La Corse, entre clanisme et nationalisme
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Sampiero Sanguinetti
La Corse, entre clanisme et nationalisme Introduction à une analyse politique de l’histoire de la Corse de 1789 aux années 2000
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Chapitre I Le temps des occasions manquées Lorsqu’éclate la Révolution française, la Corse n’a été conquise par la monarchie française que depuis 25 ou 30 ans. Elle a vécu une partie de ces trente ans sous la domination d’un régime militaire d’occupation. Une fraction de la bourgeoisie insulaire a pactisé avec les occupants ou a été récupérée, mais le petit peuple reste, lui, relativement étranger à ce royaume même si toutes les mesures mises en œuvre ne sont pas négatives. Il n’en parle pas la langue ou très peu, il n’en reconnaît pas vraiment l’autorité, et il conserve le souvenir d’une conquête sanglante. Ce petit peuple reste paoliste et vit, comme il l’a toujours fait, dans l’acceptation forcée du nouveau maître. La Révolution va d’abord changer les choses puis, dans un second temps, brouiller les cartes. D’abord, bien sûr, parce qu’elle conduit au renversement du pouvoir qui a conquis la Corse et qui a tenté d’imposer son ordre. Ensuite, parce que cette révolution s’inscrit dans la continuité du mouvement d’idées qui avait plus ou moins présidé à l’expérience paoliste. Troisièmement, parce que les révolutionnaires sollicitent le mouvement populaire et vont changer les règles de la philosophie politique des vieilles monarchies. Quatrièmement enfin, parce que des Corses vont participer à la Révolution et que certains vont même, dans le sillage de la Révolution, se retrouver au pouvoir en France. Mais la violence du mouvement révolutionnaire va également conduire Pascal Paoli à rompre une nouvelle fois avec la France. À la veille de la Révolution française, rien n’est encore totalement joué en Corse. Paoli est en Angleterre, mais son prestige en Corse est une évidence et le sentiment paoliste reste très fort. La victoire de la France à Ponte Novo, quelle que soit la douleur engendrée par cet événement, est aussi une évidence et il s’était constitué un parti de la France. La Corse, donc, a-t-elle vocation à rester définitivement française ? Une partie des Français le pense sans doute, mais une bonne partie des Corses ne le pense pas ou ne le désire pas. Il semble, en outre, que la
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république de Gênes ne soit pas encore totalement hors jeu. Quelques-unes de ces incertitudes vont s’évanouir durant la révolution qui vient. Cela ne suffira pas à sceller des certitudes sans failles. La figure de Pascal Paoli peut être considérée comme un élément constitutif majeur de l’imaginaire insulaire. Or la fusion de cet imaginaire paoliste avec celui de la Révolution française va échouer. Il est impossible de minimiser cet échec. LES PAOLISTES, DE L’ASSEMBLÉE CONSTITUANTE (1789-1791) AUX ASSEMBLÉES LÉGISLATIVES
Les États généraux se réunissent à Versailles le 5 mai 1789. Chaque région a envoyé quatre députés : un pour la noblesse, un pour le clergé et deux pour le tiers état. Après de longs débats sur la représentativité de chacun des ordres et sur le mode de scrutin, les États généraux se transformèrent en Assemblée constituante. Dès lors, la place de la religion face à l’État, le droit de propriété et les principes de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen seront les grandes questions qui agiteront l’Assemblée. La Corse dut donc choisir ses représentants. Rappelons que l’île était très pauvre, que le niveau d’instruction y était relativement assez bas, et que la très grande majorité des Corses ne parlait pas le français. Rappelons aussi que la notion du droit y était héritière d’une forme de droit coutumier régulé par la vendetta. Un droit coutumier fondé sur le pouvoir des chefs de famille et des patriarches. La société corse naviguait donc entre cette acceptation collective d’un droit coutumier propre, généré en son sein à travers les siècles, et la nécessité de jouer le jeu du dernier occupant en date. C’était pour répondre à cette deuxième réalité que les Corses devaient envoyer à Paris des représentants capables de subvenir à leurs besoins, dotés d’une instruction suffisante et parlant le français. Ces critères ne se trouvaient que dans une classe aisée et relativement étroite de la population. Les quatre-vingt-quatre représentants des juridictions de Corse (vingt-deux représentants pour le clergé, vingt-deux représentants pour la noblesse, et quarante représentants pour le tiers état) se réunirent donc en mai 1789 à Bastia pour élire quatre députés. Les quatre députés élus furent : Mathieu Buttafuoco représentant la noblesse, Charles-Antoine de Peretti della Rocca représentant le clergé, PierrePaul Colonna de Cesari Rocca et Christophe Salicetti représentant le tiers état. L’un, Charles-Antoine de Peretti della Rocca, est grand vicaire du diocèse d’Aleria, l’autre, Mathieu Buttafuoco, maréchal de camp des armées du roi, et deux autres, Pierre-Paul Colonna de Cesari Rocca est capitaine au régiment provisoire, et Christophe Salicetti, avocat au Conseil supérieur. Il est intéressant de noter que parmi les quatre-vingt-quatre représentants qui élisent ces quatre députés, nous trouvons déjà les noms des grandes familles qui, jusqu’au XXIe siècle, vont régulièrement se succéder à la tête des grandes institutions représentatives de la
