Études corses n° 76

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En couverture : Corsica Viva, n°1, février 1963 (J.-J. Filippi) ISBN : 978-2-8241-0629-8 ISSN : 0338-361-X © Tous droits de publication, de traduction, de reproduction réservés pour tous pays. Albiana, 2013

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É T UDES CORSES N° 76 – JUIN 2013 A SSOCIATION

DES

C HERCHEURS

EN

S CIENCES

HUMAINES

(domaine corse)

STUDII CORSI È MEDITERRANII

ET MÉDITERRANÉENNES

ALBIANA/ACSH

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SOMMAIRE Varia De l’âge du Bronze à l’âge du Fer entre Ortolu et Rizzanese (Corse-du-Sud) « seconde partie » : hypothèses paléodémographiques et territoriales Kevin Peche-Quilichini

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Rivalités et stratégies des caporaux pour la domination de la Balagne (XVe-XVIe siècles) Antoine Franzini Les possibilités d’une île. Quelles concurrences pour le cabotage corse ? (XVIIIe

XIXe

39

siècle)

Christopher Denis-Delacour

83

Flaubert et la Corse : mythes et réalités d’une relation de voyage Edmond Maestri

107

Le bonapartisme ajaccien à la fin du XIXe siècle, défense et promotion d’une identité culturelle. Charles Renucci

137

Patrimonialisation des musiques de Corse : le violon dans un processus musical identitaire Laurence Felici

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ÉTUDES CORSES, N° 76 ALBIANA/ACSH JUIN 2013

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KEWIN PECHE-QUILICHINI

De l’âge du Bronze à l’âge du Fer entre Ortolu et Rizzanese (Corse-du-Sud) (II) : hypothèses paléodémographiques et territoriales Cet article constitue la suite d’un précédent travail publié dans les Études corses (n° 74), où l’on a proposé une analyse exhaustive des mobiliers mis à jour pendant 50 ans par différentes équipes dans la microrégion du Sartenais, dans le sud-ouest de la Corse, pour une période comprise entre le Bronze ancien et la transition entre le premier et le second âge du Fer. Cette première synthèse avait pour but l’estimation du potentiel heuristique de ces données brutes puis, dans la mesure du possible, la réalisation d’un cadre chronologique fondé sur les évolutions techniques et morphologiques des vaisselles céramiques, qui faisait jusqu’ici défaut. Malgré de sérieux biais conditionnés par l’homogénéité du degré de contextualisation des collections, la mise en perspective chronologique de l’ensemble des données a permis d’observer des tendances pouvant être considérées comme fiables car répétitives. La mobilisation de l’information temporelle fournie par l’étude céramique montre une représentation plus ou moins forte des tranches temporelles concernées pour la Protohistoire dans le Sartenais (de 2000 à 600 av. J.-C.). La lecture de la grille ainsi produite montre que deux époques se placent au-dessus de l’écart à la moyenne de représentativité statistique : le Bronze ancien 2 et surtout le Bronze final 1-2. À l’inverse, on souligne une carence de données pour le milieu et la fin du Bronze moyen. Ne pouvant pas être entièrement imputées à des

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carences d’ordre archéologique ou taphonomique, ces constatations apparaissent comme l’écho de modifications à caractère social que l’on ne peut en l’état que deviner sans les expliquer, mais qui sont caractérisées par des phases d’emprise et de déprise territoriale.

PERSPECTIVES DE DILATATION ET DE RESSERREMENT DÉMOGRAPHIQUE

L’équipe de recherche dirigée par A. D’Anna a récemment développé une hypothèse sur l’évolution des conceptions territoriales dans le Sartenais entre le Néolithique moyen et la fin de l’âge du Bronze 1. Cette construction s’appuie essentiellement sur une analyse polythétique des contextes mégalithiques de la microrégion de Cauria. Notre analyse se pose en complément de cette étude, en se focalisant sur les sites fortifiés et les habitats de l’âge du bronze. Elle met en évidence un modèle évolutif de l’occupation des habitats perchés entre Bronze ancien et deuxième âge du Fer déjà pressenti dans la région 2. La figure 1 illustre l’existence de deux périodes privilégiées, parfois représentées sur un même gisement 3. Un premier groupe d’occupations occupe une tranche temporelle située entre le XIXe et le XVIIIe siècle, soit la deuxième moitié du Bronze ancien et la charnière avec le Bronze moyen. Cette époque, peut-être marquée par une poussée démographique, voit le réseau de torre et de casteddi se mettre en place. Les trois siècles qui marquent les phases moyennes du Bronze moyen sont caractérisés par la rareté, et souvent l’absence, de témoignages matériels (stress démographique ?). Le second groupe est constitué d’occupations centrées sur la fin du Bronze récent et le Bronze final, globalement 1. D’ANNA André, GUENDON Jean-Louis, PINET Laurence & TRAMONI Pascal, « Espaces, territoires et mégalithes : le plateau de Cauria (Sartène, Corse-du-Sud) au Néolithique et à l’âge du Bronze », in DUHAMEL Pascal (dir.), « Impacts interculturels au Néolithique moyen : du terroir au territoire : sociétés et espaces », Colloque interrégional sur le Néolithique (Dijon, octobre 2001), Revue archéologique de l’Est, 25° supplément, 2006, p. 191-213. 2. PECHE-QUILICHINI Kewin, « Les fouilles Grosjean à Alo-Bisughjè (Bilia, Corse-du-Sud). Le mobilier céramique », Bulletin de la Société des Sciences historiques et naturelles de la Corse, n° 718-719, 2007, p. 101-129. 3. Les traits gras renvoient à des phases d’occupation avérées. Les traits fins témoignent d’occupations plus incertaines ou non parfaitement caractérisées.

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entre 1300 et 900 avant notre ère. Une bonne partie des casteddi a torra est réoccupée à cette époque 4, qui connaît parallèlement l’intégration supposée des statues-menhirs armées dans les nombreux monuments de pierres dressées qui ponctuaient déjà l’espace du Sartenais aux époques précédentes 5. Le mobilier céramique montre qu’il ne s’agit pas d’une simple reprise. Il a tant changé, morphologiquement et techniquement, qu’il ne peut que témoigner du fait que les dynamiques culturelles (et sociales ?) du Bronze ancien et moyen ont basculé. Un système matériel dominé par des références sardes (productions funéraires surtout), padanes, toscanes et latiales, donc tyrrhénien, au Bronze ancien et moyen, est très rapidement remplacé par un mobilier dont l’influence stylistique et technologique, à rechercher dans les courants nord-italiens du Bronze final (groupes ProtoGolasecca, Pont-Valperga et Protoligure 6), est donc continentale. Certaines techniques, comme l’aplatissement des fonds sur vannerie, ainsi que la fréquence des formes basses, attestent toutefois du maintien d’une ambiance commune au sud de la Corse et à la Gallura, l’Anglona ou la Nurra 7, à une époque où la construction des torre et des nuraghi cesse. Il s’agit là d’une véritable rupture, aussi observable dans la plupart des régions méditerranéennes. En Italie du nord et en Suisse, voire jusqu’en Italie centrale, on considère qu’elle résulte des conséquences d’une phase 4. En Sardaigne centro-occidentale, USAI Alessandro, « Sistemi insediativi e organizzazione delle comunità nuragiche nella Sardegna centro-occidentale », in Preistoria e Protostoria della Toscana. Atti della XXXIV riunione scientifica (Florence, septembre-octobre 1999), Florence, IIPP, 2001, p. 215-224, a noté que les habitats du Bronze final ne se développent qu’autour de nuraghi alors même que la construction de ces derniers cesse durant cette période. Dans la plupart des cas, l’occupation se superpose à un habitat préexistant mais on connaît également des fondations ex-nihilo autour de nuraghi monotorre. 5. D’ANNA André, GUENDON Jean-Louis, PINET Laurence & TRAMONI Pascal, « Espaces, territoires et mégalithes… », art. cit. p. 191-213. 6. RUBAT BOREL Francesco, « Tra Protogolasecca e Gruppo RSFO : il gruppo Pont-Valperga e il Bronzo finale nel Piemonte nordoccidentale », in VITALI Daniele (dir.), « Celtes et Gaulois, l’archéologie face à l’histoire », 2, La Préhistoire des Celtes, Atti del Colloquio di BolognaMonterenzio (mai 2005), Bibracte, n° 12, 2006, p. 197-202 ; VENTURINO GAMBARI Marica (dir.), La necropoli protogolasecchiana di Morano sul Po, Casale Monferrato, Museo Civico di Casale Monferrato, 2000. 7. Nous avons précédemment défini et nommé ce faciès « Apazzu – Cucuruzzu – Castidetta » dans PECHE-QUILICHINI Kewin, « La céramique du Bronze final dans le sud de la Corse : état de la question et recherches récentes », in GASCO Jean & VITAL Joël (dir.), La céramique du Bronze final dans la moitié sud de la France, Actes de la journée d’étude (Lyon, juin 2011), Documents d’Archéologie Méridionale, à paraître.

