Ă€ mes petits-enfants : Marie, Charles, Gabrielle, Paul-Antoine et Lucille.
Avant-propos
L’
est de conserver la mémoire de ce qu’a pu être Palneca autrefois. J’ai tenté de rendre compte d’informations recueillies à diverses sources privées ou publiques, de mes souvenirs d’enfance et de conversations plus récentes avec les personnes de ma génération, et tous nous avons fait appel aux récits de nos anciens. Ce travail sur Palneca débute vers la fin du XVIe siècle, faute d’informations antérieures, et s’arrête à l’immédiat après-guerre, considérant qu’à partir des années 1950 débute une période de rupture au cours de laquelle les mentalités et le mode de vie évoluent très rapidement. Dans le texte les mots en langue corse sont en italique, ils sont orthographiés autant que possible en respectant la prononciation palnécaise, l’orthographe n’en est pas toujours normalisée. Les prénoms sont le plus souvent dans leur forme corse ou française, même lorsqu’ils sont connus sous leur forme italienne à l’état civil. Le nom de quelques lieux a pu varier au cours du temps, en général j’ai utilisé les noms en usage dans les années 1950. Il me faut encore remercier tous ceux qui m’ont fourni la matière des pages qui suivent. Il ne m’est pas possible de les citer tous. Je tiens cependant à mentionner spécialement Georges Santoni (Jojo Marroni), Marc-Dominique (Dominique) Santoni et Michel Santoni ainsi que Claude Faucheux, tous disparus. Mes remerciements vont aussi à Félix Santoni pour sa relecture attentive. OBJECTIF DE CET OUVRAGE
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Pour ĂŠchanger avec Abel GĂŠny : geny.palneca@free.fr
Présentation
À
TARAVU, dans un cadre alpestre, la commune de Palneca s’étend sur 44 kilomètres carrés, étagés de 700 à 2 000 mètres d’altitude. L’eau, le granite et la forêt s’y imposent. Les pins et les hêtres sont parmi les plus beaux de Corse, les crêtes rocheuses dominent le paysage. Les sources et les torrents sont nombreux qu’alimentent d’abondantes précipitations ; il tombe sur cette région plus de mille cinq cents millimètres de pluie ou de neige par an au-dessus de 1 000 mètres d’altitude. Le GR20, sentier de grande randonnée très fréquenté à la belle saison, borde ce territoire à l’est et au nord, il marque la limite avec les communes voisines de San Gavino, Isolaccio di Fiumorbo et Ghisoni. À l’ouest, passée la crête, on arrive à Bastelica par le plateau d’Eze. Au sud, dans la vallée, Ciamannacce et Cozzano complètent ce tour d’horizon. On se trouve dans le Parc Naturel Régional de la Corse, la mer est à plus d’une heure de route vers la côte orientale comme vers l’embouchure du Taravu ou vers Ajaccio. LA SOURCE DU
En l’an 2000, la population est officiellement de cent soixante habitants permanents (en réalité guère plus d’une centaine), et monte jusqu’à trois ou quatre cents personnes pendant quelques courtes semaines d’août grâce à l’arrivée des estivants, tous originaires du village. Une famille de bergers continue, pour quelques années encore, une activité ancestrale jamais interrompue jusqu’ici. Quelques troupeaux de porcs permettent la production artisanale de charcuterie traditionnelle. Une boulangerie a rouvert depuis peu ; une épicerie ambulante, un atelier de poterie artisanale, une ou deux petites entreprises de bâtiment, une autre d’exploitation forestière, quelques emplois de sapeurs forestiers et deux ou trois bars-restaurants ouverts le week-end et l’été. Ces activités, si la liste en semble longue, ne fournissent au total qu’une douzaine d’emplois pour la plupart à temps partiel. Ce village comptait plus de mille cinq cents habitants en 1939 ; il s’étendait autrefois sur deux territoires disjoints, situés d’une part à la montagne et d’autre part à « la plage ». Il tirait ses ressources de l’élevage, une centaine de bovins, plusieurs centaines de porcs, trois mille brebis et chèvres, de ses jardins et de sa châtaigneraie. Deux guerres et l’émigration vers l’Afrique du Nord l’ont vidé de ses forces vives, puis « les trente glorieuses » ont emporté le reste de sa population vers les villes.
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Palneca est situé au fond d’une vallée longtemps desservie seulement par des sentiers muletiers ; adossé à un col d’intérêt local, le passage d’étrangers y a toujours été rare. Chaque année cet isolement était rompu par la transhumance qui mobilisait une grande partie de la population, mais cet événement, vital pour l’économie du groupe, entraînait peu de nouveaux contacts ; dans les villages du parcours, les habitants se méfiaient de ces « nomades », à l’arrivée sur les terres d’hivernage on se retrouvait entre Palnécais. Les échanges économiques aussi étaient limités ; ils ne portaient que sur quelques produits de base ; il y avait peu de rapports commerciaux parce qu’il y avait peu d’excédents à vendre ou à troquer. L’isolement était renforcé par une endogamie dominante ; avant 1900, dans moins de dix pour cent des mariages le conjoint était choisi hors de la communauté, soit dans les villages voisins, soit sur les trajets de transhumance. La vie était rude, pour survivre chacun s’acharnait à produire de quoi nourrir les siens et devait se battre pour préserver ses moyens de production, terres ou bêtes, convoités par le pouvoir politique, par les communautés voisines ou même par des membres de sa communauté. La justice et l’autorité étaient lointaines, coûteuses à mettre en œuvre, seule la parentèle offrait assistance et protection. La fin du XIXe siècle apporte quelques changements dans cette vie autarcique, un mouvement de fond encore très timide se manifeste : on commence à construire des maisons plus confortables, lentement l’instruction publique se met en place, l’état sanitaire s’améliore, une route carrossable dessert enfin le fond de la vallée. En nombre croissant des hommes partent hors de Corse, certains définitivement, mais la plupart reviennent au village avec l’expérience d’un autre monde ; pourtant, à leur retour, ils reprennent leur place sans bousculer les usages. Le monde moderne atteint peu le haut Taravu. C’est à l’approche de la deuxième guerre mondiale que se dessine la fin de cette situation séculaire. Les Palnécais « expatriés », bientôt aussi nombreux que ceux qui demeurent au village, découvrent ailleurs la modernité, adoptent les mœurs nouvelles et épousent souvent des non Corses. De retour au village où pénètre peu à peu le progrès technique, où, même très lentement, la vie se fait moins rude et l’aisance croît, ces hommes pourtant ne modifient pas le mode de vie traditionnel auquel ils restent attachés ; en 1940 le poids de la communauté est encore très fort. L’usage ancien qui a semblé capable de survivre dans la société d’après-guerre va s’écrouler en une décennie vers 1960. L’économie traditionnelle s’éteint rapidement et n’est pas remplacée. Le nombre d’habitants permanents décroît fortement et cette population vieillit encore plus vite, de plus en plus de jeunes s’expatrient. Ceux qui n’ont connu que la vie au village sont alors moins nombreux, ils ne peuvent résister ; les conjoints et les enfants forcent à évoluer rapidement. Quelques années encore et, comme partout, la télévision et l’automobile achèveront de bouleverser le mode de vie, la plupart des antiques composantes qui avaient survécu jusque-là vont presque totalement disparaître. L’isolement de Palneca jusqu’au milieu du XXe siècle avait favorisé la survivance de ses coutumes dont il est difficile de dater l’origine et de suivre l’évolution. Aucune tentative n’a été faite pour en conserver un souvenir précis, les rares
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traces écrites sont récentes. La tradition orale fournit très peu de repères chronologiques, elle est aujourd’hui très appauvrie par la disparition des générations nées et grandies au village. Un psychosociologue pourtant a travaillé sur Palneca au début des années 1950. La documentation qu’il avait conservée et qu’il nous a aimablement confiée a été largement utilisée dans ces pages. Au début des années 1950, Claude Faucheux (1929-2015), psychosociologue au CNRS, membre de l’équipe du Professeur Lagache, le fondateur du Laboratoire de psychologie sociale de la Sorbonne, prépare une thèse de doctorat sur « la personnalité de base corse ». Des vacances en Corse en 1947 lui avaient fait connaître le Fiumorbu et par la suite il visitera tous les villages de Corse. À l’invitation de son ami Félix Santoni, il vient à Palneca dès 1952 et réalise qu’il y a découvert « un conservatoire des usages anciens de la montagne corse ». Il a consacré à Palneca et à la Corse plusieurs mois d’enquêtes de terrain chaque année, en 1952, 1953, 1954 et 1955, en toutes saisons. Mais il part aux ÉtatsUnis et ne rédigera jamais sa thèse, il travaillera et enseignera dans plusieurs universités américaines et européennes. Palneca était réputé dans toute la Corse. Même si cette réputation n’était pas toujours flatteuse, elle témoignait de l’existence d’une communauté vivace qui avait su préserver plus longtemps que d’autres un mode de vie et des coutumes d’un autre temps. Les changements techniques, économiques et sociaux ont bouleversé ce mode de vie, une société a disparu après la seconde guerre mondiale ; aujourd’hui ses derniers représentants deviennent rares. Ce texte qui doit beaucoup à leurs souvenirs et à leurs récits, a pour seule ambition de conserver quelques traces1 d’une époque révolue.
