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ENTRETIEN Felix Van Groeningen & Charlotte Vandermeersch

FELIX VAN GROENINGEN & CHARLOTTE VANDERMEERSCH “ C’est quoi l’amitié, c’est quoi l’amour ? ”

Aucun des films de Felix Van Groeningen ne laisse indifférent. Et c’est une fois encore le cas avec Les Huit Montagnes. Avec une différence majeure, cette œuvre, il l’a réalisée avec sa compagne Charlotte Vandermeersch. Et en italien! Un défi parfaitement relevé. Rencontre avec un couple charmant.

Par Joëlle Lehrer

Une interview qui démarre par des éclats de rire, c’est toujours un bon présage. Dire que le duo Felix-Charlotte est joyeux n’est pas exagéré. Dans le salon de leur maison à Gand, ils m’invitent via Zoom. Lorsqu’un message inopportun fait soudainement bip sur son téléphone, Felix dit : « Problème technique ? Pas de problème technique ! ». Et on a face à soi le réalisateur de De la Merditude des choses, The Broken Circle Breakdown, Belgica, Beautiful Boy et ce dernier, Les Huit Montagnes. C’est-àdire quelqu’un qui sait parfaitement comment résoudre les problèmes techniques. En tout cas, il a appris.

Les Huit Montagnes, c’est d’abord un roman de l’Italien Paolo Cognetti qui a été récompensé par le Prix Médicis étranger en 2017. Qu’est-ce qui vous attirait dans ce récit pour décider de l’adapter au cinéma?

FELIX VAN GROENINGEN : J’avais déjà le livre chez moi et j’étais touché par ses thèmes, thèmes que j’avais pu aborder dans certains de mes lms. Le thème du père, de l’amitié, les personnages très purs et simples. Ils parlent peu mais se posent les questions importantes. J’étais bouleversé par cette histoire.

Et quand vous êtes bouleversé, pleurez-vous?

FELIX: Beaucoup.

Vous êtes donc un homme qui pleure.

FELIX : Oui. En fait, c’est un outil, les émotions. Quand je suis sur le tournage et qu’une scène me touche, je sais qu’elle est bonne.

J’imagine que le travail d’adaptation a été conséquent.

CHARLOTTE VANDERMEERSCH : C’était un gros travail mais pas le plus dur parce que le livre est un cadeau. On trouvait que le cœur qui se trouve dans le livre était très beau et on ne voulait pas le modifier. L’écrivain Paolo Cognetti était toujours là quand on avait besoin de lui. Il a retravaillé les dialogues avec nous. Pour pouvoir réaliser ce film, nous avons appris l’italien. Et lorsque nous avons débuté le tournage, nous étions prêts. Les petits garçons que l’on voit, dans la première partie du film, ne parlent que l’italien. Pour les diriger, il nous fallait le faire dans leur langue.

En combien de temps avez-vous appris l’italien?

CHARLOTTE: Huit mois. FELIX : Dans les montagnes italiennes, beaucoup de gens parlent le français comme deuxième langue et au sein de l’équipe technique, la plupart des techniciens maîtrisaient une seconde langue comme l’anglais. • • •

“ Ce baiser, à Cannes, c’est notre histoire ”

Charlotte Vandermeersch

• • • La majeure partie du film a été

tournée dans les Alpes italiennes. C’est une première pour vous.

FELIX : On savait que l’on devrait être exibles. CHARLOTTE : On devait être en forme physiquement. FELIX : Ça m’attirait beaucoup d’aller lmer dans les montagnes. Et cela m’a procuré énormément d’énergie. C’était aussi important pour le reste de l’équipe de comprendre que le réalisateur avait très envie de faire ce lm là-bas. CHARLOTTE : Felix a tiré tout le monde vers le haut.

C’est votre première réalisation commune. Comment vous êtes-vous partagé les tâches?

FELIX: C’était très organique. Charlotte, qui maîtrise bien l’italien, s’est occupée beaucoup des acteurs, tous Italiens. Quant à moi, je me suis concentré sur le travail technique et visuel. CHARLOTTE: Je me concentrais beaucoup sur les dialogues. Et j’ai trouvé que c’était bien, sur ce lm, que nous ayons deux paires d’yeux et d’oreilles. On a lmé chronologiquement et au rythme des saisons.

Les trois films belges primés à Cannes, dont le vôtre, traitent de l’amitié. C’est révélateur de quelque chose.

