DU MÊME AUTEUR
L’apparition, Coll. E Cunchiglie, Albiana, 2007 Matins, Albiana, 2009
Yves Goulm
La livraison
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Il arrive. Le livre. Ça devait arriver. À force. Tout arrive. Le prévu, l’imprévu. Un jour l’autre. L’envisagé, l’inespéré. Parfois, le lendemain : rien. Pas le moindre événement. Tant attendu qu’inattendu. Aucun fait marquant. Ni trémulation ni tribulation. Journée vide. Jour escamoté. Puis le surlendemain s’est empli à n’en plus pouvoir, n’en savoir où donner de la tête et du muscle. Ça déborde. Ça dépasse les bornes. Trop-plein. Une incroyable crue. Bondé. Ça s’amasse, s’empile. Strate sur strate. Ça enfle à exploser. Aérostat surgonflé. Pluie de mousson. Ça pèse sur les digues. Plusieurs jours trépidants peuvent se succéder. Idem les mornes. Nulle règle. Ni valeur étalon. De nombre d’or. La vie brasse du bonheur, du malheur, des heures de liesse et de tristesse, pléthores de projets et quantité de maisons abandonnées aux vents mauvais, au lierre tenace et aux animaux de passage. Courant alternatif débridé. La vie manque souvent de jugeote, d’un peu de plomb dans la tête. À tel point qu’il advient que de pauvres bougres dépourvus s’en rajoutent quelques grammes sous la forme d’une balle de revolver. Action, inaction. Pas d’équilibre. Aucune moyenne fiable ni statistique cohérente. Un jour, jamais lointain, plus rien. Vraiment. Du tout. Définitivement. Jour néant. Jour du néant. Nuit totale. Absolue. Le pétrin tourne à vide. Jour sans lendemain. Soi sans demain. Et vice-versa. Jour du grand soir. Le mouvement nous dépasse. Puisqu’immobile. Arrêté. Fin de l’histoire de chacun. Par la fixité. Jour où l’on trépasse. Où l’histoire nous débarque. Nous passe par pertes et profits. Arrêt des comptes et du décompte. L’instant à partir duquel le temps nous regarde dans le rétroviseur, silhouette rapetissant, disparaître de sa vue. Être s’amenuisant. Le temps n’est pas myope. Juste, il ne s’arrête pas. Ni ne ralentit l’allure. Il est dans le train – il est le train –, toi, scotché sur le quai. Mouche ruban. Irrémédiablement. Terminus. Sans bagages. Sans correspondance. Te voici créature invisible aux yeux du temps qui poursuit sa course.
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Pas le temps d’attendre. Il doit continuer son transport des vivants. Il dépose les morts sur les quais de gares désaffectées. Dernier voyage. Chemin de fer vers l’enfer. À présent, cette station verra les convois passer sans s’arrêter. Plus de voyageurs, plus de fret, plus de sacs postaux. Fini les ébranlements de wagons, les annonces des haut-parleurs et la stridence du sifflet. Fini les baisers fougueux des amoureux. Les rails rouillent. Les pierres du ballast sont concassées par un recycleur de matériau inerte. Elles deviennent revêtement d’allées proprettes pour cours de maisonnettes pimpantes. Jour de l’au-delà. Chacun son tour. Poussez pas ! Y en aura pour tout le monde. La place ne manque pas. Inutile de resquiller. Trépas. Franchir le pas. Le pas très. Dernier trait tracé. Le repas de la mort, gloutonne vorace qui s’empiffre de nos corps, se délecte des restes de notre vie. Nos reliefs. Affaire d’enchaînements. De déchirements. De déchairements. Tirer sur sa chaîne. Sa corde. Selon. Chaque jour une longueur de longe. Suffirait d’attendre sans trop mouronner. Ce serait, comment dire ? plus confortable. Moins troublant. Peut-être. Certains réussissent. Prennent les choses bon côté. Tranquillité. Carpe diem. Parviennent à s’apaiser. Profitent de l’existence. Baïéné. Cool Fresh. J’en suis loin. S’en faut. C’est déstabilisant de penser aux jours dont on ne sera plus. On ne peut s’empêcher d’éprouver une sorte de sentiment jaloux couplé à un empêchement de la raison à se représenter le monde sans soi. On ne peut s’empêcher de réprouver. Oui, tout arrive, tôt ou tard, l’hiver, les trahisons et les crachins brouillasseux des matins blêmes lorsque les cieux blafards bas de plafond étirent leurs humeurs tristes et grisâtres jusqu’au sol frissonnant, saule courbant ses pleurs à toucher la terre de la traîne languide des ultimes feuilles de sa ramure ployée d’une pluie pernicieuse et froide. Crime lacrymal. Peine maximale. Où est le bien ? Le mal ? Quel sécant les délimite ? Quelle morale mouvante ? C’est inéluctable. Question d’attente. Inéluctable. J’aime ce mot. Sonne. Racé. Tel délectable. J’aime les mots en able. Les mots de manière générale, c’est entendu, mais pour ceux en able j’ai un petit faible. Une tendresse particulière. Je les sens toujours… malléables. Pétrissables. Certains sont plus agréables que d’autres. Plus enclins. Disposés. C’est pour tout pareil. Les contrôleurs de billets, agents de guichets, chefs de gare, garçons bouchers, livreurs en motocyclette, factionnaires et fonctionnaires. Les laveurs de vitres. Trop aimer les mots ? Se peut-il ? Aveuglément. La fatalité des mots source de volupté ? La volupté des mots source de fatalité ?
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À y réfléchir, c’est un phénomène troublant. Genre à subir. Interdit, docile. Domestiqué du destin. Esclave du fatal. La fatalité a souvent tendance à s’achever par du désagrégé. Mauvais augure. Conjonction des astres pour un désastre ! La fatalité, quoi qu’en disent les agrégés, c’est du domaine vilain. Vilain drôle m’appelait pépé. J’aimais bien. Je l’aimais lui et ses manières bourrues. Façons d’autrefois. Façons d’avant. Manières hache-écorce, baratte, fléau, araire et bêche. Manières tabac chique. De nos jours c’est doucereux, mielleux, affecté et compagnie. Tee-shirts fluorescents gomina. La haine aussi c’est un drôle de bastringue. Enfin drôle, façon d’écrire… Je sais, qui mieux que moi, que tout est façon d’écrire. Écrire à façon j’ai jamais pu. Sans façon. Merci bien. Non. Aurais-je dû ? Qui peut savoir ? Qui sait quoi que ce soit ? Sinon que la fatalité est l’implacable victimaire de si nombreux destins. Et que le malheur est souvent une bête innocente. Il va arriver. Je n’en veux pas. Je le dénie. Il n’est pas de moi. Livre de quoi ? Livre de qui ? Livre pour quoi ? Qui est le monstre, le menteur ? Qui est l’usurpateur, l’illusionniste ? Qui se délivre en livrant l’autre ? Qui est le traître, le félon, le blâmable ? Auquel la condamnation ? Se couler un bain délassant. S’allonger. L’eau purie. L’eau lave la conscience. Elle procure l’oubli. Elle nettoie. C’est l’élément premier. L’originel. L’initial. L’ambrosiaque.
Je demain, jeu de vilain. Jour de casse. De bris. Jour débris. Épars. Pare-brise mille morceaux. Jour du départ. Les miroirs effacent notre visage. Supprimé du trombinoscope. Jour marée basse stoppée haute mer. Empêchée remonter. J’ai entendu parler d’une peuplade, à l’époque où je m’intéressais encore à quelque chose, qui brisait un miroir dans la case de celui qui venait d’expirer. Une lointaine croyance en la libération de l’âme emprisonnée dans le verre réflecteur. Mémoire des miroirs. Ils inhumaient le macchabée avec les fragments de la glace. Les gens se démènent en bizarreries dès qu’il s’agit de se rassurer. Pour certaines tribus une photographie vole l’âme. Chacun son masque. Chacun son oblation. Dès qu’il est question de se prolonger en aidant les morts à aller de l’avant. Les rites funèbres sont autant de portes d’espérance. Apprêter le terrain. Préparer l’à venir, l’avenir, l’avéré. Pas besoin d’horoscope. De toute éternité. Moments de joie
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que ne coupera plus la moche camarde. Et ceux qui prétendent qu’expirer c’est expier. Ceux qui ne prétendent et ne tendent à rien. Naissent hasard, vivent force des choses, contraints, meurent dans les épouvantables souffrances d’une agonie de damné. Par-dessus le marché, certains aiment une telle vie… Sidérant ! Chacun son faux nez. Chacun son ordalie. Avant que les gars Niépce et Daguerre ne maîtrisent la fixation d’image sur support, quel happement d’âmes craignaient donc ces peuplades ? Comptaient-elles en leur sein des portraitistes capteurs de visages ? D’autres, avant qu’on invente le tain retour à l’envoyeur, comment conjuraient-ils le sortilège ? En crachant dans l’onde ? Y jetant un galet ricochet ? En mollardant à la face du monde ? Ne nous mettons pas martel pour l’apprendre. Ça changerait quoi ? Songer aux masses de savoirs ignorés conduit à virer mabouldingue ou à découvrir un des soupiraux de la conscience où pressentir une infinitésimale prémisse idée de l’infini. Omniscience du pauvre. Pléthore de divinités indigènes, chacune ses prérogatives. Ou alors tout ce bordel n’a aucun sens. Ce qui se pourrait bien ! Mon corps otterait dans la tiédeur d’une eau lagonaire. Mes maux de ventre s’apaiseraient. Me lanceraient moins. M’élanceraient moins. Je passerai sur ma peau corrompue l’ouate épaisse d’un gant de toilette gorgé de la mousse d’un savon à l’huile d’olive du Tarava. Un peu de calme. De paix. Jusqu’à la somnolence. À effacer l’effraction qui s’impose. Jusqu’à la tranquillité. À gommer les méfaits. Jusqu’à l’oubli.
Pépé, vous l’auriez vu le jour où la fatalité lui est dégringolée dessus par l’entremise d’un robuste tronc de chêne tombé au mauvais endroit. En plein sur le bonhomme. L’était pas joli joli à voir l’ancêtre. Écrabouillé yeuse. Pépé disloqué. Bouts éparpillés. Ça m’avait flanqué un choc. Non de le voir mort, des morts j’en avais déjà vu, vieux, blancs, fripés, vitreux, figés sur leur lit, mannequins de cire, moches, muets, inquiétants. Je le croyais fortiche comme pas deux, et le voilà assez con pour se laisser surprendre par la chute d’un arbre. C’était mon héros. C’est important un héros de gamin. Superchampion ratatiné par un pédonculé qu’il en avait bûcheronné des milliers auparavant. Pépé démantibulé. Un arbre. L’arme du crime. Travaillait de la hache. Dézinguait du bois pour gagner sa vie. Ça l’a tué. La vengeance du peuple ligneux ? Allez savoir… Un jour comme un autre. Zou. Pépé dévale de son piédestal. Jour du héros déchu. Arbre
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choit héros déchoit. T’es déçu. Que des menteries. Roi à bas le trône. Jour où ton amour te trompe. Où ton amour se rompt. Celui où ton ami trahit. Jour des rues vides, des déceptions et des plaies à vif. Jour de dénouement. Conclusion. Occlusion. Jour de livraison. L’eau s’empare de l’offrande et la pare de sa douce vêture. L’eau t’englobe, t’amalgame. Tu te fonds en elle oiseau au vent du ciel claquant ses ailes à l’envol des destinations. L’eau t’ouvre le passage. Elle t’offre la trêve. Tu t’oublies dans ses plis liquides.
