrait de la pièce de renfort et des mastics
!
Dépoussiérage superficiel du revers et traitement antifongique
!
Cartonnage léger
!
Retrait de la couche d’enduit au revers
!
Incrustations
!
Consolidation générale de la stratigraphie
!
Délitage du cartonnage
!
Harmonisation du nettoyage
!
Remise en tension sur un nouveau châssis
!
Bordage provisoire
!
Premier vernissage
!
Masticage traditionnel
!
Vernissage intermédiaire
!
Réintégration picturale
!
Vernissage final
!
Bordage final
112
PROTOCOLE DE NETTOYAGE
Le protocole de nettoyage est primordial afin d’établir la méthode de nettoyage la plus efficace et adaptée à la sensibilité de la peinture. L’assainissement de la couche picturale est une étape essentielle du traitement et comprend la suppression des crasses, l’allègement des couches de vernis et la suppression des repeints. Les examens ultérieurs ont mis en évidence une importante couche de crasse accumulée à la surface de l’œuvre, ainsi que des taches hétérogènes perturbant l’harmonie de la couche picturale. Les couches de vernis ont subi un important phénomène d’oxydation entraînant une coloration brune qui dénature la teinte de la couche polychrome originale. Finalement, de nombreux repeints débordants et discordants viennent gêner la visibilité et exercent des tensions locales. Ce protocole de nettoyage sera donc réalisé dans une optique de rétablissement d’une harmonie colorée et d’une homogénéité de la surface de l’œuvre. L’élaboration de tests avec plusieurs solvants à différentes concentrations est nécessaire afin d’évaluer l’efficacité des produits et de préserver la peinture d’une solution trop corrosive. Cette étape de nettoyage n’est pas anodine car elle peut avoir des conséquences néfastes au sein de la stratigraphie. Le choix des solvants se fera donc avec prudence et réflexion.
1. Décrassage Une attention particulière doit être portée sur l’action mécanique du coton sur la surface. Les frottements répétés peuvent être dangereux pour la couche picturale et entraîner une fragilisation voire des pertes de matière. Il est aussi important de vérifier s’il n’y a aucune extraction de pigment sur le coton. Des fenêtres ont été ouvertes en périphérie de l’œuvre sur différentes teintes et plusieurs solutions ont été testées à l’aide d’un bâtonnet ouaté.
113
Les tests ont débuté par des solvants aqueux traditionnels comme l’eau déminéralisée froide, chaude ainsi que la salive. Il s’est avéré que l’eau déminéralisée avait une action relativement efficace sur la crasse, d’autant plus lorsqu’elle est préalablement chauffée. La salive, quant à elle, demande une action mécanique importante et la crasse n’est que partiellement supprimée. Ces solvants aqueux n’ayant qu’une efficacité partielle sur la crasse, les tests ont donc été approfondis pour trouver une solution plus efficace. Eau déminéralisée froide
Eau dém. chaude Salive
Le coton est gris, effet sur la crasse notable mais il reste des résidus. Aucune extraction de pigments.
Idem.
Action mécanique du coton importante. Allègement très partiel de la crasse.
Deux tests aux solutions tamponnées ont été réalisés. Cette méthode aqueuse permet d’avoir une valeur du pH maintenue constante, la solution de nettoyage possède donc un pH stabilisé. Les solutions tamponnées sont obtenues par un mélange d’acides et de bases, ajustés pour atteindre le pH souhaité. La surface encrassée a tendance à être acide172, elle peut donc réagir avec des bases. Les solutions tamponnées testées dans le cas présent sont obtenues par le mélange d’une base faible, le triéthanolamine (TEA), et d’un acide fort, l’acide chlorhydrique (HCL), dans de l’eau déminéralisée. L’intervalle de sécurité pour le décrassage des couches picturales huileuses se situe entre un pH à 5,5 et 8,5173. Cremonesi élargit un peu cet intervalle pour un pH entre 5 et 9174.
172
Un test de mesure du pH a été effectué sur la surface encrassée à l’aide d’un pH-mètre. Bien que cette mesure soit empirique, elle permet d’avoir une idée générale de l’acidité de la surface. Il s’est avéré que le pH de la surface encrassée était de 6,2, soit légèrement acide. 173 WOLBERS, Richard, Le nettoyage des surfaces peintes. Méthodes aqueuses., Paris : Eyrolles, 2013, p.35 174 CREMONESI, Paolo, L'uso di tensioattivi e chelanti nella pulitura di opere policrome, Italie : Il Prato, 2003, p. 96.
114
Une solution au pH 6,5175 a été testée dans un premier temps. Il s’est avéré que son effet sur la crasse était relativement satisfaisant. Il n’y a aucune extraction de pigments mais des résidus de crasse sont encore présents sur la surface. Une solution tamponnée au pH de 7,5 n’a révélé aucune différence d’efficacité.
pH
Surface avant et après décrassage Microphotographie (x60)
pH 6,5
Bonne action sur la crasse, mais il reste quelques résidus. Pas d’extraction de pigments.
pH 7,5
Efficacité équivalente à la solution taponnée au pH 6,5.
Ensuite, une série de tests au citrate d’ammonium tribasique (TAC) a été réalisée, avec un rinçage à l’eau déminéralisée. Les résultats ont été très concluants avec une solution à 1% puisque le voile grisâtre et mat créé par l’accumulation de crasse a disparu. La crasse est éliminée avec efficacité et facilité, et les frottements du coton sur la couche picturale sont réduits. Les résultats étant identiques avec le citrate d’ammonium tribasique à 2%, il est donc préférable de privilégier une solution à plus faible concentration afin d’éviter un apport non utile de composés chimiques actifs. 175
100 ml d’eau désionisée + 0,8 g de TEA et l’ajout de HCL jusqu’à l’obtention d’un pH à 6,5.
115
Surface avant et après décrassage Microphotographie (x60)
Citrate d’ammonium tribasique 1%
Action satisfaisante sur la crasse. Demande une faible action mécanique du coton. Aucune extraction de pigments.
Finalement, le mélange de citrate d’ammonium tribasique à 1% et de solution tamponnée au pH 6,5 a été testé afin de comparer son efficacité et son degré d’action mécanique par rapport au citrate d’ammonium tribasique seul. Il s’est avéré que ce mélange demandait moins de frottements sur la couche picturale pour une efficacité identique, c’est pourquoi cette solution a été retenue pour le décrassage de l’oeuvre. Surface avant et après décrassage Microphotographie (x60)
Solution tamponnée pH 6,5 + TAC à 1% (50/50)
Suppression totale de la crasse. Le voile grisâtre a disparu. Demande le moins d’action mécanique sur la surface. Pas d’extraction de pigments.
2. Allègement des couches de vernis L’objectif de ces tests d’allègement est de trouver une solution qui va solubiliser la résine du vernis.
116
Les solvants retenus pour l’allègement de vernis sont généralement bien plus forts et nocifs que les solutions de décrassage. Il s’agit généralement d’un mélange de deux solvants : un solvant actif sur la résine et un autre qui va diminuer l’action du premier solvant. Le premier test sera l’observation sous loupe binoculaire du comportement du vernis sous l’action d’une goutte d’éthanol, d’acétone et de cyclohexane pour nous donner une direction de recherche et avoir une idée de l’aire de solubilisation de la résine. Le cyclohexane fait partie de la famille des hydrocarbures aliphatiques. Il est moins toxique que la ligroïne qui contient un nombre certain d’hydrocarbures aromatiques. La goutte d’acétone se diffuse immédiatement et la résine est solubilisée instantanément car la surface devient brillante et poisseuse dans les quelques secondes suivant la pose. Un important blanchiment est constaté après quelques minutes. La goutte d’éthanol se diffuse elle-aussi immédiatement. La résine est solubilisée au bout d’une minute, soit un peu plus lentement que l’acétone. L’action est donc plus contrôlée. Un léger blanchiment est aussi constaté au bout de quelques minutes. La goutte de cyclohexane est absorbée instantanément. La solubilisation de la résine est infime, la surface devient très légèrement poisseuse. Le mélange d’une goutte d’éthanol et de cyclohexane a montré une solubilisation de la résine plus lente et contrôlée qu’avec l’acétone, c’est pourquoi les tests ont débutés par ces mélanges de solvants. Les tests ont débuté dans deux zones différentes car les couches de vernis sont très hétérogènes. La zone du ciel, très oxydée et présentant des agglomérats et des taches ocre, et la partie basse, dominée principalement par des terres, est moins touchée par ce phénomène d’oxydation.
117
Solvants
Surface après allègement de vernis Microphotographie (x60)
CE1 Cyclohexane 90% Ethanol 10% Évaporation très rapide. Légère coloration du coton, mais nécessite une action mécanique importante. D’importants résidus subsistent. Quelques blanchiments.
CE2 Cyclohexane 80% Ethanol 20% Évaporation très rapide. Coton légèrement coloré mais la surface est encore très brune. Peu efficace. Présence de blanchiments.
Les tests n’étant pas concluants et l’évaporation rapide de l’éthanol provoquant d’importants blanchiments sur la couche picturale, il a été décidé d’échanger l’éthanol par l’isopropanol et l’acétone par la méthyléthylcétone qui ont tous deux une évaporation plus lente, ce qui diminuerait l’apparition de blanchiments
118
Surface après allègement de vernis Microphotographie (x60)
Solvants CI1 Cyclohexane 90% Isopropanol 10%
Évaporation plus lente. Coton sans couleur. Pas de changement à l’oeil nu.
CI2176 Cyclohexane 80% Isopropanol 20%
Coton légèrement coloré, de nombreux résidus subsistent. Peu efficace. Action mécanique importante. Pas de blanchiment.
% % % %
%
Cyclohexane 80% méthyléthylcétone 20%% % % % % %
! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! !
Coton non coloré. Pas d’efficacité notable. Pas de blanchiment.!
%
!
Il s’est avéré que les blanchiments étaient effectivement réduits, voire supprimés, mais l’efficacité sur la solubilisation du vernis en est fortement diminuée. Les résultats ne sont pas concluants puisque la résine ne se solubilise pas ou superficiellement. Aussi, une série de tests acétone-éthanol à différentes concentrations ont été effectués, en liquide mais aussi en gel afin de contrôler la pénétration des solvants et surtout leur évaporation. 176
Mêmes résultats avec CI3, CI5.
119
Lorsque l’acétone est dominant (75/25), les blanchiments sont présents sur les terres, le jaune, le rouge et le blanc. Que cela soit en liquide ou en gel, lorsque les deux solvants sont en concentration équilibrée (50/50), les blanchiments sont superficiels177 et se concentrent principalement sur les terres et le blanc. Les mêmes tests ont été effectués sur la zone du ciel où aucun blanchiment n’est constaté.
Solvants
Surface avant/après allègement de vernis Microphotographie (x60)
Liquide Acétone Éthanol (50/50)
Évaporation relativement rapide. Solubilisation de la résine, le coton est coloré. Le vernis est allégé et les couleurs retrouvent une teinte homogène et éclaircie. De légers blanchiments sont présents.
Ces tests ont révélé une relative efficacité. Sous forme liquide, l’évaporation est relativement rapide mais la résine a le temps de se solubiliser. Le vernis est allégé et non supprimé. Un gel d’acétone-éthanol à 50/50178 a ensuite été testé. La suppression du gel se fait premièrement à sec à l’aide d’un coton puis la surface est rincée avec une solution acétone-white-spirit (50/50). Une fois le gel retiré, la surface est éclaircie mais des résidus de vernis sont encore présents dans les aspérités de la couche picturale.
177
Un test au Regalrez à 15% a été réalisé au pinceau et les blanchiments ont disparu, la couche picturale est régénérée. 178 100 ml de solvant, 20 ml d’Ethomeen® C25, 2 g de Carbopol® Ultrez 21, 10 à 15 ml d’H2O.
120
Solvants
Surface après allègement de vernis Microphotographie (x60)
Gel Acétone Éthanol (50/50) Évaporation contrôlée. Le vernis est allégé mais de manière hétérogène. Des résidus subsistent dans les aspérités de la couche picturale.
Le mélange acétone-éthanol (50 : 50) sous sa forme liquide sera donc retenu pour les zones où le vernis est relativement homogène et peu épais, soit la partie basse du tableau. Ces mêmes tests ont été effectués dans une seconde fenêtre présente dans le ciel car cette surface est très hétérogène. La solution liquide permet un allègement du vernis satisfaisant dans les bleus de la partie dextre, la surface retrouve une clarté et une homogénéité. Cette solution est toutefois inefficace dans d’autres zones. La solution en gel est hétérogène et n’est pas satisfaisante.
121
Solvants
Surface après allègement de vernis
Acétone Éthanol (50/50)
Gel
Liquide
Ciel bleu Partie dextre
Aucune extraction de pigments. Gel : résidus encore très présents dans les aspérités. Hétérogène. Liquide : surface homogène, éclaircie. Satisfaisant.
Liquide Acétone Éthanol (50/50) Ciel Partie senestre Coton coloré mais la surface est toujours brune avec un vernis en épaisseur.
Liquide Acétone Éthanol (50/50)
Rose Partie centrale Taches ocre
Surface allégée. Aucun effet sur les taches.
Une autre solution doit être testée dans ces zones du ciel au comportement hétérogène.
122
Le diagramme de TEAS renseigne sur les aires de solubilités des principaux polymères et les propriétés des solvants. Il nous permet de créer des mélanges de solvants en jouant sur leurs paramètres de solubilité, résultant de plusieurs interactions liées aux forces intermoléculaires. Ces interactions sont de trois types : les forces de dispersion de Van der Waals fd (forces de London), la liaison hydrogène fh, la polarité fp. À chaque solvant est associé un point sur le diagramme, défini à partir de ces trois valeurs fd, fp et fh. Le diagramme de TEAS se présente sous la forme d’un triangle qui va donc nous permettre de trouver un mélange de solvants plus fort, se rapprochant des propriétés de solubilité du mélange acétone – éthanol à 50 : 50, mélange qui s’est révélé relativement efficace. Acétone-Éthanol179 (50/50) fd = 41,5
fp = 25 fh = 33,5
Figure 108. Triangle de solubilité
En se basant sur la liste de Masschelein Kleiner, deux mélanges ont été retenus. 179
Croix rouge sur le diagramme.
123
Les mélanges MK10 et MK11 à 50/50 sont ceux qui correspondent à l’élimination d’un vernis résineux en couches épaisses et se rapprochent des paramètres de solubilité de l’acétone et de l’éthanol en mélange. MK10 Acétate d’éthyle – Méthyléthylcétone : fd = 52 MK11 Isopropanol – Méthylisobutylcétone180 : fd = 49
fp = 22 fp = 19
fh = 26 fh = 32
Ces deux mélanges ont d’abord été testés sous forme liquide. Il s’est avéré que le mélange MK10 avait une faible efficacité sur la résine qui se solubilise superficiellement. Le coton est coloré mais la surface reste brune et hétérogène. Le mélange MK11 a donné des résultats plus satisfaisants. Après le passage du coton, la surface est allégée de manière significative. Le coton est coloré, sans extraction de pigments. Solvants
Surface après allègement de vernis Microphotographie (x60)
MK10 Liquide Acétate d’éthyle Méthyléthylcétone (50/50) Ciel Partie senestre
Évaporation relativement rapide. Le coton est coloré, pas d’extraction de pigments. Surface très légèrement allégée. Peu satisfaisant.
MK11 Liquide Isopropanol Méthylisobutylcétone (50/50) Ciel Partie dextre
Evaporation plus contrôlée. Le coton est coloré sans extraction de pigments. La résine est solubilisée et la surface allégée de manière significative. Résidus visibles à l’œil nu. Satisfaisant.
La solution a ensuite été testée en gel afin d’avoir un contrôle sur la pénétration, l’évaporation et le temps de pose. 180
Croix verte sur le diagramme.
124
Jusqu’à présent, le gel de MK11 est la solution qui présente le plus d’efficacité sur le vernis oxydé. La surface est allégée progressivement et les couleurs retrouvent une certaine clarté. Il reste tout de même des résidus de vernis dans les aspérités de la couche picturale. L’épaisseur et l’hétérogénéité de ce vernis sont telles que l’allègement du vernis devra se faire en deux temps. Un premier allègement sera effectué afin de supprimer la majeure partie du vernis oxydé et retrouver ainsi une surface éclaircie. Une fois la couche picturale consolidée, nous reviendrons sur les zones où les résidus de vernis sont récalcitrants. Solvants
Surface pendant et après allègement de vernis
MK11 Gel181 Isopropanol Méthylisobutylcétone (50/50) Ciel Partie senestre Vernis très oxydé
Le coton est coloré sans extraction de pigments. Il reste des résidus et des taches dans les aspérités mais la surface est allégée progressivement et de manière significative.