FELIX : C’est vrai et ce que je note, c’est que dans les autres lms aussi, celui des Dardenne avec Tori et Lokita comme celui de Lukas Dhont avec Close, c’est qu’il y a une très grande tendresse. CHARLOTTE : En fait, les trois films disent : « L’amitié, c’est l’amour ». On y parle d’amour mais pas d’une manière stéréotypée ou classique comme l’amour au sein d’un couple hétéro. Mais pourquoi ce thème est-il mis en avant, je l’ignore. FELIX : Dans notre film, l’histoire se déroule sur trois décennies et l’on y voit les quatre saisons de l’amitié. Et cela montre comment faire une place pour l’amitié, dans la vie de ces deux hommes comme au sein d’un couple. CHARLOTTE : On ne crée pas une famille avec un ami. Il arrive donc, à un moment, que le choix de fonder une famille sépare les amis. Et se fait alors sentir la douleur de cette séparation et de cette forme d’adieu. Bien sûr, on peut voir, ici et là, des amis vivant ensemble. Mais, en général, le focus est placé sur la famille. Je trouve que parfois, on ne voit pas ses amis aussi souvent qu’on le voudrait. Mais lorsque l’on se revoit, même après deux ans, c’est comme si c’était hier. Je pense qu’être ami, cela demande de faire un e ort. FELIX : Ce qui me plaît dans l’amitié, c’est que l’on puisse être le miroir de l’autre. Et si l’autre a trouvé sa place dans le monde, cela t’incite à faire des choix et à avancer. Dans ma vie, avec mes vrais amis, je vis quelque chose comme ça. Et l’on accepte que parfois, l’autre voit mieux ce qui pourrait ne pas fonctionner dans notre façon d’être ou de vivre.

Votre film pose la question du choix. Celui de nos vies. Vous êtes-vous aussi posé la question?

CHARLOTTE : Quand tu es au début de ta vie, tout est plus ouvert. Et tu choisis les personnes que tu veux autour de toi. Tu te trouves un hobby, un travail, des études. Et tu te donnes les possibilités d’avoir une vie qui te convient. Et puis, tu t’aperçois que ces choix que tu as faits ont des conséquences. Ce choix de vie commence, alors, à me dé nir moi mais définit aussi l’autre. Avec des amis, on peut s’exprimer en toute liberté sur ses choix. Et on peut s’encourager mutuellement. FELIX : Entre Bruno et Pietro, les héros de notre lm, il n’y a pas de con it. CHARLOTTE : Ils veulent être aussi proches l’un de l’autre que possible. Donc, c’est quoi l’amitié ou l’amour ?

Felix, ce n’est pas votre premier film tourné à l’étranger puisqu’il y a eu Beautiful Boy, avec Timothee Chalamet, filmé aux Etats-Unis. Projetez-vous de poursuivre sur cette lancée? Et pourquoi pas, un film en Angleterre?

FELIX : Jamais, je n’avais pensé faire un lm en Italie. Après, Beautiful Boy, je me suis dit que j’étais sorti de ma zone de confort. Et pour moi, travailler en anglais était très évident parce qu’il y avait Hollywood et de l’argent. J’ai vu que cela fonctionnait très bien. Et que je pouvais tourner ailleurs qu’en Belgique. Pour le futur, je ne sais pas. Anglais ou chinois ? (Rires). Quel que soit l’endroit, il faut que le projet m’excite.

À Cannes, lorsque vous avez reçu le Prix du jury, Charlotte vous a embrassé avec passion Felix. Ce baiser a fait le tour de tout l’Internet. Que ressentezvous de cela, qu’un de vos baisers soit à ce point public?

FELIX : C’était clair que ce n’était pas prévu. D’ailleurs, on le voit à ma réaction. (Rires). CHARLOTTE : Je l’ai embrassé de manière très impulsive. Parce que je voulais lui dire quelque chose. Il y a eu un bref moment de silence après l’annonce du prix et j’ai voulu dire à Felix : « Tu as compris ? ». (Rires). Et puis, ce fut le thème de notre soirée. On a parlé de l’amour et de parcourir un chemin ensemble en surmontant les di cultés. C’est cela la vie. Ce baiser, c’est notre histoire. Et bien sûr, c’est très universel.

Les Huit Montagnes de Felix Van Groeningen et Charlotte Vandermeersch, avec Alessandro Borghi et Luca Marinelli, sort le 14 décembre.

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