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Corse, à savoir les de Rocca Serra, Giacobbi, Pietri, Casabianca, Pozzo di Borgo, Peraldi, Sébastiani, Foata… (cf. annexe 3). Les quatre députés désignés par les représentants arrivèrent à Versailles vers la fin du mois de juin 1789. De Peretti della Rocca et Buttafoco prirent place parmi les nobles ; Colonna de Cesari Rocca et Salicetti s’assirent avec les réformistes. Il n’est pas inutile de remarquer que les deux représentants du tiers état, qui optent pour la Révolution ne viennent pas du petit peuple. Salicetti, l’avocat est issu d’une famille de petite notabilité liée aux Paoli. Enfant, le petit Christophe Salicetti a bénéficié de l’enseignement d’un oncle ecclésiastique avant d’aller au collège des jésuites de Bastia puis de faire son droit à Pise. Quant à Pierre-Paul Colonna de Cesari Rocca, il appartient à une famille dite « de la vieille noblesse palatine ». Une famille qui s’est mise au service de Gênes, puis de la monarchie française, ce qui a permis au jeune Pierre-Paul de devenir capitaine dans le régiment du Provincial corse. Le fait pour ces deux personnages de représenter le tiers état, puis d’adhérer pleinement aux idées de la Révolution n’est pas dicté par un positionnement social mais est le résultat d’un engagement personnel (encore que Antoine-Marie Graziani dans son livre sur Pascal Paoli, laisse entendre que l’élection de Pierre-Paul Colonna de Cesari Rocca serait le fruit d’une manœuvre et non le résultat d’un engagement). Il existe alors au sujet de la Corse des incertitudes qu’on ne peut pas ignorer. Premièrement, pour une grande partie des Corses, la France monarchique est encore une puissance occupante, et deuxièmement, le personnage qui symbolise leur aspiration à la liberté est Pascal Paoli. Ce n’est qu’après s’être positionnés face à ces deux questions que les représentants de la Corse pourront s’inscrire réellement dans leur rôle de députés aux États généraux. Sur une première question, les députés corses furent d’accord entre eux. Le bruit courait en Corse que la République de Gênes avait l’intention de reprendre possession de la Corse. Antoine-Marie Graziani, dans son livre sur Pascal Paoli, nous montre qu’il ne s’agissait pas totalement d’un fantasme. Au terme des accords qui avaient été scellés entre la Monarchie française et la République de Gênes, cette dernière pouvait encore prétendre racheter l’île. La question fut donc soumise à l’Assemblée. Pour rassurer les citoyens en Corse, l’Assemblée adopta une proclamation : « L’Assemblée nationale déclare que la Corse fait partie de l’Empire français, que ses habitants doivent être régis par la même Constitution que les autres Français, que dès à présent le roi sera supplié d’y faire parvenir et exécuter tous les décrets de l’Assemblée nationale ». Cette déclaration parut tellement importante qu’il vint à l’idée de quelqu’un de la faire graver sur un énorme bloc de marbre blanc pour qu’il soit scellé à Bastia dans l’ancien palais des gouverneurs génois. Sans doute une manière de rappeler à ces derniers quelle était la réalité nouvelle si, par hasard, il leur venait à l’idée de vouloir l’oublier. Cette proclamation est aujourd’hui encore conservée au musée de Bastia. Il apparaît ici que les représentants de la Corse se sont déterminés principalement face à deux hypothèses : celle du risque de rattachement à la République
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de Gênes ou celle du rattachement définitif à la France révolutionnaire. Certains, avec le temps, diront qu’il manquait une hypothèse : celle d’une indépendance. L’évacuation de cette hypothèse, et donc l’absence de débat à son sujet, prouve que la représentation corse aurait admis qu’échapper à l’influence d’une grande puissance dominatrice en Méditerranée était quasiment impensable. Comme pour toute question évacuée, on pourra dire que « le refoulé » risque toujours de réapparaître dans l’histoire. De fait, la question de l’autonomie de la Corse, voire de son indépendance, aussi bien vis-à-vis de l’Italie que de la France, réapparaîtra. Une seconde question, qui