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Denis Ruh : “l’EFM favorise l’innovation et le changement.”
HAlors que le marché européen de la Berlinale s’ouvrira le 10 février dans une édition en ligne, le directeur de l’EFM évoque les avantages et les inconvénients d’un marché numérique ainsi que les films les plus attendus du Festival. Sans oublier d’évoquer le futur du second plus grand marché du film.
Pour votre première année en tant que directeur de l’EFM (European Film Market), vous avez dû faire face à la crise sanitaire. Etes-vous optimiste sur la poursuite des affaires dans ces conditions ?
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Commencer mon mandat avec la Covid était en effet une difficulté à laquelle je ne m’attendais pas. Après le succès de l’édition en ligne de 2021 et les retours positifs des participants, nous bénéficions déjà d’un système stable que nous pouvons réutiliser, ajuster et améliorer sur certains points. De ce fait, je suis bien sûr confiant quant à la tenue d’un événement riche et intéressant pour nos participants.
À quoi ressembleront le marché et le festival une fois la crise de la Covid terminée ? Pensez-vous qu’une forme hybride sera gardée ?
Tout le monde attend le retour des événements en présentiel. Avant de prendre la décision d’élaborer une nouvelle édition en ligne pour cette année, j’ai échangé avec beaucoup de prestataires qui tenaient vraiment à rencontrer leurs clients, leurs partenaires et leurs amis à Berlin. L’industrie du cinéma est un secteur d’interactions sociales, un événement en physique sera définitivement la norme après la Covid. Ceci dit, le numérique s’impose dans tous les secteurs, y compris celui du cinéma et des médias. De fait, l’EFM gardera probablement une offre numérique, mais dans le cadre d’un événement physique.
Pensez-vous que la tenue d’un festival en présentiel puisse avantager les films en sélection ?
Le fait que le festival ait lieu en présentiel - avec les mesures appropriées - et le marché en distanciel, aidera les ventes des œuvres sur ledit marché. Le festival et le marché sont intimement liés. Le succès d’un film lors de sa présentation en compétition permettra de doper ses ventes auprès des acheteurs.
Quels sont les avantages d’une édition numérique ? Et les inconvénients ?
L’édition en ligne a le mérite d’être plus abordable pour ceux ou celles qui n’auraient pas les moyens financiers de voyager à Berlin. Cela permet une économie aux professionnels qui peuvent néanmoins prendre part à l’événement. De même, cela permet aussi aux personnes dans des pays imposant des limitations de déplacements de participer. amont que pour un marché entièrement physique, car vous ne pourrez y rencontrer quelqu’un par hasard.
En quoi cette édition 2022 de l’EFM diffèrera t-elle de l’année précédente ?
L’expérience digitale et numérique de l’année dernière fut positive. Jusqu’à 12 000 professionnels venus de 131 pays ont pris part quotidiennement aux différentes activités que nous avons proposées. Nous faisons tout notre possible pour fournir cette année encore les meilleures conditions possibles pour le déroulement de cette édition. Nous avons activement contacté les exposants et participants de l’édition de 2021 pour prendre en compte leurs critiques dans la conception de cette nouvelle édition. Nous avons restructuré les droits de gestion pour les visionnages en ligne et amélioré leur utilité pour les utilisateurs et les exposants. Un autre changement est la réorganisation de notre programme de conférences. Nous avons aussi introduit des “présentations Rough-Cut”, une sélection de documentaires encore en montage. Ce qui permet d’offrir un espace pour les réalisateurs afin qu’ils présentent leurs films, pitchs ou extraits aux acheteurs, programmateurs et agents de ventes. Pour avancer encore plus dans l’inclusion, la décision a été prise de développer la plateforme en ligne d’Inclusion Initiative, un programme visant à mettre en avant les professionnels du cinéma européens et du monde entier qui pourraient être sous-représentés.
Denis Ruh
« L’EFM favorise l’innovation et le changement »
Enfin, il y a des aspects durables, écologiques mais aussi économiques. Les désavantages sont assez évidents pour tous les professionnels qui rencontrent très peu de personnes. Un appel vidéo ne remplacera jamais un contact physique.
Qu’est-ce qui différencie l’EFM des autres marchés du film ?
L’EFM est un des trois plus grands marchés de contenus audiovisuels au monde. En tant que premier marché de l’année, il sert de baromètre pour les mois à venir. Avec son planning important de conférences de haut-niveau, l’EFM n’est pas seulement un marché dynamique pour la distribution et la vente de films et de contenus audiovisuels, il favorise l’innovation et le changement.
Selon vous, y a-t-il un film qui pourrait susciter un grand intérêt au marché de cette année ?
Étant donné que l’EFM et la Berlinale sont étroitement liés, nous suivons de près les films qui sont sélectionnés en compétition. Certains sont déjà vendus sur plusieurs territoires mais d’autres conservent leurs droits et sont vendus et achetés à l’EFM. Je prévois que certains films comme The Line, d’Ursula Meier, et One year, one night, d’Isaki Lacuesta, vont créer du buzz. Je mentionnerai aussi Rabiye Kurnaz vs George W. Bush, d’Andreas Dresen. Concernant la section Rencontres, je suis curieux de voir si des films comme Sonne, de Kurdwin Ayub, ou Brother in every inch, d’Alexander Zolothukin, peuvent générer de l’enthousiasme. L’attrait du marché est généralement influencé par des facteurs imprévisibles. Je m’attends à découvrir de belles surprises.
