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Papa, où t’es ?

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POISSONS

POISSONS

«Tout le monde sait comment on fait des bébés, mais personne ne sait comment on fait des papas », chante Stromae. Le congé de paternité, c’est un bon début pour l’apprendre. Et en bonus, il améliore l’intimité et le sexe au sein du couple. Voici pourquoi.

Lorsque Sahar est née en mai 2022, Hamed comblait un fort désir d’enfant. Il a pris deux des trois semaines de congé de paternité. «À cette période, ma fonction ne me permettait pas de m’absenter trois semaines d’affilée. J’ai pris la dernière semaine plus tard. C’était important, le travail ne doit pas avoir d’impact négatif sur la famille et l’éducation des enfants. Mon patron de l’époque, aujourd’hui mon associé, était très content pour moi et ne m’a pas mis de bâtons dans les roues.» Hamed a estimé qu’il était primordial de vivre les premiers jours de Sahar, non seulement pour apaiser ses incertitudes en s’occupant du bébé, mais surtout pour soutenir sa femme. Elle avait accouché par césarienne et avait besoin de se reposer. «La relation est mise à l’épreuve pendant cette période, un bébé a besoin de soins en permanence. Comment communiquons-nous à ce sujet l’un avec l’autre, et qui fait quoi? Heureusement, nous avons eu de bonnes conversations. On apprend à interagir. Nous sommes toujours ensemble, donc ça a marché. (Rires). Ce serait un bon signal du gouvernement de rendre le congé de paternité obligatoire. Mais alors l’allocation devrait être de 100 %. »

Dans les années 90, le modèle du soutien de famille a progressivement été remplacé par le modèle à deux revenus, dans lequel l’homme et la femme contribuent financièrement au ménage. Mais ce modèle a omis la redistribution du travail non rémunéré et invisible au sein de la cellule familiale. La raison est simple : les femmes se référaient encore à leurs mères et grands-mères au foyer, attentionnées, et elles se sont mises à nettoyer, laver, récurer, cuisiner, ranger mais aussi organiser les loisirs et les repas, penser aux cadeaux et aux activités, conduire les enfants à l’école, etc. Vous avez déjà entendu parler de la charge mentale ? De plus, ces tâches sont chronophages, souvent répétitives et, surtout, non rémunérées. De quoi se sentir, au minimum, sous-estimées. Pourtant, selon la sociologue Riet Ory, il ne faut pas nécessairement le percevoir ainsi. Avec Eva Brumagne, elle a écrit le livre Het is hier geen hotel! Hoe je samen het huishouden aanpakt. ( Ce n’est pas un hôtel ici. Comment aborder le ménage ensemble. Non traduit en français) « L’exécution de ces tâches s’accompagne en effet de multiples émotions. Mais ceci montre aussi notre humanité et notre attachement pour nos proches. Pour de nombreux parents, une maison est un havre de paix. Le ménage sert souvent à mettre de l’ordre dans ses idées. Il peut donc aussi être fait avec amour et se révéler bénéque. Il devient une source de frustration et d’épuisement par manque de temps, et quand il faut l’assumer seule. Une source de stress aussi. Le travail non rémunéré est essentiel à la vie de famille, aux relations humaines et donc à la société, et il faut y consacrer beaucoup plus de temps. Or, disposer de plus de temps peut transformer le ménage en une expé- rience complètement différente. Mais le temps nécessaire aux charges familiales est justement devenu une denrée rare dans le modèle à deux revenus. Ça signifie que nous devons non seulement considérer le temps de chacun comme équivalent, mais aussi l’inclure dans les modèles économiques. » Il faut donc oser envisager de nouveaux modèles sociaux, comme une économie des soins, dont le congé de paternité obligatoire constitue une part très importante.

