Dan Erisa
À compte d’auteur Roman Titre original : Brains
Traduit de l’américain par Paul Milleliri
Notes sur l’auteur Joss Daniel Erisa (Dan Erisa) est né en 1947 à Montpellier, capitale du Vermont. Cadet d’une famille de trois enfants, d’origine italo-irlandaise, père ouvrier, mère femme de ménage, il est entré dans la vie active à l’âge de quatorze ans. Tour à tour manœuvre maçon, apprenti chauffagiste, sauteruisseau dans une étude notariale, espoir en welters aux Golden Gloves de 1966, correspondant de guerre au Viet Nam, puis moniteur de ski, de retour dans sa région natale, c’est un des plus grands self-made-men du monde littéraire. Pigiste au New York Time pour finir correspondant pour l’Osaka Times, poète, dialoguiste, dramaturge, pamphlétaire virulent, philosophe, romancier, on doit entre autres à ce polygraphe de génie son essai sur La teneur des larmes des crocodiles. Publié en 1979, ce brûlot visionnaire est encore et toujours d’actualité. Pour le grand public, à l’échelon mondial, Erisa demeure associé à son chef-d’œuvre du roman noir, Pas de bleuets pour miss Ordish. Abonné aux succès professionnels, sa vie privée n’a été qu’échecs. Colombophile passionné, il est mort en 2005 emporté par la grippe aviaire et a laissé le monde des lettres définitivement orphelin.
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« La propriété c’est le vol… » Pendant des années alors que nous passions nos nuits avec des boudins gras et boutonneux à philosopher, téter des joints et baiser en toute copropriété, j’ai soutenu avec vigueur cette thèse émise en son temps par l’ami Pierre-Joseph. Puis, un jour, mes vues sur le sujet n’ont plus été les mêmes. Ce faisant, en abandonnant Proudhon et les camarades, j’ai parfaitement réalisé que ma façon de virer ma cuti n’avait rien de glorieux. « Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis » : pour plâtrer de frais ma conscience, j’ai essayé de faire mienne cette formule avec l’espoir d’exorciser ma honte. En vain. Pas plus d’ailleurs que je n’ai réussi à faire taire mes scrupules. Car j’ai des scrupules… Alors que je voudrais, de tout mon être, n’avoir que des regrets… Et surtout pas de remords. Pas très cohérent, me direz-vous, lorsqu’on prétend s’affranchir de toute contrainte. Libérer le corps et l’esprit ; professer en credo : « L’anarchie c’est l’ordre sans le pouvoir » Ouais, man, je sais. Je me retrouve toujours en proie à mes contradictions. Que dire sinon expliquer un tant soit peu. Pas pour 9
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m’excuser, non… pour vous faire piger, si possible, la genèse de ma soudaine soif de propriété. Je vois bien à votre sourire narquois le quolibet qui pointe sous vos risorius en état de veille prêts à distiller des ricanements de hyène à la perspective d’une future charogne à partager. Alors moi, Nelson O’Fogarty, je vous dis : Stop ! Stop ! Abandonnez vos a priori, vos préjugés foireux, votre ostracisme merdique. Ou alors, ne franchissez pas le seuil de ce temple. O. K. ?… Bon… Supposons cette condition remplie, respectée. Je tiens alors à vous préciser en préambule que le désir de posséder biens mobiliers et immobiliers n’a pas été le moteur de mon virage à droite. Au reste, n’ayant jamais été d’un naturel envieux, l’envie de posséder biens et richesses comme la plupart de nos semblables a rarement troublé mon sommeil. Je n’ai donc aucun mérite. D’autant que durant toute ma jeunesse, et même au-delà je dois l’avouer, j’ai régulièrement emprunté ce dont j’avais besoin, à droite comme à gauche. Sans jamais être effleuré par l’idée saugrenue de songer à restituer mes emprunts. Et puis merde ! Pourquoi se cacher derrière des mots ? J’ai répliqué à la propriété, ce vol éhonté, par de menus larcins et, sans aller jusqu’à l’attaque de Fort Knox (mais le projet me bottait !), j’ai commis des vols plus importants dont j’ai retiré un certain confort et une légitime fierté. Je sais, je sais : « propriété, source d’inégalité, est l’objet même de la liberté » O. K. man. Pendant longtemps je n’ai pas discuté le bien fondé de cet argument. Alors ?