L agriate

Page 1


Punta di Mignola

Punta di Pietra ALta

N

Saleccia

Malfalcu

Lotu

Ancien sémaphore

Ghignu

Punta Mortella

S

Tour génoise de la Mortella

Punta di l’Acciolu

c

eF i um e

u

is Le L

Monte Jenuva

t San

Golfe de Saint-Florent

u

1

D8

L

Terriccie

Vers Bastia Monte Revincu

Punta Liatoghju

Bergerie de Monticellacciu

Ifana Bocca di Vezu

Ostriconi 1

D8

Site archéologique du Monte Rivincu

Baccialu

D8

2 Vers Oletta

N 1197 Vers Ponte Leccia

Vers Santu Petru di Tenda et San Gavinu di Tenda

5 km

Pistes ouvertes à la circulation motorisée

8

D 62

Vers L’Île-Rousse et Calvi

Casta

Saint-Florent


Sommaire 18

Un artiste au désert

39

A machja – Le maquis

45

Chercher l’eau

87

Une histoire très humaine

117

Nant’à u Monte Jenuva… Sur les chemins de la protection

(De gauche à droite) Sérapias, orchis papillon, ophrys araignée. Environs du Monte Revincu, 18 mai 2010. Crayon graphite et aquarelle, 28 x 9,5 cm

9


10


« Les chèvres passent l’été dans la forêt de Tartagine. C’est très boisé là-haut, il y a beaucoup de pins. Du pin maritime en bas, et du pin laricio un peu plus haut, dans les hauteurs, et du bouleau, la pitule, je ne sais pas comment on l’appelle en français. […] Pendant un mois et demi je ne monte pas, et je monte à partir du 15 août. Quand il fait très chaud, elles se mettent dans les hauteurs et là c’est pas la peine de monter. […] À l’automne je les descends avant la pluie parce qu’après, si le temps se gâte un peu trop, c’est difficile à marcher, c’est mouillé, on glisse sur les pierres et les chèvres se dispersent dans la forêt. Elles ne trouvent plus à manger et elles oublient de marcher en troupeau. La nourriture les disperse, voyez… Vous comprenez ? » Yannick Antonini, chevrier à Monticellacciu.

La Cima all’ Altare (1 781 m) à gauche et la Cima Pagliaghju (1 183 m) à droite, vues de la forêt de Tartagine, 18 octobre 2011. Aquarelle, 19 x 64 cm

11


« Déjà, dans la forêt, quand je les dresse, il faut deux heures et demie pour descendre. Après, il y a un chemin qui descend le long de la rivière, il me faut une heure au moins. Je pars le matin vers dix heures, j’arrive à deux heures dans les collines après le col de Battaglia. Le lendemain je les cherche dans la colline, je pars à six heures, et je les descends jusqu’aux Agriate. C’est deux demi-journées. » Yannick Antonini

Forêt de Tartagine, 18 octobre 2011. Crayon graphite, 18 x 18 cm

Le sentier monte à la bergerie de Balaninu et descend à la maison forestière de Tartagine-Melaja.

Forêt de Tartagine, 18 octobre 2011. Crayon graphite et aquarelle, 26 x 26 cm

12



La Balagne en contrebas et l’Agriate au loin, vues du col de Battaglia, soir du 18 octobre 2011. Crayon graphite et aquarelle, 18 x 37 cm

Les chèvres de Nathalie et Yannick, près de la bergerie de Monticellacciu (« Scubellu »). Partie ouest de l’Agriate, 27 janvier 2010. Crayon et aquarelle, 27,5 x 40 cm

« Maintenant ça va commencer. On est le 24 ? Je vais les fermer le 28. Je les enferme, je leur donne à manger et elles vont commencer à mettre bas. […] Elles sont bien adaptées à monter et à descendre, elles naissent dans les Agriate, ça fait qu’elles n’ont aucune contrainte. Elles montent et elles sont à cent pour cent. » Yannick Antonini

14



Le paysage de l’Agriate en hiver, vu de la plage de Saint-Florent. Les crêtes enneigées du Massif du Tenda à gauche, 29 janvier 2010. Crayon graphite et aquarelle, 22 x 64 cm



