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Correspondance pour une Société des Esprits
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estru estr es tru tr ru mediterraniu medi me dite di terr te err rran aniu an iu La collection Estru Mediterraniu est dirigée par Françoise Graziani et Vannina Bernard-Leoni (UMR CNRS 6240 LISA / Fondation de l’Université de Corse)
DANS LA MÊME COLLECTION Miguel de Cervantes, Don Chisciotte di a Mancia, extraits traduits en corse par Matteu Rocca (1925), trilingue À paraître : Giuseppe Ungaretti – Mario Praz, Voyages en Corse (1933), bilingue Inferni. Dante en Corse, Variations dantesques composées par des poètes corses e des xix et xxe siècles (inédit, bilingue)
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Paul Valéry Salvador de Madariaga
Correspondance pour une Société des Esprits Préface de Jean-Michel Rey
Università di Corsica
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NOTE DES ÉDITEURS
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ous rééditons ici, pour la première fois ensemble, trois parties d’un recueil de lettres publié à Paris en 1933 par la Société des Nations, à l’initiative de Paul Valéry et Henri Focillon : l’échange de lettres entre Salvador de Madariaga et Paul Valéry qui concluait ce recueil, et l’introduction co-signée par Valéry et Focillon, où des italiques et des guillemets témoignent du caractère à la fois individuel et collectif de leur engagement en faveur d’une “société des esprits” capable de résister à la menace d’une seconde guerre mondiale. Deux versions simultanées du même recueil (en français et en anglais) ont été imprimées en mars 1933 à l’enseigne de l’Institut International de Coopération Intellectuelle. Répondant à l’appel de la Société des Nations, six lettres y sont échangées en dialogue par des écrivains du monde entier, dont plusieurs ont joué un rôle politique dans leur pays ou dans la construction de l’Europe : le brésilien Miguel Ozorio de Almeida répond au mexicain Alfonso Reyes, le britannique Gilbert Murray répond au chinois Tsaï Yuan Peï, et Paul Valéry répond à l’espagnol Salvador de Madariaga. 5
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Salvador de Madariaga (1886-1978), historien, romancier, poète, politologue et diplomate, fut toute sa vie un européen de conviction et un intellectuel engagé., il avait présidé en 1921 la Commission de désarmement de la Société des Nations à Genève. De 1931 à 1934, il vivait à Madrid et était ministre de l’Instruction publique de l’Espagne républicaine. Cosmopolite, il fut exilé politique de 1939 à 1976. En 1948 il présida la commission culturelle au Congrès de La Haye, et fonda en 1949 le Collège d’Europe, premier centre international de formation des hauts fonctionnaires de l’Union Européenne, qui existe encore. La lettre de Valéry à Madariaga a été insérée par l’auteur dès 1934 dans Variété, sous le titre « Lettre sur la Société des Esprits » (Oeuvres I, Gallimard, 1957, p. 1138-1146) avec d’autres “Petits textes autour de la politique” ajoutés aux Essais quasi politiques, et en appendice à la conférence de 1932 intitulée “La politique de l’esprit, notre souverain bien” où Valéry définit l’esprit comme « une puissance de transformation » (ibid. p. 1014-1040). Le recueil de 1933 devait inaugurer une collection dont seul est paru, la même année, le dialogue épistolaire entre Einstein et Freud qui est annoncé en introduction. Ces deux lettres sont diffusées aujourd’hui sur internet sous le titre Pourquoi la guerre ? Avec Albert Einstein et Gilbert Murray, Valéry a fait partie dès 1926 des membres fondateurs de l’Institut International de Coopération Intellectuelle. En 1945, quelques mois après la mort de Valéry, cet organisme a été remplacé par l’UNESCO, dont un des premiers conseillers fut Miguel Ozorio de Almeida, chargé de rédiger un Rapport sur l’Histoire Scientifique et Culturelle de l’Humanité (1949) préfigurant les missions actuelles de l’Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture.
