L'Accademia dei Vagabondi

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Antoine Franzini

L’Accademia dei Vagabondi Une académie des Belles Lettres en Corse Une histoire sociale, culturelle et littéraire e e ( siècles)

Bibliothèque d’histoire de la Corse

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INTRODUCTION

Pourquoi le souvenir de certaines entreprises se conserve-t-il dans la mémoire collective ? Est-ce le mot un peu pompeux d’« Académie », ou celui drolatique, de « Vagabondi », qui ont ainsi marqué les consciences ? Est-ce l’attelage imprévu des deux ? Après que la Société des sciences historiques et naturelles de la Corse, société savante héritière de l’esprit académique, a commencé de publier, dès ses premiers pas en 1881, des articles fondamentaux sur ce sujet, les auteurs furent nombreux à se saisir de cet objet depuis un peu plus d’un siècle1. En faisant à leur suite de l’Accademia dei Vagabondi un objet de recherche et de curiosité, nous profiterons de l’accès à de nombreuses nouvelles sources pour entreprendre une étude aussi fouillée que possible de cette intéressante expérience littéraire et culturelle, inscrite dans le phénomène académique italien, puis dans son développement français, dont elle fut successivement partie prenante. Est-il enfin nécessaire d’ajouter que l’étude de cette expérience s’étend naturellement e e et siècles, tant pour en au domaine social et politique de la Corse des 2 saisir le contexte que pour l’enrichir de ses trouvailles ?

1. Jean-Baptiste Galeazzini avait ouvert la voie (« Les sociétés littéraires à Bastia », Bulletin de la Société des sciences historiques et naturelles de la Corse, désormais BSSHNC, 1, 1881, p. 12-25), mais l’article du président de la Société, Lucien-Auguste Letteron, semble inaugurer véritablement cet intérêt (« Les sociétés savantes à Bastia. Notes pour servir à leur histoire », BSSHNC, 367-369, 1916, p. [99-149] 99-131). Nous donnons un peu plus loin, dans l’état des travaux disponibles, ainsi qu’en bibliographie, le détail des auteurs qui les ont suivis. 2. Cette étude est le développement à la taille d’un livre d’une communication prononcée aux 5es Rencontres historiques internationales d’Île-Rousse, « La prise de pouvoir de Pascal Paoli » (31 mai-1er juin 2014), dont les actes n’ont d’ailleurs pas encore été publiés. J’ai également mis en relief les relations des premiers temps de cette académie avec l’Italie dans une communication au colloque de la Société des sciences historiques et naturelles de la Corse tenu à Bastia les 17-18 novembre 2016 : « L’Accademia dei Vagabondi : une académie italienne à Bastia au e siècle », dans « La Corse et le monde méditerranéen de la fin du Moyen Âge à la fin de

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De fait, qu’il s’agisse de la modeste entreprise insulaire ou des académies les plus renommées d’Italie, la médiocre qualité littéraire de la production académique a longtemps fait l’objet d’un certain dédain et, à la suite, les chercheurs ont négligé de considérer le phénomène du point de vue de l’histoire sociale et culturelle. Or, pour approcher les relations qui se construisent entre les académiciens, leur projet collectif comme leur environnement direct, pour étudier leurs réseaux et leurs collaborations, pour connaître la réception de leurs travaux, il convient de tout lire, le bon comme le mauvais, de s’intéresser aux textes indépendamment de leur valeur littéraire3. Ainsi, on n’étudie que depuis peu la place essentielle occupée pendant ces années par les académies dans la transmission et le développement du savoir alors que l’Université entrait dans un franc déclin. Et de la même façon, on commence seulement à reconnaître que la richesse des liens intellectuels qui réunissaient à travers la péninsule et les îles italiennes ces lettrés, souvent affiliés à plusieurs académies, eut une réelle influence sur la formation de la République des Lettres dans les autres pays européens4. Cet aller et retour entre Italie et France est d’ailleurs bien connu pour la mode vestimentaire, la politesse ou la légèreté de l’esprit en société, il commence à l’être pour les académies. Et ainsi, le phénomène académique français, qui doit beaucoup à l’expérience italienne, assurera en retour, on verra comment, la refondation dans l’île, brève mais fructueuse, de l’Accademia dei e siècle. Vagabondi au milieu du Pour soutenir notre recherche en gardant ces vues à l’esprit, nous proposerons au lecteur d’entrer en familiarité avec les textes produits par les académiciens dans le cadre académique en les publiant le plus souvent possible dans leur entier. L’intimité de la langue révèle mieux que bien des récits le style et le grain d’une époque. Ces textes nous apparaissent certes souvent très « démodés », et pire que cela, un peu vains et superficiels, loin de l’idée que nous nous faisons aujourd’hui de la poésie, et même des discours de circonstance, et nous sommes, il est vrai, bien loin des grands auteurs dans le style et le genre de l’époque. Mais cet ouvrage est ouvrage d’histoire, et c’est dans la société de ce temps, dans un des lieux les plus modestes de la République des Lettres, que nous souhaitons accompagner le lecteur et lui faire goûter la saveur de ce moment de culture. Ne peut-on dire d’ailleurs, en paraphrasant certain auteur, que le style, c’est la société à qui l’on s’adresse ? Enfin, gardons-nous d’un jugement littéraire trop sévère, formé au cours de siècles de littérature et spécialement de poésie. Sans en dénier la médiocre facture, il y a sans doute dans ces textes plus de qualités, l’époque moderne : rapports économiques, enjeux stratégiques, échanges culturels », BSSHNC, 760-761, 2017, p. 245-254. 3. Sur cette approche, Florent Coste, Explore. Investigations littéraires, Paris, Questions théoriques, 2017. 4. On lira par exemple Simone Testa, « Le Accademie senesi e il network intelletuale della prima età moderna », Bulletino Senese di Storia Patria, 117, 2010, p. 616-629.