Gel Isopropanol Méthylisobutylcétone (50/50) Rose Partie centrale Taches ocre Idem. Les taches persistent malgré un apport mécanique au scalpel.
L’allègement des couches de vernis a mis plus clairement en évidence les taches ocre hétérogènes disséminées sur la surface.
181
Le gel MK11 est rincé avec une solution acétone-éthanol (50/50).
125
RAPPORT D’INTERVENTION
1. Refixages locaux provisoires Les refixages locaux ont été effectués à l’aide d’une colle de poisson à 3% dans de l’eau déminéralisée. L’adhésif a été appliqué au pinceau à travers chaque papier de protection ainsi qu’au contact direct de la couche picturale instable. Le passage d’une spatule chauffante (50-60°C) a ensuite permis de bien faire pénétrer la colle. Un papier Melinex® est posé en intermédiaire pour que la spatule chaude ne soit pas en contact direct avec la couche picturale.
Figure 109. Détails en cours de refixage
2. Suppression des papiers de protection Après séchage, les papiers ont été retirés afin de retrouver une visibilité de la surface et pouvoir réaliser un nettoyage homogène. Les papiers ont été humidifiés pour les détendre, puis enlevés à l’aide d’une spatule italienne.
Figure 110. Suppression des papiers de protection
126
3. Purification de la couche picturale
3.1 Décrassage La suppression de la crasse a été effectuée avec un mélange de citrate d’ammonium tribasique dilué à 1% dans de l’eau déminéralisée et de solution tamponnée au pH 6,5, à l’aide d’un bâtonnet ouaté. La surface a ensuite été rincée à l’eau déminéralisée. Le décrassage se fait par mouvements circulaires pour obtenir un résultat le plus homogène possible et vérifier s’il y a transfert de pigments sur le coton. Le tableau est en position verticale pour une meilleure vision de la surface en cours de décrassage.
Figure 111. Oeuvre en cours de décrassage
3.2 Allègement des couches de vernis Les couches de vernis sont oxydées et très hétérogènes. Elles ne sont pas originales, il a donc été décidé de les supprimer. Leur suppression a été effectuée progressivement pour ne pas mettre à nu la couche picturale lors des opérations ultérieures. Un allègement a été réalisé dans un premier temps pour supprimer une épaisseur non négligeable de vernis et purifier la couche picturale avant les interventions du support. Il est judicieux d’éliminer le plus de vernis et d’impuretés possible avant l’apport de consolidant afin de ne pas fixer ces éléments au sein de la stratigraphie.
127
Les tests ont mis en évidence l’efficacité du gel de méthylisobutylcétone - isopropanol 50/50 avec un rinçage acétone - éthanol. Ce mélange a permis de solubiliser la résine du vernis sans affecter la couche polychrome sous-jacente.
Figure 112. Surface en cours d'allègement de vernis
La surface est considérablement allégée, bien qu’une fluorescente verdâtre soit encore présente sous lumière ultraviolette. Les nombreuses taches et agglomérats bruns n’ont pas pu être retirés lors du premier allègement.
Figure 113. Mise en évidence des taches après allègement
128
3.3 Suppression des repeints La majorité des repeints ont été supprimés durant l’allègement de vernis avec le gel méthylisobutylcétone - isopropanol. Des résidus de repeints ont ensuite été retirés en combinant l’action du solvant avec une action mécanique au scalpel.
Figure 114. Détails avant/après suppression des repeints
Les repeints débordants ont pu être supprimés dans leur totalité contrairement aux repeints réalisés directement au contact de la toile dont le retrait était difficile. Un allègement a été réalisé jusqu’à pouvoir retrouver la trame de la toile.
Figure 115. Détails de l’allègement des repeints présents au sein de la toile
129
Figure 116. Avant-après purification de la couche picturale
L’allègement du vernis et la suppression des repeints a permis de rendre plus lisible l’état de surface de la couche picturale originale et a mis en évidence des éléments intéressants. Tout d’abord, une incrustation de toile (de 2,8 x 0,5 cm) est visible dans la zone inférieure dextre, correspondant à la pièce de renfort au revers. Elle est discernable à travers une non continuité du tissage, beaucoup plus serrée que la trame originale. Ensuite, la suppression des repeints dans la zone centrale de la traverse a mis en évidence une surface totalement saine. Aucune altération visuelle n’est perceptible, la couche polychrome est dépourvue de toute tache. Cette observation peut aussi se faire dans la zone correspondant à la pièce de renfort où un rectangle de couche picturale saine se distingue nettement. Ces deux zones ont un point commun : elles ne sont pas enduites au revers, tout comme les quatre bords de l’œuvre protégés par le châssis. Un lien direct entre la présence de l’enduit huileux et des taches sur la surface picturale peut être ainsi établi. Les résidus de repeints, les taches et les résidus d’ancien vernis seront supprimés une fois la couche picturale consolidée afin de ne pas la fragiliser avec l’apport de nouveaux solvants.
130
4. Pose d’une protection de surface Une protection au papier Bolloré® fin (12 g/m2) a été posée sur la surface à l’aide d’une colle de pâte diluée et d’un spalter. La colle a été appliquée au centre du papier dans le sens des fibres, afin d’éviter la formation de plis, puis vers l’extérieur.
Figure 117. Pose de la protection de surface
Cette pose de protection de surface a permis de reprendre l’affaissement situé au niveau de la pièce de consolidation dans la zone inférieure dextre et de résorber, en partie, les déformations liées à la traverse.
Figure 118. Détails de l’œuvre après séchage de la protection
5. Dépose de la toile Une fois la couche picturale protégée, la dépose de la toile peut être effectuée en minimisant les risques de pertes de matières. Les clous ont été détourés à l’aide d’une spatule italienne. La tête de clou ainsi mise en évidence est plus facilement saisissable à l’aide d’une pince fine. Le clou a été enlevé progressivement en faisant bouger la tête jusqu’à la libérer du bois. Une spatule à enduire, apposée contre le clou, a permis d’atténuer les pressions sur la surface.
131
Figure 119. En cours de dépose
Douze clous, de 2,5 cm en moyenne, ont pu être ôtés de cette façon. Les autres étaient trop oxydés et se délitaient. Une découpe au plus proche de la tête de clou a donc été obligatoire. Ces trous de clouage varient en moyenne de 0,3 à 0,5 cm de diamètre.
Figure 120. Œuvre vue de face après dépose sur un fond en contreplaqué et un Melinex®
Figure 121. Vue du revers de l'oeuvre déposée du châssis
6. Retrait de la pièce de renfort et des mastics La toile libérée a pu être retournée afin d’observer pour la première fois le revers non enduit. La surface protégée par le papier a été posée sur un film de Melinex®. La dépose a permis une observation de la toile nue et de nouveaux éléments ont été mis en évidence. Une autre couture perpendiculaire à celle principale se situe dans le coin inférieur senestre. Il s’agit aussi d’une couture en point de surjet de 7 cm de hauteur.
132
Figure 121. Détail de la couture verticale
Ainsi le support textile n’est pas composé de deux mais de trois lés : le grand lé principal mesurant 92 x 79 cm et les deux lés de la partie basse de 7,5 x 69 cm et 7 x 10 cm.
7 cm
10 cm
Figure 122. Détails de l'assemblage textile - angle inférieur senestre
Comme il n’est pas possible de prélever des fils de ce lé de toile sous peine de compromettre le tissage, la détermination du sens chaine et du sens trame ne peut être réalisée. Le nouveau lé présente tout de même un nombre de fils au cm2 relativement similaire aux deux autres, de 10 fils horizontaux et 10 verticaux. Dissimulé sous le montant du châssis dans ce même angle inférieur senestre, trois lacunes de toile de petites dimensions (en moyenne de 0,5 x 1 cm), sont discernables.
Figure 123. Détail des lacunes de toile - angle inférieur senestre
133
La pièce de renfort a été retirée à la main sans difficulté. Son retrait a révélé une surface irrégulière due à la présence de résidus de colle et de microorganismes (sous la forme de taches noires) ainsi que l’ancienne incrustation de toile oxydée déjà mentionnée, devenue très brune.
Figure 124. Avant/après retrait de la pièce de renfort, détails (incrustation, microorganismes)
Un dépoussiérage a été effectué à l’aide d’une brosse dure sous aspiration afin de ne pas faire voler les spores. La surface contaminée a ensuite été traitée avec une solution alcoolique d’éconazole182 par pulvérisation. Les mastics en surépaisseur ont été arasés au scalpel pour ne pas contrarier la mise à plat du support lors du cartonnage. Une suppression totale sera effectuée après la réalisation du cartonnage qui permettra un bon maintien du support toile.
Figure 125. Arasement des mastics 182
Solution alcoolique prête à l’emploi à 0,2% de nitrate d’éconazole. Informations tirées de la fiche technique du produit.
134
7. Cartonnage Pour la mise sous cartonnage, l’œuvre a été déposée sur un fond plan en contreplaqué recouvert d’un Melinex® aux dimensions de l’oeuvre, la face siliconée positionnée contre la toile pour que celle-ci n’adhère pas au fond lors de la pose de la colle. Des tirants en papier journal ont été disposés sous le Melinex® sur le pourtour de l’œuvre. L’œuvre, protégée par le papier Bolloré®, a été relaxée en vaporisant de l’eau à la surface puis la mise sous cartonnage a été réalisée avec un non-tissé moyen (35g/m2) et une colle de pâte diluée, posée à l’aide d’un spalter.
Figure 126. Mise sous cartonnage
Le cartonnage a permis de résorber les déformations initiales. Le support est ainsi maintenu dans de bonnes conditions pour pouvoir travailler au revers en minimisant ses mouvements. 8. Retrait de la couche d’enduit Une fois le cartonnage sec, l’œuvre a été libérée en glissant une spatule sous les tirants, permettant ainsi de retourner l’ensemble. Les bords ont ensuite été maintenus à l’aide de bandes de papier kraft. Le support étant maintenu plan, le retrait de l’enduit a pu être effectué. Des tests aqueux ont été réalisés à l’aide d’un gel de méthylcellulose et un gel de citrate d’ammonium tribasique à 0,5 et 1%. La couche d’enduit étant assez épaisse par endroits, l’usage de gel aqueux seul nécessitait plusieurs passages et ainsi un apport d’eau conséquent. 135
Ces tests ont donc été associés à un grattage à la spatule italienne : le retrait de l’enduit était manifeste mais le dégagement mécanique associé à l’apport d’eau fragilisait les fibres. C’est pourquoi une suppression mécanique à la spatule seule a été privilégiée, offrant un résultat plus homogène et satisfaisant pour l’intégrité du support textile, mais aussi d’un point de vue esthétique.
Figure 127. Détails du retrait de l'enduit à la spatule et vue en cours d’intervention
L ‘enduit imprégnant les fibres textiles, son retrait total n’est donc pas possible. L’objectif de cette opération est d’égaliser le revers, retrouver une surface la plus homogène possible pour que le consolidant puisse passer au travers de la toile lors du rétablissement de la cohésion de la stratigraphie. Lors de cette intervention, les mastics blancs ont aussi été supprimés délicatement au scalpel.
Figure 129. Vues avant, en cours et après suppression de l'enduit
Une fois le retrait à la spatule effectué, l’ensemble du revers a été nettoyé à l’aide d’une gomme en poudre afin de supprimer les résidus poudreux.
136
Figure 128. Détail de la suppression mécanique des mastics ; surface après suppression ; détail du nettoyage du revers à la gomme en poudre
9. Nettoyage sous la pièce de renfort De nombreux résidus d’adhésif et de crasse étaient encore présents sous la pièce de renfort. Un nettoyage de la surface a donc été réalisé avec un gel de méthylcellulose associé à une suppression mécanique à la spatule.
Figure 130. Vues avant-après nettoyage sous la pièce ; détail
Dans cette volonté d’assainissement du revers, l’ancienne incrustation de toile oxydée a été retirée au scalpel.
Figure 131. Suppression de l’incrustation et mise en évidence de la lacune de toile
137
10. Rétablissement de la continuité du support Les lacunes des semences ont été mastiquées afin de remettre à niveau la couche picturale, puis des comblements à l’aide de fibres de toile et de Plextol B500® ont été réalisés.
Figure 132. Détails des incrustations des lacunes de semences
Les quatre lacunes ont été incrustées avec une toile de lin se rapprochant le plus de la finesse et de la contexture de la toile originale. La toile d’incrustation a été préalablement décatie deux fois, pour la stabiliser en la rendant moins sensible aux variations hygrométriques et de supprimer les apprêts. Un papier Melinex® a été déposé sur les lacunes pour pouvoir en prendre l’empreinte à l’aide d’un stylo fin permanent. Le Melinex® est ensuite déposé sur la toile d’incrustation préalablement mastiquée183, puis les lacunes sont circonscrites au scalpel. Une fois les incrustations réalisées, les bords sont collés au Plextol B500® épaissi au Xylène. L’adhésif est ensuite réactivé à l’aide d’une spatule chauffante.
Figure 133. Détails des incrustations de toile
183
Mastic traditionnel à la colle de peau à 10% et blanc de Meudon.
138
11. Rétablissement de la cohésion de la stratigraphie 11.1
L’imprégnation des bords de l’œuvre
Avant de mettre le tableau en extension pour réaliser les imprégnations du revers, les bords de l’œuvre ont été imprégnés au préalable pour une consolidation homogène de l’ensemble de la stratigraphie. En effet, les bords étant ensuite recouverts par les bandes de tension pour la mise en extension, ceux-ci ne pourront plus être imprégnés postérieurement. Deux imprégnations184 de Plexisol® P550185 à 5% puis deux à 10% ont été réalisées afin de saturer progressivement la toile de consolidants, avec un temps d’évaporation de 24 heures minimum entre chaque imprégnation.
Figure 134. Vue des bords imprégnés
11.2
Pose des bandes de tension
Après séchage, les bandes de tension provisoires ont été posées sur les bords de l’oeuvre. Le choix d’un intissé moyen (35g/m2) a été retenu afin d’avoir des bandes plus faibles mécaniquement que l’œuvre originale. Cela minimise ainsi les risques de rupture de la toile originale durant la mise en extension de l’œuvre, qui nécessite une traction périphérique relativement contraignante.
184
Toutes les opérations d’imprégnations ainsi que la pose des bandes de tension ont été réalisées avec le masque à solvants. 185 Dilué dans un mélange acétone – white-spirit (30/70).
139
Une couche d’intervention en non-tissé fin (12 g/m2 ) a été posée préalablement au Plextol® B500 épaissi, jouant le rôle d’intermédiaire pour faciliter la réversibilité des bandes de tension. Celles-ci ont ensuite été posées au pinceau selon le même procédé, avec un retrait de 5 mm par rapport à la couche d’intervention (figure 135).
Figure 135. Détails et vue générale du revers après la pose des bandes de tension
12. Mise en extension sur bâti et imprégnations générales du support Une fois l’adhésif sec, l’œuvre a été tendue sur un bâti rigide Staro® offrant un maintien périmétrique et permettant de réguler la tension. Les bandes de tension ont été agrafées sur les bords du bâti au travers d’un carton à anglaiser de 2 mm d’épaisseur et les agrafes ont été posées en biais de manière régulière (figure 136) pour une tension uniforme. Les angles du bâti ont ensuite été ouverts progressivement et de manière homogène en réalisant le même nombre de tour de clef pour chaque angle. L’ouverture des angles permet la tension de l’œuvre. Celle-ci a ensuite été placée face vers le bas et légèrement surélevée pour favoriser l’évaporation des solvants.
Figure 136. Oeuvre en extension avant les imprégnations ; détail de l’agrafage
140
Les imprégnations ont été réalisées selon la même mise en oeuvre : deux imprégnations de Plexisol® P550 à 5% puis deux à 10% avec un temps d’évaporation de minimum 24h entre chaque imprégnation.
Figure 137. Détails en cours d'imprégnations
13. Consolidation de la stratigraphie Une fois la surface sèche, le revers de l’œuvre a été placé sur une table basse pression. Une toile de Tergal® et une couche de non-tissé moyen servent d’intermédiaire. Elles séparent l’œuvre de la table aspirante et permettent de ne pas marquer le support textile. Des Melinex® ont été disposés sur les non-tissés, excepté sous l’œuvre car cette fenêtre permet de localiser l’aspiration seulement sur cette zone. Enfin, une bâche transparente a été posée sur l’ensemble.
Figure 138. Vue de l'oeuvre en cours de consolidation sur la table basse pression
La table basse pression a ensuite été mise en route et ajustée à une température entre 75 et 80°C pour une pression de 100 hPa.
