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Etat d'urgence pour la distribution indépendante

u Films art et essai en berne, des surprises de plus en plus rares au box-office, concentration des entrées vers les œuvres les plus porteuses, c'est tout un pan de la diversité cinématographique qui est actuellement en grand danger au moment où une partie du public manque encore à l'appel. Face à ce constat alarmiste, les distributeurs indépendants affinent leur stratégie pour tenter d’assurer leur survie.

H C'est un constat connu de tous et de plus en plus alarmant. Malgré une offre art et essai d'une richesse infinie, bon nombre de spectateurs peinent encore à revenir en salles. Les explications sont multiples : perte d'habitude après sept mois de fermeture des lieux culturels, inquiétudes face à la situation sanitaire, traumatismes à la suite de la disparition d'êtres chers infectés par

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"First Cow" a bénéficié d'une campagne active de Condor Distribution sur Twitter.

le virus, contrainte du port du masque, préférence d’activités au grand air, prise de conscience d'une offre culturelle très forte sur les services VOD ou SVOD, dont ils se contenteraient désormais.

Dans ce contexte, la distribution indépendante ressort profondément impactée. De nombreux de distributeurs voient leur activité remise en question : “La situation est complexe et si elle demeure ainsi, beaucoup d'entre nous ne tiendrons plus très longtemps. Au mieux deux à trois ans” s'alarme Éric Lagesse, président de Pyramide et coprésident du DIRE. En 2021, aucun de mes films n'a dépassé les 100 000 entrées. Certains auraient dû atteindre le double. J’ai perdu 45% de mon chiffre d’affaires lié à l'activité salle et 25% de mon activité globale, y compris les ventes internationales, le catalogue et la vidéo. Mon but ne consiste même plus à réaliser un succès, mais à sauver mes films pour éviter de lourdes pertes financières. Cela ne peut plus durer. Surtout en investissant toujours autant de montants sous forme de minimums garantis et en dépensant toujours autant de frais d'édition.”

Dès lors, une question primordiale se pose : si la baisse de la fréquentation s'avère plus structurelle que conjoncturelle et que le modèle économique du cinéma s'en trouve totalement transformé, on peut se demander comment évoluera l'activité des distributeurs indépendants. “La vérité, c'est que très peu d'alternatives s’offrent aux secteurs de la distribution et de l’exploitation, prévient Éric Lagesse. Il y aura toujours des histoires à raconter. Donc si les films ne performent plus en salles, les producteurs destineront leurs projets aux plateformes ou à la télévision. Les acteurs tourneront dans ces projets. Les techniciens travailleront sur ces tournages. Mais le métier de distributeur sera toujours d'éditer des films pour les salles de cinéma. Si les producteurs et les créateurs se détournent de ce mode de diffusion, nous n’aurons pas d’alternative. Hormis disparaître ou devenir producteurs nousmêmes.”

Un piège à éviter

L’autre contrainte qui touche de plein fouet les distributeurs indépendants reste l'importance des frais d'édition et de sortie des films, et leur coût de fabrication. Les producteurs demandent toujours autant d'investissement en minimums garantis aux distributeurs qui ont pourtant vu leurs

« La situation est complexe et si elle demeure ainsi, beaucoup d’entre nous ne tiendrons plus très longtemps »

Éric Lagesse, président de Pyramide et coprésident du DIRE

recettes baisser considérablement. Si alléger les line up pour réduire les frais semble judicieux, cela précipiterait la chute de certaines entreprises du secteur : “les films coûteront toujours aussi chers. Les producteurs ne baisseront jamais leurs salaires. Les agents artistiques ne négocieront jamais des contrats au rabais pour leurs talents au nom de la crise sanitaire. Nous serons donc toujours autant sollicités. Et si nous investissons dans moins de films, les producteurs ne renonceront pas pour autant à financer leurs œuvres et se tourneront vers d'autres partenaires. Quitte à renoncer à une exploitation en salles ! Il y aura alors toujours moins de films destinés au cinéma et de plus en plus aux plateformes”, alerte le président de Pyramide.