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PRÉFACE UNE POLITIQUE DE L’IMPOSSIBLE Jean-Michel Rey
S
’il y a un terme déterminant chez Valéry, caractérisant précisément toute sa démarche, ne cessant de l’accompagner, c’est l’« esprit » – avec ou sans majuscule selon les contextes ou les moments. On le trouve d’un bout à l’autre de l’œuvre : qu’il soit nommé en propre ou non, toutes les opérations intellectuelles le requièrent, toutes s’y réfèrent sur un mode ou sur un autre. Le terme peut recevoir des acceptions en apparence différentes ou des nuances de sens assez significatives : les jeux de miroir qu’il suscite sont en effet fréquents et participent à l’ensemble du propos valéryen, lui donnent une coloration spécifique. Il suffit de lire, par exemple, la première phrase de la lettre à Salvador de Madariaga pour percevoir que le mot est équivoque, qu’il connaît des usages en tout cas divers qui sont plus que de simples modifications de détail. Dans cette adresse initiale, l’« esprit » est, tour à tour, un objet important de réflexion (dont on va voir qu’il est véritablement urgent de traiter à cette époque), la qualification du propos même de son interlocuteur (qui renvoie à la vision d’un certain xviiie siècle) et, plus encore, la modalité par excellence de la pensée qui est, ici même, évoquée dans une perspective où il s’agit de réaffirmer ses pouvoirs, en vue de contrer les différentes 7
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idéologies en place et de montrer leur peu de consistance. Ce que ce terme représente est instable, soumis selon les lieux ou les moments à des variations d’une certaine ampleur. Cela d’autant plus – c’est un motif crucial chez Valéry à partir des années trente notamment – qu’il y a de grandes analogies, des proximités plus que vraisemblables même entre la vie de l’esprit et la vie économique, des rapprochements constants entre ce qu’il nomme l’« économie spirituelle » et l’économie considérée d’un point de vue seulement matériel. Il est ainsi question avec ce terme d’une valeur effective : à côté de la puissance politique, Valéry évoque fréquemment ce qu’il appelle à plusieurs reprises la « valeur-esprit ». Dans ces mêmes années, cette valeur se caractérise avant tout par ses variations spectaculaires, par le fait qu’elle continue de baisser en entraînant des « conflits d’évaluations » considérables. On est donc loin dans ce moment d’une perspective de relative stabilité, loin d’un état d’équilibre qui serait satisfaisant. Ce qui est notoirement en cause, ce sont des processus de tous ordres qui prennent une ampleur nouvelle et qui apparaissent, le plus souvent, comme des facteurs de grande déstabilisation et de désordres incontrôlables. Les nombreux effets de la grande crise de 1929 sont visibles ailleurs que dans le domaine strictement financier et sont de ce fait plus graves, plus retors et donc plus difficiles à saisir que sur ce seul terrain. L’entrée en matière de cette lettre n’est aucunement de l’ordre d’un jeu de mots ; tout au contraire, elle rappelle d’abord une dimension cruciale : dès qu’on s’engage dans la perspective de ce qui se nomme l’« esprit », on se trouve confronté à des problèmes de première importance qui passent de très loin le registre ordinaire de la politique, sont même souvent en contradiction avec elle, qui obligent aussi à préciser l’usage qui est fait du terme et les enjeux qui en forment la conséquence inéluctable. Une des façons qu’a Valéry de qualifier l’« esprit » revient à indiquer qu’il est comme le terreau d’ori8
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JEAN-MICHEL REY – PRÉFACE
gine de ce qui nous fait parler, qu’il désigne le lieu de surgissement dont procède l’essentiel en la matière et où tout revient. « Ce mot est innombrable, puisqu’il évoque la source et la valeur de tous les autres. » Valeur et principe sans cesse mêlés, pourrait-on dire pour caractériser cette entité. Aucun propos ne peut donc éviter sinon de le mentionner, du moins de le sous-entendre, de l’impliquer ou de l’appeler explicitement. C’est en somme, tout à la fois, la condition de possibilité de tout discours, le milieu de toute réflexion conséquente et, tout autant, ce qui contribue à l’édification du monde social, ce qui est à l’œuvre dans toutes les opérations de rassemblement que ce monde appelle. Mais, contrairement à une longue tradition française, le terme ne comporte ici aucune nuance de spiritualisme, rien qui relèverait de l’idéalisme ou de quoi que ce soit de cet ordre. L’homonymie dont ce mot est porteur assigne une tâche qu’on dirait considérable à qui écrit, voire à qui enseigne ; et c’est, en effet, ce qui constitue la partie majeure du travail d’analyse de Valéry, ce qui l’occupe en priorité depuis ses commencements. On est donc sur un tout autre terrain que celui de la Bourse proprement dite, dans un domaine où le moindre effondrement peut avoir des effets catastrophiques irréparables, ce qui prend ici l’aspect d’une « maladie de la culture » ou d’un processus qui devient une véritable « dévoration de la vie » – des expressions fortes, particulièrement dans ces années troublées ; autant de propos qui peuvent même rappeler ceux de Freud quand il évoque, à la même époque et pour des raisons assez proches, ce qu’il nomme le « malaise dans la civilisation ». Parmi ces manifestations, il y a la possibilité d’une disparition – une hypothèse qui n’est pas dénuée de fondement dans ce moment. Il suffit parfois de peu de chose, dans les circonstances qu’on dit de crise, pour que la maladie en question devienne effectivement mortelle – ou la destruction complète, pour que la catastrophe s’amplifie et occupe l’ensemble de l’horizon. Il y a des conjonctures dans lesquelles des choses d’apparence 9
