Melanges offerts à la mémoire de Claude Olivesi

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Cet ouvrage a reçu le soutien de l’UMR CNRS 6240 LISA et de la Collectivité territoriale de Corse


Mélanges offerts à la mémoire de Claude Olivesi Insularité, institutions et politiques

Ouvrage réalisé sous la direction de Jean-Yves Coppolani et André Fazi

Université de Corse • CNRS



La disparition brutale de Claude Olivesi, le 7 juin 2007 à l’âge de 49 ans, laissa un vide immense au sein de l’Université de Corse, où il avait exercé les fonctions de vice-président du conseil d’administration, et particulièrement au sein de l’UFR de droit, sciences économiques et de gestion. Docteur en Science politique, maître de conférences et habilité à diriger les recherches dans cette discipline, il jouissait d’une grande aura auprès des étudiants comme de ses collègues. Il avait aussi investi avec un grand succès le terrain politique local, en devenant conseiller général du canton du Campoloro-Moriani, maire de San Nicolao, et président de la communauté de communes de la Costa Verde. Ses collègues et amis, de Corse et d’ailleurs, lui rendent ici hommage dans un ouvrage aux approches et perspectives variées, dont les thèmes principaux sont ceux que Claude Olivesi affectionnait particulièrement1.

1. Les contributions de Giovanni Lobrano, John Loughlin, Francesc Morata, Paolo Foïs ont été traduites de l’italien et de l’anglais par André Fazi.



SOMMAIRE

Avant-propos de Jean-Yves Coppolani, professeur des universités, doyen honoraire de la faculté de droit, sciences économiques et de gestion de l’Université de Corse. Biographie et œuvre de Claude Olivesi Hommage de Paul Giacobbi, député de la Haute-Corse, président du Conseil exécutif de Corse. Hommage de Bruno Étienne (†), professeur de science politique à l’Université d’Aix-Marseille. ANTHROPOLOGIE POLITIQUE ET JURIDIQUE Florence Jean, maître de conférences en histoire du droit à l’Université de Corse, Les droits successoraux ab intestat de la femme dans l’ancien droit corse et le droit musulman Françoise Albertini, maître de conférences HDR en sciences de l’information et de la communication à l’Université de Corse, Quelques fragments d’une économie communicative pour une aide à la décision Jean-Yves Coppolani, professeur d’histoire du droit à l’Université de Corse, Corse 1790 : un royaume perdu et des communes multipliées Francine Demichel, professeur émérite de droit public à l’Université de Paris VIII, ancienne directrice générale des enseignements supérieurs, Pour un droit insulaire : analyse critique d’un angle mort dans un système juridique à la dérive AUTONOMIE, AUTONOMISME ET GOUVERNANCE RÉGIONALE Thierry Garcia, maître de conférences HDR en droit public à l’Université de Nice Sophia-Antipolis, Insularité et droit communautaire : je t’aime moi non plus ? Paolo Foïs, professeur de droit international à l’Université de Sassari, La Sardaigne et la politique communautaire des transports aériens John Loughlin, professeur de science politique à l’Université de Cardiff, L’Assemblée nationale du Pays de Galles et le principe de subsidiarité Francesc Morata, professeur de science politique à l’Université autonome de Barcelone, L’État autonomique espagnol et l’intégration européenne


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Giovanni Lobrano, professeur de droit romain à l’Université de Sassari, Problèmes de l’Autonomie en Sardaigne. Falsication des « grands mots » : mauvaise terminologie, très mauvaise dogmatique André Fazi, maître de conférences en science politique à l’Université de Corse, Les stratégies d’aménagement du territoire en France, ou l’impossible régionalisation Thierry Dominici, docteur en science politique, chargé d’enseignements à l’Université de Bordeaux III, Analyse du degré d’émancipation sociale et de massication populaire des forces nationalistes corses actuelles : l’application du modèle de « petite nation » de Miroslav Hroch au nationalisme modéré Jean-Paul Pastorel, professeur de droit public à l’Université de la Polynésie française, Des communes peu communes. Réexions sur le fait communal dans les collectivités d’outre-mer Antoine Orsini, docteur en sciences économiques, maire de Castellu di Rustinu, conseiller à l’Assemblée de Corse, De l’évaluation des politiques publiques à celle des politiques de développement régional LANGUES, IDENTITÉS ET POLITIQUES CULTURELLES Jacques Fusina, professeur émérite de langues et cultures régionales à l’Université de Corse, Culture et identité : réexions sur la transmission Pascal Ottavi, professeur de langues et cultures régionales à l’Université de Corse, doyen de la Faculté de Lettres, Langues, Arts et Sciences Humaines, Langues régionales et Constitution : le débat parlementaire de 2008 et le cas du corse Claude Saint-Didier, maître de conférences en droit privé à l’Université de Corse, doyen de la faculté de droit, sciences économiques et de gestion, Les langues de travail dans l’entreprise Dominique Verdoni, professeur de langues et cultures régionales à l’Université de Corse, directrice de l’Institut Universitaire de Formation des Maîtres, Une citoyenneté culturelle pour les Corses ?


SOMMAIRE

VARIA André Cabanis, Michel-Louis Martin, professeurs de science politique à l’Université de Toulouse I, Le juge dans le constitutionnalisme africain post-transitionnel Marc Debène, professeur de droit public à l’Université de la Polynésie française, ancien recteur de l’Académie de Corse, À la croisée des modes : la LOLF et la gouvernance de la recherche Charles Santoni, avocat, ancien bâtonnier du barreau de Bastia, ancien professeur associé à l’Université de Corse, Théorie et pratique politique de Louis Blanc

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Avant-propos

Claude Olivesi nous quittait subitement il y a déjà six ans mais sa forte personnalité reste désormais présente à la Faculté de droit et de sciences économiques de Corse dont le grand hall porte son nom. Ces mélanges rappellent, s’il en était besoin, l’estime dont Claude jouissait dans les deux mondes universitaire et politique, dans lesquels s’est déroulée sa vie publique fervente et exigeante. En effet, ferveur et exigence jusqu’au perfectionnisme ont été les qualités notoires de Claude Olivesi. Elles se sont manifestées pendant un quart de siècle de présence à l’Université de Corse, d’abord comme chargé d’enseignement alors que diplômé de l’IEP d’Aix-en-Provence, il était déjà docteur en science politique, puis comme maître de conférences à partir de 1989. Dès qu’il fut nommé, je conseillai au Président Jacques-Henri Balbi de lui proposer la charge de vice-président du Conseil d’Administration de l’Université de Corse que je cumulais difcilement avec celle de doyen. Il laisse le souvenir d’un excellent vice-président grâce à son sens aigu de l’organisation et son expérience administrative. Il fut ensuite détaché à l’IRA de Bastia, cette fois comme directeur des études, emploi qu’il accepta en pensant que cela pourrait lui permettre de favoriser une synergie entre l’Institut et l’Université. Mais c’est surtout comme enseignant-chercheur qu’il brilla particulièrement. La vigueur et la clarté de ses cours de droit constitutionnel et de science politique et administrative, nourris par sa vaste culture, sa ferveur et son expérience d’homme de terrain, lui valaient d’être très apprécié des étudiants. La qualité de ses enseignements, rehaussés par le prestige dont il bénéciait auprès de la jeunesse corse en raison de sa réputation méritée d’« élu hors du commun », selon l’expression d’un journal local, suscitait une admiration qui se manifestait par une fréquentation exceptionnelle dans les amphithéâtres où il professait. Comme l’élu, le politiste qu’il était n’a cessé dans ses recherches de se préoccuper des problèmes sociaux, culturels, politiques et institutionnels de notre île en vue de son meilleur développement, tout en évitant enfermement et nombrilisme par une approche souvent comparatiste au sein de l’Europe et du monde méditerranéen. C’est ce que l’on peut constater en parcourant la soixantaine de titres de ses travaux depuis son mémoire de l’IEP et sa thèse jusqu’à sa dernière publication « Autonomies des régions ? ». Il considérait pourtant dans les derniers mois de son existence que ses lourdes charges de maire de San Nicolao, de président de la communauté de communes et de conseiller général de la Costa Verde, l’avaient contraint à trop délaisser son


