Palazzi di l'Americani

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Palazzi di l’Americani LES PALAIS DES CORSES AMÉRICAINS

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PRINCIPALES DESTINATIONS DE L'ÉMIGRATION DES CORSES VERS LES AMÉRIQUES

Zacatecas Mexico Veracruz

ENTRE 1500 ET 1770

Cartagène Portobelo

ENTRE 1770 ET 1920

Nombre de Dios Panama

États-Unis (essentiellement la côte est jusqu’en Louisiane) Lima

Potosi Mexique Antilles

Panama Venezuela

Pérou

Brésil

Uruguay Argentine

Cuba

Haïti et Saint-Domingue Saint Thomas

Porto Rico

Martinique

Curaçao

Trinidad

Système de projection : World Eckert V. Source : Jean-Christophe Liccia. CTC 2017 mission SIG / Direction du patrimoine – Cartographe : Gil Novi

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Jean-Christophe Licciac

P

ARMI LES DESTINATIONS CHOISIES PAR LES

CORSES ayant quitté leur

L’émigration des Corses vers les Amériques, du XVIe au XXe siècle

île, les « Amériques » tiennent une place particulière. Pendant plus de quatre siècles, ces terres lointaines ont en effet attiré de très nombreux insulaires à la recherche

de fortune, d’honneurs et d’un nouvel horizon. Ce phénomène migratoire n’a certes pas concerné toutes les régions de l’île, tant s’en faut ; il a aussi connu des périodes d’activité plus ou moins intense. Mais le fait est là : lorsque Christophe Colomb disparaît en 1506, les Corses sont déjà en chemin vers les « Indes occidentales », comme on les appelait alors, initiant un mouvement de longue durée.

du célèbre Lope de Aguirre, dont il avait assuré la construction des embarcations. Le pilote Anton Pablo corzo est intimement lié

Les deux premiers siècles « américains » (1500-1750)

à l’expédition partie en 1579 de Lima, sous le commandement de

Plusieurs Corses sont mentionnés très tôt au côté des premiers

Le nombre des insulaires présents outre-Atlantique augmente

explorateurs espagnols comme Diego Velásquez et Francisco de

de façon importante à partir du milieu du XVIe siècle, notamment

Garay, compagnons du deuxième voyage de Colomb (1493-1496).

avec la découverte des mines d’argent de Potosí, en Bolivie, et

Francisco Corzo participe avec le premier à la conquête de Cuba

de Zacatecas, au Mexique ; même si l’exploitation minière ne

en 1511 ; Vincencio Corzo, natif de Calvi, effectue avec le second

leur est pas directement permise en tant qu’étrangers (certains

plusieurs découvertes et prend part à l’expédition de Pánuco

se font toutefois naturaliser), ils participent au développe-

(Mexique) en 1523, recevant en retour trois villages et leurs

ment économique de ces villes. Ils sont surtout présents dans

territoires en encomienda1. Au même moment, le pilote Pedro

les principaux ports où aborde la flotte des Indes2 : Veracruz au

corzo explore la côte de l’Amérique centrale, notamment le littoral

Mexique, Cartagena en Colombie, Nombre de Dios et Portobelo au

sud de l’actuel Salvador ; il rédige, en 1527, une description du

Panama. Certains vont s’installer dans la ville de Panama (sur la côte

Rio Chagres (Panama), particulièrement utile pour l’établissement

pacifique) ; d’autres dans le siège des deux vice-royautés, à Mexico

des communications entre les océans Atlantique et Pacifique,

et Lima3. Dans cette dernière ville, où les Corses font très tôt édifier

avant de se rendre à Saint-Domingue en 1540. C’est aussi en tant

une chapelle, un magistrat écrit en 1571 : « Il y a ici plus de Corses

que marin et pilote qu’Antonio Corzo est employé dans la flotte

que de Castillans, et ils engloutissent l’argent en ce royaume, ils

envoyée en 1542 par le vice-roi Antonio de Mendoza en direction

gênent les profits des Espagnols avec leur richesse, et il conviendrait

des Philippines, multipliant les investissements qui font de lui l’un des hommes les plus fortunés à son retour à Séville. Le charpentier de marine Juan Corzo participe, quant à lui, en 1560, à l’expédition 1. L’encomienda était un système colonial par lequel un territoire indien et ses habitants étaient confiés à la gestion d’un encomendero, qui y faisait travailler la population selon des conditions généralement peu enviables malgré des tentatives de réglementation.

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Pedro Sarmiento de Gamboa, et qui traverse pour la première fois, d’ouest en est, le détroit de Magellan…

2. Jusqu’à la fin du XVIIe siècle, la flotte des Indes partait du port de Séville, avant son transfert vers Cadix. 3. Rappelons que jusqu’au milieu du XVIIe siècle, les navires espagnols ne passent pas le détroit de Magellan – ou, pire, le cap Horn – pour se rendre sur la côte pacifique de l’Amérique du Sud ; les marchandises, débarquées à Portobelo ou Nombre de Dios étaient transportées à travers l’isthme par des caravanes de centaines de mulets vers la côte pacifique et la ville de Panama, où elles étaient de nouveau chargées sur des bateaux pour rejoindre leur destination. Le même circuit était utilisé en sens inverse.

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Juan de Valdés Leal (1622-1690), peintre Don Miguel lisant la règle de la confrérie de la Sainte-Charité 1681 Séville, Hermandad de la Santa Caridad – Cat. 2

qu’ils quittassent cette terre4. » Au début du XVIIe siècle, on dénom-

l’Espagne et le Nouveau Monde, passé par Panama, le Mexique et

brait toujours 57 insulaires sur les 372 étrangers recensés dans la

Lima, où il avait établi, en 1608, une boutique d’objets divers et

ville.

de tissus précieux, il revint s’établir à Séville ; son fils Miguel, entré

À cette période, les migrants sont avant tout des Calvais, parfois

dans la légende en incarnant le personnage mythique de Don

issus des villages environnants de Balagne, comme l’ont montré

Juan, fut à l’origine d’importantes fondations caritatives dans la

Enriqueta Vila Vilar et F. F. Battestini. Ce dernier en a dénombré

ville, et notamment de l’Hospital de la Santa Caridad. Une impor-

près de trois cents pour le dernier tiers du XVIe siècle, au moment

tante fortune faite à Panama – et liée à la précédente – fut celle du

où le mouvement connaît sa plus forte intensité. Les Capcorsins,

Capcorsin Antonio de Giovan Andrea (Cagnano v. 1550 – Séville

marins bien connus en Méditerranée, constituent le second

apr. 1613), parti rejoindre son oncle Giulio, adoptant le patronyme

groupe, avec une cinquantaine d’individus. On constate cepen-

Diaz, ainsi qu’une partie de ses héritiers en Corse (sous la forme

dant une diminution progressive, mais continue, du contingent

de Dias).

calvais dès les premières années du

XVIIe,

aboutissant au tarisse-

Quelques rares individus ont bien sûr fait exception à la règle, en

ment à peu près complet de cette source migratoire au milieu du

revenant s’installer dans l’île après leur séjour outre-Atlantique,

siècle. Les Capcorsins sont, dès lors, les seuls à poursuivre l’aven-

surtout après le milieu du XVIIe siècle. C’est, par exemple, le cas de

ture outre-Atlantique.

Francesco Dominici, revenu en 1706 dans son village de Luri avec

La quasi-totalité des migrants ne revient pas en Corse à cette

son jeune fils Antonio, né aux « Indes » onze ans plus tôt. C’est

époque. Nombreux sont d’abord ceux qui meurent sur place,

aussi le cas de Carlo Ferdinandi, rentré en 1724 à Brando après

laissant très souvent quelque bien à faire parvenir à leurs ayants

avoir passé vingt-sept années au Mexique, faisant construire une

droit restés dans l’île. D’autres ont la possibilité de rentrer en

chapelle et un imposant palazzu, aujourd’hui considéré comme la

Europe et choisissent de s’établir à Séville, la ville où les affaires

première maison « d’Américains » de Corse5.

du Nouveau Monde se traitent et où ils peuvent jouir de la reconnaissance de leur succès. Plusieurs grandes réussites ont marqué cette époque. Particulièrement éblouissante fut celle de Giovan Antonio Vincentello, alias Juan Antonio Vicentelo corzo (Calvi v.

Un demi-siècle de transition (1750-1800)

1519 – Séville 1587), « le plus grand marchand et le plus riche qu’ait connu le Pérou » selon une chronique de l’époque, qui négociait bétail, vin et esclaves à Lima, où il était parti rejoindre son oncle Antonio, avant de rentrer à Séville où il poursuivit ses activités vers les « Indes occidentales », en armant et chargeant des navires. On peut aussi citer son neveu, Carlo Corzo de Leca,

Le

27 mai

1750,

le

Saint-Jean-Baptiste-et-Saint-Antoine-de-

Padoue, surnommé El Toscano, imposant navire de 409 tonneaux, 30 canons et 200 hommes d’équipage, faisait son entrée dans le port d’El Callao, au Pérou, sous le commandement du capitaine Don Santos Antonmattei de Morsiglia. Parti six mois plus tôt de

naturalisé espagnol, qui invente, avec son frère Juan Andrea, un

Cadix (exactement le 30 décembre), il avait fait le trajet sans faire

nouveau procédé pour l’amalgamation de l’argent des mines de

escale et franchi le cap Horn avec bonheur. À son bord, une riche

Potosí. Son parent, Tomaso Magnara, alias Tomás Mañara Leca y

cargaison d’un million de piastres (on sait qu’il y avait de la cire

Colona (Calvi 1575 – Séville 1648), mérite aussi d’être mentionné.

et de la cannelle), financée en association par Antonmattei, son

Convoyant des marchandises – dont de l’argent en lingots – entre 4. Vila Vilar, 2004, p. 71.