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climatique aride, marquée par l’abaissement généralisé du niveau des nappes phréatiques et des lacs alpins vers 1170 av. J.-C. 8, dont on connaît l’importance dans les systèmes économiques palafittiques et terramaricoles 9, ou des conséquences d’une surexploitation agricole du milieu. En Égée et au Proche-Orient, légèrement postérieure (ne pouvant donc pas être considérée comme une cause des changements survenus en Occident), elle est interprétée comme un phénomène social, voire politique, qui aurait provoqué l’effondrement des hiérarchies établies durant l’Helladique récent et entraîné d’importants mouvements de populations. Des migrations sont également supposées au XIIIe siècle dans l’est de la Sicile et les Îles Éoliennes où, suite à une destruction violente, les habitats de culture Thapsos-Milazzese sont réoccupés par des groupes (Sicules et Ausoniens ?) dont l’expression culturelle (cultures Pantalica-Caltagirone et Ausonio I) est fortement empreinte de traditions continentales sub-apenniniques 10. Si ces instabilités constatées en plusieurs contextes de Méditerranée centrale entre la fin du XIIIe et le début du XIIe siècle constituent bien une réalité historique, il conviendra de ne pas mésestimer l’impact d’éventuelles réactions en chaîne relatives aux divers degrés d’interaction qui s’exercent entre ces sociétés. À ce jour en Corse, aucune hypothèse ne vient expliquer la rareté de l’habitat perché dans le Sartenais au cours du Bronze moyen et récent. Les 8. Les analyses des oscillations glaciaires mesurées sur les glaciers du Lys (Val d’Aoste, Italie) et d’Aletsch (Valais, Suisse) montrent que l’Europe occidentale connaît un optimum de chaleur entre 1500 et 1000 BC, confirmé par la courbe du 14C (HOLZHAUSER Hanspeter, MAGNY Michel & ZUMBUHL Heinz Jürg, « Glacier and lake-level variations in west central Europe over the last 3500 years », Holocene, n° 15, 2005, p. 789-801 ; MAGNY Michel, « Holocene climate variability as reflected by mid-European lake-level fluctuations and its probable impact on prehistoric human settlements », Quaternary International, n° 113, 2004, p. 65-79). Les répercussions se font sentir au moins jusqu’en Toscane, où la mesure des variations du Lago dell’Accesa est superposable aux analyses menées en contexte alpin (RAVAZZI Cesare, « Ambiente e clima nell’area alpina tra la fine del Neolitico e l’inizio dell’età del Ferro : evidenze dalle successioni lacustri e dai depositi glaciali », in LEONARDI Giovanni (dir.), La crisi del secolo XII a.C. nella pianura padana centro-orientale : premesse, cause, esiti. Atti del seminario (Padoue, juin 2008), à paraître). Dès lors, on peut clairement envisager un impact climatique sur la Corse. 9. BERNABO-BREA Maria & CARDARELLI Andrea, « Le terramare nel tempo », in BERNABO-BREA Maria, CARDARELLI Andrea et CREMASCHI Mauro (dir.), Le Terramare. La più antica civiltà padana, Milan, Electa, 1997, p. 295-301 ; CARDARELLI Andrea, « L’organizzazione sociale e politica delle comunità », in ibid., p. 653-660. 10. BERNABO-BREA Luigi, « Pantalica. Ricerche intorno all’Anáktoron », Cahiers du Centre Jean Bérard, XIV, Institut français de Naples, 1990, p. 30.

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Fig. 1

Fig. 2

carences de la recherche archéologique ne suffisent pas à éclairer la situation, dans ce secteur de l’île où les travaux sont, de loin, les plus nombreux. Ces variations dans le degré apparent (car dépendant tout autant de facteurs naturels – érosion, recouvrement, etc. – qui semblent toutefois limités pour l’âge du Bronze dans le Sartenais, que de biais archéologiques) d’occupation de l’espace peuvent être estimées à partir d’un indice de représentation (fig. 2), produit du rapport entre le nombre de sites et la durée de la phase d’occupation (ou durée cumulée des phases

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d’occupation par tranches de deux siècles, soit huit tranches), sans tenir compte des contextes sépulcraux (Acciola, Murteddu, coffre de Palaghju, Minza-Castellucciu, Cuntrasarda et Punta Patania) car il s’agit ici toujours d’ensembles clos supposés ou de dépôts successifs vidangés. Dans un second temps, la traduction graphique s’obtient par calcul de l’écart à la moyenne 11 ; celle-ci étant ensuite mise au centième pour en faciliter la lecture (n : nombre d’occupations ; a : durée estimée de l’occupation en années). Le résultat donne 8,375. [(n x a n° 1) + (n x a n° 2) + (n x a n° 3) + (n x a n° 4) + (n x a n° 5) + (n x a n° 6) + (n x a n° 7) + (n x a n° 8)] 8/100 La figure 2 illustre plusieurs phénomènes généraux interprétables non comme des réalités démographiques mais comme des tendances générales, à partir de la figure 1. Les volumes illustrent les phases de déprise lorsqu’ils sont sous la moyenne et les phases d’emprise lorsqu’ils se situent au-dessus. Ces résultats devront être pondérés en tenant compte de la notion de statut et d’indépendance ou de regroupement des habitats et de leurs habitants. En effet, il est possible que l’habitat se soit resserré à une époque α sur un site β, faisant ainsi considérablement baisser la valeur de représentativité moyenne de α alors que β a très bien pu voir sa population surmultipliée par une constitution synœcistique 12. On gardera aussi à l’esprit les probables variations de la densité en fonction du site, de l’époque d’occupation ou d’autres facteurs inestimables 13. 11. BERGER Jean-François, MAGNIN Frédéric, THIEBAULT Stéphane & VITAL Joël, « Emprise et déprise culturelle à l’Âge du Bronze : l’exemple du Bassin Valdainais (Drôme) et de la moyenne vallée du Rhône », Bulletin de la Société préhistorique française, n° XCVII, 2000, p. 95-119, en particulier la fig. 9. 12. Comme cela est par exemple le cas en Calabre au début du Bronze récent : « È pienamente confermata la tendenza già rilevata nel BM3, per cui, pur non essendo diminuiti di numero di insediamenti, sono aumentati gli abitati di maggiori dimensioni » (BETELLI Marco, BERNABO-BREA Maria, DI GENNARO Francesco, LEVI Sara Tiziana, MARINO Domenico, PACCIARELLI Marco, PERONI Renato & VANZETTI Alessandro, « L’età del Bronzo media e tarda in Calabria », in Preistoria e Protostoria della Calabria. Atti della XXXVII riunione scientifica (Scalea, septembreoctobre 2002), Florence, IIPP, 2004, p. 329). 13. On sait par exemple à ce sujet que chez la plupart des groupes terramaricoles, plus l’habitat est petit et plus la densité y est importante (CARDARELLI Andrea, « The evolution of