Investir autrement

Si la réduction d’acquisitions de films semble donc à éviter, la révision des investissements paraît néanmoins nécessaire. Surtout dans un marché toujours plus complexe. “Il nous faut acheter des films différents et penser à d’autres modèles d'exploitation afin d'assurer davantage de rentabilité à nos œuvres, avertit Nicolas Rihet, coprésident d'Alba Films. À titre d'exemple, en achetant des films français, nous bénéficions de dispositifs comme le fonds de soutien. Mais sur ces mêmes œuvres, nous n’avons le plus souvent que les droits d’exploitation en salles. Alors qu’en achetant des films internationaux, nous bénéficions de tous les mandats (salles, vidéo, VOD), et pour une longue période. De fait, si un de nos films étrangers subit un échec lors de son exploitation en salles, son acquisition peut toujours être amortie ultérieurement.” Une solution astucieuse mais insatisfaisante pour les distributeurs indépendants qui tiennent à soutenir des œuvres françaises et à poursuivre leur collaboration avec des cinéastes français qu'ils ont accompagnés durant toute leur carrière. “Sur les productions locales, il faudrait que nous ayons plus de droits, notamment une part de coproduction ou des garanties sur d’autres mandats afin de couvrir une éventuelle non-récupération de nos frais d'édition et de nos minimums garantis. C’est ce qui a mis en difficulté plusieurs distributeurs indépendants au cours des dernières années : des MG conséquents, des frais d'édition colossaux, et tout cela pour très peu de droits” déplore Nicolas Rihet. Une refonte totale du mode de financement des films paraît improbable alors que la place du distributeur demeure centrale dans le montage financier des œuvres. À tel point que les producteurs s'appuient toujours sur ces partenaires. Trop peut-être ?

“Ce qui est paradoxal, c'est que malgré nos difficultés et nos pertes de recettes sur l’exploitation des films, les producteurs nous demandent d’investir toujours plus d’argent dans le préfinancement des œuvres, regrette Etienne Ollagnier, coprésident du SDI. Nous sommes dans une équation absurde où avec des perspectives de recettes réduites de moitié, on nous demande parfois le double d'investissement. Même si le marché est différent, un film coûte toujours aussi cher. Alors avant d'imaginer un nouveau modèle de production, il nous faut d'abord réfléchir aux moyens à mettre en œuvre pour générer à nouveau des recettes suffisantes.”

Concernant les budgets marketing pour la promotion de leurs films, les distributeurs indépendants tentent là aussi de réorienter leurs dépenses vers des supports de communication moins onéreux que les médias traditionnels. “Même si nous restons prudents dans nos dépenses de sorties, nous veillons à offrir la meilleure exposition à nos œuvres, en salles comme dans les médias. Mais si nos résultats demeurent inférieurs à ce qu'ils devraient être, alors nous devrons réfléchir à des sorties plus allégées et revoir notre communication. Privilégier le numérique est essentiel mais nos spectateurs n'en sont pas tous de fervents usagers. Dès lors, nous ne pouvons pas nous permettre de renoncer à l'affichage du jour au lendemain” prévient Éric Lagesse.