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INTRODUCTION

de nuances, de références, que nous n’en saisissons aujourd’hui, et cette distance nous fait peut-être manquer la saveur de ces productions apparemment convenues et artificielles, où les auteurs tentaient de montrer leur érudition, leur finesse et leur présence d’esprit. Remarquons que les textes produits dans le cadre académique ne représentent pas toute la production de nos académiciens. Au contraire, c’est hors de ce cadre que les plus féconds d’entre eux ont parfois laissé des œuvres considérables que nous décrirons sans pouvoir bien sûr les éditer ou les rééditer. Paradoxalement, alors que nous disposons de beaucoup plus d’informations e siècle, les auteurs les plus féconds sur l’académie insulaire du milieu du e siècle. Dans cette dernière période, appartiennent plutôt au cœur du Francesco Cànari, Giovanni Banchero, Girolamo Biguglia ou même Sebastiano Carbuccia ne peuvent guère être comparés qu’à Don Giacomo Semidei qui édite son principal ouvrage en 1737, le Lorrain Antoine-François Chevrier exerçant surtout son incontestable talent de polygraphe sulfureux dans les années qui suivent son départ de l’île en 1751. Soulignons enfin que l’Accademia dei e siècle, ne rassemble pas tous Vagabondi, presque absolument bastiaise au les lettrés corses de cette époque, tant s’en faut, qu’ils soient installés dans l’île, loin de la petite capitale, ou à l’extérieur de l’île. Autant de points sur lesquels nous devrons revenir longuement. Après avoir rapidement fait l’état des sources et travaux disponibles, nous partagerons notre curiosité entre les deux moments de cette académie. e siècle sous les auspices C’est d’abord, après la fondation au milieu du de l’élite génoise lettrée, une première époque qui court de façon discontinue en fonction de l’engagement de ses membres, et qui s’achève à la veille des révolutions de Corse. Nous tenterons donc également d’installer l’académie e siècle, un envers bastiaise dans le riche contexte des autres lettrés corses du social, voire politique, dirons-nous, des Vagabondi. C’est ensuite une seconde époque, de 1749 à 1752, sous la protection et dans l’enthousiasme du marquis de Cursay qui commandait alors le corps d’intervention français dans l’île. Certes, la quantité des sources permet de porter le principal effort sur cette seconde époque, mais nous pourrons finalement comparer, dans leur motif comme dans leur fonctionnement, ces deux moments, dont la continuité ne doit pas faire illusion, sans oublier pour autant qu’en dépit de circonstances politiques différentes et de modèles distincts, ils appartiennent à l’histoire sociale et culturelle d’une académie provinciale, plus ou moins active entre 1650 et 1750 dans une petite ville italienne peuplée de 4 à 6 000 âmes5. e 5. Sur la population bastiaise au siècle, on lira le père André-Marie (Claude Valleix), Bastia ou Calvi. Documents réunis dans le fonds Brignole Sale sur le choix d’une capitale pour la Corse e e aux et siècles, transcription et condensé français, Bastia, Franciscorsa, 1978, p. 163 (4 000 âmes selon le gouverneur en 1658). Bastia comptait 5 400 habitants en 1740 selon le recensement effectué par le marquis de Maillebois cette année-là (Giovacchino Cambiagi, Istoria del

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e Regno di Corsica, III, 1771, p. 249-253). Pour le siècle, Janine Serafini, « La population de Bastia en 1769 », 2e Colloque d’histoire et d’archéologie de Bastia, 9-11 mai 1984, BSSHNC, 647, 1983, p. 161-216. Enfin, l’arrivée des Français participera à l’augmentation rapide de la population : selon les chiffres du Plan terrier, Bastia comptera 8 000 âmes en 1773. Le chiffre de e 14 000 âmes donné par l’édition de Pietro Morati qui écrit au début du siècle (Pietro Morati, Prattica manuale del dottor Pietro Morati di Muro, I, édit. Vincent de Caraffa, BSSHNC, 54-57, 1885, p. 77) semble une coquille typographique, peut-être pour 4 000 ?

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ÉTAT DES TRAVAUX DISPONIBLES L’apparition de nouvelles sources