Quels conseils donneriez-vous aux participants désireux de rendre l’EFM en ligne le plus profitable et intéressant possible pour les ventes ?
La plupart de nos participants connaissent déjà l’événement et ce que nous y faisons. Avec l’arrivée du digital, il est préférable de se préparer plus en
Avez-vous pour ambition d’autres événements de ce type afin de conserver cette dynamique ?
Nous nous sommes accordés avec plusieurs partenaires stratégiques le mois dernier afin de rendre nos conférences plus écologiques. Sans oublier notre association avec plusieurs autres festivals et évènements, comme avec Séries Mania à Lille, qui nous permettront d’organiser des débats sur la représentation et l’inclusion des professionnels en situation de handicap dans l’industrie de la série, devant et derrière la caméra. Le lancement de notre propre Podcast, Industry Insights, va également dans ce sens.
Pouvez-vous nous dire à quoi ressemblera l’EFM 2023 ?
Nous prévoyons un événement physique avec quelques éléments en ligne qui sont devenus une partie intégrante du secteur et qui seront utilisés pour compléter notre expérience et notre offre en présentiel. Un besoin très important a été exprimé par tous nos partenaires pour un retour du marché en présentiel. Même cette année, nos espaces d’expositions étaient complets avant que nous renoncions à une édition physique.
une nouvelle fois, l'EFM a été contraint d'annuler son édition physique
Des ventes davantage impactées par l’état du marché que par le digital
HDepuis le début de la pandémie, nombreux sont les marchés à se tenir en digital. Avec quel impact pour les acheteurs et les vendeurs ?
Malgré une crise sanitaire sans précédant, le cinéma français a su conserver toute sa place auprès des acheteurs du monde entier qui reste très friands de la diversité et de la richesse de notre production hexagonale. Tous se montrent encore curieux de découvrir les nouvelles pépites des producteurs français, mélodrames, comédies, thrillers, films familiaux ou sociaux. Pour autant, la tenue des marchés dans des éditions en ligne a quelque peu bouleversé la donne. En effet, l’impossibilité d’organiser des projections publiques impactent nécessairement le sentiment d’urgence qui permet ainsi de créer une émulation auprès des acheteurs, sommés de formuler des offres rapides et de surenchérir tout aussi rapidement. “Le fait de ne plus pouvoir montrer nos films sur un grand écran à des acheteurs ne nous permet plus de créer un véritable buzz auprès de ces derniers, explique Ramy Nahas, responsable des ventes internationales de SND. Les marchés en présentiel se déroulent sur quelques jours. Cela génère un sentiment d’urgence. Il est impératif de s’inscrire à une projection précise, à une heure précise, pour découvrir une œuvre précise. Ce qui n’est pas le cas sur un marché virtuel qui s’étale sur des semaines.”
L’incertitude règne
L’autre inconvénient d’un marché digital réside évidemment dans l’absence d’un bouche à oreille porteur comme en témoigne Charlotte Boucon d’Orange Studio : “Dans un marché en présentiel, les acheteurs communiquent entre eux sur les coups de cœur qu’ils ont pu avoir. Le buzz se crée plus facilement. C’est impossible de retrouver cette effervescence lorsqu’ils sont tous chez eux, à ne communiquer qu’avec nous et à travers un écran d’ordinateur. Il n’y a plus de place pour un achat émotif.” Une absence de grand écran qui semble effectivement nuire à bon nombre de négociations : “lors d’une projection physique, les acheteurs ne regardent pas seulement l’écran, ils regardent les réactions de leurs confrères, ressentent l’enthousiasme de la salle” affirme Camille Neel du Pacte. Des découvertes totalement improvisées et opportunes sont également impossibles lors d’un marché digital : “quand on tient un stand, les acheteurs peuvent soudainement nous interpeller alors qu’ils n’avaient pas prévu de le faire. Une affiche peut susciter leur curiosité et les inciter à nous parler. Une démarche rendue également impossible par le numérique. Or l’imprévu contribue à la beauté de notre métier” rappelle Julia Schulte de France TV Distribution. Si ces nouvelles pratiques ne semblent pas faire totalement l’unanimité auprès de l’industrie, les ventes ne semblent pas nécessairement impactées par ce phénomène mais plutôt par l’état du marché. En effet, de nombreux distributeurs ayant accumulés tant de retard dans la sortie de leurs films en raison des fermetures successives des salles, beaucoup d’entre eux peinent encore à investir dans de nouvelles acquisitions. “L’incertitude règne. Dans ce contexte, on sent que les ventes se concentrent sur des films événements comme cela a pu nous arriver avec Kaamelott, explique Ramy Nahas (SND). Mais il est devenu plus difficile d’exporter des œuvres dites du milieu qui contribuent pourtant au rayonnement du cinéma français.”