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L’exposition Napoléon III et la Corse, Notables du Second Empire 7 avril - 9 juillet 2017 est organisée par le ministère de la Culture et de la Communication, SCN du musée national des châteaux de Malmaison et Bois-Préau, Musée national de la Maison Bonaparte Madame Audrey Azoulay Ministre de la Culture et de la Communication Monsieur Vincent Berjot Directeur général des patrimoines Madame Marie-Christine Labourdette Directrice chargée des musées de France Monsieur Amaury Lefébure Conservateur général du patrimoine Directeur du musée national des châteaux de Malmaison et Bois-Préau Monsieur Jean-Marc Olivesi Conservateur en chef Musée national de la Maison Bonaparte Madame Odile Bianco Assistante administrative et de documentation
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Sommaire
Ont contribué à la rédaction de cet ouvrage :
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Préface • Amaury Lefébure Introduction • J.-M. Olivesi
Éric Anceau Maître de conférences (HDR) à Paris-Sorbonne, vice-président du Comité d’histoire parlementaire et politique
Yves Bruley Maître de conférences de l’École pratique des Hautes Études
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Les Corses dans les hautes sphères du pouvoir sous le Second Empire • É. Anceau
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Des hommes de pouvoir entre la Corse et Paris : les mutations du clan au dix-neuvième siècle • S. Sanguinetti
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Remarques sur des parcours corses dans le sillon de Napoléon III • R. Lahlou
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Les Corses dans la Maison de l’empereur Napoléon III • X. Mauduit
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Les préfets corses sous le Second Empire • T. Choffat
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Le docteur Henri Conneau. La Corse en héritage • E. Papot-Chanteranne
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Vincent Benedetti, l’aile gauche du Quai d’Orsay impérial • Y. Bruley
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Le comte Félix Baciocchi et Jean-Baptiste Franceschini-Pietri, deux notables corses au service de Napoléon III • C. Granger
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Quelle architecture pour la Corse du Second Empire ? • A. Giuliani et J.-M. Olivesi
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Salvatore Viale, métaphore de la sociabilité culturelle corse au xixe siècle • E. F.-X. Gherardi
Thierry Choffat Maître de conférences en sciences politiques à l’université de Lorraine et président du Centre d’études et de recherches sur le Bonapartisme
Marco Cini Professeur en histoire économique, université de Pise
Eugène F.-X. Gherardi Professeur des Universités, université de Corse Pasquale Paoli UMR CNRS 6240 LISA
Audrey Giuliani Historienne de l’art
Catherine Granger Conservatrice en chef des bibliothèques
Raphaël Lahlou Historien
Xavier Mauduit Agrégé et docteur en histoire, université Paris I Panthéon-Sorbonne
Jean-Marc Olivesi Conservateur en chef au musée national de la Maison Bonaparte
Emmanuelle Papot-Chanteranne
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La Corse en mouvement : économie et société pendant le Second Empire • M. Cini
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Notables corses de la Maison de l’empereur Napoléon III Notices des œuvres Bibliographie sélective
Historienne et journaliste, administratrice des Amis de Napoléon III
Sampiero Sanguinetti Journaliste et écrivain
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Préface
Amaury Lefébure Certains hommes marquent leur temps, et l’oubli a peu de prise sur eux si leurs actions continuent à être honorées. C’est le cas de ces notables corses du Second Empire dont le souvenir s’est perpétué jusqu’à nos jours et que l’exposition organisée à la Maison Bonaparte fait revivre. Elle permet de mesurer quelle influence ces hommes, tous à de rares exceptions près originaires de Corse, ont exercée sur leur terre natale ou d’adoption – comme le docteur Henri Conneau – mais aussi sur la France, et, pour quelques-uns, bien au-delà des frontières. Le règne de Napoléon III a été pour la Corse un moment de développement privilégié et ils ont, à divers degrés, œuvré parfois durablement dans des domaines variés allant de l’agriculture à l’urbanisme en passant par l’industrialisation ou les transports.