Si dans le passé d’assez nombreux auteurs ont consacré à l’Accademia dei Vagabondi de plus ou moins longs développements, ils l’ont fait en reprenant l’examen souvent répétitif d’un étroit corpus de sources, sans les mettre d’aile leurs jamais ensemble à profit. Au tournant du et du e siècle, Jean-Baptiste Galeazzini puis Lucien-Auguste Letteron seront, nous l’avons dit, les premiers à effectuer une étude assez aboutie. Ils seront suivis dans les années de l’entredeux-guerres par Léo Clarétie, Jean-Baptiste Marcaggi, Paul Arrighi et Mario Roselli Cecconi, puis par Christian Ambrosi en 1950, Fernand Ettori et Pierre Antonetti au début des années 1980, et enfin par Eugène Gherardi et Vanessa Alberti (dont la recherche s’attache en fait à l’étude de l’imprimerie) en 2003 et 2009. Profitons aussi de la circonstance pour rendre hommage au regretté Antoine Laurent Serpentini qui rédigea la notice du Dictionnaire historique de la Corse consacrée aux Vagabondi. Doit-on s’étonner, dans ce contexte d’histoire culturelle qui fait la part belle aux belles lettres, que les historiens ne soient pas les plus nombreux dans une bibliographie qui donne au contraire une large place aux professeurs de littérature ? De quels documents ces auteurs ont-ils disposé jusqu’ici ? Pour la période e siècle, la première source connue, et fondamentale, est l’édition fondatrice, au à Venise en 1675 des poésies de Sebastiano Carbuccia, docteur en droit et académicien bastiais6, une source enrichie par les allusions de Pietro Morati dispersées e siècle dans sa Prattica manuale7. Ajoutons qu’au début du au tout début du 6. [Sebastiano Carbuccia], Delle poesie di Sebastiano Carbuccia, Corso Bastiese, Dottor di Legge e Accademico Vagabondo…, in Venezia, apresso Antonio Bosio, 1675. 7. Pietro Morati, Prattica manuale del dottor Pietro Morati di Muro, I, édit. Vincent de Caraffa, BSSHNC, 54-57, 1885, p. 37-42 et 114. Ce premier tome a été publié récemment dans sa traduction vers le français par Évelyne Luciani sous le titre Prattica Manuale. Abrégé de droit coutumier corse. Particularités de l’histoire, des institutions, des mœurs et des usages dans la

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siècle, Giovanni Carlo Gregorj, généralement bien informé, semble, à lire les pages qui concernent notre académie, disposer d’une source actuellement perdue, peut-être cette liste de ses membres que Francesco Ottaviano Renucci affirme avoir eue entre les mains, ainsi que du manuscrit de l’académicien Francesco Cànari qu’il utilise largement, on le verra, pour étoffer son édition de Filippini8. e siècle, on connaissait quelques Pour la seconde période, au milieu du folios des archives communales d’Ajaccio (1749), la Correspondance politique (Corse et Gênes, 1749-1752) aux archives du ministère des Affaires étrangères, deux numéros du Mercure de France (avril et décembre 1750), un long passage de l’Histoire des révolutions de Corse de l’abbé de Germanes, imprimée à Paris en 1771. On disposait surtout de l’Almanacco reale di Corsica, imprimé en 17509, de la Ragunanza dell’Accademia dei Vagabondi di Corsica, qui est le compte rendu d’une assemblée organisée par Cursay pour la naissance du duc de Bourgogne, imprimé à Bastia en 175210, et des Theses ex logica et metaphysica selectae…, une brochure imprimée également en 1752 à Bastia par l’académie rivale des Bellicosi11. S’il est utile et nécessaire de considérer ces différents travaux et de reprendre à nouveaux frais les enseignements des différents documents dont les e

Corse génoise, Ajaccio, Albiana, 2016, désormais Pietro Morati. Nous utiliserons cette édition accessible pour indiquer nos références. 8. Pour les sources et la bibliographie, on se reportera à la fin de cet article. Soulignons simplement ici que Giovanni Carlo Gregorj, dans l’Appendice IX de son édition de l’Istoria di Corsica de Filippini (Pise, 1831, t. V, p. LIII, désormais Giovanni Carlo Gregorj, Appendice IX), reprend beaucoup Pietro Morati, mais fournit aussi de précieux renseignements sur les académiciens. Francesco Ottaviano Renucci (Storia di Corsica, Bastia, I, 1833, p. 48) ne donne aucun détail dans la note qu’il fait sur ce sujet. François-René-Jean de Pommereul, Histoire de l’isle de Corse, Berne, 1779, puis 1795, p. 232, ne fait qu’une courte allusion à une séance, celle du 23 août 1750, probablement d’après le Mercure de France ou l’abbé de Germanes. Regrettons enfin que le « Journal d’Antonio Buttafoco (1744-1756) », édit. Lucien-Auguste Letteron, BSSHNC, 355-357, 1913, ne documente justement pas les années 1749-1753. 9. Almanacco reale di Corsica dell’anno 1750, in Bastia, nella stamperia dell’accademia, 1750, 163 pages [Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, 8-H-3930, et Bastia, Bibliothèque patrimoniale Tomaso Prelà, désormais BPTP, P. 38. 2. 15]. Antoine Mattei a publié dans les années 1860 dans L’Avenir de la Corse (129-130) une étude sur cet Almanacco. 10. Ragunanza dell’Accademia de’ Vagabondi di Corsica, in occasione delle feste celebrate da S. E. il signor Marchese de Cursay, maresciallo di campo delle truppe di S. M. X. in questo regno esistenti, per la nascità di S. A. R. il Duca di Borgogna, in Bastia, nella stamperia di Gio : Marco Artaud, stampatore dell’Accademia di Corsica, MDCCLII., conservée à Paris, à la Bibliothèque nationale de France, désormais BnF, RES M-YC-952 (14), sous le n° 10 dans un ensemble de textes relié sous le nom de Carmina varia, tome 49, pars I, et à la Bibliothèque de l’Arsenal, 4-H-12868. Un autre exemplaire non massicoté est joint au courrier du 25 février 1752 de Giorgio Maria D’Angelo, consul de France à Bastia, à son ministre (Archives nationales de France, désormais ANF, AE/B/I/587, f. 148-166). 11. Theses ex logica et metaphysica selectae quas Illustrissimo et excellentissimo Principi Joanni Jacobo Grimaldi Partheniae Bellicosorum Academiae Magistratus Joannes Grimaldus Grimaldi, princeps, Ambrosius Silvestri, primus assessor, Joannes Franciscus Casabianca secundus assessor, Obsequentis animi Monumentum in collegio Bastiensi societatis Jesu, D.D.D., Bastiae MDCCLII apud Joannem Marcum Artaud Superiorum permissu, dont le titre et le contenu nous sont seulement connus par l’article du baron [Jean-Baptiste] Galeazzini,