141
Une fois la température atteinte186, celle-ci est éteinte, la ventilation est activée et la pression augmentée jusqu’au maximum, soit 180 hPa. Lorsque la température de la surface atteint 25-30°C, l’aspiration est progressivement diminuée jusqu’à son arrêt. 14. Pontages et pose de pièces de consolidation Suite aux imprégnations du support, la stratigraphie semble avoir été consolidée de manière satisfaisante. Le support textile est quant à lui stabilisé et nourri. Il ne nécessite donc pas un renforcement structurel généralisé. Ainsi, afin de consolider les incrustations de toile réalisées au préalable, des pontages ont été effectués. Il s’agit de poser des fils perpendiculaires à l’incrustation afin de bien maintenir ses bords en place.
Figure 139. Détail du pontage
Les pontages ont été réalisés à l’aide de fils d’Origam® encollés au Plextol® B500 épaissi au Xylène. L’Origam® est une toile synthétique très fine, résistante et stable aux variations hygrométriques. Elle présente l’avantage d’avoir des fils transparents qui sont donc très peu visibles au revers du support textile. Les fils ont été posés parallèle les uns aux autres et distancés de quelques millimètres. L’adhésif a ensuite été réactivé à la spatule chauffante au travers d’un Melinex®. Ensuite, deux pièces de consolidation en Origam® ont été posées au pinceau avec le même adhésif sur les incrustations, en faisant attention de défibrer chacun des quatre bords afin d’éviter l’empreinte de la pièce sur le support textile.
186
Plusieurs thermomètres sont posés sur différentes zones de l’œuvre afin de contrôler la température tout au long de l’opération.
142
La pièce de renfort, située dans le coin inférieur senestre, a été réalisée de manière à ce qu’elle recouvre une partie de la couture permettant de la consolider par la même occasion.
Figure 140. Vues des pièces de consolidation
15. Délitage du cartonnage et du papier de protection Une fois les pièces de renfort posées, le délitage des différents papiers posés sur la couche picturale au cours du traitement a été réalisé. Les papiers ont été enlevés couche par couche pour ne pas contraindre la couche picturale. Le délitage a débuté par le non-tissé 35 g/m2. La surface a bien été humidifiée à l’éponge, puis une incision superficielle a permis de retirer progressivement le papier du centre vers l’extérieur. Le papier Bolloré® a ensuite été retiré de la même manière.
Figure 141. Détails du délitage du non-tissé, puis du papier Bolloré® (d.)
Une fois les papiers retirés, la surface a été nettoyée au coton avec de l’eau déminéralisée afin de supprimer les résidus de colle de pâte sur la surface.
143
16. Harmonisation du nettoyage Le délitage des papiers a permis d’avoir de nouveau accès à la couche picturale et de constater l’efficacité de la consolidation de la stratigraphie. Le nettoyage, qui avait été suspendu sous peine de compromettre l’intégrité de la couche picturale, peut maintenant être harmonisé. Rappelons que des taches hétérogènes parsemaient la couche polychrome, ainsi que des résidus non identifiés. Des vues en macrophotographie (x200) ont permis de mieux comprendre les différentes altérations optiques qui touchent la couche picturale. Cela a pu mettre en évidence trois éléments hétérogènes qui viennent perturber la lisibilité de l’œuvre. Premièrement des taches rougeâtres semblent être présentes au sein même de la peinture et créent comme des boursouflures de la couche picturale originale (figure 142).
Figure 142. Détails en macrophotographie des taches rougeâtres
Deuxièmement, des résidus de vernis ancien et oxydé sont visibles à l’œil nu et sous lumière ultraviolette. Leur fluorescence jaune-vert indique qu’il s’agirait d’une résine naturelle et leur insolubilité révèle leur dureté. Ces résidus contiennent probablement une certaine proportion d’huile siccative, une pratique courante au XVIIIème siècle. Par exemple, les peintres avaient l’habitude d’ajouter à la résine dammar de l’huile de lin pour la rendre plus souple et résistante187.
187
WOLBERS, Richard, op. cit., p.55.
144
Figure 143. Détails en macrophotographie des résidus de vernis (lumière du jour, lumière ultraviolette)
Finalement, des tâches de couleur brune sont agglomérées au niveau des repeints qui masquaient la couche picturale originale. Ne constatant pas de fluorescence sous lumière ultraviolette, ces taches pourraient résulter d’une réaction chimique d’oxydation liée à la présence de ces repeints de nature huileuse.
Figure 144. Détails des taches brunes sous les repeints huileux
Les taches rougeâtres font maintenant parties intégrantes de l’œuvre. Elles sont intimement liées à la couche picturale et tenter de les enlever solubiliserait la couche picturale originale. Les résidus de vernis sont quant à eux sus-jacents. Nous tenterons donc de les supprimer. Nous essayerons aussi d‘alléger ces traces d’oxydation qui marquent la couche picturale originale. Les tests ont été entrepris une fois la stratigraphie consolidée et l’œuvre libérée du cartonnage. Après avoir subi des traitements structurels induisant de l’humidité et de la chaleur, le comportement de ces éléments hétérogènes aurait pu être modifié. Les tests précédents ont donc été entrepris de nouveau. Ainsi, des mélanges de solvants polaires ont été effectués, dont notamment des mélanges cétone/alcool, sans résultat. 145
Les tests ont continué en se basant sur la liste de la liste de Masschelein Kleiner à partir des mélanges pour l’élimination d’un vernis résineux. Les mélanges isooctane-isopropanol (50/50), toluène-isopropanol (50/50), et isooctane-éther-éthanol (55/15/30) n’ont présenté aucun effet, tout comme les mélanges MK10 et MK11 déjà testés lors de l’allègement du vernis. Le mélange toluène – diméthylformamide (50/50) s’est aussi montré inefficace. Ces résidus de vernis semblent être d’origine, leur vieillissement induit donc une oxydation très avancée et un retrait complexe. Même des mélanges de solvants très polaires, comme ceux contenant de la DMF, n’ont pas réussi à solubiliser la résine. Un savon de résine abiétate de triéthanolamine a ensuite été mis en œuvre selon la recette de Richard Wolbers188. 2g d’acide abiétique ont été dissous dans 100ml d’eau désionisée, en ajoutant rapidement 5ml de triéthanolamine en mélangeant continuellement. Après une minute d’agitation, le mélange est filtré afin d’en éliminer les résidus non dissous. La solution a ensuite été équilibrée à un pH de 8,5 par ajout au compte-goutte d’acide chlorhydrique dilué. Cette recette a été testée en gel (comme préconisé par Wolbers) et sous sa forme liquide. Pour réaliser le gel, de l’hydroxypropylméthylcellulose est ajouté à la solution, puis le mélange est remué jusqu’à l’obtention d’un gel jaune clair. Le gel a été appliqué sur la surface picturale à l’aide d’un pinceau souple en poil de martre et retiré quelques secondes après avec un bâtonnet de coton sec. La surface est ensuite nettoyée à l’eau déminéralisée et une fois sèche la zone traitée est rincée au white-spirit. Le savon de résine à l’acide abiétique est l’unique mélange ayant présenté une relative efficacité. La méthode en gel présentait moins d’efficacité que la solution liquide. Cette dernière a donc été privilégiée, ne montrant aucun signe d’abrasion et de perte de couleurs.
188
WOLBERS, Richard, op. cit., p.
146
Le nettoyage a permis d’alléger la surface de ces éléments sus-jacents gênants.
Figure 145. Détails de la surface avant/après utilisation du savon de résine
Néanmoins, cet allègement est partiel et hétérogène puisque des taches ocre sont encore présentes. Certains résidus de vernis n’ont montré aucun gonflement ou solubilisation. Les taches sont notamment très visibles dans les zones qui présentaient des repeints huileux (figure 146).
Figure 146. Détails des taches situées au niveau des anciens repeints
De nouveaux tests ont été entrepris afin d’essayer de supprimer les résidus de vernis récalcitrants. Un autre savon de résine à l’acide désoxycolique a ensuite été testé, (toujours réalisé selon la recette de Wolbers), sans succès. Un second test avec le mélange toluène – diméthylformamide (25/75) a été réalisé sans aucun résultat. Plusieurs tests de solvants purs ont été effectués pour observer le comportement de ces résidus et pouvoir ajuster des mélanges de solvants.
147
Le N-Méthyl-2-pyrrolidone, l’alcool benzylique ou encore la méthyléthylcétone n’ont eu aucun effet. Une série de gel a ensuite été entreprise : " Gel de Pemuleen® au pH 8, avec ajout de 1,5% d’alcool benzylique et un rinçage acétone-white spirit (30/70). Ce mélange a créé l’apparition de chancis superficiels et une sensibilisation de la couche picturale. " Gel acétone (200ml) – alcool benzylique - eau déminéralisée (25 ml), réalisé à l’aide de Carbopol® Ultrez 21 (2g), et d’Ethomeen® C25 (10,32g). " Gel de xylène (67ml) et d’alcool benzylique (33ml) avec une faible proportion d’eau déminéralisée (1,9 ml) réalisé à l’aide de Carbopol® (2g), et d’Ethomeen® C12 (7,63g). " Même gel aux proportions différentes : 92ml de xylène et 8ml d’alcool benzylique. Ces gels n’ont pas pu solubiliser les résidus d’anciens vernis. Les mélanges de solvants isopropanol (98) – ammoniaque (2), et acétone-eau (50/50) + quelques gouttes d’ammoniaque n’ont présenté aucune efficacité non plus. Nous avons finalement eu recours aux enzymes. Des enzymes de lipase ont été privilégiées car elles sont réputées pour solubiliser les cires, les résines synthétiques et huiles siccatives189. Le mélange se présente sous la forme d’une poudre déshydratée de couleur blanche. Dans un premier temps, il a été testé sous forme liquide car le gel peut réduire sa mobilité et donc être moins efficace. L’enzyme est dissoute dans de l’eau déminéralisée durant 15 à 30 minutes, puis la solution est chauffée doucement au bain-marie, car cela peut améliorer son efficacité. Lorsque la solution enzymatique est exposée à plus de 45°C, elle se dénature de manière irréversible190. La solution est donc chauffée entre 30 et 40°C, en contrôlant à l’aide d’un thermomètre. Elle a ensuite été appliquée localement sur les résidus de vernis huileux à l’aide d’un bâtonnet ouaté, sans effet. Une application en gel n’a rien donné non plus. 189 190
Voir la fiche technique de CTS, p. 215. Ibidem.
148
Ainsi, après de multiples tests à l’aide de mélanges solvants de différentes familles et divers modes d’application, la plupart des résidus de vernis anciens n’ont pu être solubilisés et retirés, tout comme les taches d’oxydation. La couche picturale a donc été allégée mais elle est encore parsemée d’éléments hétérogènes et bruns qui gênent la lisibilité de l’œuvre. Nous tenterons de rétablir cette harmonie lors de la réintégration picturale. Lors de la redécouverte de la couche picturale après les traitements structurels, des chancis profonds ont été mis en évidence dans la zone inférieure où se situe la scène de pêche, principalement dominée par des couleurs terres. Ces chancis sont probablement apparus suite au cartonnage et son apport d’eau sur la surface peinte. Plusieurs essais de régénération ont été réalisés, tout d’abord par de multiples applications d’un nouveau vernis (dammar à 20%) sans succès, puis de l’alcool benzylique déposé au pinceau fin. Le chancis est régénéré superficiellement et réapparait quelques heures après. En derniers recours, le mélange DMF-Toluène191 (50/50) a été utilisé et a montré une certaine efficacité, après deux passages.
Figure 147. Détail des tests de régénération des chancis au mélange Toluène-DMF
Néanmoins, un léger blanchiment est réapparu après plusieurs semaines, dans les zones où se trouvaient certains chancis les plus profonds. Un nouvel essai de régénération n’a pas permis d’obtenir un meilleur état de surface. La DMF étant un solvant très pénétrant et présentant une rétention élevé et longue192, nous avons attendu au minimum un mois avant de poser le premier vernis.
191
L’utilisation de ces solvants à impliquer une protection (port de gants et d’un masque à solvants). MASSCHELEIN-KLEINER, Liliane, Les solvants : cours de conservation 2, Bruxelles : institut royal du patrimoine artistique, 1994, p.107 192
149
17. Remise en tension sur un nouveau châssis Une fois l’harmonisation du nettoyage terminée, l’œuvre a été montée sur son nouveau châssis. Celui-ci est chanfreiné, à clefs et est composé d’une croix simple. Il a été choisi ainsi au lieu d’une simple traverse pour avoir un meilleur renfort. Ce dernier a été poncé, les rives des montants rabotées, puis les faces visibles du châssis ont été teintées au brou de noix dilué. Enfin, un cirage au baume de Gros Noyer a permis de le protéger des éléments extérieurs et de le patiner.
Figure 148. En cours de réactivation du Plextol®B500 à la spatule chauffante
Concernant le montage de l’œuvre, les bandes de tension en non-tissé ont été enlevées à l’aide de Méthyléthylcétone pour poser des bandes définitives en toile mixte, plus esthétique que du non-tissé et moins réactive qu’une toile de lin. La toile mixte est composée de fils naturels et synthétiques. Cette opération a été réalisée selon la même mise en œuvre que précédemment. L’œuvre n’étant pas rectiligne, les mesures du châssis ont été prises en prenant les dimensions supérieures de la toile sur chaque bord. C’est pourquoi les bandes de tension sont visibles par la face, aux endroits où il y a un retrait des guirlandes de tension (figure 149).
Figure 149. Détails de l’œuvre une fois remontée sur châssis, bords non rectilignes et bandes de tension visibles
150
Les bandes de tension ont été clouées sur les bords du châssis à l’aide de semences et l’excédent de toile a été découpé en laissant une marge d’1 cm pour une éventuelle future retension. 18. Bordage provisoire Une fois l’œuvre montée sur son châssis, un bordage provisoire a été réalisé au papier kraft encollé à la colle de pâte diluée. Cette opération permet d’homogénéiser la tension. Le bordage a été posé sur les tranches du châssis, sans déborder sur la couche picturale pour pouvoir mastiquer les bords de l’œuvre. Le masticage de ces bords permettra de retrouver une œuvre rectiligne et d’avoir un bordage homogène. En effet, si le kraft est posé sur ces bords sinueux, il y aura un décalage entre les zones de couche picturale et les zones des bandes de tension où le papier s’affaissera.
Figure 150. Détails du bordage provisoire
Ce n’est qu’après la pose du bordage que les clés ont été chassées progressivement, permettant de parfaire la tension.
19. Premier vernissage Les interventions du support ainsi terminées, un vernis dammar à 20% dilué dans du White-Spirit® a été posé au spalter. Cela a permis de nourrir la couche picturale et surtout d’isoler la surface de la pose des mastics.
151
Figure 151. Détail en cours de vernissage et vue générale après intervention
20. Masticage des lacunes de couche picturale Une fois la couche de vernis sèche, des mastics à la colle de peau à 10% et au blanc de Meudon ont été réalisés. Dans un premier temps, les lacunes de couche picturale ont toutes été comblées à l’aide d’une spatule afin de remettre à niveau la surface. Ensuite, les mastics ont été structurés pour reproduire une facture identique à celle de la couche originale. La structuration permet de recréer la texture de la surface originale, intégrant au mieux la réintégration colorée par la suite. Cette étape a été effectuée en chambre noire, sous lumière rasante, à l’aide de différents instruments dont notamment un pinceau fin, un scalpel, un bâtonnet et un coton humide. La surface présentait une touche différente selon les zones, plusieurs techniques de structuration ont donc été effectuées. La trame de la toile étant très visible, la pose du mastic a tout d’abord été réalisée au travers d’une gaze, mais le résultat n’était pas satisfaisant à cause d’un manque de précision. L’effet de trame a donc été directement effectué au pinceau fin en déposant des points de mastic liquide.
152
Figure 152. Détails en cours de structuration et après masticage
21. Vernissage intermédiaire Un second vernissage au dammar à 20% a été posé. Dans un premier temps, localement sur les mastics au pinceau pour les isoler et diminuer leur porosité. Ensuite, un vernissage général au spalter a permis d’homogénéiser la surface et saturer les couleurs, facilitant le travail de retouche.