découlait de la première, allait révéler une première fracture. Mirabeau, tout en louant le sens de l’honneur des Corses et en regrettant sa propre participation à la conquête de la Corse dans ses jeunes années, demandait que tous ceux qui avaient combattu contre la France et s’étaient exilés après la bataille de Ponte Novo, pussent rentrer en Corse et y bénéficier de tous les droits de citoyens. Cette position de Mirabeau qui semble vouloir faire amende honorable d’une conquête peu glorieuse, n’est pas anodine. La proposition fut votée à une très large majorité, mais elle fit au moins un mécontent parmi les quatre députés insulaires. Ce vote, en effet, signifiait que Pascal Paoli pouvait rentrer en Corse. Or cette perspective contrariait au plus haut point Mathieu Buttafoco, représentant de la noblesse. Le « Père de la Patrie » devint donc, pour un temps, le symbole d’une division entre les quatre représentants de la Corse. Mathieu Buttafuoco et Charles-Antoine de Peretti della Rocca se montraient conformes à ce qu’on pouvait attendre des représentants de la noblesse et du clergé. Ils se distinguèrent notamment en s’opposant farouchement aux principes de la « Constitution civile du clergé ». Tous deux se révélaient être des monarchistes contre-révolutionnaires et devinrent du même coup de violents détracteurs de Pascal Paoli. Ce dernier incarnait en quelque sorte, à ce moment-là, le soutien des Corses au mouvement révolutionnaire. Les deux représentants du tiers état, Pierre-Paul Colonna de Cesari Rocca et Christophe Salicetti prirent de leur côté, résolument, le parti de la Révolution. Ils s’opposèrent violemment aux vues de Buttafuoco et de Peretti della Rocca. Ils se réjouirent bien sûr de l’amnistie accordée à Pascal Paoli et du retour triomphal du « Père de la Patrie ». Par la suite, du côté des contre-révolutionnaires, Buttafoco et de Peretti della Rocca durent très vite prendre le chemin de l’exil et de l’Italie. Du côté des révolutionnaires, Salicetti se révélera beaucoup plus radical que Colonna de Cesari Rocca. Salicetti était un jacobin ami de Robespierre et suppôt de la Terreur alors que Colonna de Cesari Rocca suivra Pascal Paoli dans sa dénonciation des excès de la Révolution. Le personnage de référence qui détermine bien des positionnements est encore Pascal Paoli. Certes, trois tendances se sont dessinées dès ce moment-là qui préfiguraient les futurs débats d’idées : une tendance monarchiste et cléricale (droite conservatrice), une tendance révolutionnaire modérée (gauche modérée), une tendance révolutionnaire radicale (gauche extrême ou radicale). Mais ce positionnement des Corses est toujours conditionné par les trente ans de l’his-
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toire passée, depuis la défaite de Ponte Novo et la conquête de la Corse par la France jusqu’à l’adhésion d’un certain nombre de familles insulaires aux règles de la monarchie et de la noblesse françaises (cf. annexe 2). Les quatre années qui vont suivre vont conduire à une évolution importante dans cette manière de se positionner. Positionnement des quatre députés corses aux États généraux, sur la Constitution civile du clergé Élu de
Constitution civile du clergé
Mathieu Buttafuoco
Maréchal de camp
Noblesse
Désapprouve
Charles-Antoine de Peretti della Rocca
Ecclésiastique
Clergé
Désapprouve
Christophe Salicetti
Avocat
Tiers état
Approuve
Pierre-Paul Colonna de Cesari Rocca
Militaire
Tiers état
Approuve
Antoine Casanova et Ange Rovere décrivent largement les enjeux de réappropriation des biens d’origine ecclésiastique, consécutive à l’adoption de la Constitution civile du clergé. La question oppose « les revendications de soumission collective et les projets de soumissions privées », c’est-à-dire les communautés rurales ou les municipalités d’une part et les grands propriétaires privés (principali ou prepotenti) par ailleurs. Ces deux auteurs soulignent par-là même, l’existence d’un débat en Corse entre paysans et propriétaires et donc l’existence d’un conflit de classes. Ils affirment aussi que la question de l’égalité entre nobles corses et tiers état corse était déjà parfaitement lisible dans les cahiers des paroisses dès 1789 : « les privilèges de la noblesse insulaire sont dénoncés, tout comme sont rejetés les concessions domaniales, les monopoles seigneuriaux sur les bois, pâturages et étangs. Le refus est net aussi de voir s’instaurer dans l’île ces droits féodaux que revendiquent les nobles autochtones, tout comme est, avec force, mise en avant la volonté du tiers de participer à l’administration provinciale ou municipale, et souvent même de la conduire en soumettant les “prepotenti” aux décisions prises par des officiers régulièrement et démocratiquement élus ». Cette question est très importante car elle conditionne la manière dont va se former plus tard une opinion publique insulaire. Qu’est-ce qui prédomine en Corse en termes de conception de ce qu’est la liberté ? Est-ce la liberté d’un peuple dans une île confrontée à l’autorité d’une puissance encore vue comme extérieure ? Ou est-ce la liberté des citoyens conditionnée par l’idée d’égalité entre les individus quelle que soit la classe sociale à laquelle ils appartiennent ? La tentation est, bien sûr, de répondre : les deux. Or la réponse n’est pas aussi simple parce que le conflit
