7 minute read
MODE Autour de l’arbre de vie
1. L’arbre de vie dans toute sa beauté, tant dans le décor que dans la collection. 2. La broderie, la spécialité de l’atelier indien Chanakya. 3. Des moments cinématographiques qui rappellent Mia Farrow dans Rosemary’s Baby...
Autour de l’arbre
L’arbre de vie, interprété par l’artiste ukrainienne Olesia Trofymenko, a été le point de départ de la collection haute couture automne-hiver 2022-23 de Dior. Maria Grazia Chiuri, la directrice artistique de la maison, s’est inspirée de la peinture et de la broderie, deux éléments présents dans la mythologie de certaines cultures qui titillent notre imaginaire.
Par Elspeth Jenkins
de vie
«À QUOI SERT LA HAUTE COUTURE EN CES TEMPS DE PANDÉMIE, de guerre et de menace de récession mondiale ? ». Cette question, Maria Grazia Chiuri se l’est posée en entamant cette collection. Sa réponse : « à réinventer l’avenir » et « à construire un pont entre les savoir-faire de di érentes cultures pour trouver un terrain commun combinant le sens, la beauté et l’ inspiration, au-delà des frontières et des origines de chacun ». Ainsi, la pièce maîtresse du dé lé Dior Couture présenté au musée Rodin à Paris, n’était pas une robe patchwork ou une veste brodée, mais bien le décor. Soit une série d’interprétations de l’arbre de vie d’un mètre de haut chargé de eurs, de fruits et d’oiseaux. Ces œuvres d’art sont signées Olesia Trofymenko. Maria Grazia Chiuri a rencontré l’artiste lors d’une exposition à Rome. À la fois impressionnée et émue par son travail, elle a décidé de donner carte blanche à Trofymenko pour la scénographie du dé lé.
SCÉNOGRAPHIE CONTEMPORAINE
Le patrimoine culturel et les traditions artisanales sont la principale source d’inspiration de cette Ukrainienne. Son œuvre mêle des éléments et des souvenirs des traditions de son pays dans une performance intimiste et très personnelle qu’elle a su transformer en une scénographie contemporaine d’une grande profondeur. Pour la mise en scène du dé lé, elle a créé le projet iconographique The Flow, dans lequel l’arbre de vie est a ché dans toute sa splendeur à côté des bouquets de eurs des studios Chanakya. L’artiste a également travaillé sur le thème de la mémoire, comme en témoignent les arts décoratifs traditionnels et les photographies d’archives. Les paysages - présents dans la plupart des photographies du début du XXe siècle - expriment l’idée d’éternité que l’on retrouve dans la nature ukrainienne, tandis que les détails botaniques traduisent les motifs décoratifs et le savoir-faire de la broderie traditionnelle.
21
Les arbres de vie et les bouquets de eurs dialoguent entre eux dans une symétrie emblématique symbolisant la femme, la continuation de la vie et un avenir radieux…
ABONDANCE DE BRODERIES
Cette vision se reflète librement dans différentes pièces grâce à l’abondance de broderies opulentes. Les nuances de beige sont parfois interrompues par une touche de noir ou de bleu. La broderie se retrouve également dans les tissus de coton, le crêpe de laine, la soie et le cachemire. On reconnaît l’arbre de vie dans les robes patchwork aux galons en dentelle bronze et noire. La matière réinterprète la silhouette New Look. On salue aussi les trenchs en soie brodée qui tombent joliment sur des robes longues. Pour cette collaboration, Maria Grazia Chiuri a fait appel au studio indien Chanakya et à la Chanakya School of Craft de Mumbai. L’atelier s’est appuyé sur un mélange de techniques ancestrales telles que le punto croce (point de croix) et ses variantes, le point plume et une série de points plumetis pour obtenir une palette de nuances raffinées. Les guirlandes et les couronnes de maïs réalisées au point de croix en plusieurs couleurs permettent de capturer la profondeur des roses, tandis que les tiges de maïs sont réalisées avec des ls et des tresses organiques. L’arbre de vie est brodé à la main de ls ns au point plumetis, entrecoupés de ls de jute et de diverses techniques de nouage et d’aiguille. Dans l’installation, l’arbre de vie cohabite avec de grandes eurs stylisées et des paysages peints sur lesquels sont • • •
1 2
• • • brodées des silhouettes féminines entourées de guirlandes. Les ateliers Chanakya et la Chanakya School of Craft ont traduit ce langage iconographique en exploitant la richesse des techniques ancestrales de broderie qu’ils perpétuent et réinventent. Le concept n’est pas seulement une ode à la vie, à la renaissance et à la joie, mais aussi un hommage aux traditions et au savoir-faire exceptionnel des artisans.