Leur parcours, grâce à de nombreux prêts généreux d’institutions publiques et de collections privées, est illustré par des objets et des documents souvent inédits. Ceux-ci ne manqueront pas de rappeler aux visiteurs les moments heureux ou douloureux de la vie de ces personnages. L’exposition est aussi l’occasion de porter un regard plus mesuré sur l’engagement de plusieurs d’entre eux que l’histoire a parfois malmenés, tel par exemple l’ambassadeur Vincent Benedetti. La place accordée aux femmes, pour être moins visible, n’en est pas moins présente. Par le jeu des alliances elles jouent un rôle prépondérant. L’exposition et le catalogue qui l’accompagne rendent à tous un juste témoignage. Je remercie chaleureusement celles et ceux qui ont bien voulu concourir à la réussite de ce projet.
Un autre aspect transparaît à l’évocation de ces notables, confrontés ou non à un destin national, c’est l’importance des liens familiaux et sociaux. Qu’elle se manifeste de manière politique, économique ou encore artistique, elle est une clef pour comprendre la nature particulière de ces hommes dont elle a fait l’originalité, la force et l’attrait.
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les grands généraux de la nation, le royaume de Théodore de Neuhoff, l’État et la constitution démocratique de Paoli, la naissance de Napoléon Bonaparte… Excusez du peu : la Corse sort de la périphérie de la Méditerranéenne pour entrer avec fracas dans l’histoire européenne ! Ce qui marque avant tout le Second Empire en Corse, ce sont dix-huit années de paix associées à un intérêt réel du souverain – un Corse de nouveau ! – aux destinées de l’Île. Jamais jusqu’à cette période, la Corse n’aura connu pareille prospérité : la sollicitude impériale, le développement de l’île enfin encadré par des fonctionnaires compétents, par des élites capables et soutenues, par des études et des rapports de grande qualité, par des investissements financiers conséquents, par des réalisations structurantes : routes, ports, chemins de fer… la Corse entre à sa façon dans l’ère industrielle. Sa démographie double, au moins dans les principales villes, son agriculture se modernise, et l’on voit se développer tant des activités artisanales et manufacturières de qualité, qu’une implication dans de grands projets métallurgiques. C’est le temps de ces Abbatucci, Conti, Bacciochi, Ornano et Franceschini-Pietri que nous évoquons ici. C’est aussi une période de mutation culturelle intense : la Corse tourne le dos à l’Italie pour se rapprocher du continent français. Cela ne se fait pas sans heurts, tant les circuits avec l’Italie étaient anciens, et ils ont été réactivés par l’arrivée massive d’intellectuels italiens proscrits durant la Restauration. Mais ces rapports sont différents selon les secteurs. Si pour la langue française, les institutions culturelles (opéras, théâtres et musées) s’engagent résolument dans la voie de la francisation, la réalité est différente dans le domaine de l’architecture : le modèle italien prédomine, parce qu’il règne aussi sur l’enseignement des Beaux-Arts à Paris.
Introduction
Jean-Marc Olivesi L’exposition Visites impériales, Napoléon III et Eugénie à Ajaccio, présentée à la Maison Bonaparte au printemps 2012, avait donné une idée de la bienveillance de ces souverains envers la Corse et de l’empreinte durable que cette visite prestigieuse avait laissée dans la mémoire ajaccienne. À cette occasion, nous avions entrevu l’importance du rôle de Napoléon III dans le développement et l’enrichissement de la Corse au xixe siècle d’une part, et d’autre part l’importance des grandes familles de notables qui entouraient le souverain et dont la prééminence dans la société corse allait perdurer jusqu’à la Première Guerre mondiale. Ce sont cette sollicitude impériale et cette implication des élites insulaires dans l’avenir de l’île que nous évoquons cette fois. Nous avons mis l’accent surtout sur les grandes familles du Sud. Le musée de Bastia ayant programmé une exposition sur le Second Empire dans les prochaines années, il sera plus à même de valoriser le rôle de ces Gavini, Casabianca, Orenga, Valery, Piccioni et autres notables du nord de la Corse que nous avons néanmoins effleurés dans notre propos. Auparavant ? un exceptionnel xviiie siècle que l’on a pu qualifier de Siècle d’or de la Corse : la révolte contre Gênes,
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Voyage de S. M. l’impératrice et du prince impérial. Visite de la maison natale de Napoléon 1er, à Ajaccio, 1869, lithographie en couleur, Ajaccio, musée national de la Maison Bonaparte, inv. MNMB 2003-21-1
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vérifier la constitutionnalité des lois et pour faculté de modifier la Constitution par sénatus-consultes.