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qui éclatera entre Paoli et les Jacobins replacera la Corse dans l’éternelle position de l’île face aux puissances extérieures. DE L’EXÉCUTION DE LOUIS XVI À LA DÉNONCIATION DE PAOLI. (LES DEUX ASSEMBLÉES LÉGISLATIVES NATIONALES DE 1791-1792 ET 1792-1795)
Les États généraux s’étant proclamés Assemblée nationale adoptèrent une constitution et de nouveaux délégués durent être désignés pour siéger à l’Assemblée législative nationale. Les représentants qui avaient été mandatés pour siéger aux États généraux et avaient adopté la constitution n’eurent pas le droit de se représenter. Les Corses envoyaient dans cette nouvelle assemblée six représentants : Don Pierre Boerio, Félix-Antoine Leonetti, Marius-Joseph Peraldi, François-Marie Pietri, Charles-André Pozzo di Borgo et Barthélemy Arena. La constitution de 1791 était inadaptée aux situations de crise que devait affronter le pays et notamment l’occurrence d’une guerre. Elle ne survécut donc pas aux évènements et dès 1792, une nouvelle assemblée fut élue pour renouveler les institutions. Cette nouvelle assemblée était divisée en trois grandes tendances : la Montagne, le Marais, la Gironde. Les Montagnards étaient sans aucun doute les plus déterminés ou les plus extrémistes, les Girondins se méfiaient des tendances centralisatrices des Montagnards et le Marais était constitué des plus modérés. Six nouveaux députés corses vinrent siéger dans l’Assemblée en remplacement des précédents : Christophe Salicetti, Luce de Casabianca, Antoine Andrei, Jean Moltedo, JeanBaptiste Bozi, et Ange-Marie Chiappe (Antoine Andrei a siégé en 1792 et 1793 puis a été remplacé par Jean-Marie Arrighi). L’Assemblée eut principalement à décider du sort de la monarchie et du destin de Louis XVI. La monarchie fut déclarée abolie sans créer de grande division parmi les députés. En revanche, le sort réservé au roi divisa profondément les députés. Le roi fut déclaré coupable par sept cent sept voix sur sept cent dix-huit députés présents, mais à la question de savoir quelle peine devait lui être infligée, trois cent trente-quatre se prononcèrent pour le bannissement ou l’emprisonnement et trois cent quatre-vingt-sept se prononcèrent pour la mort. Comment la troisième série de députés Corses se comporta-t-elle face à cet événement décisif ? Chez les Corses, deux députés étaient montagnards (Christophe Salicetti et Luce de Casabianca), deux députés étaient girondins (Antoine Andrei et Jean Moltedo) et deux députés siégeaient chez les modérés de la Plaine (Jean-Baptiste Bozi et Ange-Marie Chiappe). Il est intéressant de noter que seul Christophe Salicetti votera pour la mort de Louis XVI. Les six autres se prononceront contre, même Luce de Casabianca, qui devra pour cela affronter les reproches de ses amis du Club des Jacobins. Il tentera de plaider en disant qu’il avait fait une erreur en raison de son inexpérience mais les Jacobins l’expulseront de leur société.
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Positionnement des députés corses au sein de l’Assemblée législative nationale (1792-1795) au sujet de la condamnation à mort de Louis XVI Pour ou contre la mort Louis XVI Antoine François Andrei
Commissaire civil
Girondin
Jean-Baptiste Bozi
Magistrat
La Plaine modéré
Contre
Luce De Casabianca
Officier de marine
Montagnard
Contre
La Plaine modéré
Contre
Girondin
Contre
Ange-Marie Chiappe Jean AA Moltedo Christophe Salicetti
Ecclésiastique
Montagnard
Contre
Pour
Les représentants de cette île, réputée pour la violence de ses mœurs et le nombre incroyable des homicides, se prononcent donc massivement contre la peine de mort infligée au roi. Les représentants de la Corse en ce temps-là, s’ils sont résolument favorables à la Révolution, se montrent de plus en plus réservés face à la tournure que prennent les évènements. Ils sont de ce point de vue sur la même ligne que Paoli. Selon Jean-Guy Talamoni, dans l’ouvrage qu’il consacre à Littérature et politique en Corse, les révolutionnaires corses et les révolutionnaires français n’ont pas à l’esprit les mêmes références. Les Corses seraient en quelque sorte plus pragmatiques, moins doctrinaires. C’est la raison pour laquelle ils refusent « la brutalité révolutionnaire consistant, par exemple, au