En semant ses bienfaits dans le cœur des enfants

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Eugène F.-X. Gherardi

En semant ses bienfaits dans le cœur des enfants Regards sur l’éducation en Corse Fin XVIIIe – XIXe siècle

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Cet ouvrage a reçu le soutien de l’UMR CNRS 6240 LISA et de l’Università di Corsica Pasquale Paoli.

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Avant-propos

La verdadera ciencia enseña, por encima de todo, a dudar y a ser ignorante. Miguel de Unamuno

Il y a une dizaine d’années à peine, l’histoire de l’éducation en Corse, exception faite des recherches pionnières conduites par le professeur Jacques Thiers, restait mal connue et considérée comme un simple flatus vocis. La situation était préjudiciable dans le sens où les réponses aux grandes questions que posait et que pose aujourd’hui encore le système éducatif insulaire gagnent à entendre ce que l’histoire peut en partie nous dire. Longtemps laissée en friche, bien que comportant encore de vastes terrae incognitae, la question éducative fait l’objet depuis quelques années de toutes les attentions. Signe tangible de ce regain d’intérêt, l’Histoire de l’école en Corse, ouvrage collectif écrit sous la direction du professeur Jacques Fusina, tentait une première synthèse des connaissances acquises. L’enjeu était de taille. Faute de temps, les rédacteurs de l’ouvrage ont sacrifié quelques chapitres de ce passé méconnu. Le pari, s’il n’a pas été entièrement gagné, a toutefois permis de battre en brèche de nombreux clichés et de questionner avec perspicacité les fondements de notre histoire éducative. Dans le sillon tracé par la « nouvelle histoire » qui a su inclure dans ses objets, depuis le tournant des années 1970, l’histoire de la culture, des mentalités, des sciences, de la famille, de la femme et de l’enfant, de l’éducation et de l’enseignement, notre chantier collectif aura eu le mérite de poser les premiers jalons du travail à accomplir en matière de recueil des sources et d’analyse. L’aventure de l’Histoire de l’école en Corse aura été pour moi comme la « découverte » d’un archipel dont je m’efforce d’arpenter les replis et qui est – je le confesse bien volontiers – aujourd’hui encore une sorte de passion persistante. Dans l’Histoire de l’école en Corse, j’abordais quelques questions auxquelles m’avaient familiarisé une longue fréquentation des archives et des bibliothèques. Ainsi, ai-je pu retourner aux origines de l’université de Corse1, évoquer l’histoire des collèges jésuites de

1. « Aux origines de l’université de Corse », in Histoire de l’école en Corse, J. Fusina éd., Ajaccio, Albiana, coll. Bibliothèque d’histoire de la Corse, 2003, p. 117-174.

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Bastia et d’Ajaccio2, retracer les liens académiques pluriséculaires qui unissent les Corses à l’Italie3, aborder les sociabilités académiques et enseignantes du xviie au xixe siècle4. Avec d’autres, je me suis attelé à tisser les fragments d’une histoire, à en montrer la complexité, à donner sens, à chercher une cohérence dans les stratégies éducatives et les ruptures culturelles. Sur ce point, l’histoire permet de mieux appréhender les questions actuelles sur l’école. Naturellement, ces travaux s’inscrivent sur le terrain de l’histoire de l’éducation. Je ferai l’impasse sur les conflits épistémologiques de frontière et de légitimité. L’histoire de l’éducation ne relève-t-elle pas plutôt de l’histoire que des sciences de l’éducation ? En fait, comme le souligne G. Avanzini, en ces termes le problème est mal posé : « il ne s’agit, en effet nullement, de mieux situer ou de rectifier des frontières mais d’identifier les raisons de ces nouveaux apparentements de savoirs. C’est en effet, poursuit Avanzini, la complexité même de l’activité concernée qui justifie, voire requiert, de l’étudier sous plusieurs faces ; d’où une pluralité d’approches, dont aucune ne suffit à en rendre compte5. » Poursuivant le labour sur le terrain de l’histoire, je me suis autorisé quelques incursions sporadiques sur le terrain de la sociologie. Quoique partielle et balbutiante sur le terrain des sciences humaines, l’interdisciplinarité dévoile des perspectives nouvelles qui élargissent l’horizon. Si entre chaque discipline, l’alphabet utilisé n’est pas toujours le même, des règles syntaxiques souvent identiques permettent en partie une ramification des recherches. Même hésitantes, les interférences sont souvent fertiles. Ainsi, ai-je écrit tour à tour sur l’avènement du collège royal dans la Corse de la monarchie de Juillet6, la formation des élites corses dans la Rome pontificale7, sur l’École centrale du Golo8, sur les écoles dans le questionnaire de l’an X9, sur un « incident critique », la Festa di a Nazione10 qui dès la fin des années 1980 a touché dans l’île tous les établissements du second degré, sur l’élaboration d’une histoire lavissienne de la Corse à la Belle 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9.

10.

« Les sentes corses de la Compagnie de Jésus », Ibidem, p. 193-224. « Du bonnet doctoral à la chaire. Quelques considérations sur la trajectoire des étudiants et professeurs corses dans les universités d’Italie », Ibid., p. 225-257. « En marge de l’instruction publique : formes et figures de la sociabilité littéraire et scientifique en Corse (xviie-xixe siècle) », Ibid., p. 259-337. G. Avanzini, Introduction aux sciences de l’éducation, Toulouse, Privat, coll. Formation/Pédagogie, 1992 [1976], p. 63. « Éducation, aff rontements partisans et logiques régionales. L’avènement du collège royal dans la Corse de la monarchie de Juillet », in Études corses, n° 61, décembre 2005, p. 35-77. « La formation des élites corses dans la Rome pontificale », in Pasquale Paoli. Aspects de son œuvre et de la Corse de son temps, Corte, Università di Corsica Pasquale Paoli, Albiana, 2008, p. 8-25. « Sous le signe de Montaigne : l’école centrale du Golo (1798-1802) », in Strade, n° 16, juin 2008, p. 37-47. « Les écoles du Golo dans le questionnaire de l’an X. Problèmes, enjeux et résonances », in Bulletin de la Société des sciences historiques et naturelles de la Corse, fasc. 720-721, 2008, p. 7-57. Le texte reparaît dans ce volume dans une version remaniée. « La Vierge, les lycéens, la Corse. La “fête nationale” du 8 décembre », in Ethnologie française, n° 3, juillet 2008, p. 479-488.

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AVANT-PROPOS

Époque11, sur les instituteurs du Golo sous le Directoire12, sur les questions sensibles et cruciales du développement durable en Corse13 et de la prise en compte de l’altérité dans l’histoire scolaire14, sur l’image de Napoléon dans les manuels de l’école ferryste15, sur la gymnastique et le credo hygiéniste dans les écoles corses de la fin du xixe siècle16, sur la question de l’enseignement bilingue17, sur la vie scolaire en Corse pendant la Grande Guerre18. Tournant mon regard vers la Troisième République, le parcours de Jean-Pierre Lucciardi (1862-1928) aura retenu toute mon attention19. Lucciardi appartenait à la première génération des « hussards noirs20 » pour reprendre la formule désormais classique de Charles Péguy. Toute la carrière de notre instituteur laisse apparaître la culture d’un indéfectible attachement aux missions fondatrices assignées à l’école laïque. Sa pensée pédagogique exhalait les livres des maîtres de son temps. Il donnait l’image de l’exemplarité et évoquait l’élégance austère et aujourd’hui surannée d’un instituteur parfaitement dans la norme de son temps.