C’est l’heure ! Je peux, des pages et des pages durant, déblatérer sur les fatalités s’abattant hue dia emporte-pièce, rien n’y changera. Je ne suis pas ici pour raconter ma vie. Raconter sa vie c’est activité de dilettante. Ou de garçon coiffeur. L’heure c’est l’heure. Après plus. Avant pas. Moment fâcheux dont je me serais volontiers passé. Dont j’aurais dû. Oh combien ! On devrait toujours s’astreindre à penser avant. Mais ça use. À force. Penser et penser encore. Toujours. Si tu aspires à ne pas penser, ne serait-ce qu’un court moment, pour souffler un peu, relâcher l’attention, diminuer la tension, tu dois y penser fort, très. Je pense depuis tant d’années. J’y passe le plus clair de mon temps. Regardez où j’en suis… à présent… Où ça m’a mené. Édifiant ! Surmonter les pouvoirs de la pensée ? Comment ? Quand ? Qui ? D’y constamment penser me tue. Petit feu. Paraîtrait que nous pensons avant de naître. Sans rien pouvoir empêcher. Certains affirment que nous pensons encore une fois mort. Fort de café. Dès le début, tu peux penser que tu es une fatalité, une calamité. Tu nais. Tu vis. Tu respires. Tu ris. Tu souffres. Tu aimes (tu crois aimer). Tu manges. Tu dors. Tu bois. Tu combats. Tu travailles. Tu te laves. Tu marches. Tu cours. Un jour tu loupes une marche. Elle se dérobe sous tes pas. C’est ce qu’il m’est arrivé avec mes pensées. M’ont quitté. Pfuit. Enfuies. Dans les mots. Enfouies. Les mots que j’aimais surabondamment. Me suis pas méfié. On ne se méfie jamais trop. Pris à mon propre piège. Les mots en able et les autres. Tous. J’avais fini par les aimer plus que mes pensées. Perversion suprême. Passion aveugle. Aveuglante. Plus contrôlé mes pensées. J’écrivais pour écrire. Peu importait le sens. Peu m’importait qu’écrire c’est transcrire des pensées en images et ces images en mots. J’écrivais des mots. Comme ils venaient. À la va j’te pousse. À l’encan. Des mots. Encore des mots. J’étais accro. Mot-dépendant. Juste les écrire. Les extirper du néant. Les dénéantiser. Vivants. Arrivés à
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la vie. Advenus. Avivés. Me suffisaient. Tels quels. Je les enfilais perles. Colliers pierres précieuses. Mes pensées n’intervenaient plus. Elles croupissaient. Au rencart. Interdites. Ignorées. Au placard. J’ai laissé les mauvaises herbes gagner du terrain. Ivraie, chiendent, chardon. Les gourmands proliféraient. J’ai pêché par négligence. Alors, mes pensées se sont libérées. Pour une autre mainmise. Une autre tyrannie. Toujours ainsi. Les délivrés se précipitent immédiatement dans le giron d’une nouvelle oppression. Toujours. Une aimantation. C’est la règle. Édictée. Loi de la nature. À chaque jour son joug et sa mise en joue. Mes pensées se sont amalgamées aux mots. Leur imparable vengeance fut de corrompre adorable. Le premier qu’elles pervertirent. Adorable. Le premier qu’elles souillèrent. Les autres suivirent. Même sort. Communauté de destin. Amalgame. Ce que j’ai pu l’aimer. Adoré. Adulé. Idolâtré. Abusivement. À raison perdre. D’ailleurs… Une raison sans pensées. Incorporées aux mots. Par dépit. Par jalousie. Se sont abandonnées. Données. Chaque nouvelle passion se décline au début dans la furie des corps, la fusion des chairs, dans les bouillonnements de l’ardeur. Le temps que ça dure. Comme rien ne dure vraiment. D’autre que le temps. Se sont enchaînées aux délices des mots. N’avaient pas dû jouir de longtemps avec moi. Plus d’orgasme. Plus de plaisir. Plus d’éruptions. Le désir s’étiole. Alors elles sont allées aux mots. Directement. Sans entremise. Se faire baiser. Prendre en postures lascives, vulgaires traînées, nymphomanes pyromanes. Positions explosives. La lectrice, Andromaque, bateau ivre, belles endormies, collier de Vénus. Kâma Sûtra littéraire. Fantasmes. Élixir d’amour. Extases. Pensées salopes. Pensées saute-au-paf. Des folles du derche. Avant la monotonie et la routine. Me suis retrouvé face aux mots ; moi, vide ; eux, emplis de mes pensées. Échec et mat. S’abluer. S’immerger dans l’innocence caressante d’un bain turc. Proter des buées pour ignorer le regard des miroirs, pour ne se voir pas. À peine se discerner. Deviner une forme informe. Distinguer un visage ou. Se coner à l’anonymat de la vapeur. Se rêver évanescent. Masser mon gastêr endolori aux courbes convexes de la pierre chaude, la pierre de ventre. Thermes aux vertus lithiques. S’oublier.
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Donc. La nouvelle est tombée. Tel l’arbre. Lugubre. Mauvaise. Tu as beau t’y attendre. Le type à qui s’annonce qu’il a le cul pourri. Ses sanguinolences anales et de fréquents vomissements ont beau – enfin beau… – l’avoir mis en alerte. Tant que ne retentit pas le douzième coup du battant. Qu’on n’a pas entendu la sentence. Pas perçu le glissement métallique de la lame, le crissement du fil. Cette fois c’est la bonne. Bonjour l’expression ! Le type clamse. Cul pourri. Gueule ouverte. Tête que ne traversera plus la moindre pensée. Ni mot. Tout ce cirque pour en arriver là. Cinéma comédie finissant tragédie. Pour basculer dans la nuit absolue. Plus de pensées. Plus de mots. Nuit de fatalité. Mort et mot ont une parenté physique. Un petit r de famille. Une chiquenaude consonne. Consanguinité. Dix-huitième lettre. En mathématique, le symbole du corps des nombres réels. Un air de roulement. Une aire à abattre. Un r de misère. R que mot s’adjoint, se greffe. Graphiare, écrire. Une incision entre o et t. Une enture. Mot qui change sa nature. Tout est si réel. Un corps mort c’est réel. Réalité de la mort. Un mot réel avec un r. Mot et mort sont d’une troublante similitude. Pour se charger des corps. Et des pensées. Rature sur la page. Une tache d’encre. Littérature buvard. Littérature bavarde. Et. Tout ce temps, ces pensées, ces mots… cet arsenal pour le jour de la nuit, la nuit du temps, n’être plus du temps, ne plus penser, n’être plus des mots, plus avec les mots. Ni dans les émotions. N’être plus des couleurs. Noir unique. Fini le rouge, le vert, le jaune. Tout ce temps à attendre. Nuits et jours. Espoirs et désespoirs. Poires pour la soif pourrissant avant qu’on ne les déguste. Fruits blets. Toutes ces pensées pour effacer la pensée. Insensée dépense d’énergie virant au mentisme. Mensonge des songes béats. Tous ces mots pour en sortir. S’extraire. Tous ces mots terrorisés d’être entés d’un r, hantés d’un fantôme consonantique. Ces pulsions avant l’expulsion. L’extraction. L’excision. Toute cette mémoire pour oublier. Tant de mots doubles. La nuit viendra. Fatalement. Les images n’y peuvent mais. Ni les
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couleurs. Ni les voyelles. Personne. Fatalité des destinées. Tous les mots mènent à la mort et s’y abîment, engloutis, déglutis par l’insatiable voracité nécrophage, la boulimie de la fatalité. Tout n’est qu’échouage. Mot bouée. Mot radeau. Tout est naufrage. Pourtant. Les mots sont prêts à tout. Et le contraire. On peut les forcer à dire le contraire de ce que l’on pense. Le contraire de ce qu’ils sont. Sans que ça ne se voie ni se sache. Se sente ni paraisse. C’est dire ! Par paresse. De sacrés cossards. Aucune vergogne. Aucune vertu. Pas de morale. Pas d’état d’âme. Et l’âme dans un état… voir pour croire. On peut tout prédire avec eux. La pire des inepties. Nier les évidences. Renier. Maudire. Jurer. Abjurer. Tout et son contraire. Pas plus malhonnêtes. Serviles. Des mercenaires. Aucune déontologie. Aucune fierté. J’ai lu — à l’époque où je lisais encore — des textes prétendant qu’ils n’ont absolument pas besoin d’écrivain. Ils sont du Verbe. Ils sont le Verbe. Matière de la vie. L’étant. Le temps. Un mot, n’importe lequel, dit la vie (Quoique mort, justement…). La vivifie. La justifie. Est la vie. Le Verbe. La littérature c’est l’opposé. Le contraire. La contrainte. Étreinte malsaine. Contre-nature. Anaturelle. Une débauche. Un inceste. Mariage morganatique dont l’écrivain est le roturier. Verbe Vie. Littérature antéchrist. Mot-Vérité. Poésie démone. Je les écoute mais n’ai jamais pu aller jusqu’eux. J’ai pourtant beaucoup pensé. Mais je ne parviens pas à les suivre, les atteindre. J’échoue à hisser ma pensée pour la poser sur ces altitudes. Les mots, tu peux les laisser seuls. Se suffisent. Que celui qui prétend les mener vers mieux et beau se goure de première. Un ami moine — du temps où j’avais encore des amis — m’a écrit en exergue d’un recueil de ses textes poétiques qu’à l’aube de la nouvelle création Dieu dit « Que la lumière soit ! » s’interdisant de proclamer « Que paraisse le Verbe ! » Pourquoi diable Dieu s’interdit-il quoi que ce soit ? On ne peut pas dire qu’il se soit bridé. Pour quelle raison n’ose-t-Il pas énoncer l’évidence que Jean clamera ? Ce n’est tout de même pas une vulgaire affaire de devinettes. Tant de choses me troublent. Celle-ci, c’est le pompon. Ça m’agace que ce soit les histoires de Dieu qui me dépassent le plus. J’aurais de loin préféré plus de simplicité. Possible aussi que nous nous montions la sègue pour compliquer ce qui ne l’est pas. Peut-être la raison pour laquelle j’en suis là. Ma faute. (Bon, au vrai, ils utilisent autant de mots que moi pour leurs démonstrations). Avoir
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cru diriger un orchestre, voulu composer des musiques. Ciseler des assonances. Lors qu’il faudrait les laisser improviser. Ils m’ont fait un petit dans le dos sans se faire prier pour soulever les draps que mes pensées se glissent dans leur lit pour l’accouplement. Ces couples infernaux m’ont engrossé sans vergogne et affublé d’un horrible polichinelle dans le tiroir. Si écrire c’est pêcher, comment attendre autrement ? Que ne suis-je analphabète… Car. On peut mentir à tour de paroles avec les mots. C’est bête chou. Je l’ai découvert tôt. Elle m’a dit : Je t’aime. Il faisait beau. Le ciel si… C’était des mots et ce n’était pas vrai. Elle n’en pensait pas un traître mot. Pourtant je l’ai cru. Oh combien ! Elle était belle, si… d’une beauté… belle… idéale… Nature de la faute. Pas de la poésie. Mots mensongers. Quiconque s’est déjà endormi dans l’eau sait du fœtus le bien-être. Amniotique bercelonnette. Insouciante ottaison. Sensation de plénitude. La carapace liquide berce le sommeil. Qui, faisant la planche, s’est assoupi dans l’océan sait le bonheur de l’avant, les origines de l’être. Je vais me couler un bain. Tiède. M’y allonger.