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activité de recherche. Pour s’y remettre pleinement, il m’avait fait part, quelques semaines avant son décès, d’un projet de congé pour recherches et conversion thématique qui lui aurait permis au sein de l’IEP d’Aix-en-Provence et de l’Institut Européen de Florence, prêts à l’accueillir, de travailler sur le thème « les régions face à la mondialisation et la gouvernance européenne ». Alors maître de conférences hors classe et depuis longtemps habilité à diriger les recherches, il estimait que c’était le moment de parfaire sa carrière universitaire et de la réussir pleinement comme tout ce qu’il entreprenait. Son destin brisé à 49 ans ne le lui a pas permis. En dépit de cela, ces mélanges rendent hommage à un universitaire de grande qualité. Ils lui manifestent l’estime de personnalités et collègues français et étrangers, et rappellent les thèmes que Claude Olivesi affectionnait : l’anthropologie des sociétés méditerranéennes et particulièrement de la Corse, les sciences politique et administrative déclinées autour des thèmes de l’autonomie, de la gouvernance et de la coopération régionale, les statuts des îles, l’évaluation des politiques publiques et l’histoire des idées. Puissent-ils aider à rappeler la mémoire de Claude, autant qu’à approfondir ses questionnements. Jean-Yves Coppolani


Biographie et œuvre de Claude Olivesi

Né le 17 février 1958 à Ferkessédougou (Côte d’Ivoire) Marié à Marie-Thérèse, trois enfants (Jean-Matthieu, Benoît et Marie) Diplômes et titres Diplômé de l’Institut d’Études Politiques d’Aix-en-Provence, section Économie et Finances (juin 1978). Doctorat de science politique, thèse de 3e cycle, juillet 1982, Université d’Aix-Marseille III (mention très honorable, éloges du jury) sous la direction du Professeur Jacques Bentz. Habilitation à diriger les recherches en science politique, 10 décembre 1992, Université d’Aix-Marseille III, sous la direction du Professeur Jacques Bentz. Expériences professionnelles Attaché régional d’Administration, recruté par concours, octobre 1983 (octobre 1983 – février 1985). Détaché auprès de l’IRA de Bastia comme responsable du service de Documentation et de la Bibliothèque (février 1985 – octobre 1989). Chargé d’enseignement en droit constitutionnel, IRA de Bastia, préparation aux concours administratifs (octobre 1985-1989). Chargé d’enseignement en droit constitutionnel à l’Université de Corse (octobre 1983 – octobre 1989). Maître de conférences en science politique, Université de Corse (1989-2007). Membre fondateur du Centre d’Analyse Juridique et Politique. Vice-président du Conseil d’administration de l’Université de Corse (1990-1993). Rédacteur en chef de la Revue de Science Administrative de la Méditerranée Occidentale (RSAMO), IRA de Bastia. Membre du réseau de conférenciers TEAM 92, du Bureau de la représentation permanente en France des Communautés Européennes (décembre 1992-). Détaché comme directeur des études de l’IRA de Bastia (1993-1996).


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Activités d’enseignement Seul politologue en poste à l’Université de Corse, il assurait tous les enseignements de science politique de la faculté en licence, maîtrise et master. Il a assuré dans le DESS d’Administration des collectivités territoriales et du développement local insulaire, créé en 1985, puis dans le master de Droit des collectivités territoriales, une série de cours directement liés à ses axes de recherche. Travaux scientiques I– Articles dans des revues nationales ou internationales à comité de lecture « Les institutions insulaires des États du sud de la Méditerranée occidentale », Pouvoirs, n° 37, 1986, p. 143-154. « Corse : une redénition de l’articulation à l’État », Peuples méditerranéens, « Corse. L’île paradoxe », nos 38-39, janvier-juin 1987, p. 85-103. « Corse de droite, vote à droite », Revue de Science Administrative de la Méditerranée Occidentale, nos 22-23, octobre 1988, p. 206-217. « Balance de cinco años de aplicación del Estatuto particular de Córcega (1982-1987) », Autonomies, n° 10, 1989, p. 297-317. « Réexions sur la lettre du 23 mai 1990 du ministre de l’Intérieur aux élus corses », Revue de Science Administrative de la Méditerranée Occidentale, n° 28, décembre 1989. « Une gestion périphérique du politique : l’exemple corse », ACTES – les cahiers d’action juridique, n° 69, janvier 1990, p. 5-13. « La réforme régionale, les territoires périphériques et l’Europe », La Revue administrative, n° 253, janvier-février 1990, p. 16-20. « La place de la Corse dans la coopération méditerranéenne », avec Jean-Paul Pastorel, La Revue Administrative, n° 255, mai-juin 1990, p. 201-205. « Une nouvelle étape dans la moralisation de la vie publique : voter là où on habite », avec Jean-Paul Pastorel, Les Petites Afches, n° 95, août 1990. « Pour la coopération transfrontalière Corse-Sardaigne : le programme INTERREG », avec Jean-Paul Pastorel, La Revue Administrative, n° 261, maijuin 1991, p. 201-204. « La nouvelle Collectivité territoriale de Corse », avec Jean-Paul Pastorel, Regards sur l’actualité, n° 173, août 1991. « Motivations gouvernementales pour une réforme », Revue Française de Droit Administratif, n° 5, 1991, p. 706-720. « Le gouvernement face au problème corse », Profession Politique, n° 64, 1990. « La Corse à l’heure européenne », Profession Politique, n° 97, 1990. « Corse 1992 : l’année de mise en place du statut Joxe », avec Jean-Paul Pastorel, Annuaire des Collectivités Locales, 1993, p. 51-65.