11. « De Vercingétorix à Sambucuccio : remarques sur une histoire lavissienne de la Corse à la Belle Époque. Introduction à la Petite Histoire de la Corse par H. Hantz et R. Dupuch », in Strade, n° 17, 2009, p. 145-152. 12. « Les instituteurs du Golo sous le Directoire : recrutement, positionnement social et sentiments identitaires », in Bulletin de la Société des sciences historiques et naturelles de la Corse, fasc. 724-725, 2009, p. 43-114. Le texte reparaît dans ce volume dans une version remaniée. 13. « Enjeux de l’éducation au développement en Corse : l’esprit, le contexte et l’action », in La Corse et le développement durable, M.-A. Maupertuis éd., Ajaccio, Albiana, Università di Corsica, 2010, p. 299-305. 14. « D’une rive à l’autre : altérité, histoire et culture scolaire en Corse et dans le monde méditerranéen », in Territoires et démocratie culturelle : vers un nouveau contrat éducatif. Actes du Ve congrès international de la Mediterranean Society of Comparative Education (Corti, 4-7 juillet 2011), J.-M. Comiti et Bruno Garnier éd., Biguglia, Stamperia Sammarcelli, Università di Corsica, 2012, p. 126-140. 15. « Une certaine idée de Napoléon : images et représentations dans les manuels scolaires de la IIIe République », in Attentes et sens autour de la présence du mythe de Napoléon aujourd’hui, J.D. Poli éd., Ajaccio, éditions Alain Piazzola, Università di Corsica, 2012, p. 253-274. 16. « Gymnastique et credo hygiéniste en Corse sous la IIIe République : textes et contextes scolaires », in Les sports en Corse, miroir d’une société, L. Martel et D. Rey éd., Ajaccio, Albiana, Musée de la Corse, 2012, p. 52-65. 17. Avec P. Ottavi, « Comprendre et accompagner le développement de l’enseignement bilingue en Corse », in L’enseignement des langues locales : institutions, méthodes, idéologies. Actes des quatrièmes journées des droits linguistiques, Université de Teramo, Italie, 20-23 mai 2010, G. Agresti et M. De Gioia éd., Roma, Aracne editrice, 2012, p. 169-186. 18. « Voici notre monde ! Maître et élèves de Corse à l’épreuve de la Grande Guerre », in Les Corses et la Grande Guerre, S. Gregori et J.-P. Pellegrinetti éd., Ajaccio, Albiana, Musée de la Corse, 2014, p. 142-155. 19. « Jean-Pierre Lucciardi, “hussard noir” et pionnier de l’enseignement de la langue corse », in L’école française et les langues régionales (xixe-xxe siècles). Actes du colloque RedÒc-C.E.O, H. Lieutard et M.-J. Verny éd., Montpellier, Presses universitaires de la Méditerranée, coll. Études occitanes n° 3, 2007, p. 145-161. 20. C. Péguy, « L’argent » (Cahier de la quinzaine, n° 6, 14e série, 16 février 1913), in Œuvres en prose complètes, Paris, Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, 1987, vol. 2, p. 1116.

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Pendant les grandes vacances de 1923, alors que sa carrière professionnelle touchait à sa fin et qu’il dirigeait l’école de Santo Pietro di Tenda, son village natal, Lucciardi prit la plume pour répondre à la demande de l’inspecteur primaire de Calvi. L’instituteur rédigea un Rapport sur l’intérêt à ne point exclure la langue corse des classes afin de consolider le bon apprentissage de la langue française. Comme l’observe, cum grano salis, Alain Di Meglio : « L’école n’ouvre alors qu’une seule brèche pour y faire entrer le dialecte : celle de servir de tremplin à l’acquisition du français21 ». L’école de Jules Ferry imprègne la mémoire française et apparaît pour beaucoup comme l’héritage d’une école simple, authentique et idéale, monolingue, un modèle à reproduire. Fort justement, Mona Ozouf explique que « dans le corbillon de souvenirs que leur lègue l’école laïque, les Français trouvent donc de quoi alimenter un sentiment patriotique d’une exceptionnelle bonne conscience22 ». Quant à Pierre Nora, parvenant à la même conclusion, il note qu’« après avoir été le vaisseau pilote de l’humanité, la France est devenue ainsi l’avant-garde de la mauvaise conscience universelle. Lourde rançon. Singulier privilège23 ». Parfois, le souvenir se meut en tentations réactionnaires. Former de bons citoyens, de bons républicains. Tout l’esprit du système éducatif français tend vers cet objectif. Sous la Troisième République, l’école se voit historiquement enjoindre d’arracher les enfants aux particularismes et aux vieilles croyances pour en faire des citoyens éclairés24. Cette école apparaît comme porteuse d’une identité compacte, homogène et universaliste. La greffe est rendue possible par « la centralisation qui est un trait si enraciné dans la tradition française qu’il est indispensable d’en tenir compte dans l’analyse des pratiques des acteurs de la scolarisation à tous les niveaux25 ». Dans le débat d’idées, cette fascination pour l’école ferryste prend souvent la forme de « regards nostalgiques sur le passé, prolongés de soupirs mélancoliques, pour faire de l’ancien et du jadis les références indépassables d’un présent qui n’aurait pas su les conserver et qui devrait être puni de cette faute de lèse-majesté en traditions et autres mémoires, au mauvais sens du terme26 ». Jean-Pierre Lucciardi méritait bien plus que les quelques pages que j’avais pu écrire sur le sujet. Le personnage, écartelé entre adhésion à la Troisième République et fidélité à la tradition corse, me fascinait au plus haut point. Pour envisager la possibilité d’écrire un ouvrage sur Lucciardi, il me fallait aller à Santo Pietro di Tenda. Fort heureusement, les archives de la famille traversèrent les siècles sans trop de dommages. La documentation 21. A. Di Meglio, « L’avènement de l’enseignement du corse », in Histoire de l’école en Corse, op. cit., p. 514. 22. M. Ozouf, L’école de la France. Essais sur la Révolution, l’utopie et l’enseignement, Paris, Gallimard, coll. Bibliothèque des histoires, 1984, p. 195. 23. P. Nora, Historien public, Paris, Gallimard, 2011, p. 517. 24. F. Dubet, « École : la question du sens », in Éduquer et Former. Les connaissances et les débats en éducation et en formation, J.-C. Ruano-Borbalan éd., Auxerre, éditions Sciences humaines, 2001, p. 327-328. 25. M. Duru-Bellat, A. Van Zanten, Sociologie de l’école, Paris, Armand Colin, coll. U-Sociologie, 2002 [1999], p. 24. 26. J.-M. Barreau, L’école et les tentations réactionnaires. Réformes et contre-réformes dans la France d’aujourd’hui, Paris, éditions de l’Aube, 2005, p. 13.