1. Félicienne Ricciardi-Bartoli à l’occasion de plusieurs publications dans le cadre de ses travaux au Centre d’études corses de l’université de Provence a exploité ses souvenirs et ses enquêtes palnecaises. D’autres Palnécais ont perçu l’intérêt de garder la mémoire de cette société, Blanche SantoniSéjourné dès 1960 avait rédigé quelques cahiers qui n’ont pas été retrouvés, et Georges Santoni fait vivre un site internet : http ://palneca. pagesperso-orange.fr /.
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Plan terrier de Palneca (Archives départementales de Corse-du-Sud)
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Cinq cents ans d’existence
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VANT LE XVI E SIÈCLE ,
on trouve peu mention de Palneca. Quelques textes font référence à un territoire, le Lobio ou Loppio, aux limites mal définies mais dont on connaît encore aujourd’hui au moins un lieu précis : la chapelle de Sant’Antone del Loppio (située sur la rive gauche du Taravu, sur la commune de Palneca, au-dessous du col du Laparo qui assure le passage vers le Fiumorbu). Les plus anciennes citations de Palneca remontent à la fin du XVe siècle2. « Rinuccio della Rocca s’intéresse à Ciamannacce, mais aussi à Sollacaro et à Palneca3 ». La piève de « Talabo » était alors constituée4 de « Cellago, Corra, Vitera, Lanfrancagii, Jovecassi, Sampolo, lo Tasso, le Chiamanachie, Cigauo, Coza, Palneca et lo Lobio ». La présence simultanée dans cette liste de Palneca et du Lobio donne à penser que tous deux se partageaient le territoire actuel, le Palneca d’alors se limitant probablement à la rive droite du Taravu. Par la suite, le Lobio n’apparaît plus que rarement ; Palneca couvre désormais les deux versants de la vallée, déborde les lignes de crête à Prati et à Eze, et, si l’on en croit certains usages encore vivants jusqu’au début du XXe siècle, disposait aussi de parcours pour les porcs aux Pozzi et dans la forêt de Marmano au nord du col de Verde sur le territoire de l’actuel Ghisoni. Les chroniqueurs ne citent pas souvent Palneca, ils nous disent cependant que, de 1500 à 1507, Nicolo et Andrea Doria à la tête de la répression génoise ont ravagé le Taravu5 après avoir dévasté le Niolu. Quand Giovanni della Grossa (il écrit au cours de la deuxième moitié du XVe siècle) cite le Lobio6, c’est seulement pour définir les limites de la Cinarca ou d’un autre territoire. Il ne parle pas d’évènements qui s’y seraient déroulés sinon pour indiquer qu’un seigneur du Fiumorbu « Trofetta… passa avec une nombreuse suite le col de Rapallo, il se fit seigneur de 2. Visite de monseigneur Mascardi en 1586 et archives de Gênes en 1585 citées par Bousquet. 3. Jean-Marie Arrighi et Olivier Jehasse, Histoire de la Corse et des Corses, Editions Perrin, 2013, p. 330. 4. « Éléments pour un dictionnaire des noms propres. Recherches de A-D. Monti sur une préface de J. Fusina », ADECEC et dans Wikipedia « pieves corses ». Vers 1790, on aura pour « la Pieve di Talavo : Zevaco 275, Corrà 216, Ziccavo 2275, Ciamanacce 599, Guitera 147, Palneca 233, S. Paulo e Giuicaccio 160, Tasso 216, Cozzà 275 ». 5. Fernand Ettori, La Maison De La Rocca, Editions Alain Piazzola 1998, p. 139, 6. Mathée Giacomo-Marcellesi, Antoine Casanova, Chronique médiévale corse Giovanni della Grossa. La Marge Édition.
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Taravu après s’en être rendu maître ». La région est probablement mal connue ; elle le restera encore durant plusieurs siècles si on en juge par l’imprécision des cartes de géographie de la Corse jusqu’au milieu du XVIIIe siècle. Elle est difficilement accessible, aucun chemin carrossable ne dessert son territoire, il n’est parcouru que par des sentiers. Tout au long du XVIe siècle la population du Taravu est soumise à de terribles épreuves d’abord du fait des pirates barbaresques dont les fréquentes razzias pillent les villages et enlèvent les habitants ; ensuite du fait des génois, car les bergers de la région ont certainement pris une part active aux luttes menées par les seigneurs contre Gênes, et ils ont subi ensuite la vengeance des vainqueurs : destruction des habitations, déportation, exécutions… ; du fait aussi des disettes qui se sont succédé7 et des épidémies de peste qui frappent l’île à plusieurs reprises. Dans le dernier quart du XVIe siècle dans le sud de l’île soixante-seize villages sont ruinés ou abandonnés, tous ces fléaux ont incité les populations décimées à se réorganiser et sans doute à trouver de nouvelles bases plus loin de la côte et donc moins vulnérables. On approche là des années 1600 ; c’est le temps des premières constructions connues et toujours habitées de Palneca, ainsi que des plus anciens Santoni repérés. Déjà à cette époque, la communauté est constituée, le village est reconnu, en 1586, monseigneur Mascardi dans sa tournée épiscopale, visite l’église de Palneca8 (cent ans plus tard monseigneur Gervasi rendra compte à son tour de sa visite). En 1587, on trouve aussi une référence à Palneca, à propos de l’appel d’un jugement rendu en faveur de Pasquale Pozzo di Borgo contre Palneca9. Puis en 1671, Palneca demande que soit aménagé le chemin qui franchit le col du Laparo9, commun aux populations du Taravu, de l’Ornano et de la Roca. Au début du XVIIe siècle, à l’issue d’une révolte paysanne, Gênes, voulant se rembourser de ses dépenses de maintien de l’ordre, taxe un certain nombre de localités parmi lesquelles elle cite Ciamannacce et Palneca, même si elle désigne un seul procurateur, Lucio de Ciamannacce, pour les représenter toutes deux10. Dans l’organisation génoise, la communauté de Palneca est rattachée à la piève de Ciamannacce. Pourtant elle ne paraît pas être un hameau ou une simple dépendance de ce village, elle a une individualité économique et historique. Déjà à la fin du XVIe siècle, on l’a vu, Palneca a son identité propre. Sur les cartes de la Corse des XVIIe et XVIIIe siècles11, on trouve selon les cas Ciamannacce et Palneca, Ciamannacce sans Palneca ou Palneca seul sans Ciamannacce ; les deux villages sont liés mais perçus distinctement. Le Plan terrier réalisé entre 1770 et 1795 indique la communauté de Palneca et Ciamannaccia. Dès 1721, Palneca demande à constituer une paroisse séparée de Ciamannacce, mais l’évêque refuse. Il faudra attendre 1794 pour que le préfet décide d’ériger Palneca en commune. À cette 7. Filippini, in Corse historique, n° 17-18, 1er et 2e trimestre 1965. 8. Michel Orsini, Corse, Terre vaticane, Edition Sud-Régie, p. 78. 9. Civile Governatore C115. 10. Les Feux de la Saint-Laurent, Antoine-Marie Graziani, Piazzola Éditions. 11. Par exemple en se rendant sur le site de la Bibliothèque nationale (www.gallica).
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occasion, le partage des terres entre les deux communautés fut âprement discuté. Bricone négocia les limites pour Ciamannacce dont il était maire, ses concitoyens lui reprochèrent d’avoir concédé trop de terres à Palneca et lui dirent : « O Brico, hai signatu à cecu ! » (Bricone, tu as signé les yeux fermés). Les Palnécais sont longtemps anonymes, très rares sont les écrits qui identifient l’un d’entre eux, par exemple en 158512 « Orsatello da Pallega de feu Gieronimo » et « Sylvestre streto parente de Orsatello da Palnecha ». Le village ne se connaît pas de « gentilshommes » tels les frères Ciamannacci13 du village voisin tout proche et à l’époque trois fois plus peuplé. En 1661, les fermiers du recouvrement des tailles14 dues à Gio Bernardo et Bartolomeo Ornano se plaignent que « leurs vassaux de Palneca » refusent de payer ces impôts et leur ont adressé des menaces de mort. Cette vassalité revendiquée était-elle fondée ? Cette année-là en tout cas elle était contestée par les Palnécais et peut-être avec raison puisque, en 1721, Palneca n’est pas cité dans la liste des vassaux des Colonna. Pourtant autrefois, si l’on en croit une tradition familiale non datée, les Colonna d’Ornano avaient coutume de passer l’été à la Sialedda15 chez des Bartoli (les Ghjuvanghjacumi) ; cette hospitalité, présentée en 1995 à Palneca comme une marque de relations flatteuses avec une famille puissante, n’était peut-être que l’accueil imposé à des Palnécais par un suzerain ou un propriétaire venu consommer sur place le produit de taxes ou de fermages qui lui étaient dus. On ne peut pas exclure non plus que ces Colonna aient eu besoin de trouver refuge auprès de leurs partisans palnécais quand, à la belle saison, leurs ennemis s’étaient mis en campagne plus bas dans la vallée. Une communauté agropastorale qui, jusqu’en 1600, ne doit pas dépasser deux à trois cents personnes, vit sur ce qui est aujourd’hui le territoire de Palneca et ses extensions dans les terres de la basse vallée du Taravu (une partie de l’actuelle commune de Serra di Ferro). Ces éleveurs, surtout de brebis, mais aussi de chèvres, quelques fois de porcs, moins souvent de bovins, produisent aussi un peu de céréales et cultivent des jardins. Il ne semble pas que les châtaigniers aient été nombreux. L’habitat saisonnier ou permanent est sommaire, il n’y a pas de tour, de maison forte ou de bâtisse un peu importante ; ce qu’on peut encore voir des plus vieilles constructions de pierre concerne des maisonnettes basses couvertes de bardeaux, un seul niveau sur un sous-sol de rocher qui suit la pente du terrain ; tout le groupe familial se serre dans une ou deux petites pièces. Les alpages, la forêt de chênes et de hêtres, les friches et les jachères (aujourd’hui réduites par la progression des pins ou du maquis) nourrissent les bêtes. Les troupeaux sont répartis sur les deux versants de la vallée au-dessus des 12. Archives départementales C110 5 janvier 1585. 13. Fernand Ettori, op.cit., p. 66. Ces « gentilshommes » sont apparentés aux seigneurs cinarcais, et bénéficient du réseau de solidarité familiale de leurs puissants cousins. Cf. Histoire de la Corse Éditions Alain Piazzola, 2013, vol 1, p. 415 : « en 1433… Bastia rendue après un siège par Francesco delle Ciamannacce ». 14 . Atti fatti in visita, Archives départementales Ajaccio 15. Recueilli vers 1995 de Pasqualina Mondoloni, épouse de René Santoni.
