Perruques — Persat, Jeffery, Forest, Lejolivet & Souviron, Perotto, Baghriche, Rodzielski

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Contributions de Bruno Persat, Charlie Jeffery, Dominique Forest, Antoine Lejolivet & Paul Souviron, Émilie Perotto, Fayçal Baghriche, et Clément Rodzielski, sur une proposition de Béatrice Méline. Perruques « On peut définir l’expression “travailler en perruque” comme travailler pour soi au sein d’une entreprise. Cette définition présente l’avantage de ne pas mentionner si c’est au détriment de l’entreprise, si la perruque n’est réalisée qu’avec le matériel de l’entreprise ou bien aussi avec les matériaux achetés par l’employeur, ou bien encore avec le carnet d'adresse des clients. Selon Étienne de Banville, à “perruque” correspondent des termes propres à certaines régions : “bricole” à Nantes, “casquette” à Tulle, “pinaille” à Sochaux-Montbéliard. » http://fr.wikipedia.org/wiki/Travail_en_perruque

Les contributions qui suivent présentent des idées, des formes ou des actions produites à la lisière du champ de l’art, dans le débordement d’un temps de travail, d’un espace de production ou d’une fonction donnée. Cette recherche reste ouverte : une actualisation sera publiée dans les suppléments web d’Hypertetxe N°2. Pour voir ou proposer de nouvelles contributions : www.projet-hypertexte.com ou info@projet-hypertexte.com


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Antoine Lejolivet & Paul Souviron www.encastrable.net

A. Dessiner le chevalet, encastrable, rĂŠsidence 9, Leroy Merlin Strasbourg.


« PERRUQUES » ENCASTRABLE

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Antoine Lejolivet & Paul Souviron

DEPUIS 2008, À STRASBOURG, ANTOINE LEJOLIVET ET PAUL SOUVIRON DÉVELOPPENT

www.encastrable.net

Haut de page : Side car, résidence 2, Leroy Merlin Ostwald.

www.encastrable.net

Gauche : Carambolage, résidence 4, Castorama Lampertheimourg. Droite : Matin d’automne, résidence 7, Leroy Merlin Vendenheim.

EN PARALLÈLE À LEUR PRATIQUE ARTISTIQUE INDIVIDUELLE

Page de suivante : Tri, résidence 3, Castorama Lampertheim.

http://antoine.frmdbl.com http://paulsouviron.free.fr Contribution proposée par Géraud de Bizien www.stationvastemonde.com


« PERRUQUES » ENCASTRABLE

« Prendre d’assaut ces cornes d’abondance que sont les grandes surfaces, y réaliser des actions éphémères faites d’une certaine économie de moyens, y injecter clandestinement atelier et espace d’exposition… transformer le réseau des hypermarchés en structure de résidence artistique.

C’est sur la simplicité de cette envie commune qu’est née la collaboration entre Antoine Lejolivet et Paul Souviron. Un exercice qui s’articule autour d’un mode opératoire aussi minimal qu’infiniment déclinable : formuler des sculptures sur la base des produits proposés par le magasin. Entre les rayons et les clients, exposer des agencements de contrebandier, sans clou ni vis (...). Ces grandes enseignes du bricolage, de la botanique ou de l’alimentation, installées en périphérie des villes, offrent aux deux artistes une réserve de matières premières s’étendant à perte de vue et c’est dans les interstices des règlements et de la forme qu’ils viennent déployer leur règle du jeu et installer leur petite entreprise de désorganisation. » G. Buchert (extrait). Texte intégral disponible sur www.encastrable.net

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« PERRUQUES » FAYÇAL BAGHRICHE

Fayçal Baghriche, extrait de la collection des «indésirables».


« PERRUQUES » FAYÇAL BAGHRICHE

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J’ai travaillé pendant deux ans dans une galerie d’art rattachée à une maison d’édition. J’étais seul sur mon lieu de travail, et devais m’occuper des expositions et de quelques tâches pour la maison d’édition. En arrivant le matin, j’entamais ma journée par la suppression quotidienne des courriers indésirables que je recevais sur ma boîte mail. Parmi tous les “pourriels” que je relevais, il y en avait certains que je décidais de garder après les avoir lus, leur accordant sans doute une certaine valeur littéraire.