Les Corses dans les hautes sphères du pouvoir sous le Second Empire
Constatons tout d’abord que, sans avoir monopolisé les places au sein du gouvernement, les Corses, s’ils sont sur-représentés au sein du gouvernement impérial, sont loin de monopoliser tous les portefeuilles. En étant quatre sur les soixante-deux ministres que le régime a comptés, ils ne représentent que 6,5 % de l’ensemble. C’est à la fondation du régime qu’ils sont les plus nombreux et encore ne sont-ils que deux sur un cabinet composé de dix ministres. Ce gouvernement du 22 janvier 1852, formé au lendemain de la promulgation de la Constitution et de la nationalisation des biens de la famille d’Orléans qui a entraîné la démission de quatre ministres, rassemble des fidèles. Il s’agit alors de faire corps autour d’un président qui peut se trouver confronté à une fronde d’une partie de l’appareil d’État peuplé d’orléanistes, en raison de la décision qu’il vient de prendre. Le premier de ces deux ministres est Jacques-PierreCharles Abbatucci. Appartenant à une famille originaire de Zicavo qui a lié son destin à celui des Bonaparte, il est le petit-fils d’un général d’Empire. Magistrat, il a accompli le début de sa carrière dans son île natale, comme procureur du roi à Sartene, avant de devenir président de chambre à Orléans et député du Loiret pour l’opposition dynastique, sous la monarchie de Juillet. Sous la Deuxième République, il devient conseiller à la Cour de cassation, tout en étant réélu député du Loiret. Rallié au coup d’État et lié d’une profonde amitié avec Troplong, premier jurisconsulte de France et corédacteur de la Constitution, qu’il a jadis connu en Corse, il a tous les sacrements pour devenir ministre de la Justice. Il siège au Conseil en compagnie du comte FrançoisXavier de Casabianca qui a reçu, de son côté, le prestigieux ministère d’État, seul ministère à avoir alors des attributions vraiment politiques puisqu’il sert d’intermédiaire entre le chef de l’État, dont il contresigne certaines des décisions, et
Éric Anceau Neveu de Napoléon Ier, le président Louis-Napoléon Bonaparte reçoit d’immenses prérogatives au lendemain de son coup d’État du 2 décembre 1851, prérogatives encore renforcées lors du rétablissement de l’Empire un an plus tard, lorsqu’il devient Napoléon III. Quelle part les notables originaires de Corse, terre d’origine de la dynastie, prennent-ils dans le régime ? Quel rôle y jouent-ils ? Quelle comparaison peut-on faire avec d’autres terres natives sous le Second Empire ? Telles sont les quelques questions que nous nous poserons en étudiant les Corses dans le gouvernement impérial et dans son entourage ainsi qu’au sein des trois grandes assemblées instituées par la Constitution du 14 janvier 1852 : le Conseil d’État chargé de préparer les projets de loi et composé de membres nommés par le chef de l’État, le Corps législatif qui a pour fonction de discuter et de voter les projets de loi et le budget et qui réunit les élus de la nation dans le cadre du scrutin d’arrondissement et le Sénat rassemblant des membres de droit (cardinaux, maréchaux et amiraux et, après le passage à l’Empire, le 2 décembre 1852, les membres de la famille de l’Empereur) et des « illustrations » nommées, elles aussi, par le chef de l’État et ayant pour mission, entre autres, de
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les chambres, remplit l’office de secrétariat du Conseil des ministres et ouvre les sessions législatives. Petit-neveu luimême d’un général, sénateur et comte d’Empire qui a aidé la France à s’implanter en Corse, Casabianca a commencé sa carrière comme avocat à Bastia, avant de devenir député sous la Deuxième République, puis ministre de l’Agriculture et du Commerce et enfin ministre des Finances à la veille du coup d’État. C’est ce fidèle que le président Louis-Napoléon Bonaparte désigne ministre d’État pour contresigner le décret sur la confiscation des biens d’Orléans. Casabianca quitte cependant ses fonctions dès l’été 1852, pour se consacrer à son rôle de sénateur alors qu’Abbatucci meurt en étant encore ministre, en novembre 1857. Il faut attendre ensuite juin 1858 pour que le prince Napoléon-Jérôme, fils de l’ancien roi de Westphalie Jérôme Bonaparte, et cousin germain de Napoléon III, reçoive