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zones cultivées. Quelques maisons marquent déjà l’emplacement actuel de Palneca, elles sont le berceau de chaque famiglia, les descendants par les mâles du même arrière-grand-père. Ils ne sont pas tous là en permanence. À la belle saison, la plus grande partie des Palnécais vit dans des caseddi, maisonnettes disséminées dans la campagne sur tout le territoire. L’hiver, tous les bergers descendent à « la plage » avec leurs brebis ; les autres restent à la montagne mais regagnent le village. On rencontre partout dans la montagne les traces nombreuses de ces maisonnettes isolées et, en quelques endroits, les vestiges de groupes plus importants comme à Saint-Antoine non loin de la chapelle, à San Petru di Verde, à la Sialedda, à Capu di Leva, à Valle d’Olmu ou à Accione. Ces maisonnettes étaient installées sur des terres cultivables, prés pour les bœufs et les chevaux, champs de céréales et de lin. Ces terres étaient parfois des propriétés privées, mais la plus grande partie du territoire était propriété collective de la communauté (et le sera jusqu’au premier tiers du XIXe siècle), régie par quelques règles simples : tout Palnécais trouvant un endroit libre sur le territoire de Palneca, à la plage où à la montagne, pouvait le clôturer, le défricher, l’exploiter durant plusieurs années ; une fois la terre épuisée il abattait les clôtures pour rétablir la libre circulation des bêtes et rendait la parcelle à la communauté. Ce mode de partage de la terre était de règle, dans cette communauté agropastorale la terre était à qui la cultivait, à la plage (sur le territoire de Palneca) comme à la montagne. Hors du village actuel, trois églises ou chapelles 16 sont mentionnées sur le cadastre de 1883 : l’une à Saint-Antoine où de mémoire d’homme un pèlerinage annuel n’a jamais cessé, la seconde à San Petru di Verde où il a été question dans les années 1920 de reconstruire la chapelle aujourd’hui complètement détruite dont on voit encore quelques traces au sol. De la troisième, Santa Maria, il subsiste quelques pierres à deux ou trois cents mètres au-dessus du village actuel, un peu plus bas que la strada maestra, le chemin muletier reliant Ciamannacce à Ghisoni. Il y a une trentaine d’années, plusieurs personnes se rappelaient une vasque, peut-être des fonts baptismaux. Elle était toujours ouverte au culte en 170017. En 1930 on pouvait encore reconnaître à proximité de la chapelle les ruines de plusieurs maisonnettes ; traditionnellement personne n’envisage qu’il s’agisse des vestiges d’un simple habitat saisonnier, on convient que c’est l’ancien site du village, depuis longtemps abandonné. Cet abandon progressif ou brutal, mais total, au profit de l’emplacement actuel, n’a laissé aucune trace dans les mémoires, personne ne sait jusqu’à quand ce groupe d’habitations a été peuplé, ni pourquoi il a été définitivement déserté. Dans son site Internet, Georges Santoni évoque une possible destruction par les génois au XVIe siècle. Une autre hypothèse pourrait mettre en cause la destruction, sur ordre de Pascal Paoli, des maisons de Palnécais qui avaient participé à une vendetta. Mais dans l’un ou l’autre cas pourquoi n’a-t-on pas reconstruit aussitôt ? Remonter les murs avec les pierres demeurées sur 16 . Le tableau d’assemblage du cadastre de 1883 indique une quatrième « église » à Accione au dessous de Sardaigne. Il s’agit d’une erreur de transcription, la feuille C3 de ce même cadastre indique « écluse » et l’édition suivante « ancienne écluse d’Accione ». 17. Abbé Francis Buresi, U Taravu, n° 10, p. 4.
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place eut été moins coûteux que de construire ailleurs. L’explication est peut-être plus banale : ne disposant pas d’un point d’eau de bonne qualité, ce site ne présentait aucun avantage par rapport au village actuel tout proche, et très tôt il a été progressivement délaissé ; seule l’église a été plus longtemps fréquentée, jusqu’à la construction de l’église à Palneca vers 1804. La situation de ces chapelles, San Petru en arrivant au col de Verde, et Saint-Antoine en dessous du col de Laparo, passage vers le Fiumorbu, peut laisser supposer que ces lieux avaient d’abord été des « hôpitaux », c’est le nom qu’on donnait au Moyen-Âge aux maisons où les voyageurs pouvaient trouver l’hospitalité pour la nuit. En 1175, dans la montagne entre Ghisoni et Taravu, on connaît la fondation d’un tel établissement au lieudit Nidocorbi18, en 1359 il sera dédié à Saint-Pierre-aux-Liens ; il s’agit peut-être de cette chapelle de San Petru di Verde. Chapelles ou « hôpitaux », ces lieux étaient propriétés de l’église. Ils ont été parfois gérés par un laïc auquel une vocation d’ermite a pu valoir une considération d’habitude réservée aux religieux. L’abandon des habitats forestiers de San Petru et de Saint-Antoine, n’est pas daté ; toutefois, on dispose d’une indication pour la Sialedda. En 1876 l’état civil y signale une dernière naissance, celle de Luchinetta Bartoli dont la famille considérait encore en 1960 qu’autrefois elle avait été dépouillée de sa propriété par la commission Blondel qui imposa aux Palnécais la « domanialisation » d’une grande partie de la forêt. La mise en place à partir de 1827 du nouveau code forestier et cette « nationalisation » des forêts en a chassé les éleveurs malgré leurs protestations ; jusque-là ils avaient de tous temps utilisé ces forêts comme des biens appartenant à leur communauté. Les autres maisonnettes disséminées dans la campagne (il y en a de nombreuses, leurs murs en pierres sèches sont quelques fois encore en bon état) ont été habitées jusqu’en 1945. Mais après la seconde guerre mondiale le nombre des bergers a très rapidement diminué, les terres cultivables ont été délaissées, en une décennie ces maisonnettes ont été désertées, très peu servaient encore en 1960. Palneca ce n’était pas que la montagne, c’était aussi a piaghja, les terres de la plaine. Dans la basse vallée du Taravu, à Calzola, au Stiliccione ou à Porto Pollo, pendant des siècles, les Palnécais ont vécu sur des terres qui constituaient leur territoire au même titre que les terres de la haute vallée. Cet espace était indispensable à l’activité des bergers dont les brebis ne pouvaient trouver à se nourrir l’hiver à la montagne, elles avaient besoin de pâturages dans la basse vallée. Cet espace ne permettait pas seulement le pâturage d’hiver, a piaghja c’était aussi le lieu d’une production agricole indispensable à la communauté, la terre des champs et des jardins y était bien plus généreuse qu’au village, et les légumes, le blé, l’huile des olives de la plage alimentaient la montagne. L’été il fallait quitter « la plage », la chaleur étouffante, le manque d’eau potable, la présence des moustiques et de la malaria poussaient les habitants à regagner les hauteurs. Cette « plage » où elles passaient plus de la moitié de l’année, ces familles la concevaient comme 18. Jean-Marie Arrighi, Olivier Jehasse, Op.cit, p. 258 et 296.