nom d’idées abstraites, à inscrire la terreur à l’ordre du jour ». Antoine-Marie Graziani, pour sa part, dit de Paoli que « ses qualités, si prisées au début de la Révolution, modération, prudence, acceptation libérale du pluralisme, ne sont plus de mise » alors que la Terreur se profile. Ses réserves et l’opposition aux dérives de la Terreur, vont le conduire tout d’abord à être déclaré traître par la Convention. Paoli est accusé de se comporter en dictateur tyrannique et sanguinaire, et d’avoir fait échouer une expédition militaire en Sardaigne. Une phrase de Marat résume bien la démarche de ces révolutionnaires à son égard : « Qui ne connaît point Paoli, ce lâche intrigant qui prit les armes pour asservir son île et faisait l’illuminé pour tromper le peuple ? » Le 17 juillet 1793, Paoli est déclaré « ennemi traître à la République française ». Le prestige de Paoli en Corse et son esprit d’indépendance insupportent certains Corses dans l’île et bon nombre de révolutionnaires à Paris. Lucien Bonaparte qui a largement participé à l’opération de dénonciation du vieux général de la nation corse, avouera plus tard s’être probablement laissé emporter par les sentiments de la foule : « pour la première fois, j’éprouvai combien les passions de ceux qui écoutent ont de force sur celui qui parle » (cité par Antoine-Marie Graziani). Sommé de se présenter à la barre avec la certitude d’être condamné à mort, Paoli n’a d’autre choix que de refuser. Or cette position le conduit à entraîner toute la Corse dans ce refus. C’est ainsi qu’il fait appel à la flotte anglaise pour s’emparer des villes côtières de l’île et desserrer l’étau dans lequel il est enfermé. C’est le
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début du mirage de Royaume anglo-corse et de la rupture entre les révolutionnaires corses et Pascal Paoli. Face au choix qui lui a été imposé, Pascal Paoli va très vite se rendre compte de l’impasse dans laquelle il se trouve désormais. L’aventure du Royaume anglo-corse voit se rallier à elle plusieurs des ennemis de la révolution, monarchistes déclarés et suppôts de l’ancien régime en exil. C’est le cas notamment de Charles-André Pozzo di Borgo, de Gaffori et de Mathieu Buttafuoco. En outre, Paoli réalise bientôt que la monarchie anglaise n’est pas plus souple, ni moins dominatrice que la monarchie française. Du côté des révolutionnaires corses, les anti paolistes trouvent désormais argument pour dénoncer un peu plus violemment encore les erreurs du « Père de la Patrie ». C’est le cas notamment de Barthélemy Arena. D’autres, qui étaient plus favorables à Paoli doivent admettre qu’il s’est, cette fois, gravement trompé. C’est le cas de Bonaparte. Salicetti, lui, quels qu’aient pu être ses sentiments dans le passé, s’est fait inquisiteur avec les Jacobins. Une rupture et une bascule viennent de se produire. Le royaume anglo-corse est un échec. C’est un échec pour Paoli, mais c’est également un échec pour la France. La chance qui s’offrait de voir la Corse s’inscrire de manière fondatrice dans la Révolution française derrière la figure symbolique la plus forte de l’île a été en grande partie ruinée. De nombreux auteurs suggèrent que le processus révolutionnaire s’est réenclenché naturellement avec le départ des Anglais en 1796. Comme dans d’autres régions, je crois que les choses ne sont pas aussi claires. L’histoire, par la suite, montre que les sentiments des Corses restent très partagés, que l’affirmation des principes d’égalité est illusoire, et que la nostalgie du « paolisme » demeure. Napoléon Bonaparte, qui pour l’heure a dû s’enfuir de Corse pour échapper aux paolistes, deviendra, longtemps plus tard, une nouvelle figure mythique de l’île. Mais l’une n’efface pas l’autre et les deux n’ont évidemment pas le même sens. LE CONSEIL DES CINQ-CENTS OU LE TEMPS DES BONAPARTE
La Corse étant en état de sécession, dans l’incapacité de mander de nouveaux députés pour siéger au Conseil des Cinq-Cents, il est décidé que cinq des députés qui siégeaient au sein de l’Assemblée législative nationale précédente seraient automatiquement reconduits au sein du Conseil des Cinq-Cents. Il s’agit de Antoine-François Andrei, Jean-Baptiste Bozi, Luce de Casabianca, Ange-Marie Chiappe, Jean Multedo. Entre 1797 et 1798 Chiappe, De Casabianca, Moltedo vont successivement sortir du Conseil. D’autres y entreront : Joseph et Lucien Bonaparte, Christophe Salicetti, Ignace Lepidi. Un autre député originaire de Corse fait son entrée au Conseil. Il s’agit de Barthélémy Arena, élu par le département de l’Aube. L’entrée de Joseph et Lucien au Conseil est un signe de l’ascension de la famille Bonaparte. Les évènements vont montrer qu’il ne fait pas bon s’opposer à