Repenser le modèle d'exploitation

C'est un sujet plus que sensible. Dans la nouvelle chronologie des médias, les salles demeurent des acteurs intouchables et privilégiés en conservant leur quatre mois d'exclusivité. Et pourtant, d'autres modèles d'exploitation des films ne seraient-ils pas envisageables et même bénéfiques aux acteurs les plus en difficulté de l'industrie ? Certaines œuvres fragiles ne mériteraient-elles pas de connaître une diffusion sur le digital bien en amont du terme de la fenêtre des quatre mois ? Une exception avec une diffusion à trois mois pour les films à moins de 100 000 entrées est-elle vraiment suffisante ? Moins de 50 000 entrées ne serait-il pas plus approprié ? “Cela nous aiderait tellement. Malgré leur qualité, certains films n'ont pas suffisamment accès aux salles et se retrouvent piégés dans une chronologie qui ne correspond absolument pas à la réalité du marché, prévient Nicolas Rihet. Si nous ne parvenons pas à faire performer nos films en salles, imaginez la difficulté de nos partenaires vidéos qui doivent les exploiter quatre mois plus tard. C’est une aberration. Les exploitants profitent de leur position dominante dans ce débat et refusent d'admettre que certaines de leurs revendications sont complètement obsolètes. Cette fenêtre ultra privilégiée de quatre mois pour les salles n'est plus acceptable. Dans de nombreux pays, elle est de 45 jours. J’ajoute qu’un rapport de la Cour des comptes a indiqué que 75% des aides ont été captées par les salles. Leur situation financière est incomparable avec la nôtre. Pour autant, on ne constate aucun changement d'état d'esprit dans leur programmation. Elles le font comme si la crise n'existait pas. Et nos difficultés n'en sont que renforcées.” Des propos aux-

Alba Films a obtenu ses meilleurs résultats grâce à des films de genre comme “Méandre” (70 000 entrées).

« Même si le marché est différent, un film coûte toujours aussi cher »

Etienne Ollagnier,

coprésident du SDI

quels la FNCF n'a pas souhaité réagir.

Privilégier les événements

À l'heure actuelle, si des blockbusters comme Spider-Man : No Way Home, Mourir peut attendre ou Dune ont tous enregistrés des résultats quasi équivalents à ceux qu'ils auraient connu avant la crise sanitaire, la plupart des films art et essai ont pour leur part signé des résultats bien en-deçà de leur standard. Les films de cette catégorie qui ont davantage performé sont ceux qui ont brillé dans les festivals ou lors de cérémonies internationales, tels que The Father (586 834 entrées) et Nomadland (598 857 entrées), ou encore ceux qui possèdent une dimension cinématographique très riche (ampleur de la photographie, décors foisonnants) qui s'apprécie sur un grand écran. C’est notamment le cas d’Illusions Perdues qui a été vu par près de 900 000 cinéphiles ou encore La Panthère des Neiges qui vient de dépasser le demi-million d'entrées. Un constat qui permet de penser qu'avec l'essor des plateformes, la dimension événementielle d'une sortie au cinéma est encore plus incontournable. Une approche qui peut donc s'incarner par la découverte en exclusivité d'un film multi primé, d'une promesse de spectacles et d'émotions fortes, mais aussi par l'organisation de débats autour de films porteurs de sujets sociaux contemporains. De ce côté, la société Jour2Fête aura réussi avec Debout les femmes ou Bigger than us qui ont attiré respectivement 127 253 et 151 629 spectateurs. “Notre principale objectif est de reconquérir notre public, rappelle Etienne Ollagnier, président de la société. Des films en lien avec l'écologie, la politique ou les questions sociales nous permettent ›

« La situation est complexe et si elle demeure ainsi, beaucoup d’entre nous ne tiendrons plus très longtemps »

Nicolas Rihet, coprésident d'Alba Films

de réussir les séances scolaires mais aussi d'organiser des événements spéciaux et des débats avec les associations locales qui peuvent doper la fréquentation. Alors que des films de fiction plus traditionnels peinent aussi bien dans leur démarrage que dans leur tenue.”

Un rajeunissement nécessaire

Si le public adulte et senior peine encore à revenir massivement dans les salles, cela ne semble pas être le cas des plus jeunes spectateurs, pourtant très friands de nouvelles technologies et de consommation audiovisuelle sur les nouveaux supports de diffusion. Proposer un cinéma d'auteur différent et indépendant s'adressant à ce public demeure essentiel.