BIOGRAPHIE ET ŒUVRE DE CLAUDE OLIVESI

« L’avenir du binôme institutionnel : Union européenne – régions ? », Pouvoirs, n° 64, 1993, p. 161-171. « Les régions continentales à forte identité : propositions pour une synthèse », Revue de Science Administrative de la Méditerranée Occidentale, numéro spécial, juin 1993, p. 165-181. « The Status of Maritime and insular France : The Dom-Tom and Corsica », avec John Loughlin et Helen Hintjens, Regional Politics and Policy, volume 4, 1994, n° 3, p. 110-132. « Nouveau contrat pour l’école et aménagement du territoire », Revue de Science Administrative de la Méditerranée Occidentale, 1er trim. 1994, p. 61-66. « La Corse et la construction européenne », Annuaire des Collectivités Locales, 1995, p. 51-67. « Identité et politiques culturelles en Corse », Pouvoirs Locaux, n° 31, IV/1996, p. 103-108. « La Costituzione della Quinta Repubblica », Federalismo e Società, n° 2/1996, p. 23-44. « Nazionalismi e crisa della società corsa », Federalismo e Società, n° 4/1996, p. 123-151. « Une troisième alternance parlementaire à front renversé », Federalismo e Società, n° 4/1997, p. 144-150. « La coopération inter-insulaire en Méditerranée », Études Internationales, volume 30, n° 4, 1999, p. 745-763. « Indivisibilité de la République versus langues régionales », Pouvoirs, n° 93, avril 2000, p. 209-223. « Autonomies des régions ? », La Pensée de Midi, n° 21, 2007, p. 25-48. II– Ouvrages, chapitres d’ouvrages, coordination d’ouvrages collectifs In Jurisclasseur Collectivités Locales, Éditions techniques, avec Louis Orsini et Jean-Paul Pastorel : – « Région de Corse » (1989) ; – « Corse – statut de Collectivité territoriale » (1992) ; – Actualisation (1994). « Le concept de coofcialité », in Coofcialité-Cuufcialità, Conseil de la Culture de l’Éducation et du Cadre de Vie, Ajaccio, Imprimerie nouvelle, 1990. « Des Réformes ! Quelles réformes institutionnelles pour la Corse ? », coordination des actes du colloque des 20 et 21 septembre 1990 d’Ajaccio, Revue de Science Administrative de la Méditerranée Occidentale, nos 29-30, 1990. « Statut de la Corse : vers un droit commun des îles communautaires », avec Jean-Paul Pastorel, in Suds et îles méditerranéennes. Terres d’initiatives ou terres d’assistance ?, Ajaccio, Éditions Universitaires de Corse, 1992. « La Corse contestataire, l’État, et l’Europe », in RÉNO F. (dir.), Identité et politique de la Caraïbe et de l’Europe multiculturelles, Paris, Economica, 1995.

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« The Status of Maritime and Insular France : The Dom-Tom and Corsica », avec Helen Hintjens et John Loughlin, in LOUGHLIN J. and MAZEY S. (dir.), The End of the French Unitary State ? Ten Years of Regionalization in France (1982-1992), Londres, Frank Cass, 1995. « Nationalismes », in GOEBL Hans et al., Linguistique de contact : manuel international des recherches contemporaines, tome 1, Walter de Gruyter, Berlin/ New York, 1997. Coordination et introduction aux actes du colloque « Évaluation des politiques territoriales partenariales », 29 et 30 avril 1996, sous les patronages du Commissariat général au Plan, du Conseil scientique de l’évaluation, de la DATAR et de l’Université de Corse, Revue de Science Administrative de la Méditerranée Occidentale, numéro spécial, avril 1997. « Du développement structurel à l’espace euro-méditerranéen : les îles et la construction européenne », in BALME R. (dir.), Les politiques du néo-régionalisme, Paris, Economica, 1997, p. 207-235. Coordination du dossier, « Francia : l’alternanza provocata deI 1997 », Federalismo e Società, n° 4/1997. « The failure of regionalist party formation in Corsica », in Lieven de WINTER and Huri TÜRSAN (dir.), Regionalist Parties in Western Europe, Londres, Routledge, 1998, p. 174-189. In Jean-Marie ARRIGHI et Marie-Jean VINCIGUERRA (dir.), Le mémorial des Corses, volume 7, Ajaccio, AIbiana, 1999 : – « Les évolutions électorales à partir des régionales », p. 27-32. – « Une décennie d’évolutions statutaires », p. 148-160. – « La Corse, île européenne », p. 160-175. LOUGHLIN J. et OLIVESI C. (dir.), Autonomies insulaires : vers une politique de différence pour la Corse, Ajaccio, Albiana, 1999. « De la déclaration de politique générale vers une politique gouvernementale pour la Corse », in LOUGHLIN J. et OLIVESI C. (dir.), Autonomies insulaires : vers une politique de différence pour la Corse, Ajaccio, Albiana, 1999, p. 169-185. « Corsica and European integration », in HUDSON R. et RENO F. (dir.), Politics of Identity, Migrants and Minorities in Multicultural States, Macmillan, St Martin press, 2000, p. 137-161. Entretien in BERNABÉU-CASANOVA E. et LANZALAVI D. (dir.), Corse. Les voies de l’Avenir, Paris, L’Harmattan, juin 2003, p. 133-147. III– Autres contributions et publications « Le système politique corse : le clan », Cuntrasti, n° 3, 1983, p. 13-24. « Espaces insulaires et marché intérieur », Kyrn, n° 237, janvier 1989, p. 28-35.


BIOGRAPHIE ET ŒUVRE DE CLAUDE OLIVESI

« Un environnement géographique ignoré », Kyrn, n° 295, décembre 1989, p. 30-33 (publication de la communication faite au séminaire de l’ISPROM (Université de Sassari) du 2 décembre 1989 sur la coopération méditerranéenne). « La réforme régionale en Corse », séminaire organisé par le laboratoire Chryseis-CNRS, avril 1991. Articles parus dans le mensuel Agora : – « Solstice d’hiver », décembre 1992, p. 38-39. – « Le retour des tribus », janvier 1993, p. 38-40. – « Le Comité des régions et la Corse », novembre 1993, p. 8. – « L’An 1 de l’Union européenne », janvier 1994, p. 35-37. – « 7 300 nouveaux citoyens en Corse », mars 1994, p. 46-47. – « Cantonales : conrmations et perspectives », avril 1994, p. 12-13. – « Parlement européen : la seule assemblée internationale élue au suffrage universel », avril 1994, p. 34-36. – « Parlement européen : ces incroyables radicaux », août-septembre 1994, p. 11. « Propositions pour la création d’une maison des services publics dans le Cap Corse », étude réalisée au premier trimestre 1997, lettre de mission du Préfet de la Haute-Corse, dactylographié 21 pages. « Les seize Capitoli de la Constitution d’Alesani du 15 avril 1736 », ADECEC, 1997, 35 p. « La Collectivité territoriale de Corse », contribution scientique, éditée par le Centre Régional de Documentation Pédagogique de Corse, juillet 1997. Articles parus dans le mensuel Corsica : – « Florilège autour d’un statut », octobre 1999, p. 60-61. – « Indivisibilité et langues régionales », novembre 1999, p. 62. – « Pays à souveraineté partagée composante d’une République indivisible », décembre 1999, p. 68. – « L’autonomie pour 255 millions d’Européens », mars 2000, p. 6-8. « Note technique sur l’article 158 du Traité d’Amsterdam et sa déclaration n° 30 », in Une Ambition européenne pour la Corse, rapport de synthèse des contributions et des débats au sein de la commission des affaires européennes de l’Assemblée de Corse, juillet 2000, p. 149-153. « Un pacte de progrès pour la Corse », Le Bulletin de l’Institut de la Décentralisation, dossier d’actualité « Corse : l’autonomie régionale encadrée », n° 83, décembre 2000, p. 6-8. « Quel type de consultation impliquerait aussi bien les Corses de l’île que les Corses de l’extérieur ? », colloque sur l’avenir institutionnel de la Corse organisé par le Sénat, septembre 2001. « Quels statuts pour les DOM : l’exemple de la Corse », colloque organisé par le Centre d’analyse géopolitique international, Université des Antilles-Guyane, Goyave, octobre 2001.