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ÉTAT DES TRAVAUX DISPONIBLES

uns et les autres ont disposé, l’apparition de nouvelles sources importantes permet aujourd’hui d’augmenter significativement leurs résultats. Pour la première période, la découverte en 2018 à la Bibliothèque municipale de Nancy de quatre des cinq volumes manuscrits de l’académicien Francesco Cànari ouvre un nouveau champ de recherches12. Ajoutons que le hasard a amené à la bibliothèque patrimoniale Tommaso-Prelà de Bastia, par la grâce d’une donation en avril de la même année, un relevé réalisé en 1916 des inscriptions lapidaires présentes dans l’ouvrage de Francesco Cànari. Le manuscrit de la Colonna Antica, Sagra, et Heroica, Cronologia degl’huomini illustri di santità, dignità, nobiltà, d’armi, medicina, lettere, dottrina e scienze del Regno di Corsica d’Angelo Francesco Colonna, et spécialement le livre XXIII, consacré aux Corses illustres dans les sciences et les lettres, largement exploité par Pietro Morati et Giovanni Carlo Gregorj, est irremplaçable pour connaître le contexte lettré de cette époque. Nous en décrirons en temps utile les différents manuscrits. Nous disposons ensuite, grâce à la généreuse amitié de Toni Casalonga et de Guido Benigni, de deux documents inédits qui ont appartenu à la collection Pesce, dont pour cette période la copie de la lettre du secrétaire de l’académie de 1716-1722, Pier Simone Ginestra, adressée en 1751 au secrétaire alors en fonction, Giovanni Luca Poggi, un courrier qui apporte sur la première époque des Vagabondi quelques modestes mais précieux éclairages. Pour la seconde période, les nouvelles sources sont très nombreuses et nous avons pu d’abord élargir l’emploi de la Correspondance politique (Corse et Gênes, 1749-1752) aux archives du ministère des Affaires étrangères. Nous disposons ensuite de plusieurs nouveaux articles de périodiques, aussi bien du Mercure de France, que de passages de la Gazette de France, de La Storia dell’anno 1749, des Novelle letterarie pubblicate in Firenze, des Nouvelles littéraires rassemblées dans la Bibliothèque impartiale, de la Gazette de Berne, de la Gazette d’Amsterdam et de La clef du cabinet des princes de l’Europe, toutes publications qui rendent compte de séances publiques ou de publications de l’académie. Nous disposons également du discours de réception de Francesco Saverio Poggi comme membre associé de l’académie en 1750, l’autre document ayant appartenu à la collection Pesce, du discours de réception de Louis d’Herbain, comme de celui de Roberto Curli, conservés respectivement à l’Archivio di Stato di Genova et à la bibliothèque municipale d’Avignon, et nous aurons aussi à regarder de plus près certains travaux de deux académiciens, François-Antoine de Chevrier et Giovanni Luca Poggi, ainsi que la réponse que Rousseau a donnée « Les sociétés littéraires à Bastia », op. cit., p. 21-25. L’auteur nous apprend que la brochure appartenait à cette époque à la collection de M. Vincentelli. 12. Bibliothèque municipale de Nancy, ms. 1017 vol. 1-4, anciennement 1821-1824, De notitiis Regni Corsici, opus historicum legale, distributum in quinque partes, auctore Francisco Canari, Genuæ advocato. Quatre in-folio de 164, 178, 198 et 91 feuillets, désormais Francesco Cànari. Nous y revenons longuement ci-dessous.

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à un des concours proposés par l’Accademia dei Vagabondi, un texte qui n’a pas été à notre connaissance utilisé jusqu’ici par l’historiographie insulaire13. Cent autres informations, correspondances à propos de l’imprimerie, recueils de correspondance consulaire et diplomatique, actes judiciaires, registres paroissiaux et notaires bastiais, registres municipaux, dispersées dans de nombreux ouvrages, comme dans d’autres bibliothèques ou fonds d’archives, ont enfin été mis à contribution pour étoffer la connaissance des académiciens des deux périodes, voire d’autres personnages ou d’autres événements, tel ce dossier conservé à l’Archivio di Stato di Genova qui nous permet d’éclairer e siècle. On les circonstances de la disparition de l’académie au début du pourra en lire le détail dans l’exposé des sources manuscrites et imprimées en fin d’ouvrage. Louis Belgodere de Bagnaja a une fois de plus accompagné l’écriture de cet ouvrage, par son écoute éclairée, son aide dans les traductions difficiles depuis le latin ou l’italien et sa relecture critique, mais aussi lors de nos voyages de recherche à Gênes, Rome ou Nancy, qu’il en soit vivement remercié. D’autres amis ou correspondants m’ont adressé ou signalé des sources inédites ou des extraits inédits de leurs recherches, Bernard Biancarelli, Guidu Benigni, Tonì Casalonga, Michel Casta, Petru Santu Menozzi, Anne-Marie Orabona, Caterina Pagnini, Germano Pallini, François Piazza, Linda Piazza, Mélanie Traversier, Giacomo Villa, Thierry Vincentelli, Henry Zipper de Fabiani, et particulièrement Jean-Christophe Liccia pour tout cela et aussi pour le temps qu’il a eu la gentillesse de consacrer à cette recherche aux archives. Qu’ils en soient tous remerciés. Enfin, je suis heureux de dire tout ce que l’écriture de ce livre doit à l’affectueuse présence de Christèle Devienne et de mon fils Thomas. ⸭⸭⸭

13. Ce texte a cependant été brièvement évoqué par Joseph-Marie Jacobi, dans son Histoire générale de la Corse, II, Paris, 1835, p. 213.