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5. Des recherches et une analyse précise sur les travaux de construction menés par les Corses revenus d’Amérique pourraient conduire à identifier, voire localiser, des maisons d’Américains antérieures.

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L’émigration des Corses vers les Amériques, du xvie au xxe siècle

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compatriote Giacomo Giacomini de Porrata (tous deux proprié-

Antonmattei, « capitaine de mer et de guerre », entreprit pour le

taires du bateau) et Don Cristobal Rodriguez Picon.

roi d’Espagne plusieurs importantes missions avec son bateau, inspectant en 1753 les ports et les forteresses de la côte chilienne

Les deux Capcorsins n’étaient probablement pas étrangers dans

(Valparaiso, Concepción, Valdivia et la région des fleuves),

une ville où ils avaient certainement déjà séjourné avant d’entre-

poussant jusqu’à l’archipel et l’île de Juan Fernández (actuelle

prendre un tel voyage en leur nom propre et grâce à la natura-

île Robinson Crusoé), à un peu plus de six cents kilomètres au

lisation obtenue par Antonmattei en 1748. Lima était devenue,

large. Rentré en Espagne l’année suivante, probablement avec

depuis au moins deux générations, une ville familière à plusieurs

un chargement de cacao prévu à Guayaquil, il demeura plusieurs

familles de la pointe du Cap Corse, qui y tenaient au moins une

années à Cadix, où il fut anobli. Il proposa d’ailleurs de nouveau

demi-douzaine de boutiques. Le père de Giacomo Giacomini,

ses services à la couronne espagnole en 1763, en offrant d’aller

Bartolomeo, et d’autres membres de sa famille avant lui, y avaient déjà vécu plusieurs années6. C’est donc tout naturellement en espagnol que l’héritier de la tradition familiale donnait de ses nouvelles à son père rentré à Morsiglia. 6. Il s’agit de Cruciano Giacomini à la fin du XVIIe siècle, en même temps qu’un grandoncle, Piero Zanni Porrata, qui allait, quant à lui, au Mexique.

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affirmer la souveraineté de Charles III sur les Malouines, par la construction d’une manufacture et d’un petit établissement, ce qui lui fut refusé in extremis (les Français s’y installèrent dès l’année suivante sous la direction de Bougainville). Parmi les compagnons d’Antonmattei et de Giacomini présents dans les boutiques de Lima et sur le Saint-Jean-Baptiste entre 1750 et 1753 figurait au moins une vingtaine de compatriotes capcorsins, tous marins et

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marchands, qui revinrent en Corse. On peut citer parmi eux Giovan Battista Vecchini de Luri, probablement un très proche parent de Giovanni et Simon Paolo Vecchini, qui s’établissent entre 1784 et 1788 à la Martinique et à Trinidad (leur patronyme étant transformé en Vessini), eux-mêmes ascendants des membres de cette famille qui partent pour Saint Thomas et Porto Rico dans le courant du XIXe siècle. On peut aussi mentionner Antonio Pietri de Centuri, dont les enfants Giovanni et Michele s’installent sur l’île de Trinidad en 1788, ou Domenico Stella de Morsiglia et Giovanni Lucchesi de Centuri, dont les neveux et petits-neveux s’établissent à Saint Thomas et Porto Rico dans les années 1800 à 1850… Une large partie des individus présents au Pérou dans les années 1750 fit son retour sur le vieux continent. La majorité regagna la Corse ; les plus fortunés, comme Don Santos (alias Santi) Antonmattei et les frères Giacomo et Antonio Giacomini de Porrata, s’installèrent à Livourne, une ville bien connue de nombreux insulaires, et notamment de ceux de la pointe du Cap Corse qui y possédaient des biens immobiliers dès le début du XVIIe siècle. Peu après son retour en Toscane en 1763, Antonmattei témoigna de son attachement envers la jeune nation corse, notamment en demandant au grand-duc de Toscane d’établir dans son palazzo de Livourne le siège d’un consulat corse en apposant, au-dessus

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de sa porte d’entrée, les armoiries de l’île aux côtés des siennes (la Giustificazione della rivoluzione di Corsica, dans son édition de 1764, consacre une page entière à ce personnage). Giacomini, très lié aux soutiens anglais et toscans de Pascal Paoli, fut, quant à lui, sollicité lors d’un séjour dans son village de Morsiglia en 1765 pour accueillir James Boswell, décédant cinq jours avant l’arrivée de l’écrivain écossais dans l’île. Contrairement à ce que l’on peut encore lire et entendre ici ou là, la défaite de Ponte Novu et l’annexion française ne furent donc aucunement à l’origine de l’émigration corse vers les Amériques, ni même un facteur supplémentaire durant les années suivantes, en dehors de quelques rares cas isolés. Au début des années 1770, l’heure n’est plus à l’émigration vers le Pérou, dont les étrangers viennent d’être expulsés au cours de la décennie précédente. Dans une perpétuelle adaptation aux conditions politico-économiques de leur temps, les Corses se dirigent désormais vers les îles des Antilles. C’est le cas de la Martinique, où quelques-uns mettent plus facilement le pied du fait de leur nouvelle nationalité, généralement avant de repartir vers une autre destination (certains, comme Giovan Natale de Gentile d’Ajaccio, Simon Paolo Vecchini de Luri ou la famille Angeli de Brando s’y installent véritablement). C’est surtout le cas de l’île

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L’émigration des Corses vers les Amériques, du xvie au xxe siècle

Antependium de la chapelle du navire Le-SaintJean-Baptiste-et-Saint-Antoine-de-Padoue 1re moitié du XVIIIe siècle Morsiglia, chapelle Saint-Jean-Baptiste – Cat. 7

danoise de Saint Thomas et de son port franc de Charlotte-Amalie,

obtenant tous deux leur naturalisation en 1786, peu avant le

où une petite communauté très active est établie à partir de 1780.

retour de ce dernier en Corse.

Leonetto Cipriani de Centuri raconte dans ses mémoires intitu-

D’autres faits peuvent influer sur le destin des uns et des autres.

lées Avventure della mia vita quelques événements survenus à

Leonetto Cipriani raconte dans ses Avventure qu’« au début de

son père Matteo, probablement autour des années 1792 à 1794. Il

la Révolution, un Mattei de Centuri, marin à bord de la frégate

évoque tout d’abord comment, ayant quitté la Martinique sur une

française La Didon, descendu un jour à terre en Martinique, reçut

goélette à destination de Saint-Domingue, il réussit à échapper à

une gifle d’un supérieur et lui donna un coup de couteau. Il réussit

une frégate britannique qui l’avait pris en chasse par le travers de

à fuir à La Trinité où, en quelques années, il fit fortune. Il invita alors

Sainte-Lucie. Il décrit ensuite comment, parti de Saint Thomas, il

son frère, qui vivait à Centuri, à le rejoindre ; et celui-ci conduisit

traversa le blocus anglais de Porto Rico à bord d’une petite embar-

avec lui Marco, Santo, Matteo et Domenico [Cipriani]7. Les deux

cation destinée à ravitailler la ville de San Juan. On y apprend

premiers allèrent sur le continent ; Matteo et Domenico à Saint

enfin la méthode qui lui permit de porter en Martinique, elle aussi

Thomas pour y exercer le commerce8 ».

assiégée par les Anglais, un chargement de vaches clandestinement embarquées sur une côte déserte de Jamaïque…

Le Mexique continue à attirer quelques migrants comme Domenico Franceschi de Centuri, riche commerçant installé dans

Habitués depuis des siècles à naviguer entre la Corse, les îles de

la petite ville de Xalapa, à proximité de l’axe principal reliant

l’archipel toscan et le continent italien, dans des conditions de

Veracruz à Mexico. Un peu plus à l’intérieur des terres, on trouve,

confort et de sécurité souvent précaires, les Capcorsins n’eurent

dans les mêmes années 1790, Damiano de Franceschi, originaire

pas de difficulté à effectuer les mêmes petits voyages au cabotage

de Pietralba, commerçant et propriétaire d’une hacienda à San

entre les diverses îles des Antilles, et tous les types de commerces

Juan de los Llanos (aujourd’hui Libres), qui fait venir de Corse

qui pouvaient leur être associés. Cette vie de marins, un peu contre-

son neveu Pietro Francesco Astolfi. Passé par Livourne puis Cadix,

bandiers, un peu pirates, ne pouvait cependant convenir qu’aux

celui-ci effectue la traversée vers les Amériques avec son compa-

plus jeunes, sans répondre aux espoirs de ceux qui aspiraient à

triote Andrea Bonavita, venant quant à lui rejoindre son cousin, le

trouver un endroit pour se fixer plus durablement.

prêtre Antonio Bonavita également de Pietralba qui passe trente

Les autorisations d’installation délivrées par les gouvernements

années (1778-1808) dans diverses affectations au Mexique avant

espagnols aux étrangers de confession catholique, associées à la

de devenir le chapelain de Napoléon 1er à Sainte-Hélène. Dix jours

concession de terres, orientèrent les flux migratoires : timidement

après son arrivée (29 novembre 1795), alors qu’il est en chemin

vers la petite île de Trinidad à partir de 1783, après la publication

pour rejoindre son oncle, Astolfi écrit de Xalapa à son cousin resté

de la Cédula de Población ; de façon plus décisive vers Porto Rico

au village, Giovanni Francesco Grimaldi, une lettre particulière-

après 1815, avec la proclamation de la Real Cédula de Gracias.

ment évocatrice des sentiments ressentis par un jeune Corse à son

Cette dernière île avait cependant déjà accueilli un premier Corse,

arrivée outre-Atlantique9 :

installé de façon pionnière et tout à fait isolée, en la personne de Giovan Maria Fantauzzi de Morsiglia, dans les années 1760. C’est à la même époque qu’un autre insulaire s’établit visiblement pour la première fois au Venezuela. Giovanni Paoli, lui aussi natif de Morsiglia, s’installe avec son neveu Pietro à Maracaibo et Caracas,

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7. Matteo est le père de Leonetto ; les trois autres sont ses oncles. 8. La trace de Mattei à Trinidad n’a pu être vérifiée ; celle des frères Cipriani est, en revanche, incontestable. 9. Nous devons la transcription et la communication de cette lettre à M. Louis Belgodere de Bagnaja. Elle fait partie d’un ensemble de seize lettres écrites par Astolfi et son oncle de Franceschi à leur famille restée en Balagne (archives privées).