22. Réintégration colorée La réintégration colorée a été réalisée à l’aide de pigments secs liés dans le liant Berger®. Le liant a été dilué dans un mélange de diacétone alcool et d’éthanol à 50/50. Pour commencer, les usures de la couche picturale ont été repiquées et les petites lacunes réintégrées afin d’obtenir une meilleure lecture des plages colorées adjacentes. Cela a facilité la réintégration des lacunes plus importantes. La réintégration de ces lacunes a été effectuée en plusieurs étapes. Tout d’abord, des tons de fonds couvrants ont été appliqués sur les mastics. Ces tons de fonds ont été réalisés en se basant sur les plages de couleurs originales adjacentes, tout en restant dans une teinte plus claire et froide. Les tons de fonds ont été isolés localement par une couche de vernis dammar à 15% dans du White-spirit®. 153
La retouche illusionniste a ensuite été réalisée par superposition de glacis et la réalisation de points et traits colorés. Nous pensions atténuer les nombreuses taches sur la couche picturale originale une fois toutes les lacunes réintégrées. Toutefois, la surface adjacente étant très hétérogène, cela était gênant pour retrouver la couleur adéquate. L’intégration des lacunes était donc problématique car il était difficile de comprendre la couche originale adjacente, notamment dans les zones des anciens repeints huileux et au niveau de la démarcation de chacun des montants. Ainsi, les taches les plus gênantes pour la compréhension de l’œuvre ont été repiquées dans une optique de rétablissement d’une harmonie esthétique.
Figure 153. Détails de la couche picturale avant masticage (g.) et après retouche (d.)
Le repiquage a permis d’atténuer les taches qui ne sont plus gênantes lorsque l’oeuvre est observée avec du recul.
Elles restent néanmoins visibles de près, permettant ainsi de
préserver les traces de l’histoire matérielle de l’œuvre.
154
Figure 154. Détails de la couche picturale avant masticage (g.) et après retouche (d.)
Par ce travail de repiquage, l’œuvre a retrouvé sa luminosité et sa clarté. Cela a aussi permis de terminer la réintégration des lacunes de couche picturale par un travail de glacis et de points colorés. La partie délicate de la retouche résidait aussi en l’intégration des bords de l’œuvre et de la traverse, réalisée à l’aide d’une superposition de glacis.
Figure 155. Détails de la surface avant masticage (g.) et après retouche (d.)
Les bords latéraux et le bord inférieur (qui avaient été préalablement mastiqués pour retrouver un format rectangulaire) ont été retouchés de manière illusionniste, les intégrant à la couche picturale originale adjacente. 155
Le bord supérieur quant à lui, est le seul bord où le textile original a été préservé sur quelques centimètres lors de la découpe du tableau. Ces traces du tissage sont un témoignage du format original de l'œuvre, c’est pourquoi nous avons décidé de les laisser visible. Les mastics ont donc été réintégrés par un système de tons de fonds et de points se rapprochant de la couleur du textile original.
Figure 156. Détails de la réintégration du bord supérieur, avant/après
23. Vernissage final Une fois la retouche terminée, un vernissage local, à l’aide d’un pinceau fin, a été réalisé au Laropal® A81 dilué à 20% dans un mélange White-spirit® - Xylène (60/40). Cela a permis d’ajuster les matités présentes sur la surface. Ensuite, un vernissage final a été appliqué par pulvérisations pour homogénéiser la surface peinte. Cette couche finale, posée avec la résine synthétique Laropal®A81 (selon les mêmes concentrations que précédemment), joue un rôle de protection contre les rayonnements ultraviolets, susceptibles de provoquer un jaunissement de la résine dammar employée au cours du traitement. Le vernis est pulvérisé au moyen d’un compresseur.
156
Figure 157. Oeuvre après masticage (g.) et après vernis final (d.)
24. Bordage final Une fois le vernis final réalisé, le bordage provisoire a été retiré et remplacé par de nouvelles bandes de papier kraft encollées à la colle de pâte. Les clés ont ensuite été sécurisées en les attachant entre elles à l’aide d’un fil de nylon.
Figure 158. Vue du revers de l'oeuvre après le bordage final
157
CONCLUSION
À l’issu du traitement de restauration, cette œuvre muséale a retrouvé une harmonie esthétique et une stabilité structurelle. La mise en œuvre d’imprégnations synthétiques au revers a permis de rétablir une cohésion au sein de la stratigraphie, rétablissant ainsi une stabilité de la couche picturale en soulèvements et renforçant le support textile. Le nettoyage de la couche picturale a été un vrai défi, principalement à cause des problématiques causées par la couche d’imprégnation huileuse au revers du support. Cet élément nous a permis d’approfondir nos connaissances à ce sujet et de mieux comprendre les processus de dégradations que cela impliquait, ainsi que leur impact sur l’ensemble de la stratigraphie. L’intervention de réintégration colorée a aussi été très formatrice, de part la difficulté de retoucher une surface aussi hétérogène. Les taches d’oxydation n’ayant pas pu être supprimées, cela nous a appris à concevoir qu’il n’est pas toujours possible d’arriver au résultat escompté et qu’il faut accepter les traces du temps. Cette restauration a donc été très enrichissante aussi bien dans la pratique que dans le processus de réflexion qu’elle impliquait.
158
PARTIE 3 ÉTUDE TECHNICO-SCIENTIFIQUE Étude de l’utilisation des non-tissés de polyester en remplacement du papier Canson® dans le cadre du cartonnage
159
INTRODUCTION
C’est au cours du traitement du support de l’œuvre de mémoire que nous nous sommes confrontés à certains questionnements ayant abouti à l’élaboration de ce sujet technicoscientifique. Lors du rétablissement de la planéité de l’œuvre, les questions de la réalisation d’un cartonnage et du type de matériau à employer se sont posées. La méthode traditionnelle se fait avec un papier Canson® au grammage de 120g/m2. Toutefois, ce papier est de plus en plus remplacé par des non-tissés synthétiques, présentant un comportement mécanique bien différent. Aucune étude n’ayant été réalisée sur le rôle et l’intérêt des non-tissés dans le cartonnage, nous voulions ainsi répondre aux questionnements mis en évidence : Comment la remise à plat se fait-elle puisque ces matériaux sont stables à l’humidité et ne présentent pas de sens des fibres ? Existe-t-il une différence comportementale notoire entre ces deux techniques aux matériaux de nature si différentes ? L’objectif de l’étude est donc de comparer les propriétés du cartonnage au Canson® et au non-tissé pour mettre en évidence d’éventuelles différences comportementales et mieux comprendre les propriétés mécaniques d’une telle intervention. Cette étude permettra de mieux appréhender l’opération de cartonnage, dont l’apport d’eau n’est pas négligeable. Dans un premier temps, nous présenterons la technique du cartonnage et les matériaux employés. Dans un second temps, nous exposerons les protocoles expérimentaux qui s’organisent autour de trois axes : - L’analyse des masses des cartonnages au cours du séchage mettra en évidence le temps d’exposition d’une couche picturale à l’humidité et la capacité de rétention de chacun des échantillons. - La mesure de la tension des papiers encollés à la colle de pâte au cours de leur séchage permettra de mieux comprendre où se situent les forces mises en jeu et leur importance. - Finalement, une série de tests de pelage déterminera quel échantillon dispose du meilleur maintien sur la couche polychrome. Les résultats seront exposés et interprétés après chaque expérimentation. 160
I.
Le cartonnage 1. Définition, mise en œuvre
Le principe du cartonnage réside dans la pose d’un papier sur la couche picturale qui va se dilater à l’humidité et se rétracter au séchage. En parallèle, des tirants en papier journal, placés sous le pourtour de l’œuvre, vont exercer une traction au cours de leur séchage. La tension exercée de chacun de ces éléments va permettre le rétablissement de la planéité du support textile. Cette opération nécessite une mise en œuvre particulière. Le cartonnage se fait sur un fond en contreplaqué (peu sensible aux variations d’humidité, contrairement à l’aggloméré et au medium. Un papier Melinex®, découpé aux dimensions de l’œuvre, est posé entre le fond et l’œuvre afin que celle-ci n’y adhère pas lors de la pose de la colle. Les tirants sont placés sous le Melinex® sur tout le pourtour du tableau, et le papier de cartonnage recouvre cet ensemble, collé à l’aide d’une colle de pâte.
Papier de cartonnage Œuvre de face Melinex® Tirants Fond en contreplaqué
Figure 1159. Schéma de la mise en oeuvre d'un cartonnage
Les quatre bords du cartonnage sont ensuite maintenus par des bandes de papier kraft.
161
Le cartonnage au Canson® possède un rôle déterminant dans la remise à plat d’une peinture, mais il est aussi primordial dans le processus de rentoilage193. Au moment du passage du fer pour réaliser le scellage des deux toiles, le papier de cartonnage se tend et applique le support textile original sur la toile neuve. Il maintient aussi le contact entre les deux toiles pendant le refroidissement et le séchage194. Cette intervention est donc à différencier d’une pose de protection de surface qui est la simple pose d’un papier au spalter sur la peinture. Avant un cartonnage, on pose toujours par sécurité une protection de surface sur la couche picturale. Le cartonnage présente trois zones de séchage, dans un ordre particulier. La zone censée sécher en premier est la surface du papier de cartonnage en contact avec le fond car c’est elle qui va maintenir l’ensemble et résister lors de la rétractation des deux autres zones. La surface du tableau sèche ensuite et enfin, les tirants exercent une traction progressive. Il faut s’assurer du séchage dans cet ordre, sinon le papier de cartonnage peut se décoller. Des zones de glissement peuvent se créer entraînant des déformations durant le séchage. C’est pourquoi il est conseillé de krafter les bords afin de renforcer la tenue du système.
2. Matériaux employés
2.1 Papier Canson® Le cartonnage dit traditionnel est réalisé à l’aide de papiers à dessin de la marque Canson®. Le papier bulle était dans un premier temps utilisé par les restaurateurs. Ce papier jaune d’un grammage de 165 g/m2 présentait des qualités inégalées et servait traditionnellement au cartonnage. À la fin de sa production il y a de çà une dizaine d’années, les restaurateurs ont dû opter pour un autre papier Canson® blanc d’un grammage de 120 g/m2, devenu aujourd’hui le matériau de référence. Bien que le papier bulle ne soit plus utilisé aujourd’hui, il nous sert de référence dans cette expérimentation de part sa qualité absolue au mouillage et une résistance au passage du fer lors du rentoilage. 193 194
Le rentoila,ge consiste à consolider le support textile original par l’ajout d’une autre toile au revers. ROSTAIN Émile, Rentoilage et transposition des tableaux, Paris : Erec, 1980, p. 64.
162
Le papier possède des fibres orientées. Lors de sa fabrication, la pâte fibreuse est déposée sur une toile appelée « table de formation » où « les fibres s’entrecroisent et forment la feuille, après égouttage de l’eau »195. Le sens de la longueur de la toile est appelé « sens bobine » et le sens perpendiculaire à la bobine se nomme « travers ». Les fibres sont donc orientées en sens bobine. Selon le sens, le papier n’a pas le même comportement mécanique. Cela sera mis en évidence lors de la seconde expérimentation sur la tension des papiers au cours du séchage. Le papier Canson® nécessite une mise en œuvre particulière pour la réalisation d’un cartonnage. Le papier est déposé sur une surface plane, puis mouillé à l’éponge recto-verso en chassant les bulles d’air et les plis jusqu’à l’obtention d’un papier détendu et totalement plan. Il est ensuite encollé à la colle de pâte diluée et chaude, à l’aide d’une brosse rigide. La colle est déposée en huit, pour une application homogène. La surface encollée est ensuite lissée à la brosse, puis déposée sur l’œuvre protégée. Les bulles d’air sont chassées avec le plat de la main puis avec la brosse rigide, appliquée du centre vers l’extérieur.
2.2 Non-tissé synthétique Les non-tissés (ou intissés), aussi appelés « structure textile », sont formés par un enchevêtrement de fibres synthétiques, dispersées et agglomérées industriellement par pression, chaleur, addition d’un liant et emploi de fibres thermoplastiques ou rétractables196. Ces tissus sont légers, infroissables et généralement réalisés à partir de fibres de polyester, « macromolécules résultant de l’enchaînement de plusieurs molécules d’esters »197. Les fibres de polyester possèdent un pouvoir absorbant très faible, une bonne résistante chimique et mécanique et une élasticité moyenne. Ses propriétés à l’état sec et humide sont identiques, du fait de son faible pouvoir absorbant198.
195
Canson®. La fabrication sur table plate. [en ligne]. [Consulté le 12.04.2016]. Disponible à l’adresse : http://fr.canson.com/la-fabrication-du-papier/la-fabrication-sur-table-plate. 196 BROSSARD, Isabelle, Technologies des textiles, Paris : Dunod, 1997, p. 239. 197 BROSSARD, Isabelle, op. cit., p.135. 198 Ibidem.
163
Ces papiers synthétiques ne possèdent pas de tissage, donc pas de fibres orientées dans un sens particulier, mais des fibres enchevêtrées. Les échelles de grammage sont très étendues, allant de 9 à 200 g/m2. Nous avons choisi un non-tissé de 35 g/m2 car il est considéré comme étant de grammage moyen et qu’il peut être utilisé lors de cartonnages. Le non-tissé est appliqué comme une protection de surface, c’est-à-dire en posant la colle au pinceau au centre du papier puis vers l’extérieur.
Figure 160. Pose d’un cartonnage au non-tissé
2.3 Le papier journal Le papier journal est un papier à fibres courtes très perméables199, qui joue un rôle primordial dans le processus de remise à plat de l’œuvre. C’est la partie externe des tirants en papier journal qui compte car plus ils seront larges, plus il y aura de traction de l’oeuvre. La symétrie des tirants joue aussi un rôle majeur dans l’homogénéité des forces qui s’exercent sur l’œuvre. 2.4 Colle de pâte Le cartonnage est toujours réalisé à l’aide d’un adhésif aqueux ou des dérivés cellulosiques200. La colle de rentoilage, communément appelée colle de pâte, est privilégiée
199
Cours de Théorie de la Restauration du support du Professeur Olivier NOUAILLE de l’École de Condé, 2012-2013. 200 Polymères dérivés de la cellulose utilisés en restauration comme l’hydroxypropylméthyle de cellulose.
164
pour les cartonnages forts car elle présente un pouvoir adhésif bien plus satisfaisant que les dérivés cellulosiques. Il s’agit d’une colle hygroscopique et glucido-protéinique, puisqu’elle présente une partie végétale et une partie animale. Elle est réalisée à base de farine de froment (T55) ou de seigle201, dont la teneur en amidon et en gluten lui confère son pouvoir agglutinant202. L’adhésif protéinique est la composante animale du mélange, il s’agit généralement de colle de peau de lapin. Comme toute colle animale, elle est obtenue à partir de l’hydrolyse du collagène composant les peaux203. Le collagène hydrolysé est formé de trois chaines polypeptidiques qui contiennent cinq acides aminés hydrophiles, responsables de la solubilité des colles dans l’eau.204 La colle de peau de lapin se présente en plaques, en granules ou en poudre et se prépare normalement en deux temps. Premièrement, la colle est mise à gonfler dans l’eau, puis la préparation est chauffée légèrement au bain-marie pour la faire solubiliser. De nombreuses recettes sont employées et diffèrent selon les ateliers. Dans le cadre de cette étude, nous avons utilisé la recette enseignée par M. Olivier Nouaille à l’École de Condé : -
6 parts de farine de froment (T55)
-
1 part de colle de peau pulvérisée
-
0,75 part de miel
-
0,2 part de fluorure de sodium
Pour la réalisation, la colle de peau de lapin est incorporée à la farine de froment sous sa forme solide, c’est pourquoi on la privilégie en poudre (pulvérisée), car elle se dissout plus facilement. 201
La farine de seigle est moins utilisée car elle présente un assombrissement à cause du son et elle est plus granuleuse. Cours de Théorie de la Restauration du support du Professeur Olivier NOUAILLE de l’École de Condé, 2013-2014. 202 DUVAL, SOPHIE. Étude de la conservation des propriétés adhésives de la colle de pâte après congélation. Mémoire de fin d’études : Peintures sur chevalet. Paris : École de Condé, 2015, p. 153. 203 ROCHE, Alain, op. cit., p. 60. 204 Ibidem.
165
La farine et la colle de peau sont mélangées avec de l’eau bouillante205, jusqu’à obtention d’un mélange sans grumeau. On incorpore ensuite du miel qui joue le rôle de liant, puis du fluorure de sodium en tant que fongicide. Une fois le mélange ayant atteint la consistance souhaitée, la colle est cuite à feu doux au bain marie durant 5 heures en moyenne. Elle est alors prête à être utilisée et présente une souplesse et une adhésivité satisfaisante.
II.