Un artiste au désert « Matin du 8 septembre 2010, le long de la piste qui descend à Saleccia. La pluie a cessé. Le soleil rasant frappe à présent les buissons mouillés, ravive les couleurs et révèle la diversité du maquis. Un peu plus tôt, sous l’averse, le paysage n’était qu’une succession de crêtes rocheuses et, très loin en contrebas, je distinguais à peine le Monte Revincu et les rives du golfe de Saint-Florent. » J’ai découvert l’Agriate en 1987 en préparant un livret sur la protection du genévrier à gros fruits. Nous avions mis près de deux heures pour atteindre Saleccia en voiture. Douze kilomètres de piste ravinée par de récents orages, défoncée par endroits. Personne d’autre que nous. Virage après virage, je prenais conscience des dimensions du lieu, j’étais ému de savoir ces étendues définitivement préservées. Le temps gris et frais accentuait l’apparente monotonie du maquis et rendait cette lente « descente au désert » plus impressionnante encore. Nous avions alors aperçu, le long de la plage, le camp d’un Robinson aménagé sous les arbres avec du bois flotté, comme dans les livres d’aventure. J’avais envié celui qui, discrètement, vivait là depuis plusieurs semaines. Cette météo fraîche tranchait avec le souvenir d’un premier séjour en Corse lorsque, une dizaine d’années plus tôt, en juillet, j’étais venu surveiller une aire de balbuzards du côté de Piana. J’avais été frappé par l’intensité de la lumière, j’avais noté ce contact particulier entre l’eau transparente et les rochers, très différent de ce que je connaissais en Bretagne. Je me souviens aussi du maquis surchauffé et si odorant, des feuilles poisseuses des cistes. Je suis revenu une seconde fois dans l’Agriate pendant quelques jours, au mois de mai 1995, pour préparer le Carnet du littoral consacré à la Corse publié chez Gallimard. Certains vallons proches d’Ifana étaient

encore noircis par les incendies malgré la repousse vigoureuse du maquis. J’avais découvert, à l’ouest, le site de l’Ostriconi, si exotique et si beau, presque trop pittoresque pour un peintre. Je réalisais aussi à cette époque un autre travail pour le Conservatoire du littoral, sur le site de Campomoro-Senetosa, projet qui, pour la première fois, m’avait donné l’occasion de dessiner et de peindre un lieu au fil de l’année, séjours après séjours. Lorsqu’Emmanuel Lopez, alors directeur du Conservatoire du littoral, me proposa il y a cinq ans un nouveau projet consacré à l’Agriate, il insista sur la nécessité qu’une telle démarche soit menée sur une longue durée, convaincu que ce site auquel il était particulièrement attaché méritait plus d’une visite, davantage en tout cas qu’un carnet de passage, si sensible soit-il. Je n’avais alors pas revu l’Agriate depuis quinze ans. 18

Fauvette mélanocéphale, 28 avril 1995. Crayon graphite et aquarelle, 10 x 14 cm


Cette proposition coïncidait avec l’un des rêves que j’ai toujours en tête : parcourir à nouveau des lieux qui m’ont beaucoup touché, sans urgence, en laissant les moments calmes succéder aux temps forts. Pouvoir m’imprégner davantage, avoir le plaisir d’observer à nouveau certaines plantes ou certains animaux, de découvrir des espèces et des lumières nouvelles ; besoin de « creuser » un sujet sans bien savoir ce que je cherche. Envie aussi d’exprimer, au détour d’un sentier, des choses imprévues.