LES BASES DE LA FAÇON DONT LE COUPLE VA SE PARTAGER LA PRISE EN CHARGE DES ENFANTS ET DE LA MAISON SONT JETÉES AU COURS DES PREMIERS JOURS DU CONGÉ DE PATERNITÉ. ÇA ENTRAÎNE DES CONSÉQUENCES PROFESSIONNELLES, RELATIONNELLES ET SEXUELLES. « Il y a les disparités entre les sexes, mais aussi entre les mères », reprend Riet Ory. « Avec le congé de maternité, la mère reste à la maison pendant au moins trois mois. On constate aujourd’hui que les hommes travaillent encore plus pendant cette période, tandis que la femme apprend à s’occuper du bébé à la maison, à reconnaître ses émotions et à évaluer ses besoins. Au cours de cette période, les modèles de soins stéréotypés liés au genre apparaissent et s’enracinent. Il est donc préférable que le congé de paternité soit pris pendant les premiers mois suivant la naissance. Alors seulement, il peut constituer un véritable levier pour ne pas figer immédiatement ces modèles de prises en charge. Après trois mois, sans avoir donné au père la possibilité de paterner, il est très difficile de rétablir l’équilibre. Il est dès lors presque logique que ce soit la femme aussi qui prenne un congé parental ou reste à la maison lorsque le bébé est malade. Une absence de trois mois ne devrait pas a ecter la suite d’une carrière, mais c’est le mode de fonctionnement qui s’installe qui détermine l’orientation professionnelle. Le travail est-il compatible avec un enfant à aller chercher à la crèche ou à l’école ? Une femme va négocier beaucoup plus souvent qu’un homme une combinaison de facilités au travail parce qu’elle est stimulée, dès le départ, dans ce rôle de prise en charge. Ce rôle stéréotypé est également renforcé dans les magazines, les médias, l’enseignement, l’interaction avec les autres, l’éducation. Résultat : les femmes s’identifient beaucoup plus comme celles qui s’occupent en priorité de l’enfant. En e et, elles sont évaluées et s’autoévaluent sur leur maternité. C’est aussi pourquoi elles évoluent moins et optent pour des secteurs qui paient moins bien. De quoi creuser l’écart salarial. Les congés d’aidant, comme le congé de maternité long pour les femmes, renforcent leurs choix économiquement plus faibles. Le congé de paternité constitue donc un signal important des autorités au père : celui-ci a un rôle tout aussi important dans la parentalité, d’autant plus à la naissance du bébé. Dès le départ, l’homme a l’opportunité de paterner, d’apprendre à prendre soin de

THOMAS, 33 ANS, PÈRE DE ATHANASIOS, 3 MOIS

«Prendre le congé de paternité était une évidence à mes yeux, pour nous permettre un temps d’adaptation, à ma compagne et moi. Athanasios est né en décembre et j’ai couplé ce congé avec la fermeture annuelle de mon restaurant. S’il était né en été, la question se serait posée autrement, il est vraisemblable que je n’aurais sans doute pas pu me l’autoriser. Les conditions manquent de flexibilité et sans doute, en amont, de réflexion profonde, les parents devraient être davantage valorisés et accompagnés dans leur nouveau statut. Cette vision sociétale du couple reste extrêmement genrée et creuse les inégalités… Ce congé nous a beaucoup apporté. Sur le plan émotionnel, d’abord, il nous a permis de réaliser et d’atterrir, de trouver nos marques et de nouvelles dynamiques de couple, sur le plan pratique, aussi, on a pu bétonner une nouvelle organisation. Mais cela reste très insuffisant pour se découvrir à trois, ça reste très frustrant pour moi de me dire que je n’ai pas le droit de m’occuper plus de mon fils et de devoir déléguer à sa maman, ce n’est pas une vision moderne de la parentalité, cela manque de volonté politique réelle!» son enfant et de découvrir à quel point ça peut être agréable et spécial. Ça crée un lien plus étroit entre le père et le bébé, tout en permettant à la mère de respirer. En soi, ce ne serait pas un gros investissement pour un gouvernement. »