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partie intégrante de leur village pourtant situé à plus d'une journée de marche ; elles étaient à Palneca sur ces terres. Ceci n’était pas propre à Palneca, il en était de même pour les autres villages du haut Taravu, chacun avait sa « plage » où les transhumants passaient sept à huit mois par an. Pourtant leur village c’était Palneca (ou Ciamannacce ou Cozzano ou Tasso) car c’était là-haut que se trouvait la maison de leur père, celle dont ils étaient issus, celle dont ils possédaient une part, où ils étaient chez eux. Tous ceux, propriétaires, éleveurs de porcs, ouvriers agricoles… qui n’étaient pas contraints par les exigences du troupeau de brebis, vivaient le plus souvent au village. Mais même ces sédentaires ne l’étaient pas complètement ; beaucoup, à la belle saison quittaient le village et s’installaient dans les maisonnettes à la montagne près de leurs animaux ou de leurs champs ; vers le mois d’octobre ils regagnaient le village pour y passer les mois d’hiver dans des conditions moins rudes. Eux aussi pouvaient descendre à la « plage », certains y passaient au total plusieurs semaines pour les labours et les moissons, ou pour la cueillette des olives, se procurant ainsi le blé et l’huile qu’ils ne pouvaient produire à la montagne. On ne sait rien des échanges commerciaux de ces Palnécais ; leurs excédents, s’ils en avaient, étaient certainement limités. La vente de bétail, de fromages, de laine et de peaux, de charcuterie ou de miel procurait de quoi acheter quelques produits indispensables, en particulier le fer des outils. On a toujours vécu pauvrement à Palneca, mais avant le XIXe siècle le territoire semble assez vaste pour avoir nourri une population de moins de quatre cents personnes, même s’il faut faire la part des redevances dues aux propriétaires, des taxes à verser au pouvoir et des prélèvements du clergé, sans compter les guerres et les épidémies. Les Palnécais, propriétaires, journaliers ou bergers, sont des hommes libres ; ils vivent loin des centres du pouvoir civil ou religieux. Ils sont bien-sûr dans la mouvance de tel ou tel seigneur et, à ce titre, périodiquement impliqués comme combattants ou comme victimes dans les luttes qui ont opposé au long des siècles les seigneuries corses les unes aux autres, ou à la puissance dominante. Le règlement des différends met en œuvre la solidarité de la famille et de la parentèle, la violence est souvent de la partie et il faut un bien grand désordre pour que « l’État » décide d’intervenir et impose sinon sa justice, du moins la cessation des conflits. Dans la vie quotidienne, sauf quand il s’agit de percevoir les taxes, son autorité s’exerce peu ; la protection qu’offre la puissance souveraine est coûteuse et aléatoire, aussi la communauté fait rarement appel à la loi et compte sur ses seules coutumes pour régir la vie courante. La religion est présente partout. Administrée par des moines ou par des prêtres, elle est respectée, mais surtout elle est intimement liée à une multitude de croyances où se mêlent des rites magiques antérieurs à la christianisation, des interventions de l’au-delà et de mystérieuses pratiques de guérisseurs ou de jeteurs de sorts. Cette communauté agropastorale va conserver jusqu’au XXe siècle son économie de subsistance, ses règles de vie et ses croyances.
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Les familles
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ES ARCHIVES GÉNOISES ,
dans un document 19 datant de 1584, citent « Orsatello da Pallega de feu Geronimo, et Sylvestro son proche parent décédé ». Ils sont probablement soit des Santoni soit des Bartoli. Loin dans le passé à Palneca, on ne trouve que ces deux patronymes ; à la fin du XVIIIe siècle, on recense quarante ménages Bartoli, soixante-douze Santoni et seulement un ménage Casanova, un Leonetti et un Mondoloni. Les autres patronymes encore présents en 1937 sont ceux d’hommes venus plus tard de communautés voisines ou étrangères au Taravu. L’usage d’un nom de famille dans les documents officiels n’est pas répandu avant la fin du XVIIIe siècle. Seules certaines personnes sont connues sous des noms qui les rattachent à leurs ancêtres ; ce sont essentiellement des membres de grandes familles qui se réclament d’une ascendance noble. Bien que célèbre, Sampiero est Corso sans référence à la lignée dont il est issu, comme Orsatello est de Pallega. Vers 1740, l’avocat Sebastiano Costa dans sa correspondance cite à propos de Palneca « le capitaine Décius », il ne lui est pas utile de préciser qu’il s’agit d’un Bartoli. Le curé Charles Bartoli, chef du clan anti-français, pendu à Ajaccio en 1771, est identifié comme un Bartoli dans les rapports de son arrestation et de son jugement, mais il est aussi désigné sous le nom de « Charles Palneca20 ». À la même époque, les registres paroissiaux de Palneca ne mentionnent que les prénoms, il faudra attendre l’état civil républicain pour que s’impose l’usage d’un nom de famille. D’une manière générale, un peu partout en Europe, les noms de famille se sont formés sur le prénom d’un ancêtre, son surnom, son métier ou son lieu d’origine21. Pour Palneca, ce sont deux prénoms qui ont été retenus, Santonu (de Santu avec 19. Archives départementales, C110, 5 janvier 1585. 20. Jacques Gregori, Nouvelle histoire de la Corse, éd. Jérôme Martineau, p. 212. 21. Comme nom de famille, Palneca n’a pas eu de succès. On n’en trouve aucun dans le recensement de 1818 à Ajaccio, alors que les Frasseto, Guitera, Zevaco, Bastelica et d’autres sont bien représentés ; on n’en trouve aucun non plus dans l’annuaire du téléphone aujourd’hui.
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le suffixe augmentatif onu : Toussaint le grand ou l’aîné) et Bartulumeu. Mais rien n’obligeait à choisir ceux-là. Au lieu de Santoni et Bartoli, progressant de quelques générations (voir les arbres généalogiques en annexe), on aurait pu retenir leurs enfants ou petits-enfants, ancêtres plus récents, qui auraient donné les lignées des Ghjuvanetti et Ghjuvanoni pour les uns, Marcelli et Ghjuvanghjerolmi pour les autres ; deux ou trois générations plus tard on se serait fixé sur Barbucci, Razinghji, Fiori et Lauri… noms de parentèles couramment utilisés au moment où s’instaurait l’état civil. En 1937, sur une liste électorale, les 472 électeurs Santoni ou Bartoli composent plus de soixante groupes familiaux distincts, assortis chacun du nom ou du surnom d’un ancêtre de sa lignée mâle22 plus ou moins éloigné, commun à ce groupe. Il arrive que le nom d’une femme soit retenu comme nom d’un groupe familial, c’est vrai pour Matalineddi (de Matalena), Annetti (d’Anna) et peut-être Parsiglii (de Parsiglia). Cela se produit surtout quand l’épouse survit longtemps à son mari, alors l’identité des enfants est précisée en se référant au prénom de leur mère. Ces noms de groupes familiaux étaient, et sont toujours, largement utilisés dans le village ; connus de tous, ils étaient, et sont encore, les « noms de famille » nécessaires à la vie quotidienne du fait que Bartoli et Santoni, trop répandus pour identifier efficacement quelqu’un, étaient donc peu utiles23. Pourquoi, au moment où l’administration le réclamait, n’a-t-on retenu que deux noms et donc deux « familles » à Palneca ? Santu et Bartulumeu se sont-ils installés sur des terres vierges d’autres habitants ? Les autres habitants ont-ils été refoulés ou absorbés, ou bien leurs lignées se sont-elles éteintes ? Plus nombreux que les Bartoli, les Santoni auraient pu être scindés en plusieurs familles. Ils n’étaient pas isolés les uns des autres, les Santoni épousaient déjà des Bartoli et réciproquement. Les conflits étaient, et ils le resteront, aussi fréquents à l’intérieur d’une de ces deux familles qu’entre elles. Tel sous-groupe des Santoni, pour avoir établi de nombreuses relations matrimoniales avec les Bartoli, et en conflit avec son groupe d’origine, aurait pu apparaître comme moins adhérent à sa lignée mâle et mériter de constituer une famille à lui tout seul… Cela n’a pas été, l’identité de chacun des deux groupes a survécu ; même après quelques siècles, chacun avait gardé assez de cohérence et se distinguait clairement de l’autre. Il avait dû exister dans le passé une distinction nette entre les Bartoli et les Santoni dont le souvenir était encore assez fort à la fin du XVIIIe siècle pour s’imposer à tous dans les registres d’état civil. Se fixer sur ces deux groupes paraissait plus pertinent que de se fixer sur une seule famille si Bartulumeu et 22. Pour les prénoms et les surnoms, on se référera à la publication de Félicienne Ricciardi-Bartoli, e Anthroponymie dans la communauté montagnarde de Palneca, en Corse, du au xxe siècle, in Strade, n° 24, ADECEM / Albiana, Ajaccio, 2016. 23. Quand on désigne une personne il faut lever une autre ambigüité due à l’attribution de prénoms identiques dans un groupe familial ; les homonymes sont fréquents au sein d’une génération de cousins germains mais aussi à plusieurs générations de distance entre grands-parents et petitsenfants, aussi utilise-t-on régulièrement le diminutif ou le surnom plutôt que le prénom au sein même de la famille.