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AVANT-PROPOS

recueillie à Santo Pietro di Tenda me permettait d’ouvrir la porte du passé dans une approche moins désincarnée, moins générale et parfois plus vivante que je ne pus le faire habituellement. En déblayant les couches successives de ce chantier de fouille, la richesse du matériau laissé dans la poussière m’avait convaincu que ce travail d’archéologie familiale pouvait contribuer à éclairer tout un pan de l’histoire de cette famille d’instituteurs et de poètes corses. Peu à peu, je devinais la vie quotidienne, la vie professionnelle, mais aussi la subtile complexité des relations sociales à l’intérieur comme à l’extérieur de la famille, et les méandres de l’univers intime se révélaient et se dévoilaient à travers les documents du temps. Deux personnages dominent donc l’histoire de la famille Lucciardi : Jean-Pierre et Anton Sebastiano, tous deux instituteurs et poètes de langue corse. Nommé instituteur le 9 octobre 1799, Anton Sebastiano Lucciardi appartient, d’une certaine manière, à cette avant-garde enseignante voulue par le Directoire. Les instituteurs appartiennent grosso modo au monde des petits notables, suffisamment instruits pour prétendre à une carrière enseignante, mais pas assez fortunés pour exercer des fonctions plus prestigieuses. Ni cohérence, ni prestige, ni forte identité ne structurent ce groupe contraint à une vie en demi-teinte. La première caractéristique du métier d’instituteur étant en effet que, si l’on met à part quelques érudits, nul ne saurait pour l’heure en faire une occupation principale. Il est également difficile de saisir les raisons qui conduisent à entamer une carrière enseignante si peu attractive. Tout compte fait, rares auront été dans l’île, au cours de la période post-révolutionnaire, les instituteurs chevronnés et exercés à avoir une posture d’ingénieur capable, face à des situations nouvelles, de structurer ses propres cours et ses propres méthodes. J’écrivais Les Lucciardi. Une famille corse de poètes et d’instituteurs27. Avec des mots, il fallait redonner chair à des personnages inscrits dans une saga familiale. Sans abandonner les méthodes et les outils de l’historien, il ne fallait pas non plus négliger la veine littéraire qui donne corps et consistance au récit. L’histoire s’écrit avec des mots. L’histoire n’est pas une anti-littérature. Elle est d’autant plus scientifique qu’elle est littéraire28. C’est tout autant une certitude à défendre qu’un combat à mener. Au cours de ces années, il m’avait paru aussi nécessaire de concevoir un petit ouvrage de synthèse et de vulgarisation, aussi complet que possible, qui réponde aux exigences de la curiosité des amateurs sans les égarer dans un fatras de notes érudites. Le Précis d’histoire de l’éducation en Corse. Les origines : de Pietro Cirneo à Napoléon Bonaparte29 ne prétend naturellement pas à l’exhaustivité.

27. Les Lucciardi. Une famille corse de poètes et d’instituteurs, Ajaccio, Albiana, Università di Corsica, coll. Bibliothèque d’histoire de la Corse, 2010. 28. I. Jablonka, L’histoire est une littérature contemporaine. Manifeste pour les sciences sociales, Paris, Seuil, coll. La librairie du xxie siècle, 2014. 29. Précis d’histoire de l’éducation en Corse. Les origines : de Petru Cirneu à Napoléon Bonaparte, Ajaccio, CRDP de Corse, 2011.

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Avec La Distribution des prix30, c’étaient les pratiques discursives et les constructions rhétoriques au lycée de Bastia de 1846 à 1920 que j’examinais. Tour à tour, collège jésuite de 1601 à 1768, établissement d’enseignement public en 1770, école centrale en 1798, collège communal en 1808, collège royal en 1843, lycée en 1848, lycée impérial sous le Second Empire, collège et lycée sous la Troisième République, le collège Simon-Jean Vinciguerra connu sous l’appellation toujours vivace de « Vieux lycée », est un lieu important de la mémoire bastiaise et un élément incontournable de l’histoire éducative de la Corse. Dès le xixe siècle, la vie de l’établissement semblait ponctuée par la distribution annuelle des prix remis aux élèves méritants. À Bastia, comme partout en Europe, l’instruction publique, c’était, désormais (ce l’était peut-être même déjà avant Guizot), la culture élaborée par la bourgeoisie gouvernante à l’intention du peuple. Pour ma part, je voulais considérer l’évolution du discours de distribution des prix comme une tradition, à la fois littéraire et scolaire, aux racines profondes. Ce travail reposait donc sur une observation historique et anthropologique à la fois des cérémonies professorales et de l’ensemble des traditions et sociabilités du lycée de Bastia. Il s’agissait, d’une part, de mettre à nu, de repérer la dynamique des usages et coutumes et, d’autre part, de rendre compte, dans une certaine mesure, du rôle conservatoire de cette institution en matière de hiérarchies, de conduites et de symboles. Ces traditions marquèrent profondément l’espace-temps des études, les sociabilités, l’institution elle-même, pour dessiner les contours, changeants, d’un territoire académique. Ces discours sont symboliques d’une évolution de l’idéologie scolaire. L’analyse de ces discours pouvait apparaître un exercice superfétatoire. Toutefois, sur le terrain de l’histoire de l’éducation en Corse, cette analyse aura apporté – je veux l’espérer – quelques précieux enseignements. Entre école vécue et école rêvée, le volume d’Être instituteur en Corse sous le Second Empire31 aura permis de saisir les attentes des instituteurs corses dans les réponses données au concours national voulu en 1860 par Gustave Rouland, ministre de l’Instruction publique. Ce concours prenait la forme d’une question en trois volets, libellée ainsi : « Quels sont les besoins de l’instruction primaire dans une commune rurale du triple point de vue de l’école, des élèves et du maître ? » Plusieurs dizaines d’instituteurs corses adressèrent leurs réponses que nous avions analysées avec mes collègues Vanessa Alberti, Jean-Marie Comiti, Alain Di Meglio, Bruno Garnier, Didier Rey et Dominique Verdoni. Dans l’île, les archives ayant trait à l’éducation sont trop peu valorisées et parfois même menacées dans leur intégrité physique. Que sont devenues les archives des Écoles normales d’Ajaccio ? Quel est le sort des archives de nos écoles de villages ? Que sont devenus, par exemple, les cahiers et les carnets, les notes et les papiers, la correspondance de nos humbles instituteurs corses ? 30. La distribution des prix. Le temps de l’éloquence au lycée de Bastia (1846-1903), Ajaccio, Albiana, Università di Corsica, coll. Bibliothèque d’histoire de la Corse, 2011. 31. Être instituteur en Corse sous le Second Empire, E. F.-X. Gherardi éd., Ajaccio, Albiana, Università di Corsica, 2012.