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Leonetto Cipriani (1812-1888), auteur Avventure della mia vita Bologna : Nicola Zanichelli editore, 1934, vol. I & II Collection particulière Angeline Tomasi – Cat. 64

(…) Je suis parti de Cadix le 26 septembre 1795 et j’arrivai à Veracruz le 19 novembre ; sans doute vous devez présumer du bonheur de mon voyage. La personne à laquelle j’étais recommandé à Cadix me fit embarquer sur une frégate marchande et je payai 200 pièces dures pour le voyage ; mais j’ai été bien et je me félicite maintenant de cet argent gâché. Andrea [Bonavita] vint en qualité de marin, et dès qu’il arriva à Veracruz, nous allâmes autant moi que lui chez ce Baron génois qui avait reçu de l’oncle Damiano l’ordre de nous recevoir à notre arrivée. (…) Après six jours, je partis pour cette localité qui se trouve à 24 lieues de Veracruz, et à 22 de San Juan de los Llanos. Ayant une autre recommandation, je n’y resterai que quelques jours (…) Il y a ici le Capcorsin Domingo Franceschi, qui, avec 14 pièces au début, en a maintenant 100 000. Cette terre est bonne et rentable, alors que Veracruz est mauvaise mais appréciée, parce que tous les jours vous verrez arriver 100 et 200 mules chargées de pièces qui viennent de Mexico ; on n’y mange dans toutes les maisons que dans des plats en argent, je ne parle pas des cuillères que l’on remplace à chaque service. (…) Si je ne change pas d’avis, je resterai dans ce pays autant qu’il faut pour ramener avec moi quatre sous, pour lesquels je suis venu, car je ne crains pas la mer comme vous. L’oncle Damiano m’attend au plus tôt, mais moi je ne suis pas pressé, parce que je m’amuse ici. Ici, les gens sont propres et blancs, alors qu’à Veracruz ils étaient tous noirs. Il est interdit aux étrangers de venir en ce pays ni de faire du commerce sans autorisation du Roi d’Espagne ; et pourtant cette terre est pleine d’étrangers, et de commerce ; le plus difficile est de partir de Cadix.

la période. De la même façon, Jean-Baptiste Canarelli a pu en dénombrer 1 400 pour le Venezuela. On peut ensuite estimer, durant cette même période, à un minimum de 500 les personnes parties vers les destinations suivantes, par ordre décroissant d’importance : États-Unis, Mexique, Saint Thomas (actuelles îles Vierges), Trinidad, Haïti, Martinique, République dominicaine, Argentine, Uruguay, Brésil, Pérou, Colombie10… De nombreuses raisons peuvent être invoquées pour expliquer la croissance exponentielle d’une émigration ancienne, mais tout de même limitée jusque-là. Citons pour l’essentiel : – une forte croissance démographique qui voit la population de l’île passer de 150 000 habitants à la fin du XVIIIe siècle à 300 000 cent ans plus tard ; – une économie qui peine à se développer, avec les crises répétées de la vigne dans la deuxième moitié du XIXe siècle (oïdium puis phylloxéra) et malgré l’introduction de quelques nouvelles cultures un temps prometteuses (comme le cédrat dans le nord de l’île), le tout dans un système douanier défavorable ou plutôt mal utilisé ; – la concurrence croissante des grosses unités de la marine à voile,

L’émigration des Corses vers les Amériques se poursuivit avec

puis à vapeur, d’origines continentales et même corses, dans

plus d’une centaine de migrants durant cette deuxième moitié

un transport par mer jusque-là assuré par des navires de faible

du XVIIIe siècle. Désormais largement tournée vers les Antilles, elle

tonnage à gestion familiale.

annonce le grand mouvement du siècle suivant.

D’autres raisons secondaires peuvent aussi être invoquées, comme l’interdiction faite aux médecins diplômés des universités

La grande émigration corsoaméricaine (1800-1939) On peut estimer à plus de 3 700 le nombre de personnes ayant quitté la Corse vers le continent américain au cours du XIXe siècle et des premières décennies du

XXe.

Nous disposons pour cela de

travaux sérieux pour les deux principales destinations empruntées. Lorenzo Dragoni Rodríguez et Enrique Vivoni Farage, avec leurs collaborateurs de l’Asociacíon de Corsos de Puerto Rico, ont comptabilisé près de 1 800 Corses installés dans cette île durant

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italiennes d’exercer la médecine dans l’île, ou la volonté d’échapper à la conscription, voire à la justice dans quelques cas. Mais l’élément central demeure la soif d’aventure d’une jeunesse en quête de succès, et la volonté d’échapper à une vie parfois étriquée et socialement très contrôlée, dans un siècle où le nombre de migrants n’a jamais été aussi important en Europe. 10. Il est possible, dans certains cas, d’associer villages de départ et destinations choisies. Les habitants d’Ersa et de Rogliano prennent ainsi bien plus souvent le chemin des États-Unis que ceux des autres communes du Cap Corse. Les habitants de Pino se destinent plus largement au Venezuela qu’à Porto Rico, à l’inverse de ceux de Pietracorbara…

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Jean-Christophe Licciac

Les « Corses américains » et leur île

D

URANT UN PEU PLUS DE QUATRE SIÈCLES, environ 4 000 Corses quittèrent leur île pour le continent américain, en quête d’un meilleur avenir. On peut aujourd’hui estimer sans excès qu’ils réussirent dans leur

tentative.

Bien que vivant à des milliers de kilomètres, ces hommes n’ont, en règle générale, jamais coupé les ponts avec leur île natale, qu’ils

qu’ils soient toujours en Amérique ou de retour en Europe. Que la somme soit expédiée en argent comptant ou, à partir de la fin du XVIe siècle, plutôt sous la forme d’une lettre de change, les circuits économiques passent majoritairement par Séville et Gênes jusqu’au XVIIe siècle (F. F. Battestini en a largement parlé pour Calvi). Au siècle suivant, ce sont les ports et les places financières de Cadix et de Livourne qui prennent progressivement le relais.

aient eu l’intention d’y retourner ou qu’ils aient pris conscience

Nous pouvons donner l’exemple des 500 lires (ou plutôt leur

qu’ils ne reviendraient jamais. Le lieu de leur enfance et de leur

équivalent en monnaie espagnole) expédiées en 1723 de Lima

jeunesse fut presque toujours l’objet de leurs pensées, de leur

par Carlo Nuvali à son frère Giovan Battista à Rogliano. La somme,

attention et de nombreux témoignages de générosité. Ce rapport

confiée à Giovan Battista Dominici de Tomino, est consignée à

fut le même pour tous, qu’ils soient partis en 1550 ou en 1830,

Cadix à Pietro Mattei de Centuri (un ancien des « Indes occiden-

qu’ils aient foulé à nouveau le sol de leur terre natale ou non.

tales »), qui la remet aux frères Canavari, négociants génois dans la

Ceux qui revinrent écrivirent, en revanche, quelques pages supplémentaires, non seulement pour l’histoire de leur propre vie, mais aussi pour celle de l’île.

Famille, religion, charité publique, éducation et médecine : le programme des Corses américains du XVIe au XVIIIe siècle

ville espagnole. Ces derniers la font parvenir à leur correspondant dans la capitale ligure, Francesco Maria Castelletti, qui l’envoie à Carlo Ferdinandi de Brando, tout juste rentré du Mexique, lequel la remet au bénéficiaire. Les actes notariés que nous avons dépouillés nous montrent qu’au milieu du XVIIIe siècle, les intermédiaires privilégiés des Corses étaient, à Cadix, les banquiers français Vienne et Larue, et, à Livourne, les établissements du Français Dutremoul et du Flamand Huigens. Si quelques envois étaient bien réalisés par les Corses établis en Amérique de leur vivant, c’était surtout à leur mort que la famille

Les Corses partis au-delà des océans pour améliorer leur condition,

pouvait éventuellement recueillir tout ou partie de la succession.

et si possible faire fortune, ne manquent pas de penser à la situa-

C’est ce qui se passa pour Francesco fils de Giuliano de Nonza,

tion parfois difficile de leurs parents proches restés dans l’île. Ils ne

longuement établi et marié à Cartagena en Colombie, qui laissa à

peuvent toutefois trop se démunir des capitaux économisés avec

sa mort, en 1553, 3 000 pesos que son frère et ses sœurs peinaient

patience, lesquels sont par ailleurs indispensables à la poursuite

encore à récupérer dix ans plus tard.

et à la montée en puissance de leurs affaires, ou à l’entretien de la

La famille n’était pas la seule à bénéficier des largesses des

famille qu’ils ont fondée ou espèrent fonder. Ils ne veulent pas non

émigrés. La communauté dans son ensemble pouvait compter

plus se séparer trop facilement d’un argent acquis dans des condi-

sur le soutien de quelques-uns de ses fils enrichis dans des terres

tions difficiles, où ils ont eux-mêmes pris tous les risques.

lointaines.