le portefeuille de ministre de l’Algérie et des Colonies créé pour lui, mais dont il démissionne dès mars 1859, faute d’avoir pu mener à bien les réformes qu’il souhaitait. En mai suivant, un dernier Corse obtient un portefeuille. Ernest Arrighi de Casanova, duc de Padoue, prend le ministère de l’Intérieur en tant qu’homme de confiance de Napoléon III, parti faire la guerre en Italie, alors que le Prince impérial est encore un très jeune enfant et qu’il y a un risque pour la dynastie. Fils du général duc de Padoue, sénateur et gouverneur des Invalides sous le Premier Empire, cousin par alliance de Letizia Bonaparte, mère de Napoléon, il est lui-même polytechnicien, a été préfet de Seine-et-Oise en 1849, puis maire de Ris dans ce département, avant d’entrer au Conseil d’État à sa formation puis de succéder à son père au Sénat, à la mort de celui-ci, en 1853. Catholique, il rassure en occupant le poste clé de ministre de l’Intérieur, alors que la guerre d’Italie est menée contre l’autre grande puissance catholique d’Europe. Ce fidèle du premier cercle impérial quitte le ministère pour raison de santé, dès le 1er novembre suivant. S’ils occupent donc des postes importants à des moments stratégiques, les ministres corses sont peu nombreux et restent
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en place peu de temps, surtout en comparaison des piliers du régime impérial que sont Fould, Magne et Rouher. Tous ces hommes sont sénateurs et font partie des dix sénateurs corses du Second Empire. Là encore, la Corse apparaît avantagée au regard de son poids dans la population française avec 3 % de sénateurs, sans que l’on puisse pour autant parler de favoritisme éhonté. Le roi Jérôme, oncle du président puis de l’empereur, devient le premier président de l’institution avant de démissionner au moment du sénatus-consulte qui ne lui accorde pas toute la place qu’il croit devoir occuper au sein du régime impé-
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d’autres termes, autre membre de la famille de l’empereur –, Louis-Lucien Bonaparte, fils de Lucien, neveu de Napoléon et linguiste distingué, très apprécié du souverain qu’il a appuyé de ses votes dans les assemblées parlementaires de la Deuxième République, entre lui aussi au Sénat en 1852 et y siège jusqu’à la chute du régime. Le général duc de Padoue, ancien pair de France et gouverneur militaire de la Corse pendant les Cent Jours, entré au Sénat dès sa constitution en janvier 1852 et devenu peu après gouverneur des Invalides, haut-lieu du napoléonisme, est remplacé, à sa mort, en 1853, par son fils, futur ministre dont nous avons déjà parlé. L’Ajaccien Philippe-Antoine comte d’Ornano, général en retraite, grand-chancelier de la Légion d’honneur et successeur du roi Jérôme et du duc de Padoue comme gouverneur des Invalides fait, lui aussi, partie du Sénat dès l’origine, en tant qu’illustration militaire, puisqu’il est un héros des campagnes napoléoniennes et le plus ancien divisionnaire de l’armée, ce qui lui vaut aussi l’élévation au maréchalat en 1861, à l’occasion du transfert du cercueil de Napoléon, de la chapelle Saint-Jérôme dans le tombeau définitif, sous le dôme des Invalides. Le ministre Abbatucci et son ancien collègue Casabianca obtiennent également un fauteuil au Sénat, ce dernier devenant l’un des sénateurs les plus actifs, en rapportant, entre autres, le grand projet de Code rural qui occupe les sessions de 1856, 1857 et 1858. Le préfet de police, Pierre-Marie Pietri, originaire de Sartene, ancien avocat au Conseil d’État et représentant de la Corse à l’Assemblée constituante en 1848, contraint de démissionner après l’attentat d’Orsini, trouve un point de chute au Sénat avant de prendre également la présidence du conseil général de la Corse en 1860 et d’exercer les deux fonctions, jusqu’à sa mort, en 1864. Le comte Félix Baciocchi, allié aux Bonaparte par la sœur de Napoléon, Élisa, homme de confiance de Napoléon III qui lui fait effectuer plusieurs missions diplomatiques officieuses avant de le nommer premier chambellan de sa Maison, surintendant des spectacles de la Cour, puis