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AVANT-PROPOS

Au moment où j’écris ces lignes, me reviennent en mémoire les mots de Michel de Certeau observant qu’en histoire, tout commence avec le geste de mettre à part, de rassembler, de muer ainsi en « documents » certains objets répartis autrement32. Car, redisons-le avec Jacques Le Goff, à défaut d’être une science exacte, l’histoire est une science sociale « qui s’appuie sur des bases objectives qu’on appelle les sources33 ». Déjà, en son temps, Marc Bloch soulignait que « c’est une des tâches les plus difficiles de l’historien que de rassembler les documents dont il estime avoir besoin34 ». À l’ère du numérique et des bases de données, l’historien ne peut s’exonérer de l’exigence d’une collecte documentaire rigoureuse sauf à courir à des conclusions hâtives et édifiées sur du sable. Les sources sont donc indispensables et essentielles. C’est une règle intangible : l’historien ne peut être pingre en matière de soubassements archivistiques et plus largement documentaires. Il doit aimer butiner dans les bibliothèques et les dépôts d’archives et apprendre à faire son miel, « sans rien réifier ni clore35 » et en gardant par-dessus tout le goût de l’inaccompli. Mais ce n’est qu’en se hissant au-dessus de la simple description passive des faits que la recherche trouve sa raison d’être. Aujourd’hui, sans être prisonnier de « l’intuition d’un jour ou la mode d’une saison36 », sans être non plus l’homme d’un seul livre, ni dépendant d’aucune école ancienne ou nouvelle, c’est encore à ce travail que je m’emploie, celui d’un humble serviteur de Clio qui sillonne inlassablement ce vaste terrain de l’histoire de l’éducation en Corse et en retourne la terre.

32. M. de Certeau, « L’opération historique », in Faire de l’histoire. Nouveaux problèmes, J. Le Goff, P. Nora éd., Paris, éditions Gallimard, coll. Bibliothèques des histoires, 1974, p. 20. 33. J. Le Goff, Faut-il découper l’histoire en tranches ?, Paris, Seuil, coll. La librairie du xxie siècle, 2014, p. 188. 34. M. Bloch, Apologie pour l’histoire [1942], in L’Histoire, la Guerre, la Résistance. Édition établie par A. Becker et É. Bloch éd., Paris, Gallimard, coll. Quarto, 2006, p. 897. 35. C’est ce que note A. Corbin dans son compte-rendu du Goût de l’archive (Paris, Seuil, 1989). A. Corbin, « Compte rendu : A. Farge, Le goût de l’archive (Paris, Seuil, 1989) », Annales. Économies, sociétés, civilisations, vol. 46, n° 3, 1991, p. 597. 36. F. Furet, Penser le xxe siècle, Paris, Robert Laffont, coll. Bouquins, 2007, p. 403.

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1 Chapitre

Les instituteurs du Golo sous le Directoire : recrutement, positionnement social et sentiments identitaires

En Corse, l’institution scolaire fut tôt au cœur de la réflexion et des pratiques qui ambitionnaient de franciser la société. Elle visait également à renforcer la culture du nouvel ordre étatique né sur les braises incandescentes de la Révolution française. De 1797 à 1799, l’administration centrale du département du Golo organisa le recrutement de plusieurs dizaines d’instituteurs. Voulus par la Révolution, les maîtres du Golo constituèrent une avant-garde enseignante fragile dans son statut. Ne parvenant pas à s’inscrire durablement dans le paysage culturel insulaire, le recrutement des premiers instituteurs contribuait néanmoins à l’émergence d’une petite élite corse acculturée, mais non entièrement assimilée. Le dossier méritait d’être visité. Comme le souligne A. Prost, « l’histoire de la scolarisation en France au xixe siècle est maintenant d’abord une question de sources1 ». En règle générale, le constat vaut également pour l’extrême fin du xviiie siècle. Cet ensemble documentaire, conservé aux archives départementales de la Haute-Corse, montre bien comment s’est dessiné lentement, et avec inquiétude, le recrutement des maîtres d’école sous le Directoire.

LE CADRE JURIDIQUE ET ADMINISTRATIF Un bref rappel chronologique nous servira de fi l d’Ariane. L’éducation connaît en cette fin de xviiie siècle des évolutions très profondes. D. Poulot note que « les Lumières croient pouvoir changer la société par l’éducation2 ». C’est la loi du 22 décembre 1789 qui confie l’instruction publique aux administrations départementales. En mars 1792, AntoineJoseph Dorsch, vicaire général constitutionnel à Strasbourg, adresse à l’Assemblée législative

1. A. Prost, « Pour une histoire “par en bas” de la scolarisation républicaine », in Histoire de l’éducation, n° 57, janvier 1993, p. 74. 2. D. Poulot, Les Lumières, Paris, P.U.F., 2000, p. 262.

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un Projet d’établissement pour l’instruction des maîtres d’école, dans les départements du royaume. Dans son Projet, Dorsch note : « Le seul but de l’institution que je propose est que les maîtres d’école puissent communiquer à leurs élèves les instructions qu’ils y puiseront. Quand ils auraient fait dans les sciences les progrès les plus étonnants, s’ils ne possédaient pas l’art de rendre à d’autres les lumières qu’ils auraient acquises, l’objet de l’établissement serait manqué. Une instruction dont le but sera d’apprendre aux maîtres d’école la manière d’enseigner chaque objet, et de leur faire connaître la nature de leurs devoirs, est donc un complément nécessaire à leur éducation3 ».

Dorsch tient compte des réalités linguistiques de la France et, sans renoncer à propager l’apprentissage et l’usage du français, il indique que « dans un département où deux langues sont en usage, comme le nôtre, par exemple, il faut que les maîtres d’école les possèdent toutes les deux4 ». Le projet de Dorsch reste lettre morte. Les 20 et 21 avril 1792, agissant pour le Comité d’Instruction publique, Condorcet présente à l’Assemblée législative un Projet de décret sur l’Instruction publique. Condorcet conçoit un dispositif qui ferait du système éducatif une sorte de contre-pouvoir. Le Projet précise que les « écoles primaires formeront le premier degré. On y enseignera les connaissances rigoureusement nécessaires à tous les citoyens. Les maîtres de ces écoles s’appelleront instituteurs5 » (Titre I, article II). Il est essentiel à ses yeux d’assurer l’indépendance des enseignants par des procédures de recrutement qui échappent au contrôle politique et administratif. Le plan d’études proposé par Condorcet prévoit la création dans chaque département d’un institut destiné à la formation des maîtres : « Il y aura provisoirement, dans chaque institut, un cours où les personnes qui se destinent aux places d’instituteurs des écoles primaires et secondaires seront formées à une méthode d’enseigner simple, facile, et à la portée des enfants, et où elles apprendront à faire usage du livre qui doit leur servir de guide6. » (Titre IV, art. VIII)

Condorcet prévoit l’ouverture de deux instituts en Corse, le premier à Bastia, le second à Ajaccio. Le débat sur le Projet apprêté par Condorcet est reporté sine die. Deux conceptions s’affrontent : celle de Daunou, Sieyès et Lakanal qui s’inspire de Condorcet, et celle de Lepeletier de Saint-Fargeau favorable à l’obligation scolaire et à la création d’une éducation commune aussi égalitaire que possible que soutiennent ses héritiers spirituels en la personne de Robespierre et Saint-Just. « Déjà apparaissait l’une des faiblesses de la 3. Cité par M. Grandière, R. Paris, D. Galloyer, La formation des maîtres en France 1792-1914. Recueil de textes officiels, Lyon, I.N.R.P., 2007, p. 6. 4. Ibidem, p. 6. 5. Condorcet, Écrits sur l’instruction publique. Rapport sur l’instruction publique. Texte présenté, annoté et commenté par C. Courtel, Paris, EDILIG, 1989, p. 73. 6. Ibid., p. 159.