Une stratégie pour laquelle a opté Amel Lacombe, présidente d'Eurozoom, il y a maintenant quinze ans et qui bénéficie de cette orientation éditoriale aujourd'hui. “De nombreux distributeurs indépendants ont toujours privilégié le cinéma d'auteur français pour leurs spectateurs abonnés à Télérama. C'est un système qui s'est construit avec la connivence du CNC, des salles et des festivals. Ce système marchait. Il ne marche plus. Le public de ces films n'est plus suffisamment présent aujourd'hui. Et il y a quinze ans, j'avais compris qu'il n'était pas éternel et qu'il était urgent de renouveler les spectateurs des salles art et essai qui sont désormais très heureuses d'accueillir des adolescents, des pré-adultes ou des jeunes adultes qui viennent y découvrir nos films d'animation japonais.”

La diversité des entreprises

S'il semble presque inespéré de voir le marché retrouver un niveau digne de celui de 2019 où 213 millions d'entrées avaient été recensées, la conviction des distributeurs indépendants reste que la fréquentation ne pourra revenir à son meilleur niveau sans leur travail de prospection de pépites et de nouveaux auteurs. “La diversité, ce n'est pas seulement les films art et essai. Certains indépendants font aussi bien du cinéma d'auteur que du cinéma généraliste, français ou international, rappelle Nicolas Rihet. Le cinéma d'animation permet d'amener au marché d'autres propositions que celles des studios. Si des indépendants disparaissent, il ne restera plus que Disney et Universal sur le créneau de l'animation. Et même avec ces seuls acteurs majeurs, nous ne reviendrons jamais au niveau de fréquentation historique d'il y a trois ans. La diversité permet d'aller plus loin dans la performance.”

Une diversité qui ne concerne pas seulement les œuvres diffusées en salles mais aussi les entreprises qui les distribuent, fortes de leur ligne éditoriale qui n'hésite pas à sortir des sentiers battus. “Il faut des sociétés qui prennent le risque de soutenir des nouveaux cinéastes dont les œuvres ne généreront pas nécessairement des entrées conséquentes à l'occasion de leurs premiers films. Cela a été le cas de Pedro Almodovar à ses débuts, rappelle Amel Lacombe. Et que dire de nos premiers résultats lorsque nous nous sommes lancés dans l'animation japonaise. Alors que nous touchons aujourd'hui un large et fidèle public. J'ajoute que les aides financières des institutions permettent de façonner un marché. Or jusqu'à présent, ces aides ont été concentrées sur les majorations de fonds de soutien pour les films français tandis que les distributeurs indépendants de films étrangers n'ont rien touché”.

Où sont les films français pour les plus jeunes ?

Pour beaucoup de distributeurs, il est encore difficile de se projeter. “La situation change chaque semaine. On ignore où on va”, témoigne Mathieu Robinet, fondateur de Tandem, jeune société de distribution née “dans l'oeil du cyclone”, fin 2020. “Notre année 2021 a été convenable. Mais l'année qui arrive va être plus difficile, avec des aides beaucoup plus réduites”, confie le distributeur dont le nouveau film, Un Monde de Laura Wandel, est sorti le 26 janvier. “L'événementiel est censé être au cœur de notre activité. Or c'est impossible aujourd'hui. Nous venons de sortir un film sur le harcèlement scolaire, mais sans séance scolaire”.