VIE = ART
L’arbre de vie possède certaines caractéristiques qui le rendent facilement reconnaissable : il a un feuillage luxuriant ; son tronc est fort et noueux, et ses racines sont réparties horizontalement. Tout cela renvoie directement à la vie elle-même. Cet arbre incarne toutes les étapes de l’existence. Les racines nous ancrent dans le passé, nous donnent force et stabilité et nous permettent de grandir et de prospérer. Ils représentent donc la famille, les liens a ectifs, tout ce qui nous a précédés, nos valeurs et les forces qui sont en nous. Le tronc, la partie centrale de l’arbre, représente le chemin d’élévation de la terre au ciel, mais aussi la force que l’on parvient à dégager, année après année, pour relever les défis de l’existence. Cette section doit être solide et résistante, car elle sert à supporter le poids du feuillage et de tout ce qui l’accompagne. Les feuilles représentent l’avenir : vertes et pleines d’espoir. Elles effleurent le ciel et enrichissent l’arbre lui-même de sève vitale. Les fruits sont les nouvelles promesses ouvertes au monde.
NE DITES JAMAIS SIMPLEMENT « COUTURE »
La Haute Couture est un monde en soi. Une maison doit répondre à di érents critères pour avoir le droit de se quali er de « couture ». Les dessins doivent être entièrement réa-
4 3
5
1.... Ou un après-midi de rêve comme dans Picnic at Hanging Rock. 2. La dentelle comme vous ne l’avez jamais vue. 3. Pour les robes longues et aériennes, une mousseline de soie souligne parfaitement les lignes du corps dans un jeu virtuose de détails smockés. 4. Le résultat de centaines d’heures de travail manuel. 5. Le Manteau Cachemire Haute Couture, un patchwork de rêve. 6. Une ode à l’élégance. 7. L’arbre de vie est un détail enchanteur qui apparaît également dans les bijoux, notamment sur les bracelets finement travaillés, formés sur un ruban de velours qui souligne gracieusement le poignet. 8. Les plis sont spécialement formés, spécifiques d’un côté ou prennent une nouvelle dimension dans des détails de smocks luxueux.
6
7
8
lisés à la main, par au moins vingt employés. Et la collection doit être composée d’au moins vingt-cinq modèles. Chez Dior, le dernier étage de la mythique adresse parisienne du 30 avenue Montaigne est réservé aux deux Ateliers Couture : l’Atelier Flou et l’Atelier Tailleur. Le premier se concentre sur les matériaux plus légers pour créer des formes et des volumes uides. Dans l’Atelier Tailleur, on réalise les manteaux, pantalons et vestes courtes. Environ soixante personnes travaillent dans les deux studios et ont un rôle clairement réparti au sein de l’équipe. Chacun des onze départements a che son propre style. Les couturières travaillent sur base de mannequins aux dimensions de chaque cliente, peu importe sa taille et son gabarit. La Haute Couture tourne autour de l’artisanat. Certains modèles sont réalisés en faisant couler du sang, de la sueur et des larmes. Une seule robe nécessite parfois 750 heures de broderie et 450 heures de confection. De quoi vous donner une idée de la rareté de telles pièces. La couture, c’est l’histoire, le présent et l’avenir qui se rejoignent en une seule œuvre. Les rares privilégiées qui ont la chance de porter une pièce couture entrent à leur manière, elles aussi, dans l’Histoire. Chez Dior, comme dans d’autres maisons, on fait en sorte de ne rien révéler de leur identité. La magie reste intacte.