Lézard de Sicile. Marais de Cannuta, Saleccia, 19 octobre 2011. Crayon graphite et aquarelle, 27,5 x 37 cm

Le temps dont j’ai disposé m’a permis de rencontrer des gens, de parler avec eux de leur métier, de leur relation avec l’Agriate. Qu’il s’agisse d’un chevrier, de viticulteurs ou de l’équipe chargée de la gestion et de la surveillance du site, ces expériences singulières, si complémentaires, ont grandement enrichi mon travail. Je suis très reconnaissant à l’égard d’Emmanuel et du Conservatoire du littoral de m’avoir offert ce temps précieux. J’ai été touché par l’accueil que m’a réservé Jean-Michel Casta1. Il m’a ouvert les portes d’une ferme pleine de souvenirs, invité à visiter la maison d’en haut, perchée à Santo Pietro di Tenda, point d’ancrage de toute une vie familiale depuis plusieurs siècles. Profondément attaché à l’Agriate, il m’a longuement raconté une histoire très humaine, locale et universelle à la fois, sans laquelle ce livre ne résonnerait pas de toutes ces vies et toutes ces activités qui ont façonné ce territoire, au temps où il n’était pas un « désert ». Son témoignage forme le cœur d’un livre que j’ai choisi d’ouvrir avec la transhumance d’automne – un lien toujours vivant entre l’Agriate et les montagnes – et de refermer sur une plage le long du Cap, évoquant ainsi les cultivateurs qui venaient chaque année semer le blé dans la plaine de Saleccia. • Dessiner, peindre l’Agriate, c’est en effet dessiner et peindre les plantes, les animaux, mais aussi les gens et les lieux où ils vivent. L’espace à appréhender, 1. Voir entretien page 87.

19


Vu de très loin, le maquis semble uniforme. Quelques coups de pinceau suffisent à le suggérer lorsque je peins un vaste paysage. Observé de très près, il révèle une grande richesse de détails car je peux facilement distinguer les arbousiers des bruyères et des cistes, je peux apprécier les nuances de verts, la structure variée de leurs feuillages. Les choses se compliquent en revanche dans « l’entre-deux ». Lorsque je regarde le maquis à mi-distance, j’alterne sans m’en rendre compte des visions focalisées et des visions plus larges. La touche d’aquarelle, synthétique, parvient difficilement à « rendre » ces sensations variées. Je dois donc faire un choix, clarifier un projet. Pour peindre ce paysage proche, j’ouvre le regard, « j’oublie » les détails, je recherche d’autres éléments caractérisant le maquis à cette échelle, comme la tache rouge d’un arbousier couvert de fruits, un rocher ou un arbre isolé projetant une ombre bien visible.

si vaste, avait de quoi inquiéter. Pendant trois années, j’ai travaillé « dans le désordre », intuitivement, variant les lieux d’accès et les points de vue, déchiffrant peu à peu cette immensité de maquis et de roches. Plusieurs fois – je me souviens en particulier d’un soir après avoir dessiné une journée entière sur le site archéologique du Monte Revincu – j’eus le sentiment de franchir un cap, de percevoir ce territoire de façon plus globale et cohérente. Le défi était d’autant plus réel qu’en acceptant ce projet, je savais que j’allais me confronter au maquis, un sujet difficile, déjà abordé sur le site de Campomoro et lors d’un long travail dans le Parc national de Port-Cros. 20

Paysages ou êtres vivants exigent le même travail de déconstruction et recomposition. Lorsque je focalise mon attention sur une fauvette en alerte dans un buisson ou un lichen sur un rameau d’arbousier, je l’isole mentalement de tout ce qui l’environne et je le dessine avec pour seul décor le blanc du papier. La patience est ici de rigueur car les animaux du maquis sont discrets, furtifs ; l’observation permet d’apercevoir quelques formes, une attitude, mais le regard ne capte souvent qu’un fragment d’animal car le reste est caché par une branche ou un feuillage. Si je m’intéresse aux relations de formes et de couleurs entre le sujet principal et son environnement, mon attention change ; je dois alors attacher autant d’importance aux espaces entre les « choses » qu’aux « choses » elles-mêmes. Il faut analyser plus finement et plus globalement ce qui se passe dans mon champ visuel, comme par exemple le contact entre un groupe de feuilles très éclairées et une zone d’ombre dans un buisson, ou entre le dos brillant d’un lézard et le sol granuleux derrière lui.