Le travail d’effacement de spams connus de beaucoup de professionnels aujourd’hui fait partie intégrante des tâches à accomplir dans une entreprise. Lorsqu’on y est aguerri, ce travail prend quelques minutes : un spam, dès qu’il est identifié en tant que tel n’est pas censé être lu, il est destiné à la corbeille. En ce qui me concerne, cette activité pouvait parfois prendre jusqu’à une heure, puisque le travail de suppression se confondait avec celui de prospection et de sauvegarde. En terme guerrier, c’est toute la différence entre un ennemi que l’on exécute et un ennemi que l’on fait prisonnier. Ce travail de collecte n’aboutissait pas à la création d’un objet mais il me permettait d’enrichir une collection qui à terme servirait à de nouveaux projets. Quoiqu’il en soit, c’était un moment pendant lequel je mettais mon travail professionnel de côté pour me plonger dans la lecture de ces morceaux de fictions. En effet les messages que je conservais ont un caractère très romanesque : souvent, le narrateur était l’enfant d’un haut dignitaire ou d’une riche personnalité que l’on avait assassiné et demandait assistance pour placer une importante somme d’argent dans un pays occidental.

Bien sûr j’avais pleinement conscience de manquer à mon devoir de bon employé ; j’aurais pu passer ce temps gâché en fariboles à lire les auteurs de notre maison d’édition. Mais je me félicitais secrètement de m’investir dans une cause plus haute : participer à la préservation d’un genre littéraire tellement contemporain et si mésestimé de tous. Fayçal Baghriche

FAYÇAL BAGHRICHE EST NÉ EN 1972 À SKIKDA (ALGÉRIE). « SI LE MONDE VISIBLE EST LA MATIÈRE DE BAGHRICHE, C’EST QUE, PARADOXALEMENT CETTE MATIÈRE – RÉELLE – RESTE

INVISIBLE QUOIQUE OPÉRANTE. NOS LANGAGES ARTICULÉS OU IMAGÉS N’APPORTENT NULLE GARANTIE D’UN DÉCHIFFRAGE EXHAUSTIF, AUSSI BAGHRICHE PLACE

L’ART À LA MÊME ENSEIGNE : CELLE DE L’ELLIPSE ET DE L’ÉNIGME À TRAVERS UNE CRÉATION PLASTIQUE QUI SE FERAIT ELLE-MÊME “PAR DÉFAUT”. (...) »

Michèle Cohen-Hadria.


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« PERRUQUES » CHARLIE JEFFERY

Voici quelques images des Paper boats au Louvre. Ces images sont celles du plan du musée que j’ai utilisé pour marquer l’emplacement et les dates d’apparition et de disparition de chaque bateau en papier. Volontairement, je n’ai pas pris de photographie des bateaux eux-mêmes. Il ne reste que ce plan, rempli au fur et à mesure. En un sens, ce travail est plus proche d’un objet de grève (dès le début de mon contrat de bagagiste, le Louvre est entré en grève pendant un mois), si ce n’est que, travaillant au Louvre et pas dans une usine, je n’avais aucun matériau particulier à manipuler – j’ai donc utilisé un bout de papier plié et un plan, facile à trouver dans un musée, comme tu l’imagines. J’ai refait cette action à deux ou trois occasions : dans un exposition d’Anselm Kieffer à la Salpetrière, au Musée d’Orsay où j’ai travaillé, au Musée d’Art moderne de la ville de Paris et à la National Gallery de Londres. Cependant toutes ces tentatives, après le premier pas au Louvre n’ont jamais aussi bien marché... j’avais beaucoup moins de temps et, contrairement au Louvre, il n’y avait pas l’énergie d’un mouvement social pour m’encourager. Je n’ai pas eu l’occasion de revisiter l’expo de Kieffer par exemple, et donc je ne sais pas combien de temps les bateaux sont restés en place. Je pense que c’est assez significatif que ma production ait eu lieu dans ces temples de la culture, de la connaisance et de la catégorisation des trophées coloniaux et du mécénat chrétien. Ces lieux sont d’une certaine façon des usines qui comptent les gens :


« PERRUQUES » CHARLIE JEFFERY

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combien voient La Jaconde chaque année par exemple – encore un chiffre à ajouter à tant d’autres ? Je n’ai aucune idée du nombre de personnes qui ont vu les bateaux ; du nombre de celles qui les ont les identifiés comme les restes d’une activité culturelle, comme un étrange artefact ou comme une production d’art au même titre que n’importe quelle sculpture en pierre... Je ne sais pas combien de personnes m’ont vu en train de faire cette action et combien d’entre elles l’ont comprise comme une sorte de forme artistique.