Plusieurs d’entre eux expédient toutefois, avec plus ou moins

Lorsqu’en 1587 le richissime Juan Antonio Vicentelo Corzo dicta à

de régularité, des sommes à leurs parents. La solidarité entre

Séville ses dernières volontés, il n’oublia pas la ville de Calvi, où il

insulaires émigrés joue ici pleinement son rôle, puisque les Corses

avait vu le jour, bien qu’il l’ait quittée près de cinquante ans plus tôt.

servent très souvent d’intermédiaires pour leurs compatriotes,

Il légua tout d’abord 4 000 ducats pour l’achèvement du couvent

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Pedro López Calderón (16..-17..), peintre Nuestra Señora de Guadalupe 1722 Collection particulière Marchetti (Marseille) – Cat. 5

Saint-François, où l’on devait

Conformément aux habituelles

réserver à sa famille la principale

démonstrations de piété de la

chapelle. Ce montant s’ajoutait

période, nombre d’insulaires

aux 2 000 ducats qu’il avait déjà

émigrés firent don d’objets

versés ; il comprenait aussi 2 500

religieux, directement fabri-

autres ducats provenant de legs

qués dans les pays du conti-

d’autres généreux Calvais partis

nent américain, d’où ils étaient

aux Indes. Si la construction du

expédiés vers Séville et Cadix

couvent pouvait être terminée

avant leur acheminement vers

sans employer la totalité de

la Corse. Il s’agit tout particuliè-

la somme, il prescrivit que le

rement de pièces d’orfèvrerie

surplus non utilisé soit affecté

en argent, métal dont nous

à la construction d’une canali-

savons qu’il ne manquait pas,

sation pour l’alimentation en

tant au Mexique qu’au Pérou.

eau de la ville. Il destina aussi 500 ducats aux chapelles Saint-Jean

Paolo Matteo de Morsiglia, établi à Lima à la fin du XVIe siècle, offrit

et Saint-Antoine, 1 000 aux membres de sa famille qui se trouve-

ainsi en 1599 au couvent de son village une lampe de sanctuaire

raient dans le besoin, et 2 000 pour financer l’achat de blé destiné

d’une valeur de 360 lires. En 1702, Andrea Francesco Caraccioli fit

aux pauvres (les intérêts de la somme devaient servir à couvrir le

de même en expédiant de Portobelo (Panama), où il était établi,

surcoût de l’acquisition les années de pénurie, les céréales étant

plusieurs objets précieux : une lampe haute de 2,35 m pesant plus

ensuite revendues à un prix modéré).

de 30 kg, « qui, dans ce pays, avait coûté 2 000 pièces » ; un grand pélican (sorte de tabernacle ou thabor), dans la poitrine duquel

Bien que la fortune d’Antonio, fils de Giovan Andrea de Cagnano

on posait le ciboire avec trois petits pélicans placés au devant et

(devenu Dias après son séjour aux Indes), ait été moins impression-

13 lumières, le tout pesant 15 kg environ (valeur 1 000 pièces) ; un

nante (il possédait tout de même plus de 30 000 ducats), son testa-

ostensoir entièrement doré pesant 11 kg (valeur 1 500 pièces) ; un

ment rédigé à Séville en 1612 fit aussi une part importante à divers

encensoir et sa navette de 2,6 kg ; et enfin une pyxide dorée de

legs destinés à son village et à sa famille en Corse. Déduction faite

1,3 kg (valeur 150 pièces), le tout en argent finement ouvragé. Le

de quelques donations (50 ducats à l’église de Cagnano, 400 à ses

généreux donateur expliqua dans une lettre qu’il exauçait ainsi un

cousins et, surtout, 5 000 au fils d’une Indienne qu’il déclara avoir

vœu envers le couvent de la Santissima Annunziata de son village

élevé à Panama), son capital devait être investi dans des rentes

de Morsiglia. À Tomino, en 1750, la communauté villageoise

perpétuelles. Les 500 ducats d’intérêts recueillis chaque année

envoya à Cadix deux émissaires pour récupérer un tabernacle et

devaient ensuite être répartis en cinq parts égales destinées à sa

un antependium entièrement en argent, qui venaient d’être légués

sœur et à ses descendants, à la célébration d’une messe quoti-

à la paroisse de Saint-Nicolas par un enfant du village, Giovan

dienne dans la paroisse de Cagnano, au rachat de captifs en pays

Battista Giacomo Filippi, récemment décédé à Lima. Ces grandes

maure – avec priorité à ses parents –, à la dotation de deux filles de

et précieuses pièces d’orfèvrerie baroque aux accents amérindiens

sa famille, et, enfin, à l’achat de blé à distribuer à ses parents. Les

disparurent peu après leur arrivée en Corse. Elles furent en effet

documents d’archives montrent que sa volonté fut bien exécutée,

fondues lors des guerres du XVIIIe siècle, en partie à Gênes (dans le

et l’argent investi dans des placements sûrs dont les débiteurs

cas de Morsiglia), mais aussi à Murato, dans l’hôtel de la monnaie

furent longtemps les villes d’Ajaccio et de Bastia.

fondé par le gouvernement national (pour Tomino).

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• 27

Les « Corses américains » et leur île

Une autre préoccupation des insulaires émigrés « aux Indes » est

sa commune dans son testament de 1765 ; le couvent des Servites

celle de l’enseignement. Dès 1613, Giovan Pasquale de Rogliano,

de Marie de la Santissima Annunziata, dont le prieur était alors son

décédé à Zacatecas (Mexique), consacrait dans son testament un

cousin germain Giovan Maria Caraccioli, reçut 8 000 pièces de huit

capital de 6 000 pièces de huit réaux dont les intérêts devaient

réaux, employées, dans les décennies suivantes, à la totale recons-

servir à payer un maître dispensant gratuitement des cours dans

truction de la grande église que l’on peut toujours voir aujourd’hui.

son village. L’école fut assez rapidement fondée et fonctionna de 1618 à 1752 au moins. Bien qu’elle ait été initialement limitée – c’était déjà très bien – à l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, plusieurs générations d’élèves purent, par la suite, y apprendre la grammaire et le latin. Le souci de Don Giovanni (ou Giovanninco) Calisti de Brando, marchand établi à Lima depuis 1710 environ, ne fut pas différent lorsqu’il envoya, en 1753, les fonds pour la fondation d’une chapelle dédiée à sainte Lucie dans son village natal de Silgaggia, jusqu’alors dépourvu de lieu de culte. Le chapelain engagé devait y célébrer des messes, enseigner le catéchisme, mais aussi faire gratuitement l’école aux enfants du hameau et des 1

environs . Dans la même commune, des dispositions similaires avaient déjà été prises par Carlo Ferdinandi, après son retour de Veracruz en 1724. Le prêtre desservant la chapelle familiale qu’il fit construire (dédiée à saint Jean-Baptiste) devait ainsi, en plus des obligations liées au culte et au catéchisme, tenir une école gratuite où tous les enfants du village de Pozzo pourraient apprendre, sans

Le XIXe siècle : la continuité et le changement Les choses n’évoluent pas vraiment au cours de ce qui est le grand siècle des « Américains » dans l’île. Les Corses du XIXe continuent à envoyer de l’argent à leurs familles, souvent grâce à l’aide de leurs compatriotes. Les banquiers Olivieri de Morsiglia et Padovani de Centuri, respectivement installés à Marseille et Livourne, sont, à ce titre, des interlocuteurs privilégiés durant une bonne partie du XIXe siècle. Mais les réseaux et les circuits financiers sont désormais bien plus larges, impliquant des intermédiaires variés dans de nombreux pays. Il en est ainsi de Jean Marie Dominici établi à Richmond (Virginie) qui envoie en 1865 à son épouse demeurée à Ersa une somme d’argent par l’intermédiaire de son compatriote Antoine Sébastien Mannoni, installé quant à lui dans la ville voisine de Charlottesville ; celui-ci se rend à Londres muni d’une

limitation de temps, la lecture, l’écriture et le latin. Ferdinandi

lettre de change d’une valeur de « 1 000 dollars en or » signée du

laissait aussi une somme pour, chaque année, doter une jeune

banquier Davemport, « payable en Angleterre avec un bénéfice de

fille, payer un médecin gratuit pour tous les habitants et faire

14 dollars pour cent ».

quelque œuvre de charité envers les plus démunis. De retour à Livourne après plusieurs années de périple en Amérique du Sud, le capitaine Don Santos Antonmattei de Morsiglia finança de la même façon, en 1766, la reconstruction de la chapelle Saint-JeanBaptiste de son village et le paiement d’un chapelain pour y tenir école. Son associé et compatriote, Giacomo Giacomini de Porrata, fut d’une exceptionnelle largesse envers les édifices religieux de

L’amélioration et la multiplication des moyens de communication permettent aux ayants droit de récupérer plus facilement les successions outre-Atlantique (l’inverse est également vrai). Les plus proches parents de Jacques Antoine Crescioni de Luri, décédé à Maunabo, donnent en 1860 procuration à leur compatriote Joseph Marie Massari, habitant Porto Rico, pour récupérer sur place la succession du défunt. Les biens de François Filippi de Sisco, décédé

1. La fondation de cette chapelle donna lieu à un long litige qui dura plus d’un siècle. Giuseppe Franceschetti de Brando (futur beau-frère de Pascal Paoli), de retour de Lima en 1753, se serait approprié les fonds que lui avait confiés son oncle Calisti (par alliance) et, ainsi, la paternité de la fondation et la propriété de la chapelle. Le procès opposa les descendants en Corse de la famille du donateur – puis le conseil de fabrique de la commune de Brando au XIXe siècle – et les héritiers Franceschetti établis à Vescovato.