Étrange attitude que celle d’être là, très présent, concentré dans l’observation, tout en s’efforçant d’oublier – ou presque – qu’il s’agit de cistes, de lentisques et de fauvettes. Quel que soit le sujet, il faut transcrire, tracer, trouver une matière, faire en sorte que chaque spectateur puisse ensuite ressentir, découvrir ou reconnaître l’Agriate au travers de mon regard d’artiste. J’aime cet exercice complexe et excitant. • Les dessins et les aquarelles qui composent ce livre ont été réalisés « sur le motif », principalement entre juin 2009 et juin 2012. Dans le cas des visions sous-marines, j’ai peint de mémoire, juste après les séquences d’observation, à l’aide de croquis tracés au crayon sur un support adéquat. J’ai besoin de ce contact direct, c’est le fondement de ma démarche d’artiste. Chaque sortie est une expérience différente. Je peux décider d’un programme, mais les journées se déroulent le plus souvent de façon imprévisible, au gré des observations naturalistes ou des conditions météorologiques. En chaque lieu, mon regard évolue par étapes : aux premières images, généralement figuratives et descriptives, succèdent des visions plus synthétiques, parfois presque abstraites. La Corse, pays de soleil, est fréquemment montrée sous des couleurs vives, intenses, tranchantes. Mais, c’est aussi un pays de lumières douces, de pluie et de brume. Ici comme ailleurs, la nature offre le plus souvent un éventail de couleurs restreint, y compris au sein des paysages dont la splendeur excite les sens. Je suis très sensible à ces variations subtiles de formes et de couleurs et j’essaye d’exprimer ces modulations sans les accentuer, au plus près de ce que capte mon regard. Fidèle aux lumières des saisons et des heures, ce livre rend hommage aux multiples beautés de l’Agriate, ce territoire exceptionnel qui n’a de désert que le nom. Cistes de Montpellier en fleurs, 31 mai 2012. Aquarelle, 18 x 18 cm

Denis Clavreul 21



Coup de vent dans le golfe de Saint-Florent. La plage de la Roya près du camping, soir du 26 janvier 2010. Crayon graphite et aquarelle, 26 x 38 cm

23


Goélands d’Audouin près de Saint-Florent, 18 avril 2002. Crayon graphite, 27 x 39 cm

Rochers à Ostriconi, 21 octobre 2011. Aquarelle, 26 x 26 cm

24


25


Vision fugitive : jeunes orphies. Ostriconi, 21 octobre 2011. Crayon graphite et aquarelle, 13 x 29 cm

26


Ostriconi, 21 octobre 2011. Aquarelle, 18 x 34 cm

27


Banc de saupes (adultes et jeunes), rouget, crĂŠnilabre paon, oblades, girelle, saupes sars. Punta di Mignola, 6 septembre 2010. Crayon graphite et aquarelle, 26 x 36,5 cm

Croquis sous-marins (herbier de posidonies). Punta di Mignola, 6 septembre 2010. Crayon graphite sur calque polyester, 19 x 27 cm

28


29


Fruits de posidonie échoués sur la plage de Ghignu, 2 mai 1995. Crayon graphite et aquarelle, 14 x 10 cm

L’hiver, les feuilles mortes des posidonies échouent sur les plages où elles peuvent s’accumuler en hautes « banquettes ». Ces plantes à fleurs marines (ce ne sont pas des algues) poussent en « prairies » jusqu’à une quarantaine de mètres de profondeur. Les herbiers de posidonies stabilisent les fonds, produisent de l’oxygène et servent de nourriture, de nurserie et d’abri à une multitude d’organismes.

30


« Banquettes » de posidonies près du Lotu, 7 juin 2012. Aquarelle, 26 x 37 cm Coquille de patelle ferrugineuse (appelée aussi patelle géante), trouvée sur une plage, 9 avril 1995. Crayon graphite, 6 x 5 cm

31


La plage de Saleccia (la Punta di Mignola au loin), soir du 5 septembre 2010. Crayon graphite et aquarelle, 26 x 26 cm

32


Saleccia, matin du 7 septembre 2010. Crayon graphite et aquarelle, 26 x 38 cm

33


34


Ghignu. La plage et la dune (à l’ombre d’un nuage), 6 septembre 2010 Crayon graphite et aquarelle, 23 x 64 cm

35


36


Ostriconi, 20 octobre 2009. Crayon graphite et aquarelle, 13 x 41 cm

37


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.