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rial, en décembre 1852. Son fils Napoléon-Jérôme, qui doit lui aussi son fauteuil au Sénat à sa proximité familiale avec l’empereur, joue un rôle considérable au sein de l’institution, occupant une position singulière. Défenseur principal de Napoléon III avant, pendant et après la guerre d’Italie, au tournant des années 1860, il prononce quelques discours teintés d’anticléricalisme qui provoquent un tollé parmi ses collègues, en particulier les cardinaux, et qui dépassent très largement l’enceinte du palais du Luxembourg. À la fin de la décennie, le « Bonaparte rouge » se fait le chantre d’une libéralisation du régime et d’une démocratie plébiscitaire et populaire qui va dans le sens de la volonté impériale, mais la dépasse largement. Autre prince français – en
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de l’Empereur, et enfin le fils aîné du ministre Jacques-Pierre-Charles Abbatucci, Jean-Charles, de 1857 à 1870. Cet avocat qui a joué un rôle actif dans la campagne des banquets dans le Loiret, en 1847, a été ensuite substitut du procureur général de Paris, puis s’est fait élire représentant du peuple en Corse où il a organisé les soutiens au président. Très actif au Conseil d’État, il prend aussi la présidence du conseil général de Corse. S’ajoute enfin l’un des soixante-seize conseillers d’État en service ordinaire hors sections, le Bastiais Vincent Benedetti, qui est l’un des diplomates les plus brillants et les mieux en cour. Il est nommé en 1860, après avoir été le secrétaire général et le rédac-
surintendant général des Théâtres de l’Empire, entre à son tour au Sénat, en 1866. Deux ans plus tard, un nouveau Corse fait son entrée dans la Chambre haute. Il s’agit de l’Ajaccien Charles-Étienne Conti, chef de cabinet de l’Empereur depuis 1864. Ce natiff d’Ajaccio où il a débuté commee avocat, a été procureur général al à Bastia et représentant du u peuple en 1848 pour la Corse se où il a organisé les réseaux de soutien à Louis-Napoléon n Bonaparte. Il faudrait enfin faire une mention particulière à Prosper Mérimée, l’écrivain proche de l’Impératrice Eugénie et familier de la Cour qui, sans être Corse, connaît la plupart de ses personnalités depuis qu’il a enquêté dans l’Île de Beauté pour son roman à succès, Colomba, paru en 1840, et qui siège lui-même au Sénat depuis 1853. La proportion des Corses au Conseil d’État est voisine de celle du Sénat, plus importante que celle des natifs de la plupart des départements, mais très loin derrière celle des Parisiens et même des natifs de l’Aisne, des Bouches-du-Rhône ou de l’Yonne. Ils sont ainsi trois conseillers d’État en service ordinaire sur cent dix-neuf à être Corses : Arrighi de Casanova de 1852 jusqu’à ce qu’il succède à son père au Sénat, l’année suivante, Charles-Étienne Conti lui aussi nommé en 1852 et qui passe en 1864 en service extraordinaire, lorsqu’il est appelé auprès
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teur des protocoles du Congrès de Paris qui a mis un terme à la guerre de Crimée et après avoir joué un rôle important dans la conclusion du traité de Turin permettant l’annexion par la France de la Savoie et de Nice, à la suite de la guerre d’Italie. Si l’élément corse du Conseil est plutôt réduit, il n’en est pas moins indispensable, car les Bonapartistes sont ici minoritaires et les Corses nommés sont d’une fidélité inébranlable. Bien moindre est la part des Corses au Corps législatif. En raison de la faible population de l’île, celle-ci ne compte qu’un député sur les deux cent soixante et un de la première législature. Un deuxième siège est obtenu en 1857, cette fois sur deux cent soixante-sept, mais la proportion se réduit de nouveau lors des troisième et quatrième législatures, puisque la Corse compte toujours deux députés, mais cette fois sur un total respectif de deux cent soixante-douze et de deux cent quatre-vingt-trois. La Corse n’est pas un pays naisseur de députés du Second Empire, puisqu’elle se situe dans la moyenne qui va d’un à cinq natifs, très loin de la Seine (22 %), même si, de par sa nature, cette institution est moins parisienne que les autres. Benjamin des trois fils du ministre Abbatucci, après le conseiller d’État ( Jean-Charles) et le général (Antoine), Séverin Abbatucci est aussi le plus attaché à son île natale puisqu’il gère les propriétés familiales à Zicavo dont il est également le maire. Il est le député de l’unique circonscription départementale, puis de la première circonscription, durant tout le régime. Il est également vice-président du conseil général. De son côté, la deuxième circonscription est d’abord représentée, à partir de 1857, par le baron Louis-Thomas Mariani, natif de Corte, dont le père était secrétaire de Saliceti, ministre de la police de Naples sous Joseph puis du royaume de Westphalie sous Jérôme, et cousin d’Arrighi de Casanova. Après être passé par Saint-Cyr et avoir participé au coup d’État