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à Rio de Janeiro en 1859 – papier-monnaie brésilien et valeurs métalliques s’élevant à 370 000 reis –, font quant à eux l’objet d’une traite transmise à la Caisse des dépôts et consignations sur ordre du ministre des Affaires étrangères, avant d’être remise à ses parents. Lorsque l’héritage est conséquent et que l’on a des diffi-

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28 •

Bonaventura et Giuseppe Stella [attr.], menuisiers Banc d’église Vers 1725 Brando, hameau de Pozzo, église du couvent Saint-Barthélemy – Cat. 6

cultés à trouver des intermédiaires de confiance sur place, certains font le voyage jusqu’en Amérique. C’est le cas d’Antonio Pietri de Centuri qui récupère en 1836 à Porto Rico plus de 30 000 francs provenant de la succession de son compatriote Andrea Franceschi, somme dont il garde le tiers pour les fatigues et les frais du voyage, conformément à ce qui avait été conclu avec les héritiers avant son départ. C’est un pourcentage identique qui est accordé la même année à Toussaint Giuria de Centuri, l’un des cohéritiers de Jean Franceschi, décédé à Orizaba (Mexique), qui envisage de se rendre sur place pour régler la succession, part réduite à 8 % de la somme recueillie s’il ne sort pas de France.   

sur la commune de Santa-Maria-di-Lota, bénéficie des grandes libéralités de la famille Cagninacci après son séjour au Venezuela. Elle reçoit en effet deux grands lustres de la cristallerie Baccarat, des vitraux, l’orgue, la chaire, le baptistère, le maître-autel, quatre autels latéraux… À Sisco, la paroisse Saint-Martin est complètement restaurée de 1868 à 1876 grâce aux efforts de tous les habitants, mais surtout aux dons des nombreux « Américains »

Comme aux siècles précédents, les « Américains » continuent à

du pays (familles Agostini, Battistini, Ferri, Gaspari, Lorenzi, Luigi,

répandre leurs largesses dans le domaine de l’édification ou de

Padovani, Paralitici, Pericchi, Pierluisi, Raffucci, Santoni, Vivoni…),

l’aménagement des édifices religieux. Si l’église paroissiale Saint-

qu’ils soient déjà de retour ou qu’ils résident encore outre-Atlan-

Sylvestre de Centuri est entièrement reconstruite entre 1819

tique.

et 1821, c’est essentiellement grâce aux legs de deux enfants du village partis pour l’île de Saint Thomas : Giuseppe Maria Franceschi, qui y décède en 1800, et Domenico Cipriani, qui s’ins-

Tout en participant aux biens spirituels, certains s’intéressent aussi au bien-être matériel de leurs concitoyens. Toujours à Sisco, le

talle par la suite à Livourne, où il meurt en 1819. Le premier avait

docteur Santo Gaspari laisse à sa mort, en 1867, un coupon de rente

aussi financé l’édification d’une chapelle familiale dédiée à sainte

de l’État d’une valeur de 100 000 francs, dont les intérêts annuels

Anne, construite en 1804-1805 dans son hameau natal de Bovalo.

devaient être reversés au curé, à l’instituteur, au médecin – qui

À Pino, la paroisse Sainte-Marie doit énormément à la générosité

s’engageait à soigner gratuitement les pauvres – et à l’hôpital de

d’Andrea Blasini, établi à Trinidad : les deux nefs latérales ajoutées

Bastia. Au même endroit, Carlo Padovani finance la construction

à l’unique vaisseau d’origine peu avant 1857, la balustrade de

d’une fontaine-lavoir dans son hameau de Balba, sur laquelle il fait

chœur en marbre blanc et le pavement de l’église. Dès 1839, il

apposer, avec grande modestie, une plaque de marbre compor-

avait aussi financé le nouveau cimetière communal à la marine.

tant l’inscription suivante : « Non meritò di nascere chi visse sol per

Entre 1880 et 1910, l’église paroissiale Saint-Antoine de Figarella,

se/1879 ». Jean Antoine Casanova, de retour à Rogliano après un

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Les « Corses américains » et leur île

• 29

Église paroissiale Saint-Sylvestre Centuri 1819-1821 (reconstruction) © CC/Pierre Bona

séjour au Venezuela, finance l’horloge publique, le paratonnerre, le cimetière de Macinaggio, le tableau de la chapelle de Campiano et le baptistère de celle de Macinaggio. Si nous retournons à Pino, François Marie Piccioni envoie depuis sa lointaine île de Saint Thomas, où il décède en 1846, les fonds nécessaires à l’achat des orgues de la paroisse ; à la construction du clocher, de son horloge et du presbytère ; à l’établissement d’un bureau de bienfaisance et d’une école gratuite… Conscient de la nécessité d’améliorer

La véritable nouveauté de ce XIXe siècle concerne, nous l’avons vu, un double phénomène : les Corses sont beaucoup plus nombreux à partir vers les pays du continent américain, et la proportion de ceux qui rentrent est aussi plus importante. La situation est donc radicalement différente par rapport aux trois siècles précédents, où seulement une poignée d’individus revenaient dans leur île.

les moyens de communication, il finance aussi le percement de

Les Americani, comme on les appelle désormais dans leur village,

la route entre Pino et Luri, et fait construire la chapelle voisine de

vivent dans l’aisance, l’opulence, voire le luxe selon leur niveau

Sainte-Lucie, legs dont s’occupent ses neveux à leur retour des

de fortune. Ils habitent avec leur famille un palazzu, entourés de

Antilles. Une plaque anonyme rappelle, elle aussi, avec modestie

servantes, d’un jardinier, souvent d’un cocher, et parfois même

et non sans quelque mystère : « Dernière pensée d’un Corse

d’une institutrice privée pour l’instruction des enfants (c’est le cas

mourant à 2 000 lieues de sa patrie : “écrivez à nos compatriotes

pour les Marcantoni de Centuri). Certains domestiques sont de

d’ouvrir la route de Pino à Sainte-Lucie sous Sénèque. Si l’argent

couleur, surtout durant les premières décennies du XIXe siècle. Cela

venait à manquer, quelqu’un y pourvoira, 23 décembre 1846” ».

interpella l’administration locale, et dut probablement étonner et

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30 • A. Breger frères Bastia (Corse) – Banque de la Corse 2e quart XXe siècle Corte, musée de la Corse – 2003.12.483 – non exposé

faire parler dans les villages2. Pour les travaux des champs, l’aménagement d’imposantes terrasses et l’adduction d’eau autour de leur maison, ils emploient régulièrement une main-d’œuvre largement composée de travailleurs originaires de Toscane ou des montagnes de Parme, qui se fixent en nombre dans les villages. Cette immigration italienne, déjà ancienne et courante à cette époque en Corse, est incontestablement plus importante dans les communes qui comptent le plus « d’Américains » de retour, en faisant abstraction d’autres facteurs importants comme l’exploitation minière, qui se développe alors en certains endroits. Occupés par la gestion toujours très prenante de leurs affaires, dont les ramifications s’étendent à plusieurs pays et continents, les Americani investissent aussi une part de leurs capitaux dans l’île. Ils s’intéressent, par exemple, aux mines d’antimoine du Cap Corse (Jean et Dominique Vecchini, ainsi que Félix Giuseppi, à celle de leur village de Luri ; Toussaint et Simon Giuria, associés à Marc de Franceschi de Centuri, à celle d’Ersa ; Antoine Pietri et Dominique Antoni de Morsiglia à celle de Meria). Ils s’impliquent

Car la politique intéresse évidemment beaucoup d’Americani,

aussi dans le secteur bancaire, avec la fondation de deux établis-

même si Pierre Battistini de Sisco, de retour du Venezuela, écrit en

sements à Bastia. La « banque Fantauzzi » est créée en 1863 par

1881 à Pierre-Toussaint Vivoni à Porto Rico :

Ange-François Fantauzzi, revenu de Porto Rico, un temps en association avec la famille Gaspari de Sisco. La « banque de la Corse » est, quant à elle, fondée au tout début du XXe siècle par François-Marie Altieri de Barrettali, de retour de Haïti, un temps en association avec Jean-Martin Napoleoni de Tomino, lui aussi revenu de cette même île. Leurs activités financières se dirigent vers plusieurs secteurs, comme les forges de Toga ou les vins et spiritueux de Louis-Napoléon Mattei, dans lesquels la banque

On m’a informé que vous avez aussi l’intention de revenir avec la famille. Je vous recommande de le faire. À Sisco, on peut vivre confortablement : le climat est sain et bénéfique, on est près de Bastia, les routes sont bonnes et on trouve tout ce dont on a besoin, de sorte que rien ne manque, et, avec un peu de philosophie, on peut vivre comme un patriarche. Il y a cependant un petit fléau, la politique, qui tend à tout envahir, jusqu’à nos villages pacifiques. Mais, avec un peu de bon sens, tout cela peut disparaître et la paix, actuellement légèrement compromise, peut être rétablie3.