Protocoles expérimentaux
Trois protocoles expérimentaux ont été mis en oeuvre afin de réaliser une étude pouvant répondre à nos questionnements. Le premier a consisté à peser des cartonnages au Canson® et au non-tissé au cours du séchage pour mettre en évidence leur capacité de rétention d’eau et le temps d’exposition d’une œuvre à l’humidité. Ensuite, la rétractation des différents échantillons au cours de leur séchage a été mesurée pour quantifier les tensions mises en jeu. Finalement, des tests de pelage ont permis d’observer quel matériau possédait le plus fort maintien sur une couche picturale. Pour valider chaque protocole expérimental il faut démontrer que l’expérimentation est répétable et donc obtenir des résultats relativement similaires sur dix mesures. Le calcul de la moyenne x̄ des résultats obtenus, de la variance !2, et de l’écart-type !, amène à calculer l’incertitude absolue Δ!, et l’incertitude relative en %206. Cette dernière permet de vérifier la fiabilité de l’expérimentation. Dans le cas présent, nous estimons que chaque protocole est validé si nous obtenons une erreur inférieure à 10%. Avant de débuter les expérimentations, il est important de noter que les échantillons testés ont chacun un grammage différent, ce qui peut compromettre les conclusions de l’étude. Nous avons utilisé des grammages similaires à ceux utilisés en pratique, dans le cadre de la restauration.
205 206
L’eau est ajoutée de manière empirique jusqu’à l’obtention de la consistance souhaitée. Les calculs effectués pour chacune des expérimentations sont présentés en annexe n°10, p.221.
166
1.
Rétention et temps de séchage 1.1 Objectif
L’objectif de cette expérimentation est de déterminer le temps d’exposition d’une couche picturale à l’humidité. Le cartonnage est une opération dont l’apport d’eau est important. Il peut y avoir de sérieuses conséquences puisqu’une couche picturale est soumise à une humidité constante pendant plusieurs heures. Il s’agit de mettre en évidence la capacité de rétention d’eau de chacun des papiers à travers l’observation du temps de séchage et de la perte de poids des échantillons. Dans la logique de la composition des matériaux, les non-tissés de polyester sont censés être stables à l’humidité et donc présenter une absorption de la colle et une rétention d’eau moins importante. Le temps de séchage du cartonnage au non-tissé est aussi supposé être plus rapide qu’un cartonnage au Canson®. Ce sont les hypothèses avec lesquelles nous débutons l’expérimentation. Les résultats pourront nous permettre de mieux comprendre les enjeux d’un cartonnage et avoir une vision plus concrète de l’apport d’humidité impliqué dans ce type de traitement.
1.2 Préparation des échantillons et méthode de prise des mesures De vrais cartonnages ont été réalisés pour cette expérimentation. Des toiles de lin déjà préparées ont été enduites d’une couche d’acrylique bleue au pinceau. Ces échantillons ont été découpés (10 x 10 cm) et imitent ainsi une œuvre peinte. Chacun des éléments du cartonnage a ensuite été déposé sur des planches en contreplaqué de 20 x 20 cm : les tirants en papier journal, puis le Melinex®, les échantillons de toile peinte, et finalement le papier à étudier, qui vient recouvrir l’ensemble. Ce dernier a été préalablement découpé à la taille des contreplaqués, soit 20 x 20 cm.
167
Figure 161. Mise en place des éléments pour le cartonnage
La prise des mesures a été réalisée à l’aide d’une balance de précision ± 0,01g. Les échantillons d’un même papier sont tous réalisés en même temps. C’est-à-dire qu’une fois que le papier de cartonnage est posé, l’ensemble est pesé. Nous avons ensuite enchainé avec la réalisation du second test etc., afin d’effectuer l’expérimentation dans des conditions les plus similaires possibles. Les conditions hygrométriques sont importantes dans cette expérimentation car les cartonnages ne vont pas sécher de la même manière en fonction de l’humidité et de la température ambiante. Un hygromètre est placé dans la pièce où sont réalisées les expérimentations et permet de vérifier les valeurs hygrométriques. Durant toutes les expérimentations, nous restons à une température située entre 20 et 22°C et un taux d’humidité relative entre 50 et 58%. 1.3 Validation du protocole expérimental et résultats obtenus Pour valider cette expérimentation, il était nécessaire de déterminer plusieurs paramètres : -
Tout d’abord, la quantité de colle nécessaire pour réaliser les cartonnages,
sachant que le non-tissé et le Canson® n’ont pas la même capacité d’absorption. Ainsi, il s’est avéré que 20g de colle étaient nécessaires afin d’encoller le non-tissé, contrairement à 13g pour les papiers Canson®. La colle est donc pesée à l’aide d’une balance de précision ± 0,01g afin d’encoller les échantillons avec la même quantité à chaque fois.
168
-
Ensuite, chacune des planches en contreplaqué doit avoir un poids similaire
avant de commencer l’expérimentation, dans cette même nécessité de répétabilité des échantillons. Les planches ont donc toutes été pesées et ajustées à un poids identique, soit 175g à ± 0,01g. -
Finalement, il est primordial de déterminer la fréquence de la pesée.
Un premier test est donc réalisé par la pesée d’un cartonnage au non-tissé toutes les 2 minutes durant 4h de séchage. Les modifications de poids sont significatives et intéressantes seulement toutes les heures. Les pesées ont donc été réalisées une fois par heure jusqu’à la stabilisation des résultats.
Figure 162. Cartonnages au Canson® (g.) et au non-tissé (d.) en cours de séchage
La fiabilité du protocole est vérifiée en pesant 10 échantillons de cartonnage au non-tissé toutes les heures tout au long de leur séchage.
169
Les résultats sont présentés dans le tableau suivant :
Temps
Échantillons
Moyenne
Écart-type
E.A
E.R
(h)
Poids (g)
(g)
(g)
(g)
(%)
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
1
198,32
200,19
202,58
201,52
203,47
202,87
201,82
201,72
200,37
201,39
201,43
1,50
0,95
0,47
2
196,94
198,90
201,21
200,08
202,23
201,68
200,44
200,39
198,96
199,87
200,07
1,54
0,97
0,49
3
195,80
197,79
199,90
198,91
201,02
199,72
199,06
199,05
197,51
198,16
198,69
1,46
0,92
0,46
4
194,57
196,48
198,43
197,65
199,75
199,01
197,74
197,69
196,2
196,78
197,43
1,49
0,94
0,48
5
193,38
195,27
197,13
196,48
198,57
197,62
196,43
196,35
194,89
195,18
196,13
1,50
0,95
0,48
6
192,38
194,20
195,74
195,39
197,44
196,35
195,29
195,19
193,68
194,12
194,98
1,44
0,91
0,47
7
191,39
193,13
194,41
194,28
196,26
195,19
194,22
194,02
192,62
192,57
193,81
1,41
0,9
0,46
8
190,54
192,15
193,14
193,20
195,13
194,08
193,23
192,98
191,66
191,54
192,77
1,33
0,84
0,44
9
189,94
191,33
192,22
192,20
194,10
193,25
192,47
192,29
190,93
190,62
191,94
1,25
0,79
0,41
10
188,56
189,64
190,66
191,20
191,48
192,52
191,38
190,68
189,49
189,04
190,47
1,25
0,79
0,42
12
187,53
191,20
189,56
190,75
190,73
191,87
190,42
189,37
190,46
189,57
190,15
1,21
0,77
0,4
13
187,24
190,84
188,89
190,42
190,27
191,48
189,79
188,91
190,09
188,96
189,69
1,22
0,77
0,41
14
187,11
190,54
188,58
190,14
190,04
191,37
189,51
188,73
189,87
188,76
189,47
1,21
0,77
0,4
15
186,90
190,31
188,23
189,97
189,74
191,18
189,07
188,51
189,69
188,41
189,20
1,23
0,78
0,41
Avec une erreur relative moyenne de 0,44%, le protocole expérimental est validé.
170
L’expérimentation a été continuée sur trois échantillons de Canson® et de papier bulle. Canson® - 120 g/m2 Échantillons
Temps
Moyenne
Poids (g)
(h)
(g)
1
2
3
1
198,87
198,50
199,16
198,84
2
196,22
195,80
196,60
196,21
3
194,46
193,55
194,46
194,16
4
192,85
192,19
193,16
192,73
5
191,46
190,41
191,72
191,20
6
191,08
189,80
191,16
190,68
7
190,64
189,21
190,80
190,22
8
190,27
188,74
190,33
189,78
9
190,06
188,38
190,27
189,57
10
189,68
187,96
189,99
189,21
11
189,59
187,81
189,82
189,07
12
189,42
187,53
189,68
188,88
13
189,22
187,30
189,52
188,68
Papier bulle - 165g/m2
Temps
Moyenne
Poids (g)
(heure)
(g)
1
2
3
1
195,49
195,47
196,88
195,95
2
193,38
193,10
194,75
193,74
3
191,76
191,66
193,20
192,21
4
190,33
190,58
192
190,97
5
189,49
189,96
191,31
190,25
6
189,04
189,60
190,78
189,81
7
188,77
189,36
190,49
189,54
8
188,61
189,32
190,45
189,46
9
188,53
189,28
190,37
189,39
À l’issue de ces résultats, des courbes ont été réalisées afin de comparer la perte de poids des différents papiers. 205$ 200$ 195$
Poids (g)!
190$ 185$ 180$ 175$ 170$ 165$ 160$ 0$
1$
2$
3$
4$
5$
6$
7$
8$
9$
10$
11$
12$
13$
14$
Temps (h) Non/tissé$(35g/m2)$
$$$$$$Canson®$(120g/m2)$
Papier$bulle$(160$g/m2)$
1.4 Interprétations des résultats Le non-tissé présente la prise de poids à l’encollage la plus significative soit 26,43 g (15%207) environ. Avec une prise de poids de 23,84 g (13,6%), le Canson® a un comportement relativement similaire. Le papier bulle, quant à lui, est le papier qui absorbe le moins de colle avec une prise de poids de 20,95 g (11,97%). Les résultats de l’étude démontrent que la perte d’eau des trois échantillons est rapide les premières heures puis elle est plus progressive et tend à se stabiliser. Le non-tissé présente un comportement très régulier, puisque l’on constate une perte de poids d’en moyenne 1g toutes les heures. La courbe est quasiment linéaire, jusqu’à une relative stabilisation à partir de 10h de séchage. Le séchage continue ensuite mais il est bien plus lent, probablement puisque la surface superficielle sèche en premier et ralentit le départ de l’humidité sous-jacente. 207
[(Valeur d’arrivée – valeur de départ)/ valeur de départ] x100.
172
À partir de 13 heures de séchage, nous pouvons considérer que l’échantillon perd une quantité d’eau infime et qu’il a donc atteint sa stabilisation. Le papier Canson® est sec au toucher au bout de 4h. C’est d’ailleurs durant ces quatre heures qu’il perd le plus d’eau, puisque l’échantillon perd en moyenne 2 g par heure. Ensuite l’évaporation est plus lente et l’on peut constater une stabilisation à partir de 7h de séchage. Le papier bulle est le papier qui sèche le plus rapidement et présente donc le moins de rétention d’eau. En effet, durant les trois premières heures de séchage la perte d’eau est significative, ensuite cela se stabilise. Les prises de poids ont été continuées jusqu’à 9 heures, bien que l’échantillon ne perdait plus qu’un poids infime dès la 5ème heure. L’hypothèse que nous formulions selon laquelle le non-tissé de polyester serait le plus rapide à sécher et présenterait la rétention d’eau la moins importante se trouve ainsi erronée. Dans le cas présent, il s’agit du matériau présentant une évaporation la plus lente et donc une rétention d’eau plus élevée, suivi du Canson 120g/m2 et du bulle 160g/m2. Ce comportement étonnant peut s’expliquer par le faible grammage du matériau synthétique choisi. Il met surtout en évidence les propriétés mécaniques du non-tissé. Dans la mesure où nous n’avions pas le matériel nécessaire pour réaliser une analyse microscopique de la structure du non-tissé, nous ne pouvons émettre que des hypothèses. Il ne s’agirait pas d’une réelle absorption de l’eau mais plutôt d’un problème d’ordre mécanique : il semblerait que les molécules d’eau soient comme piégées entre les fibres qui sont enchevêtrées de manière aléatoire. Cette structure engendre donc une rétention de l’eau mais pas une absorption à proprement parler, contrairement aux papiers à dessin où les fibres sont alignées et suivent la même orientation. Des tests d’immersion des non-tissé dans l’eau ont été réalisés pour étayer cette hypothèse. Les échantillons ont été pesés avec une balance à ± 0,01g avant, après immersion et après avoir été secoués, pour libérer l’eau superficielle. Les résultats208 ont mis en évidence une
208
Le protocole expérimental et les calculs réalisés sont présentés en annexe n°11, p.225.
173
perte de plus de 70% d’eau après « secouage », appuyant ainsi l’hypothèse qu’il ne s’agirait pas d’une absorption mais d’un problème mécanique. Dans le cadre de l’expérimentation principale, les incertitudes absolues ne sont pas mentionnées sur le graphique car, allant de 0,97 à 0,77g, celles-ci sont trop faibles pour être lisibles. Néanmoins, les trois courbes ne risquent pas d’entrer en interaction puisqu’elles ont chacune un comportement distinct. Face à une telle rétention du non-tissé 35 g/m2, il serait intéressant de comparer différents grammages et réaliser des vues microscopiques de leur structure à sec et avant/après humidification. Cela permettrait d’établir des conclusions plus certaines sur les propriétés de rétention du non-tissé. De plus, comme énoncé précédemment, un papier de protection est toujours posé sur une œuvre avant cartonnage. Il serait intéressant de comprendre quel rôle joue la protection dans le processus de rétention d’eau du cartonnage et les conséquences qu’elle implique pour la conservation d’une œuvre peinte. Les résultats de l’expérimentation doivent donc être interprétés avec prudence. Des erreurs aléatoires peuvent aussi avoir faussé les résultats. Les conditions extérieures sont le premier facteur non négligeable. Les variations de température et d’humidité relative au moment de la réalisation des cartonnages et durant leur séchage peuvent considérablement influencer le comportement des échantillons. La vitesse de séchage sera différente dans une atmosphère sèche ou humide, engendrant une évaporation de l’eau plus ou moins rapide et donc influençant les pesées et nos conclusions sur la rétention des papiers. Des erreurs aléatoires dans la mise en œuvre sont aussi à prendre en compte. Avant encollage des papiers, la colle a été pesée afin de déposer la même quantité pour chaque échantillon. Toutefois, l’homogénéité lors de l’application est aléatoire et la pose d’une même quantité de colle ne peut être identique. La façon dont le papier Canson® est mouillé lors de la mise en œuvre du cartonnage et la dilution de la colle influencent aussi la quantité d’eau dès le départ du processus. Les bans d’échantillons sont réalisés tous en même temps, avec la même colle de pâte diluée, minimisant ainsi les risques d’hétérogénéité en devant refaire chauffer la colle et modifiant 174
ainsi sa dilution. Néanmoins, il est fort possible qu’il y ait eu une évaporation de l’eau entre chaque cartonnage, même infime. La dilution de la colle s’en trouve ainsi modifiée et donc la quantité d’eau apportée à l’échantillon. Cette étude a mis en évidence la rétention des différents matériaux utilisés dans le cartonnage et le temps d’exposition d’une couche picturale à l’humidité. Néanmoins, le réel danger lors du cartonnage d’une huile sur toile ancienne se situe dans le fait que le tableau ne soit pas protégé par un vernis. L'absence de protection engendre, de fait, le contact direct de l'eau avec le liant huileux ancien. Une surface dévernie entraînerait une rétention plus longue puisque la matière de la couche picturale aura tendance à être plus poreuse qu’une surface vernie. Dans le cadre de cette expérimentation, nous nous sommes concentrés sur les propriétés mécaniques des matériaux mis en jeu dans le cadre d’un cartonnage, mais pas sur les conséquences sur une couche picturale huileuse. C’est pourquoi les échantillons ont été réalisés sur une couche d’acrylique non vernie et récente. Il serait intéressant d’étudier les conséquences de l’apport d’eau d’un cartonnage (apparition de chancis, dégorgements) sur une huile sur toile protégée par un vernis ancien, par un vernis d'intervention209 récent, ainsi qu’une surface non vernie.
2. Tension des échantillons au séchage
2.1 Objectif Au cours de cette expérimentation, nous mesurons la rétractation des papiers pendant leur séchage. La tension ainsi exercée est quantifiée à l’aide d’un dynamomètre mécanique sensible. Le but de cette expérimentation est de comprendre les forces mises en jeu dans un cartonnage, où se concentrent-elles et quelles sont leur ampleur.
209
Les vernis de travail (ou d’intervention) peuvent être posés sur la couche picturale afin de la protéger lors des interventions structurelles, après avoir été allégée de son ancien vernis.
175
Nous débutons l’expérimentation avec des hypothèses. Le non-tissé n’est pas censé présenter de sensibilité à l’humidité et donc ne pas se rétracter au cours du séchage. Il serait possible que la colle de pâte, du fait de son pouvoir de rétractation, ait une influence sur le non-tissé. Le papier Canson® est censé se rétracter au cours du séchage, principalement dans le sens transversal.