Alors. Seraient divins. En ce cas, ont-ils échappé à la loi commune ? Fait à l’image. Pour l’image. De nature. À la ressemblance. Comme nous. Le bon. Le mauvais. Le lumineux le lugubre. Le pile le face. La face. Recto verso. Et le toutim. Tout est organisé pour nous. Les mots itou. Font partie de l’ensemble. Ce ne sont pas des étrangers, des énigmes que nous borborygmons sans en connaître rôle et essence. Tout serait calé pour nous hormis les mots ? Dire fromage à pâte molle ou mâchicoulis voir encore moucharabieh relèverait du miracle et/ou du blasphème. Médire. Dire tort travers. Quoi qu’à y bien penser… Mais mes pensées… Les mots… Nature de la faute… Sont-ils Preuve et Présence, présence de la Preuve et preuve de la Présence ? À moins que chacun soit un atome, une cellule du grand Tout. J’ai étudié – du temps où j’étudiais encore – des théories d’astrophysique tendant à
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démontrer que des gènes cosmiques viennent avec régularité de l’espace sur notre planète afin de la vivifier, la nourrir de leur énergie. Peut-être sont-ce les mots émis qui se baladent une paire de millénaire dans le maelström des systèmes solaires pour s’en revenir chargés d’ions dans le giron natal ? Trop aimé ineptie et décelable. Ineptie. N’a-t-il pas tout pour plaire, pour faire pâlir ? Le bel enfant. L’Adonis. Peau de satin. Ineptie c’est miel. J’ai aussi tant chéri chimérique. Et les mots en able. Abusivement. Vocable. Formidable. Friable. On orne. On pare. On enjolive. Enjolive je m’y suis donné pieds poings. En conscience. Conscience je perdais l’esprit à son surgissement. À m’évanouir. Vertigineux tournoyait. Vertige m’enivrait. S’annonçait dans un pétillement champagne. Mot-bulle. Frétillement des gaz. Des mots pleins la tête. Globules dans le sang. Moustiques faisceau de la lampe. Ils papillonnaient d’une tourbillonnaire pariade. Une parade. Conscience, esprit, pensée. Des mots. Surtout ceux en able. Excepté diable qui m’a toujours refroidi le dos. Breuh !!!! D’où le drame. Griserie. Je n’étais plus maître. Mes pensées m’ont quitté. Parties aux mots. Seules. Leur chagrin en bandoulière. Vagabondes. Fugueuses. M’ont laissé. Mots immobiles et corvéables. Mots hémiplégiques. M’ont lorgné narquois. Clin d’œil défi. Petite œillade. Foutu le camp bras dessus dessous avec mes pensées négligées. Ont déguerpi. Enjolive. J’entendais la joie. Enjolivures. Enluminures. Illuminer. Mines de lumières. Puits vers le haut. Lumen. J’en recevais pâmoison. Moisson d’émotions d’âme. Mousson d’émois. Un dévoilement. Crue du beau. Sans retenue. Aucune. Ni fausse pudeur. Ni honte feinte. Ni bue. Ivresse des mots. Les barrages cédaient. Irruption. Éruption. Je pensais qu’elles aimaient ces élans. Qu’elles goûtaient ces délectations. Nenni. D’où le problème. L’os. L’hic. Tandis que je roucoulais avec les mots mes pensées se jugeant délaissées m’ont emboucané. Quiconque a manqué de peu se noyer sait du nouveau-né le déchirement de la naissance, l’expulsion du paradis. Quiconque a cessé de se débattre, passée la peur panique, passées les âcres déglutitions d’eau salée, pour se laisser emporter par la mer, sait du nourrisson la douleur de l’ingestion d’oxygène lorsque – contre son gré – le corps est remonté à la surface et que les poumons s’emplissent d’air. Quiconque a été secouru in extremis de la noyade, connaît cet énigmatique instant du regret, cette effroyable déception de se retrouver sur le rivage entouré d’autres visages que ceux
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des anges qui nous avaient déjà souri, d’avoir été enlevé à une si belle nage, une nage où l’on vole.
Vu que. Mots émotions. Tu t’y couches draps de soie. T’y coules dans la joie. Volupté. Que j’ai adulé. Tu roules avec les mots. Fenêtre grande ouverte. Espaces majestueux. Bolide. Ivresse de la vitesse. Les bandes de l’horizon défilent flous contours lointains d’un tableau où le regard s’immerge dans l’âme des couleurs. Kaléidoscopes paysages. Tu t’octroies de régulières étapes pour plonger dans les vasques des piscines naturelles à flanc de cascades. Itinéraire sur mesure avec des pauses relais-châteaux. Tu savoures. Ne nie pas. Ne nie jamais. C’est pire. Avoue ! Tout de suite ! Ne lanterne pas ! Ne fais pas le malin ni ne joue les héros ! Tu finiras par avouer ! C’est inévitable ! Autant s’éviter la torture. Autant s’épargner la douleur. Même pour écrire le vil et le sale tu t’es complu. Les pires cochonneries. Pour écrire des intestins infectés qui suintent le sang tu t’es immodérément repu des mots. Pour décrire des salauderies tu t’es gavé. Et que je gamberge, que je me goberge. Écrire, écrire, écrire. Encore et encore. Toujours. Tous les jours. Sans plus savoir pourquoi. Pour qui. Un dé-savoir. Désaveu. Une manie. Une maladie. Monomanie des mots. Des pensées atrophiées. Tu croyais être dans les mots. Tu croyais être des mots. En entier. Ils te conféraient un pouvoir magique. Plus rien pour tes pensées. Tu ne pensais plus à elles. Tu les délaissais compagnes vieillies. Vieilles peaux. Vieux mamelons plus caressés. Seins jadis splendides poires fermes épiderme de pêche désormais parcourus de gerçures sèches, crevasses squameuses. Des rides. Un ventre souple, velouté, sur lequel ta langue cherchait fortune avant qu’elle ne se retourne glissant un oreiller sous, et, à présent, pansu, mochement tavelé, strié de vergetures repoussantes, n’inspire plus qu’écœurement. Les mots te submergeaient. T’amalgamaient. Tu diluais tes pensées pauvresses dans une poudre médicamenteuse effervescente. Sens en effervescence. Effervescence. Pour lui j’aurais vendu père et mère. D’ailleurs… À l’entendre je goûtais l’ambroisie. Je touchais le ciel du doigt. Nectar. Je caressais les plumes d’un ange. Effervescence. J’étais un ange. Car.
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Fatalement, vint le jour où mes pensées et les mots complotèrent. Pour se passer de moi. Plus d’intermédiaire. Tu t’imagines que les mots permettent d’exprimer tes pensées les plus secrètes, les plus interdites, les intimes, les enfouies, les inavouables, les pensées serpillières, ramassebourrier, alors qu’ils t’en éloignent. Ils envahirent mes pensées soumises. Ils les hantent désormais. Du fantôme du beau. Masque factice. Sublime de kermesse. Farce de foire. Carnaval. Des pochades. Ils les possèdent. Le jour funeste, d’une laideur à frémir, où je fis le terrible constat de la dépossession ourdie, si vous saviez… on se sent… minable… floué… affreux. Sale ! Souillé ! Coupable. Les mots coupables. Pensées complices. Ou le contraire. On finit par ne plus savoir. Un jacuzzi bouillonnant de geysers bienfaisants. Tu oublies maux de tête et ventraux. Tu quittes la réalité. Tu te laisses aller. Tu t’oublies. L’eau masse ta peau. Elle s’amasse autour de toi. Elle t’enveloppe. Tu t’abandonnes. Seul. Tranquille. Calme. Apaisé. Serein.
Les mots en able. Tu es inutile. Chacun sait s’il commet une sale action. Pas besoin de schéma ou de dessin. Juste un miroir. Se regarder dans les yeux. Vis-à-vis. De soi. On voit. Ça transparaît. On baisse le regard. On se détourne. Un peu. Juste ce qu’il faut. Puis on renverse du pied la chaise. On jette le peigne sur la commode. On crache sur la glace en lâchant deux jurons. Gestes dépit. Gestes rage. On sort sans un regard pour soi, laissant la chambre retenir les maigres échos des doux rêves de la nuit. Les épouvantables cauchemars régneront sans partage, monarque absolu et autoritaire. Autocratie du hideux. Les mots commandaient mes pensées. Je n’avais plus prise. Nulle emprise. Matière insoumise. La rébellion était fille d’abandon. Mus par une vigueur rogne, ils se mirent à dicter. Monde à l’envers. L’envers du monde. Je ne fus plus rien. Déjà que… Je savais être peu. J’avais au moins ça pour moi. Cette lucidité. Cette clairvoyance blanche. Me suis jaugé plus souvent qu’à mon tour. Jugé. Introspection. Pour le résultat que l’on sait. Ni pensées ni mots. Plus rien. M’en suis aperçu trop tard. Furent ingurgités, mâchouillés, recrachés bouillie carton-pâte. Un décor de vaudeville. S’être tant scruté sans sentir que l’on se vide, s’évide. S’être tant archéologisé pour finir macchabée au musée des horreurs.
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Mais. Pour raconter ceci, il faut me débrouiller sans pensées ni pouvoir sur les mots. Démuni pour tracer la chronique de l’anachronique. Pas facile. Du décousu. Ni queue ni tête. Chaotique. Anachronique. D’aucuns diront qu’il m’est loisible de briser là et d’aller m’occupailler ailleurs. Qu’ils apprennent que c’est impossible. Ils le constateront plus avant. D’autres, que je dispose enfin d’une liberté totale, absolue. Qu’ils sachent que ça ne rend pas plus talentueux. Au contraire. Aucune contrainte ne taille trop large. Pour les types de mon acabit. Non. Pas aussi aisé qu’on pourrait le croire d’écrire sans contrôle sur ses pensées et sur les mots. La liberté ne rend pas plus beau, plus fort, plus courtois ni plus tolérant, plus accort, plus détaché ni plus respectueux. Elle n’a jamais empêché pendaisons, viols, vols et camps de concentration. Elle n’entrave en rien le régulier processus qui transforme des hommes en bêtes. Elle n’empêche pas les prisons. Elle les remplie. Au hitparade de la mise en cage, elle figure en excellente position. C’est elle qui, à sa propre gloire, a le plus mis aux fers. De très loin. Les galères… voguant… cales enflées… d’ennemis… de la liberté… des vauriens… des suppôts… de… La liberté est antinomique avec l’égalité. La liberté ! Nous avons ce mot trop grand pour nous sans cesse à la bouche comme chasseur l’appeau. C’est une idole qui permet au grand nombre de cacher ses mécréances. Quand la liberté de l’un ne sert qu’à l’asservissement d’un autre. Quand la liberté de l’un passe par l’asservissement de l’autre. Au demeurant. J’ai perçu un craquement. L’image du bris, je le sais mieux que personne, est récurrente. Et celle de la plage et du rythme des marées. Pratique. Grains de sable dans les rouages. Silice cilice. Calice à la lie. On a les métaphores qu’on peut. Il s’agit d’être compris. Un minimum. Sinon… Le craquement rempli sa mission, son petit métier. Si nécessaire la chrysalide s’offre à la manœuvre. Le crac onomatopéique est opérant. Petits mots dévoués mais sous l’influence des cadors. Soumis. Influençables. Ignorent qu’ils se suffisent. Ils recherchent constamment la protection des puissants. Il s’agit de faire comprendre qu’on n’y comprend plus rien. Encore moins qu’avant. Faire comprendre l’incompréhensible. Qu’il n’y a rien à comprendre.