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La faible valeur qui marque l’intervalle 2200-2000 BC est vraisemblablement due à la non-prise en compte des gisements assimilés au Terrinien final dispersés sur le secteur et appartenant probablement pour certains d’entre eux à cette tranche chronologique (Cauria/Grecu, Punta di Grossa, etc.). Les datations absolues réalisées à I Calanchi-Sapar’Alta 14, ainsi que le mobilier livré par les abris du massif du Grecu 15, montrent bien la contemporanéité de la dernière phase d’une culture néolithique final chalcolithique avec les premières manifestations du Bronze ancien, voire au-delà 16. Au plein Bronze ancien, à partir de 2000 BC, le nombre de gisements croît pour atteindre un pic vers la fin de la période (vers 1700 BC). Les premiers temps du Bronze moyen semblent caractérisés par une déprise particulièrement spectaculaire. Elle contraste d’autant plus avec la multiplication des occupations qui caractérise le début du Bronze final dans la région. La courbe 1 (lissée par extrapolation globale) reprend les valeurs cumulées pour le Sartenais. Les courbes 2 et 3 synthétisent les résultats obtenus respectivement dans la vallée du Tàravu et dans la région de Porto-Vecchio, autres zones de Corse méridionale. La remarquable superposition Sartenais/Tàravu jusqu’au milieu du Bronze moyen, suivie de l’extrême rareté des témoignages du Bronze final dans ce dernier secteur, restent inexplicables (carence des prospections ? ; enfouissement et/ou érosion des gisements ?). La courbe de PortoVecchio est globalement superposable à celle du Sartenais, bien qu’écrasée car le nombre de gisements étudiés y est plus restreint. Les données en cours de collecte pour l’Alta Rocca s’annoncent comme similaires aux courbes Sartenais/Porto-Vecchio. La principale information à retenir est donc le resserrement de l’habitat dans le sud de la Corse pendant le début du Bronze moyen. Celui-ci pourrait être la résultante d’un regrousettlement and demography in the Terramare culture », in RITTERSHOFFER Karl-Friedrich (dir.), Demographie der Bronzezeit. Paläodemographie. Möglichkeiten und Greizen (Francfort, mai 1989), Francfort, Espelkamp, 1997, p. 230-237). Ce phénomène tend à écraser les écartstypes de représentations graphiques de type Rank-size rule, dont il sera question plus loin. 14. CESARI Joseph, « Sollacaro. I Calanchi-Sapar’Alta », in Bilan Scientifique, Ministère de la Culture et de la Communication, Service Régional de l’Archéologie, 1999, p. 36. 15. NEBBIA Paul, « Le Chalcolithique terrinien de Cauria, abris XX et XXI – Sartène, Corsedu-Sud », in CAMPS Gabriel (dir.), Terrina et le Terrinien. Recherches sur le Chalcolithique de la Corse, Rome, École française de Rome, n° 109, 1988, p. 374-379. 16. D’ANNA André, GUENDON Jean-Louis, PINET Laurence & TRAMONI Pascal, « Espaces, territoires et mégalithes… », art. cit., p. 206.

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pement de populations ou d’un recul démographique, voire les deux 17. À ce constat vient s’opposer une certaine dilatation de l’occupation de l’espace au Bronze récent qui se poursuit au Bronze final en s’accompagnant d’une nouvelle dynamique culturelle seulement reconnue, à ce jour, au sud d’une ligne Ajaccio-Conca, et peut-être d’un essor démographique 18. Les débuts de l’âge du Fer semblent caractérisés par un nouveau recul à définir. On notera que l’étude du mobilier funéraire confirme cette impression générale avec trois dépôts connus pour le Bronze ancien 17. Le même phénomène a été observé en Toscane à la même époque : « Non molto documentato è questo periodo (ndla : la fin du Bronze moyen et le Bronze récent) anche nel resto della Toscana. Al momento non è possibile chiarire per quali cause sia avvenuto nella nostra zona un così cospicuo e rapido calo demografico » (MARTINI Fabio & SARTI Lucia, La Preistoria del Monte Cetona, Florence, All’Insegna del Giglio, 1990, p. 54). Au Bronze final, dans ces régions, l’accroissement simultané du nombre et de l’ampleur des habitats est mise en parallèle avec un nouveau mode de gestion du territoire (BIETTI SESTIERI Anna Maria, DE ANGELIS Maria Cristina, NEGRONI CATACCHIO Nuccia & ZANINI Alessandro, « La Protostoria della Toscana dall’età del Bronzo recente al passaggio alla prima età del Ferro », in Preistoria e Protostoria della Toscana. Atti della XXXIV riunione scientifica (Florence, septembreoctobre 1999), Florence, IIPP, 2001, p. 120), parfois interprété comme le reflet économique d’une réorganisation sociale de type politico-religieuse (BIETTI SESTIERI Anna Maria, « La situazione delle regioni centrali della penisola e i rapporti con l’area padana durante e dopo la crisi delle terramare », in LEONARDI Giovanni (dir.), La crisi del secolo XII a.C. nella pianura padana centro-orientale : premesse, cause, esiti. Atti del seminario (Padoue, juin 2008), à paraître). Il y précède les premiers regroupements proto-urbains du Bronze final protovillanovien, notamment à Chiusi. PACCIARELLI Marco, « Dal villaggio alla città. La svolta protourbana del 1000 a.C. nell’Italia tirrenica », Grandi contesti e problemi della Protostoria italiana, n° 4, Florence, All’Insegna del Giglio, 2001, fig. 46, établit un constat analogue pour le nord du Latium. Une situation identique semble se dessiner à la même époque en Veneto (BALISTA claudio & NICOSIA Cristiano, « Paleoambiente, strutture insediative e dinamiche paleoidrografiche fra l’avanzata età del Bronzo e gli inizi dell’età del Ferro nelli Valli Grandi Veronesi meridionali », in LEONARDI Giovanni (dir.), La crisi del secolo XII a.C. nella pianura padana centro-orientale…, op. cit. et en Romagne (TIRABASSI James, « L’Appennino reggiano tra terramare e siti d’altura nel Bronzo recente e finale », in ibid. avec l’émergence des centres habitatifs dits « têtes de pont ». 18. Pour la Sardaigne : « Sopratutto nel Bronzo finale, la colonizzazione del territorio si intensifica ulteriormente. È evidente una vigorosa crescita demografica, che provoca l’espanzione e moltiplicazione degli abitati adiacenti ai nuraghi […]. Nello stesso tempo un processo di selezione deve aver comportato l’abbandono di un certo numero di nuraghi privi di abitati » (USAI Alessandro, « Osservazioni sul popolamento prenuragico e nuragico nel territorio di Norbello », Quaderni, n° 16, Soprintendenza ai Beni Archeologici per le Provincie di Cagliari e Oristano, 1999, p. 219). À la même époque, en Ligurie, la multiplication du nombre de gisements est corrélée à un développement sans précédent de l’activité métallurgique, notamment de l’extraction du cuivre (DEL LUCCHESE Angiolo & DELFINO Davide, « Metallurgia protostorica in Val Bormida », Archeologia in Liguria, n° I, 2006, p. 35-47).

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(Murteddu, Minza-Castellucciu, Palaghju) et deux autres pour le Bronze final et l’âge du Fer (Cuntrasarda, Acciola), alors qu’aucune ambiance funéraire du Bronze moyen n’est documentée dans la région et ni même dans l’île. Le schéma de fonctionnement des grands sites mégalithiques suit a priori la même tendance 19.

TERRITOIRE, ÉCONOMIE ET HIÉRARCHIE DES SITES : APPROCHES THÉORIQUES ET LIMITES AVÉRÉES

Bref historique et limites

L’essai de compréhension des phénomènes archéologiques et culturels doit également embrasser les rapports entretenus par une communauté humaine avec son territoire. Pourtant, les tentatives de reconstitution des territoires et des terroirs des sociétés sans écriture ne se sont développées que récemment en Méditerranée occidentale. Pour les périodes les plus anciennes, il s’agit toujours ou presque de corréler les artefacts découverts sur le site-cible avec les gîtes d’approvisionnement en matières premières, nourriture, etc. 20. À partir de l’âge du Bronze et ce, de la Mésopotamie à l’Andalousie, l’important développement d’une architecture civile et/ou religieuse et/ou palatiale ancrant les hiérarchies dans un espace probablement bien défini, a poussé les analyses territoriales à raisonner à partir de ces « centres ». Ces réflexions sont à la base de nombreuses théories (Site Catchment Analysis, Central Places Theory, Circumscription Theory, Unidad Geomorfológica de Asentamiento, Rank-Size rule, X-tent Model, Early State Module/Peer Polity Interaction, Gravity models, K-means Cluster Analysis, calcul de la distance euclidienne, calcul de Mahalanobis, etc.) surtout développées par des écoles anglo-saxonnes au Proche-Orient avant d’être expérimentées dans le monde entier. Plus près de chez nous, la tentation d’appliquer ces patterns territoriaux et les schémas de stratégie d’implantation à la 19. D’ANNA André, GUENDON Jean-Louis, PINET Laurence & TRAMONI Pascal, « Espaces, territoires et mégalithes… », art. cit., p. 191-213. 20. JAUBERT Jacques & BARBAZA Michel (dir.), Territoires, déplacements, mobilité, échanges durant la Préhistoire. Terres et hommes du Sud. Actes du 126° Congrès national des Sociétés historiques et scientifiques (Toulouse, avril 2001), Paris, CTHS, 2005.