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LES INSTITUTEURS DU GOLO SOUS LE DIRECTOIRE

Révolution : celle-ci fit une question de parti de l’éducation et nuisit ainsi à son entreprise7. » Toutefois, tout n’est pas abandonné. Si le décret du 18 décembre 1792 stipule « qu’aucune partie de l’enseignement public ne continuerait à être confiée à aucune des maisons des ci-devant congrégations d’hommes et de filles ». Mais les membres des congrégations dissoutes peuvent enseigner à titre individuel et après avoir prêté le serment civique. La loi du 19 décembre 1793 établit pour la première fois la gratuité et l’obligation scolaire de six à huit ans. Quiconque peut ouvrir une école placée sous l’étroite surveillance de la municipalité. Les instituteurs perçoivent un salaire de 20 livres par élève et par an. Les institutrices reçoivent quant à elles un salaire de 15 livres. La loi n’est guère appliquée. Présenté le 24 octobre 1794 par Joseph Lakanal, le Rapport sur l’établissement des écoles normales insiste sur la nécessité d’extraire de l’empirisme la formation des maîtres. « De tout temps, les philosophes qui ont eu quelque génie ont connu ou soupçonné la puissance d’une bonne éducation nationale ; de tout temps, ils ont deviné qu’elle pourrait améliorer toutes les facultés et changer en bien toutes les destinées de l’espèce humaine ; et avec cette simplicité de caractère qu’on nourrit dans la retraite et dans les profondes méditations, les philosophes ont proposé quelquefois leurs vues sur ce sujet à des rois. C’était leur proposer de mettre à bas leur trône. […] C’est ici qu’il faut admirer le génie de la Convention nationale. La France n’avait point encore les écoles où les enfants de six ans doivent apprendre à lire et à écrire, et vous avez décrété l’établissement des écoles normales, des écoles du degré le plus élevé de l’instruction publique. L’ignorance a pu croire qu’intervertissant l’ordre essentiel et naturel des choses, vous avez commencé ce grand édifice par le faîte ; et, je ne crains pas de le dire, c’est à cette idée, qui paraît si extraordinaire, qui s’est présentée si tard, que vous serez redevables du seul moyen avec lequel vous pouviez organiser, sur tous les points de la République, des écoles où présidera partout également cet esprit de raison et de vérité dont vous voulez faire l’esprit universel de la France. Qu’avez-vous voulu, en effet, en décrétant les écoles normales les premières, et que doivent être ces écoles ? Vous avez voulu créer à l’avance, pour le vaste plan d’instruction publique qui est aujourd’hui dans vos desseins et dans vos résolutions, un très grand nombre d’instituteurs capables d’être les exécuteurs d’un plan qui a pour but la régénération de l’entendement humain dans une République de vingt-cinq millions d’hommes que la démocratie rend tous égaux8. »

Le 30 octobre 1794, la Convention nationale adopte un Décret relatif à l’établissement des écoles normales. L’article explique qu’« il sera établi à Paris une école normale où seront appelés, de toutes les parties de la République, des citoyens déjà instruits dans les sciences utiles, pour apprendre, sous les professeurs les plus habiles dans les genres, l’art d’enseigner9 ». Dans un second temps :

7. F. Mayeur, in Histoire générale de l’enseignement et de l’éducation en France, L.-H. Parias éd., Paris, Nouvelle Librairie de France, tome III : De la Révolution à l’École républicaine, 1981, p. 41. 8. Cité par M. Grandière, R. Paris, D. Galloyer, La formation des maîtres en France 1792-1914, op. cit., p. 10-15. 9. Ibid., p. 15.

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« Les élèves formés à cette école républicaine rentreront, à la fi n du cours, dans leurs districts respectifs : ils ouvriront, dans les trois chefs-lieux de canton désignés par l’administration de district, une école normale, dont l’objet sera de transmettre aux citoyens et citoyennes qui voudront se vouer à l’instruction publique, la méthode d’enseignement qu’ils auront acquise dans l’école normale de Paris10 ». (art. 11)

Inspiré par le Rapport Lakanal, le Décret sur les écoles primaires du 17 novembre 1794 supprime l’obligation scolaire et se borne à exiger l’existence d’une école pour 1 000 habitants. L’école est divisée en deux sections : une pour les fi lles, l’autre pour les garçons. Enfin, dans chaque district, un « jury d’instruction » est chargé d’évaluer les capacités des candidats et d’assurer le recrutement ou la destitution des maîtres : « Les instituteurs et les institutrices sont nommés par le peuple ; néanmoins, pendant la durée du gouvernement révolutionnaire, ils seront examinés, élus et surveillés par un jury d’instruction composé de trois membres désignés par l’administration du district, et pris hors de son sein, parmi les pères de famille11. »

Dans une période troublée, l’application des lois et décrets n’est pas une mince affaire. Le 26 avril 1795, dans son Rapport sur la clôture de l’École normale, présenté à la Convention au nom du Comité d’Instruction publique, Daunou en tire les conclusions et propose la fermeture définitive de l’école normale. L’institution ferme définitivement ses portes le 19 mai 1795. Le recrutement des instituteurs n’est pas aisé et la nécessité de grouper plusieurs villages autour d’une école ne simplifie guère la tâche. Les enfants ont parfois de grandes distances à parcourir pour aller en classe. Le 25 octobre 1795, la Convention nationale adopte la loi Daunou qui se réclame de l’héritage de d’Alembert, Condillac et Rousseau mais marque un nouveau recul. Les principes d’obligation et de gratuité disparaissent. Les programmes se réduisent à l’apprentissage de la lecture, de l’écriture, du calcul, des éléments de la morale républicaine (art. 5). Par ailleurs, le traitement des instituteurs est supprimé. Dans chaque département, la loi instaure jusqu’à six jurys d’instruction. Chaque jury est composé de trois membres nommés par les administrations départementales. Le jury d’instruction entend les candidats aux fonctions d’instituteur. Les avis sont transmis à l’administration municipale qui entérine en nommant ou révoquant les instituteurs (art. 2, 3 et 4). Le rôle de l’« État éducateur » se restreint à pourvoir un local pour l’enseignement et à off rir à chaque instituteur un logement avec un jardin attenant (art. 6). La rétribution annuelle versée par les élèves est fi xée par l’administration départementale (art. 8). L’administration municipale peut exempter de cette rétribution un quart des élèves de chaque école primaire, pour cause d’indigence (art. 9). Toutefois, appliquée sous le Directoire, la loi Daunou apparaît comme la charte de l’enseignement primaire jusqu’aux décrets napoléoniens. Cette loi constitue le premier plan d’organisation d’un système d’enseignement concernant tous les degrés.