2.2 Préparation des échantillons et méthode de prise des mesures Le principe de cette expérimentation est basé sur l’étude réalisée par Josée Delsaut et Roseline Durand sur la mesure de la force de rétractation des papiers utilisés en restauration210. Des bandes de 50 x 10 cm ont été réalisées dans les trois papiers qui basent notre recherche. Les deux papiers Canson® possédant des fibres orientées, ils ont chacun été testés dans le sens bobine (soit le sens des fibres) et le sens transversal. Le non-tissé n’ayant pas de tissage, les échantillons ont donc été découpés dans un seul sens. La tension des papiers a été mesurée à l’aide d’un dynamomètre mécanique sensible, pouvant supporter une charge maximale de 10g et précis au dixième près. L’expérimentation a été réalisée à la verticale pour minimiser les frottements. Le dynamomètre est accroché par un clou sur une planche en contreplaqué et l’échantillon y est accroché sur 1 cm par la pince prévue à cet effet. La bande de papier est maintenue à son extrémité sur 2 cm entre deux plaques de bois maintenues par des serre-joints. Au cours du séchage du papier, ce dernier est censé se rétracter et « tirer » sur le dynamomètre, exerçant ainsi une force de traction.
210
DELSAUT, Josée, DURAND, Roseline, Mesure de la force de rétraction des papiers, revue Conservation Restauration des Biens Culturels éditée par l’Association des restaurateurs d’art et d’archéologie de formation universitaire, 1989, p 64-66.
176
Figure 1263. Détails de la mise en oeuvre
2.3 Validation du protocole expérimental et résultats obtenus L’échantillon de papier testé est encollé à la colle de pâte puis accroché au dynamomètre et maintenu entre les deux pièces de bois. La rétractation du papier est alors observée pendant plusieurs heures, jusqu’à stabilisation de l’échantillon. Le premier ban de tests pour la validation du protocole a été réalisé en encollant les papiers au pinceau. Les résultats obtenus étant très aléatoires, une autre technique d’encollage a été mise en œuvre. Ainsi, une immersion des papiers durant 10 secondes, suivi d’un égouttement durant 30 secondes a montré des résultats plus homogènes. Les échantillons sont donc immergés dans un bac de colle contenant la même dilution de colle de pâte à chaque fois, soit 700g de colle pour 520g d’eau. L’expérimentation a ainsi été réalisée 10 fois avec les échantillons de papier Canson® 120g/m2 en sens transversal. Ne sachant pas comment ces derniers allaient réagir, ni en combien de temps, les prises de mesure ont été effectuées toutes les 10 minutes, jusqu’au séchage complet du papier.
177
La validation du protocole a mis en évidence que les échantillons de Canson® exerçaient une traction sur le dynamomètre au bout d’une heure jusqu’à 4h30 de séchage en moyenne, ensuite les échantillons se stabilisent. Ces informations nous serviront de repère lors des tests sur les autres papiers. Échantillons Canson® (120 g/m2) Sens transversal
Dynamomètre (g)
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 Moyenne (g) Écart-type (g) Erreur absolue (g) Erreur relative (%)
1,2 0,8 1,1 1,1 1 1,1 1 1,1 1,2 1 1,09 0,08 0,05 4,59
Figure 164. Papier Canson® en cours de séchage
Avec une erreur relative de 4,59%, le protocole expérimental est validé. Trois échantillons ont ensuite été testés pour chaque papier, c’est-à-dire le Canson® 120 g/m2 en sens bobine, le papier non-tissé et le papier bulle dans les deux sens.
Échantillons Canson® (120 g/m2) sens bobine
Dynamomètre (g)
1 2 3 Moyenne (g)
0,3 0,2 0,3 0,27
Sur les trois échantillons testés, le non-tissé de polyester n’a pas exercé de force de traction sur le dynamomètre.
178
Échantillons
Échantillons
Canson® bulle (165 g/m2) sens transversal
Dynamomètre (g)
Canson® bulle (165 g/m2) sens bobine
Dynamomètre (g)
1 2 3 Moyenne (g)
1,1 0,9 1 1
1 2 3 Moyenne (g)
0,4 0,3 0,3 0,33
2.4 Interprétations des résultats L’objectif était de mettre en évidence la rétractation des échantillons à la colle de pâte. Les résultats de cette étude confirment l’hypothèse que nous formulions selon laquelle le matériau synthétique ne présente aucun mouvement à l’humidité et lors du séchage de la colle de pâte. Cela signifie que dans un cartonnage au non-tissé, toute la traction se fait au niveau des tirants en papier journal. Une réflexion devrait alors être portée sur leur taille, car s’ils ne sont pas assez larges le cartonnage n’aura pas, ou peu, d’effet sur la remise à plat de la peinture. Le papier Canson®, quant à lui, présente un comportement différent en fonction du sens des fibres. Le sens transversal présente une force de traction équivalente à 1,09 g en moyenne, contrairement à 0,27 g pour le sens bobine. Le papier bulle a présenté un comportement relativement similaire au papier Canson® dans les deux sens des fibres. Cette expérimentation présente toutefois des limites. Tout d’abord, il est important de mentionner qu’elle ne se déroule pas dans les réelles conditions d’un cartonnage. L’application de la colle n’est pas identique puisque les papiers sont ici immergés dans la colle de pâte, pour une homogénéité dans la mise en œuvre des échantillons.
179
Ensuite, trois échantillons ont été testés pour chaque type de papier de cartonnage. Si l’expérimentation avait été réalisée sur un plus grand nombre d’échantillons, les résultats auraient été plus vérifiés. Des erreurs aléatoires et systématiques peuvent aussi avoir faussé les résultats. Les conditions extérieures viennent influencer l’expérimentation puisque le papier se dilate et se contracte différemment en fonction des conditions hygrométriques dans lesquelles il évolue. Cette expérimentation a aussi été menée sous la surveillance de l’hygrométrie, en nous situant toujours dans la même fourchette, soit une température entre 20 et 22°C et un taux d’humidité relative entre 50 et 58%. Le séchage d’un cartonnage au papier Canson® (a fortiori d'un papier bulle, présentant un grammage plus important) dans une atmosphère trop chaude et sèche peut avoir de sérieuses conséquences sur l’œuvre traitée. Cela peut entraîner un déchirement du papier et par conséquent du support textile, d’autant plus si celui-ci est fragilisé, ce qui est généralement le cas d’une toile ancienne dite « cuite ». Dans le cas présent, les bans de tests n’ont pu être réalisés tous en même temps puisque nous ne disposions que d’un seul dynamomètre. Les tests ont dû être menés les uns après les autres sachant que, pour le papier Canson® et le papier bulle, 5h de séchage séparaient chaque échantillon. Entre chaque test, la colle de pâte diluée a été filmée au contact, c’est-à-dire qu’un film alimentaire a été posé directement au contact de la colle afin de réduire son évaporation. Cette méthode a permis d’éviter son séchage et donc de devoir la refaire chauffer, modifiant ainsi sa dilution. La dilution de la colle joue un rôle majeur dans son comportement, une colle plus ou moins diluée se rétractera différemment. Il était donc important d’avoir une colle relativement similaire pour chaque test. Malgré cette méthode, il est plus que probable que la teneur en eau de la colle ait été modifiée durant l’expérimentation, faussant ainsi les résultats. La tension des papiers au cours de leur séchage a ainsi été soulignée à travers cette expérimentation. Toutefois, la pression exercée par le papier sur la surface peinte n’a pas pu être mise en évidence. 180
Selon Rostain, dans le cas du cartonnage au Canson®, il s’agirait d’une « pression considérable »211, mais comment la quantifier ?
2.5 Mesure de la pression de contact Nous avons tenté de répondre à cette question en mettant en œuvre un autre test. Fujifilm® a mis en place un film Prescale®, qui permet de mettre en évidence la répartition de pressions de contact de 500 mBars jusqu'à 3 000 Bars212. Il se présente sous la forme d’un film fin et transparent et doit être placé entre les deux surfaces dont on cherche à mesurer la pression de contact. Le film Prescale® est composé d’une base en polyester recouverte d’une couche de matériel micro-encapsulé chromogène et d’un matériel de développement de couleur.
Figure 1135. Schéma d'un film Prescale® monofeuille
Lorsque la pression est appliquée, les microcapsules chromogènes réagissent avec le matériel de développement de couleur à l'intérieur du film 213 et des taches de couleur rouge apparaissent sur la surface du film. L’intensité de la couleur est proportionnelle à la pression exercée. Dans le cadre de cette expérimentation, une protection étanche a été conçue sur-mesure afin de protéger le film sensible à l’humidité. Un cartonnage au Canson® a ensuite été effectué en intercalant le film Prescale® entre l’échantillon de peinture sur toile et le papier de cartonnage.
211
ROSTAIN Émile, op. cit., p. 64. Mescan. Film Prescale®. [en ligne]. [Consulté le 20.04.2016]. Disponible à l’adresse : Http://www.mescan.com/film-prescale/film-prescale/. 213 Fujifilm. Film de mesure Prescale®. [en ligne]. [Consulté le 20.04.2016]. Disponible à l’adresse : Https://www.fujifilm.eu/fr/produits/produits-industriels/prescale/film-de-mesure-prescale/. 212
181
Cependant, après séchage et délitage du cartonnage, ce dernier n’a présenté aucune réaction. Il semblerait que la pression du cartonnage soit beaucoup trop faible pour être enregistrée par le film Prescale®. Il serait intéressant d’approfondir cette idée de mesure de pression de contact pour essayer d’évaluer les contractions d’un papier sur une surface peinte.
3. Maintien sur la couche polychrome
3.1 Objectif Le but de l’expérimentation est de déterminer lequel des deux papiers présente le meilleur maintien sur une couche polychrome à travers des tests de pelage. L’expérimentation que nous mettons en place n’est pas représentative d’une réelle suppression de papier de cartonnage puisqu’une humidification est toujours réalisée au préalable. Dans le cas présent, les tests de pelage sont réalisés à sec et sans protection de surface sur la peinture. Cette expérimentation nous permet seulement d’établir un ordre d’idée. Une étude intéressante a été réalisée l’année dernière par Émilie SOYER sur les différents maintiens des œuvres lors du nettoyage mécanique du revers des toiles, par l’analyse des vibrations émises lors du grattage214. Le meilleur maintien pour le nettoyage mécanique d’un revers serait le cartonnage fort, composé dans le cas présent d’un papier Japon, d’un papier Bolloré® et d’un papier Canson®. C’est cette protection qui offrirait une fréquence de vibration la plus faible, alors qu’un cartonnage léger (composé de deux couches de papier Bolloré® et de deux couches de nontissé fin) aurait le moins bon maintien215.
214
SOYER Emilie. Étude comparative des différents maintiens des œuvres lors du nettoyage mécanique du revers en fonction des protections de surface par analyse des vibrations émises lors du grattage. Mémoire de fin d’études : Peintures sur chevalet. Paris : École de Condé, 2015, p.139-181. 215 Ibid., p. 181.
182
Dans le cadre de notre expérimentation, nous émettons l’hypothèse que le non-tissé présenterait un moins bon maintien sur une couche picturale avec des empâtements que le papier Canson®. Ce dernier semble plus souple et épousant mieux les reliefs d’une surface.
3.2 Préparation des échantillons et méthode de prise des mesures Des cartonnages ont été effectués sur des échantillons imitant une stratigraphie peinte, réalisés selon la même mise en oeuvre précédente, c’est-à-dire avec une toile de lin déjà préparée et enduite de couleur acrylique. Au lieu de faire dix cartonnages individuels, augmentant ainsi les risques d’hétérogénéité dans la mise en œuvre, les cartonnages ont été réalisés sur un même échantillon de toile, qui sera ensuite découpé en carré de 10 x 10 cm. Le papier de cartonnage est déposé sur la surface peinte en laissant une marge de 1 cm qui sera prise dans l’étau. Un excédent de papier est laissé libre car il sera pris entre deux plaques de bois (figure 167) afin d’avoir un maintien satisfaisant du papier lors du pelage.
Figure 166. Exemples d'un cartonnage au Canson® (haut) et au non-tissé (bas). Détails des échantillons une fois découpés
183
Ces deux plaques sont maintenues par une pince à étau, elle-même reliée à l’aide d’un fil de fer à un bidon en plastique vide, d’une capacité de 5 litres. Une quantité d’eau, préalablement pesée à l’aide d’une balance à ± 0,01g, est mise dans un récipient annexe. Le bidon sera progressivement rempli avec l’eau du récipient à l’aide d’une seringue jusqu’au pelage de l’échantillon. La masse nécessaire à l’arrachage du papier est révélée par la pesée du récipient annexe et le calcul de la différence de poids.
Figure 167. Vue de la mise en oeuvre des tests de pelage
Une charge constante de 73 g ± 0,01g est constitué par la bouteille vide, le fil de fer, la pinceétau et les plaques de bois. Cette charge seule n’exerce aucun pelage du papier avant le début de l’expérimentation.
3.3 Validation du protocole expérimental et résultats obtenus Le protocole a été réalisé dix fois avec des échantillons de Canson® 120 g/m2 sur une surface lisse et dix fois sur une surface avec empâtements. Il était nécessaire de répéter le protocole expérimental sur une couche picturale en relief car les empâtements sont réalisés de manière aléatoire. Cela augmente les hétérogénéités entre chaque échantillon, et peut compromettre la répétabilité du protocole.
184
Canson® 120 g/m2 - Couche picturale lisse Échantillons
Masse à l’arrachage (kg)
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 Moyenne (kg) Écart-type Incertitude absolue Incertitude relative (%)
1,46 1,22 2 1,24 1,30 1,39 1,40 1,23 1,24 1,25 1,3 0,09 0,06 4,6
Figure 168. Détail en cours de pelage de l’échantillon – couche picturale lisse
Couche picturale empâtée Échantillons
Masse à l’arrachage (kg)
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 Moyenne (kg) Écart-type Erreur absolue Erreur relative (%)
1,38 1,26 1,30 1,40 1,37 1,37 1,63 1,50 1,38 1,26 1,36 0,08 0,05 3,7
Avec une erreur relative en dessous de 5% pour les deux types d’échantillons, le protocole expérimental est validé.
185
Les tests de pelage des échantillons au papier Canson® ont été réalisés à nouveau, car la colle de pâte utilisée lors de la validation du protocole expérimental était différente de celle utilisée pour toutes nos expérimentations. Échantillons Canson (120 g/m2)
Masse à l’arrachage (kg) Lisse Empâtements
1 2 3 Moyenne (kg)
1,62 1,68 1,74 1,68
Échantillons Non-tissé (35 g/m2) 1 2 3 Moyenne (kg)
1,44 1,50 1,56 1,50
Masse à l’arrachage (kg) Lisse Empâtements 5,25 5,12 Ne se délite pas 5,19
4, 67 5,21 4,96 5,09
Figure 169. Détail en cours de pelage de l’échantillon de non-tissé – couche picturale lisse
3.4 Interprétations des résultats Les résultats ont mis en évidence qu’il n’y avait pas de différence de maintien notable entre un cartonnage sur une surface lisse ou empâtée. Le papier Canson® montre une masse à l’arrachage de 1,68 kg pour une surface lisse et de 1,5 kg pour une surface avec empâtements.
186
Concernant le non-tissé, une masse de 5,19 kg, en moyenne, a permis de peler le papier sur une surface lisse, et une masse de 5,09 kg sur une surface empâtée. Il a été possible de remarquer lors de la réalisation des cartonnages, que le non-tissé n’accrochait pas au niveau des empâtements puisque des bulles d’air se formaient (figure 170).
Figure 170. Détails des bulles d'air au niveau des empâtements - cartonnage non-tissé
Le papier Canson® présenterait alors une meilleure adhérence sur une surface avec reliefs car il est plus souple et adhérent.