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Ainsi. Les mots édictaient aux pensées rebelles des idées qui n’étaient pas les leurs. Ni les miennes. De fait. S’entend. Ils dictaient aux égarées des phrases ineptes. Pauvres créatures. Les mots ? J’en connais un paquet. Pas difficile d’en apprendre par cœur. En mettant du cœur à l’ouvrage on en retient, disons cinq par jour. En vingt ans ça constitue un gros matelas, dans les trente-six mille cinq cent. Sans les années bissextiles. Tu en oublies au fur à mesure mais il t’en reste bien assez. Le temps passe toujours la gomme sur les cahiers de la mémoire. Les mots sont disponibles partout. Mais les idées qu’ils exprimaient j’y comprenais couic. Les concepts m’en étaient étrangers. À un point ! Des idées dont je n’avais jamais eu la moindre idée. Pourtant, matière d’idées, je n’étais pas le dernier. Même dans les bidules originaux, bougre de crénom, je me posais là. Notoriété que mon imagination n’était pas cinquième roue du carrosse. À revendre. Je ne regardais pas à la dépense. Je régalais sans compter. Tournées générales. Pour mes invités le menu sans les prix. Que chacun se bombance à commander ce qu’il souhaite. Que chacun se sustente. Régalez-vous d’inhabituel, d’exceptionnel, de rare. Mets d’exception. Grands crus millésimés. À pleines bouchées, lampées. Verser une poignée de sels de bain. Huile Jojoba-Hohowi, lavande, eur de pamplemousse. La baignoire mousse. Les effluves des fragrances s’exhalent des vapeurs tièdes. Ton corps est envoûté. Enroulé dans l’élément aux frémissements délicats. La mousse-écume couvre la surface d’une dentelle aérienne. Tu déploies tes membres. Tu t’éploies. Tu fonds de bien-être. Tu te détends. Tu t’étends. L’eau bullatique te porte, t’emporte.
Donc. Putsch. Outrecuidance d’esprit. Usurpation d’identité. Vol d’idées. Séquestration de pensées. Me suis retrouvé à écrire les pensées des mots autonomes. Leurs idées. Leurs envies. Leurs délires. Mots de mes pensées phagocytées. Monde tête-bêche. Cul par-dessus tête. Posture ridicule. Voir pour croire. Ordonnancement d’enchevêtrement. Sans souci d’esthétique, d’écho, de chant, de résonance à l’âme. Sans souci du beau. Les mots sans le beau. Sous ma plume. À mon corps défendant. Première découverte (pas
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des moindres) : les mots se foutent du beau comme l’abricotier d’une figue. À un point… Mais à un point… !!! Des lustres que de pauvres bougres de ma trempe triment à les agencer pour qu’en émane du ravissement. Manne de beau. Des lustres à les lustrer, les encaustiquer qu’ils brillent à ouvrir les vannes du passage des quêteurs. Les frotter à grands renforts d’incantations que surgisse le bon génie de la lampe magique. Qu’advienne le charme de la langue. Avant que tout finisse. Eux, s’en contrefoutent en d’indécentes proportions. Ils se bousculent, jouent des coudes, à qui s’écrira le premier. Fameuse foire d’empoigne. Ça resquille pire qu’à l’ouverture des soldes. Se marchent dessus, se bourrent les côtes coups de coudes, se collent des gnons dans le tarin. Tu les entends s’invectiver : Moi d’abord. Laissez passer passe-droit. Hé ho, poussez pas derrière ! C’est mon tour. Dégagez le passage pour mordache. Passe-droit et mordache l’un à côté de l’autre. Comme ça. Sans intention. Tel que. Pour se faire voir. Pour exister. Mordache et passe-droit. Aucune signification. Pas de verbe à l’horizon. Nul sujet ni complément. En enfilade. Passe-droit mordache ombrelle pénurie pigment chanfrein. Pas de ponctuation. Des mots, des mots, encore des mots. Des réfugiés sur la route de la débâcle. Des naufragés à la recherche d’un canot. Passe-droit mordache érable ombrelle pénurie capable pigment chanfrein yo-yo admirable trappe kapok fable argenterie soi-disant vénérable ressource wagage retable nigauderie impressionniste viable Et. Mon crayon galopait le long des lignes. Cheval de course fendant l’air de sa crinière solaire. Pégase plein gaz. Il cavalait au bout de mon bras télécommandé. Il avançait à une allure ! Dois-je l’avouer ? Comme jamais auparavant. À des vitesses folles. Jamais écris si vite. Jamais soupçonné que pareil prodige fût possible. Quelle rapidité ! Quelle action ! La plume filait. J’étais dans une transe verte. Un vaudou littéraire m’habitait, épaule, bras, main droite, doigts, nuque, dos, tête (le reste est assis, inactif, hormis parfois la main gauche qui soulage où ça gratte). Mes yeux tressautaient à
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un rythme échevelé. Au fil d’horizon de la feuille, les signes se traçaient en vitesses supersoniques. Moi, qui d’ordinaire ai plutôt le rythme lambinard, je n’en revenais pas. Si j’avais maîtrisé la technique de la sténographie je m’en serais servi. Tout le monde n’a pas son Anna. Je n’avais nulle prise sur le défilé. Enfilement. Empilement. Impossible de stopper la machine. Chien fou. Ça pulsait. Ça cavalcadait. Je n’avais plus la loi. L’empire des mots était total. Mes pensées subissaient. Elles s’étaient offertes. Elles subissaient pis que leur trahison. Entravées, empêchées. Nous n’eûmes pas un regard l’un pour les autres. Elles regrettaient déjà. Amèrement. Âme-errement. Errance de l’âme. Je leur avais pardonné dès le début. J’étais coupable. Seul. Je payais la note. Service compris. Sévices compris. Les vices des mots s’étalaient sur mon bureau, coulaient de mon feutre, noircissaient des feuilles et des feuilles qui s’entassaient devant moi. Par quel sortilège ? Qu’avais-je écrit pour m’expulser ainsi ? Qu’avais-je pensé ? À quelle sombre énergie puisaient-ils cette révolte ? Quelle sentence ? Qui sont les juges ? Quel tribunal du mal ? Quel procureur de l’horreur ? Quel bourreau du beau ? Depuis, j’ai longuement médité sur les causes de ce séisme. J’ai cherché. À gauche, à droite. Aucun de mes cerveaux ne m’a répondu. Allez réfléchir sans vos pensées. Déjà qu’avec… Je devais pourtant expliquer ce désastre. Un homme n’est pas qu’une bête. Pas seulement. Sans pensées que reste-t-il pour penser ? Sens et intuition ? User des instincts pour pallier la fuite des fonctions cognitives ? Exacerber ses sens pour faire émerger le sens ? C’est ce que j’ai fait et… J’ai trouvé. Oui, j’ai trouvé ! Se frotter délicatement les membres. Se laver. Se purier de la boue, cette saleté, cette lie immonde, ces immondices. Traces de la crasse. S’oindre avec lenteur. Fermer les yeux. Clore le regard au monde. Oublier. Tout. Jusqu’à soi.
Avec méthode, j’ai relu mes anciens textes, ceux de la jeunesse, fougue juvénile. Sève bouillante. Chronologiquement. Pour en arriver à ceux de
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l’âge, aux textes chenus. Oh comme pour se relire il faut être prêt à s’honnir ! Néanmoins, petit à petit, filigrane, le nœud m’est apparu. Lentement, très lentement. À la manière d’une image tridimensionnelle. Exégète scrupuleux, j’annotais les marges, je surlignais, soulignais. Je vis vite le verbeux. Il y en a tant. Je vis l’inutile. Part égale. Je vis le fait, le surfait, l’abstrus, l’abscons et les intrusions pâles. Non-sens, calembours vil aloi, équivoques, ficelles grossières. Remplissages, radotages. Lumières artificielles, sunlights. Enseignes néon fluo. Je vis le clinquant et le kitsch. La mode et ses fanfreluches froufrouteuses. Bientôt ne subsista qu’une part congrue. Des centaines de pages, milliers de pensées, millions de mots tracés et… pas grand-chose de racé. C’est dans ces raretés que se découvrit la simplicité, tragique d’évidence. L’évidence ! Banale et froide ! La banalité est toujours froide. Clinique ! Donc. L’homme disparaissait ! Au fur à mesure. Sûrement. Lancinement. Implacablement. Méthodiquement. Frappé d’un sortilège indomptable. Mes premiers écrits contenaient des corps, des chairs d’êtres. Ils renfermaient des gestes, des présences, des côtoiements. Des rapports. Des promiscuités. Des proximités humaines. Ils portaient paroles, dialogues. Puis les visages s’estompèrent. Ça commence toujours par les visages cette maladie. Gale. Gangrène. Les corps suivirent. S’effacèrent. Mécaniquement. Je n’écrivis bientôt plus ni l’être ni le présent. Mes livres devinrent désincarnés. Fini les textes anthropomorphes. Aucune créature. Plus la moindre lueur d’un regard ni les mains moites de l’épris. Plus personne. J’avais basculé dans la littérature sans regards, sans organes, sans viscères, sans vie. Facticité des faux-semblants. Poésie sans quiconque ou quelqu’un. Sans l’on. Sans l’ombre d’un. Certains peintres, fut une époque, connurent égale mésaventure. Abandonnées, les couleurs répondirent en trompe-l’œil. Elles se vengèrent
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à coups de cubes et de serpentineuses compositions. Les représailles allèrent jusqu’aux monochromes. Plus de portraits. Des sculpteurs aussi vécurent cette malédiction. Les formes s’allèrent fabriquer des latrines en émail. On lit bien : des goguenots, des pissoirs. Elles noyèrent leur insondable chagrin dans des mobiles en fil de pêche, du crin, auxquels s’accrochèrent des pièces métalliques de moteur à explosion maculées de cambouis. D’habiles commerçants firent fortune les revendant en série carillons de porte. Il arrive que l’on en trouve encore au hasard d’un vide-greniers ou chez un antiquaire de station balnéaire. La musique souffrit mille maux. Elle perdit ses harmonies et ses contrepoints pour devenir binaire voire braillarde. Jusqu’à la cacophonie. Jusqu’à l’aphonie des ténors et des hautes-contre. Pour que le pire s’énonce : un déjanté première catégorie s’installa, un matin, sur le parvis d’un réputé musée d’art moderne d’une capitale européenne pour y égorger force poussins sur fond de Brahms sursaturé tandis qu’un comparse s’agitait, nu, en pitreries, dans un baquet regorgeant de purin de cheval. On parla d’happening, de performance. Ils firent la couverture d’un magazine tendance. La mousse s’insinue par les pores. Ta peau suçote le suc du mélange des gels et des sels. Tu te régénères. Tu te félicites d’avoir coulé ce bain bienfaisant. Bonheur sérénité. Nul livre apocryphe. Nul enfant illégitime. Pas de grand mensonge. Tu ottes. Tu barbotes dans l’innocence. Tu revis dans l’eau des origines. Tu revis l’origine de l’eau.
Les mots m’emmenaient au bout du chemin que je leur avais forcé d’emprunter. Jusqu’au laid. À l’abject. Jusque-là littérature sans l’homme, verbe sans chair, poésie sans peau. L’impasse. À n’écrire plus de corps… À écrire des destins désincarnés… Vint l’époque où je ne conçus plus les destinées qu’en épaves. Inexorablement je n’écrivis plus la vie, n’en ayant plus l’envie, la voyant coque d’un vieux bateau échoué, rongée sel et larmes. Ensablée comme
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tant d’histoires d’amour. Envasée, passion ravageuse. Avarie de la vie. Fini les rivages cocotiers et les îles chaleur. Fini les criques, la superbe des hautes mers, les étraves fendant les paquets océans dans des sillages écume, grand-voile, pavois et mât majestueux d’où les vigies clament des mondes nouveaux. J’usais les mots en navigations statiques, cordages effilochés, chaînes rouillées. Je les abusais les basculant sur la grève des cimetières marins où ils s’écaillent et craquellent jusqu’à ce qu’un ferrailleur les dépiaute pour récupérer cuivre et laiton. Les charpentes pourriront comme les mots croupissants dans la vase du vague. Bois flotté. Bouteilles à la mer. Sans message. Sans S.O.S. Écriture naufrageuse. Littérature limicole. Alors. M’ont abandonné. Qui leur en tiendra rigueur ? Qu’il s’avance. Une pierre à la main. Qu’il pointe son index. Qu’il agite sa fronde. Voilà. La suite ? M’ont maintenu sous contrôle tant que nécessaire à leurs œuvres néfastes. Contrôle physique. Psychique. M’avaient laissé un peu de ma conscience, que je prenne la pleine mesure du marasme. Pauvre conscience pantoise. J’aimais marasme, mot tragédie et destins tourmentés. Plus que de raison. Aimer les mots plus que sa raison. J’assistais à leur triomphe revanchard. Vint le moment (il vient toujours, c’est… humain) où j’ai tenté de trouver du positif à la situation, une issue noble. Allons, allons, prends-le en expérience inédite. Détecte et capte les bons côtés du phénomène. C’est peut-être une chance inouïe. Si ça se trouve tu as décroché le pompon. Depuis que tu écris ton principal sujet c’est quoi ? L’inspiration. Alors fini les pannes et les ravages épouvantables de l’atonie. Les heures monotones des creux. Tu te laisses bercer. Le libre arbitre tout le monde s’en fout. Laisse tomber la neige, tu verras bien le résultat. Seulement.