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Sardaigne nuragique, née de la fréquence des monuments turriformes (jusqu’à 0,9/km² dans certaines zones), est récente 21 et s’accommode bien à la géomorphologie locale dominée par les plateaux trachytiques et les plaines. En Corse, seule une approche comparative entre diverses régions de Sardaigne, le Tàravu et le golfe de Porto-Vecchio a déjà été tentée par le passé 22, permettant de mettre en valeur les correspondances entre deux îles fonctionnant selon des modèles voisins mais différents de ceux 21. ALBA Elisabetta, « Nota preliminare sullo studio delle comunità nuragiche della Sardegna nord-orientale », Studi Sardi, n° XXXIII, 2003, p. 55-98 ; « La organización del territorio en la edad del Bronce y del Hierro en Cerdeña nordoriental (Italia) », @rqueologia y Territorio, n° 2, 2005, p. 31-46 ; BIETTI SESTIERI Anna Maria, « Siti e territori nell’Età dei metalli. Elementi per l’inferenza sulle componenti politiche dell’organizzazione territoriale », in Dottrina e metodologia della ricerca preistorica. Atti della XXVII riunione scientifica (Ferrare, novembre 1987), Florence, IIPP, 1989, p. 227-250 ; BONZANI Renée, « Territorial boundaries, buffer zones and sociopolitical complexity : a case study of the nuraghi on Sardinia », in Sardinia in the Mediterranean : a footprint in the sea, Sheffield, 1992, p. 210-220 ; DEPALMAS Anna, « Saggio di analisi del territorio », in TANDA Giuseppa (dir.), Ottana. Archeologia e territorio, Ottana, Amministrazione comunale di Ottana, 1990, p. 138-155 ; « I monumenti e l’ambiente », in TANDA Giuseppa (dir.), Sedilo 1 : I monumenti situati nell’area del progetto « Iloi », Antichità Sarde. Studi e Ricerche, t. I., 1996, p. 33-58 ; « Organizzazione ed assetto territoriale nella regione di Sedilo durante i tempi preistorici », in TANDA Giuseppa (dir.), Sedilo 3 : I monumenti nel contesto comunale, Antichità Sarde. Studi e Ricerche, t. III, 1998, p. 40-73 ; DEPALMAS Anna, « Scelte insediative e strategie locazionali in ambito torreano e nuragico », in D’ANNA André, CESARI Joseph, OGEL Laurence & VAQUER Jean (dir.), Corse et Sardaigne préhistoriques. Relations et échanges dans le contexte méditerranéen. Actes du 128e Congrès du C.T.H.S. (Bastia, avril 2003), Paris, C.T.H.S., 2007, p. 313-322 ; PUGGIONI Sara, « Tumbas y territorio. Aplicaciones de métodos multivariantes para el estudio de los patrones de explotación del territorio », @rqueologia y territorio, n° 2, 2005, p. 47-63 ; SPANEDDA Liliana, « Control y áreas territoriales en la edad del Bronce sarda », @rqueologia y Territorio, n° 1, 2004, p. 67-82 ; SPANEDDA Liliana, NAJERA Tito & CAMARA SERRANO Juan Antonio, « El control del territorio durante la edad del Bronce en el área de Dorgali (Nuoro, Cerdeña), World islands in Prehistory. International insular investigations », BAR International Series, n° 1095, 2002, p. 355-372 ; SPANEDDA Liliana, CAMARA SERRANO Juan Antonio & PUERTAS GARCIA Maria Ester, « Porti e controllo della costa nel Golfo di Orosei durante l’età del Bronzo », Origini, n° XXIX, 2007, p. 119-144 ; UGAS Giovanni, « Centralità e periferia. Modelli d’uso del territorio in età nuragica : il Guspinese », in L’Africa Romana. Atti del XII Convegno di studio (Olbia, décembre 1995), Sassari, Edes, 1996, p. 513-548 ; USAI Alessandro, « Osservazioni sul popolamento prenuragico e nuragico nel territorio di Norbello », Quaderni, n° 16, Soprintendenza ai Beni Archeologici per le Provincie di Cagliari e Oristano, 1999, p. 51-79 ; « Sistemi insediativi e organizzazione delle comunità nuragiche nella Sardegna centrooccidentale », in Preistoria e Protostoria della Toscana…, op. cit., p. 215-224. 22. DEPALMAS Anna, « Scelte insediative e strategie locazionali in ambito torreano e nuragico », in D’ANNA André, CESARI Joseph, OGEL Laurence & VAQUER Jean (dir.), Corse et Sardaigne préhistoriques…, op. cit., p. 313-322.

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mis en évidence en contexte continental. On doit accorder à ces protocoles le mérite d’introduire le débat sur la notion de territoire en tant qu’instruments analytiques. Il existe cependant, et qui plus est en Corse, un nombre important de biais à leur utilisation et les résultats qui en découlent se caractérisent encore trop souvent par un certain manichéisme. Parmi les limites de l’étude, il faut citer la carence de données chronologiques, d’autres informations relatives à la période d’occupation, mais aussi la prise en compte souvent succincte des caractères du relief dans les essais de découpage 23. Le but général n’est donc pas la reconstitution des éventuelles frontières mais l’exploitation des méthodes afin de mettre en évidence de nouvelles formes d’information. En conséquence, les commentaires des figures ne seront que très limités.

Tesselation et méthode des polygones de Thiessen À partir d’un nuage de points quelconque, il est possible de définir un grand nombre de maillages différents. Il sera toujours préférable de choisir un mode de triangulation qui minimise la longueur et l’homogénéité des facettes (tesselation de Lejeune-Dirichlet, diagramme de Voronoï, triangulation de Delaunay, etc.). Le meilleur exemple en est la détermination des polygones de Thiessen (fig. 3). La méthode vise à établir des territoires aux limites théoriques dont le tracé suit la perpendiculaire coupant le segment passant par deux « pôles 24 » de proche voisinage (définis par interpolation polynomiale) en son milieu 25. Nous avons tenté d’appliquer ces protocoles à la trentaine de gisements fortifiés reconnus dans le Sartenais, dont certains sont considérés comme des habitats ; ceci restant toutefois à démontrer pour une grande partie d’entre eux. Ils ont été expérimentés ici sans tenir compte des éléments chronologiques car ceux-ci sont trop lacunaires pour la plupart des sites, 23. BRANDIS Pasquale, « I fattori geografici della distribuzione dei nuraghi nella Sardegna nordoccidentale », in Il Bronzo finale in Italia. Atti della XXII riunione scientifica, Florence, IIPP, 1980, p. 358-428. 24. Les sites de Zivoli et d’Aravu, de Castiddacciu et de Turrione, de Tiresa et de Petra Nera ont été traités comme trois unités car leur proximité-même impliquait cette considération (D’ANNA André, GUENDON Jean-Louis, PINET Laurence & TRAMONI Pascal, « Espaces, territoires et mégalithes… », art. cit., p. 208). 25. RENFREW Colin & BAHN Paul, Archaeology : theories, methods and practice, Londres, Thames and Hudson, rééd. 2000, p. 157-158.

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Fig. 3

d’où un premier biais. Si la méthodologie est intéressante et forte de sens quant à une certaine conception du territoire, elle nie totalement l’importance du relief (limite géographique et topographique) et des éventuelles hiérarchisations, différences fonctionnelles ou autres caractères saisonniers des sites (limite historique et archéologique). De plus, elle peut entretenir l’illusion de phénomènes inchangés entre les limites des polygones mais qui se transformeraient de manière brutale à la frontière, d’où l’usage fréquent d’une méthode de correction basée sur l’interprétation pycnophylactique (qui préserve la masse) de Tobler 26. Néanmoins et

26. TOBLER Waldo, « Smooth pycnophylactic interpolation for geographical régions », Journal of the American Statistical Association, n° 74, 1979, p. 519-530.