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Santu étaient apparentés, ou sur plusieurs sous-familles plus tardives. On ne peut exclure le facteur familial, mais il était certainement doublé d’un facteur sociologique ou géographique qui renforçait la pertinence de ce clivage. Presque tous étaient éleveurs ; peut-être les uns étaient-ils déjà là, les autres sont-ils venus par la suite. Les uns établis d’abord sur la rive droite, les autres sur la rive gauche du Taravu. On pourrait même hasarder une combinaison de ces hypothèses : un groupe de bergers, les Santoni, établi sur la rive gauche du Taravu, sur des terres dont beaucoup sont devenues forêts domaniales ; sur la rive droite, les Bartoli, issus des « gentilshommes » de Ciamannacce ou liés à eux. Au début du XVIe siècle, une répression génoise conduite par les Doria a bouleversé la région ; dans les décennies suivantes Bartulumeu et Santone, ou leurs enfants, se répartissent le territoire du village au voisinage de la source de Naceddi, et y bâtissent des maisonnettes, les uns au sud du ruisseau du Pianu, les autres au nord comme on le verra plus loin. Ceci a pu résulter d’un accord entre ces deux groupes distincts dont on parlait plus haut, mais aussi bien du partage d’un héritage entre deux frères Santu et Bartulumeu… Car selon la tradition orale deux frères, Santu et Bartulumeu, sont à l’origine de Palneca, Santu dit Santone (Toussaint, le grand ou l’aîné) dont les descendants seront les Santoni, et Bartulumeu qui donnera les Bartoli. Ces prénoms sont certainement à l’origine de ces deux patronymes, et Santu est un prénom qui est fréquemment donné depuis le XVIe siècle et même de père en fils ; Bartulumeu en revanche n’est retrouvé que très rarement. Santu et Bartulumeu ont certainement existé, peut-être étaient-ils frères, les Romulus et Remus de Palneca. L’abbé A. F. Bartoli (Tasso 1851-1914), du clergé de Paris, dans son Histoire de la Corse, publiée en 1898 remonte plus loin dans le temps, jusqu’à Charlemagne, pour trouver les ancêtres des familles du haut Taravu : Ciamannacce, vieilles tours, ruines de châteaux ; résidence de la famille de ce nom, une des plus vieilles, des plus nobles de la Corse, alliée aux Cinarca, aux Bozzi, aux Ornano, aux Istria, aux Della Rocca, aux Lecca, descendant, comme elles toutes, des anciens rois de l’Italie, et par suite de Charlemagne, comme je le prouverai dans mon troisième volume de l’Histoire de la Corse. Cette famille existe encore dans le canton. Mais elle s’appelle actuellement : Renucci, Bartoli, Santoni, Susini, Santucci etc., des différents prénoms que portaient les derniers représentants de cette illustre maison. Mais ce troisième volume n’ayant jamais été publié, nous n’avons pas la démonstration de cette ascendance illustre.
LES SANTONI L’attu di l’ottu désigne un ou plusieurs actes dressés en 1808 dans chaque grande lignée, pour fixer le partage des forêts au cadastre ; cet évènement a concerné toutes les familles, mais si tout a peut-être été fait devant notaire, seuls deux de ces documents sont cités ici. Pour les Santoni, des notes manuscrites,
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au bas d’un de ces actes24, indiquent que li chiostracci restano prove indivisi da Giovannetto a Giovannone. Ce qui signifie que, outre les parcelles déjà partagées, quelques parcelles indivises viennent de Giovannettu et de Giovannone qui sont donc les deux seuls héritiers mâles d’un même ascendant. Un arbre généalogique des Santoni vient confirmer ce point. Il a été établi entre 1954 et 1956 par Claude Faucheux en interrogeant les Palnécais les plus compétents en la matière, assez nombreux à cette époque. Cet arbre remonte à Ghjuvanu dit « Ghjuvannone » (Jean, le grand ou le plus âgé) et à Ghjaseppu dit « Ghjuvannettu » (Jean, le plus jeune ou le petit) dits tous deux fils de Santu. Mais on ne comprend pas pourquoi deux frères baptisés de prénoms différents auraient été désignés par le même prénom usuel. Dans un carnet retrouvé en 2009, probablement écrit entre 1940 et 1945, Graziu Santoni soucieux de clarifier des partages de terrains, rédige la généalogie de sa famille, les Parsigli, qui confirme l’existence de Ghjuvannone et de Ghjuvannettu et précise qu’ils sont oncle et neveu, fils et petit-fils d’un Santu, lui-même fils de Santu et petit-fils de Santu, on se trouve là un peu avant 1600. Ces deux groupes, les Ghjuvannoni et les Ghjuvannetti, ont donné tous les Santoni issus de Palneca, l’arbre généalogique en annexe indique les sousfamilles qui en sont sorties. Ces trois sources, l’attu di l’ottu, Claude Faucheux et Graziu Santoni ne sont pas indépendantes, ces trois documents ont été rédigés après consultation « d’experts » porteurs de la même tradition orale. Mais à cette époque, les sachants étaient encore nombreux, et ces filiations n’étaient jamais énoncées à la légère ; toujours déterminantes pour la vie de la communauté elles se devaient d’être sérieusement établies. Faut-il remonter plus loin encore dans le temps ? Un bon informateur, Georges Santoni (Jojo Marroni), rapportait que sa maison, Casa Nova, sur une partie aujourd’hui détruite, avait une pierre gravée d’une inscription signifiant « maison faite par Marc Aurèle Santoni en 1515 ». On n’a pas d’autre mention de ce Marc Aurèle ; son prénom ne s’est pas diffusé parmi ses descendants ou ses cousins. On ne trouve aucun Marc Aurèle chez les Santoni pendant deux cent cinquante ans ; le prénom existe chez les Mondoloni qui le transmettront par les femmes à des Santoni (au contraire, le prénom de Santu se retrouve presque continûment chez les Santoni autour de 1600). Si l’inscription de Casa Nova a été correctement déchiffrée et mémorisée, cela signifie qu’en 1515 il existait déjà d’autres maisons puisque celle-ci était reconnue la plus neuve, et qu’à cette date un Palnécais se disait déjà Santoni. Cette date est trop ancienne25 de près d’une cinquantaine d’années pour correspondre au plus ancien des Santu déjà cités. Il faudrait alors remonter bien avant 1500 pour trouver le premier Santoni. 24. Documents communiqués par Michel Santoni de Marc. Ces notes sont certainement antérieures à 1940. 25. On ne peut exclure une confusion entre 1515 et 1615.
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LES BARTOLI On ne parvient pas à établir une filiation aussi complète et ramifiée des Bartoli à partir d’un hypothétique Bartulumeu. À Palneca, ce prénom lui-même est très rare et tardif, on le trouve, une fois sous son diminutif « Bartolu » dans le recensement de 1770, puis en 1807 chez un « Jean-Baptiste dit Bartolu ». Il semble que les Bartoli aient eu avec Ciamannacce, le village le plus proche et dont ils sont peut-être sortis, des liens plus étroits ou plus durables, qu’ils aient été moins exclusivement Palnécais que les Santoni ; dans le recensement de 1818 on trouve nettement plus de Bartoli que de Santoni à Ciamannacce et dans la basse vallée du Taravu. Jusqu’ici on n’a pour eux ni l’équivalent des notes de Claude Faucheux ni l’équivalent du carnet de Graziu Santoni. Des actes notariés et quelques documents plus personnels fournissent cependant des indications. Remontant les générations, on voit se dessiner un regroupement, mais il est incomplet et l’ancêtre commun aux Bartoli est encore lointain. On reconnaît vers 1700 trois branches maîtresses26 issues l’une de Marcellu fils de Pierre, la seconde de Ghjuvan Ghjacumu et la dernière de Ghjuvan Ghjerolmu. Un acte de 180827 fixant un partage entre les descendants de Marcellu et ceux de Ghjuvan Ghjacumu, montre une proche parenté entre ces deux ancêtres. On peut aussi tabler sur une tradition familiale qui demande à être confirmée, selon laquelle Ghjuvan Ghjacumu descend d’un Ghjuvan Ghjerolmu à rapprocher du Ghjuvan Ghjerolmu déjà cité. Les autres lignées sont plus difficiles à situer. Au XVIIIe siècle, les Bartoli, au moins les fils de Marcellu et les fils de Décius (descendant de Ghjuvan Ghjerolmu), sont des notables. Ils participent aux évènements politiques qui conduiront à la domination française ; mais engagés aux côtés du roi Théodore puis de Paoli, ils seront du parti des perdants, et quelques Marcelli finiront pendus ou galériens en 1771. Malgré ces revers, ces Bartoli conservent encore leur prééminence au début du XIXe siècle : sur les six propriétaires déclarés (de terres agricoles) en 1806 on compte cinq Bartoli et un seul Santoni ; ce dernier disparaît rapidement car au recensement de 1818 on a toujours six propriétaires, mais tous les six sont des Bartoli (Noël Bartoli, u Tenente, tout récemment revenu de la campagne de Russie, figure comme demi-solde, mais il était propriétaire lui aussi). Quatre de ces Bartoli propriétaires sont des Marcelli : deux enfants de Joseph dit Caïbassu, sa veuve, et son frère ; les deux autres sont le fils et la veuve du petitfils du « Capitaine Décius ». Certains condamnés de 1771, membres de la famille Marcelli, avaient peut-être été propriétaires mais « leurs biens ont été confisqués au profit du Roi ». Cette forte concentration des propriétaires donne à penser que l’origine de leur propriété n’était pas très ancienne et que ces deux groupes familiaux tiraient leurs fortunes d’une source commune qui reste aujourd’hui inconnue. Il ne faut pourtant pas considérer que les Santoni sont économiquement déclassés parce qu’ils ne sont pas propriétaires. Dans la liste des dix plus gros 26. Voir en annexe l’arbre généalogique des Bartoli. 27. Copie d’un acte notarié communiquée par Claude Santoni de Luc.
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contribuables en 1808 on compte cinq Santoni, autant que de Bartoli, et les autres Bartoli sont bergers ou lavoratori comme les Santoni.