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Participation avec des universitaires (Nice, Toulon, Aix-Marseille) au dossier présenté par le quotidien Nice-Matin sur le projet de Traité constitutionnel européen : présentation et commentaire de l’article 1-46, 7 mai 2005. Principales activités politiques Conseiller général du canton de Campoloro-di-Moriani (1998-2007) Maire de la commune de San Nicolao (2001-2007) Président de la communauté de communes de Costa Verde (2001-2007)


Hommage du président Giacobbi à Claude Olivesi

En toutes circonstances, Claude Olivesi avait sa façon d’être, qui mêlait fermeté et circonspection. Ces deux vertus se rencontrent rarement dans un seul être, mais lui, non content de les réunir, les portait l’une et l’autre à leur comble. Son étonnante présence intellectuelle et son indépendance d’esprit apparaissaient dans la conversation la plus ordinaire. Et s’il a laissé au public quelques articles bien sentis, c’est plutôt à l’occasion de quelques rencontres fortuites que ceux qui l’ont connu ont pu apprécier la profondeur de son propos et cette science qui lui permettait d’imposer sa langue particulière et son univers de références. Car Claude ne s’est guère soucié de publier tout ce qu’il savait, ni même de l’écrire. Son art était sa parole. Nul doute toutefois que s’il eût vécu plus longtemps, il aurait pu, au-delà des notes qu’ont pu prendre ses étudiants sur ses cours, faire connaître un peu plus ces sujets qu’il affectionnait. La pensée des Lumières était un de ses sujets de prédilection. Non seulement comme inversion de l’ordre du monde ou pour reprendre la belle formule de François Furet comme « réappropriation par l’homme de ce qu’il avait remis si longtemps aux mains de Dieu », mais la pensée des Lumières dans son rapport à la Révolution. Claude les voyait comme deux étapes d’un même procès historique qui s’ouvrant avec la révolution anglaise, aurait couvert tout le XVIIIe siècle et ne se serait achevé qu’avec le « printemps des peuples » de 1848. Un moyen commode de sortir de la construction facile Lumières/Révolution française en englobant les Révolutions anglaise, corse et américaine et en restituant à ses différents événements leur vraie grandeur. Claude n’a d’ailleurs jamais caché l’intérêt qu’il portait aux Révolutions de son île. J’en ai fait moi-même l’expérience, au cours d’une réunion publique où il s’était attaché à étudier les institutions dont l’île s’était dotée en 1736, et j’en garde un très vif souvenir. Mais c’est sans doute sur la question de la Constitution paoliste que Claude avait donné toute sa mesure. Confronté à ceux qui, héritiers de la présentation traditionnelle des constitutions en France, refusaient de voir dans le texte de 1755 autre chose qu’un texte « institutionnel » inabouti ou qui en raillaient les faiblesses, il avait fait valoir ce que ces grilles de lecture pouvaient avoir de réducteur. Tout le XVIIIe siècle européen et américain a communié dans l’idée que la meilleure constitution possible était la Constitution anglaise et l’on sait que celle-ci n’aurait pu, elle non plus, être jugée une « constitution » au sens traditionnel du terme.


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Et puis l’essentiel n’était-il pas dans le préambule ? Une situation traditionnelle : il suft d’observer la première publication de la Constitution américaine, où le préambule est publié dans un corps plus important que le reste du texte. Or, comme dans ce célèbre préambule (We, the people of the United States… do ordain and establish this constitution for the United States of America), tous les mots de la Constitution corse de 1755 sont importants. La « Diète générale représentant le peuple de Corse » : Diète, le mot choisi pour remplacer l’assemblée traditionnelle des Corses, la Cunsulta. L’assemblée aura donc désormais des sessions régulières, à des dates prévues. Elle se réunira au moins une fois l’an et sera par là même institutionnalisée. « Le peuple corse légitimement maître de lui-même » écrit Paoli. François Quastana, dans son intervention au colloque de Genève, rappelle ce que doit ce propos à un des légistes les plus autorisés, Bartole de Sassoferato. En rapprochant cette formule de la correspondance Paoli/Salvini de juillet 1761 force est de constater que Paoli fonde les rapports entre Corses et Génois sur l’idée d’un contrat primitif. Et dans ce gouvernement ainsi « conventionné » les Corses conservent et exercent « la majeure partie du pouvoir législatif » tandis que le pouvoir « exécutif » reste coné aux Génois. Ce sont les Nobles XII et les Nobles VI, institutions représentatives du Corps entier de la nation, qui détiennent toutes les marques de souveraineté et notamment le pouvoir « législatif » dont découlent les autres. Par là Paoli et Salvini s’inscrivent dans la lignée de l’historien Marc’Antonio Ceccaldi, pour qui les Corses devaient cogérer l’île avec les Génois. C’est parce qu’ils ont rompu ce pacte premier, cette « convention qui est un contrat onéreux qui oblige réciproquement les parties », que ces derniers ont perdu tout droit de souveraineté et de propriété sur l’île. C’est parce qu’ils n’ont pas su faire valoir les droits de la nation corse que les Nobles XII ont cessé d’être les légitimes représentants des Corses et que ceux-ci ont évoqué dès le début des Révolutions ce droit à une vraie représentation, dans la lignée de liberté politique chère aux Américains. « Ayant reconquis sa liberté ». Reconquis et non conquis. La liberté dans l’esprit de Paoli est donc naturelle, comme l’avait noté Dorothy Carrington en son temps. Un manifeste de 1761 parlera même de cette « liberté naturelle avec laquelle on naît ». La liberté dont il est question ici n’est toutefois pas la liberté individuelle mais la liberté de la communauté tout entière, la liberté de la nation, ce que les républicains anglais appellent la common liberty caractéristique d’un État libre, et les textes des patriotes corses la comune libertà. Une liberté commune qui consiste dans le refus d’être soumis à la domination d’une puissance étrangère. C’est à cet idéal classique de la liberté républicaine, défendu par Cicéron en son temps, qui fait regarder la liberté comme le bien premier et implique que les citoyens soient prêts à se sacrier pour elle, qu’adhère Paoli ici. Il est d’ailleurs intéressant de noter que l’on trouve dans la Giusticazione de l’abbé Salvini un passage emprunté à Cicéron sur le sujet et que le manifeste des chefs corses, Don Luigi Giafferi et Hyacinthe Paoli, le propre père de Pascal Paoli, envoyé aux