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malgré la rigidité du protocole, surtout dans nos régions 27, il est intéressant de constater que les deux centres mégalithiques principaux du secteur que sont Cauria et Palaghju se placent sur des zones-frontières entre trois, voire quatre territoires supposés alors que d’autres complexes tels Pastini, Apazzu, la vallée de Conca-Vaccil’Vecchju et Capu di Logu semblent liés à un territoire unique. D’aucuns y concluraient à la coexistence de sanctuaires pan-tribaux et de zones « réservées » par une seule communauté. En l’état des connaissances, notamment de la chronologie du fonctionnement des sites, il convient de rester prudent et il paraît prématuré d’envisager ce degré de résolution. La définition des polygones crée un maillage relativement régulier pour des territoires dont la superficie est assez homogène. La taille importante des unités de Vinturosu et de Gianfrutu est à pondérer par une probable carence de prospection sur la façade maritime occidentale du Sartenais. Il convient aussi de remarquer qu’avec ce système, la plupart des territoires définis sont souvent coupés en deux parties par un cours d’eau pérenne. Plus qu’une volonté d’accès permanent à l’eau, il faut probablement y voir une conséquence de la récurrence du mode d’installation des gisements fortifiés sur les crêtes dominant des confluences qui, conjuguée à la polygonation thiessenienne, engendre cet état de fait. En Sardaigne et en Latium, le rôle central des ruisseaux et le statut frontalier accordé aux cours d’eau d’importance ont déjà été hypothétiquement soulignés 28. 27. DEPALMAS Anna, « Organizzazione ed assetto territoriale nella regione di Sedilo durante i tempi preistorici », in TANDA Giuseppa (dir.), Sedilo 3 : I monumenti nel contesto comunale, Antichità Sarde. Studi e Ricerche, t. III, 1998, p. 40-73 ; « Scelte insediative e strategie locazionali in ambito torreano e nuragico », in D’ANNA André, CESARI Joseph, OGEL Laurence & VAQUER Jean (dir.), Corse et Sardaigne préhistoriques…, op. cit., p. 313-322 ; USAI Alessandro, « Sistemi insediativi e organizzazione delle comunità nuragiche nella Sardegna centro-occidentale », in Preistoria e Protostoria…, op. cit., p. 219. 28. « Vi è una ragione strategica per cui i fiumi fungono da confine : una linea di fondovalle si può controllare visivamente dall’alto dunque da una situazione di superiorità tattica, una linea di crinale solo dal basso, dunque da una situazione di inferiorità » (PERONI Renato, L’Italia alle soglie della storia, Bari, Laterza, 1996, p. 495). Sur ce point, voir aussi : ALBA Elisabetta, « Nota preliminare sullo studio delle comunità nuragiche della Sardegna nord-orientale », Studi Sardi, n° XXXIII, 2003, p. 71 ; ARDESIA Viviana, « The Geographic Information System of Pescara Valley and the settlement patterns in the II millenium BC », in Atti del Convegno del CAA « Beyond the artefact » (Prato, avril 2004), à paraître ; DI GENNARO Francesco, « Organizzazione del territorio nell’Etruria meridionale protostorica : applicazione di un modello grafico », Dialoghi di Archeologia, n° 2, 1982, p. 110 ; USAI Alessandro, « Osservazioni

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« Central place theory »

La méthode des cercles de 1 km de rayon (fig. 4) 29, plus petite variante des méthodes UGA (Unidad Geomorfológica de Asentamiento 30), dérivés circulaires du postulat économicocentriste de la Central Places Theory 31, appelle à d’autres remarques. Conçue pour établir le rapport hiérarchie/ distances sur la base des superpositions de cercles, elle met premièrement en valeur ici le peu d’attirance des groupes occupant les sites fortifiés pour les franges littorales 32 alors même que ces zones offrent des promontoires à même d’accueillir ce type d’installation. Seul le gisement de Villafranca paraît véritablement ouvert sur la mer dont il est distant d’environ 400 m. Il est, à notre connaissance, le deuxième site fortifié le plus près du littoral après A Sora/Punta Pelusella (Appietto, Corse-duSud), dominant le golfe de Lava à une distance de 150 m. Cela est d’autant plus étonnant lorsque l’on connaît l’intérêt des groupes de l’âge du Bronze insulaire pour les fruits de mer. Le meilleur exemple est celui de Castiglione (Grosseto-Prugna, Corse-du-Sud), habitat installé sur un promontoire à 2 km du golfe d’Ajaccio, dont la fouille a permis de découvrir un dépotoir de coquillages. Il est vrai que ce site se développe entre le milieu et la fin du Bronze moyen, période dont il est peu question ici. Les groupes de l’âge du Bronze du Sartenais, contrairement à ceux du Tàravu ou de Porto-Vecchio 33, ne semblent donc pas avoir fait une priorité du contrôle des bons mouillages de la région. Malgré une ligne côtière très découpée, ceux-ci sont peu nombreux à cause du parallélisme entre les thalwegs principaux et les vents dominants du sud-ouest, engendrant la formation de criques balayées par le Libecciu ou le Punente. Seuls deux secteurs sont favorables : l’anse de Tizzà et le littoral de Calanova, protégé par la péninsule de Campu Moru. Ils sont d’ailleurs sul popolamento prenuragico e nuragico nel territorio di Norbello », Quaderni, n° 16, Soprintendenza ai Beni Archeologici per le Provincie di Cagliari e Oristano, 1999, fig. 2. 29. D’ANNA André, GUENDON Jean-Louis, PINET Laurence & TRAMONI Pascal, « Espaces, territoires et mégalithes », art. cit., p. 208. 30. NOCETE Francisco, « El espacio de la coerción. La transición al Estado en las campiñas del Alto Guadalquivir (España). 3000-1500 A.C. », BAR International Series, n° 492, 1989. 31. CHRISTALLER Walter, Central places in Southern Germany, Engelwood Cliffs, Prentice Hall, 1966. 32. Il faut rappeler ici que la zone est moins prospectée. 33. DEPALMAS Anna, « Scelte insediative e strategie locazionali in ambito torreano e nuragico », in D’ANNA André, CESARI Joseph, OGEL Laurence & VAQUER Jean (dir.), Corse et Sardaigne préhistoriques…, op. cit., p. 321.

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Fig. 4

les seuls points de cette façade maritime aujourd’hui occupés par des marines de plaisance. En Sardaigne, la situation est analogue, avec seulement trois nuraghi véritablement côtiers 34, l’un en Gallura, les deux autres à l’extrémité méridionale du Sinis 35 et ce, de façon d’autant plus étonnante 34. Pour SPANEDDA Liliana, CAMARA SERRANO Juan Antonio & PUERTAS GARCIA Maria Ester, « Porti e controllo della costa nel Golfo di Orosei durante l’età del Bronzo », Origini, n° XXIX, 2007, p. 122, au contraire, la concentration des nuraghi sur les zones péri-littorales et leur quasi-absence tout près de la mer témoignent de la présence d’installations portuaires commerciales non dans les criques abritées mais plus à l’intérieur des terres, à proximité des embouchures principales. 35. DEPALMAS Anna, « Approdi e insediamenti costieri nella Sardegna di età nuragica », in NEGRONI CATACCHIO Nuccia (dir.), Preistoria e Protostoria in Etruria. Paesaggi d’Acqua, ricerche e scavi. Atti del Quinto Incontro di Studi (Farnese, mai 2000), Milan, Centro di Studi di Preistoria

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que l’espace situé immédiatement à l’intérieur des terres est souvent saturé de nuraghi 36. Contrairement à la Sardaigne, on n’évoquera pas ici la question du contrôle des gîtes métallifères, étant donné l’absence de minerai dans la région. La carte fait apparaître un resserrement des sites dans la zone centrale et méridionale de la région. Au nord et à l’est, la trame est plus dilatée. On notera avec intérêt la rareté des superpositions de cercles dans le secteur méridional où les sites sont toujours relativement équidistants. Dans la zone centrale, une ligne de crête d’orientation O-SO/E-NE, relativement plate en son sommet, accueille une enfilade de gisements fortifiés équidistants dont les cercles se recoupent. Dans le Niolu, pour qualifier une situation analogue, L. Acquaviva 37 avait évoqué un « limes archaïque », ce qui sous-entendait que le casteddu n’est pas au centre du territoire mais en contrôlerait les frontières tout en assurant une vigie sur les cols. Ici, la situation topographique et l’environnement immédiat de Gianfrutu, Coscia, Valchiria, Castedducciu di Vaccil’Vecchju et Punta Quarcioqua laissent plutôt penser que ces gisements sont implantés autour d’un terroir naturellement exploitable pour des groupes pratiquant l’élevage et l’agriculture 38. Il ne s’agit pas véritablement de plaines mais plutôt de replats entre des affleurements granitiques de type chaotique (dont le principal accueille le casteddu), où l’épaisseur des horizons arénés autorise le développement d’activités agropastorales, à un degré moindre pour Punta Quarcioqua. Notons pour conclure que la figure 2 fait également apparaître des vides. En Sardaigne, des situations analogues sont interprétées comme des e Archeologia, 2002, p. 391-402 ; USAI Alessandro, « Sistemi insediativi e organizzazione delle comunità nuragiche nella Sardegna centro-occidentale », in Preistoria e Protostoria della Toscana…, op. cit., p. 215-224. 36. Particulièrement dans les secteurs de Sarrabus, de Cuglieri et dans le sud du Sinis (information : A. Usai). Dans ces régions, il semble que la densité des établissements soit liée au contrôle et à l’exploitation des étangs. La situation est peut-être parallèle dans la basse vallée du Tàravu où les torre de Sapar’Alta, Salvaticu, Saparedda, Filitosa ou Basì sont en situation de co-visibilité avec les marais de Tanchiccia et de Canniccia. 37. ACQUAVIVA Lucien, « Le castellu de Marze à Corscia », Archeologia Corsa, n° 4, 1979, p. 43-48. 38. DEPALMAS Anna, « Scelte insediative e strategie locazionali in ambito torreano e nuragico », in D’ANNA André, CESARI Joseph, OGEL Laurence & VAQUER Jean (dir.), Corse et Sardaigne préhistoriques…, op. cit., p. 319, fait la même remarque pour la vallée du Tàravu : « Considerata la morfologia del territorio corso, appare plausibile che la scelta delle posizioni di media e bassa altimetria, sia da riferire ad insediamenti stabili improntati verso attività economiche quali le colture dei cereali e l’allevamento di bestiame di grossa taglia. » On n’évoquera pas ici la question d’une éventuelle transhumance dont l’existence à cette époque demande toujours à être démontrée.