… Pourquoi mon revirement ? Parce qu’un jour, peut-être un peu moins shooté ou un peu plus chargé que d’habitude, j’ai découvert la propriété intellectuelle. Non, les mecs non ! Ce n’est pas une simple variante. Non, n’insistez pas ! Putain ! faut faire un effort, là ! Ou j’arrête tout ! Vu ? Je veux bien expliquer, exposer, disséquer, mais bordel ! mettez-vous un peu à ma place. Faut mettre aussi du vôtre. Sinon, 10
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j’m’connais : je fatigue à mon âge et mon Mac cérébral se met en rideau. Et pas question de reformater quoi que ce soit… Bien, redémarrons pour voir. Un texte, une phrase, un mot, voilà des exemples de propriété intello. Rien à voir avec les possessions du gonze lambda… Eh ! oh ! ça suit, derrière ? Bon… Je veux vous dire : ces trucs ne s’achètent pas. Ils ne se consomment pas au sens où vous l’entendez tous lorsque vous achetez une paire de godasses ou un préservatif. Quand je suis dans mes Santiags ou coulé dans mon Durex, j’ai le monopole de leur usage. Un monopole légalement reconnu dans notre société de consommation. Ouais, ouais, c’est bon, je ne nie pas : on peut prêter sa chemise ou sa tire. Et, donc, pourquoi pas ses pompes ? C’est une façon comme une autre de se donner de belles chances de choper un athlétic foot. C’est à vous de voir. Mais se séparer de son préservatif pour vêtir Paul, Doug ou Mike, l’affaire est plus duraille. Même si l’on est entre vrais potes. Non mais, vous imaginez ? C’est pas réellement faisable. Ni souhaitable, par nos temps de SIDA. Et là ! vous me suivez toujours ?… Oui ? Splendide ! Alors vous sentez bien que dans cette volonté de ne pas laisser toucher à notre bien, cette capote usagée ou pis, en plein usage, nous abordons aux rivages de la propriété absolue. Il en va tout autrement avec la propriété intellectuelle. Une vanne balancée entre mecs pourra faire demain le tour de tous les comptoirs du Queens. Quatre accords de guitare seront, demain, sifflotés par une équipe de peintres en bâtiment. Demain la recette des fusiloni aux supions, dévoilée par Gino de la Quinzième, sera sur les tables graisseuses des gasthaus à pastrami de Brooklyn. Tout cela sans que personne ne puisse empêcher les mots, l’air de guitare, la recette de Gino, désormais incontrôlables, de s’en aller sans cesse plus au loin. Notez, c’est très bien ainsi. La richesse doit profiter au plus grand nombre. Si possible à tous. On peut encore 11
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rêver… Ce droit fait, pour l’instant, toujours partie du patrimoine de nos avantages acquis. Mais attention ! Rêvons éveillés. L’œil vif. Bien ouvert ! Surtout ne pas se promener les yeux bandés au bord des Niagara Falls. La nature a horreur du vide, certes, mais le vide séduit toujours de plus en plus de nos concitoyens. Comme à toute chose, il faut un garde-fou. Non s’il vous plaît, pour une fois, n’accordons pas trop d’importance au mot « garde » toujours entaché d’un concept de réduction de liberté. Considérons plutôt la finalité du garde-fou qui est là, non pour interdire la folie du sage – comme la sagesse du fou – de s’exprimer à sa guise mais, bien au contraire, en préservant l’intégrité physique de l’aliéné de base, de lui permettre de créer l’invraisemblable en non-stop. Seule façon pour une société de ne pas faire du sur place et donc de ne pas régresser. C’est pourquoi je le redis, attention ! Cependant, une chose est d’accepter de prêter de bonne grâce vos idées à des nécessiteux de la cervelle. Et Dieu sait combien sur ce plan les besoins sont grands. À propos, je le précise par parenthèse, à toutes fins utiles : quelle que soit l’ampleur des tâches à remplir qui attendent Dieu, il faut accepter l’idée que, syndiqué ou non, il doit en toute justice pouvoir bénéficier de tous les droits reconnus aux travailleurs. Halte à la confiscation du repos dominical ! Halte aux cadences infernales imposées au Seigneur ! Halte à ses obligations de résultats décidées de façons scandaleusement unilatérales ! Pour ne rien vous cacher j’ai, à diverses reprises, abordé ces problèmes avec Lui. Nous en avons même longuement débattu. En toute confidence, je me sens mis dans l’obligation de vous supplier à genoux, en prière et de dire : ne poussons pas Dieu à s’installer demain dans une grève illimitée. Que pourrions-nous y gagner ? Voyons, réfléchissez… Le propos vous surprend ? Vous choque peut-être. Normal. Pas de honte mal placée. Il en est ainsi pour toutes personnes sevrées d’idées. Celles qui ont les neurones à marée basse ; le cortex en cale sèche ; les circonvolutions en bassin de radoub. Heureusement 12
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cette foule, cette multitude est autorisée à user des idées d’autrui. Les miennes en l’occurrence. J’y consens sans restriction aucune. D’ailleurs je n’ai pas été programmé pour m’y opposer. C’est vous dire si je n’ai pas la fibre possessive commune aux propriétaires terriens, aux amants exclusifs, aux chasseurs de coléoptères, de lépidoptères, aux copocléphiles, aux rentiers griffus qui s’accrochent à leurs biens, comme des morpions agrippés avec l’énergie du désespoir aux derniers poils pubiens d’une pute nonagénaire ! Mais que peuvent-ils en attendre ? Pauvres et sales cons !… Alors que l’idée – qui, soit dit en passant mériterait de se voir adjoindre un h aspiré et plus encore inspiré – doit être et demeurer un bien public… Allons bon ! Voilà que je me disperse et vous égare. Si, si, je le sens bien. Vous voilà perdus comme les frangins du Petit Poucet. Alors, reprenons calmement : Une chose, disais-je, est de céder ses pensées, ses hypothèses, ses conclusions pour deux maigrichonnes portions d’une gloire toujours éphémère ou un dollar symbolique. Une autre est d’en être dépossédé. Dans ce dernier cas l’être humain se sent mis à nu. Dépouillé. Comme si un malfaisant, un bandit de grand chemin, un grand détrousseur, maniaque de surcroît, s’avisait d’en vouloir à votre capote anglaise déjà prestement chaussée en pelisse de hussard rouge. Et là, oui ! je le dis, je ne le proclamerais jamais assez haut ni assez fort, ce vol, ce viol (mais parfaitement !) amenuise, lamine, atomise, extermine la plus légitime de mes propriétés : j’ai nommé, la création. Détail ? Argutie ? Masturbation sémantique ? Vite dit. Mais, confronté à un tel drame, que feriez-vous ? Qu’auriez-vous fait ?
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J’ai fait mes humanités à l’ISU1. Vous connaissez Ames ? Non ? Pas de quoi envisager le suicide. Cool ! Vous n’avez rien perdu. On s’y emmerde comme des rats blancs confinés dans les cages de verre d’un laboratoire de recherches. C’est le royaume des 3 B : Boire en ingurgitant le savoir jusqu’à plus soif. Bouffer de la cuisine communautaire. Baiser en couronne. Au bout du compte, même avenir que les rats blancs : s’ennuyer à mourir ou mourir d’ennui… ou d’une chtouille savamment distillée puis inoculée par les chercheurs. Franchement, à tout prendre, j’aurais préféré croupir à Councils Bluffs, patrie du jazzman Art Farmer. Chouette, la trompette d’Artie… Et puis, à Councils Bluffs, personne ne la ramène. Faut dire que les moyens sont rares. En fait, si j’avais pu choisir, mon choix se serait indubitablement porté sur Des Moines ou Iowa City. Toujours ce même attrait stupide des bouseux pour les grandes villes. Marschall Town m’attirait également. Pour d’autres motifs. J’y ai toujours trouvé un charme désuet. Certains soirs d’été j’ai cru y voir flotter