HOMMAGE DU PRÉSIDENT GIACOBBI À CLAUDE OLIVESI

puissances européennes s’achève par la devise des Maccabées : Melius est mori in bello quam videre male gentis nostrae. Une idée que Paoli reprendra lui-même dans son discours à la Valorosa gioventù en 1768 lorsqu’il exhortera la jeunesse corse au combat pour « la défense et les prérogatives d’un peuple libre ». « Voulant donner à son gouvernement une forme durable et permanente, en la transformant en une constitution » : le terme de constitution implique l’organisation permanente d’un État et non plus un gouvernement provisoire dans l’attente d’un accord avec Gênes ou un autre État. Paoli, persuadé qu’un État se fait « en marchant », n’a pas voulu s’attacher à un texte qu’il a conçu de manière provisoire. Il a d’ailleurs pensé faire une nouvelle constitution en 1764 et en a discuté avec l’Anglais John Symonds. Il faut donc renoncer à appréhender les institutions paoliennes de manière statique. « Propre à assurer la félicité de la nation ». La felicità, le bonheur : le but afché du gouvernement corse. Une idée neuve en Europe, dira quarante ans plus tard Saint-Just. Et puis des pouvoirs exécutif et législatif relativement séparés. Les décisions de la Diète ne dépendent pas de l’exécutif. Le Général n’y siège pas, mais préside le Conseil d’État qu’elle élit. La séparation des pouvoirs ne va pas plus loin. Le pouvoir judiciaire n’est pas distinct des deux autres. Mais, rappelons qu’à cette époque – si l’on excepte Locke – par « séparation des pouvoirs » on n’entend nullement une séparation absolue caractérisée par la spécialisation et l’indépendance des fonctions comme elle sera théorisée au siècle suivant. Il s’agit simplement de la non-réunion entre les mêmes mains de la totalité des pouvoirs pour éviter une dérive despotique. Par contre on retrouve dans la constitution paolienne l’idéal polybien de la constitution mixte, mêlant les trois formes, monarchique, aristocratique et populaire, de gouvernement, mais fondé sur la souveraineté populaire. Dans le système établi en 1755, la souveraineté appartient à l’ensemble de la nation, réunie au sein de la Diète. Au fond, Paoli grand lecteur de Machiavel s’inscrit dans la grande tradition européenne du républicanisme. Son langage politique reprend les mots d’ordre de ce courant de pensée : liberté comme non-domination, éloge de la vertu civique, haine du despotisme, critique du luxe et de l’appétit des richesses, rejet des armées permanentes et de la corruption des mœurs. Son mode opératoire est lui aussi emprunté au triptyque cher au Florentin virtù/fortuna/occasione. La correspondance de Pascal Paoli avec son père, à la veille de son retour dans l’île est pleine de références à cette construction. Pour accéder au pouvoir ou fonder un État il faut à l’ambitieux la fortuna. Mais celle-ci est trop capricieuse pour qu’il s’en tienne à elle. Il lui faut la virtù, cet ensemble de qualités : fermeté, prudence, courage, audace, habileté, qui lui attirera les faveurs de la fortuna. Il faut enn l’occasione, savoir comprendre le bon moment où l’homme public doit se révéler et avancer : selon Machiavel, c’est cette rencontre fusionnelle entre la virtù et l’occasione qui permet l’accomplissement des grandes choses.

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Mais l’emprunt à l’idéal républicain ne s’arrête pas là. Le système paolien repose dans ses principes et sa fondation mêmes sur l’idée républicaine d’égalité politique. Paoli écrira : « Le peuple, c’est la nation tout entière. Il faut que chaque Corse ait une mesure de droits politiques : s’il n’est pas librement représenté, quel intérêt veut-on qu’il prenne à la défense de la patrie ? L’égalité ne doit pas être un vain mot ». La liberté et l’égalité, synthèse de la pensée paoliste. Claude a apprécié voir la formule paoliste « L’égalité ne doit pas être un vain mot » que nous avons mise en exergue de toutes nos commémorations. À Genève comme à Bastia en 2007, où ont eu lieu deux importants colloques sur l’œuvre de Pascal Paoli, à l’occasion du bicentenaire de la mort du Général, cet aspect du paolisme a constamment été rappelé. Et la pensée de Claude a constamment été présente. Il avait désiré ce bicentenaire, il aurait apprécié voir l’intérêt manifesté tant par la Corse que par la communauté scientique européenne. Paul Giacobbi Député Président du Conseil exécutif de Corse


Hommage de Bruno Étienne (†) Professeur Émérite des Universités

La maladie m’a tenu éloigné d’une réflexion académique sur l’œuvre de Claude OIivesi et sur son apport politique et universitaire. Je sais que d’autres le feront mieux que moi ; alors qu’il me soit permis de parler de notre relation, de notre amitié, et de notre considération réciproque. J’ai rencontré Claude lorsqu’à mon retour d’Afrique du Nord, en 1980, j’ai dirigé le DEA Sciences Politiques, orienté vers la Méditerranée, puis le centre d’étude des sociétés méditerranéennes. Derrière sa réserve, le personnage ne manquait pas d’humour, et j’ai pressenti un chercheur sérieux sur qui on pouvait investir. À l’époque, les étudiants corses étaient nombreux à Aix, et dans ce groupe guraient aussi Louis Fedi, Jocelyne Cesari, Patricia Renucci, etc., qui tous espéraient de leurs études une contribution à l’avenir de la Corse. Claude, lui, s’intéressait à l’administration, et moi à la politique et l’anthropologie. Comment trouver un terrain d’entente ? Les discussions furent âpres, et je réussis enn à lui imposer son premier travail : la comparaison entre la société corse et la société kabyle. Nous étions en plein débat avec Jean-William Lapierre, Pierre Clastres, sur la « décolonisation » de nos disciplines. Nous avons produit une typologie presque archétypale : deux îles (de fait la Kabylie est un isolat, sinon une île au sens propre). Famille élargie, logique de l’honneur, clan, endogamie, clientélisme, népotisme, émigration et retour au village, agriculture de montagne et villages de crêtes. Déjà Claude se posait la question et elle n’est toujours pas épuisée, même dans le cadre européen : comment cet ensemble pouvait-il produire une « politique » au double sens de politique publique et de constitution d’une société politique ? Ce fut la cause principale de son engagement futur : études, militance, puis action sur le terrain. À travers les colloques, soutenances de thèses, conférences, les débats se poursuivaient au long des années en même temps que nos liens devenaient de plus en plus affectueux et conants. Je me souviens en particulier du moment où il décida de franchir le Rubicon : entrer en politique et appliquer à des projets concrets les théories qui lui tenaient à cœur. Or Max Weber nous met en garde, dans Le Savant et le Politique, contre la fusion de ces deux métiers qui ne sont pas dans le même champ. Claude en t, parfois, l’amère expérience. Malgré mes réserves et les difcultés qu’il rencontrait, bien plus, il continua en cumulant mairie, conseil général, et chaque fois que nous allions à San Nicolao il m’emmenait voir ses réalisations.


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Malgré la lourdeur de ses charges, il trouvait encore le temps de me manifester une attention affectueuse, dans des soutiens gratuits. Ainsi, lorsque mon École organisait des stages de karaté à Borgo, non seulement il nous recevait à la préfecture pour honorer nos vieux maîtres japonais, mais encore il me prêtait son appartement pour héberger une équipe. C’est peut-être à cette occasion qu’il découvrit le Japon avec enthousiasme. Par-delà son itinéraire à travers les îles méditerranéennes, il élargissait son champ d’études vers un autre type d’archipel. Le dernier travail que nous avions fourni ensemble avait fait l’objet d’un numéro spécial de La Pensée de Midi sur l’Europe et les régions. L’article de Claude était le plus élaboré de toutes les contributions, faisant le tour de tous les statuts possibles, souhaitables, et existants, des régions autonomes dans la nouvelle Europe. C’était le 8 juin quand je reçus le premier numéro imprimé, et ce matin à 8 heures, Marithé me téléphonait pour m’annoncer son décès. Il avait lui aussi reçu la revue, mais j’ignore s’il en fut content, tant son exigence intellectuelle était grande. Je n’ai pas pu me rendre à ses obsèques, puisque ce jour-là j’étais hospitalisé. Je sais combien il a été honoré, aussi bien par les personnalités comme le Président Giacobbi que par ses collègues et amis. L’été dernier, j’ai pu aller me recueillir sur sa tombe, construite par son ls. Dans la beauté et la sérénité de ce paysage, j’ai pensé qu’il devait être en paix, d’avoir fait son devoir. Par-delà les banalités d’usage, dont nous avons tous besoin, je me dis qu’il devrait être un modèle pour beaucoup de Corses, y compris et surtout les hommes politiques. Il a essayé de synthétiser, en les vivant douloureusement, ses propres exigences : d’abord investies à l’Université Pascal Paoli, mises en pratique dans son village, et enn dans sa région. Il pensait qu’il « faut s’en tenir au difcile » comme le disait R. M. Rilke, et parfois y laisser sa peau. Aix-en-Provence, le 4 février 2008