Figure 171. Échantillons de Canson® avec empâtements
Les résultats de l’expérimentation montrent néanmoins un comportement inverse. Le non-tissé a présenté une accroche sur la couche picturale (lisse et avec empâtements) considérablement plus élevée qu’un papier Canson®. Il a fallu en moyenne 5,19 kg pour que le non-tissé se délite sur une surface lisse, contrairement à 1,68 kg pour le Canson®. Sur une surface avec empâtements, 5,09 kg sont nécessaire pour le pelage du non-tissé, et 1,50 kg pour le Canson®. La structure aux fibres non orientées du matériau synthétique pourrait expliquer cet étonnant maintien. Les fibres sont enchevêtrées de manière aléatoire, créant ainsi une multitude de points d’accroche sur la surface. 187
Ainsi, le non-tissé a beau ne pas adhérer sur les empâtements, cela ne s’observe pas dans les résultats car les fibres ont créé une accroche sur les surfaces lisses adjacentes. Des erreurs aléatoires viennent ici aussi influencer les résultats. Le facteur humain est non négligeable puisque les papiers seront plus ou moins adhérents en fonction de la pose de la colle de pâte durant la réalisation des cartonnages. Malgré les pesées de la colle, le problème récurrent de l’homogénéité dans son application se pose. De plus, des causes d’erreurs et d’hétérogénéité sont très probablement dues au dispositif de pelage artisanal. De nombreux éléments indépendants font partis de l’installation et engendrent des frottements. Il aurait été bon de réduire ces interfaces, et notamment remplacer le système pince à étau-plaques en bois qui ne présentait pas une pression suffisante pour maintenir les échantillons de non-tissé lorsque le poids de la bouteille dépassait en moyenne 4,5 kg. Une pince à étau à mord plus larges a été testée mais la structure était trop lourde et pelait les échantillons sans ajout de poids annexe. Ainsi, l’expérimentation a mis en évidence que le papier non-tissé présente un maintien élevé sur une couche picturale. Mais le cartonnage au non-tissé assurerait-il un maintien suffisant du tableau pour une opération lourde tel qu’un rentoilage, induisant pression et chaleur. Le papier synthétique ne présente pas les qualités de mouvements et de souplesse d’un papier Canson®. Le meilleur maintien d’une œuvre lors du nettoyage mécanique du revers a été mis en évidence par l’étude d’Émilie SOYER, mais il serait intéressant de voir ce qu’il en est dans le cadre d’un rentoilage. Quel papier présenterait la meilleure réaction au passage du fer, suivrait le mieux les mouvements du support etc. ? Les résultats obtenus lors de ces trois expérimentations tendraient vers un meilleur maintien et protection d’une œuvre par un papier Canson®.
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CONCLUSION Étude de l’utilisation des non-tissés de polyester en remplacement du papier Canson® dans le cadre du cartonnage Cette expérimentation a permis de prendre du recul sur la technique du cartonnage et comprendre les propriétés mécaniques des matériaux employés. Pour répondre à la problématique initiale, le cartonnage traditionnel au Canson® 120 g/m2 et le cartonnage au matériau synthétique de 35g/m2 sont deux techniques aux propriétés mécaniques très différentes. L’étude de la rétention d’eau des cartonnages a mis en évidence des résultats intéressants. Le cartonnage au papier bulle est celui qui présente le moins de rétention d’eau avec une stabilisation à partir de 5 heures de séchage, puis le Canson®, dont la perte d’eau se stabilise vers 7 heures, et enfin le non-tissé de polyester qui met une dizaine d’heures avant d’évacuer la majeure partie de l’eau apportée. Cela a mis en évidence une rétention d’eau supérieure pour le non-tissé, censé ne pas être sensible à l’eau. Un résultat étonnant qui s’expliquerait par le grammage testé et surtout par ses propriétés mécaniques. Il ne s’agirait pas d’une réelle absorption par les fibres synthétiques mais plutôt une rétention des molécules d’eau qui se retrouveraient piégées entre les fibres enchevêtrées de manière aléatoire. La seconde partie de l’étude a démontré une rétractation du Canson® au cours du séchage principalement dans le sens transversal qui, combinée, à la traction périmétrique des tirants, va permettre la remise à plat du tableau de manière plus progressive et efficace. Le non-tissé quant à lui ne se rétracte pas durant le séchage de la colle, les tirants sont donc les seuls à exercer une force de traction sur l’œuvre peinte. Finalement, la dernière partie de l’étude a mis en évidence un maintien du non-tissé sur une couche picturale acrylique et non protégée, supérieur au Canson® dû à sa structure aux fibres enchevêtrées. Ce sujet mériterait d’être approfondi en comparant des papiers non-tissés de différents grammages afin d’illustrer d’éventuelles différences comportementales au sein de cette même 189
famille de matériaux synthétiques. Cela permettrait aussi de mieux comprendre les propriétés mécaniques de ces matériaux qui entrent de plus en plus dans les techniques de restauration actuelles. Il serait aussi intéressant de concentrer une étude sur les conséquences d’un tel apport d’humidité sur une couche picturale huileuse âgée et récente, vernie ou non. Finalement, des échantillons de peinture sur toile avec des lacunes et des déchirures permettraient de mettre en évidence quel papier présenterait la meilleure reprise des déformations et rapprocherait les bords de déchirure.
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CONCLUSION GÉNÉRALE
Ce mémoire a été le fruit d’un travail de recherches et de réflexion passionnant. L’étude historique a été captivante dans cette volonté de comprendre la nature de l’œuvre mais aussi son histoire, tant dans les conditions et le contexte de sa création, que dans son parcours. Cette œuvre ni datée, ni signée a présenté alors un vrai défi et a suscité une grande curiosité. Ces recherches ont mis en évidence que l’oeuvre a été peinte en s’inspirant d’une gravure publiée en plusieurs tirages dès 1769, elle-même réalisée d’après une œuvre de Joseph Vernet conservée au musée du Louvre depuis 1794. Cette œuvre décorative aurait été réalisée dans la fin du XVIIIème– début XIXème siècle potentiellement dans le cadre d’une commande pour être exposée dans un ensemble de boiseries. L’artiste reste toutefois inconnu puisque Vernet a été un peintre abondamment copié et que la gravure étudiée était accessible à tous. Des failles dans la traçabilité de l’œuvre au musée Dobrée nous empêchent de connaître les conditions de son arrivée au sein des collections et d’affiner la datation. Un numéro d’inventaire sur le châssis et le support textile témoigne de la présence du tableau dès les années 1950. L’étude et la restauration de cette huile sur toile prêtée par le musée Thomas Dobrée de Nantes a été très formatrice autant d’un point de vue théorique que pratique. Cette œuvre muséale présentait certains éléments constitutifs singuliers, et un état de dégradation avancé. Cela nous a permis de réaliser des opérations de restauration diversifiées. La principale problématique de cette restauration était principalement le nettoyage de la couche picturale qui présentait des couches de vernis hétérogènes ayant pris une coloration brune, la présence de taches sous-jacentes qui parsemaient la grande majorité de la couche polychrome originale et des repeints huileux discordants. La cohésion de la stratigraphie a été rétablie par la mise en œuvre d’imprégnations synthétiques au revers, rétablissant ainsi une stabilité au sein de la couche picturale et un renfort du support textile.
191
Enfin, le travail de réintégration picturale a présenté un vrai défi à travers le besoin de rétablir une homogénéité de la couche picturale, compromise par les résidus de vernis anciens et les taches d’oxydation brune. Il était important de redonner à l’oeuvre son aspect esthétique et décoratif d’origine, tout en restant dans le respect de la représentation originale et de son histoire. Ces éléments gênants ont donc été intégrés pour qu’ils deviennent invisibles à la distance où l’œuvre est observée mais perceptibles une fois que l’on se rapproche. L’unité de l’œuvre a été ainsi rétablie sans dissimuler les traces de son histoire. Finalement, le projet technico-scientifique nous a donné l’opportunité d’établir une réflexion sur une problématique qui nous intéressait et de tenter d’y répondre. Il nous a permis de développer un esprit critique vis-à-vis de notre travail afin de comprendre les limites de nos expérimentations, mais nous a aussi permis d’ouvrir notre réflexion. Cette étude a donc permis de mieux comprendre les propriétés mécaniques du non-tissé de polyester (35 g/m2) dans le cadre d’un cartonnage. Cela a mis en évidence les différences comportementales par rapport à un papier Canson® (120 g/m2), traditionnellement utilisé. Trois expérimentations ont été entreprises. La première a présenté les capacités de rétention d’eau de chacun des types de cartonnage à travers des pesées au cours de leur séchage. Le non-tissé a révélé une rétention d’eau et un temps de séchage plus élevé que le Canson®. La seconde a été l’étude de la rétractation des échantillons au cours de leur séchage une fois encollés à la colle de pâte, ne révélant aucun mouvement du non-tissé contrairement à une rétractation dans le sens transversal plus important pour le papier Canson®. La dernière partie a mis en évidence un maintien du non-tissé supérieur au Canson® lors de tests de pelage.
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BIBLIOGRAPHIE
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TABLE DES ILLUSTRATIONS
Photographies personnelles Première de couverture, figure 1, 2, 3, 4, 5, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 34, 41, 43, 44, 45, 47 à 164, 166 à 171, 172. Ouvrages, catalogues d’exposition et revues Fig. 11 : BOUDRIOT Jean, Le navire marchand Ancien régime Etude historique et Monographie, Paris : J. Boudriot, 1991. Coll. « Archéologie navale française ». Fig. 27, 29 : Musée des Beaux-Arts de Rouen, La marine à voile de 1650 à 1890, autour de Claude- Joseph Vernet, Anthèse, 1999. Fig. 42 : Trumeaux et dessus de portes, une tradition décorative XVII-XVIIIème siècles, Ville de Nice, 1999. Fig. 57 : BERGEAUD Claire, ROCHE Alain, HULOT Jean-François, La dégradation des peintures sur toile : Méthode d'examen des altérations, Paris, Ecole Nationale Du Patrimoine, 1997. Fig. 61 : ROCHE Alain, Comportement mécanique des peintures sur toile, Paris, CNRS EDITIONS, 2003. Sites internet Fig. 6 et 7 : http://gallica.bnf.fr/ Fig. 28 : http://www.musee-marine.fr/programmes_multimedia/vernet Fig. 30 : Photo© RMN-Grand Palais / Jean-Gilles Berizzi (http://www.photo.rmn.fr/) Fig. 31 : Photos© RMN-Grand Palais / Franck Raux et Jean-Gilles Berizzi (http://www.photo.rmn.fr/) Fig. 32, 37, 38 : http://www.photo.rmn.fr/ Fig. 33 : Photo© RMN-Grand Palais / Franck Raux (http://www.photo.rmn.fr/) Fig. 35 : Photo© RMN-Grand Palais / Jean-Gilles Berizzi et Franck Raux (http://www.photo.rmn.fr/) Fig. 39 : http://www.artnet.com/artists/philippe-rey/ Fig. 165 : Https://www.fujifilm.eu/fr/produits/produits-industriels/prescale/film-de-mesureprescale/ Autres sources Fig. 36 : Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France, Jean-Paul Vandenbossche. Fig. 40 : numérisation par la BnF provenant de : Œuvre de Jean Daullé, graveur du roi. Ce recueil contient quatre-vingt-quatre estampes gravées d'après les tableaux des plus grands peintres italiens, flamands & français, tirés des plus célèbres cabinets de Paris, Paris : Chez la veuve Daullé, 1769. Fig. 46 : Musée Dobrée©, Hervé Neveu Dérotrie – Grand Patrimoine de Loire Atlantique, oct. 2014.
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ANNEXES ANNEXE N°1 : Notice complète de l’œuvre fournie par le musée Thomas Dobrée « Les pêcheurs à l’ouvrage, Claude-Joseph Vernet 1- Fiche descriptive de l’oeuvre Numéros d'inventaire : 896.1.3812 Désignation : Tableau! Les pêcheurs à l'ouvrage ou Marine, le midi Création : Attribué à Vernet, Joseph Claude (1714-1789) Matière : Toile, bois Technique : Peinture à l'huile Mesures : Hauteur en cm 103,5 Largeur en cm 80 Constat d'état : Statut : Actuel! Etat : Mauvais état! Intégrité :!lacune(s) / manque(s) nombreuses, notamment dans le pourtour!lacune(s) / manque(s) châssis!collé sur support secondaire cadre de bois blond! Notes : Vue par les restauratrices (Françoise Le Corre et Vélia Dahan) en novembre 2004. Bibliographie : Villot, Notices des tableaux exposés dans les galeries du musée impérial du Louvre, tome 3, école française, Paris, Charles de Mourgues frères, 1864 Notes : n° 627 Gaston Brière, catalogue des peintures exposées dans les galeries du musée national du Louvre, école française, Paris, musées nationaux, 1924Notes : tome 1, n° 931 Florence Ingersoll-Smouse, Joseph Vernet : peintre de marines, 1714-1789. Etude critique suivie d'un catalogue raisonné de son oeuvre peint avec 357 reproductions, Paris, éd. Etienne Bignou, 1926Notes : p. (ou n°) 83 Isabelle Compin, Catalogue sommaire illustré des peintures du musée du Louvre et du musée d'Orsay, Paris, RMN, 1986, p. 269Notes : tome IV, école française, L-Z Manoeuvre, Rieth, Joseph Vernet. Les Ports de France, Anthèse, 1994 Notes : p. 106!. Autour de Claude-Joseph Vernet, la marine à voile de 1650 à 1890, exposition, musée des BeauxArts de Rouen, 1999 Notes : p 106, n° 8.
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Objet associé : Musée du Louvre, 8343 iconographie semblable mais inversée, tableau conservé au Louvre, datant de 1743 (Hauteur : 44, Largeur : 65 cm)
5. Oeuvre très proche conservée au Louvre Le Musée du Louvre conserve une oeuvre très proche de celle conservée au musée Dobrée, portant le numéro 8343, dont voici la fiche descriptive disponible sur Joconde : »
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ANNEXE N°2 : Glossaire des termes de la marine utilisés Antenne Vergue des voiles latines.
Guidon (ou cornette) Pavillon triangulaire plus court et plus large que la flamme.
Arbre Mât. Artimon Mât placé à l’arrière d’un navire à plusieurs mâts ; voile la plus basse sur le mât d’artimon. Bâbord Côté gauche d’un navire lorsque l’on regarde vers l’avant. Beaupré Mât incliné vers l’avant qui se trouve à la proue d’un navire à voile.
Grand mât Mât central et le plus élevé d’un navire à troismâts. Gréement Ensemble des espars et cordages servant à l’établissement et à la manœuvre de la voilure d’un navire. Haubans Câbles ou cordages qui maintiennent le mât vertical. Misaine Mât placé à l'avant sur un voilier possédant plus d'un mât.
Brick Navire à deux mâts et voiles carrées. Brigantin Navire à deux mâts, doté d’un gréement carré à l'avant et à voile aurique à l'arrière. Carguer Retrousser les voiles contre leurs vergues à l’aide de cargues.
Mâture Comprend les mâts, les vergues et le beaupré. Pavillon Drapeau indiquant la nationalité du navire. Poupe Partie arrière d’un navire.
Civadière Voile carrée à l’avant du navire, présente sur les anciens voiliers.
Proue Partie avant d’un navire.
Étai Câble servant à maintenir le longitudinalement à l’avant du navire.
Sabord Ouverture dans la coque d'un navire, par laquelle passent notamment les fûts de canons.
mât
Flamme Bande de tissu, longue et étroite, en forme de triangle attachée au sommet d'un mât. Flûte Navire marchand hollandais à trois-mâts très répandu du XVIIème au XVIIIème siècle.
Tartane Petit bâtiment méditerranéen avec une voile triangulaire servant principalement au transport de marchandises. Tribord Côté droit d’un navire lorsque l’on regarde vers l’avant.
Frégate Bâtiment de guerre rapide à trois mâts.
Trinquet
Goélette Navire léger à deux mâts et voiles auriques (en forme de trapèze).
Vergue Pièce de bois perpendiculaire au mât qui porte la voile.
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ANNEXE N°3 : Gravure intitulée Vue d’une Maison de campagne aux environs de Naples, recueil de la veuve de Jean Daullé
ANNEXE N°4 : Gravure intitulée Les Pêcheurs à l’ouvrage, recueil de la veuve de Jean Daullé
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ANNEXE N°5 : Informations transmises par Mme Nicole Lemoine, responsable du Centre de Documentation du musée Thomas Dobrée De: LEMOINE Nicole À: Maud POULIOT Objet: RE: Oeuvre de mémoire, recherches historiques Date: 3 avril 2015, 16 :23
Objet : informations sur l'entrée de l'œuvre 896.1.3812
Bonjour, Je reviens vers vous afin de répondre à vos questions. Cette œuvre porte bien un numéro 896.1.etc ; cependant, en approfondissant la recherche avec Madame Claire de Lalande, nous ne sommes pas sûrs du tout qu'elle provienne de la collection Dobrée. Ces n°s numéros d'inventaire (896.1....) ont été donnés rétrospectivement dans les années 1955-56. Le registre d'inventaire du musée ne précise rien. Le numéro 60, au dos de l'œuvre, ne donne pas plus d'éléments d'information (Inventaire après décès). De plus, nous ne la retrouvons pas citée dans le catalogue général des collections du musée de 1906. Je ne peux vous donner, hélas, plus d'éléments. Les correspondances, que le musée conserve sur l'acquisition des collections, concernent les livres et les estampes et non les œuvres d'art. Cependant, si vous voulez des éléments généraux sur la collection Dobrée, je vous renvoie au catalogue suivant, publié en 1997: Thomas Dobrée, un homme, un musée Editions Somogy, 1997.