Charlier Jeffery Paper Boats CHARLIE JEFFERY EST NÉ EN 1975 À OXFORD. www.charliejefferyunderconstruction.blogspot.com www.if-you-dont-know-icant-tell-you.blogspot.com www.themudoffice.blogsp ot.com

Ce travail fait partie d’une trilogie qu’il m’est arrivé de mettre sur mon CV. La deuxième pièce est une forme de contre-exposition dans les jardins du Palais royal à Paris. En réaction à une exposition de grandes sculptures en bois et métal rouillé qui proliféraient dans les jardins, j’ai visité régulièrement les jardins sur mes heures de pause au Louvre pour collecter différents types d’ordures trouvées par terre. J’organisais, j’arrangeais ou parfois je sculptais des formes dans ces immondices, qui sans doute n’ont pas existé très longtemps et n’ont probablement pas été vues. L’action faisait bien sûr partie du travail et des gens voyaient un drôle de mec faisant quelque chose d’un peu inhabituel, mais je ne pourrais pas dire s’ils faisaient la connection entre les grandes sculptures et ces actions. La troisième œuvre était un événement de courte durée : un soir où il avait beaucoup neigé sur Paris, j’ai roulé une boule de neige dans le parc de La Villette, la plus grande possible, jusqu’à ce que je ne sois plus capable de la bouger. La boule a atteint environ 2m50 de diamètre. L’action était entre autres observée par deux américaines que j’ai entendu dire que j’étais mignon. C’était à plusieurs titres, un acte très enfantin, mais je ne pouvais pas m’empêcher de le voir comme un geste artistique, d’une manière ou d’une autre. Je suis revenu le lendemain pour prendre la boule en photo, mais elle avait fondu, je ne pouvais plus photographier que quelques restes de neige sale (les restes de ma boule ?). Voilà, j’espère que ça t’intéresse. Charlie Jeffery


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« PERRUQUES » DOMINIQUE FOREST

Jusqu’en février 2009, j’étais agent d’accueil et de surveillance au Musée Rodin. Je passais le temps, et, quelquefois j’en avais beaucoup, à regarder les fesses de femmes qui regardaient des statues. Dominique forest


« PERRUQUES » DOMINIQUE FOREST

DOMINIQUE FOREST EST NÉ EN 1969 À THOUARS. « LA RUE TELLE QUE L’UTILISE (...) DOMINIQUE FOREST (CIRCA, 1995), EST UN ESPACE NON PLUS DE TRACES, COMME CHEZ STREUIL, MAIS DE TRAQUE. FOREST UTILISE LA RUE DE LA MANIÈRE LA PLUS LOGIQUE QUI SOIT,

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COMME UN RÉSERVOIR DE CORPS OFFERTS VISUELLEMENT À SON PROPRE DÉSIR PHOTOGRAPHIQUE (CORPS FÉMININS SURTOUT, POUR LA CIRCONSTANCE). »

Paul Ardenne, extrait de Art, l’âge contemporain http://dominiqueforest.canalblog.com


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« PERRUQUES » CLÉMENT RODZIELSKI


« PERRUQUES » CLÉMENT RODZIELSKI

J’ai demandé à récupérer ce cahier (ex. ci-contre) avec tous ces dessins qui ne sont pas faits au titre de l’art ; mais plutôt pour tromper l’ennui ou pour mieux rester concentré sur l’écoute d’une émission de radio, par exemple. Une donnée très importante : ce sont les dessins d’un autre. Si on observe bien les dessins, on peut comprendre qu’il s’agit d’un jeu : on se munit de trois feutres de trois couleurs différentes qu’on dispose sur une page à carreaux, sachant que deux carrés d’une même couleur ne peuvent pas être placés côte à côte. Si au commencement du jeu, les couleurs sont disposées un peu au hasard ; plus la page se remplit, plus il faut être vigilant et savoir anticiper sur les coups suivants. Au fur et à mesure qu’on avance dans le jeu, il arrive qu’on aboutisse à des impasses, on colorie alors ces carreaux en noir pour les distinguer des autres. L’objectif étant qu’il y ait un minimum de carrés noirs. Les planches de médium noir découpées et posées contre les murs (cf. vue de l’installation ci dessus), ce sont les carrés noirs qu’on voit sur le papier et qui dessinent parfois de petites figures s’ils sont les uns à côté des autres ; elles sont la marque immense de ces erreurs. Clément Rodzielski.

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Ci-dessus : Sans titre, 2008, dessins trouvés, médium noir, vue de l’exposition “Forever Young”, Anne+, photographie Rémy Lidereau. Page de gauche : détail de l’installation.