LES AUTRES PATRONYMES D’autres familles ont vécu l’histoire de Palneca, certaines n’ont compté qu’un petit nombre de personnes et, en l’absence de descendance mâle au village, leurs noms n’y ont pas subsisté. D’autres ont été plus fécondes ou sont plus récentes ; la liste électorale de 1937 mentionne des Bertoncini, Foata, Fumaroli, Gelormini, Leonetti, Mondoloni, Paolini, Pensieri, Pomi, Santucci, soixante-cinq électeurs sur cinq cent trente-huit. Ces noms ont été apportés, au cours des deux derniers siècles, lorsque des hommes se sont intégrés à la communauté par leur mariage avec une Palnécaise. Certains étaient totalement étrangers au village, d’autres étaient les descendants de Santoni ou de Bartoli partis plus tôt s’établir ailleurs dans la vallée. Après 1940 les mariages de Palnécaises hors de Palneca se sont multipliés, la liste des patronymes s’est largement enrichie.
Labours au Russulacciu, 1937.
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L’édification du village
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entre la plage et les alpages, une communauté semi-nomade a besoin d’un niveau médian où installer sa base. C’est là qu’elle se replie durant l’hiver, et en toute saison en période de danger. Dans des temps très anciens, les bergers du haut Taravu ont peut-être choisi à Petra di Tutica, une butte sur la rive gauche du Taravu, surplombant l’actuel pont de la Dispensa site facile à défendre, la pente y est forte sur les deux-tiers du périmètre d’un espace où il semble qu’hommes et bêtes ont pu se regrouper à l’abri du danger ; c’est d’ailleurs l’origine possible du nom Tutica, en latin « tutus » signifiant sûr, défendu, protégé. Palneca est né plus tard. Ses plus vieilles maisons remontent au moins, on le sait, aux années 1600. D’autres les ont précédées, plus précaires ; de modestes caseddi, ces maisonnettes d’estive, ont certainement vu naître de plus anciens Palnécais. ANS CESSE EN MOUVEMENT
SANTA MARIA ANTICA Quand monseigneur Mascardi vient à Palneca en 1586, c’est peut-être la chapelle de Santa Maria Antica, à deux cents mètres au-dessus du village actuel qu’il a visitée. Vers 1760 la chapelle servait toujours au culte selon l’abbé Francis Buresi et cela a certainement duré jusqu’en 1804. Elle était entourée de quelques maisonnettes dont on pouvait encore repérer des traces en 1960. On disait autrefois que c’était l’ancien village de Palneca. Les maisonnettes peuvent avoir hébergé des transhumants qui l’été s’installaient près de la chapelle comme à Saint-Antoine ou à Saint-Pierre de Verde, peut-être même un habitat permanent s’y était-il fixé autrefois. Quand a-t-il été abandonné ? Toutes les lignées de Santoni sont issues de maisons du village actuel, toutes les branches des Santoni sortent d’une même maison : la casa vechja di i Santoni, construite en 1609, dont on parlera plus bas. On ne peut pas être aussi affirmatif pour les Bartoli dont pourtant beaucoup de branches sont déjà dans le village en 1700, chacune dans son quartier. Les habitants permanents de Santa Maria ont disparu soit parce que leur descendance s’est éteinte, soit parce que dès la fin du XVIe siècle elle s’est fixée près de la source de Naceddi lors de l’installation des Bartoli et des Santoni, lors de la création de Palneca.
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LES PLUS VIEILLES MAISONS Au centre du village, dans la rue principale, on connaît la casa vechja di i Santoni, la vieille maison des Santoni ; sur le mur à l’est, au rez-de-chaussée, on peut voir une pierre gravée « 1609 IHS S ». Elle aurait donc été construite en 1609 par quelqu’un dont l’initiale était S, peut-être l’un des deux premiers Santu de l’arbre généalogique des Santoni28. La maison n’a comporté d’abord qu’un seul niveau sur un sous-sol qui suivait la pente du rocher ; plus tard, après avoir été flanquée de constructions mitoyennes, elle a été rehaussée d’un étage. C’est, son nom l’indique, le berceau de tous les Santoni et, vers 1850, l’ensemble du bâtiment abritait des représentants des grandes branches de cette famille : la partie la plus ancienne, au centre, appartenait côté sud à la branche dite des Ghjuvannoni (Anghjuleddi et Brancazzi), côté nord aux Ghjuvannetti. Par la suite les Ghjuvannoni se sont étendus vers le sud pour loger la sous-branche des Lauri, pendant que les Ghjuvannetti logeaient les Barbucci dans « Casa Rossa » l’extension nord détruite en 2010. Dans le bas du village, à Bartolu29, une maison aujourd’hui encore appelée « Casa Nova », aurait été construite en 1515 ou 1615 par Marc Aurèle Santoni30. À une date inconnue, le corps de bâtiment aurait accueilli un couvent, deux ou trois petites pièces où ont pu vivre des moines ; après le départ de ces occupants, le propriétaire a vendu plusieurs parties de la construction dont celle qui portait la date et qui, détruite, a été remplacée vers 1950 par une construction neuve (partie sud du bâtiment qui surplombe la route). La maison du « Capitaine Décius31 », construite en 1716 comme le mentionnait une pierre de la façade, était encore habitée entre les deux guerres mondiales. On en distingue quelques pierres dans un mur sur la « place de l’Ormeau » côté ouest, restes d’une ruine rasée vers 2000. Enfin, une très ancienne maison, « peut-être la plus ancienne » d’après Marc Dominique Santoni (Dominique de Mariette), se trouvait à l’emplacement de la maison construite vers 1935 par Rose Bartoli à Naceddi, à l’extrémité sud de « la Caserne ». Dans la famille d’Antoine Santoni (dit Pagès) aussi, on disait que cette maison était la plus ancienne, et on ajoutait que c’est son emplacement qui s’est d’abord appelé Palneca, et que par la suite ce nom s’est étendu à l’ensemble du village. Cette première maisonnette a été construite par des Bartoli qui, aux générations suivantes en prolongeront la construction vers le nord ; cet ensemble était lui aussi appelé Casa Vecchia, la vieille maison des Bartoli. Un mur de l’extension, aujourd’hui crépi, portait l’année « 1615 » gravée sur la façade ouest. Les témoignages diffèrent sur l’emplacement de cette marque. Il pourrait s’agir de la partie centrale du bâtiment. Il parait peu probable que la partie nord remonte à une date 28. Voir en annexe pour la subdivision des Santoni. 29. Le nom de Bartolu désignait un quartier plus restreint, l’appellation s’est récemment étendue à la zone voisine qui autrefois était appelée Casa Nova.. 30. Voir au chapitre Familles. 31. Décius Bartoli, partisan du roi Théodore entre 1735 et 1740.
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aussi ancienne, la présence d’un véritable escalier intérieur et non d’une echelle de meunier, et la dimension des pièces témoignent d’une certaine aisance du constructeur. Celui-ci pourrait être Noël Bartoli, u Tenente, revenu de la campagne de Russie en 1813 avec un brevet de lieutenant et un confortable butin. Au XIXe siècle, une partie du bâtiment que l’on continue d’appeler « la Caserne » était louée à la gendarmerie qui, outre la prison, y avait le logement de huit gendarmes et de leurs familles. On a donc une Casa Nova d’un Santoni, et deux Casa Vecchia, l’une des Santoni, l’autre des Bartoli, mais il faut noter que ces deux dernières auraient été bâties à des dates très voisines : 1609 pour l’une, 1615 pour l’autre. Casa Nova pourrait être plus ancienne d’un siècle. À moins de cent mètres de la Casa Vechia des Bartoli se trouve la fontaine de Naceddi. Il est probable que si des familles se sont fixées et multipliées à Palneca, c’est grâce à l’existence de cette source. Plusieurs autres points d’eau sont mentionnés dans le village au cadastre de 1883, la plupart ont un débit faible ou irrégulier et une qualité parfois médiocre. La fontaine de Naceddi est abondante, régulière et longtemps on l’a jugée de bonne qualité ; elle suffira jusqu’en 1925 aux besoins d’une population qui se sera fortement accrue. Le village s’est installé et s’est développé dans le voisinage de cette source, et les maisons les plus anciennes en donnent l’organisation.
LES QUARTIERS Ces « premières » maisons n’ont pas été construites d’emblée. Tout commençait par une maisonnette isolée, abri précaire installé sur un terrain familial, peu à peu consolidée ou abattue puis reconstruite, surélevée ou prolongée à mesure que la famille s’élargissait. Les cousins ou les neveux bâtissaient à leur tour une maison mitoyenne ou quelques mètres plus loin. Ainsi se sont formés les quartiers, chacun autour d’une famille : Naceddi, Bartolu32, Casa Nova et Montisano au nord du ruisseau du Pianu (ou Pionu selon les époques), i Santoni, Ghjacaredda et Casa di Peru au sud. En se densifiant, ces quartiers ont fini par se rejoindre et la continuité du village actuel, le long de la rue principale, apparaîtra, vers 1880, avec la construction de la grande maison Manetta qui fait le lien entre les deux rives du Pianu. Au cadastre de 1883 (voir p. 27) on peut diviser le village en trois zones distinctes : – La première, au sud du ruisseau du Pianu, comprend I Santoni, Casa di Peru, le Pintone et Ghjacaredda, elle est très majoritairement habitée par des Santoni. Des Bartoli s’y sont implantés tardivement à la faveur de mariages, vers 1800 Anghjulu Francescu Bartoli épouse Livia (fille de Matteu Citarinu, un Santoni 32. Du prénom d’un de ses premiers habitants, peut-être Bartolu Bartoli né en 1740 d’après le recensement de 1770. Cela justifie-t-il l’accent tonique sur la deuxième syllabe, à la différence de Bartoli où l’accent tonique est sur la première ?