10. Ibid., p. 16. 11. Ibid., p. 16.

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Le sort des écoles primaires demeure indissociable des écoles normales qui rencontrent de grandes difficultés de mise en place. L’école normale est organisée à Paris par décret du 24 octobre 1794. Il s’agit d’un ensemble de cours destinés à des hommes venus de toute la France et qui devaient répéter ensuite en région, à l’usage des candidats instituteurs, l’enseignement reçu. L’école ouvre ses portes le 20 janvier 1795, mais l’expérience se montre peu concluante. En un mot, l’intervention du Directoire en matière éducative doit être rangée dans l’ordre des mesures devenues indispensables. Toutefois, le régime infléchit la politique de ses prédécesseurs, mais n’en bouleverse pas les principes fondamentaux. L’enseignement mathématique contribue à la fonction éducative et socialisante de l’école primaire. Noyau central de l’enseignement mathématique, l’arithmétique hésite encore entre le calcul purement mécanique et l’arithmétique raisonnée. « Instituer » le jeune citoyen s’avère plus que jamais indispensable. Comment être efficace dans la transmission des savoirs ? C’est avec une grande acuité que se pose le problème de la transposition didactique des connaissances : « C’est parce qu’elles sont des créations spontanées et originales du système scolaire que les disciplines méritent un intérêt tout particulier. Et c’est parce qu’il est détenteur d’un pouvoir créatif insuffisamment mis en valeur jusqu’ici, que le système scolaire joue dans la société un rôle dont on ne s’est pas aperçu qu’il était double : il forme en effet non seulement des individus, mais aussi une culture qui vient à son tour pénétrer, modeler, modifier la culture de la société globale12. »

Lorsqu’il est question d’éducation à la citoyenneté, on pense d’abord à définir ce qu’est la citoyenneté, et ensuite à engager les démarches pédagogiques et didactiques qui permettent de la réaliser. En fait, la pédagogie serait toujours seconde, subordonnée aux modèles politiques et éthiques qu’elle vise à servir. L’éducation civique est, tout à la fois, consubstantielle de l’école de la République et fondatrice du projet démocratique lui-même : pas de République sans identification des principes auxquels s’adossent nos institutions.

UN JURY DE « PERSONNES LES PLUS INSTRUITES ET LES PLUS CONNUES DU PAYS » Après une vague de soulèvements républicains et la formation d’un corps expéditionnaire envoyé par Bonaparte depuis l’Italie, les Britanniques évacuent la Corse en octobre 1796. Le vide institutionnel laissé par la chute du royaume anglo-corse est vite comblé. En novembre, André-François Miot, nommé commissaire général extraordinaire dans l’île, est chargé de rétablir l’ordre républicain et de réorganiser l’administration. Conscient des effets dévastateurs à moyen terme d’une politique trop sévère, Bonaparte lui écrit : « La mission que vous avez à remplir est extrêmement difficile. […] Le Corse est 12. A. Chervel, La culture scolaire. Une approche historique, Paris, Belin, coll. Histoire de l’éducation, 1998, p. 17.

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un peuple extrêmement difficile à connaître ; ayant l’imagination très vive, il a les passions extrêmement actives13 ». Dans ses Memorie, témoignage précieux sur la Corse au xixe siècle, Francesco Ottaviano Renucci évoque le recrutement des instituteurs du département du Golo pendant la Révolution. Écoutons-le : « Je m’occupai avec sollicitude de l’organisation des écoles primaires cantonales. Je pris mes renseignements et recueillis des informations sur les personnes qui, selon la loi, devaient composer le jury d’instruction publique, puis je présentai à l’administration un rapport accompagné d’une proposition de délibération et d’un règlement. Dans ce document, je désignais comme membres du jury les personnes les plus instruites et les plus connues du pays. Je ne m’étais pas limité aux seuls chefs-lieux des trois arrondissements et, pour rendre plus efficace la surveillance des écoles, j’avais créé un jury dans chacun des six anciens districts du Deçà des monts, c’est-à-dire Bastia, Corti, L’Isula [Île-Rousse], Cervioni, A Porta et Oletta. L’administration approuva la délibération et le règlement, et les fit imprimer et brocher, le 31 juillet 1797, avec en guise d’introduction un discours adressé aux citoyens du département. Vous en trouverez quelques exemplaires dans mes papiers. Puis on procéda à la nomination des instituteurs qui devaient passer un examen et posséder une attestation du jury. L’administration fournissait à l’instituteur cantonal la maison et un jardin. Selon l’avis du jury, les presbytères et les couvents qui n’avaient pas encore été vendus furent employés à cette destination. La commune devait payer à l’instituteur une petite rétribution fi xée par délibération de l’administration municipale, dispositions conformes à la loi du 3 brumaire an IV14 [25 octobre 1795]. »

Poursuivant son propos, Renucci évoque son rôle prépondérant dans le recrutement de l’instituteur de son canton natal. « Je me rappelle avoir fait nommer dans le canton de Tavagna mon ancien condisciple au séminaire de A Porta, Cristoforo Battaglini de Peru. On lui attribua comme habitation tout le couvent avec le jardin et ses dépendances, dans l’état florissant où tout cela se trouvait alors. Par la suite, ce jeune homme m’a demandé de le faire admettre parmi les commis de l’administration. Comme il était intelligent et instruit, je l’ai pris dans mes bureaux, avec les appointements de soixante-dix francs par mois. Je lui donnais de nombreuses marques d’attention et, de temps en temps, il recevait une petite gratification15. »

Si l’État peut encourager la création d’écoles primaires, il se doit d’en confier le contrôle et la surveillance quotidienne aux notables locaux. Le recrutement reçoit l’assentiment des administrateurs centraux du département qui valident et paraphent les arrêtés de nomination des instituteurs. Mentionnons Francesco Antonio Arena, Giacinto Arrighi, 13. Lettre de N. Bonaparte à Miot, commissaire du Directoire exécutif. Quartier général, Vérone, 3 frimaire an V [23 novembre 1796], in Correspondance générale publiée par la Fondation Napoléon, sous la dir. de T. Lentz, Paris, Fayard, 2004, tome premier, p. 676. 14. F. O. Renucci, Memorie 1767-1842. Introduction, traduction et notes de J. Thiers, Ajaccio, Éditions Alain Piazzola, 1997, p. 210. 15. Ibidem, p. 210.