1. ISU : Iowa State University (N.D.T.).
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le fantôme de Jean Seberg s’égosillant, À bout de souffle, pour vendre à la criée un pacson de journaux new-yorkais sous le bras. Seigneur, le tee-shirt de Jean Seberg, son froc informe et ses tifs de petit garçon ! Vous vous souvenez ? Mais l’ISU se trouve à Ames. Pas à Marschall Town. Ni à Corning : 1 800 habitants. Le trou du cul des States ! Inutile de vous faire un croquis. Pas le pied, d’ac’, mais pour ce que j’ai, l’idéal… Je dois le confesser, la foule m’attire et m’angoisse. À partir d’une certaine densité de piétons sur un trottoir ou pire dans un espace clos, en me retrouvant dans une concentration d’humains – parfaitement tolérable pour le commun des mortels —, je vire hargneux. Agressif. Prêts à mordre mes congénères. Comme les gaspards blancs dans leur univers aseptisé. Mêmes circonstances mêmes conséquences. Mêmes motifs, mêmes punitions. Il en est ainsi. C’est écrit. Einstein bien propre sur lui ou Raymond la Science 2 au calcif douteux, cette loi s’applique à tous. Enfin, presque… Mais je veux, j’ai besoin d’y croire. Et vous devriez y croire, vous ! hommes de peu de foi qui avez douté et persistez dans l’erreur – diabolicum ! – en doutant encore. L’ISU, personne ne le discute, n’est pas la meilleure université des States. Plus simplement, c’était celle qui se trouvait dans mes possibilités financières du moment. Mon père bossait à Riverder (près de Bettendorf) pour l’Aluminium Company of America. Rien d’original. Comme tout le monde à Riverder. Il n’était pas PDG. Plutôt juché sur le premier barreau de l’échelle, sans trop d’espoir d’ascension. Là-bas, à Riverder Bettendorf, l’alu générait un vrai bassin d’emplois et les meilleurs
2. De son vrai nom Raymond Callemin, il était membre de la Bande à Bonnot, association de malfaiteurs proche des milieux anarchistes. Il fut guillotiné à Paris en 1923. Il avait 23 ans. (N.D.T.)
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débouchés. En toute logique, je me devais d’entrer moi aussi dans le moule, si je n’avais eu la prétention d’entrer à l’université pour y étudier la Littérature française. Au fond, toute mon histoire découle de ce choix. Je pouvais espérer un jour un statut de cadre dans l’industrie de l’aluminium. Ou bien tenter l’aventure. J’ai pris la seconde option. Pour moi aborder la littérature française équivalait à l’exploit d’Armstrong batifolant sur la Lune par petits bonds ridicules. Mon père n’avait pas tenté d’orienter mon choix. Je crois cependant qu’il s’était suffisamment emmerdé dans l’alu pour se prendre à rêver pour moi à d’autres horizons. Je n’ai jamais su quel pouvait être à ses yeux le job idéal. Sinon que dans sa jeunesse, féru de base-ball, il aurait bien aimé palper comme Joe Di Maggio des cachetons mirobolants et le cul de Marilyn Monroe au sommet de sa gloire. Pour Papa, Di Maggio représentait le must de la réussite d’un putain de Rital parvenu au bout de son rêve américain. Quoi que Sinatra… celui-là aussi, avec sa voix et sa tronche de piège à radasses !… La vie – sa putassière de bordel de vie ! – n’avait pas fait de fleur à mon vieux. Elle n’avait pas voulu qu’il rencontre un jour d’embellie, au détour d’un chemin, la fille de Joe et de Marylin, pourvue du compte en banque de ses parents, pimpante, chaude, consentante, toute prête à recevoir ses hommages d’Irlandais monté comme un étalon de même origine. Au lieu de cela, lui, Patrick Fitzgerald O’Fogarty, fils de John Edward O’Fogarty, Irlandais grand teint façonné au bourbon et sous-fifre dans une mine d’aluminium, avait engrossé Alba Maria Rosa Scanavino. Rien à voir avec Di Maggio ou Sinatra. Elle était fille d’un marchand d’huile d’olive, de ravioli à la ricotta, de salami et autres saloperies ritales du même tonneau. À Riverder, en ces temps, lorsqu’un chrétien encloquait une chrétienne, il se devait, par un mariage religieux, de réparer les dégâts d’un hymen outragé. À condition que la femelle en puissance de maternité soit de race blanche. 17