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qui n’a que des filles), leur fils Ghjuvan Ghjacumu aura sa maison au-dessus de Casa di Peru. On trouve aussi des Bartoli au Pintone et dans la maison Manetta depuis qu’en 1829 Salamone Santoni, père de cinq filles, marie l’une d’elles à Santu Pacone (père de Manetta) et l’autre à Natale u Fratè (frère de Santu Pacone) qui s’installera au Pintone. – La seconde zone se situe au nord du Pianu et du chemin qui sépare Bartolu de Casa Nova. Elle est à l’époque exclusivement peuplée de Bartoli, à l’exception des Tanchiccioli où vivent des Santoni à partir de 1806 quand Simon Bartoli, père de quatre filles, laisse par testament sa maison à l’une d’elles, Maria Linda, épouse de Décius Santoni des Parsigli. – La troisième zone, entre le ruisseau et le chemin est partagée entre Bartoli et Santoni. Est-elle aussi aux descendants de Décius Santoni pour la même raison que plus haut ? Elle était aux Bartoli avant 1806, mais pourtant c'est là qu'un Santoni avait construit sa maison en 1515 (ou 1615). Il semble bien que jadis un Santoni et un Bartoli se soient partagé l’espace du village, et qu’ils aient choisi le ruisseau du Pianu pour limite séparative. Mais pourquoi Casa Nova construite plus tôt par un Santoni33 est-elle du « mauvais » côté ? L’inscription dans la pierre a-t-elle été mal déchiffrée ? Ou bien le partage a-t-il été postérieur à la construction de Casa Nova ? Ou encore, hypothèse hasardeuse, les Santone et Bartulumeu du partage auraient-ils été les héritiers de Marc-Aurèle, le constructeur de Casa Nova. Peut-être étaient-ils ses fils, et l’on en reviendrait à la tradition des deux frères Santu et Bartulumeu.
PALNECA AVANT 1900 Le recensement de 1856 donne par quartier le nombre de maisons, de ménages et de personnes. Cent quarante-cinq ménages, composés de quatre à cinq personnes en moyenne, vivent dans une quarantaine de maisons. Et il ne s’agit pas de bâtisses à plusieurs étages comme la caserne, mais de maisonnettes qui ne comptent qu’un niveau d’habitation, rarement deux, et dont on s’étonne qu’elles aient pu accueillir autant d’habitants ; chaque ménage n’y dispose souvent que d’une seule pièce, et en général partage cette pièce avec des ascendants, avec un oncle, une tante, une sœur ou un frère. Heureusement toute la famille n’y demeure pas en même temps ; l’été plusieurs membres, bergers ou cultivateurs, sont dans la montagne et l’hiver à la plage, tout aussi petitement et sommairement logés. Les plus « riches » sont à peine mieux lotis ; le jugement prévôtal34 de 1771 détaille l’occupation de la maison d’une puissante famille Bartoli, des notables, où pourtant chacune des branches de la fratrie ne dispose que d’une seule pièce.
33. Voir plus haut. 34. Voir en annexe.
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7 U PINTONE CASA DI PERU
L'ARGHJOLA
I SANTONI 2 GHJACAREDDI DAMIANI
MONTISANU
3 NACEDDI 4
5 6 I TANCHICCIOLI CASA NOVA 1 BARTOLU
D’après le cadastre de 1883 http://www2.cg2b.fr/Internet_THOT/Recherche/FrmRechFrame.asp?MOD=3 Dans la diagonale, le ruisseau du Pianu. Les points noirs représentent les fours et les points blancs représentent les sources. En noir, figurent les noms des quartiers. Les chiffres renvoient aux maisons citées dans le texte : 1. Casa Nova 2. Casa vecchja di i Santoni 3. Casa vecchja des Bartoli 4. La Caserne 5. Maison de 1716 6. Maison léguée à Décius Santoni 7. Maison léguée à Natale U Frate 8. Maison Manetta
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LES QUARTIERS AU RECENSEMENT DE 1856 MAISONS
MÉNAGES
PERSONNES
NACEDDI
5
22
100
CASA DI PERU
3
22
88
SANTONI
6
26
105
ARGHJOLA
2
6
26
GHJACAREDDU
2
8
27
BARTOLU
9
16
86
CASANOVA
7
17
90
MONTISANO
2
12
76
VALLE D’OLMU
1
6
35
CASERNE
1
9
32
CORDILARGHJA
1
1
4
TOTAL
39
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À l’extérieur du village, sur la rive droite du Taravu, trois hameaux, Sardaigne, Saint-Antoine et le Scrivanu ont fini par constituer un habitat permanent parce qu’ils étaient situés le long de la route qui conduit de Cozzano au col de Verde. Les recensements de 1856 et de 1881 ne mentionnent pas les noms de ces trois hameaux ; en 1856, seul est cité Valle d’Olmu, à quelques kilomètres au nord du Scrivanu, trente-cinq habitants y étaient recensés. Le recensement de 1881 ignore Valle d’Olmu, mais mentionne Accione (à proximité de Sardaigne) où vivaient douze habitants. Cette instabilité tient au recensement des transhumants ; selon la saison, ils sont comptés soit à la montagne soit à la plage et quelques fois même ils sont probablement comptés aux deux endroits.
LES ÉQUIPEMENTS COLLECTIFS Les équipements collectifs étaient peu nombreux et limités à quelques fonctions essentielles. Longtemps l’eau potable au village est surtout fournie par la source de Naceddi autour de laquelle on a construit un important ouvrage en maçonnerie qui existe toujours. Les femmes viennent y remplir a tinedda ou a seghja, un seau de bois qu’elles portent sur la tête. C’était alors un lieu un peu excentré et, un jour, il a paru nécessaire d’amener l’eau jusqu’au cœur du village ; le cadastre de 1883 indique l’existence d’une fontaine flanquée de deux abreuvoirs au bas du chemin
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qui descend de Naceddi à Montisano (on la distingue, mais sans abreuvoirs, sur un film italien d’actualités cinématographiques35 de 1931). Cette fontaine, édifiée en 1882, était probablement alimentée par la source de Naceddi située une trentaine de mètres plus haut. Vers 1920, soit que le débit n’ait plus suffi à la population, soit que la présence de nombreuses tombes en amont ait fait naître des inquiétudes quant à la qualité de l’eau (on a soupçonné l’eau de véhiculer des germes de diphtérie), on cherche un autre approvisionnement. En 1925, la commune achète la source de Merdazza (située au-dessus du nouveau cimetière) et en amène l’eau à une fontaine sur la place in I Santoni. Mais très rapidement, l’eau de Merdazza est abandonnée36, la commune entreprend des travaux importants pour capter la source de la Penta37 qui vers 1938 alimentera généreusement le village et ses hameaux d’une eau abondante et d’excellente qualité, sans doute issue des infiltrations du Cuscionu. Outre la fontaine principale toujours en place (vers 1960 elle sera reculée de quelques mètres et perdra les deux abreuvoirs qui la flanquaient), des bornes fontaines réparties dans tout le village distribuent l’eau à proximité des maisons. Seules quelques constructions récentes et bien situées sont immédiatement raccordées, il faudra attendre 1955 pour que soit installée l’eau courante dans toutes les maisons. Trois lavoirs ont été construits vers 1938 (au Pintone, à Casa di Peru et à Bartolu plus bas que le presbytère), mais, en 1945 encore, les grandes lessives des draps avaient lieu en juin ; aux premières journées de temps chaud, les femmes descendaient laver au fleuve à Caru Pastore, faisaient sécher sur le pré et remontaient au village portant leurs charges de linge sur la tête. Le tout-à-l’égout qui était prévu pour 1939 sera retardé du fait de la déclaration de guerre, il ne sera réalisé que vingt-cinq ans plus tard. Autre équipement collectif essentiel, un vaste système de canaux d’arrosage (toujours visible en divers lieux) distribuait l’eau nécessaire aux cultures, jardins, prés et châtaigniers, sur les terres entre deux ruisseaux. A marta, le canal, se confondait parfois avec le sentier, mais le plus souvent c’était un ouvrage travaillé et soigneusement entretenu ; creusé dans le tuf ou maçonné, il suivait une faible pente à flanc de montagne. Pour l’arrosage des jardins du village, ces canaux étaient alimentés à partir des ruisseaux de la Nocca, du Minutellu, du Pianu et surtout de Pintuli dont a marta, inutilisée depuis les années 1970, existe toujours au-dessus de Casa di Peru. Quand on se promène dans la montagne, on doit le plus souvent ouvrir sa voie à la serpe ou à la faucille. Pourtant là où les chasseurs et les organisateurs d’A 35. Référence YouTube Corsica – Le operazioni del corpo di spedizione francese per il restrellamento dei favo. 36. Ce nom sonne mal pour une source d’eau potable. Après 1938, une conduite livrera cette eau au pont de la Nocca et elle sera largement utilisée, à la tombée de la nuit, pour le nettoyage quotidien des seaux hygiéniques vidés dans ce ruisseau. Retour aux sources ! 37. Le captage et l’adduction d’eau seront refaits entre 2005 et 2010, ainsi qu’un nouveau réservoir.