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confins 39. Les analyses de type Central Places Theory ne font pas apparaître en Corse l’organisation territoriale sub-géométrique qu’elles ont mise en évidence lors de la mise en place de la méthodologie en Bavière 40, basée sur trois modèles récurrents théoriquement régis par les logiques de marché, de transport et d’administration. Ce mode ne peut s’appliquer qu’à un espace isotrope, ce qui n’est évidemment pas le cas du Sartenais.

« Site catchment » : définition des aires d’exploitation potentielles Cette intrusion de l’aspect économique dans la reconstitution du territoire est prépondérante dans les analyses paradigmatiques de type Site Catchment telles que les concevait K.V. Flannery 41. Celles-ci supposent, qu’en règle générale, l’espace d’intérêt le plus direct se trouve à peu de distance de l’installation, tout en tenant compte d’un important degré de variabilité inhérent à la diversification des ressources et aux spécificités géomorphologiques. À partir de ces théories, on se propose ici de respecter un postulat 42 qui voudrait que deux heures constituent une durée maximale pour effectuer à pied un aller-retour entre le centre fortifié (centre de transformation des ressources), qui n’est pas nécessairement un habitat, et le lieu du territoire où est produite la réponse aux besoins les plus élémentaires, c’est-à-dire les denrées de subsistance 43. On n’utilisera pas la méthode classique qui privilégie l’emploi de cercles (dont le site fortifié est le centre) car elle semble peu adaptée à la physionomie du relief sartenais. En l’absence de données paléoenvironnementales globales, le champ d’investigation est fortement réduit et limité à 39. USAI Alessandro, « Sistemi insediativi e organizzazione delle comunità nuragiche nella Sardegna centro-occidentale », in Preistoria e Protostoria della Toscana…, op. cit., p. 221. 40. CHRISTALLER Walter, Central places in Southern Germany, op. cit. 41. FLANNERY Kent, « The golden marshalltown : a parable for the archaeology of the 1980s », American Anthropologist, n° LXXXIV, 1982, p. 265-278. 42. BORRELLO Maria Angelica, « Site catchment analysis d’Auvernier-Nord (Bronze final). Lac de Neuchâtel. Note préliminaire », Jahrbuch der Scheizerischen Gesellschaft für Ur-und Frühgeschichte Basel, n° 65, 1982, p. 83-91. 43. ALBA Elisabetta, « Nota preliminare sullo studio delle comunità nuragiche della Sardegna nord-orientale », Studi Sardi, n° XXXIII, 2003, p. 68 ; DEPALMAS Anna, « I monumenti e l’ambiente », in TANDA Giuseppa (dir.), Sedilo 1 : I monumenti situati nell’area del progetto « Iloi », Antichità Sarde. Studi e Ricerche, t. I., 1996, fig. 9.

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Fig. 5

quelques déductions évidentes. Il convient aussi de garder à l’esprit que le gîte d’approvisionnement n’est pas forcément un champ ou un pâturage, mais peut tout aussi bien être un autre site. La figure 5 illustre schématiquement ce concept. Une fois encore, les zones de Cauria et de Palaghju apparaissent comme des confins multiples 44 où viennent se superposer les aires de catchment. On notera que ces secteurs deviennent dès lors des carrefours où se rejoignent des zones-tampons à superposition unique dont le tracé reprend celui de plusieurs cheminements traditionnels du Sartenais, plus particulièrement dans sa partie méridionale. C’est notamment le cas des chemins de Manza à la Pila, de Sapara Bona 44. D’ANNA André, GUENDON Jean-Louis, PINET Laurence & TRAMONI Pascal, « Espaces, territoires et mégalithes… », art. cit., p. 208.

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à Sapara Ventosa, de Bocca Silicaghja à Rinaiu, d’I Stantari à Tralicetu, etc. Les analyses de ce type sont bien évidemment dépendantes de l’évolution du milieu et du fait que la présence d’une ressource ne prouve pas forcément son utilisation. Elles impliquent une perception probablement ethnocentrique de sociétés précapitalistes qui dérive souvent vers la définition de notions d’« efforts minimaux » et de « coûts excessifs », globalement non satisfaisantes à notre échelle de résolution et ce, malgré l’avancée récente des systèmes d’information géographiques 45. Il ressort de l’étude que la partie méridionale de la région paraît avoir été la plus potentiellement exploitée et ce, même si les sites ne sont pas toujours contemporains. Il faut peut-être corréler cette remarque à la fréquence plus importante d’alvéoles et de plateaux sur ce secteur.

« Rank-size rule » : hiérarchisation des sites Il reste à évoquer la question de la hiérarchie des sites fortifiés. La théorie du Rank-Size rule est fondée sur un postulat qui voudrait que l’aire d’influence politique d’un habitat soit proportionnelle au rapport entre sa superficie et le « rang » (de grandeur) qu’il occupe au sein du territoire considéré. Ce rapport inter-sites s’exprime par une tendance (fig. 6) dont le tracé convexe, concave ou rectiligne est censé traduire l’organisation hiérarchique entre les habitats. Ainsi, une courbe concave (log-normal), comme celle du Sartenais jusqu’à son milieu, trahit selon G.A. Johnson 46, un type d’organisation « étatique, voire impérial », avec un centre fort (Punta d’Apazzu) selon une distribution de type Pareto ou Zipf. En revanche, une courbe convexe, comme l’est la nôtre sur la fin, serait plutôt révélatrice de la tribalité d’un système social organisé en chiefdoms dirigés par des elites aristocratiques 47. La coexistence de ces 45. SPANEDDA Liliana, CAMARA SERRANO Juan Antonio & PUERTAS GARCIA Maria Ester, « Porti e controllo della costa nel Golfo di Orosei durante l’età del Bronzo », Origini, n° XXIX, 2007, p. 122-123. 46. JOHNSON Gregory, « Monitoring complex system integration and bandary phenomena with settlement size data », in VAN DER LEUWE Sander Ernst (dir.), Archaeological approaches to the study of complexity, Amsterdam, Albert Egges van Giffen Institute Voorprae en ProtoHistorie, 1980, p. 160. 47. ALBA Elisabetta, « Nota preliminare sullo studio delle comunità nuragiche della Sardegna nord-orientale », Studi Sardi, n° XXXIII, 2003, p. 55-98, p. 77-78 ; BONZANI Renée, « Territorial boundaries, buffer zones and sociopolitical complexity : a case study of the

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deux tendances sur la même courbe apporte la preuve que les interprétations qui pourraient être déduites de cette grille d’analyse doivent être amplement mesurées et que la méthode semble plus adaptée à des contextes proto-urbains. On mentionnera notamment les travaux réalisés par A. Guidi 48 en Toscane qui ont mis en évidence la concavité croissante de la courbe depuis le début du Bronze final jusqu’aux premiers temps des cités étrusques. Quoi qu’il en soit, les problématiques liées à la hiérarchisation Fig. 6 des casteddi du Sartenais et de Corse, restent ouvertes. Pour A. Usai 49, en Sardaigne, chaque microterritoire ainsi défini correspondrait à l’espace de vie d’une communauté tenue par des liens de parenté et de collaboration. Même si l’organisation générale nuragique est probablement hiérarchique et intègre des logiques de compétition, la proximité des territoires indiquerait que les diverses nuraghi on Sardinia », in Sardinia in the Mediterranean : a footprint in the sea, Sheffield, 1992, p. 210-220 ; DEPALMAS Anna, « Organizzazione ed assetto territoriale nella regione di Sedilo durante i tempi preistorici », in TANDA Giuseppa (dir.), Sedilo 3 : I monumenti nel contesto comunale, Antichità Sarde. Studi e Ricerche, t. III, 1998, p. 73 ; NAVARRA Luca, « Chiefdoms nella Sardegna dell’età nuragica ? Un’applicazione della Circumscription Theory di Robert L. Carneiro », Origini, n° XXI, 1997, p. 307-353. 48. GUIDI Alessandro, « An application of the rank-size rule to protohistoric settlements in the middle tyrrhenian area », in MALONE Caroline & STODDART Simon (dir.), Papers in italian archaeology, IV, BAR International Series, n° 245, 1985, p. 217-242. 49. USAI Alessandro, « Sistemi insediativi e organizzazione delle comunità nuragiche nella Sardegna centro-occidentale », in Preistoria e Protostoria della Toscana…, op. cit.