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du 2 décembre 1851 dans l’armée, il est devenu aide de camp du prince Napoléon en Crimée, chevalier d’honneur de la princesse Baciocchi en 1857, puis de la princesse Clotilde en 1859, et enfin premier chambellan du prince et de la princesse Napoléon. En 1863, il conserve la confiance du gouvernement et la candidature officielle, mais se voit battu par un bonapartiste indépendant, Sampiero Gavini, et reçoit la sous-préfecture de Corte, en dédommagement de son échec électoral. Sampiero Gavini est alors tout sauf un inconnu. Natif de Bastia, il est le fils d’un avocat local devenu président de chambre à la Cour de Montpellier, mais la famille, originaire de Campile, est connue dans tout l’arrondissement et son frère aîné, Denis Gavini, a déjà été député en 1849, pendant que lui-même était bâtonnier à Bastia. Il devient secrétaire du conseil général. Au vrai, ces trois hommes, Gavini compris, sont d’une fidélité absolue à l’empereur et à son gouvernement. En mai 1865, Abbatucci et Gavini demandent un congé au Corps législatif pour aller assister, en tant qu’élus de la Corse, à l’inauguration du monument à la gloire de Napoléon et de ses frères, à Ajaccio. Cependant, sans être des ténors de l’Assemblée, les trois hommes sont des députés plutôt actifs. Abbatucci qui, il est vrai, à l’avantage sur un très grand nombre de ses collègues, de siéger pendant tout le régime, détient le record absolu d’élections au secrétariat de commissions d’intérêt local, puisqu’il a été élu à 68 reprises. Il est aussi 24 fois rapporteur de telles commissions, ce qui en fait le troisième député le plus actif. Il est quasiment incontournable lorsque la Corse elle-même est concernée (lutte contre la malaria, dessèchement des marais de Porto-Vecchio et de Campo dell’Oro, ports, routes forestières, chemins de fer, lutte contre le banditisme…). Mariani participe à de nombreuses commissions d’intérêt général. Il est par exemple membre et rapporteur de la commission sur le câble électrique de Toulon à la Corse et de celle du contingent, en 1860. Il participe aux commissions du contingent
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et des pensions des gens de mer, en 1862 puis à celles de l’adresse et du budget, toutes les deux très importantes, en 1863. De son côté, Gavini entre dans un grand nombre de commissions d’intérêt local et, en 1870, est le quatrième député le mieux élu de la commission d’enquête sur la marine marchande. À ce titre, il est délégué, en mars, pour se rendre dans son île et pour y recueillir tous les renseignements sur les ports. Il est marié à Brigitte Piccioni, fille du maire de L’Île-Rousse et parente du député Vincent Piccioni, car la Corse compte, d’une certaine façon, un quatrième député. En effet, si Vincent Piccioni représente la troisième circonscription de la Haute-Garonne de 1863 à 1870, il est natif de Pino, a été bâtonnier des avocats de Bastia, maire de la ville de 1854 à 1858 et même conseiller général avant d’acquérir par mariage d’importantes propriétés en Haute-Garonne et de s’installer sur place. S’ajoute le cas particulier du médecin personnel de l’empereur, le docteur Conneau qui est député de la Somme, mais aussi conseiller général de la Corse à partir d’août 1854, et même vice-président du conseil, puisque marié à Juliette Joséphine Pasqualini, cantatrice corse, parente du maréchal Sebastiani et des Mariani. Sous le Second Empire, les deux grandes préfectures sises à Paris, à savoir la préfecture de la Seine et la préfecture de police sont quasiment des ministères sans le nom. Cette seconde préfecture se double d’ailleurs d’une direction générale de la Sûreté publique pour toute la France. Deux des titulaires de la préfecture de police entre 1852 et 1870 sont corses. Ils sont aussi les plus emblématiques et ont marqué de leur passage la préfecture, comme Haussmann a marqué du sien la préfecture de la Seine. Après Pierre-Marie Pietri que nous avons déjà évoqué, arrive rue de Jérusalem, son frère, Joseph-Marie Pietri, lui aussi Sartenais. Avocat de formation, il a entrepris une carrière préfectorale qui le conduit, en février 1866, à la préfecture de police où il reste jusqu’à la chute du régime, le 4 septembre 1870. Il y