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NAISSANCE ET DÉCLIN D’UNE ACADÉMIE BASTIAISE L’Accademia dei Vagabondi (1658-1722)

LES CIRCONSTANCES DE LA NAISSANCE

Le transfert du siège du gouverneur de Bastia à Calvi en mai 1652 avait mobilisé les plumes bastiaises. Dès 1651, alors qu’il était podestat de Bastia, Giovanni Banchero, qui serait bientôt un des membres de l’Accademia dei Vagabondi, plaidait, entre autres arguments, « qu’il n’y a pas à Calvi de docteurs ni de personnes lettrées », et « qu’il n’y a pas d’école pour enseigner les sciences14. » Le gouverneur lui-même, Giovanni Battista Cicala, traînait les pieds, et quand on sait que ce passionné d’histoire a écrit son monumental recueil de l’histoire de Gênes et de son dominio en s’appuyant pour la Corse sur le manuscrit de l’ouvrage historique de Girolamo Biguglia, un autre futur académicien, podestat sortant de Bastia cette même année 1651, dont l’œuvre de Cicala est d’ailleurs aujourd’hui le seul témoin, nous saisissons dès le début de ce récit que les liens établis entre lettrés méritent d’être considérés avec attention pour saisir le vif de la vie de notre académie15. Nous retrouvons la même argumentation pour le retour du gouverneur à Bastia dans le rapport adressé en 1658 par Francesco Cànari, encore un futur académicien, au Magistrato di Corsica, l’institution génoise chargée de gérer depuis Gênes les affaires de l’île. L’évêque réside à Bastia, plaide-t-il, et on trouve là « pour l’instruction, des écoles publiques et privées qui forment aux lettres et aux bons usages16. » Francesco Cànari, élu procureur de la ville pour e 14. [Giovanni Banchero], « Calvi vers le milieu du siècle », édit. Lucien-Auguste Letteron, BSSHNC, 59-61, 1886, p. 380, Non sono in Calvi dottori nè persone letterate… si perchè in Calvi non sono scuole da insegnare le scienze…. 15. Père André-Marie (Claude Valleix), Bastia ou Calvi…, op. cit., p. 44-52. Un nouveau courrier de Cicala en 1655 sur ce sujet p. 130-135. Nous revenons ci-dessous sur le lien entre les œuvres de Biguglia et de Cicala. 16. Ibid., p. 109-131, et spécialement 118-119.

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plaider cette cause, se rend d’ailleurs à Gênes à ses propres frais, promettant en particulier le renforcement des fortifications et la construction du môle qui avait été décidée en 1639, toutes dépenses dont le podestat et les Anciens de Bastia garantirent le financement à travers le transfert et l’augmentation par décret de certains impôts et gabelles17. Le 27 novembre 1658 en effet, le Magistrato di Corsica, dans la suite de nombreux mémoires, présentait enfin aux Sérénissimes Collèges ses conclusions tendant à ramener le siège du gouverneur de Calvi à Bastia, et les Collèges décidaient le 16 décembre de ce retour qui se réalisa au début de 165918. Or, c’est précisément à ce moment que le nouvel évêque de Mariana et Accia, Carlo Fabrizio Giustiniani, arrivé depuis peu à Bastia dans les premiers mois de 1657, prit sous sa protection la fondation d’une académie nouvelle et élut un certain Sebastiano Carbuccia pour en être le premier « prince », selon l’expression consacrée dans les académies italiennes, autrement dit pour en être le directeur19. Cette date de 1659, généralement admise aujourd’hui pour sa fondation, vient tout droit d’une incise probante de ce même Sebastiano Carbuccia, dans l’édition vénitienne de ses poésies, un ouvrage fondamental pour cette étude. Dans la préface, précédée d’une dédicace à Cosme III de Medicis, grand-duc de Toscane20, datée du 6 janvier 1675, il précise en effet que cette académie a été érigée seize ans auparavant21. Bien dans l’esprit de son temps, l’évêque Carlo Fabrizio Giustiniani était l’homme de la situation22. Dès son arrivée dans l’île, il organisa chaque mois 17. BPTP, ms 4, 6 février 1659, et Francesco Cànari lui-même, II, f. 168 v°. 18. Contestée au niveau de la procédure, la décision dut être confirmée par le Minor Consiglio en juillet 1659 (Père André-Marie (Claude Valleix), Bastia ou Calvi…, op. cit., p. 191-231). 19. [Sebastiano Carbuccia], Delle poesie di Sebastiano Carbuccia.., op. cit., dans un poème du chanoine Paris Gentile, p. 138. Notons que ce chanoine, qui fut vicaire général de Mariana, « exerça ses talents à Rome » selon Pietro Morati, et qu’il « composa une liqueur précieuse pour la santé et dépassa tous les patriotes dans l’art poétique » (Pietro Morati, p. 189). Notons que, par exception, le « prince » de l’Accademia etrusca di Cortona était appelé lucumone, du nom attribué au chef des tribus étrusques. 20. Cosme III (1642-1723), alors âgé de 33 ans, est duc de Toscane depuis cinq ans. Il va dans cette année 1675 se séparer de son épouse, Marguerite-Louise d’Orléans, fille de Gaston de France, frère cadet de Louis XIII, dont il a eu trois enfants. 21. Ignorant encore l’ouvrage de Sebastiano Carbuccia, plusieurs auteurs ont tenu pour la date approximative de 1650 en reprenant Renucci, ainsi Jean-Baptiste Galeazzini ou le chanoine Letteron et d’autres encore. 22. Jurisconsulte, Carlo Fabrizio Giustiniani est élu évêque de Mariana et Accia en novembre 1656 et consacré en janvier 1657. Il meurt dans cette charge en 1682. Il est l’auteur d’une Vita di Giulio Giustiniano, vescovo d’Aiaccio, peut-être jamais publiée (Raffaele Soprani, Li scrittore della Liguria, e particolarmente della Maritima, Genova, Pietro Giovanni Calenzani, in Piazza Nuova, 1667, p. 281). Francesco Cànari, II, f. 27 v°, cite Soprani à propos de cette œuvre : « … quale doverà, un giorno, uscir alla publica Luce, sicome vien molto desiderato da persone devote, che riveriscono, come di perfetto religioso, la memoria d’esso Giulio. » Sylvestre-Bonaventure Casanova précise (Histoire de l’Église corse, IV, Bastia, 1939, p. 193) qu’il tint 19 synodes dans sa cathédrale et qu’il restaura l’église et le presbytère d’Accia, près du col de Prato. Le compte rendu de ces synodes, de 1658 à 1682, a été publié dans Sinodi