Fantauzzi est, par exemple, engagée. Cette implication dans l’économie de la Corse conduit aussi Gaston Fantauzzi, fils et héritier de

En tant que propriétaires les plus imposés, les « Américains »

l’institution, à la tête de la chambre de commerce de Bastia et à la

sont tout d’abord associés de près à la gestion communale, pour

vice-présidence du conseil général de la Corse.

laquelle ils sont régulièrement consultés. Hommes de confiance et d’expérience, ils sont élus maires dans de nombreuses communes,

2. Le cas s’était déjà produit quelques très rares fois, comme à Calvi en 1582. Giovan Lucca Paciola, de retour des « Indes », où il avait été depuis 1576 l’agent du célèbre Juan Antonio Vicentelo Corzo dans la province du Honduras, y possédait un esclave noir de 26 ans qu’il avait acheté pour 60 écus d’or à Séville à Bartolomé Salvador de Salórzano, proche collaborateur et confident du précédent corzo, et qui fut par ailleurs l’auteur, en 1590, du premier traité espagnol sur la comptabilité double. L’esclave fut vendu au Magnifico Giulio Doria.

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y compris à Bastia, où les frères Vincent et Antoine Piccioni de Pino, de retour de Saint Thomas après quelques années passées avec leur oncle François-Marie, dont ils ont recueilli le formidable 3. Vivoni Farage, 2002, p. 60.

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Les « Corses américains » et leur île Joseph Moretti (1868-1957), photographe Portrait de François-Marie Altieri Début XXe siècle Collection particulière – non exposé

L’intéressant journal tenu en 1885 et 1886 par Elvire Torre, revenue dans son village d’origine de Tomino après être née et avoir vécu au Venezuela et à New York, permet de se faire une idée de la vie quotidienne d’une jeune femme débarrassée de tout souci matériel : fréquentation régulière des églises et participation à toutes les fêtes religieuses, cueillette de fruits ou de fleurs aux jardins, travaux de couture, lecture de romans et de livres historiques, mais aussi du Figaro et de L’Écho, auxquels elle est abonnée, commande dans les catalogues de mode des grands magasins comme le Printemps, pratique du piano, des dominos, des cartes et du croquet, visite aux familles de notables alliées – comme les Giuseppi de Luri ou les Pietri de Centuri – et promenade en tilbury, séjour à Bastia avec spectacle au théâtre, visite au couvent d’Erbalunga, bains de mer à Macinaggio et promenades héritage, sont placés à la tête de l’assemblée communale (1854-

à cheval ou à dos d’âne durant la belle saison, implication dans la

1858 et 1865-1870), au moment où leur frère Sébastien siège à

vie politique du canton et de la Corse… Mais, malgré les parties de

4

L’Île-Rousse (1841-1848 et 1856-1870) . Le conseil général compte

quilles et les quelques concerts de violon et d’accordéon auxquels

aussi plusieurs élus liés aux familles « américaines », tout particu-

elle assiste, malgré la petite comédie organisée au village par des

lièrement dans le canton de Rogliano (avec Pierre Marie Nicrosi,

Lucquois ou la fréquentation des officiers d’une flotte de la marine

Sylvestre Bartolomei, Gaston Fantauzzi et François-Marie Altieri

en exercice à Macinaggio, la jeune femme ne peut s’empêcher

durant 40 des 50 années séparant 1885 de 1934) et dans le canton de Luri (avec Félix Giuseppi, Antoine Piccioni et Albert de Tomei durant 37 des 52 années séparant 1848 de 1899)5.

d’évoquer la « monotonie de ce village où l’on s’ennuie à mourir ». Pierre Battistini, lors de son passage à Sisco en 1881, expliquait aussi : « J’ai passé l’hiver dans la maison paternelle. J’y ai eu un peu froid et la vie au village est triste et monotone. Mais cela ne m’empêche pas

Dans leur village, les « Américains » participent à la vie paroissiale,

de vouloir venir m’y installer définitivement avec la famille. » C’est ce

mais aussi à l’animation culturelle. C’est le sens de l’initiative prise

qu’il fit en construisant la villa Saint-Pierre. Pierre-Toussaint Vivoni,

à Centuri en 1894 par la création de la « Société philharmonique La Concorde », dont le but est de « propager le goût de la musique et

rentré de Porto Rico dans son village de Sisco après en avoir tant rêvé, écrit aussi en 1890 : « Je me sens étranger dans mon propre pays » et « La Corse n’est pas faite pour moi ».

de prêter son concours aux œuvres de bienfaisance et de charité ». Son président, Jean-Baptiste Marcantoni, son trésorier, Ange François Semidei, et son secrétaire, Mathieu Pietri, sont tous des « Américains » ! 4. Antoine Piccioni est aussi maire de son village de Pino, et deux fois conseiller général. Vincent s’installe en 1861 en Haute-Garonne (où il avait fait ses études), où il est élu conseiller général de Revel, puis député. 5. Citons aussi le canton de Brando, où Sébastien Piccioni, Louis Ramelli et Dominique Valery occupent le siège durant 34 années (sur 77) entre 1848 à 1934.

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Si tous les « Corses-Américains » n’ont pas ressenti les mêmes choses, beaucoup ont été déçus à leur retour dans l’île. Plusieurs raisons peuvent certainement être invoquées pour expliquer ces sentiments complexes et sûrement déroutants : la disparition des parents les plus chers, une jeunesse désormais révolue, la cessation d’une intense activité professionnelle, voire aventureuse, ou bien encore la démystification d’une Corse idéalisée durant les années d’absence. Le regard des villageois et des amis d’enfance, mélange

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32 •

probable de respect, d’admiration et d’une certaine jalousie, pourrait aussi avoir été une source de déconvenue. Certains choisissent donc de s’établir en ville pour y chasser l’ennui et profiter des commodités et des loisirs citadins. Beaucoup vont à Bastia, où ils font construire leur maison (comme Vincent AntoniAntonetti de Nonza et François-Marie Altieri de Barrettali) ou un véritable immeuble (comme Michel Agostini et la famille Fantauzzi, tous de Morsiglia). D’autres y achètent des appartements où ils résident une grande partie du temps, comme Ange-Toussaint Palazzi de Farinole, Thomas Potentini de Barbaggio ou le docteur Toussaint Gaspari de Sisco. Dès 1841, son frère Simon-Jean Gaspari, commerçant établi à La Guaira (Venezuela), conseillait à sa mère de conduire le dernier né de la famille à Bastia : « Si vous m’aimez, prenez une bonne et louez un logement décent à Bastia pour l’éducation d’Antoine-Mathieu. » En 1837, Felice Dominici de Pietracorbara, marchand à Ponce (Porto Rico), proposait à sa sœur de venir le rejoindre et lui conseillait en attendant « de vous en aller à Bastia, car, au moins, vous serez au milieu de personnes [dignes de ce nom] et pas dans un village malheureux (“disgraziato”), comme l’est celui dans lequel vous habitez »… La famille Piccioni

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choisit, elle, d’édifier à L’Île Rousse un château qui marquera l’histoire de la cité balanine. D’autres préfèrent les villes des continents italiens et français. Livourne et son arrière-pays attirent une bonne partie des Américains, surtout ceux de la pointe du Cap Corse, habitués, dès le XVIIe siècle, à y acheter de nombreux biens immobiliers qu’ils louent et où ils résident aussi parfois (on peut citer les familles Bartolomei – devenue Bartolommei –, Bettolacce, Caraccioli, Cipriani, Fabrizi, Marcantoni, Marini, Mattei, Padovani, Paoli, Piccioni, Pietri, Semidei, Torre…). Lorsque l’on regarde les maisons d’Américains construites – par exemple – par les Marcantoni et les Mattei à Centuri, il faut aussi savoir que ces mêmes familles possédaient, à Livourne, un ou plusieurs immeubles de trois à cinq étages, dont certains étaient situés sur la via Ferdinanda (aujourd’hui via Grande), la principale artère du grand port toscan. Le très fort attrait de Livourne s’estompe cependant à partir du milieu du XIXe siècle, au profit des destinations du continent français. Paris arrive en tête. Plusieurs familles y font des investissements immobiliers et s’y établissent, de façon plus ou moins régulière : c’est le cas des familles Agostini de Cagnano, Blasini de Pino, Fantauzzi de Morsiglia… Les Gaspari de Sisco se partagent

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Enrique Vivoni Faragec

Des îles entretissées Aux Corses-Américains, véritables athlètes, qui ont enrichi une grande partie de la Corse et nous ont ôté la faim.