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laisse une réputation d’habileté dans le traitement des dossiers, même si l’affaire de la souscription Baudin ou les émeutes qui suivent les élections législatives de 1869 entachent son passage. On lui prête l’organisation de plusieurs pseudo-complots destinés à rassembler le corps social autour du régime après l’avoir effrayé. Si une telle assertion répandue par les opposants n’a pu être prouvée, il a marqué, en revanche, par sa « corsisation » de l’administration. Pas moins de dix-sept de ses principaux collaborateurs à la préfecture sont originaires de Corse ! Nulle part ailleurs, le phénomène n’est aussi répandu sous le Second Empire, sauf, dans une moindre mesure, à la Cour, donc au plus près du souverain. Lorsque le chef du cabinet impérial et secrétaire de l’empereur, Jean-François Mocquard, sent que ses forces le quittent, il décide de découpler ses fonctions, en 1864, et de les laisser à deux hommes. C’est Conti dont nous avons déjà beaucoup parlé qui prend le poste de chef de cabinet. Il est intéressant de s’arrêter pour finir sur celui qui hérite du secrétariat particulier. Il s’agit de Jean-Baptiste, dit Tito, FranceschiniPietri de Monticello et Corbara, en Balagne, au-dessus de L’Île-Rousse. C’est sous la protection du cousin de son grand-père, le préfet de police Pierre-Marie Pietri, qu’il arrive à Paris, après une scolarité solide au collège Fesch d’Ajaccio, pour y suivre les meilleurs enseignements et y passer son baccalauréat. Après avoir obtenu celui-ci en 1854, il s’inscrit en lettres et en droit, puis Pietri le fait entrer au cabinet de l’empereur comme modeste copiste. En 1859, à 24 ans,
il a le privilège d’accompagner Napoléon III comme secrétaire particulier, lors de la campagne d’Italie. Au retour, il est nommé auditeur au Conseil d’État et titularisé au sein du secrétariat comme attaché avec le traitement, considérable pour l’époque, de 8 000 francs par an. Il devient secrétaire particulier de l’empereur le 21 décembre 1864. Dès lors, il le suit partout, dans ses grandeurs puis dans ses misères. Après la mort du souverain, il occupe la même fonction auprès du Prince impérial puis, après la disparition tragique de celui-ci, en 1879, auprès de l’impératrice. Sous le Second Empire, il est clair que pour faire carrière en politique, être corse est un atout, à la condition toutefois d’être aussi bonapartiste. Les Corses sont présents dans toutes les sphères du pouvoir. Cependant, ils ne sont dominants nulle part. Ils sont les plus nombreux à un deuxième niveau de l’appareil d’État, celui des entourages, ceux de l’empereur et du préfet de police que nous venons d’évoquer, mais aussi celui des ministres, en particulier le prince Napoléon et Abbatucci. Constatons cependant, pour finir, que le phénomène est loin d’être spécifique aux Corses. Il existe aussi sous le Second Empire des réseaux auvergnats autour de Rouher, de Morny et de Parieu ou encore des solidarités périgourdines autour de Magne. Ce phénomène est de tout temps !
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et 1772 une quarantaine de familles du Nord au Sud de la Corse. Nous trouvons déjà, dans cette liste de familles, les noms des Buonaparte, des Buttafoco, des Colonna-Cesari Rocca, et des Casabianca – qui joueront un rôle notable durant la Révolution française –, le nom des Baciocchi dont on reparlera sous l’empire, puis les noms des Pietri et des Rocca-Serra qui réapparaîtront sous le Second Empire puis sous la République. Du temps de la monarchie, cette quarantaine de familles a le plus grand mal à jouer pleinement le rôle qu’on attend d’elle. Il faut dire que la Corse est une île un peu particulière.