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Gian Quilico Benedetti, Gian Tommaso Casale, Paolo Felice Graziani, Nicolas Olivetti16, Francesco Ottaviano Renucci, Giuseppe Salvini. Les membres du jury sont proposés à l’administration centrale par les administrations cantonales, sur lesquelles il faut s’arrêter un instant. Il n’est pas aisé d’atteindre la réalité d’une institution et de rendre compte de son fonctionnement. Le district, structure voulue par l’Assemblée constituante en l’an II, est remplacé par les municipalités cantonales. Pour faire obstacle à l’esprit jacobin, la Constitution de l’an III établit une municipalité cantonale composée d’un président, élu par l’assemblée primaire du canton, et des agents municipaux des communes. Un commissaire du Directoire siège auprès de chaque municipalité cantonale. Les municipalités cantonales évoluent mal17. Nulle part, ou presque, elles ne fonctionnent conformément à l’organisation initialement prévue18. En outre, les connaissances des membres des municipalités cantonales en matière de langue française sont souvent fragiles et suscitent des difficultés. C’est ce qui ressort de nombreux éléments de la correspondance adressée par les municipalités cantonales à l’administration centrale du département du Golo. Comment évaluer chez un candidat les compétences dans une langue que les examinateurs eux-mêmes possèdent assez péniblement ? En Corse comme à travers tout le pays, le style qui fait la part belle à la rhétorique révolutionnaire ne parvient pas à camoufler les difficultés d’expression. « Au-dessous du français des porte-parole de la révolution “bourgeoise” qui s’installe sur le théâtre du pouvoir (avec sa palette de styles oratoires, techniques, littéraires, adaptée à la recherche des effets politiques), nous avons ainsi le français besogneux des citoyens “actifs” qui font la force expressive du nouveau régime. Ce français des bas degrés des appareils, imitant des modèles venus d’en-haut sous la brusque pression des événements, nous paraît aujourd’hui relativement maladroit, ou “incorrect” (F. Brunot va jusqu’à parler de “français écorché”), tandis que certains des modèles nous paraissent d’un pédantisme désuet19. »

Notoriété et fortune sont en correspondance. Pour la plupart, il s’agit donc de notables acquis aux idéaux de la Révolution comme Pietro Saturnino Saturnini de Lama, médecin à l’hôpital de Corte et membre pour le jury de Canale ; Gian Battista Filippini, d’Olmi Cappella, « quale cittadino è un buon Republicano, famoso medico, filosofo, rettorico, storico, matematico, armetico, ed in una parola è un uomo dotato di tutte le scenze, e per tale è stato riconosciuto dal cittadino Miot. » (document 46)

16. Cf. Gherardi E., « Olivetti Nicolas », Dictionnaire historique de la Corse, A. L. Serpentini éd., Ajaccio, Albiana, 2006, p. 702. 17. J. Godechot, Les institutions de la France sous la Révolution et l’Empire, Paris, P.U.F., 1989 [1951], p. 474-476. 18. J. Morange, « Les municipalités de canton », in Les communes et le pouvoir de 1789 à nos jours, L. Fougère, J.-P. Machelon, F. Monnier éd., Paris, P.U.F., 2002, p. 140. 19. R. Balibar, L’institution du français. Essai sur le colinguisme des Carolingiens à la République, Paris, P.U.F., 1985, p. 146.

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ou comme Giuseppe Maria Giacobbi, de Venaco, juge au tribunal civil, qui répond avec enthousiasme à sa nomination par l’administration centrale (doc. 13). À Bastia, la présidence de l’administration municipale du canton échoit à Paul-Louis Stefanini20. Ce dernier n’est pas un inconnu. Avocat au Conseil supérieur de la Corse en 1790, il est nommé sous-préfet de Bastia en 1811, 1812 et 1815. Dans le Campoloro, les membres du jury sont pour la plupart issus de familles nobles ou notables. Saverio Ciceretti, président de l’administration municipale du canton de Campoloro, maire-adjoint de Cervione de 1800 à 1812, est issu d’une famille provenant de Barcelonnette qui s’établit à Bastia au début du xviie siècle comme pharmaciens, épiciers, marchands de cierges et entrepreneurs en pompes funèbres. La famille se fi xe à Cervione à la fin du xviie siècle. Originaire de Sant’Andrea di Cotone, Gian Fiore Cotoni appartenait à la famille la plus influente de l’ancienne piève21. Par ailleurs, Cotoni exercera les fonctions de maire de Sant’Andrea de 1801 à 1815. P.J. Suzzoni est issu d’une famille originaire de Carcheto d’Orezza qui s’établit à Cervione peu avant 1729 et prend une part active au combat national insulaire sous la conduite du roi Théodore de Neuhoff, puis de Pascal Paoli. Ventura est issu d’une famille établie à Cervione à la fin du xviiie siècle et dont la souche est à Carcheto d’Orezza. Mais les problèmes ne manquent pas. Ainsi, à Cervione, Ciceretti ne parvient pas à coopter Giulio Serpentini, qui décline l’invite pour des raisons de santé (doc. 20). En outre, pour compliquer un peu plus sa tâche, Ciceretti déplore l’absentéisme persistant des membres du jury (doc. 21).

LES INFORTUNES D’UNE AVANT-GARDE ENSEIGNANTE : ÉLÉMENTS PROSOPOGRAPHIQUES Sur fond de tensions avec l’Église, le choix des instituteurs retient prioritairement l’adhésion aux principes révolutionnaires. Il s’agit de moraliser en s’instruisant. La morale vise à modeler l’homo novus de la Révolution. Cette éducation associe deux éléments complémentaires qui s’enrichissent l’un l’autre : une formation à la civilité, une éducation à l’intérêt général. Une société n’est pas simplement une juxtaposition d’intérêts d’hommes et de femmes ; c’est aussi un groupe dont l’intérêt général est supérieur à la somme des intérêts particuliers. Du fait de l’ancienne mainmise confessionnelle sur l’école, les commentaires sur la « scuola de’ preti » reviennent fréquemment (doc. 7). Cependant, il faut souligner le nombre important de prêtres et de moines défroqués qui postulent aux fonctions d’instituteur. Dès 1798, les écoles tenues par les prêtres constitutionnels ont les faveurs des familles. Cette situation marque « le début de la lutte qui allait opposer l’école des fi ls de Voltaire à celle des

20. Cf. Gherardi E., « Paolo-Luigi Stefanini », Dictionnaire historique de la Corse, A. L. Serpentini éd., Ajaccio, Albiana, 2006, p. 935-936. 21. A.-D. Monti, Cervioni et le Campulori au fil des ans, Biguglia, Stamperia Sammarcelli, 2002, p. 113.