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eux. Comme toujours durant une révolution, les plus radicaux, les plus déterminés sont importunés par les modérés. Or ces modérés sont majoritaires au Conseil. Et il apparaît de plus en plus que la Constitution de l’an III est conçue de telle manière qu’elle ne permet pas de sortir des conflits. En 1799, une opération est fomentée, notamment par Sieyès, membre du Directoire, et Lucien Bonaparte, président du Conseil, pour renverser ce même Conseil, déstabiliser le Directoire et mettre fin à la Constitution de l’an III. C’est ainsi que les 18 et 19 brumaire, avec le concours de Napoléon nommé commandant des troupes de Paris et de la garde du corps législatif, l’opération va déboucher sur la désignation de trois consuls dont Napoléon. Plusieurs députés, au cours de ces journées, ont tenté farouchement de s’opposer au coup d’État. Barthélémy Arena est accusé d’en faire partie. Il se dit même qu’il aurait menacé Napoléon avec un poignard. Passible d’arrestation, Barthélémy Arena s’enfuit en Italie d’où il ne reviendra pas. La famille Arena est désormais maudite. Son frère Joseph-Marie, également opposé au coup d’État, sera arrêté un an plus tard, en octobre 1800, accusé à son tour d’avoir voulu poignarder Napoléon. Condamné à mort, il sera exécuté en janvier 1801. La famille Arena, originaire de L’Île-Rousse a ainsi été éliminée du paysage politique. Napoléon est à présent le maître pour une quinzaine d’années et l’on sait ce que cela veut dire. Barthélémy Arena, Charles-André Pozzo di Borgo sont à l’étranger. La Corse est rentrée dans le giron français et Pascal Paoli est retourné en Angleterre. Désormais le pouvoir législatif dépend d’un Sénat de quatre-vingts membres qui se montrera extrêmement docile jusqu’en 1814, d’un Tribunat de cent membres qui discutaient des lois proposées par l’exécutif, et qui vit ses prérogatives s’évanouir au fil des ans, et d’un corps législatif de trois cents députés qui se borne à accepter ou rejeter les textes que lui transmet le Tribunat. Joseph Bonaparte fait partie du corps législatif en 1799, Michel-Ange d’Ornano y siège de 1799 à 1804 et Hyacinthe Arrighi y siège de 1800 à 1814. En 1815, après les Cent-Jours et la bataille de Waterloo, le Premier Empire est définitivement renversé et l’Empereur part en captivité sur l’île de Sainte-Hélène. Les Bourbons rentrent en France pour restaurer la monarchie mais le bonapartisme est désormais entré dans l’imaginaire de la politique française. Il s’agit d’une idée du pouvoir et d’une nostalgie de la grandeur qui permettra bientôt à un neveu de Napoléon Ier de rétablir l’empire dans un premier temps, puis à la droite française de pérenniser une conception de l’autorité. Les choses en Corse sont différentes. Le bonapartisme en Corse n’est pas le bonapartisme en France. Il est beaucoup plus que cela. Le bonapartisme en France va devenir une conception du pouvoir. Le bonapartisme en Corse deviendra l’un des soubassements du clanisme (et donc une idée du pouvoir), mais également l’une des « figures » du rapport à la France. La prise du pouvoir à Paris est une source de fierté, certes, mais surtout une garantie d’entraide et donc de survie. Les clans sont les rouages indispensables du lien qu’il faut entretenir avec les détenteurs du
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pouvoir, et l’origine corse de ces détenteurs est vue comme l’évidence d’un devoir de solidarité de ces derniers à l’égard de leur île. Cette idée du bonapartisme n’est pas apparue tout de suite. Certes, nul n’a pu être indifférent, dès 1804 et 1805, au destin de Napoléon Bonaparte. Mais, à l’exception d’une frange de la population, le petit peuple en Corse n’a pas immédiatement perçu les avantages qu’il pourrait tirer de l’existence d’un tel destin. L’action du général Morand, envoyé en Corse par Napoléon, n’a évidemment pas été vécue comme bienveillante. En 1808, quatre ans après le sacre de l’Empereur, les habitants de Taglio Isolaccio, par exemple, furent victimes d’une répression féroce pour « complot contre la France en relation avec le pouvoir britannique ». Certes les marines française et anglaise se tenaient mutuellement en respect en Méditerranée, mais Pascal Paoli avait quitté la Corse depuis treize ans, en 1795, et les Anglais l’avaient quittée depuis douze ans, en 1796. Cent quatre-vingt-douze hommes du village, âgés de quinze à quatre-vingts ans, furent arrêtés en 1808. Neuf furent fusillés à Bastia, les autres furent envoyés au bagne de Toulon puis à la prison d’Embrun où ils moururent quasiment tous dans des conditions épouvantables. Il est donc évident que face à de tels évènements, le culte de Napoléon s’il se forme dans la bourgeoisie, n’a pas encore gagné le petit peuple. La figure de Napoléon ne prit véritablement une place incontestable dans l’imaginaire des Corses qu’avec le temps. Ce sentiment bonapartiste va mûrir de la Restauration à la monarchie de Juillet et « s’épanouir » avec la révolution de 1848 et le retour au pouvoir d’un Bonaparte. LA RESTAURATION ET LES MONARCHIES CONSTITUTIONNELLES OU LE TEMPS DES OPPORTUNISTES