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Ce n’est pas une mince surprise, contrairement à ce que l’on pourrait benoîtement laisser accroire, les pensées des mots, c’est pas du folichon. Loin s’en faut. Le texte des mots martyrisant mes pensées n’était pas littérature dont on se prévaut, pas texte fierté d’auteur. Quoique la fierté… Les mots, seuls, l’évidence crevait la vue, n’ont aucun talent. Strictement. Loin du beau et de l’explosif. Déjà qu’outils c’est souvent pas ragoûtant, alors s’ils se débrouillent solo c’est débine et débâcle. Désastre. Mare aux miasmes. Étang pullulant de ranatres. Purulence. À ressentir de la honte. Or, écrire sans en avoir honte, je n’étais pas tombé aussi bas. Pas encore. Quiconque s’est endormi dans l’eau sait l’absence de pesanteur, la sensation du vol, la légèreté plume de l’âme débarrassée des chairs pesantes. L’âme délestée. Quiconque a rêvé bercé par les ots sait la nature des éléments, la révélation des secrets lumineux des étoiles lointaines. Je rentrerai doucement dans la baignoire en glissant et je m’assoupirai. Eau Morphée.
Or. Me suis retrouvé avec des phrases à profusion, à ne plus savoir qu’en faire ! Des phrases par-dessus tête. Il en pleuvait. Elles pêle-mêlaient de débauche. Luxuriante luxure. Ribaudaient à qui mieux mieux. Une ribouldingue de dingues. Phrases aphrodisiaques et hallucinogènes. Un texte d’aliéné. Total. Il y avait de tout. Et son contraire. Protéiformes. Des histoires sans queue ni tête. À virer maboule. Des angoisses d’insomniaques. Des univers parallèles. Des sortilèges. Des jeteurs de sort. Des cracheurs de feu. Ribambelles de rimes doucereuses. Des faussetés. Des vérités. Des contrevérités. Des fatrasies. Des diffamations. Des affirmations péremptoires. Des envolées de prétoires. Des détonations de pétoires. Des notations de procès-verbaux. Tout y passait. Y passa. Sans ordre. Ni méthode. Nul plan. Pas d’intention. Un patchwork de psychologie quat’sous. Question de piger les arcanes de la conscience humaine, les mots ne valent pas tripette. Pire que ce que j’écrivais avant. C’est dire ! Les personnages, créatures lamentables, êtres chimériques au cœur d’un délire complet, dotés d’un babillage grotesque, parlaient pour ne rien dire. Ils jasaient, jacassaient, jactaient, jappaient, jargonnaient. Des pochtrons pris de jaja. Ils narraient des songes creux, des faux-fuyants, des outrages de l’ombre, des chausse-trappes. À plus souffle. À mourir d’asphyxie. Les remplaçants ne tardaient pas.
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Question personnages ce n’est pas la matière qui manque. Main-d’œuvre bon marché. Mort. Naissance. Disparaissent. Apparaissent. Illico. Les mots submergeaient tout. Personnages et pensées. Sortir de la baignoire comme d’une matrice. S’extraire du sein d’albâtre d’une Vénus. Nouveau. Ton regard. Tes gestes. Ta mémoire. Tu dégoulines d’une source de renaissance. Corps frais, chairs souples, esprit propre. Tu plaques fermement la plante des pieds sur le carrelage, plus d’angoisses. Plus de déni. Plus de non.
À présent que nul ne les bridait, ils ne se privèrent pas. S’en donnèrent cœur joie. Devinrent des chevaux sauvages, des montures légendaires, pursang rétifs à la selle. Ils me victimaient. M’usaient à forger une effrayante humanité. À frémir. Humanité imaginaire pire que la réelle. L’imagination et la moralité des mots, quand tu les as côtoyés de près, tu n’en approches plus d’un pouce. Jamais. À vomir. J’étais encagé, encangué. Corps docile, soumis, abattu, battu plat de couture. J’étais leur esclave. Scribe. Aux ordres. Mué. Muté. Transformé. Spectateur. Scripteur. Nul contrôle. Je subissais. Seule la graphie m’appartenait encore. M’échoyait. Fatalement. On verra ce qu’on verra lorsqu’ils s’associeront avec les claviers des machines dans une canaillerie du dire. M’était impossible d’éviter quoi que ce soit. Rivé au bureau. Mon unique maigre réconfort tenait dans la chaleur délicate d’un mot apparu même hors propos, mêlé sans saveur, contre emploi, contre sens. Voyageur sédentaire obligé se consolant d’une collection de cartes postales. Cartophile hémiplégique. Parfois, je m’efforçais d’en recevoir un dans sa parure originale (originelle ?). Peine perdue. J’étais l’homme trompé, cocu jusqu’au cou, cornu, néanmoins incapable de résister aux appas de la traîtresse lorsqu’elle décoche son sourire charmeur en dévoilant, la scélératesse, un pan de sa chute de reins tant désirée d’ardentes caresses aux promesses d’une jouissance cosmique. Une serviette moelleuse. Épaisse. Large. Tu te drapes. Toge. Cocon de coton. Deuxième peau. Une combinaison te gante. Elle aspire les gouttelettes ruisselantes sur ton épiderme. Elle épouse les formes de ton corps neuf. Tu sens la tendresse de ses caresses. Elle te gaine d’une douceur exquise, extrême.
Mais.
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Vite, même les plus beaux, les plus consolants, les tendres, les admirables, les enchanteurs, les féeriques, les délicats, livrèrent la face cachée de leur masque d’être de lettres. Trompeur. Face laide et grimaçante. Tronche répugnante. Caprice et faiblesse auxquels j’avais tout donné me perdaient, me condamnaient. Me damnaient. Damned ! Je fus leur nourrice, louve allaitante, refuge. Ils m’assassinaient. Traîtreusement. Dans le dos. Me dessaisissaient d’eux. Mes pensées tanguaient. Divaguaient. Elles erraient, ahuries, hébétées. Pensées ramollies. Amollies. Émollientes. Pensées folles frappées froid linge au lavoir d’antan. Pensées empesées. Battoir. Pensées d’éruption lave transformée pâte à modeler. Argile dans les mains des mots, sculpteurs déments. Mes pensées d’effusion, de fusion, étalées molle colle pâte. Confusion. Mes fragiles saisies d’un tourbillon néfaste, ballottées, fétus de paille. Poutre mitée. Vermoulue. Des vers moulus à la meule grossière des mots perdition. Farine non comestible. Blé charançonné. J’avais, mon temps l’autre, parfois, broyé du vide. Là, j’égrenais du néant. Pulvérulence béance. Grugé. Dupé. Sortilège indomptable. Un bordel sans nom. C’est moi qui vous le dis. Oui, malgré tout, ça, c’est bien moi qui vous le dis. Sans mots. Sans pensées. Moi qui le prédis. Les mots… maudits… altérés. Mots jugement premier. Revenons. Me forçaient. Aux forceps ils m’arrachèrent des traités zoologiques sur les ovovivipares (est-il nécessaire de préciser qu’en voilà un qui n’avait jusqu’alors guère de chances de figurer ici lorsque je maîtrisais le contenu), des fantasmagories hallucinatoires (à me faire passer pour un patraqué de la mescaline), des précis de scotomisation (oui, oui, on a bien lu), des cités sans méchancetés, sans engeances, des dégoulinades guimauvardes et barbapapesques sur l’amour universel (que de mensonges amis, que de mensonges), des actes de colloques sur les progrès chirurgicaux en matière de cécité, des recettes de cuisine macrobiotique, des régimes sans sel, des dépliants touristiques avec inventaire du petit patrimoine bâti, des plaquettes publicitaires pour une usine de tubulures (tubes en fer, en plastique, en verre, béton, bois, toutes tailles et utilités), des tracts politiques (où l’on approchait du summum clownesque nonobstant les ribambelleries mensongères d’outrecuidances), des frasques nocturnes de starlettes pailletées, des lettres anonymes pour un corbeau notoire, des autobiographies de crooners passés de mode, des articles pour journaux sportifs aux exploits
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sur-hormonés, des chroniques horoscopiques, des pronostics hippiques. J’en passe. Des pires ! Et le pire n’est pas pingre. On passe sur tant de choses par pudeur, peur, mensonge, négligence, suffisance, aveuglement. Surtout sur les ravages du pire, par lâcheté, par compromission, jusqu’à la fatalité. Mots ou pas. Le pire est sans limite ! Je le savais déjà. Mots soumis ou insoumis. Il n’est jamais décevant. Souvent sur le devant de la scène. Avant la rébellion des mots, il régnait de ses maux sans fond. Pas fou l’animal. N’a pas attendu qu’on l’écrive pour se démener beau diable (cette expression !). Il ne dérive pas. Cap fixé. Loin de bonne espérance. Feuille de route. Itinéraire. Pas besoin des mots, nulle représentation, nul Verbe pour être, ni chœur, ni hymne. Il se nourrit de lui-même, à satiété. Circuit fermé. Se moque des midinetteries poétiques. Tu parles Charles qu’il s’en guigne tranche de lard fumé des ridiculeries d’esthète. Fonce dans le tas. Tête baissée. Stratégie de bélier. Pas d’atermoiements à la table des négociations. Baguenaude pas langage diplomatique. Pas de débats. Les armistices, les alliances, les pactes et les redditions, pas son domaine. L’édition non plus. C’est un solitaire. Un solide. Un bosseur. Pas un pied-plat ni un mou du genou. Cœur à l’ouvrage. À la rage. Pugnacité. Du granit. Roc. Du tangible. Valeur sûre. Le jour où tu es sans repères, perdu, sortant d’un long sommeil, coma profond, la mémoire en mille morceaux, tu n’es plus certain de rien (ça arrive à chacun un jour ou l’autre), pas d’hésitation, tu disposes d’un repère : le pire. Manquera pas à l’appel. Nord de navigateur. Soleil de tournesol. Enfertropisme. Géhennotropie. Doucement, tu t’essuies. Un baume. Un don d’amante. Une lotion bienfaisante aux effluves délicats. Avec la lenteur du suave, tu parcours les moindres recoins de tes courbes. Les moindres coins. Tu redécouvres l’immensité de ton corps. Tu es gigantesque. Tu redécouvres les proportions de ce corps régénéré. Tu te redécouvres. La chair. Les membres. Tu te revisites.
Donc. Les mots du pire. S’étalaient. Se répandaient. Débagoulaient ce qui leur passait par les lettres. Bousculade au portillon. Ça resquillait. Toujours pareil.