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Maredda38 les nettoyent, on retrouve les anciens sentiers dans l’état où ils étaient encore au milieu du XXe siècle. Bordés de murs dressés par des générations de riverains qui n’avaient pas hésité à manier des blocs de granite de grand format, ces sentiers et ces murs quadrillaient la montagne. Deux chemins étaient particulièrement importants, l’un menait de Palneca vers le Fiumorbu par la Chapelle de Saint-Antoine et le col du Laparò, l’autre a strada maestra, reliait Ciamannacce au col de Verde, le Taravu à Ghisoni, suffisamment large pour que deux mulets bâtés puissent s’y croiser fréquemment. Autrefois les fours où les femmes venaient cuire le pain et finir le séchage des châtaignes appartenaient chacun à une famille ; ils étaient construits à proximité des maisons. Par la suite, ils ont servi aux habitants des maisons voisines, souvent membres de la même famille élargie, puis ils sont devenus des fours de quartier. Ils étaient entretenus par les usagers, mais le sol sur lequel ils se situaient n’a jamais cessé d’être une propriété privée. Plusieurs de ces fours ont fonctionné régulièrement jusqu’au début des années 1950. Jusque dans les années 1930, hormis l’église et le presbytère, il n’y a pas de bâtiment public, les « assemblées » se tiennent soit en plein air soit à l’église. La mairie se situe le plus souvent chez le maire ; l’école se fait dans des salles de classe louées à des particuliers, l’instituteur et sa famille sont logés chez l’habitant. La « Maison commune », importante bâtisse construite entre 1933 et 1937, permettra enfin d’installer dans de bonnes conditions la mairie, l’école et plus tard la poste, et fournira quelques logements de fonction. La gendarmerie, au moins entre 1840 et 1881, est installée, à Naceddi dans un bâtiment privé qu’on appelle aujourd’hui encore « la Caserne » ; en 1856 huit gendarmes et leurs familles, soit plus de trente personnes, y étaient logés.
ÉGLISES ET CIMETIÈRES L’église actuelle est construite à partir de 1930 jusqu’en 1934 sous la houlette de l’abbé Arrighi (elle sera rénovée en 2003). Pour cette construction, on a fait appel à une souscription publique et au travail des paroissiens bénévoles, hommes et femmes y ont charrié la pierre et le sable. Un peintre, Ivan Choupik, ukrainien réfugié à Vico, est l’auteur des fresques ; les vitraux proviennent de l’ancien séminaire d’Ajaccio39. Le clocher est dressé vers 1940. Les cloches, La Concorde (sol) 650 kg, Marie (la) 440 kg et Thérèse (si) 325 kg, offertes par la municipalité sont mises en place en 194140. Aujourd’hui, sur la façade de cette église on peut voir 38. Trail du haut Taravu organisé au début du mois de septembre sur les sentiers de Palneca, Cozzano et Ciamannacce. 39. Bilan des actions de la commune de Palneca, période du 20 mars 1977 au 30 décembre 2012, p. 9. 40. Deux manifestations ont lieu à Palneca le 19 juillet 1941 : la bénédiction et l’installation des cloches, puis le serment de la Légion au Maréchal Pétain. En présence de l’évêque, d’un Colonna d’Ornano commandant en Corse la Légion des anciens combattants, du capitaine Jérôme Santoni (u Capitanu)
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une pierre qui porte la date de 1765 ; elle est posée à l’envers, c’est une pierre de réemploi. Venait-elle de l’ancienne église ? Car il existait une église, plus petite et plus basse que l’église actuelle, au même emplacement. On en aperçoit le faîte du toit et le clocheton sur une carte postale ancienne ; on a aussi une photo de 1929 qui n’en montre que la porte et les marches. Elle mesurait 15,60 mètres de long, 5,50 mètres de large et 3,40 mètres de haut ; surmontée d’un clocheton, couverte de bardeaux, la toiture était soutenue par des piliers de bois. Cette église n’était pas si vieille : « d’une enquête41 sérieuse, soutenue par le témoignage des anciens et la tradition du village, il ressort nettement que Bartoli Joseph, surnommé Caïbasso42, bâtit cette petite église, en 1804-1805, de ses propres deniers et sur un terrain lui appartenant. Il fit venir de Gênes, encore à ses frais, les deux petites cloches qui portent son nom gravé43 et le millésime de 1807 ». Selon la même source, « le presbytère est une donation faite à l’Église peu de temps après le Concordat par le grand-père de feu Alexandre Bartoli, ancien député de Sartène ». Les Palnecais n’ont aucun souvenir de l’existence d’un autre édifice religieux plus ancien dans le village. Pourtant le Plan Terrier, réalisé entre 1770 et 1795, montre une église au même emplacement qu’occuperont les suivantes. Les informations recueillies par le curé Angelelli pourraient avoir été incomplètes. En 1804, Caïbasso a construit son église sur un terrain qui ne lui appartenait pas (il a pu y ajouter une parcelle), une plus vieille église s’y trouvait peut-être déjà. La pierre gravée 1765 en proviendrait. En est-il de même de cette pierre taillée en arc de cercle (à la fin des années 1930 elle est utilisée comme marche puis comme banc de pierre) qui aujourd’hui borde une jardinière sur la gauche quand on descend les escaliers qui mènent de la rue principale à l’église ? Cette pierre est sans doute un linteau de porte, mais celui de l’église de Caïbasso était droit. En 1804, une trappe dans le sol de l’église nouvellement construite donnait accès à l’arca, la fosse commune où jadis on ensevelissait les morts. En 1776, un édit du roi avait pourtant interdit cet usage, sans grand succès apparemment, et en 1808 Simon Bartoli, le demi-frère de Caïbasso, demande dans son testament rédigé en italien que il suo corpo fatto cadavere sia portato e sappellito nella chiesa parocchiale (son corps fait cadavre soit porté et enseveli dans l’église paroissiale) ; il est mort en 1821 et il est probable que sa volonté a été respectée. Il faut attendre les années 1830 pour que cesse cette pratique d’ensevelir les morts dans l’arca. Vers cette époque on les enterre aux abords immédiats du village, sur des terrains familiaux, et quelques fois en plein village, dans le jardin près de la maison ; une simple pierre marque l’emplacement de la tombe. Après 1850, on construira des et du commandant Bartoli (tous deux représentants « la Légion » à Palneca), les cloches sont bénies puis hissées dans le clocher par des hommes de la Marine Nationale. 41. Cette enquête a été menée par le père Angelelli, curé de Palneca en 1905. Il a laissé des notes manuscrites sur le fonctionnement de la paroisse, cette citation en est extraite. 42. Maire de Palneca de 1804 à sa mort en 1812. 43. Ce nom ne figure pas sur celle des deux cloches qui est conservée dans l’église. L’autre cloche se trouve à la Chapelle de Saint-Antoine.
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tombeaux dont le premier exemple a sans doute été la chapelle des Bianconi, chapelle assez grande pour qu’on y ait célébré les messes paroissiales pendant la construction de la nouvelle église. En 1940, on crée le cimetière communal, mais, encore aujourd’hui, beaucoup de familles enterrent leurs morts hors de ce cimetière, dans leurs caveaux de famille, en particulier au Cuticciolu, ou au-dessus du village vers Santa-Maria, et les bières y sont portées à dos d’homme.
MAISONS MODERNES ET GRANDS TRAVAUX Vers le début du XXe siècle, la situation matérielle des Palnécais s’améliore, quelques fonctionnaires ont des revenus réguliers, la châtaigneraie produit à plein, et sauf pour les mauvaises années, on disposera d’un excédent de production qui sera vendu ou qui complétera l’alimentation des porcs. La richesse du village s’accroît visiblement, il est raccordé au réseau routier, et on construit entre 1880 et 1914 plusieurs bâtisses beaucoup plus importantes et cossues que les maisons qui existaient jusque-là (la maison des Bianconi à Naceddi avait été une exception) : dans le quartier Santoni, sur la droite en montant, l’ensemble de trois maisons des Sciarponi ; juste après, celle de François Xavier dit Michel (la belle façade et le balcon) ; plus bas la maison Manetta ; en montant à Casa di Peru la maison de Baguleddu, à Naceddi la maison de Petru Agnazziu. Après 1925, de nouvelles maisons particulières sont construites, celles de fonctionnaires ou de nouveaux retraités rentrant au village (de Sarpenti, de Catherine Mondoloni, villa Charlotte, les Sapins…) ainsi que la maison du bandit Bartoli. Sur les toitures les tuiles remplacent les bardeaux, la modernisation du village entre les deux guerres a été manifeste, et on réalisera de très gros travaux d’intérêt général : la construction de l’église, celle de l’imposante Maison Commune, l’adduction d’eau depuis la source de la Penta qui ont représenté de coûteux investissements comparés à l’importance de la population. La construction d’un réseau d’égouts prévue en 1939 a été annulée en raison de la guerre ; elle sera relancée vingt ans plus tard. L’instruction publique a conquis le village, tous les enfants sont scolarisés ; déjà avant 1939 quelques hommes ont fait de brillantes carrières dans la haute administration, et vers 1935 trois jeunes Palnécaises ont été reçues à l’école normale d’Ajaccio.