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à Bastia dans la cathédrale des exposés publics de théologie morale, suivis de discussions argumentées. Pietro Morati, qui célébra sa première messe en août 1659, dut ainsi y soutenir ses conclusions sur la simonie contre neuf discutants, et ajoute-t-il, « dans ces occasions, comme dans celles de l’académie des belles lettres qui fleurissait à Bastia, beaucoup démontraient leur valeur. » Et on faisait de même des exposés publics de rhétorique, écrit-il, dans l’église des Jésuites (qui est actuellement l’église Saint-Charles), comme « chez des personnes privées grâce à l’académie des belles lettres. On en donne même au palais de son Excellence [le gouverneur] par délégation du prince de l’académie23. » Cette conjonction de faits et d’écrits semble convaincante et il ne semble pas imprudent de soutenir l’hypothèse que la nouvelle académie fut fondée dans l’euphorie du retour à Bastia du gouverneur Francesco Maria Lomellini, qui était d’ailleurs un partisan engagé de ce retour. Cela posé, lorsque nous abordons la lettre écrite en 1751 par le secrétaire de l’académie de 1716, Pier Simone Ginestra (nous y revenons dans quelques lignes), on ne comprend pas qu’il indique 1673 pour l’année où l’académie aurait été instituée (istituita) par le gouverneur poète Giovan Andrea Spinola, futur membre de nombreuses et prestigieuses académies italiennes24. Ginestra, qui naît en 1670, est âgé de 81 ans quand il rédige ce courrier : fait-il une confusion liée à sa simple ignorance des origines, veut-il honorer la mémoire du cavaliere Giovan Andrea Spinola, refondateur et protecteur de l’académie en 1716 à l’époque de son propre secrétariat, on le verra, en honorant son grand-père du titre de fondateur ? Ou bien aurait-il connaissance d’une sorte d’institutionnalisation en 1673 par le gouverneur ? Il faut bien dire que Giovan Andrea Spinola, fils de Giovan Stefano, effectivement en fonction cette année 1673 (il est gouverneur entre 1672 et 1674), homme de lettres et poète reconnu, n’était pas n’importe qui dans ce domaine. Il est l’exemple de ces lettrés membres de plusieurs académies et au cœur de la formation de la République des Lettres. Membre de l’Accademia degli Addormentati, active à Gênes, il est l’auteur de six livrets, inspirés des œuvres de l’Arioste et du Tasse (Ariodante sous le pseudonyme de Giovann’Aleandro Pisani et Gli incanti d’Ismeno), du théâtre espagnol (Aspasia), de l’Ancien Testament (La Perfidia fulminata da Sansone) et de l’histoire (Europa, Amare e fingere o sia il Prasimene, Odoacre e Teodorico). Après son passage en Corse, postridentini della Provincia ecclesiastica di Genova, I, Le fonti (1565-1699), Genova, 1986, p. 524-645. Carbuccia (dans une ode, p. 112-115) le loue d’avoir agrandi l’évêché et d’avoir aménagé sur les collines un orto gentil, cinto di vaghe mura, ove sempre frondeggia April vezzoso. Mario Roselli Cecconi identifie ce jardin avec une propriété de la baronne Clorinda de Franceschi, de Pistoia. 23. Pietro Morati, p. 47. 24. Et pourtant le copiste de cette lettre, qui est sans doute Giovanni Luca Poggi, indique bien en note qu’on lit dans les rimes de Carbuccia que l’académie aurait été « stabilisée, établie » (stabilita) depuis seize ans en 1675.