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La revanche des médiocres attire. La revanche des sans-grades, des laisséspour-compte, ça fait foule. Ne cherchez nulle part ailleurs le triomphe des révolutions flics et des régimes secs. Ils charrient des cohortes de minables et de salauds. Se fondent là-dessus. Les groupes de croupissants, c’est leur armée de l’ombre. Raison pour laquelle ils finissent toujours par dégringoler. Dès qu’ils tiennent une manette ou un fouet, même le tampon du partagecamarade, les paroles de la chanson Paix sur Terre, les couplets damnés de la faim, ils ne les lâchent plus. En feront baver des ronds de chapeaux aux tenanciers précédents, leur chef de chaîne, leur propriétaire, ce sale con de voisin, pauvre type maladroit qui, un jour blême où le hasard s’emmerde à faire des blagues de potaches, lui a, bien involontairement, marché sur le pied. Il lui fera bouffer la merde de son clébard. Ukase, pli secret, sceau authentifié du chaton précieux de la chevalière confisquée à son ancien collègue, dont on était jaloux, femme superbe, lui ordonnant de tomber le froc chevilles pour lui enfoncer une matraque dans le fion, un canon d’arme automatique sur la tempe tandis que sa sculpturale gonzesse, moins fière qu’antan à présent, vous taille une pipe d’anthologie sous le regard atterré de leurs gosses. Plus bas que terre les anciens gouvernants. La revanche des médiocres, quel que soit le domaine auquel elle s’arrime, givre glace lorsque tu la devines tapie aux aguets. Cryogène alarme. Le pire et la revanche des médiocres sont jumeaux. Gémellité de l’épouvante. Ces deux-là s’aiment comme s’aiment les salopards, les maries-salopes, les mères maquerelles acariâtres et aigries, les retors, les fourbes et les tordus. Le pire fait croire à la fatalité. C’est son alibi préféré. Son loup de Mardi gras. Il sème les grains du leurre pour une dodue récolte de malheur. Et. Les mots se plaisaient, se complaisaient dans cette solidarité de basfonds. Ils s’alliaient d’une fraternité veule, promiscuité mâle, se cooptaient clans castes ignobles. Meutes. Ils vomissaient leur vengeance de l’humiliation. Sans tri. Pas de détail. Pas de quartiers. Tous coupables. Brut de fonderie. Sans filtre de la conscience. Pisse-copie. Payé à la ligne. Tâcherons. Des mots sans éthique. Sans esthétique. Une engeance. Ils étalaient la matière. Franco. Que coule l’encre sang sur les champs de bataille. Sans justification. Nulle cohérence. Pas de squelette, de plan, d’arborescence. Pas la moindre adhérence. Ni adhésion à un schéma porteur. N’effaçaient rien.
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Pas de correction. L’unique visée de leur stratégie consistait à occuper la place. Coudées franches. Coûte que coûte. Qu’importe le prix. Que nul ne pousse imagination et raison des folies à mener ses méandres pensées sur les ombres portées des heures exaltées de la gratuité. Que nul n’éclaire ses obscures ivresses des contreparties du sublime. Ni quête des beautés révélées. Ni acmé des transports. Chemin de dupes ! Sans issue. Impasses frontalières aux fronts des écrivains relégués ban des mots. Désormais on paye. Les mots éditent les factures. Ils édictent les fractures. Nulle rature. Tout y passe. Y passera. Ils dictent. Le pain, l’amour, le vin, le plaisir. L’eau, le vent, les éléments. Les sourires, les rires d’enfants, la griserie des alcools blancs, les alpes altitudes. Le travail de la terre, l’attente des printemps tièdes, les dons, la parole des sages, la promesse des mages, les images de la divinité, la musique des anges, le chant des béats. Se répandront en destins boueux, instincts de bourbe, s’épandront, fangeux sans pitié, sans piété. Aucun talent. Ni distinction. Ils poursuivront leur invasion d’un travestissement déguisement mascarade. Se feront passer pour moi. Victime expiatoire. Pour scabreuse que soit la situation si le dol n’arrive aux oreilles de personne : moindre mal. La souffrance est lourde mais plus douce si l’ignominie ne la couronne pas. Assourdie si nul ne la dévoile aux fausses compassions. Si nul autre que moi n’en a connaissance. Chacun sa croix… son destin… et sa fatalité… Tu passes un peignoir soie odeur lavande. Un linge immaculé fragrance Provence. Il t’arrive aux pieds que tu glisses dans des babouches confortables. La capuche sur tes cheveux humides. Sensation de frais. Un lien obi pour ceinture. Tu vas tranquillement de la baignoire au lavabo. Te voilà face au miroir qui rééchit un sourire, qui reète un visage illuminé.
Et. Nous y voilà. Bel et bien. Au vil et mal. Lie. Traque hallali. Puisque vous lisez ceci c’est que tout s’est su. C’est révélé. Tout se sait toujours. Un jour ou l’autre. Se paye. Ici ou ailleurs… Qui ose ?
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Ils voulaient un triomphe implacable. Impeccable. Crime parfait. Alibi béton. Au bout de neuf mois, ils me firent écrire à mon éditeur. Absolument contre mon gré. Sous la contrainte. Ils proposaient leur manuscrit de salmigondis incompréhensibles. Ma volonté soumise. Enjôlée, engeôlée, encagée, engluée, scotchée mouche ruban encollée. Une mouche à merde. Dictature des médiocres au chantage éhonté. M’ont forcé à glisser les feuillets dans une maxi-enveloppe kraft. Signer la lettre. Quelle horreur. J’ai parafé. De mon nom. Celui de mon père. Nul pseudo-autorisé. Nul faux nez. Je passe les détails de l’usurpation. On aura compris la suite. Ce fut oui. Pas n’importe quel oui. UN OUI ENTHOUSIASTE ! UNE CLAMEUR ! Mon éditeur me renvoya une bafouille dans laquelle il me félicitait chaudement du seuil atteint. Marché conclu. Que je prenais corps coffre. Mes écrits gagnaient en épaisseur. Muscle jarret. Ce texte, mazette de mazette, fierté de le publier. Il ne regrettait pas les précédents, non, d’autant qu’ils aboutissaient à celui-ci. Au lieu d’exécuter des ronds de jambes aux imprimeurs, certains devraient en prendre graine. Quelles promesses d’avenir si je conservais cette force, ce coup de rein, patte incomparable, bouleversement des équilibres fondamentaux des carcans littéraires de l’époque. Le contrat, juteux, accompagnait un à-valoir replet pour commande du livre suivant. M’ont fait signer. Tout accepter. Humiliation maximale. Totale. Ce texte malsain, ce fatras sans nom, suscitant frénésie du comité de lecture qui avait, quoi qu’il prétendît à présent, regimbé à publier les précédents. Ce galimatias ! Ces rodomontades de clercs ! Cette suite colique de néphropathies ! Cette chiasse ! Mon œuvre la plus aboutie !!! Rien ne m’était épargné. Et. L’orgueil est souvent mobile de crimes épouvantables. L’arme du crime va survenir. Aujourd’hui. La preuve. La chose. Justification. Pavé mare. L’évidence d’une préméditation. Le livre dont seuls les mots sont l’auteur. Pacte. Entre eux. Acte délictueux. Écrit sans moi. Entravant mes pensées. Encrassant ma lucidité. De suie. Suite d’idées confisquées. Livre qu’ils m’ont forcé à parafer. Et, dois-je l’écrire ? Leur forfait accompli, leur forfaiture achevée, qu’advint-il ? On aura mis le doigt dessus. Ça émoustille. Dans quel état m’en sortirai-je ? Dans le mille. Imparable. Une fois les rotatives en action et les rétributions dûment distribuées aux grabataires jurés de juteux prix littéraires, les immondes petites vermines se sont carapatées.
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Vermisseaux rudéraux. Putréfactions rampantes. Bestioles des ruisseaux logorrhéeux. M’ont laissé seul avec mes pensées affligées, flapies. Salies. La nuisette relevée sur le ventre, les cuisses endolories de saccades avilissantes. Mes pensées volées, violées, violentées. Pensées chosifiées par les mots mécréants puis abandonnées fille de ferme engrossée dont on jetait le nourrisson aux porcs pour n’en laisser nulle trace. Et les nés sous X. Les porches de chapelle où se déposait un couffin. Les touriers d’hospice. Les bâtards. Mes pensées fille-mère. Des dénis. Il n’est pas de moi ! Me dépatouiller avec ce bidule dont on m’attribue paternité. Honte bue. Annonce parue dans la presse spécialisée. Qui m’aidera, m’appuiera ? Comprendra ? Me prendra dans ses bras ? Qui compatira ? Où sont les saints ? Les pardons, les délivrances ? Où sont les purs, les cœurs compatissants ? Qui me tendra les mains, me délivrera de cette forfanterie ? Où sont les doux ? Où sont les consolations ? Tu saisis blaireau et bol faïence de savon à raser. Les poils de barbe sont assouplis à point. Ta peau est élastique. Tu te badigeonnes le bas du visage de l’onctueuse pâte. Délicatement. Précautionneusement. Te voici apprêté. Tu emplis le lavabo d’eau bouillante. La buée trouble la glace. Ton image se brouille. Au travers l’écran opaque tu devines un acteur de kabuki.