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fils de croisés22 ». Par ailleurs, il est également laborieux d’évaluer la loyauté d’instituteurs, républicains engagés23. D’une manière plus générale, on doit souligner que le recrutement social des instituteurs est relativement diversifié et se fait dans le clergé, dans les sphères de la bourgeoisie urbaine mais aussi dans le monde de la petite notabilité rurale. Le salaire reste fort modeste. L’instituteur se voit confier un logement et doit se tenir dans la « juste » distance en matière de relations sociales. Il assume le rôle d’intermédiaire, de médiateur entre le monde des élites et du pouvoir et le peuple. De façon manifeste, l’instituteur ne parvient pas complètement à remplir sa mission et peine à s’exhausser au-dessus des contingences matérielles qui, souvent, l’écrasent. De toute évidence, il n’est pas aisé de mettre en évidence la sociologie du personnel enseignant : « Par quels moyens l’État peut-il donc se procurer les meilleurs éducateurs pour sa jeunesse ? Tous les auteurs aussi bien de l’Ancien Régime que de la période révolutionnaire se rejoignent pour considérer comme un préalable nécessaire la réévaluation de la fonction enseignante dans l’échelle de l’estime sociale24. »

Les instituteurs du Golo appartiennent grosso modo au monde des petits notables, suffisamment instruits pour prétendre à une carrière enseignante, mais pas assez aisés pour exercer des fonctions plus lucratives. Ni cohérence, ni prestige, ni forte identité ne structurent ce groupe contraint à une vie en demi-teinte. En effet, la première caractéristique du métier d’instituteur est que, si l’on met à part quelques érudits, nul ne saurait pour l’heure en faire une profession. Il est également difficile de saisir les raisons qui conduisent à entamer une carrière enseignante si peu attractive. La chose est connue, les instituteurs « étaient mal payés et ne jouissaient que d’une faible considération. C’est pourquoi ceux qui embrassaient cette profession le faisaient parce qu’ils avaient échoué ailleurs25 ». Certes Francesco Ottaviano Renucci, comme d’autres, est conscient que tant qu’un corps d’instituteurs convenablement formés et normalement rémunérés n’aura pu être constitué, l’instruction publique n’accomplira que de maigres progrès. Comme le rappelle justement F. Mayeur : « La Révolution française a beaucoup pensé sur l’éducation future des Français. Elle y voyait le moyen de forger l’unité des citoyens autour des grands principes de liberté, d’égalité politique et de fraternité au-delà de toutes les barrières sociales et matérielles qui pouvaient subsister26. » Toutefois, les grands principes scolaires de la Révolution apparaissent comme des anticipations qui ne sont pas toutes immédiatement suivies d’effet :

22. R. Dufraisse, « L’éducation durant la période révolutionnaire 1789-1815 », in Histoire mondiale de l’éducation, G. Mialaret, J. Vial éd., Paris, P.U.F., vol. 2, p. 321. 23. H.-C. Harten, « Mobilisation culturelle et disparités régionales. Écoles, alphabétisation et processus culturel pendant la Révolution », in Histoire de l’éducation, n° 42, mai 1989, p. 111-137. 24. D. Julia, Les trois couleurs du tableau noir. La Révolution, Paris, Belin, 1981, p. 139. 25. M. De Vroede, « La formation des maîtres en Europe jusqu’en 1914 », in Histoire de l’éducation, n° 6, avril 1980, p. 41. 26. F. Mayeur, Histoire générale de l’enseignement et de l’éducation en France, tome III : De la Révolution à l’École républicaine (1789-1930), Paris, Perrin, coll. Tempus, 2004 [1981], p. 23.

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« En somme, l’œuvre de la Révolution a été dans l’ordre scolaire ce qu’elle a été dans l’ordre des choses sociales et politiques. L’effervescence révolutionnaire a été éminemment créatrice d’idées neuves ; mais, pour ces idées, la Révolution n’a pas su créer d’organes qui les fassent vivre, d’institutions qui les réalisent. Soit parce que ses conceptions étaient souvent démesurées, soit parce que les institutions ne s’improvisent pas, ne se tirent pas du néant, et que, celles de l’Ancien Régime étant abattues, les matériaux indispensables pour les reconstructions nécessaires faisaient défaut, soit plutôt pour l’une et l’autre raison à la fois, la Révolution a proclamé des principes théoriques plus qu’elle n’en a fait des réalités27. »

De nombreuses difficultés surgissent lors de la mise en œuvre de la procédure de recrutement des instituteurs qui intervient dans un environnement souvent hostile. Dans plus d’un canton, le jury se voit confronter à l’absence de postulants. C’est notamment le cas dans le canton du Golo, où Antonio Luigi Arrighi et Jean-Augustin Santini, « dottore di medicina, conosciuto per il suo talento, per il suo patriottismo e per la sua sana morale » (doc. 36), l’attribuent à l’incivisme et aux contre-révolutionnaires : « abbiamo veduto con ramarico il tenue numero de’ soggetti presentatisi per oggetto così importante e non possiamo attribuirlo che all’incivismo ed alle cabale de’ cattivi. » (doc. 34)

Lorsqu’il peut s’effectuer, l’examen est sommaire. Le peu d’engouement manifesté par les candidats pose un véritable problème et demande explication. Partout, le constat est le même : les populations conservent toute confiance aux ecclésiastiques. « L’attachement des campagnards au passé est entretenu, il est vrai, par des agents secrets, les uns fort conscients et les autres non. Les agents volontaires du passé, bien entendu, ce sont les prêtres. Car ce sont eux qui tisonnent les anciens usages, accordent ou refusent au gré de leurs humeurs les bénédictions nuptiales, font monter le prix des messes, imposent le recours à un chapelet qu’on oublierait sans eux, déployant leur “fanatisme” et leur turbulence à l’intérieur des maisons où ils se tiennent terrés. […] Car il faut compter aussi avec les femmes, catégorie d’autant plus dangereuse qu’en elle vit, non l’intention explicite de faire revivre le passé, mais, plus profondément, le besoin du passé28. »

À Cervione, en août 1797, le jury fait état de « l’animo di alcuni torbidi che vi sono, questi deridono le leggi republicane e le disprezzano in tutti i punti e si spacchiano publicamente che fra breve vi sarà una nuova rivolta » (doc. 19).

À La Porta, en septembre 1797, le jury s’interroge sur la pénurie de candidats et croit y déceler l’influence néfaste de l’Église : « Noi non possiamo dirvi precisamente se questo sia l’effetto della ignoranza nella quale (per colpa delle amministrazioni municipali), il pubblico si ritrova di questo importantissimo stabilimento o se piuttosto sia l’effetto della poca importanza e del disprezzo che gl’insolenti nemici della Repubblica cercano di ispirare nel popolo, poi queste scuole consigliando i padri a tenerci lontani i loro figli ; nelle quali non dovendosi insegnare (dicono questi scellerati i principj della religione che essi non hanno che in bocca, per disporne sempre più il popolo

27. É. Durkheim, L’évolution pédagogique en France, Paris, P.U.F., coll. Quadrige, 1999 [1938], p. 349. 28. M. Ozouf, L’école de la France, op. cit., p. 67-68.

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