Les droits successoraux ab intestat de la femme dans l’ancien droit corse et le droit musulman Florence Jean

Dans sa thèse restée inédite, Claude Olivesi avait traité « le système politique corse dans sa nature méditerranéenne »1. Bien que son objet ait été d’étudier dans une approche comparatiste le système politique corse, il lui avait paru nécessaire de consacrer des développements aux structures familiales dans le Maghreb, en Italie et en Corse, et spécialement, « la lle, la femme dans la conguration familiale » en Algérie et au Maroc, et « la position de la femme corse ». Sa problématique ne lui imposait pas de s’attarder sur des aspects strictement juridiques du statut des femmes méditerranéennes, qui n’était abordé que de façon incidente comme une composante du paradigme segmentaire méditerranéen. Il m’a semblé intéressant, dans le prolongement de ce travail vieux de 30 ans, de saisir l’occasion d’un livre en hommage à son auteur, pour mettre en parallèle l’ancien droit corse et le droit musulman. Henri Rossi dans sa thèse sur les successions testamentaires dans l’ancien droit corse avait souligné d’intéressants points de comparaison entre les règles régissant la dévolution testamentaire en Corse et en pays musulman2. Cependant, les pratiques testamentaires, bien que régies dans les différents systèmes juridiques par des règles générales, laissent toujours au testateur une certaine liberté et peuvent donc au moins partiellement reéter des attitudes individuelles. En revanche, le droit successoral ab intestat dont la raison d’être est de proposer des règles générales en l’absence de dispositions particulières exprimées par le de cujus traduit en la matière la position de toute une société. Il permet donc, plus encore que les autres branches du droit des personnes et de la famille, d’appréhender l’attitude de cette société à l’égard des différentes catégories de 1. Thèse de doctorat de troisième cycle en science politique, Université d’Aisc-Marseille III, 1982. 2. Thèse droit, Aix-en-Provence, éd. La pensée universitaire, 1960, spécialement p. 98-106-170.


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ses membres. Par conséquent, il est tout à fait pertinent de l’utiliser comme critère d’évaluation du statut de la femme puisqu’il indique clairement, sinon la position hiérarchique dévolue au sein du groupe familial à la mère, la lle, la sœur et l’épouse, du moins la part qui leur est accordée dans la dévolution du patrimoine et, au-delà, leur place dans la famille. L’ancien droit corse, droit romaniste issu des compilations justiniennes et d’inuences diverses, notamment lombardes, recouvrant un substrat plus ancien difcilement identiable3, est très différent du droit musulman quant à ses sources et ses techniques4. Il s’en rapproche quant aux mentalités. Tous deux gèrent des sociétés méditerranéennes et c’est d’ailleurs ce lien qui intéressait Claude Olivesi. Il existe d’autres rapprochements en ce qui concerne la femme dans les Statuti corses5 et dans la chari’a. En effet, le Coran et l’ensemble de la chari’a ont réformé les coutumes de la société archaïsante des Bédouins d’Arabie en y insérant des éléments empruntés au droit de la cité commerçante de Médine. De même, les statuts civils de la Corse, élaborés à partir d’un fonds de droit traditionnel et en concertation avec les orateurs des Nobles Douze, portant la parole au nom des Corses6, mais rédigés par des jurisconsultes génois7, apportaient à une société rurale et patriarcale des institutions inuencées par celle d’une république urbaine dont le négoce et les activités bancaires rayonnaient sur le monde méditerranéen. Malheureusement, en matière de statut de la femme, les Statuti de 1571, qui sont 3. Sur l’ancien droit corse, cf. FONTANA J., Essai sur le droit privé corse, thèse droit, Paris, imprimerie Henri Jouve, 1905 ; Coup d’œil sur l’ancienne législation de la Corse (traduction anonyme de la préface des Statuti civili e criminali di Corsica de G.-C. Gregori par Garnier de Bourgneuf), Paris, 1844 (extrait de la Revue étrangère et française de législation, de jurisprudence et d’économie politique publiée à Paris par Foelix), Duvergier et Valette, X, 1843 (éditée par Joubert, libraire de la Cour de Cassation) ; GLADIEUX-MURADOR L., Le droit corse d’après deux formulaires, un corse et un ligure (XVIIe-XVIIIe), thèse droit, Nice, 1995 ; GUITERA P., Essai sur les statuts civils et criminels de l’île de Corse (1571), thèse droit, Paris, 1963 ; LECA A., L’esprit du droit corse d’après le plus ancien code insulaire : les statuts de San Colombano de 1348, La Marge, Ajaccio, 1989. 4. Sur le droit musulman des successions, cf. BLANC F.-P., Le droit musulman, Paris, Dalloz, 1995 ; MILLIOT L., BLANC F.-P., Introduction à l’étude du droit musulman, Paris, Sirey, 2001 ; DURAND B., Droit musulman, droit successoral, Paris, Litec, 1991, 417 pages ; NAJJAR I., Droit patrimonial de la famille, droit matrimonial-successions, Beyrouth, 2003, et SCHACHT J., Introduction au droit musulman, Paris, Maisonneuve et Larose, 1999. 5. Nous utiliserons dans cette étude les statuti civili di Corsica de 1571, dont la publication de référence est celle de G.-C. Gregorj publiés à Lyon en 1843 en langue italienne. Par commodité, nous nous servirons de la traduction française par E.-.L.-P. SERVAL à Bastia en 1769, rééditée dans Les statuts civils et criminels de la Corse, présentés par J.-Y. Coppolani et A.-L. Serpentini, Ajaccio, Albiana, 1998. Accessoirement, nous évoquerons des dispositions des « Statuts civils de Nonza, Brando et Canari » publiés par l’abbé Letteron dans le Bulletin de la Société des Sciences Historiques et Naturelles de la Corse, fascicule 48, 1884, et ceux de San Colombano publiés avec une traduction et commentaires par A. Leca, L’esprit du droit corse…, op. cit. 6. Frate Antonio da San Firenzo pour l’En-Deçà et Giovanni Antonio Della Serra pour l’Au-Delà. 7. Les docteurs en droit Giovanni Battista Fiesco, Domenico Doria, et Francesco Fornari, remplacé après son décès par Cristoforo Fornari.