Mathieu Robinet demeure confiant suite au récent succès de Licorice Pizza de P.T. Anderson (Universal). “C’est la preuve que le public a des envies de cinéma. C'est dans les salles que les auteurs connaissent la consécration. Pas un seul cinéaste n'a tiré davantage de gloire sur une plateforme qu'en salle, et Spencer de Pablo Larrain (disponible sur Prime Video, ndlr) n’aura pas l’impact de Jacky”, poursuit le distributeur qui avait sorti le film du réalisateur chilien à l'époque où il était le directeur général de Bac Films. Néanmoins, Mathieu Robinet regrette certains choix de programmation des exploitants parisiens “qui donnent à certains films une exposition démesurée”. Des difficultés qui ont une répercussion sur les investissements. De ce point de vue, il confesse être plus prudent qu'auparavant sur ses acquisitions. “Une question demeure prioritaire : pourquoi un spectateur paierait 12€ pour voir tel film en salle ? Les films en langue étrangère sont de plus en plus difficiles à vendre. Ce qui nous a amené à nous recentrer sur des films français.” De la même manière qu’Eurozoom, l’autre enjeu de Tandem est de toucher la nouvelle génération. “Autant il est essentiel de toucher un public plus jeune, autant il est difficile de trouver les projets qui correspondent à ce public. Le Dernier Voyage de Romain Quirot (sorti le 19 mai 2021, ndlr) a obtenu de bons résultats (89 636 entrées, ndlr) mais nous peinons à trouver des films de la même ambition”. Pour le dirigeant, si le jeune public déserte les salles, c'est qu'il ne se reconnaît pas dans l'offre proposée. “Les jeunes spectateurs veulent un cinéma d'auteur qui leur correspondent. Il y a un problème de financement du cinéma français, basé sur les apports des chaînes de télévisions, qui empêche de construire des projets avec des stars identifiés par le jeune public.”

Une communication plus inclusive

De son côté, Alexis Mas, président de Condor Distribution, a obtenu quelques succès grâce à des prises de risques “totalement dingues”, en particulier pour le film de Kelly Reichardt, First Cow, dont il a documenté les aventures de distribution dans un thread très remarqué sur Twitter. Cette communication incarnée, où le distributeur tweete de son compte personnel, permet, selon Alexis Mas, de toucher son public cible de trentenaires. “J'ai beaucoup personnifié le discours, car les nouvelles générations veulent de l'inclusion. Notre métier suscite de l'intérêt mais reste très peu connu. Ce qui nous contraint à inventer, à proposer des choses différentes, surtout face à un public plus rare et une offre de films trop importante”, analyse le dirigeant de Condor. Si le cinéma n'est pas l'acti- ›

Le documentaire “Bigger than us” (Jour2Fête) a bénéficié de nombreuses séances débats et scolaires .

vité principale de Star Invest France, nouveau distributeur généraliste venu du monde de la finance, la crise n'a pas eu que des effets négatifs pour la société qui a pu acquérir des films sur lesquels ne se sont pas positionnés des distributeurs plus importants. “Ce qu’ils auraient pourtant certainement fait en situation normale”, affirme Gregory Ouaniche, directeur général pour qui les difficultés sont essentiellement circonstancielles. “Les spectateurs ont encore peur d’aller en salles, mais il faut rappeler que c’est un endroit safe”, insiste-t-il, appelant les exploitants à davantage communiquer dans ce sens. Pour Alexis Mas de Condor, la problématique est plus profonde. “Il faut sortir de la mono-dépendance aux séniors”, insiste le distributeur, qui confesse avoir vendu à Canal+ son seul film senior, The Goodbye de William Nicholson.

Le jeune public demeure en manque de films français comme “Le Dernier Voyage” (Eurozoom).