Porto Rico et les Corses-Américains

Pierre-Toussaint Vivoni, 1890

À

LA FIN DU XVIIIe SIÈCLE, l’île de Porto Rico était dépourvue

de tout. Reléguée par la Couronne espagnole au rang de place militaire, elle était presque inhabitée, manquait de développement agricole et, par

conséquent, d’une économie robuste. Pendant les trois siècles de domination espagnole, San Juan et San Germán, ses villes principales, firent office de sièges militaires et de chefs-lieux. Le reste de l’île hébergeait des hameaux et des villages selon une cartographie bien précise car, pour jouir d’une telle classification, il était nécessaire de convaincre la Couronne d’une intention d’évolution urbaine, raison pour laquelle les villages possédaient un tracé adéquat de leurs rues, une place principale, une église, une boucherie et la mairie. La réalité du

XVIIIe

siècle était que la

majorité de la population vivait dans les campagnes. En semaine, peu d’âmes y résidaient, et c’était le dimanche, jour de présence obligatoire à la messe et au marché fruitier, que la zone « urbaine »

[…] la situation délicieuse du terrain et l’ennui de la navigation poussent tous ceux qui n’embarquent qu’en direction des Indes, a priori, à rester dans ce premier port avec de nombreux autres marins et soldats, en se cachant et se faisant abriter par les locaux […]. Le plus remarquable est l’accueil chaleureux réservé à ces fugitifs de patrie par les insulaires. Ces derniers les cachent dans les

battait son plein.

montagnes jusqu’au départ de la flotte, les accueillent dans leurs

Cette état de dépeuplement et de pauvreté évolua au cours du

maisons, les nourrissent et, avec une facilité incroyable, leur offrent

XIXe

siècle, tout particulièrement après l’émission de la Real Cédula

de Gracias1 de 1815 qui permit l’arrivée d’un grand nombre d’étrangers à Porto Rico. C’est au cours de ce siècle que des liens se sont tissés entre l’île et la Corse.

leurs filles en mariage, même s’ils n’ont d’autres biens que les vieilles guenilles qu’ils portent sur le dos ni d’autre caractéristique qui les recommande que celle de marin ou de clandestin, mais le fait d’être Espagnols et blancs, héritiers d’un majorat, les prédisposait à trouver épouse dans les huit jours. Parmi ces nouveaux colons, à court de moyens pour survivre honnêtement, certains devinrent

Une première arrivée Le

premier

Corse

documenté

contrebandiers, corsaires et clochards, et forts nombreux dans cette partie de l’Aguadilla ; d’autres se replièrent dans l’intérieur de

à

Porto

Rico

s’appelait

Jean Fantauzzi2, probablement de la commune de Morsiglia. Il

l’île, s’ajoutant à une exploitation agricole et devenant des voisins inutiles par manque de terres propres à cultiver3.

résidait dans le « nouveau village » de San Carlos de la Aguadilla.

Le frère Iñigo indiqua, en outre, que le village était composé de

En 1760, il baptisa son fils, Juan María, dans l’église du village.

58 maisons alignées le long de la plage, exposées à la « destruction

Aux alentours de cette date, le frère Iñigo Abbad et Lasierra, un

par n’importe quel bateau ennemi ». 195 autres familles résidaient

prêtre bénédictin, résidait à Porto Rico. À la demande du roi et de

à proximité du fleuve Culebrinas – où, selon certains historiens,

l’évêque, le frère Iñigo organisa plusieurs voyages sur l’île afin d’en

Christophe Colomb aurait fait halte en 1493 –, et comptaient

évaluer l’état. Comme l’indique une chronique ultérieure de 1788,

1 045 âmes. L’église où Jean Fantauzzi baptisa son enfant se

Abbad y Lasierra commentait ainsi la Aguadilla de Fantauzzi : 1. Ordonnance royale de Sa Majesté contenant le règlement sur la population et la prospérité du commerce de l’industrie et de l’agriculture de l’île de Porto Rico. 2. Association des Corses de Porto Rico, 2013, p. 158.

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trouvait « [a]u centre du bois [et était] de petite taille, mais belle, et servait de paroisse à cette population ». 3. Abbad y Lasierra Iñigo, 1977, p. 242-243.

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38 •

Les « insulaires » d’Aguadilla, selon le frère Iñigo, étaient généreux

de 45 000 habitants en 1765 à plus de 155 000 en 18004. Ces chiffres

et lors de l’amarrage de navires venus se réapprovisionner en eau

indiquent une augmentation du nombre d’émigrés sur l’île qui la

et en vivres ils construisaient tout au long de la plage plusieurs

fit passer de place militaire de second rang à force économique

kiosques où ils vendaient des fruits et différentes viandes dans

de la région. Si les émigrés en provenance de l’Espagne arrivaient

une sorte de foire qui durait les cinq ou six jours nécessaires au

par le port de San Juan, c’est le port de Saint Thomas qui devint la

réapprovisionnement des bateaux.

plaque tournante de l’émigration à Porto Rico après la proclama-

Jean Fantauzzi mourut à Aguadilla le 5 novembre 1798, à l’âge de 64 ans. Ces informations indiquent qu’il avait dû naître en 1734 et qu’il avait 26 ans au moment de baptiser son fils. Il fut marié à l’insulaire Josefa Martínez. Juan faisait-il partie de ceux qui,

tion de l’Ordonnance royale en 1815. Ce port libre danois a joué un rôle si important5 que l’Ordonnance fut publiée dans cette île en trois langues : français, espagnol et anglais. Assistés par les Corses déjà établis à Saint Thomas, comme le riche commerçant François Piccioni, les nouveaux arrivants corses faisaient route

émerveillés par le port d’Aguadilla et las de la traversée atlantique,

vers Porto Rico dans des embarcations dirigées par les Corses

abandonnèrent leur projet initial d’atteindre la Costa Firme (terre

Vincent Antonetti et Jean-Baptiste Pieretti.

ferme) ? L’Ordonnance royale privilégia les émigrés blancs, hommes, Des années avant Abbad et Lasierra, en 1765, la Couronne espagnole

catholiques, agriculteurs et fidèles à la Couronne espagnole.

avait demandé au militaire français d’origine irlandaise Mariscal

Quiconque remplissait ses conditions se voyait offrir des terres

Alejandro O’Reilly de rassembler des informations sur les défenses

selon sa richesse de départ et était exempté d’impôts pendant

militaires de l’île de Porto Rico ainsi que sur le niveau de pauvreté

dix ans. Ces « terrains royaux » constituèrent l’assise de la transfor-

et l’activité de contrebande sur l’île. Dans son rapport, O’Reilly fit

mation économique portoricaine. Pour pouvoir solliciter un statut

plusieurs recommandations visant à réduire la pauvreté qui mainte-

de résident, les immigrés devaient pendant cinq ans se consacrer

nait le niveau économique de l’île très en dessous de celui des

à promouvoir l’agriculture et démontrer leur attachement à l’État

autres îles des Caraïbes. Il indiqua qu’il n’y avait pas de routes, que

et à l’Église. Une fois l’autorisation acquise, ils avaient la possibilité

la production de sucre était extrêmement pauvre, qu’il y prévalait

d’établir des commerces en plus de leurs activités agricoles.

une économie de subsistance et que les activités de contrebande avaient fortement participé au développement de l’île. Il recommanda de libéraliser les relations commerciales avec d’autres pays des Caraïbes et d’Amérique, d’accroître la population en offrant des incitations aux migrants catholiques, blancs possédant des qualifications en agriculture et dotés d’un capital, et de développer la culture de la canne à sucre pour générer une économie d’exportation qui enrichirait les caisses du gouvernement.

De nombreux immigrés apportèrent non seulement de nouvelles compétences et la connaissance de nouvelles méthodes de production, mais également une prédisposition à prendre des risques en entrepreneuriat, ainsi que les outils, les machines et le financement nécessaires pour une production à grande échelle. Les immigrés avaient tendance à être plus intéressés par le marché et les bénéfices que les Créoles et, souvent, ils avaient une vision plus progressiste et cosmopolite, empreinte de l’esprit capitaliste de l’Europe occidentale et des États-Unis6.

C’est grâce à la culture de la canne à sucre et du café, aux

La Real Cédula de Gracias, 1815

commerces, au prêt d’argent aux compatriotes ou aux villageois 4. Dietz James, 1989, p. 28.

À la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle, la situation de Porto

5. Sonesson Birgit, 2002, p. 263-298.

Rico s’améliora, en particulier pour sa population qui était passée

6. Dietz James, 1989, p. 41.

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• 39

Des îles entretissées. Porto Rico et les Corses-Américains

Sachant que l’oncle Francesco vivait à Rincón, je l’envoyai chercher pour qu’il vienne me récupérer à la plage […].

et au transport de marchandises par voie maritime que les Corses ont assis leurs fortunes au XIXe siècle.

Les messieurs Domenico Santoni et Stefano Paraliticci, ayant eu vent de mon arrivée à Rincón, vinrent me rendre visite. En passant par Aguada, j’y vis l’oncle Bartolomeo et Giovan Eggidio, qui se comportèrent tous très bien. Vous pouvez dire à Angelo Santo Santoni que ses enfants, les oncles Francesco, Sixto, Bartolomeo et Pascuale se sont tous très bien comportés. Dites à tante María que je la salue et que son mari s’est très bien comporté avec moi, m’a donné deux chevaux pour me rendre à Añasco chez M. Carlos Padovani, et dites aussi à tante María, de la part de l’oncle Francesco, qu’il lui interdit de travailler, car, dans la force de l’âge, c’est lui qui prendra soin d’elle et de ses enfants.

Les arrivées, les adaptations et la croissance Le XIXe siècle fut marqué par la paix pour la colonie espagnole car il n’y eut aucune attaque perpétrée par des puissances étrangères. Sa population augmenta en flèche, passant de 155 000 en 1800 à un million en 1898. L’île est devenue cosmopolite et l’économie s’est développée. En conséquence, les villages furent consolidés

Lorsque je suis arrivé à Añasco, chez M. Padovani, il m’offrit aussi des chevaux pour me rendre à Mayagüez faire savoir à mes parents que j’étais resté avec toute leur famille et qu’ils s’étaient très bien comportés, qu’ils informent l’oncle Santo de mon arrivée pour qu’un cheval soit prêt à me récupérer dès mon arrivée à San Germán9.

en espaces urbains, les ports furent élargis par des quais, des entrepôts et des magasins. Au milieu du siècle, les Corses s’étaient installés dans les régions de l’ouest, du sud et de l’est, pour la culture de la canne à sucre. Les trapiches (moulins à broyer) utilisés au cours des siècles passés furent remplacés par des sucreries dans les années postérieures à 1815 et par des centrales à sucre à la fin du siècle.