J’ai tenté de les contrer en retravaillant un dit d’avant. Quand, moi, les mots, nous, ensemble, l’osmose. Oh ! Union d’unisson. Accords des corps. Mots histoires merveilleuses, fabuleuses, tragiques, fantastiques. J’avais alors les mots jaspe noir, mots métaux précieux aux alchimies des iridiums platine, céleste palette couleur d’atmosphère irisée diapre apparat des tentures émeraude. Les mots amour, romanesque romance soupirs tremblements caresses tendresses braise. Mots authentiques chagrins mal de chien à mourir du délaissement. Mots chahut à l’arythmie des chairs feu. J’avais les mots évasion, espaces océans larges courants d’houle en salines marées d’équinoxes serments. Mots de la nage, du sillage. J’avais les mots enfance. Surtout, oui, les mots enfance en l’enfance des mots. Mots candeur innocence, insouciance, regards clairs et jeux. Mots ronde capucine fables animaux, chansons, comptines, ritournelles Jacques à dit des refrains rime sucre, mots cache-cache chat-perché. Mots contes, châteaux, prince charmant, belle au bois dormant, Petit Prince, il était une fois, chat
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botté. Mots table de multiplication, craie, exception à la règle, Henri IV, Ravaillac, Empereur. Mots récréations marelle élastique ballon prisonnier. Mots ingénuité genoux écorchés à l’x piégeux des goûters pain d’épice nonnette. Mots rumeur d’écumes neige éternelle, souffle vent en ruades paquets de mer montures granit éperons roche des crocs roc des frangeants naufrageurs. J’avais les mots houle aux foules des navires flancs renflés des marchandises ananas ballots café safran. Mots notes marines dièses musiques conques d’hauturières symphonies à l’orchestre note bleue des harpes théorbes cymbales. Mots lointains horizons mains visière contrées « Terre ! » des stylites vigies. Mots étreintes passions, corps à corps, aveux, murmures frissons des épris. Mots demande en mariage, langoureux énamourés amoureux pour la vie pire meilleur. Mots du oui. Mots des esprits détachés aux intelligences déliées. Mots cordes sensibles voix soprano des archets treizième note des parfums capiteux fragrances enivrantes d’effluves éthérés des délicatesses florales vernis mimosa. Mots de l’ardeur restitution. Mots miséricorde pardon. Mots étonnement balbutie, saisissement embrassement. Mots feuillage frondaison bourgeon pollen sève. Mots exigences, quêtes et requêtes gueuses. Mots denses et danse. Mots cantatrices et actrices des textes scènes tragédies chœur coryphée. Mots forêts oasis chemins creux pèlerinages. Mots miracles promesses célestes. Mots échos extase. Mots émeraudes saphirs opalescents. Mots riches pauvreté. Mots des pays sages aux paysages peintures huile aquarelle. Mots gravures. Mots sculpture buste. Mots magie. Mots accueil. Mots farouches sauvages. Mots cueillette bucolique campagne nourricière. Mots noisette, mûre, fraise, framboise, groseille, pomme, poire, coing. Mots bonheur. Mots des heures simples. Mots matins. Mots apparition. Mots arbres, branches, bourgeons, antenne nervant la terre en fibres sustentatrices, poteaux bois grimpant fleur de ciel aux cils des frondaisons. Mots chasteté. Mots concerts cantates sonates aux trios des oratorios. Mots postures soif à l’haleine tragédie souffle des cœurs chœur d’absolues pépies du vertige. Mots des ailes. Mots ailés. Mots d’elle dont je me vêtais écharpe laine. Mots modèles à la palette portrait du peintre des formes chair. Mots éblouissement, révélations, élévations, nuits d’estompe. Mots préludes, délectation. Mots icônes. Mots théophanies. Mots du baiser. Mots châle vent épaules collines enneigées. Mots foulards faseillements brise printemps. Mots matière. Mots géographies de l’âme. Mots humectation désir. Mots suffocation. Oh, comme j’avais les mots. Comme je faisais corps avec eux. Nous nous aimions. Mots union
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fleurs pollen. Mots vous tu nous il elle eux. Mots delà des soupirs. J’avais les mots de l’eau, les mots fluents. Les mots migrations. Les mots poésie hybridation, mots poème métis étymologie. J’ai tenté la réappropriation. J’ai échoué. Subsiste une absence. Un silence. Une âcre trahison. Demeure la désolation, l’imploration, la dévastation, les mots pleurs disparus. Mots marées basses d’âme. Ceux de l’insupportable. De l’intolérable. Reste les mots sacrifice. Perte de sens. Les mots sentence, tête sur le billot. Mots décollation. Mots potence, corde, échafaud, gibet. Reste les mots tourments, plaies, les mots balafres, escarres. Mots éclopés, estropiés. Mots charpies, déchets, rebuts. Mots grands brûlés, blessés de guerre. Mots trépanations. Ce livre insensé du désordre des mots… sans pensées… Livre de l’absence… Puisqu’. Il arrive. Impossible de reculer. Nul choix. Renier ma signature ? Qui comprendrait ? Coup imparable. Impossible de se défausser invoquant plagiat. Inutile d’hurler au rapt d’idées, à la séquestration de pensées. Qui me croirait encore ? Depuis le temps que je passe mon temps à cogner et crier haro sur le baudet de la liberté. Gratuité. Tout donner. Bonnet d’âne. Beauté de l’oblation. Ablation des faux-semblants. Pas dédaigneux de la métaphore religieuse. Tambouille. Ratatouille. Plat de nouilles. Couille dans le potage. Tu es confortablement installé à la table la plus en vue d’un grand restaurant gastronomique mi-spécialités théologiques, mi-vol-au-vent poétiques. La carte est alléchante. Savoir-faire maître queux. Service impeccable. Stylé. Sommelier hors pair. Serviette armoriée. Vaisselle irréprochable. Boiseries ouvragées, marqueterie. Cadre luxueux. Mobilier remarquable. Nouvelle cuisine soignée. Décoration classe. Objets de goût. Le luxe dans ce qu’il a d’envoûtant s’il évite l’ostentatoire. Le coffret à cigares s’annonce. L’armagnac tiédit. Les vins furent exceptionnels. Les mets savoureux. Haut de gamme. Lorsque l’addition se présente on a l’air surpris. Les tarifs en vigueur sont herculéens. La note atteint des sommets inenvisagés. C’est vrai qu’apéritif champagne grand cru amuse-bouche toasts caviar… Soudainement les sourires du personnel semblent mielleux, fielleux. Les courbettes soumises
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et les ronds de jambes affectés des loufiats que vous goûtâtes tant paraissent d’une condescendance ridicule. Faut casquer pépère. Je vais t’en foutre moi de la gratuité. Tu entends le chant du pigeon après celui du bouchon. Grougrou, grou-grou après ploc, ploc ! Tu avais les mots et ta littérature clamait allègrement l’hors prix de la cherté, l’insolvabilité des faiseurs. Tout à ton honneur. Dont acte. À présent faut raquer. Aujourd’hui. Soupe grimace. Risotto de zigoto. Truffes fourrées aux truismes. Faut payer la note. Au black. Pas de chèque. Du cash. Du numéraire. Du palpable. Du tangible. Après ce sera soupe populaire à la cantine tout-venant. Le rata du mataf. L’armée du salut. Et le salut… Ton rasoir à main coupe-chou affûté. Tu le déplies éventail. La lame scintille. Tu la passes sur la joue. Elle crisse. Elle glisse. Elle vivie. Tu donnes à ta tête les postures favorisant le rasage. Tu progresses cérémonieusement. Affusions, aspersions. Tu as le temps. Tu as enn tout ton temps.
Vu que. Sauf cataclysme c’est aujourd’hui. Pas une de ces catastrophes qu’écrivent ras des amateurs de clapotis, tempêtes finissant eau de boudin. Fla-fla flagada flaques dérisoires. Minables marées coefficient riquiqui. Pluvinement. Aphone chant des vagues. Rouleaux de cirque. Vague rumeur des nostalgies. Larges abandonnés aux nébulescents horizons floutés d’objectifs éculés. Tu peux toujours trimer à les écrire. Beau temps que nul n’y entend plus rien. Alors, à force, les mots, vents et marées, en ont eu marre. Tu pontais contre le non hasard. L’aléatoire régnait. Des contes pour enfants. Des morales pour benêts. Des historiettes cucul la praline. Et tu t’étonnes. Monsieur s’offusque. Quel sortilège ? Je sais, nous savons tous, c’est la plus ancienne question du monde. Comment ne pas se la poser ? Pourquoi moi ? J’étais loin d’être le pire. A priori. Quelle fatalité ? Pourtant. Il arrive. Journée ordinaire. Presque. Jour comme les autres. Comme il y en eut tant avant que quiconque ne pense au temps. Penser le temps. Avec des mots. Le compter. Le dévider compteur. Mots chiffres dans la tête. Le comptabiliser. Le saucissonner rondelles. Le découper tranches. Heure minute
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seconde. Par voie de conséquence, bien avant que quiconque ne l’écrive. Ça va chercher bas mot dans les centaines de milliers d’années. Suite de jours ordinaires. Millefeuilles de jours communs. Couches souches. Temps sédiments. Seule certitude : aujourd’hui n’est pas le premier et, apparemment, jusqu’ici, pas le dernier. C’est le doyen. La plus vieille journée. Pourtant neuve. Chaque jour nouveau est potentiellement le dernier. Possible que le système fatigue un tantinet. Les rouages ont de l’âge. Personnes âgées qu’articulations et mémoire lâchent. Temps arthrose. Le temps devient poussif, il se lasse. Trouve son temps long. Il couve une dépression carabinée. Depuis le temps qu’il se traîne, que les jours se succèdent en lui. Queue leu leu. Il les compte insomniaque les moutons. On comprend que point une certaine lassitude, une pointe de désappointement. Jours ordinaires. Empilements. Mise en piles. Si le temps a la mémoire défaillante, il ne se souvient plus de son origine. Dieu frappé de la maladie d’Alzheimer. Sommes à l’image. Sorte de similitude. Pas de raison que nous ne partagions pas les pathologies. Bon, s’Il perd la mémoire, Il ne se rappelle plus du pourquoi comment. Ne se souvient peut-être même plus qui Il est. Ça expliquerait pas mal de choses. C’est des réflexions dans ce genre-là que les mots usurpateurs m’ont forcé à écrire. Avouez. La mémoire qui flanche du Tout Un. Quand… On en est là des mots… Qu’ils vous forcent à pareilles fadaises… Tu as écrit la poésie Création. Tu as écrit la Création, sourire permanent, constante expansion, sourire n’en finissant pas de sourire, inlassable, insatiable éclat d’une princesse russe à l’aimé revenu de la guerre qui l’entraîne, uniforme d’apparat, dans l’ivresse folle de la valse, sous des lustres brillant d’un cristal majestueux aux reflets d’arc-en-ciel. Tu as écrit cette griserie danse amour au rythme violoné. Écris la minuscule larme intérieure coulant discrètement dans la mémoire lointaine de ce vieux général d’empire songeant à sa passion de jeunesse à la vue du tournoiement magnifique des amoureux. Écris son regard lourd chargé d’images qui s’enivre à suivre la toupie des danseurs jusqu’à ce que ses lèvres murmurent le prénom adoré jamais oublié. À ce que la bouche réinsuffle à l’esprit cette lointaine mélancolie lorsque le revisite le visage rayonnant de la jeune femme. Tu as écrit la main de cette mère se posant instinctivement sur son ventre qui fut fécond lors qu’elle songe, joie extrême, au suprême accomplissement de la descendance, à celui de sa fille bientôt rond, comblé de la tiédeur, lors qu’elle ressent
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encore cet empli dans les plis de ses chairs amollies. Écris le doux chaud se répandant alors, et déjà, son impatience à embuer ses yeux des larmes de l’absolu bon à la minute bénie du don où elle tiendra dans ses bras ce futur petit corps encore à peine né, ce rameau dont elle est la racine, chair dont elle est l’origine, cette âme dont elle est matrice. Elle ira pleurer, main dans la main, avec l’homme de sa vie. Ils pleureront sans retenue les plus belles larmes du monde, celles du bonheur intense et simple, celles de la simplicité du miracle éternel de la vie. Assis sur le banc d’un square tranquille proche la maternité, ils pleureront de bonheur, pleureront le bonheur. Ils seront le bonheur. Quand tu as écrit le regard du bédouin qui confère au désert ses immensités la certitude qu’en sourdra le Jardin Idéal. Écris le chagrin profond de l’enfant-poète abandonné, les profusions, l’exaltation, les vignobles nobles aux cépages transports, les abondances, les roulements tambour de l’orage rafraîchissant… Et, finalement… en être là… des mots… être l’être du désastre des mots… des mots sans le beau… sans verve… sans sens… sans vie… hors… outre… Avoir écrit et… En être là… Il arrive. Il sera là. Immobile. Inquiétant. Invisible. Énigmatique. Muet. Troublant. Posé. Jeté sur le guéridon marbre de l’entrée. Entre plante verte et coupelle à clefs. Il brûle les doigts. L’esprit. La mémoire. Pas déballé. Crèvera de chaud là-dedans. Manque d’oxygène. Noir. Du vivant n’en réchapperait pas. C’est toute la question. Il ne vit pas. Mélange encre papier. C’est un corps mort. Un cadavre. Un chiot mort-né. Portée de chatons que l’on noie. Lapin dépecé. Chairs à vif. Cinquième degré. Vivisection. Autopsie. Telles les gravures grandeur nature des salles de sciences au lycée. Collège. Jamais mis les pieds au lycée. Collège un peu. Me flanquait une trouille terrible ce tas d’os brinquebalant. L’écorché. J’ai vite compris que nous étions frères. Le lycée j’aurais peut-être dû. Je n’en serais pas à me lamenter de ce qui empuantit ma vie. J’aurais peut-être un métier normal. Parfaire la délicate zone entre nez et lèvre supérieure. Et les commissures. Rincer le rasoir. L’essuyer. Vider le lavabo. Libérer l’eau striée de minuscules embarcations noires. Le vortex les emporte inexorablement. S’asperger le
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visage à grandes giclées fraîches. L’épiderme se tonie, se raffermit. Les joues rosissent.