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Fig. 7

communautés ont pu appartenir à une même tribu. Ce chercheur suggère également qu’un niveau supérieur d’autorité politique a pu exister dans certains complexes monumentaux tels Losa (pour la basse vallée du Tirso), Santu Antine (pour le Logudoru) ou la Prisgiona (pour la Gallura). Les analyses Rank-Size rule y montrent une courbe convexe relativement écrasée 50 illustrant une situation inverse de celle constatée en Corse. Si l’écrasement des courbes sardes semble être une résultante de la standardisation des monuments pris en compte, la tendance convexe pourrait trahir une organisation spatiale, et donc sociale, diverse de celle observée entre Rizzanese et Ortolu. La figure 7 est une interprétation géographique 50. DEPALMAS Anna, « Organizzazione ed assetto territoriale nella regione di Sedilo durante i tempi preistorici », in TANDA Giuseppa (dir.), Sedilo 3 : I monumenti nel contesto comunale, Antichità Sarde. Studi e Ricerche, t. III, 1998, fig. 8.

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Fig. 8

directe du Rank-Size rule. Son commentaire rejoint toutes les tendances exprimées ci-dessus. Il faut cependant noter que les plus grands gisements se distribuent dans la partie centrale et méridionale de la zone étudiée et que leur inter-espace est souvent occupé par un site d’importance moindre (par exemple : Castedducciu-Vaccil’Vecchju entre Coscia et Alo-Bisughjè, Petra Pinzuta entre Cota et Tiresa, etc.). Le Rank-Size rule peut aussi être couplé à un schéma polygonal. Le rang peut alors être exprimé par un code de valeurs de gris (fig. 8) : le « rang » des sites se décline du plus foncé au plus clair du plus au moins élevé. Cette connexion met en relief quatre pôles : – ensemble sud-occidental : Apazzu et sites alentour (sites satellites ?) ; – ensemble méridional : Grecu-Cauria-Tiresa-Petra Nera ; – ensemble centro-septentrional : Alo-Bisughjè et sites alentour ; – ensemble nord-oriental : Punta Campana, Castidetta-Pozzone, Torracone et Furcina.

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Fig. 9

L’information chronologique disponible (fig. 1 et 9) montre une occupation principale au Bronze final la majorité de ces gisements. Dès lors, il serait tentant d’y voir les quatre principales entités territoriales de cette époque dans le Sartenais. En couplant la méthode de hiérarchisation rank-size de ces quatre zones à une projection de type « voisin le plus proche » pour le Bronze final, on obtient une structuration théorique des réseaux communicatifs dans le Sartenais entre le XIIe et le IXe siècle (fig. 10). L’hypothèse part d’un postulat de « hiérarchisation cantonale » des sites en fonction de leur rang de superficie (adaptation de la Central Place Theory) : Apazzu en site primaire distribuant vers ses trois sites satellites principaux (sites secondaires : Alo-Bisughjè, Castidetta-Pozzone et Cauria-Grecu), euxmêmes liés à des gisements de taille moindre ou à des sites sépulcraux

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Fig. 10

(sites tertiaires). Si l’on suit ce constat, on s’aperçoit que le principal axe de traverse du Sartenais est le même qu’aujourd’hui, à savoir une ligne nord-est/sud-ouest liant de la façon la plus directe possible la confluence Fiumicicoli-Rizzanese au mouillage de Tizzà par le col d’Albitrina et la vallée de la Nivara. Les axes secondaires se répartissent à peu près transversalement à cet axe et, par logique géographique, empruntent donc les cols. Les axes tertiaires empruntent à nouveau les fonds de vallée. On notera l’important degré de superposition entre ces cheminements théoriques et le réseau de mégalithes. C’est notamment le cas : – entre Castidetta-Pozzone et Torracone (menhirs de Campu Maiò) ; – entre Castidetta-Pozzone et Santa Barbara (menhirs disparus de Santa Barbara) ; – entre Castidetta-Pozzone et Baresi (menhirs d’U Frat’e a Sora) ;

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– entre Alo-Bisughjè et Castedducciu di Vaccil’Vecchju (coffre de Cuntrasarda, menhir de Vaccil’Vecchju, etc.) ; – entre Apazzu et Castidetta-Pozzone (alignements d’Apazzu, de Palaghju, menhirs disparus de Santa Barbara, etc.) ; – entre U Grecu et Punta di Casteddu (alignements d’I Stantari, menhirs d’A Pila) ; – entre U Grecu et Petra Pinzuta (alignements d’I Stantari, menhir d’A Manza, dolmen d’Arghjola) ; – etc.

Dès lors, il n’y a rien d’étonnant à remarquer que les plus grands alignements se distribuent toujours aux carrefours de communication entre les plus importants gisements du Bronze final. On remarquera que ces quatre derniers ne proposent d’axes rayonnant que sur des gradients de 180° ou moins, ce qui entraîne la position du site primaire en décalage par rapport au centre du cercle, lui-même défini par le couplage entre polygonage et rank-size (fig. 8). Il faut également noter la répartition sur le cercle de tous les sites autour de Castidetta-Pozzone, processus très proche des modèles théoriques développés par I. Hodder dans le sud de la Grande-Bretagne pour y démontrer l’organisation cantonale 51 des groupes de la fin de l’âge du Fer 52. Si elle ne peut apporter des réponses significatives, l’application donne donc des tendances et pourrait traduire une gestion contrôlée de l’espace qui transparaît surtout à partir de la transition Bronze récent/final.

Caractères imperceptibles Ces quelques remarques ne suffisent bien évidemment pas à définir la notion de territoire qui régissait la vie des groupes protohistoriques du Sartenais. Des méthodes comme la polygonation ou le Rank-Size rule sont plaisantes à appliquer et probablement utiles à la reconstruction de certains aspects politiques ou territoriaux mais ne peuvent être considérées que comme de simples instruments heuristiques, tout ou partie 51. Dans ces régions, la méthode montre une organisation spatiale récurrente avec une capitale « cantonale » placée à distances égales d’une multitude de sites périphériques fortifiés qui sont donc répartis en arc de cercle. 52. HODDER Clive & ORTON Colin, « Spatial analysis in archaeology », New Studies in Archaeology, n° 1, 1976, 279 p.

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inadaptés à la complexité des problèmes à résoudre. Au-delà des biais énoncés et du caractère figé des méthodes d’investigation, il faut de nouveau rappeler toutes les limites de l’archéologie (niveau de compréhension, phénomènes évolutifs, conservation différentielle, fausse exhaustivité, degré de résolution, etc.) mais également tous les phénomènes invisibles qui tiennent du comportement humain, du domaine psychologique, de la mémoire, des aspects socioculturels, de l’héritage, etc., et concourent probablement plus que tout autre à la définition du territoire puisque le propre des mentalités est de s’acharner à perpétuer des actes qui ont perdu leur sens, surtout avec près de trois millénaires de décalage… Car qu’est-ce qu’un territoire sinon le lieu où se superposent, se juxtaposent et se condensent les souvenirs personnels ou collectifs comme autant de victoires sur le temps 53 ?