L’adaptation au pays a été du plus grand intérêt. Il était nécessaire d’apprendre l’espagnol, de connaître les coutumes et d’établir des liens avec les familles importantes de la communauté. De même, il

Dans quelques-unes des Antilles, au contraire, le déboisement d’une partie du sol a diminué la quantité des pluies et les cours d’eau ont perdu de leur abondance. Dans l’une de ces îles, à Porto Rico, on a agi différemment. Une ordonnance du roi d’Espagne a prescrit que, toutes les fois qu’on abattrait un arbre, on en replanterait trois, et ce pays est resté d’une haute fertilité ; la bonté du sol, l’abondance des eaux y ont laissé les terres plus productives que dans les îles voisines7.

Corses en Amérique. Eux qui avaient quitté une île plongée dans

[…] Porto Rico, que tout le monde s’accordait à présenter comme la colonie qui produisait relativement le plus et au plus bas prix8.

Les statistiques sur le nombre de Corses arrivés dans nos ports

Une fois établis, les Corses qui résidaient pour la plupart dans leurs

dans Le Tour du Monde – indiquait « la présence sur l’île de plus de

exploitations firent appel à leurs proches en Corse pour les aider

3 000 Français provenant du Cap Corse, s’étant installés dans les

dans leurs activités de négoce. À l’instar de Pierre-Toussaint Vivoni

plantations de café de l’intérieur ». D’autres chercheurs ont fait

qui atteint les plages de Rincón en 1856, beaucoup furent reçus

plusieurs tentatives en vue d’établir le nombre de Corses émigrés

par des paysans et des parents et rapidement conduits à leur

à Porto Rico. Dans son ouvrage principal, Catálogo de extranjeros

destination finale.

residentes en Puerto Rico en el siglo

était impératif d’apprendre à connaître les affaires du parent pour, un jour, pouvoir les gérer lorsqu’il déciderait de rentrer en Corse. Le

XIXe

siècle a symbolisé l’enrichissement de beaucoup de ces

le désespoir, en raison des guerres, d’une population nombreuse, d’une agriculture dévastée, entre autres. Autant de facteurs qui avaient poussé ces jeunes à traverser l’Atlantique.

varient. Par exemple, Jules Claine – dans un article de 1892 paru

XIX,

Estela Cifre de Loubriel a

identifié un total de 379 Corses. Par ailleurs, María Dolores Luque 7. François Arago, 1854-1862, p. 432. 8. Revue des colonies, 1834-1842, p. 238.

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9. Vivoni Pierre-Toussaint, lettre à son père, 1857.

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40 •

Attilio Moscioni, photographe Centrale Lafayette à Arroyo Porto Rico, vers 1894 Collection particulière famille Fantauzzi – non exposé Centrale La Corse à Rincón Porto Rico, vers 1884 Collection particulière famille Raffucci – non exposé

de Sánchez a estimé à 503 le nombre de Corses qui résidaient à Porto Rico, tandis que Marie-Jeanne Paoletti-Casablanca a estimé entre 1 500 et 1 800 le nombre de ces immigrants au

XIXe

siècle.

L’Association des Corses de Porto Rico, dans ses deux volumes du Diccionario biográfico de corsos en Puerto Rico a identifié l’arrivée d’environ 2 000 Corses, hommes et femmes, à Porto Rico. Les Corses élurent domicile dans 43 des 78 municipalités de Porto Rico. La grande majorité de ces municipalités – en plus de disposer de ports maritimes – se trouvaient dans des régions de culture de la canne à sucre, industrie qui au cours du

XIXe

siècle s’est révélée

une source sûre de richesses. Avant les grandes entreprises du milieu du XIXe siècle, la canne à sucre était transformée à l’aide d’un trapiche. Toutefois, une fois établis, les émigrés ont réussi à transformer la production du sucre par le biais de la construction de raffineries ou de centrales sucrières. Les frères Fantauzzi, dont le chef de file était Ange-François, établirent leur centrale à Arroyo, lui donnant le nom de Lafayette, en référence à l’avenue parisienne où se trouvait le siège européen. Cette centrale, tout comme d’autres exploitations propriétés des Corses, telle que celles des Ghilfucci, Santelli, Mariani, Marcucci et Agostini, produisait d’immenses richesses. De même, à Aguada, les frères Émile et Dominique Vadi créèrent la Central Coloso. C’était, à l’origine, un trapiche dans l’hacienda Caño de las Nasas. À partir de 1875, Emile Vadi automatisa la production de sucre, augmentant ainsi la production de 100 à 1 000 boucauts par jour. À Rincón, Dominique Raffucci ouvrit la Central Córcega en 1884, l’une des premières à utiliser la vapeur pour faire tourner ses moulins. La zone où se situait la propriété est depuis connue sous le nom de « la Corse ». Par ailleurs, les hauts plateaux de Yauco, à Adjuntas, Maricao, Utuado et Las Marías étaient une localisation idéale pour la planta-

deuxième moitié du siècle, le Corse Ange-Pierre Agostini s’illustre

tion du café, industrie qui connut également un grand essor au

par l’invention de la machine à battre le café, un développement

e

siècle. La culture du café se faisait sur les hauteurs,

technologique qui permit au café de Porto Rico de rivaliser sur

dans des exploitations de petite taille, car l’exportation était

le marché mondial. Dominique Mariani possédait son hacienda,

cours du

XIX

assez limitée lors de la première moitié du

Maisons des Américains_int.indd 40

XIX

e

siècle. Pendant la

Santa Clara, Joseph Pietri Moretti établit La Salvación y Santa

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La présence corse au Venezuela aux xixe et xxe siècles

• 53

Anonyme Vicente Franceschi (1811-1865), fondateur en 1830 de la Casa Franceschi de Carúpano XIXe siècle Collection particulière – non exposé

Il y a au Venezuela beaucoup de Français […] et leur nombre qui va s’augmentant tous les jours est évalué entre deux et trois mille. […] Ce sont les Corses qui y réussissent le mieux, et ce sont eux qui composent la grande majorité de la population française ; on peut même dire qu’ils y jouissent, en petit, le rôle acquis par les Basques dans la République argentine.4

La présence corse au sein de l’économie vénézuélienne Pour beaucoup de jeunes insulaires, les premiers temps de leur installation ont certainement été durs et difficiles. Combien d’entre eux ont végété avant de réussir à s’adapter à leur nouveau cadre de vie ? Les archives restent bien souvent muettes quand on

La première maison de commerce établie au Venezuela : la Casa Franceschi

essaye de savoir ce que sont devenus ces migrants. Si certains des nouveaux venus se tournent vers le monde agricole, cultivent le cacao et le café, ou font de l’élevage, d’autres préfèrent s’adonner au commerce. Les plus chanceux d’entre eux, appelés par un parent, un ami, venu s’installer quelques années plus tôt dans le pays, entrent directement dans une maison de commerce. De simples commis, ils gravissent les échelons qui les mènent ensuite à la direction d’une succursale ou bien ils se mettent à leur compte et fondent leur propre négoce.

La maison Franceschi ou Casa Franceschi est fondée en 1830 par Vincentello Franceschi, un jeune Capcorsin originaire de Pino qui débarque à Carúpano à l’âge de 17 ans. Vicente Franceschi, comme on l’appellera par la suite, est né au sein d’une famille de petits propriétaires fonciers. Au cours des ans, sa maison de commerce occupe une place importante et acquiert une certaine notoriété, tant au niveau national qu’international. Elle domine pendant près d’un siècle l’exportation du cacao vénézuélien à destination de la France, de l’Allemagne et de l’Espagne. Pour

Dans ce pays qui demeure fondamentalement agro-exportateur

le seconder dans ses affaires commerciales, il fait venir de Corse

jusqu’au début du XX siècle, certaines maisons de commerce corses

ses neveux et parents : les Lucca, Orsini, Vincentelli et Giuliani.

de Carúpano et de Ciudad Bolívar vont occuper une place de toute

Comme le souligne l’historien Carlos Viso, il joue un rôle fonda-

première importance et devenir, au fil des ans, de sérieux concur-

mental dans la mise en place d’une filière de recrutement des

rents des maisons vénézuéliennes et étrangères. Dans leur grande

candidats au départ et nombre de jeunes Corses fraîchement

e

majorité, ces maisons ont un caractère d’entreprise familiale, et emploient une main-d’œuvre vénézuélienne. Elles jouent le rôle d’intermédiaire entre le marché européen ou américain et le marché vénézuélien. Et nombre de ces commerçants s’adaptent bien à la conjoncture et réussissent à développer leur société malgré le climat d’instabilité que nous avons évoqué plus haut. 4. Archives diplomatiques de Nantes, Unions internationales, 1er versement n° 1094, Immigration française, Caracas, 3 avril 1891.

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débarqués ont commencé à travailler dans la maison mère de Carúpano ou bien dans ses succursales de El Pilar, Tunapuy et Río Caribe, et dans ses haciendas de cacao et de café. En 1848, le renom de cette maison est tel que le gouvernement français nomme Vincent Franceschi agent consulaire de France à Carúpano. Après son décès survenu à Pino en 1865, ce sont ses deux neveux, Joseph Franceschi et Jean-Vincent Franceschi, qui assurent la prospérité de la maison et qui ouvrent en 1869 une agence au 83, rue d’Hauteville, à Paris (10e). À la génération

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