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il devient membre à Venise de l’Académie des Dodonei, puis en 1689, de l’Académie romaine des Infecondi, avant de rejoindre en 1692 sous le nom de Timandro Menadio Compastore genovese, l’Académie de l’Arcadia fondée à Rome deux ans plus tôt25. Preuve de la proximité de cet important personnage avec l’académie bastiaise et sans doute de l’amitié nouée avec son directeur, Sebastiano Carbuccia lui consacre deux poèmes (p. 32 et 69), l’un à propos d’un cadeau de sucreries (dolce) que Spinola lui avait envoyé de Gênes, l’autre de la santé que ce dernier avait recouvrée après une maladie. Peut-on terminer ce chapitre sans faire allusion aux événements dramatiques qui touchèrent en 1662 à Rome les soldats de deux régiments de la garde corse du pape, accusés d’avoir attaqué la suite de l’ambassadeur de France, événements qui amenèrent de rudes procès pour ces insulaires et l’érection en 1664 dans cette ville d’une pyramide infamante pour les Corses, d’ailleurs finalement détruite en 1669 ? On ne relève dans les actes de l’enquête que le nom de deux soldats originaires de Bastia, le sergent Geronimo de Nicolò et Giovanni Battista de Domenico, aux côtés de nombreux hommes originaires de divers villages de l’île26. Y eut-il quelque écho, chez les lettrés de Bastia et d’ailleurs en Corse, de ce fait divers devenu par la volonté de Louis XIV une grave affaire politique ? LE CONTEXTE ACADÉMIQUE ITALIEN, SPÉCIALEMENT LIGURE

Environ six cents académies littéraires, parfois plusieurs pour la même ville, quatorze à Sienne par exemple, naissent dans la péninsule italienne depuis e siècle où ont commencé de se former ces sociétés savantes qui reprele naient le terme grec ancien d’académies. À la différence de réunions amicales et spontanées, on se réunit désormais sous la contrainte formelle d’un règlement écrit, bref on fait institution. On y récite des poésies, on y prononce des discours de réception ou d’autres discours académiques qui appartiennent à cette littérature rituelle où l’on manie abondamment la citation antique depuis les élans de l’humanisme italien au e siècle27. e siècle, les élites bastiaises sont Dans ce contexte, dans le cœur du liées par origine comme par nécessité à la capitale ligure et la fondation d’une académie s’inscrit dans ce moment où s’étaient tissés depuis quelques dizaines d’années des liens fructueux et harmonieux entre l’élite génoise en poste en Corse et la bourgeoisie bastiaise. Il est vrai que le contexte littéraire ligure 25. Francesco d’Antonio, « L’Ariodante, un livret de Giovanni Andrea Spinola mis au goût de Gênes », dans Le livret d’opéra, objet littéraire ?, dir. F. Decroisette, Saint-Denis, PUV, 2011. 26. « Deux manuscrits inédits sur l’affaire des Corses à Rome, 20 août 1662 : manuscrits de la bibliothèque de Bastia », BSSHNC, 91-94, édit. L. et P. Lucciana, 1888. Le cardinal Flavio Chigi, qui sera pour cette affaire l’envoyé du pape auprès du roi de France en 1664, n’avait-il pas été par exemple le dédicataire d’un ouvrage publié à Rome en 1657 par Grimaldo Grimaldi d’Orezza, on le verra ? 27. Par exemple, Jacob Burckhardt, La civilisation de la Renaissance en Italie [1860], Paris, 1912, et Jean Delumeau, Une histoire de la Renaissance, Paris, Perrin, 1999.

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ne peut être comparé à Venise, Rome, Sienne ou Florence, mais on connaît néanmoins l’existence de trois académies à Gênes et d’une académie à Savone e siècle. Une Accademia letteraria, dite Sauliana, apparaît à Gênes dès le en 1522, suivie de l’Accademia dei Galeotti [des galériens], peut-être apparue vers 1550, et de l’Accademia degli Addormentati ou Sopiti [des assoupis, des endormis], présente dès 1563 (plus sûrement à partir de 1587), concurrencée par l’Accademia dei Risvegliati ou Vigilanti, les deux finalement réunies dans l’Accademia degli Accordati28. On y fonda aussi en 1705 une Colonia dell’Arcadia [de Rome] nommée Ligustica. Une Accademia degli Accesi [des ardents, des enflammés, mais aussi des passionnés, on dirait peut-être aujourd’hui des e siècle à Savone. allumés] était fondée vers la moitié du Ensuite, et c’est donc le cas pour la ville de Bastia, il faut attendre le e siècle pour voir apparaître dans les autres gros bourgs littoraux de la Ligurie de petits groupes littéraires. De la même façon qu’à Gênes ou Savone, et d’ailleurs comme dans toutes les régions d’Italie, ces modestes académies adoptent des noms mêlant humour et autodérision, reprenant l’esprit de l’idée humaniste du serio ludere, du jeu sérieux29. Dans la même veine, les membres de la compagnie se devaient d’ailleurs d’adopter un surnom et un emblème personnels en rapport avec le nom de l’académie, mais nous n’en avons malheureusement aucune connaissance pour l’académie bastiaise. Dans la Rivière du Levant, voici l’académie des Inariditi [les desséchés, les épuisés, les arides] fondée à Chiavari vers 1650, la petite Accademia della Zappa [de la houe, de la pioche], fondée à Rapallo vers 1670, tandis qu’au Ponant, après Savone, la tradition littéraire d’Albenga se polarise dès 1605 autour de l’Accademia degli Arditi [des intrépides, des courageux, mais aussi bien des effrontés, des audacieux], avant e siècle dans l’Accademia dei Mesti [des tristes, des d’évoluer à la moitié du chagrins, ou encore des obscurs], puis de se transformer en 1721 en filiale de l’Accademia dell’Arcadia [de Rome] sous le nom de Colonia Ingauna. Dans le diocèse de Vintimille, l’Accademia degli Intrecciati [des entrelacés, des tressés, 28. La base de données du projet « Italian academies » (voir notre bibliographie) indique à ce jour e e dix académies actives entre et siècle à Gênes, puis quatre autres à partir du milieu e du siècle. Il semble s’agir en fait de la Ligurie puisque cette base inclut les Inariditi, que nous trouvons à Chiavari. En revanche, elle n’indique pas les Vigilanti. Girolamo Rossi, Le Accademie letterarie liguri, Savona, 1913, signale également à Gênes la moins connue et concurrente Accademia dei Vigilanti [des éveillés, des vigilants, mais aussi des appliqués]. Également Della storia e della ragione d’ogni poesia volumi quattro di Francesco Saverio