Des places très prisées

Président de Destiny Films, Hervé Millet a conscience que sa société ne joue pas dans la même cour que les principaux distributeurs du marché, mais dont les décisions ont pourtant des répercussions directes sur ses activités. “Depuis la réouverture des salles, les gros films ont des plans de sorties de plus en plus importants, et les distributeurs imposent parfois un nombre minimum de séances aux exploitants. Ce qui, de fait, les empêche de programmer des films plus difficiles, même sur des séances uniques”, explique-t-il. Pour Jonathan Musset, président de Wayna Pitch, le fossé se creuse entre les films porteurs et les petits films. “Les salles continuent à prendre nos films, mais avec de moins en moins de séances. Ces œuvres mériteraient plus d'exposition”. Le distributeur prend l’exemple de La Jeune Fille et l'Araignée de Ramon et Silvan Zürcher. “Ce film est sorti le 20 octobre avec un espace dans la presse qui correspondait à ce qu'il méritait”, dont une pleine page dans les Cahiers du Cinéma, de longs articles dans Le Monde et Libération. “Mais la combinaison des salles était catastrophique. Deux copies à Paris et à des horaires peu accessibles. Quand on apprend que certains distributeurs exigent un nombre minimum de séances, c'est scandaleux. Le CNC aurait dû interdire une telle pratique. Cela aurait simplifié les relations avec les exploitants.” Le distributeur éprouve aussi des difficultés à exister dans un marché avide de nouveautés. “Paradoxalement, il est difficile de faire exister un film dont on parle depuis des mois lorsqu’il sort enfin.” Malgré tout, Jonathan Musset préfère attendre pour pouvoir sortir les films au bon moment et pas dans l'urgence. “Mais les aides du CNC, qui nous ont permis de survivre, ont été octroyés en pourcentage des dépenses. Donc tout encourageait à sortir vite les films, quitte à les sacrifier”. Pour autant, pas question pour Wayna Pitch de resserrer son line up. “Au contraire, j'essaye de proposer plus de films. Si je réduis la voilure, je ne peux plus vivre de mon métier.” Alors, pour attirer un nouveau public, Jonathan Musset essaie de réfléchir à de nouveaux moyens pour communiquer avec peu de budget. Cela passe par un travail de création artistique sur les affiches, qui ne sont pas toujours dans les codes traditionnels des affiches de cinéma. Une proposition que l'on retrouve aussi chez Survivance. La société de distribution a par exemple fait appel à un dessinateur pour créer l'affiche de La Fièvre de Maya-Da Rin. “Elle a beaucoup été partagée sur les réseaux sociaux”, explique Guillaume Morel, co-fondateur de la société. Chez Wayna Pitch, on souhaite aller encore plus loin. Avec Années 20 d'Elisabeth Vogler, qui sortira le 27 avril, la société dévoilera prochainement un dispositif de communication original pour faire participer la communauté des specta-

“La jeune fille et l'araignée” (Wayna Pitch) a bénéficié d'une catastrophique combinaison de salles.

teurs, notamment en région. “Je crois beaucoup que les spectateurs sont lassés des publicités sur les réseaux sociaux. Il faut être inventif, trouver d’autres moyens”, poursuit le distributeur.

Une marque comme un label

Pour Survivance, “la difficulté est aussi d'attirer le public et les exploitants vers des cinéastes émergents, donc inconnus”, explique Guillaume Morel. “Vitalina Varela de Pedro Costa, sorti le 12 janvier, fonctionne plutôt bien, car Pedro Costa est un cinéaste déjà reconnu”. Le film a par ailleurs obtenu le Léopard d'Or à Locarno. “Mais pour un film comme L’Homme qui penche, documentaire sur le poète Thierry Metz par Marie-Violaine Brincart et Olivier Dury, c'est beaucoup plus compliqué. Le public et les salles veulent des valeurs sûres”. Guillaume Morel déplore ainsi le manque de prise de risques, même s'il remarque un nouveau public, plus jeune et de plus en plus présent, pour ces films exigeants. Enfin, une dernière question se pose : “Et si le nom du distributeur servait d'élément prescripteur ?” “Il nous faut développer une image de marque, répond Guillaume Morel. Bien que ce soit illusoire de ne fonctionner que là-dessus”. Mathieu Robinet souhaiterait lui aussi que Tandem puisse être un label pour le public. Alexis Mas entend à ce que Condor, particulièrement porté sur le cinéma d'auteur américain, puisse avoir une identité clairement identifiée. “Néanmoins, pour tenir la prise de risque, il est nécessaire de diversifier sa ligne éditoriale”, explique Alexis Mas. Pour Jonathan Musset, c'est un pari difficile mais nécessaire. “Aujourd’hui, Netflix fonctionne comme un label. De fait, en dépensant 100 000 € en affichage pour un film, ils font à la fois la promotion de leur plateforme et donc de tous leurs contenus. Quand un distributeur dépense la même somme, ce n'est que pour un film. C'est du oneshot. D'où notre difficulté de lutter et la nécessité de faire davantage identifier notre marque comme un label.”

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