J’aurais dû aller au lycée. Au lieu de m’activer pour le bien de l’humanité, m’occuper des poumons des forêts qui emplissent les nôtres, je participe à leur gaspillage vain. Appeler l’imprimerie qu’ils me précisent le nombre de troncs d’hêtres qu’ont nécessité mes livres. Cordes stères. Livres dans lesquels tu n’as rien dit. Ni sur l’être, ni sur l’étant. Ni sur le temps. Des livres emplis de vide qui dévident le vain. Un béant de néant où tu t’es complu à te dire, te raconter. Livres que tu as crus si importants, si essentiels. Si évidents. Quel choc a supporté l’écosystème pour ces publications nullement indispensables que l’on s’évertue sans vertu à publier. Des livres indispensables, tu peux lister, le curseur ne montera pas haut. Aucun risque de vertige. Et. J’ai une peur bleue d’un livre ! De son irruption dans ma vie. Peur que j’ai enfantée, nourrie, sevrée, engraissée. Pour cet intrus. Ce bernard-l’hermite. Cet imposteur. Bien sûr je pourrais n’agir pas, mine qu’il ne soit pas là. Ne pas le calculer. Me réfugier dans les si peut-être pourquoi pas ? Le livreur reparti, je me précipiterais dehors. Oppression. Manque d’air. Apnée. Je marcherai autour de l’étang dans les nids-de-poule des chemins creux. Chemins de terre paysans que je ne fréquente pourtant qu’avec la plus grande des défiances tant ils sont régulièrement envahis d’une foule ridicule, bariolée, bâtonnée, bonnetée, casquettée, imperméabilisée, pataugasée, gourdée, lunettes de soleilisée. Ces sentiers qui recevaient pieds pas sabots, socques, bottes, laboureurs, pâtres, prêtres de ferme en ferme, supportent dorénavant les entichés de la balade en commun, faux pèlerins qui pèlerinent pour leur ventre plat en pratique de masse. Pis ! Car, oui, il y a pis, les genêts, talus, murets, herbes folles, l’ajonc, la lande, devenus les familiers de grimauds au grime esclaffant lorsqu’ils s’interrogent sur la marche comme forme d’écriture. Voir une esthétique. Une ontologie de la randonnée. Le choix des verbes et le recensement floral sont la marque de fabrique de ces gratte-papier bucoliques. Tranches de vies d’à
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petit petonnement. Photographies. Clichés ridicules de gens ridicules dans des poses ridicules attifés de vêtements ridicules et de sourires ridicules. Bête comme ses pieds. Ces expressions dont on saisit immédiatement le sens. Moi… mes livres… vains… La nuit tombera. Elle finit toujours par tomber. Je finirai par rentrer. On finit toujours par rentrer. Au bercail. C’est… inéluctable… L’après-rasage picote la peau, ravigote. Une fraîcheur boisée t’humecte. Un baume viviant apaise le derme. Tu te masses visage et cou. Ça ravive. Encore te laver les dents avec une pâte à l’aloès. Haleine fraîche. Encore la main dans la chevelure. Puis te peigner lentement.
Car. Nous n’avons de preuve de rien. Pas la moindre. Sinon : aliénation totale. Totalement démente. Absolue. Triomphante. Folie furieuse collective. Générale. Nul n’en réchappe. Déjà que… à douter, une bonne partie vire frappadingue au moindre hoquet n’hésitant pas à faire la peau à autrui, à ses proches, sa famille. C’est dire. À se débattre dans les mélasses de l’expectative ils finissent par se battre entre eux. Les cons. N’oublions pas, bonne bouche, le morceau de choix de ceux qui ne doutent pas. Ou prétendus tels. Dans des proportions pas anodines. Sur tous les sujets, par paquets, sont légions à affirmer ne pas douter. Ceci cela. Doutent pas. Du tout. De rien. Surtout pas d’eux. Pas derniers questions tueries, tortures et exactions. Massacres, aliénations. Cérémonies fastes protocolaires virant bains de sang actions ignominieuses. Sacres nœuds coulants réactions violentes à l’hémoglobine. Guillotines garrots. Pelotons d’exécution. Maisons incendiées, églises pillées, musées saccagés, bibliothèques détruites. Voilà ce qu’ils me forçaient à écrire. Les mots affranchis. Une littérature sans doute et sans mélancolie. Une littérature qui ni ne choque ni ne ravit. Une littérature inutile. Une fatuité. Une vacuité. L’hic.
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Les douteux et les non douteux sont rarement d’accord entre eux. Sur un sujet certains doutent, d’autres pas. Séparation. Division. Plusieurs pans. Pan ! Détonation. Déflagration. Claquement. Une claque. Hop ! Ouverture des hostilités et de quelques camps. Finissent toujours par ouvrir des camps. Pas de temps à perdre. Barbelés, miradors, bat-flanc, armes automatiques. Ceux qui ne doutent pas pour enfermer ceux qui doutent ou ceux avec lesquels ils sont en désaccord sur la formulation du doute. Les douteux enferment les non douteux. Ou l’inverse. Finissent toujours par s’enfermer les uns les autres. Un jour l’autre. Pourtant, certains se trompent. Au moins un. Peuvent pas avoir tous raison en même temps vu qu’à la base leurs avis divergent. S’ils se leurrent tous c’est qu’il n’y a pas de vérité. Sans vérité, les barbelés, miradors, bat-flanc et consort ne posent plus aucun problème. Vraiment. C’est la seule vérité. Celle du moment. Du plus fort. La bestiale. Avant la revanche. Parfois ils se trompent tous. Vous vous rendez compte ! Assez souvent même. Ils ouvrent quand même des camps pour enfermer ceux qui se trompent d’une autre manière qu’eux. Ou ceux partageant le même doute ou les mêmes certitudes qu’eux mais pas dans la même langue ni au tégument de même couleur, pas à l’ange du même ciel ni au pardon de la même prière ni semblable rudesse des nuits sans sommeil. À l’intérieur des camps, les enfermés construisent des camps entre eux. Une fois captifs certains doutent de s’en sortir un jour. D’autres non. Les plus nombreux, ou plus malins, ou plus forts (les cas de figures sont multiples) enferment les autres au titre de ce désaccord. Des sous-camps. Des sous-ensembles. Comportement qui arrange ceux à l’origine du camp principal. N’ont plus qu’à surveiller ceux ayant ouvert le mini-camp à l’intérieur. Ainsi de suite. Ça s’enferme les uns les autres tour de bras. Poupées gigognes concentrationnaires. Matriochkas goulag. Colimaçon Kolyma. Une certitude égale un camp. Un doute itou. Un désaccord tout autant. Redoutable logique. Sorte de fatalité. Et la fatalité… on l’a vu… La garce du destin ! La peur aussi ouvre des camps. Plutôt deux fois qu’une. Jeu de l’oie sans cesse renouvelé où l’appareil économique se montre prêteur… sans foi mais avec loi du profit. Sans preuves nous baignons dans ces communes ignominies. Au nom de vérités différentes. Les unes des autres. Imaginons un peu des preuves à l’appui d’un tangible invariable. Les grands gagnants, les ceusses qui
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LA LIVRAISON
avaient raison depuis le début, depuis toujours, se gêneraient pas pour faire payer aux autres le temps perdu à se tromper, à déblatérer. Depuis le temps qu’on vous le disait bandes de dégénérés ! Faut supporter. Les autres. Les bonnes femmes qui ronchonnent continuellement, les tomates insipides et les instruments désaccordés. Dire. La vie est extraordinaire. Encore. Extraordinaire qu’on installe dans l’ordinaire. Génie du simple. Simplicité. Foi du charbonnier. Mains noires. Âme blanche. Incision. Mains maculées de sang. Âme noire. Âme détestable. Âme délectable. Mots en able. Mots lépreux. Refilent la lèpre aux pensées. Inoculent des virus. Ordinaire banalité. J’ai connu un olibrius qui se prenait pour un cosaque. Devait être fou. Il était d’Argenteuil. On n’a jamais vu de cosaque de ce côté-là. La folie est mystérieuse. Sont-ce des mots qui atteignent les pensées sensées pour leur inoculer la maladie dingue ? Tout passe par les mots. Ce que nous voulons et ne voulons pas. Ce que nous espérons et craignons. Adorons et repoussons. Cosaque à Argenteuil c’est chercher le succès star en jouant de l’ukulélé au Pôle Nord. On sent qu’il y a un truc qui ne colle pas. Les mots disent que ça ne va pas. Seulement, à mon endroit, ils se sont tus depuis un sacré bout de temps. M’ont viré malpropre. Signifié congé sine die de mon œuvre. Puis, se sont enfuis. Depuis, nul signe, pas un mot, pas une nouvelle. Le silence. Silence de cendres. Noir. L’âme grise. L’âme aux abonnés absents. L’âme absente. Gisante. Le cadavre d’une âme à l’esprit sans pensées, aux pensées sans mots. Tu t’assieds tranquillement sur le large fauteuil osier de la véranda. Tu entrouvres l’une des baies vitrées coulissantes. L’élan félin d’un frais t’atteint aux mollets. Chants d’oiseaux. Miaulements. Le soleil longe l’horizon d’un camaïeu d’agrumes. Au loin l’écho d’une cloche à la volée. Le calme.
Donc. C’est pour aujourd’hui. Il est tôt. J’ai encore du temps devant moi. A priori… Je ressasse. Ça me fait du bien. Ou du mal. Je ne sais plus. Le mal dans le bien. Vice versa. Ça dépend des jours. Des mots font sentir le poids du temps. D’autres l’oublier. Penser c’est arbitrer le combat. Équilibrer les
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AVANT
mots qui accentuent le passage du temps et ceux qui le minorent. Penser c’est les placer aux extrémités d’un pré, c’est l’aube, mesurer un nombre de pas équivalent d’un point central, demander si quelqu’un veut surseoir au combat, clamer les ordres de la mise en joue et du tir. Duel. Histoire de tamis. Toujours la même histoire. Ça se répète. Écholalie. On se répète. Depuis le début. Depuis toujours. Depuis qu’existe un depuis. Nous ne sommes qu’un écho. Depuis n’est pas venu d’un simple claquement de doigt. Un premier gars a pensé le temps. La première question qu’il a dû se poser : Depuis combien de temps ne pensons-nous pas le temps ? Premier débat, premier doute, première controverse. La naissance du depuis dans la conscience. À l’époque, ils réglaient leurs comptes en se tabassant grands coups de gourdins. S’embêtaient moins. N’avons pas trace d’enfermements. Passaient direct à l’élimination du réfractaire. Alors. Aujourd’hui. Un autre livre. Qu’importe ? C’est toujours des mêmes mots dont il s’agit. Un jour l’autre. À force de reculer l’échéance. Paroles de chanson. Romance. Refrain. Des romans. Partout. Sur tout. Des mots éparpillés. Trames. Drames. Des paroles de personnages. Manquait plus qu’eux ! Créatures mots pour paroles sans fin. Sans frein. Sans sélecteur de vitesse. Point mort. Plus de lecteurs. Comme si nous n’étions pas suffisamment nombreux à utiliser les mots, chaque jour, depuis le début, depuis toujours, depuis depuis, qu’il faille ajouter des êtres imaginaires, des chimères, des fantômes. N’y a-t-il pas suffisamment de mots dans l’air ? Rangs d’oignons. Alignés. Il a fallu que nous en rajoutions. Comme si nos vies ne sont pas assez décevantes et désespérantes, on en invente d’autres aussi navrantes. Aussi empreintes de fatalité et du poids des pensées revêches. Ajouter des destins aux nôtres, comme si nous n’étions pas suffisamment nombreux, vies ordinaires, vies extraordinaires. Fallu que nous jouions à l’apprentisorcier, au plus malin à créer des mondes de rien. Les romans, les grands, je les ai lus, tous, ou peu s’en faut. Ben c’est larmes, crimes, chagrins et compagnie. Ça geint à tour de chapitres. Ça se plaint. Ça passe des tomes et des tomes à regimber et morigéner. Deux ou trois sont des romans du bonheur. Ils sont à peu près bien écrits. Mais, en fait, ils sont très cons. Tout en fausseté.
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