Quadrio, Bologne, 1739, p. 72. 29. Paul Arrighi (Discours de réception de Mr le Professeur Paul Arrighi…, Académie de Marseille, 1967, p. 10, avec nos remerciements à Bernard Biancarelli qui nous a fait connaître ce document) donne directement sous sa traduction les Humides à Florence, les Gelés, les Assoiffés, les Éthérés, les Oisifs, les Somnolents, les Étourdis et les Instables à Bologne, les Ardents à Naples, les Pétrifiés à Turin, les Enflammés à Padoue, les Étourdis, les Insipides, les Rustres et les Sauvages à Sienne, les Ténébreux à Ferrare, les Balourds à Lucques, les Écervelés à Udine, les Solitaires à Palerme et les Olympiens à Vicence.

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voire des entortillés] de Sospel est active depuis 1654, tandis que les gens de lettres de Menton et Monaco attendront 1718 pour se rassembler dans une Accademia dei Mendichi [des mendiants, des croquants, des misérables]30. Gardons pour finir, à titre de curiosité, qu’à Taggia, dans la région d’Imperia, on inaugure le 19 août 1668, une dizaine d’années après Bastia, une Accademia dei Vagabondi31. Nous n’avons pas su trouver de liens entre ces deux fondations, et rien n’indique qu’il y en ait un. On doit d’ailleurs constater que le blason de l’académie de Taggia, « le soleil rayonnant à l’intérieur d’un cercle (il sole raggiante dentro d’un circolo) », est bien différent de celui de l’académie bastiaise, qui avait pour emblème « un ruisseau avec des étoiles au-dessus (alludendo al ruscello, et alle stelle, arme della sudetta [accademia])32. » LES ACCADEMICI VAGABONDI, UN UNIVERS BASTIAIS, BOURGEOIS ET LETTRÉ

Si l’amour des Belles Lettres rassemble ces hommes, on doit constater que l’Accademia dei Vagabondi regroupe un monde seulement bastiais et non pas corse dans son ensemble. Dans son ouvrage paru en 1675, Sebastiano Carbuccia précise ainsi en page de titre qu’il est corso bastiese, et il qualifie également de cette manière les différents académiciens Vagabondi cités dans son ouvrage. Certes, et l’ouvrage de Banchero en témoigne, la bourgeoisie bastiaise se flatte de la beauté des maisons de la petite ville, de la largeur de ses rues, de l’allure imposante de la citadelle, de la splendeur des églises, de la taille des couvents, de la qualité de l’eau de ses dix fontaines, et à la faveur de tout cela 30. On lira en particulier Giovan Battista Spotorno, Storia letteraria della Liguria, IV et V, Genova, 1824-1828, et Girolamo Rossi, Le Accademie letterarie liguri, Savona, 1913. 31. La connaissance de cette académie de Taggia a longtemps reposé sur le titre de l’ouvrage publié en 1673 par l’érudit ligure Lodovico (ou padre Angelico) Aprosio de Vintimille (1607-1681), un catalogue ordonné selon les donateurs des livres, avec une description des ouvrages. Ce catalogue avait en effet pour titre Biblioteca Aprosiana, Passatempo Autunnale di Cornelio Aspasio Antivigilmi [anagramme de Vintimiglia] trà Vagabondi di Tabbia [c’est-à-dire Taggia] detto l’Aggirato, All’Illustrissimo e Generosissimo Sig. Gio : Niccolò Cavana, Patritio Genovese, Bologna, per li Manolessi, 1673. Le surnom d’académie d’Aprosio, l’Aggiratore, a également le sens de vagabond. C’est à partir de là que Giammaria Mazzuchelli, Gli scrittori d’Italia, cioè, Notizie storiche e critiche intorno alle vite e agli scritti dei letterati italiani, I-2, Brescia, Bossini, 1753-1763, p. 890, puis Giovan Battista Spotorno, Storia letteraria della Liguria, V, op. cit., p. 12 et Nicolò Giuliani, L’albo letterario della Liguria, Genova, 1886, p. 85, en indiquèrent l’existence. L’ouvrage de Girolamo Rossi, Le Accademie letterarie liguri, publié à Savone en 1913, p. 15-17, apportait des éléments plus décisifs. La fondation de cette académie à Taggia eut lieu dans la très belle demeure du riche Giovanni Stefano Asdente, écrit-il, et l’avocat Giovanni Lombardi, fils de Prospero, en fut élu « prince ». Raffaele Soprani (Li scrittore della Liguria…, op. cit., p. 133), indique en 1667 que Lombardi tient prêt pour l’impression des poésies latines, Musae sacrae, sive Epigrammata in laudem Dei, Deiparae Virginis, et Sanctorum, et qu’il écrit à présent La Scala di Demetrio, Historia moscovitica, autant d’essais qui semblent être restés manuscrits. On ne sait que peu de choses de cette académie dans la suite. 32. Girolamo Rossi, ibid., p. 16, et Sebastiano Carbuccia, Delle poesie…, op. cit., p. 164.

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