Des hommes de pouvoir entre la Corse et Paris : les mutations du clan au dix-neuvième siècle Sampiero Sanguinetti
L’île montagne et la loi coutumière Fernand Braudel remarque que plusieurs zones montagneuses, en Méditerranée, échappent depuis toujours au contrôle harmonieux des puissances qui prétendent à la souveraineté sur leur territoire : « Indéniablement, la vie des bas pays et des villes pénètre mal ces mondes d’en haut ». C’est le cas, dit-il, en Albanie, en Kabylie et en Corse. Les états concernés parviennent certes à s’imposer dans les zones les plus facilement accessibles, mais ils ne parviennent pas à faire respecter leurs lois au cœur des montagnes. C’est ce qui a conduit la République de Gênes, comme le décrit très bien Antoine-Marie Graziani, à instituer pendant très longtemps un système inique de mise à prix des têtes : « Si le chasseur de primes ne peut ramener le bandit vivant, il doit, à défaut de cadavre, rapporter la tête… L’existence d’une telle loi se montre tout à fait révélatrice de l’impuissance de l’État génois à apporter une réponse cohérente au phénomène du banditisme »… Est-ce à dire qu’en l’absence d’une autorité étatique reconnue, l’anarchie régnait dans ces montagnes ? Pas vraiment. Ces sociétés de montagnards et d’insulaires ont engendré avec le temps des systèmes de lois que nous pourrions qualifier de coutumières. Un historien, Stephen Wilson, et un juriste, Jacques Busquet, en ont très bien analysé et défini le fonctionnement. Toute existence de lois dans une société signifie qu’il existe un arsenal de sanctions opposables
1848 et 1849 sont deux années charnières dans l’histoire politique de la Corse. L’expérience des élections au suffrage universel va conduire les Corses, au cours de ces deux années, à modifier le rapport qu’ils entretiennent avec la politique et avec le pouvoir. La relation des insulaires avec les puissances étatiques a toujours été très difficile. C’est de cette difficulté que naît l’existence d’un système que les historiens ou les observateurs qualifieront de claniste. Or les événements qui se produisent en 1848 et 1849 et l’accession au pouvoir de Louis Napoléon Bonaparte, vont obliger ce système non pas à disparaître, mais à évoluer de manière très notable. Il y a donc un avant 1848 et un après 1848.
Avant 1848 Avant 1848, les populations qui vivent en Corse ont entretenu pendant des siècles un rapport de défiance profonde avec tout d’abord la république de Gênes puis avec la monarchie française. Le roi de France, Louis XV, conscient de ce danger et averti par les doges de Gênes, a tenté de créer un réseau important d’intermédiaires entre les rouages du pouvoir qu’il incarne et la réalité du peuple en Corse. Il a, pour cela, anobli entre 1771
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• DES HOMMES DE POUVOIR ENTRE LA CORSE ET PARIS : LES MUTATIONS DU CLAN AU XIX e SIÈCLE •
Châtaigniers à Bocognano, dans L’Illustration, journal universel, 14 janvier 1854.
L’échec des tentatives de dépassement de la loi coutumière Ce système a été contesté et sérieusement menacé à deux reprises dans l’histoire. Une première fois lorsque Pascal Paoli a décrété la souveraineté de l’île et proclamé l’existence d’un État. Ce faisant il déclarait de fait obsolète la loi coutumière et illégitime le pouvoir de tous ceux dont les fonctions gravitaient autour de ce système coutumier. Il condamnait donc de la manière la plus radicale qui soit les comportements issus de ce système, au premier rang desquels la vendetta. Mais il n’eut pas le temps de mettre réellement fin à ces pratiques, les armées du roi de France ayant finalement réussi à vaincre la petite
à ceux qui ne les respectent pas. C’est ainsi, disent-ils, que la vendetta est devenue l’élément régulateur de la loi coutumière. En l’absence d’un État en charge de ce privilège de la sanction, c’est-à-dire de cette violence opposable, le pouvoir appartenait de fait à ceux dont l’autorité était reconnue dans la société, à savoir les centaines de chefs de clans qui régnaient plus ou moins sur les espaces villageois et sur les familles.
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