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Mes parents n’avaient pas dérogé à la règle. Mon père avait mené Alba Maria Rosa à l’église, en robe immaculée et fleurs d’orangers sans tenir compte du polichinelle dans l’tiroir. Sept mois plus tard, j’étais là. Je ne crois pas que cette union, bénite dans l’urgence par le père Flanaghan, ait présidé aux prémices d’un grand amour. Je suis même sûr du contraire. Un jour, maman s’est barrée avec un de ses cousins marchand d’agrumes, gros et demi-gros, en Californie. Du moins, si j’en crois la venue au monde de Sally et d’Amy, il est arrivé à Alba Maria Rosa et à Patrick Fitzgerald de copuler au même moment et surtout ensemble. Peut-être, le temps d’une étreinte, ce moment a-t-il laissé penser qu’il s’agissait alors d’amour. Dans ce qu’il est convenu d’appeler une rupture avec conjugopathie à la clef, Sally et Amy sont parties avec ma mère. Plus tard Sally a épousé un fermier du Dakota. Ils font dans le blé. Les bonnes années, lorsque le cours en bourse est soutenu, il leur arrive d’en prendre une pincée. Amy, aux dernières nouvelles (qui datent de quatre ans) servait des hot-dogs et des cheeseburgers dans un restoroute du Nebraska pour des chauffeurs routiers crasseux autant qu’arrogants. Le Nebraska… Pas tout à fait la porte à côté. Pas vrai ? Pas, non plus, le bout du monde. Pourtant nous ne nous sommes jamais revus. Moi, dans cette histoire de rupture, j’avais choisi de rester avec mon père. Par solidarité entre Irlandais et mâles, je me devais d’être à ses côtés. Cette décision s’imposait à moi comme une évidence. Dans l’année qui a suivi la séparation de mes parents, mon père a hérité de l’oncle Jérémiah. Je ne sais dans quelle branche ce O’Fogarty-là avait fait fortune au Canada. Mieux valait ne pas trop chercher à savoir. Mais, pour le plus grand bénef de son neveu, il avait laissé à papa un joli paquet de dollars. Je n’ai jamais eu une estimation chiffrée de cet héritage. Quelques détails me permirent cependant d’en conclure qu’il y avait là un confortable petit 18
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matelas. Un pactole suffisant à tout le moins pour lui permettre de quitter définitivement l’Aluminium Company of America. Est-ce pour rompre avec son passé que mon père a opté pour venir vivre à Burlington, patrie de Wallace Hume Carothers et de Kurt Wamer3 ? Je le crois, oui. Par contre, je ne crois pas que le nom du premier nommé, inventeur du nylon, ait pu intervenir dans son choix. Pour cette toute nouvelle transhumance, j’étais dans le chariot de papa avant que l’on ne s’installe dans une maison des beaux quartiers. Et sans doute que l’héritage de l’oncle Jérémiah m’aurait permis d’aller m’instruire à Silicon Valley dans une certaine aisance si mon père, qui n’avait jamais été d’une sobriété exemplaire, ne s’était pas mis à picoler capital et intérêts avec une frénétique ardeur. La cirrhose venue et installée, le peu qui restait en banque servit à lui payer des obsèques décentes. Plus tard j’ai revendu notre belle maison. En payant le notaire, j’ai pu réaliser à loisir que j’avais été proprio moi aussi.
3. Joueur de football américain. (N.D.T.)