LES DROITS SUCCESSORAUX AB INTESTAT DE LA FEMME

contemporains de la seconde renaissance du droit romain et de la rénovation des coutumes, manifestent cette tendance anti-féministe qui est sensible dans l’évolution du droit de l’Europe occidentale à l’époque moderne. Finalement, le statut de la femme corse n’en ressortira guère amélioré, voire même amoindri. C’est en tous cas l’hypothèse que l’on pourrait avancer en comparant le droit successoral du chapitre XLIII des Statuts civils de la Corse de 1571 avec le chapitre LXXVII des Statuts de San Colombano ajouté en 1498, mais qui très probablement ne fait qu’expliciter une coutume antérieure8. Ce texte appelle à égalité le ls et la lle à la succession du père. Bien que conforme à la novelle 118 du Code Justinien, comme le fait remarquer Antoine Leca9, cette « absence de privilège de masculinité et de primogéniture peut paraître étonnante dans le contexte insulaire ». En fait, ce principe d’égalité n’a probablement pas eu de portée pratique en raison de la règle habituelle en Italie et dans le midi méditerranéen, de l’exclusion des lles dotées. D’ailleurs, les statuts de la Seigneurie voisine de Nonza, Brando et Canari, dans leur chapitre XXII, peut-être antérieur au chapitre LXXVII des Statuts de San Colombano10, édictent au contraire que la lle ne peut venir à la succession d’un homme décédé intestat qu’en l’absence d’héritier mâle11. On ne peut donc pas afrmer qu’avant les Statuti civili de 1571, l’égalité successorale des hommes et des femmes faisait partie de la tradition juridique corse. Cependant, il est évident que les rédacteurs des Statuti civili ont conrmé et développé le principe de privilège de masculinité en matière successorale. En revanche, le droit musulman, aujourd’hui si souvent considéré comme particulièrement hostile à la femme, tout en consacrant lui aussi la supériorité de l’homme sur la femme, manifestait une avancée indéniable par rapport aux institutions de la société antéislamique. En matière de successions en particulier, il est sans aucun doute plus favorable à la femme que le droit corse. Cela peut être facilement mis en évidence en comparant le sort qui est fait par chacun de ces systèmes juridiques aux parentes et aux épouses du de cujus dans une succession ab intestat. 8. « Item statuirno et ordinario che quello que este dello padre sia dello gliolo maschio overo femina legitimo overo bastardo salvo se lo padre facesse testamento ». (« De même statuent et ordonnent que ce qui est au père soit au ls ou à la lle légitime ou au bâtard, sauf si le père a fait un testament »), A. LECA, L’esprit du droit corse…, op. cit., p. 143. 9. L’esprit du droit corse…, op. cit., p. 97. 10. Dans son introduction aux « Statuts civils et criminels de Nonza, Brando et Canari », op. cit., p. 30, l’abbé Letteron signale qu’à la n du chapitre XXIV, il est dit que ses dispositions auront effet à partir d’août 1399, « mais l’indication est insufsante pour que l’on puisse se croire autorisé à rapporter exactement à la même date, la rédaction des divers chapitres qui précèdent (…) le vingt-quatrième ». 11. « Statuimo et ordiniamo che manchando l’hommo senza testamento che ello facessi, et havendo rede maschio legittimo li suoi beni siano di detto herede maschio, e sempre che non restassi di maschi debbiano reditare le gliole femine li beni dei suoi padri aut madre non trovandosi redde maschio commo detto havemmo di sopra ».

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LES DROITS HÉRÉDITAIRES DES PARENTES

Pour la clarté de la démonstration, il convient d’examiner successivement les droits des parentes en ligne directe, descendantes et ascendantes, lles, petiteslles, mères et aïeules, puis ceux des collatérales, sœurs, tantes et cousines, en mettant en parallèle droits corse et musulman. LE DROIT DES FILLES ET PETITES-FILLES

Dans l’ancien droit corse, comme il est dit plus haut, le principe de base est l’exclusion des lles dotées de la succession de leurs parents. Celles qui ne sont pas dotées ne bénécient pas pour autant de l’égalité successorale que l’on ne trouve que dans les Statuts de San Colombano. Finalement, les lles n’ont de véritables droits successoraux qu’en l’absence d’héritier mâle. Le chapitre XLIII des Statuts civils de la Corse proclame clairement que les lles, qu’elles soient dotées ou non, ne succèderont qu’en l’absence d’enfant mâle et de descendant en ligne masculine12. L’exception au droit romain qui est ainsi formulée par les Statuts civils de la Corse, n’est qu’un des éléments d’un principe général du droit corse plus défavorable aux femmes que le droit successoral des compilations justiniennes. En effet, à la différence du droit romain, pour qui les lles font partie des « heredes sui » c’est-à-dire des héritiers du défunt, en droit corse, en présence d’héritiers mâles, elles n’en sont plus. Quant aux petites-lles, qu’elles soient issues d’un ls ou d’une lle du défunt, elles viennent en concours avec leurs oncles, frères du défunt, et les ls de ces derniers, leurs cousins. Le partage se fait par souche. Les petites-lles issues d’un ls du défunt jouissent d’un léger avantage : elles recevront en « avant-part » (c’est-à-dire hors-part) sur l’héritage de leur aïeul, une dot xée par le magistrat en fonction de l’actif successoral et du nombre de lles à doter. En droit musulman, les lles et petites-lles gurent parmi les bénéciaires de la réforme coranique du droit successoral. Elles sont héritières quotistes (« à fardh ») c’est-à-dire réservataires. La distinction des lles dotées ou non 12. « À ceux qui mourront sans faire de testament, soit mâles ou femelles, succèderont seulement leurs enfans mâles et descendans en ligne masculine de légitime mariage, et s’il se trouve des lles du défunt, ou des lles qui descendent d’enfans mâles du défunt en légitime mariage, ou autres qui descendissent des lles du défunt, soit mâle ou femelle, ces lles, ou leurs descendans seront exclus de la succession et toute l’hérédité et les biens d’icelle appartiendront auxdits enfans mâles et descendans, en ligne masculine ; mais les lles, petites-lles, ou les mâles descendans d’elles, auront seulement ce qui est mentionné au Chapitre de Femme mariée. Si le défunt ne trouve point avoir d’enfans mâles, ni de descendans en ligne masculine, alors les lles succéderont, soit qu’elles ayent été dotées, ou non (…) » (traduction d’Étienne Louis Pons-Serval, Statuti civili e criminali di Corsica colla traduzione francese a cura di Serval, Bastia, Batini, 1769 et Statuts civils de l’Isle de Corse, traduction faite sur un exemplaire italien, imprimé à Bastia en 1694 par M. Serval, Toulon, 1769, réédités dans Les statuts civils et criminels de la Corse, présentés par J.-Y. COPPOLANI et A.-L. SERPENTINI, Ajaccio, Albiana, 1998, p. 42).


LES DROITS SUCCESSORAUX AB INTESTAT DE LA FEMME

n’a pas lieu d’être puisque la dot du droit musulman est une « dos ex marito » qui n’est pas constituée par les parents de la femme mais qui est due par le mari. Les termes arabes « mahr » ou « sadaq » sont traduits aussi bien par « douaire » que par « dot ». Selon le onzième verset de la quatrième sourate du Coran intitulée Les Femmes, la réserve héréditaire de la lle unique du défunt est égale à la moitié de la succession. En l’absence de ls, lorsque le défunt a plusieurs lles, elles se partagent entre elles à égalité les deux tiers de la succession. De plus, en l’absence d’héritier agnatique (« ‘asab »), par un dispositif appelé « radd » (retour), l’intégralité de la succession va aux héritiers « à fardh » qui bénécient donc d’une deuxième part au prorata de celle qu’ils avaient en qualité d’héritiers quotistes. Cette règle du prorata qui n’est pas issue du Coran mais d’un hadith (dires et gestes du Prophète) est particulièrement favorable aux lles du défunt. Les petites-lles issues d’un ls du défunt ont les mêmes droits que les lles. C’est l’application d’un des principes du droit successoral musulman : la préférence de la ligne paternelle sur la ligne maternelle. Ce n’est pas le seul principe défavorable aux femmes. Dans ce même verset 11 de la quatrième sourate qui détermine la part des lles, Dieu « ordonne d’attribuer au garçon une part égale à celle de deux lles ». Cela s’applique à toutes les héritières face aux héritiers de catégorie identique et nous retrouverons par conséquent cette règle dans les autres rubriques, sans qu’elle aboutisse d’ailleurs à créer pour les héritières une situation plus défavorable que dans l’ancien droit corse. LE DROIT DES MÈRES ET AÏEULES