CLÉMENT RODZIELSKI EST NÉ EN 1979 À ALBI. IL VIT À PARIS OÙ IL EST REPRÉSENTÉ PAR LA GALERIE CARLOS CARDENAS. www.galeriecarloscardena s.com


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« PERRUQUES » ÉMILIE PEROTTO

Je préparais mon exposition À cette occasion, au Confort Moderne – cette exposition avait lieu dans la vitrine que le Confort Moderne construit parfois dans l’entrée de l’entrepôt-galerie – je me servais d’une partie de cet espace pour étaler les chutes de bois qui devaient devenir mon Mur de chutes quand un couvreur est venu pour vérifier l’état du toit de l’entrepôt. Il était assez intrigué par ce que je fabriquais dans la vitrine. On a discuté un moment, du fait que je faisais selon lui un « travail d’homme » et qu’il trouvait ça très bien ; des difficultés scolaires de sa fille qu’il voulait encourager à apprendre un travail manuel, voir un « travail d’homme » aussi... Cet après midi-là, je faisais des allers et venues entre la vitrine et l’entrepôt.

Après le départ du couvreur, je remarquais qu’il m’avait laissé un petit cadeau : un motif réalisé avec des chutes que je n’avais pas utilisées.

Ça m’a ému – peut-être par ce qu’il avait été réellement curieux et ouvert et peutêtre aussi parce qu’il avait finalement regardé ces déchets de bois jetés au sol comme de vraies formes, des formes avec lesquelles se faire plaisir, des formes avec lesquelles il pouvait me laisser un signe sympathique. Émilie Perotto


« PERRUQUES » ÉMILIE PEROTTO

LE CONTEXTE : À CETTE OCCASION, EXPOSITION D’ÉMILIE PEROTTO AU CONFORT MODERNE, POITIERS, 2008 – OU COMMENT RENDRE LISIBLE UN TRAVAIL TRIDIMENSIONNEL DANS UN DISPOSITIF QUI TIENT LE SPECTATEUR À DISTANCE, LIMITE SON CHAMP DE VISION ET INTERDIT TOUTE CIRCULATION AUTOUR DE L’OEUVRE ? – AVEC : # DES ÉTAGÈRES À CHUTES, PRÉSENTANT DES ÉLÉMENTS PROTOTYPES, NON FINIS, CASSÉS OU BIEN SOUVENIRS DE SCULPTURES DÉTRUITES. # OTOMOBILBAUM UNE SCULPTURE DE 2006, QUI S’EST IMPOSÉE D’ELLE-MÊME.

Photo. page de gauche : Émilie Perotto, chutes de bois assemblées par le couvreur rencontré à Poitiers.

# LE SEAU ET L’ÉPONGE EN BOIS UNE REPRÉSENTATION ÉCHELLE 1 CONÇUE POUR CETTE EXPOSITION. # UN MUR DE CHUTES COMPOSÉ IN SITU D’UNE SÉLECTION DE CHUTES DE SCULPTURES RÉALISÉES DEPUIS 2004. # WOOD WORLD, ÉMANCIPATION DE PRATIQUE, UNE SCULPTURE ÉLECTRONIQUE ET SONORE AUSSI CONÇUE POUR CETTE EXPOSITION, AVEC UNE PAIRE DE CHAUSSURES EN AGGLOMÉRÉ POSÉE SUR : — UNE PLATINE VINYL EN MARCHE, POSÉE SUR

Photo. ci-dessus : vues de l’exposition À cette occasion, © le Confort Moderne, Poitiers.

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— UN CUBE DONT 2 DES FACES SONT CONSTITUÉES DE 2 « W » DÉCOUPÉS DANS DU MÉDIUM (LES 2 AUTRES FACES SONT CONSTRUITES AVEC LES CHUTES DE CES DÉCOUPES), LUI MÊME POSÉ SUR — UN CUBE DE CONTREPLAQUÉ OUVERT, CONTRECOLLÉ DE PLASTIQUE SURFACE MIROIR, LUI MÊME POSÉ SUR — UN SOCLE DE MÉLAMINÉ BLANC ÉQUIPÉ DE 8 AMPOULES MONTÉES SUR UN CIRCUIT ÉLECTRONIQUE CHENILLARD (LES AMPOULES S’ALLUMENT LES UNES APRÈS LES AUTRES, DANS LE SENS INVERSE DU MOU-VEMENT DE LA PLATINE VINYL).