La Charte constitutionnelle de juin 1814 prévoit l’existence d’une chambre des députés élue pour cinq ans à un suffrage très restreint. Seuls les riches, payant un cens élevé et ayant trente ans au moins sont électeurs. Pour être éligible, il faut être plus riche encore et plus âgé (quarante ans). Les noms qui apparaissent en provenance de Corse dans les travées de la Chambre des députés sont pour certains apparemment nouveaux. Il convient de chercher ce que cache cette nouveauté. Dans un premier temps on vit entrer à la Chambre, en 1816, quatre députés corses : le général d’Empire Horace Sebastiani, Antoine Peraldi, André Ramolino, et Joseph de Castelli. L’un d’entre eux, Antoine Peraldi, était un antibonapartiste convaincu qui avait émigré en 1798 et n’était rentré en Corse qu’à la chute de l’Empire. Il avait même dû repartir durant les Cent-Jours pour revenir, définitivement, lors de la seconde Restauration. Deux autres étaient au contraire des héritiers de l’Empire. André Ramolino était parent de Napoléon. Directeur des contributions directes sous l’Empire, il fut destitué à la Restauration puis élu député au grand collège de la Corse. Le cas du général Sebastiani est un peu particulier. Nommé général, puis grand cordon de la Légion d’honneur et enfin
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comte d’Empire, par Napoléon, il se rallia immédiatement aux Bourbons après la première abdication. Mais il revint à l’Empereur au retour de l’île d’Elbe et dut passer en Angleterre après les Cent-Jours. Il rentra en France en 1816 et fut mis en demi-solde. Après quoi, il fut élu député par le grand collège de la Corse et siégea tout d’abord dans l’opposition. Nous pourrions penser qu’aux termes d’une conception somme toute « républicaine » avant l’heure de la fonction de militaire, qui doit se mettre au service des autorités légales de son pays, il était plutôt sain qu’il se mît au service du nouveau souverain lors de la première abdication. Mais son ralliement à l’Empereur au retour de l’île d’Elbe contredit cette interprétation des choses et le fait apparaître plutôt comme un opportuniste. Il échappe d’ailleurs à l’épuration qui frappe alors les anciens jacobins, les bonapartistes et certains généraux de la Grande Armée comme le maréchal Ney. Enfin, dernier député, Joseph de Castelli est un magistrat qui fut élu en 1816 au collège de département et qui soutint dès lors le gouvernement. Il faut tout de même noter qu’en 1818, lorsque Louis XVIII envisagea d’appliquer à la Corse une législation douanière particulière, il manifesta, avec Horace Sebastiani, son opposition à cette mesure en demandant que « la Corse qui supporte les charges de l’État fut traitée comme département français et que toutes les productions fussent admises en France franche de droits ». Ils sont les premiers à s’être opposés à ces mesures qui vont plomber l’économie insulaire pendant quatrevingt-quatorze ans. Ces quatre personnages donnent une physionomie du nouveau paysage politique insulaire. Tous les quatre sont en politique des visages nouveaux. Il y a l’anti bonapartiste de retour, le bonapartiste de fait jusque-là plutôt discret, le bonapartiste opportuniste, et le fonctionnaire légaliste. Durant les autres législatures de la Restauration, quatre nouveaux personnages firent leur apparition. Dominique De Rivarola était un officier de marine qui avait quitté la France sous la Révolution et était rentré sous l’Empire. Il fut notamment conservateur des eaux et forêts en Corse puis élu député en 1824. Jean, André, Tiburce Sebastiani qui se fit appeler Tiburce, pouvait se prévaloir d’une carrière militaire sous l’Empire qui, si elle était moins brillante que celle de son frère Horace, était tout de même très honorable. Il s’était distingué notamment en Espagne, durant la campagne de Russie et à Waterloo. Au retour des Bourbons il ne tarda pas à être mal vu puis sanctionné en raison de l’attitude politique de son frère. Mais il fut élu député en 1828. Enfin deux députés étrangers à la Corse furent élus par le collège de la Corse : Antoine Lefebvre de Vatimesnil et François Roger. Tous deux virent leur élection rapidement invalidée et ne laissèrent donc pas le moindre souvenir en Corse. À partir de 1820, le régime se radicalise de nouveau et en 1824, Charles X durcit la monarchie. Il règne en s’appuyant sur l’Église et les ultras. En 1830, la dissolution des chambres et la censure de la presse débouchent sur la révolution de Juillet, la fuite de Charles X en Angleterre et l’accession au pouvoir de Louis-Philippe.