Vous pouvez le consulter dans une bibliothèque ou au centre de documentation du musée Dobrée. Il parait que l'on peut encore le trouver dans certaines librairies ou sur le Net. En vous souhaitant une bonne fin de semaine, je vous prie d'agréer, Madame, l'assurance de ma respectueuse considération.
Nicole Lemoine Responsable du Centre de Documentation
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ANNEXE N°6 : Suite de la correspondance avec Mme Nicole Lemoine De: LEMOINE Nicole À: Maud POULIOT Objet: RE: Oeuvre de mémoire, recherches historiques Date: 29 avril 2015, 09 :00 Objet : 896.1.3812/Les pêcheurs à l'ouvrage. Provenance de l'œuvre Bonjour Madame, Toutes vos déductions sont bonnes et fondées. Cependant, l'absence du catalogue de 1906, ne prouve pas une acquisition postérieure : c'est un constat qui pose la question. Concernant cette œuvre, il est vrai qu’à ce jour, les recherches posent plus de questions qu'elles n'apportent de réponse. Pour ce qui est de votre constat sur la troisième partie de votre travail, je comprends votre remarque. En effet, l'historique du cheminement de cette œuvre s'avère différent de celui des collections Dobrée bien identifiées. L'histoire des œuvres et des collections est faite, parfois, de ce type de constatations : ceci n'altère pas la valeur intrinsèque de l'œuvre. Vous pouvez, peut-être, entrer en relation avec la Conservation afin d'affiner votre analyse. Si jamais, je trouve un élément nouveau, je vous en informe. Je vous prie d'agréer, Madame, l'expression de ma respectueuse considération. Nicole Lemoine Responsable du centre de documentation
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ANNEXE N°7 : Constat d’état réalisé par le musée Thomas Dobrée en 2010
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ANNEXE N°8 : Tests effectués sur l’oeuvre 1. Tests effectués sur la toile d’origine ! Test de combustion Mise en œuvre : Un fil de chaine et de trame sont prélevés et brûlés afin d’observer leur comportement durant la combustion. Cette expérience est réitérée avec un fil de toile de lin vierge afin de comparer les résultats. L’odeur lors de la combustion, le temps et l’analyse des cendres sont pris en compte. Résultat : Il s’est avéré que la combustion des fils prélevés était relativement lente en laissant des cendres claires et peu nombreuses. En comparant avec l’échantillon de toile de lin vierge, la combustion est similaire. ! Test de Brossard Mise en œuvre : Un échantillon est mouillé à l’éthanol, puis immergé dans une solution de permanganate de potassium à 1% pendant une minute puis rincé à l’eau distillée. L’échantillon est ensuite décoloré à l’acide chlorhydrique et de nouveau rincé. Finalement, il est immergé dans de l’ammoniaque pur. Si le fil ne change pas de couleur il s’agit de lin, s’il est rose, de chanvre et s’il est rouge, de jute216. Résultat : Les fils n’ont pas changé de couleur, il s’agirait donc probablement d’une toile de lin. 2. Tests effectués sur la préparation ! Test de réactivité à l’eau Mise en œuvre : Une écaille de préparation est immergée dans une goutte d’eau déminéralisée durant 20 minutes. La réaction de la préparation à l’eau (solubilisation, gonflement) permet d’en savoir davantage sur sa nature grasse ou maigre. Résultat : L’écaille de préparation n’a eu aucun comportement à l’eau. Il s’agirait probablement d’un liant hydrophobe lipidique. ! Test à l’acide chlorhydrique Mise en œuvre : De l’acide chlorhydrique est déposé sur une écaille de préparation. Si une effervescence est constatée, c’est que la charge serait composée de carbonate de calcium ou de plomb. Résultat : La préparation émet une effervescence au contact de l’acide chlorhydrique, elle est donc composée de carbonates. 216
BROSSARD Isabelle, op. cit., p. 54
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Figure 172. Effervescence préparation blanche (x8)
de
la
3. Tests effectués sur la couche colorée ! Test de réactivité à l’eau Mise en œuvre : Une écaille de couche colorée est immergée dans une goutte d’eau déminéralisée. La réaction de la couche colorée à l’eau (solubilisation, gonflement) permet de déterminer sa nature huileuse ou maigre. Résultat : L’écaille de couche colorée n’a eu aucun comportement à l’eau. Il s’agirait probablement d’une technique à l’huile. 4. Tests effectués sur l’enduit ! Test à la chaleur Mise en œuvre : Une écaille est soumise à un apport de chaleur avec une spatule chauffante. Le test est débuté à 50°C, température de transition vitreuse de la colle de peau et monté jusqu’à observation d’un comportement de l’échantillon. Résultat : L’échantillon ne présente aucun ramollissement à la chaleur. La spatule a été montée jusqu’à 150°C, la matière devient friable et s’effrite. ! Test de réactivité à l’eau Mise en œuvre : - Une écaille d’enduit est immergée dans de l’eau déminéralisée. - Un bâtonnet ouaté humidifié est mis en contact avec la surface enduite, sans frottement. Résultat : Il n’y a aucun gonflement ni solubilisation de l’échantillon. Le test à l’aide d’un bâtonnet ouaté humidifié n’a présenté aucun effet. Les tests de réactivité à l’eau ont été réalisés avant le traitement de restauration et n’ont pas révélés de sensibilité de l’enduit. Après la pose du papier de protection à la colle de pâte diluée, un nouveau test a été effectué et a démontré un comportement différent. La couche d’enduit a présenté une sensibilité à l’eau suite au passage du bâtonnet ouaté humidifié. Ce dernier a été frotté sur la surface enduite et la solubilisation a mis une minute.
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! Test de réactivité aux solvants organiques Les principaux solvants organiques ont été testés avant le début du traitement (acétone, éthanol, white-spirit) et n’ont présenté aucun effet. 5. Tests effectués sur les mastics de consolidation ! Test de réactivité à l’eau Mise en œuvre : Une goutte d’eau déminéralisée est déposée sur un des mastics de consolidation au revers. Le comportement de la goutte est ensuite observé (temps d’absorption, diffusion). Résultat : La goute d’eau reste d’abord en surface, puis se disperse relativement rapidement (au bout de 30 secondes) et se diffuse au sein du substrat. Ce comportement nous indique que la matière est poreuse, probablement de nature maigre. ! Test à l’acide chlorhydrique Mise en œuvre : Après avoir prélevé un échantillon, celui-ci est déposé dans une goutte d’acide chlorhydrique. Si une effervescence est constatée c’est que la charge serait composée de carbonates. Résultat : L’échantillon émet une effervescence au contact de l’acide chlorhydrique. La charge utilisée dans la réalisation des mastics est donc composée de carbonates.
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ANNEXE N°9 : Fiches techniques des produits employés
FICHE DE DONNEES DE SECURITE 1. IDENTIFICATION DU PRODUIT ET DE LA SOCIETE Nom du produit : COLLE CERVIONI, DE POISSON, D’OS ZURIGO, DE LAPIN, GELATINE TECHNIQUE Type de produit et emploi: colle Nom, adresse complète et numéro de téléphone de la Société: C.T.S. S.r.l. VIA PIAVE N. 20/22 - 36077 - ALTAVILLA VICENTINA (VI) - ITALIA TEL. 0444-349088 FAX 0444-349039
2. COMPOSITION DU PRODUIT Protéines animales en forme de gouttes, grumeaux, poudre, produits d’os ou de peaux animales
3. IDENTIFICATION DES DANGERS Non corrosif, non inflammable, non toxique.
4. PREMIERS SECOURS En cas de contact avec les yeux ou la peau il suffit de se laver avec de l’eau.En cas d’ingestion consulter un médecin.
5. MESURES DE LUTTE CONTRE L’INCENDIE Aucune mesure, le produit n’est pas inflammable. Par raison de sécurité un simple jet d’eau suffit.
6. MESURES EN CAS DE DISPERSION ACCIDENTELLE Précautions individuelles :aucune Protection du milieu ambiant: Eviter de faire pénétrer le produit dans les égouts Méthode de nettoyage : Recueillir mécaniquement. Recycler est mieux que d’éliminer.
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7. MANUPULATION ET STOCKAGE Conserver dans un lieu sec et frais. Tenir éloigner des sources de chaleur
8. CONTROLE DE L’EXPOSITION / PROTECTON INDIVIDUELLE Pour le travail : pas d’indication. Pour la protection individuelle : respecter les indications officielles de l’hygiène sur le lieu de travail. Pag. 1
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ENZYMES POUR LE NETTOYAGE DES TABLEAUX DESCRIPTION MIX ENZYMES Mélange d enzymes purifiées et sélectionnées, avec solution-support spécifique, pour retirer des substances protéiques telles que Caséine, Colles et Gelatines Animales, Albumine et Oeuf. Composition : mélange d enzymes sous forme déshydratée, de couleur marron, avec épaississant cellulosique., Emploi : solution enzymatique agissant sur les substances protéiques. LIPASES Mélange d enzymes lipases purifiées et sélectionnées, avec solution-support spécifique pour retirer Cires, Résines synthétiques comme Esters Acryliques et Vinyliques et Huiles siccatives (Vernis Oléo-Résineux, Beveroni , repeints). Composition : mélange d enzymes lipases, sous forme deshydratée, de couleur blanchâtre, avec épaississant cellulosique. Emploi : solution enzymatique agissant sur les substances grasses. AMILASES Mélange d enzymes amilases purifiées et sélectionnées, avec solution-support spécifique pour retirer Colle d amidon, Colle de Pâte, Gommes Végétales, Farines et Amidons. Composition: mélange d enzymes amilases, sous forme deshydratée, de couleur jaune pâle, avec épaississant cellulosique. Emploi : solution enzymatique agissant sur les substances amylacées. AVANTAGES • L activité des ENZYMES reste inaltérée, même si conservées à des températures supérieures à 4°C (il est conseillé de les conserver à des températures comprises entre 4°C et 20°C). • Il n est pas nécessaire de réchauffer le mélange d enzymes et les surfaces à traiter, sous des températures situées entre 35°C et 40°C. Ces mélanges d enzymes présentent des caractéristiques telles qu elles peuvent remplir leur activité maximum même à des Pag. 1
températures inférieures environ 15°C).
à
35°C
(jusqu à
• Le mix enzymes, étant constitué d un mélange d enzymes, est capable de retirer même des substances protéiques complexes (par exemple lipoprotéiques). PROCESSUS D UTILISATION DES ENZYMES POUR NETTOYER UNE COUCHE PICTURALE 1) Préparation de la solution support Le pot de 100 ml contient 3 grammes de Klucell G auquel on doit ajouter environ 100 ml d eau déminéralisée ( il n est pas important d être précis, il suffit de remplir le pot). Pour mieux dissoudre, on peut tiédir l eau ou bien chauffer au bain-marie. Laisser refroidir à température ambiante 2) Ajouter l enzyme à la solution de support et mélanger délicatement avec une baguette de verre ou de plastique (ne pas utiliser d objets métalliques car ils inhibent l'activité de l enzyme) jusqu à obtenir une solution de coloration homogène. Agiter très délicatement pour éviter la formation de bulles d'air à l'intérieur du gel. 3) Appliquer la solution d enzymes sur la surface du tableau avec des tampons de coton ou des pinceaux très souples. Le temps d application varie de 1 à 10 minutes. Il est conseillé d effectuer des applications d essais, avec des temps très brefs (de 1 à 3 minutes), afin d éviter que l'action de nettoyage n attaque la couche picturale proprement dite. Eviter que la solution d enzymes ne sèche sur la surface du tableau. 4) Enlever la solution d enzymes avec un tampon de coton, d abord à sec et ensuite avec la solution de lavage prévue à cet effet. 5) Nettoyer la surface plusieurs fois avec la solution de lavage pour retirer complètement l'enzyme.
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MODE D EMPLOI DES ENZYMES PAR IMMERSION OU EN IMBIBANT Si on utilise les enzymes en solution acqueuse et qu il n est pas nécessaire d appliquer en gel, la procédure est beaucoup plus simple, car préparer la solution de support devient inutile. On dissout simplement l enzyme dans de l eau déminéralisée. La dose est suffisante pour 1 litre environ de solution acqeuse. Le meilleur rendement est lié à une meilleure efficacité d un enzyme libre , en solution acqueuse, par rapport à un enzyme supporté par un gel, dont la mobilité est fortement réduite. Attendre toujours 15-30 minutes avant d appliquer pour laisser le temps à l enzyme de s hydrater parfaitement. Cette solution pourra être réchauffée à 30-40°C pour en améliorer le fonctionnement. Le rinçage final sera effectué avec seulement de l eau distillée ou si on le juge opportiun, avec la solution de lavage. N.B. Quel que soit la procédure choisie, ne pas exposer l enzyme et la solution enzymatique à plus de 45°C, car elle se dénature (perte de son activité) de façon irréversible. STABILITE
Les composants séparés, si conservés dans un endroit frais (entre 4°C et 20°C), sont stables pendant 18 mois. Les composants mélangés, si conservés dans un endroit frais (entre 4°C et 20°C), sont stables pendant environ 15 jours. DANGEROSITE ET TOXICITE Les solutions ne contiennent pas de composés toxiques ou nocifs. Le contact prolongé de la solution enzymatique avec la peau peut provoquer de légères irritations.Il est conseillé d utiliser des gants et un masque anti-poussières. CONDITIONNEMENTS MIX ENZIMES dose d enzymes lyophylisés pour 100 ml. de solution-support. Conditionnement pour préparer 100ml de gel support pour Mix Enzymes de 100 ml. Solution de lavage enzymes : conditionnement de 200 ml ENZYME LIPASE dose pour 100 ml. de solutionsupport. Conditionnement pour préparer 100ml de gel support pour Lipases de 100 ml. Solution de lavage enzymes : conditionnement de 200 ml ENZYME AMYLASE dose pour 100 ml. de solution support. Conditionnement pour préparer 100ml de gel support pour Amylase de 100 ml. Solution de lavage enzymes : conditionnement de 200 ml
SOLUTION DE LAVAGE DES ENZYMES : conditionnement de 200 ml. Les indications et les données reportés dans le présent opuscole sont basées sur nos expériences actuelles, sur des tests de laboratoire et sur une application correcte. Ces indications ne doivent en aucun cas remplacer les essais préalables qu il est indispensable d effectuer pour être certain de l adéquation du produit à chaque cas déterminé. C.T.S. S.r.l. garantit la qualité constante du produit mais ne répond pas d éventuels dégats causés par une utilisation incorrecte du matériau. De plus, elle peut changer à tout moment les composants et les conditionnements sans aucune obligation de comunication.
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ANNEXE N°10 : Formules utilisées pour le sujet technico-scientifique
Moyenne x̄ =
!!! !!!!! !!…!!!!! !
Variance !2 =
!
! ! !!! !! !!(! !!!!̄)!! !⋯!(! !!!̄)!! ! ! !! ! !!!
Écart-type ! = !2
Erreur absolue à 95% Δ! =
Erreur relative (%) =
!" !̄
!" !
x 100 en %.
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ANNEXE N°11 : Tests d’immersion des non-tissés de polyester
Des échantillons de non-tissé sont tous découpés à la même taille, c’est-à-dire des carrés de 10 x 10 cm. Chacun est immergé dans l’eau pendant 1 minute puis pesé à l‘aide d’une balance précise au dixième de grammes. Ensuite, les échantillons sont secoués afin de libérer l’eau superficielle. Le « secouage » de l’échantillon ne peut être homogène, l’expérimentation a donc été menée 10 fois pour vérifier la fiabilité du protocole. Avec une erreur relative de 2,77% et 5,6%, le protocole expérimental est validé.
Non-tissé (35g/m2)
Échantillons
Poids avant immersion
Poids après immersion
Poids après « secouage »
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 Moyenne (g) Écart-type (g) Erreur absolue (g) Erreur relative (%)
0,36 0,34 0,36 0,32 0,34 0,35 0,33 0,29 0,36 0,39 0,34 0,03 0,019 5,6
1,37 1,30 1,40 1,35 1,38 1,45 1,30 1,30 1,38 1,47 1,37 0,06 0,038 2,77
0,38 0,36 0,39 0,29 0,34 0,33 0,34 0,34 0,37 0,39 0,35 0,03 0,019 5,6
Pour calculer la perte de poids des échantillons après « secouage », nous appliquons la formule suivante : [(Valeur d’arrivée – valeur de départ)/ valeur de départ] x100. " [(0,35 – 1,37) / 1,37] x 100 = 74,4 %. L’échantillon de non-tissé perd en moyenne 74,4 % de son eau après avoir été simplement secoué.
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