Les répercussions de cet investissement peuvent être considérables. En somme, de nombreuses femmes se sentent seules et non respectées. Elles sont fatiguées des éternelles disputes. Alors elles se résignent et exécutent elles-mêmes les tâches. Mais à ce moment-là, le couple a déjà commencé à se ssurer depuis longtemps. « Je suis convaincue qu’une répartition plus équitable des tâches ménagères dépend aussi d’une cohabitation respectueuse et qu’un couple a plus de chances de se retrouver ou de rester ensemble quand chacun sait pertinemment ce que fait l’autre. Il s’agit de considérer que le temps de chacun a la même valeur, peu importe l’argent qu’il rapporte, ce qui nécessite un changement de mentalité. » L’appropriation partagée du ménage et une répartition plus égale du travail rémunéré et non rémunéré contribuent à des relations plus saines et des enfants plus autonomes. Et à davantage de sexe. Des études montrent que les couples qui se répartissent mieux les tâches mènent une vie sexuelle meilleure. Riet Ory n’en est pas surprise : « En soi, ce n’est pas si étrange. L’impression d’être l’esclave ou la bonne à la maison, la fatigue et la colère intérieure n’aident pas à se sentir attirante. Sans parler du fait de devoir avoir des relations sexuelles avec ce partenaire qui est souvent un poids mort dans le ménage et du coup, souvent aussi, un poids mort au lit. La tâche de trop. C’est dommage. » De quoi motiver les troupes.

Eva Brumagne et Riet Ory, Het is hier geen hotel! Hoe je samen het huishouden aanpakt, éd. Pelckmans

Ragna Heidweiller, Werkboek voor de ideale rolverdeling, éd. Nijgh & Van Ditmar

Chiffres

Le congé de paternité s’est élevé pendant très longtemps à dix jours. En 2022, il a été porté à 15jours et depuis le 1er janvier 2023, il atteint 20 jours. Les trois premiers jours sont obligatoires et sont payés par l’employeur. À partir du quatrième jour, le père est couvert par la mutualité et touche 82 % de son salaire brut. Le Portugal applique 25 jours de congé pour les hommes, dont les 15 premiers sont obligatoires. L’allocation est de 100 %. L’inégalité du congé d’aidant en termes de durée, d’indemnité et de caractère obligatoire renforce l’inégalité entre les sexes.

JACQUES, 27 ANS, PÈRE DE SIEL, 4 MOIS

Les jours de congé légaux d’une année entière en plus des 15 jours de congé de paternité en 2022 ont permis à Jacques de vivre pleinement les premiers jours de son bébé à la maison. «La première couche, le premier biberon, la première fois que vous lui enfilez des vêtements, le premier bain, ce sont autant d’étapes où il faut être présent.» Son employeur a accepté sans broncher ces six semaines. «On a droit à ces jours de congé. J’ai veillé à prévenir mon employeur. » Mais cette période lui a également donné l’occasion de réfléchir à cet engagement de toute une vie. La compagne de Jacques terminait ses études de sage-femme. «Elle m’a très bien montré comment prendre soin de notre bébé. Chaque fois que je la touchais, je pensais que j’allais la casser. (Rires). Ça a également créé un lien spécial. L’émancipation de la femme est un fait, et il est donc logique que l’homme soit aussi plus actif dans le ménage. Le congé de paternité est le moyen par excellence d’y parvenir. Je pense que ce congé obligatoire, avec une allocation de 100 %, est tout à fait normal. Je ne sais pas si les femmes reçoivent ça. On ne doit pas être puni parce qu’on a des enfants. La vie, c’est la famille, et le travail est là pour soutenir cette famille. C’est là que notre génération diffère peut-être de la précédente. ». Il est en tout cas rassuré de savoir désormais comment s’occuper correctement de sa fille sachant que sa compagne sage-femme sera absente de nombreuses soirées.

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