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Il s’agit d’une étape importante pour la Corse. Le député Joseph Limperani revenant sur ces évènements quelques années plus tard, dira : « La révolution de juillet survint. Les principes de 1789 de nouveau proclamés, la mémoire de Napoléon remise en honneur, nous annonçaient la fin du long interdit lancé contre nous… » (Journal libre de la Corse – 9 mai 1835). De fait, durant les années 1830 et 1831, les journaux relatent à deux reprises l’existence de manifestations, en Corse, au cours desquelles on entendit crier : « Vive Napoléon II ». Le Journal du département de la Corse, en mai 1831, s’en offusque : « Le Duc de Reischtadt sait que cet attachement stérile et tumultueux qu’on lui montre aujourd’hui ne date pas de longtemps ; il a fallu la chute de Charles X pour le faire éclater… » Le sentiment bonapartiste a mûri durant le temps de la Restauration et a commencé de s’exprimer avec les évènements de 1830, l’avènement de Louis-Philippe et de la monarchie de Juillet. Les deux frères Sebastiani, Horace et Tiburce, vont tenir une place importante tout au long du règne de Louis-Philippe. Ils vont constituer en quelque sorte le premier « clan nouvelle version » qui assoit son influence en Corse. Tiburce, pour commencer, fut élu de 1830 à 1837 et fut un soutien permanent du gouvernement. Il fut nommé Pair de France en 1837, puis également Inspecteur général de l’infanterie, lieutenant général commandant la première région militaire, et il fut enfin honoré du titre de vicomte. Horace a, lui aussi, rallié Louis-Philippe dès 1830. Il fut ministre de 1830 à 1834, ambassadeur de 1834 à 1836, et il succéda à son frère comme député de la Corse de 1837 à 1846. Il a été fait maréchal de France en 1840 et s’est retiré de la vie politique en 1847 après la mort de sa fille, assassinée par son mari le duc de Choiseul-Praslin. Le troisième personnage qui apparaît dans le ciel politique de la Corse et y tiendra une place très importante est Joseph Limperani. Nous restons en famille puisque Limperani est le neveu des deux frères Sebastiani. Magistrat, il est lui aussi tout dévoué à Louis-Philippe qui le fait nommer conseiller à la Cour Royale de Bastia. Il est élu député de la Corse en 1831 et il le restera pendant quatre législatures, jusqu’en 1842. Il a toujours siégé dans la majorité gouvernementale et a voté toutes les lois proposées par le pouvoir. Il faut toutefois remarquer qu’il est celui qui dénonça avec le plus d’insistance et de continuité le régime des lois douanières imposées à la Corse. Le quatrième personnage est Jacques-Pierre Abbatucci. Son grand-père, Don Jacques-Pierre, avait été compagnon de Pascal Paoli puis lieutenant-colonel sous Louis XV, général de division de la République française, lié d’amitié avec la famille Bonaparte et notamment avec Jérôme. Magistrat, Jacques-Pierre fut élu député d’Ajaccio de 1830 à 1831. En 1831, il rompit avec les Sebastiani et entra résolument dans l’opposition. Durant sa députation, il s’est distingué en plaidant pour l’abrogation de la menace de condamnation à mort qui pesait sur les membres de la famille Bonaparte. Trois autres personnages apparaîtront de manière fugace : Ignace Colonna d’Istria, Agénor de Gasparin et Auguste du Roure de Beaumont. Ignace Colonna
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d’Istria qui a fait ses études de droit à Pise effectua, sous l’Empire, une carrière accélérée et franchit au pas de course les étapes de procureur impérial et d’avocat général pour devenir procureur général avant l’âge de trente ans. À la chute de l’Empire il se rallia pourtant avec empressement aux Bourbons. Malgré ce ralliement éclair, il ne put éviter en 1818 de voir sa carrière écornée lorsque se déchaîna une vague d’épurations contre les anciens bonapartistes. La disgrâce sera de courte durée. En 1830 il fut choisi comme député par le collège de la Corse. Mais l’élection fut annulée et il décida de s’effacer. Agénor Étienne de Gasparin était originaire du Vaucluse et n’eut que très peu à faire avec la Corse, sinon qu’il fut élu député de la Corse au deuxième collège en 1842. Il se distingua principalement par son ardeur à promouvoir la religion protestante. Il déplut au maréchal Sébastiani « par son insistance à réclamer une enquête sur l’état de la Corse et il n’obtint pas le renouvellement de son mandat en 1846 ». Enfin Auguste du Roure de Beaumont était un militaire né à Paris et dévoué à la famille Sébastiani qui le fit élire en 1846. Il est principalement un soutien indéfectible de la politique de Guizot. Les Sebastiani, on l’a compris, ont été durant cette période les patrons de la représentation de l’île. La politique de résistance au mouvement et les mots d’ordre provocateurs de Guizot, « enrichissez-vous », font de plus en plus de mécontents. Le régime est sur son déclin et l’opposition se renforce. L’opposition, c’est-à-dire les républicains et les bonapartistes. En février 1848, la monarchie de Juillet s’écroule et LouisPhilippe doit partir en exil. Durant la longue période qui va de 1789 à la Restauration, la Terreur, la rupture de Paoli avec les révolutionnaires, et le Royaume anglo-corse ont eu pour conséquence de compromettre gravement l’adhésion harmonieuse de la population insulaire à un système institutionnel issu de la Révolution. La Corse est proclamée française mais le sentiment qui domine est un sentiment d’extériorité. Ce sentiment est renforcé au moment de la Restauration par la mise au banc de la Corse considérée comme coupable d’avoir engendré Napoléon. Les représentants de la Corse, qui vont s’imposer durant la monarchie de Juillet sont les représentants d’un clan en pleine évolution. Il s’agit d’un clan qui prend des dimensions inégalées. Il ne s’agit plus seulement de principali ou de caporali mais de notables en situation de devenir les intermédiaires privilégiés entre la Corse dans son entier et le pouvoir en France. Un rédacteur du journal Le Républicain proclame le 6 mars 1848 : « comme Corses nous devons nous réjouir d’être sortis de ce long et dur esclavage qui pesait sur nous depuis 1830. En effet, au lieu d’être pour nous une ère de liberté, la révolution de Juillet avait marqué notre asservissement. La Corse était devenue le domaine d’un favori. Rien ne s’y faisait que par sa volonté suprême… » Il s’agit d’une allusion à peu près explicite au système qui est en train de s’installer et qui conduit à une institutionnalisation du vieil esprit claniste hérité de l’Histoire.
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