Thierry Chancogne Mots compliqués #2 « l’organicité » L’emploi sans doute coupable de ce néologisme à propos de graphisme, je le dois à une question que je posais à Vincent Perrottet. Alors que je lui demandais d’un peu qualifier son penchant pour la matière picturale, pour le geste corporel et leurs traces résolument intentionnelles au sein de ses images: giclures, dégoulinures et autres bavures (fig. 1 Rwanda 120*176, 2002). Il me répondit qu’effectivement, son travail relevait de quelque chose d’organique. Il n’avait pas dit comme je m’y attendais naïvement «pictural», «vivant» ou «humain». Il avait dit organique… C’est que ma question n’était pas si innocente et que Vincent Perrottet n’est pas n’importe qui 1. Ma question concernait une certaine appréhension du graphisme français sous influence « grapusienne » en tant qu’il serait caractérisé par une certaine revendication de la «matérialité » de l’image. Comme un penchant un peu littéral pour la citation de la manière picturale et la métaphore de la vitalité créative. Une sorte de pictorialisme graphique doublé de corporalité dans le sens d’une présence humaine manifeste. Une forme de matérialisme dialectique de l’image pour paraphraser, avec pas mal de spéculationblagueuse, la formule marxiste peut-être active chez un certain nombre de ces graphistes notoirement engagés, comme on a longtemps dit, du côté du mouvement social.
1. Collaborateur de Grapus, le fameux collectif graphique tonitruant et engagé politiquement qui réveilla le graphisme français dans les années 70, Vincent Perrottet créa avec l’un de ses co-fondateurs, l’aujourd’hui trop sous-estimé Gérard Paris Clavel, Les Graphistes Associés. Cette année vraisemblablement pour la dernière fois encore codirecteur du Festival International de l’Affiche de Chaumont avec l’autre fondateur de Grapus, Pierre Bernard, il poursuit des coopérations graphiques ponctuelles avec de jeunes graphistes comme Mathias Schweizer, ancien graphistes aujourd’hui dissociés et une collaboration suivie avec Anette Lenz, elle aussi ancienne de Grapus. Bref, il est devenu une sorte de figure centrale et emblématique du graphisme français « d’auteur » et « d’utilité publique » pour reprendre le discours de Pierre Bernard.