LE SARTENAIS PROTOHISTORIQUE : UN ESPACE EN MUTATION Le Sartenais apparaît depuis le XIXe siècle comme la principale région pré- et protohistorique de l’île, de par le nombre et la bonne conservation générale des sites datant de ces époques. L’étude de l’importante documentation matérielle qui y a été collectée ces cinquante dernières années et sa mise en perspective avec des travaux plus récents ont permis d’établir un schéma évolutif de l’occupation de la région (fig. 9) préalable à un essai de reconstitution démographique et territoriale. L’analyse montre que le Sartenais connaît un recul démographique et/ou un resserrement de l’habitat au cours du Bronze moyen. Ce phénomène est d’autant plus visible qu’il précède un éclatement de l’habitat légèrement antérieur au Bronze final 54, probablement insufflé par de nouvelles dyna53. Selon ce point de vue, le territoire est perçu comme l’« espace des événements communs » (EPSTEIN Joshua & AXTELL Robert, Growing artificial societies : social science from the bottom up, Washington, Brookings Institution Press, 1996). 54. VITAL Joël, « L’Age du Bronze en Vaucluse », in BUISSON-CATIL Jacques, GUILCHER Armelle, HUSSY Christian, OLIVE Michel & PAGNI Mireille (dir.), Vaucluse préhistorique. Le territoire, les hommes, les cultures et les sites, Avignon, Ministère de la Culture et de la Communication, Direction Régionale des Affaires Culturelles, Barthélemy, 2004, p. 266, rappelle que le Bronze final « est une période durant laquelle le système techno-économique se caractérise par sa tendance expansionniste qui aboutit à une occupation maximale des territoires exploitables

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miques culturelles communes au sud de la Corse et au nord de la Sardaigne et correspondant mieux à la gestion d’un espace géographiquement morcelé. L’ère (de la construction) des torre et des nuraghi est désormais révolue, même si ces monuments sont encore occupés et/ou transformés par des squatters. L’île, au XIIe siècle, tout au moins sa partie méridionale, est désormais intégrée dans les courants culturels du début du Bronze final, au même titre que ses voisins, la Provence (BF II), la Ligurie (Protoligure) ou la Toscane (Protovillanovien). Il faut peut-être chercher ici l’origine des statues-menhirs armées 55 qui se multiplient à cette époque dans le Sartenais essentiellement, mais aussi dans le reste de l’île et au-delà, comme en Lunigiana, où elles apparaissent également au contact d’infiltrations culturelles (et politico-religieuses ?) venues d’Europe centro-occidentale 56 sur un substrat mégalithique établi depuis l’Énéolithique 57. Il semblerait dès lors envisageable d’affirmer que les habitats connaissent, parallèlement aux groupes de pierres dressées, une reconsidération au Bronze final. Ces monolithes, mais surtout les alignements dans lesquels ils sont inclus, plus anciens, semblent jouer un rôle dans la définition du territoire. Beaucoup de monolithes (Valchiria, Alo-Bisughjè, Castidetta-Pozzone, Petra Pinzuta) sont liés à un habitat. À l’inverse, les alignements de Palaghju et d’I Stantari semblent monumentaliser ce qui pourrait tout aussi bien être une frontière qu’un espace commun à plusieurs groupes. À moins qu’il ne s’agisse de centres de territoires dont les sites fortifiés matérialisent les frontières ? La question par les communautés d’agropasteurs dont les fermes, les hameaux et leurs élites guerrières sont connus. Parallèlement, ces strates supérieures de la société se livrent à une compétition accrue visant à traduire en statut et en prestige les différentes richesses à disposition. » 55. Cette remarque rejoint l’hypothèse émise il y a peu (D’ANNA André, GUENDON Jean-Louis, PINET Laurence & TRAMONI Pascal, « Espaces, territoires et mégalithes… », art. cit., p. 210) quant aux développements brusques des manifestations mégalithiques lors de phases de renouvellements culturels. 56. La situation est analogue en Toscane : « A questa componente di sostratto si sovrappone il Protovillanoviano, in cui sembra possibile riconoscere l’influenza centroeuropea dei Campi d’Urni, che potrebbe identificarsi, più che nell’apporto fisico di nuove genti, nell’aspetto unificante dell’ideologia e del rituale funerario, databile dal XII secolo fino, in Etruria, alla metà del XI » (BIETTI SESTIERI Anna Maria, DE ANGELIS Maria Cristina, NEGRONI CATACCHIO Nuccia & ZANINI Alessandro, « La Protostoria della Toscana dall’età del Bronzo recente al passaggio alla prima età del Ferro », in Preistoria e Protostoria della Toscana…, op. cit., p. 91-115). 57. DE MARINIS Raffaele Carlo, « Le statue-stele della Lunigiana », Notizie Archeologiche Bergamensi, n° 3, 1995, p. 195-212.

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reste posée. De même, quel statut accorder aux alignements d’Apazzu et comment définir la relation entretenue avec le casteddu d’Apazzu ? Ces problématiques valent également pour les sépultures collectives, dolméniques ou autres. Elles ne pourront trouver de solution(s) que dans une approche menée à l’échelle insulaire et méditerranéenne 58. Du point de vue spécifique de l’habitat, les fouilles et prospections récentes réalisées dans le Sartenais, ainsi que le catalogage développé des collections conservées au musée départemental de Préhistoire de Sartène, ont permis de définir la fenêtre d’étude regroupant les plus importantes densités de données pour toute la Protohistoire insulaire. De plus, la position géographique de cet espace, coincé entre deux fleuves important et la mer, offrait une cohérence géographique remarquable. Ce cas de figure exceptionnel a fourni l’occasion de multiplier les approches et de tester des protocoles d’étude notamment développés au sein des écoles anglo-saxonnes des années 1970, qui ne peuvent s’appliquer que dans des zones caractérisées par une grande fréquence de données. On ainsi pu appliquer au Sartenais certains postulats territoriaux reposant sur des notions de tesselation et de distance inter-sites, face aux potentialités du milieu et à la topographie, sur une perspective diachronique. Ces méthodologies, hypothétiques, présentent l’intérêt d’illustrer des tendances directement évidentes et font naître des problématiques nouvelles, en particulier à propos du traitement et de l’analyse graphique de l’information. Ces réflexions ont été menées sur un corpus d’une trentaine de sites dont 60 % ont fourni une information chronologique. L’analyse combinée met en avant un premier maillage territorial protohis58. Nous remercions Elisabetta Alba (Università degli Studi di Sassari), Angela Antona (Soprintendenza Archeologica di Sardegna), Viviana Ardesia (Doctorante, Università degli Studi di Bologna), Joseph Cesari (Conservateur de l’Archéologie, SRA de Corse, LAMPEA), André D’Anna (CNRS, LAMPEA, Université de Provence), Davide Delfino (Universidade de Trás os Montes e Alto Douro), Frédéric Demouche (Musée du Grand Pressigny), Anna Depalmas (Università degli Studi di Sassari), Thibault Lachenal (CCJ, Université de Provence), Dominique Martinetti (Associu Cuciurpula), Matteo Milletti (Università di Roma I « La Sapienza »), Antoine Murgia (propriétaire du site de Santa Barbara), Paul Nebbia (Conservateur du musée de Préhistoire corse, Sartène), Alain Pasquet (association Recherche Sud-Est de la Corse), Francesco Rubat Borel (Università degli Studi di Padova), Ghjasippina Giannesini (Cabinet Pampasgioli), Émilie Tomas (Università di Corsica), Pascal Tramoni (INRAP Méditerranée) et Isabelle Vella Gregory (doctorante, University of Cambridge) pour l’aide qu’ils ont apporté, à un moment ou à un autre et d’une façon ou d’une autre, à la réalisation de ce travail.

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torique au Bronze ancien 2/Bronze moyen 1 qui s’inscrit dans une continuité flagrante avec le Néolithique final faciès terrinien. Après une phase de déprise (ou de carence de la recherche), on assiste à une multiplication rapide des habitats au Bronze final, de façon contemporaine au développement des statues-menhirs armées positionnées sur des marges ou des « passages obligés » du découpage proposé. On interprétera ce phénomène comme signant un essor démographique conduisant à une compétition territoriale forte à la fin du IIe millénaire. Bien que moins alimenté, un constat superposable a été esquissé dans d’autres régions méridionales, comme l’Alta Rocca ou le bassin de Porto-Vecchio, alors que la tendance est inverse dans le Tàravu. Il serait tentant d’y voir le reflet d’un dépeuplement de ce dernier espace au profit des autres, d’autant que ces mutations interviennent vers le début du XIIe siècle, période pour laquelle des phénomènes d’évolution rapide se font sentir à tous les niveaux de la société. Au premier âge du Fer, l’emprise est bien plus faible. On retrouve ici un maillage des habitats assez comparable à celui mis en évidence en Alta Rocca. Hormis sur le site de Pianu di u Grecu, le second âge du Fer n’est pour l’heure pas représentée ici.

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