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minuscule peuvent entraîner rapidement des effets sans commune mesure avec leur mode d’existence ; et cela d’autant plus que l’« esprit » est le lieu de variations excessives et de mouvements démesurés, qu’il est sans cesse confronté aux réalités les plus hétérogènes. On se souvient, par exemple, du passage fameux d’un texte écrit par Valéry en 1919, juste après la Première Guerre mondiale, qui évoque un problème d’une grande ampleur apparaissant à ce moment de manière explicite : « nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles… » C’est un « savoir » de cette espèce qui se trouve revisité ici, comme à nouveau exhumé par Valéry moins de deux décennies plus tard. Le propos n’a manifestement pas changé ; il s’est seulement infléchi, il s’est enrichi de considérations supplémentaires en se confrontant à des formes de réalité qui sont devenues plus flagrantes, requérant plus encore l’analyse, appelant d’autres modes d’approche et relevant manifestement d’une certaine urgence. Toutes ces expressions, je les trouve dans un article de 1939 ayant pour titre « Liberté de l’esprit ». J’en rappelle seulement les premières lignes. « C’est un signe des temps, et ce n’est pas un très bon signe, qu’il soit nécessaire aujourd’hui – et non seulement nécessaire, mais qu’il soit même urgent – d’intéresser les esprits au sort de l’Esprit, c’est-à-dire à leur propre sort. » Le passage de la majuscule à la minuscule dit assez l’importance du propos d’ensemble, marque précisément le glissement continuel dans lequel ce terme est pris en soulignant ce qui constitue sa portée et ce qui lui donne tout son poids. Du général au particulier c’est, en somme, un même destin qui se profile, c’est une adversité analogue qui s’impose, le plus souvent avec une certaine violence. De la fonction indiquée ainsi sur un mode abstrait à l’individu qui est capable de la mettre en œuvre, du semblant de concept au sujet qui s’en préoccupe et qui sait qu’il doit l’exercer, on dira que la conséquence est bonne – à certaines conditions, 10
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bien entendu, que Valéry s’emploie à définir à ce moment. Dans cette même période d’ailleurs, les textes abondent qui traitent des différentes facettes de l’« esprit » et montrent les enjeux des infléchissements de sens auxquels le terme se prête ou qu’il paraît permettre, qu’il autorise ou favorise – selon les nécessités du contexte, selon les acceptions dans lesquelles il est entendu. La précision est plus que jamais à l’ordre du jour. L’extrême plasticité dont ce mot fait ainsi montre est, à coup sûr, une indication très précieuse dont il faut tirer parti continuellement, une opportunité à saisir dans toutes les occasions. La création d’une « Société des Esprits », proposée avec insistance par Valéry dans cette lettre, se situe manifestement dans la droite ligne de ces différents énoncés. Elle donne, je crois, une cohérence nouvelle à nombre de remarques faites depuis longtemps dans les Cahiers, les reprend et les regroupe dans l’optique d’une proposition inédite qui veut être à la hauteur de ces divers événements, qui tient même à intervenir sur leur cours – dans la perspective d’une initiative inaccoutumée qui a de quoi surprendre et qui peut donc faire réfléchir quelques-uns de ses contemporains. Ce serait, en quelque manière, l’« esprit » retrouvant ici sa majuscule dans la visée parfaitement cohérente d’une association déterminée, d’une coopération voulue comme telle, dans l’idée nouvelle d’un regroupement volontaire pour tenter de faire face à ce qui arrive ; et pour essayer de comprendre à quoi correspondent certains événements de l’époque – l’« Esprit » étant cette instance qui est à même de s’adresser nommément aux différents « esprits », en vue d’un surcroît de réflexion, dans la perspective d’une collaboration de diverses formes de pensée. Une perspective et un souhait mêlés. Dès le début des années trente, Valéry prend la mesure de ce qui se passe en Europe de ce point de vue, de la gravité de ce qui se produit sur ce continent. Une des manières de le faire est de revenir, une nouvelle fois, sur cette préoccupation cruciale 11
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TABLE DES MATIÈRES
Note des éditeurs ........................................................ 5
préface • Une politique de l’impossible
................................. 7
Jean-Michel Rey
Correspondance pour une société des esprits • Introduction
............................................................. 39 par Paul Valéry et Henri Focillon
• Salvador de Madariaga à Paul Valéry
................... 47
• Paul Valéry à Salvador de Madariaga
................... 59
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