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ÂŤ PERRUQUES Âť BRUNO PERSAT

De haut en bas, photographies : Bruno Persat Tunnel, bricolage technique, (galerie Chantal Crousel, Paris) ; Grill, quadrillage mural, (idem) ; Totem, passe-temps, (idem). Triple, bricolage technique (idem) ;


« PERRUQUES » BRUNO PERSAT

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La mémoire est une perruque de chauve-souris (cut-up pour C. M.) De nombreux artistes travaillent comme des ouvriers. L’inverse se produit aussi. Heureusement. De nombreuses personnes qui travaillent perdent leurs cheveux, d’autres pas du tout. La « perruque » est une production privée réalisée sur le temps de travail et avec le matériel de l’usine. Une usine qui pourrait ressembler étrangement à un cube blanc. L’objet de la perruque est de fabriquer un objet en dehors de la production normale de l’entreprise-cube. La « perruque » reste pour les ouvriers une manière individuelle et subjective de se réapproprier travail et savoir-faire. Pour les artistes-ouvriers, une manière de se réapproprier le temps et le savoir-penser. La chauve-souris est l’animal mythique qu’on trouve dans la caverne et qui voyage à toute allure jusqu’à l’inconscient de ce texte. Qui n’est autre qu’une hypothèse provenant d’un vécu partagé. La perruque, la chauve-souris, l’objet, sont les souvenirs et les outils de cette hypothèse. Produite ici de façon complice avec ces gens qui travaillent en douce pour d’autres qui travaillent avec fureur. Perte et profit. Et fracas, un jour peut-être.

Une autre utilisation du mot « perruque » est observée dans les métiers du cinéma, pour désigner l’enchevêtrement que forme une pellicule accidentellement débobinée. Le cinéma et l’enchevêtrement ont quelque-part à voir avec les entreprises-cubes. Une certaine idée de la norme, du temps et d’une activité invisible au profit d’un résultat. Les personnes travaillant à ce résultat parviennent parfois à s’en extraire et à dépasser l’idée de la perruque. Faire quelque-chose à ce moment là, c’est déjà œuvrer.

Mémoire. Les artistes-ouvriers récupéraient des matériaux pour les transformer en travail qu’ils ne signaient pas, mais qui constituait une nette amélioration de la créativité. Les chauves-souris hantaient l’imaginaire d’un super-héros, ce qui probablement constituait une nette amélioration de la fiction.


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« PERRUQUES » BRUNO PERSAT

De haut en bas, photographies : Bruno Persat Chariot, trace de gomme (local de vente, Paris) Hole, trou, (galerie 220 jours, Paris).

BRUNO PERSAT VIT À PARIS. SES RECHERCHES SE DÉVELOPPENT ENTRE ARCHITECTURE ET LITTÉRATURE. IL A NOTAMMENT PARTICIPÉ EN 2009 À L’EXPOSITION PROJECTIONS

CONSTRUCTIVES À MICOONDE, CENTRE D’ART DE VELLIZY VILLACOUBLAY ET EN 2007, SUR L’INVITATION DE PIERRE JOSEPH, À LA BIENNALE DE LYON HISTOIRE D’UNE DÉCENNIE QUI N’EST PAS ENCORE NOMMÉE


« PERRUQUES » BRUNO PERSAT

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L’homme avait habité les cavernes, en était sorti, et avait même écrit des livres sur l’inconscient. Heureusement. À une certaine époque les ouvriers partaient à la retraite avec leurs outils, offerts par l’entreprise. Aujourd’hui il n’est pas rare de voir des artistes-ouvriers offrir leurs outils et leurs idées à l’entreprise-cube, et oublier ce que « salaire » ou « retraite » veulent dire, jusqu’à croiser des chauves-souris sur leur lieu de vie. Quelque chose comme « iDEATH » 1... entre féerie et nostalgie profonde ...

Ailleurs. C’est à dire aux USA. Ceux qui conçoivent des perruques sont connus sous le nom de « Homers ». Ce terme laisse penser que l’objet est rapporté à la maison. Ou que finalement son auteur est renvoyé chez lui. Une fois pour toutes. Seulement : « Tout le monde rentre a la maison, sauf captain Martin. » (R. Brautigan) Fin possible. Richard Brautigan et captain Martin sont les deux héros qui permettent à cette hypothèse de se finir un peu. Le premier était un grand producteur de textes, aussi drôles que désespérés. Textes qui pourraient bien ressembler à des perruques sorties de l’entreprise infinie de la littérature américaine.

Et le deuxième, fictif, est une de ses plus belles inventions. Son nom « captain Martin » possède les mêmes initiales que la personne à qui ce texte rend hommage. Ma mémoire, cette hypothèse de perruque et les chauve-souris lui sont dédiées. Qu’elles lui servent de cachette. Bruno Persat

1. Dans la nouvelle In Watermelon Sugar de Richard Brautigan, « iDEATH » est le lieu de vie d’une communauté : « A place always changing with trees, and a river flowing out of the living room. At iDEATH, the sun shines a different color every day, making the watermelon crops reflect that color. The people of iDEATH make a great many things out of watermelon sugar.Sculpting their lives from this sugar, and mixing it with trout, they have lantern oil. »


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