Les droits successoraux de la mère traités dans les derniers paragraphes du chapitre XLIII des Statuts de la Corse de 1571 sont étonnamment réduits, ce qui a priori peut surprendre dans le droit d’une société méditerranéenne qui reconnaît à la femme un rôle important en tant que mère. Si le défunt a encore sa mère, « à elle sera due la légitime »13. La mère, faisant partie de la deuxième classe des héritiers selon la novelle 118 du Code Justinien, ne vient en principe à la succession qu’en l’absence de descendants. Le chapitre XLIII des Statuti civili exclut la mère de la succession de son ls, de même que tous les autres ascendants du côté maternel, en présence du père, de l’aïeul ou du bisaïeul. Ainsi, dans l’ancien droit corse, la mère n’héritait de son ls qu’en l’absence d’enfant, du père, du grand-père et de l’arrière-grand-père. Elle se trouvait en concours à égalité avec les frères et 13. La « légitime » est une institution du droit romain des successions, maintenue dans les pays de droit écrit, qui a pour objectif la protection des droits des héritiers sur l’ensemble des biens du de cujus contre les dons et legs que pourrait avoir fait le défunt. Elle est égale à la moitié de la part successorale qui lui reviendrait en application des règles de succession ab intestat dénies par le droit de Justinien, quel que soit le nombre des légitimaires acceptant la succession. Cette part est calculée sur les biens existants au moment du décès en y ajoutant les donations faites par le de cujus et en déduisant les dettes et frais funéraires.

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sœurs et à défaut, d’autres collatéraux d’un degré plus éloigné. Dans ce cas, elle n’avait droit qu’à la moitié d’une part de la succession calculée en partageant celle-ci par tête entre tous les héritiers acceptants. Par exemple, au décès de son ls, dans le cas où en l’absence d’enfant, du père ou d’aïeul ou bisaïeul, la mère se trouverait en concours avec quatre frères du défunt, situation courante à une époque de familles nombreuses, elle n’avait droit qu’au dixième de la succession… Et encore, pour avoir droit à sa légitime, la mère ne devait pas se remarier avant la mort du ls, sous peine d’être exclue de la succession. Et dans le cas où elle se remarierait après la mort du ls, elle ne conservait que l’usufruit de sa maigre part et à sa mort, celle-ci devait échoir au plus proche parent jusqu’au quatrième degré canonique (petit-ls de cousin germain du défunt), et ce n’est qu’en l’absence de parent aux quatre premiers degrés du droit canonique que la mère pouvait disposer de sa légitime entre vifs ou par testament. En l’absence de testament de la mère, les biens composant sa légitime en sa possession au moment de son décès, devaient revenir au plus proche parent du ls défunt. En cas de prédécès de la mère, l’aïeule maternelle avait les mêmes droits que celle-ci. Le droit musulman est beaucoup plus généreux à l’égard de la mère. En effet, lorsqu’elle n’est pas en concours avec un descendant ou une descendante ou avec au moins deux frères ou sœurs du défunt, le « fardh » de la mère est du tiers de la succession. Dans le cas contraire, sa quotité est réduite de moitié. Ainsi, la mère bénécie au minimum du sixième de la succession. La grand-mère et les aïeules paternelles sont héritières à condition que ne s’intercalent que des femmes entre elles et le père du défunt, mais leur part ne peut excéder un sixième. La grand-mère et les aïeules maternelles sont elles aussi héritières quotistes dans la limite d’un sixième à condition que ne s’intercalent que des femmes entre elles et la mère du défunt. L’avantage du droit musulman sur le droit corse est aussi évident pour la mère et les aïeules que pour les sœurs et autres parentes en ligne collatérale. LES DROITS SUCCESSORAUX DES SŒURS ET PARENTES EN LIGNE COLLATÉRALE

Dans l’ancien droit corse, les sœurs germaines du défunt ne viennent à la succession que pour les biens provenant de la ligne maternelle, et à défaut de frères germains. Les sœurs utérines ne peuvent hériter que des biens maternels en l’absence de frères et sœurs germains et de frères utérins. Selon le chapitre XLIII des Statuti, la totalité des biens du défunt provenant de la ligne paternelle, ainsi que ce qu’il a acquis durant sa vie, sont attribués en l’absence de descendant aux frères germains ou consanguins. Les statuts ne disent pas qu’en l’absence de ces derniers, les mêmes droits seraient dévolus aux sœurs germaines ou consanguines. Si un défunt n’avait plus « ni enfans, ni frères, ou descendans mâles d’eux, ni ascendans, ni sœurs mais qu’il lui restât des oncles, c’est-à-dire des frères du père du défunt, ou des enfans mâles d’oncles morts auparavant, conjoints au défunt de père et de mère, ou de père seulement, lesdits


LES DROITS SUCCESSORAUX AB INTESTAT DE LA FEMME

oncles et ls mâles d’autres oncles morts auparavant succèderont dans tous les biens du défunt à l’exception des biens maternels ». Il n’est ici question que des oncles et de leurs ls mâles, il n’est rien dit des tantes et de leurs descendants. Toutefois, les oncles et les descendants mâles d’oncles prédécédés concouraient avec les descendants des sœurs du défunt. En droit musulman, les sœurs germaines, consanguines et utérines sont héritières « à fardh » mais leurs descendants ne le sont pas. La sœur germaine qui n’est pas en concours avec un frère germain a droit, lorsqu’elle est seule, à la moitié de la succession. En cas de pluralité de sœurs germaines, dans la même situation, elles se partagent à égalité les deux tiers. En cas d’absence de sœurs germaines, les sœurs consanguines auront les mêmes droits. Lorsque le défunt ne laisse pas de frères germains ou consanguins, la sœur utérine comme le frère utérin hérite d’un sixième de la succession. S’il y a plusieurs frères ou sœurs utérins, ils se partagent à égalité le tiers de la succession. « Il n’y a pas, pour ce groupe, de privilège de masculinité »14. Les droits de ces frères et sœurs utérins subsistent même en présence de frères et sœurs germains ou consanguins. Mais celles-ci sont exclues en présence de deux sœurs germaines ou plus, parce que dans ce cas les sœurs germaines épuisent la totalité de la quotité des deux tiers de la succession réservée à cette catégorie d’héritiers. Lorsqu’il n’y a qu’une seule sœur germaine, elle récupère la moitié de la succession et laisse aux sœurs consanguines la différence entre la quotité des deux tiers prévue pour les sœurs et sa moitié, soit un sixième de la succession. La sœur du défunt n’est exclue de la succession que par la présence d’un ls. En concours avec une lle du défunt, la sœur et la lle ont chacune la moitié de la succession. S’il y a plusieurs sœurs, elles se partageront à égalité la moitié de la succession. Il en sera de même s’il y a plusieurs lles. Les héritières « à fardh » que sont les sœurs ne sont pas évincées en présence d’héritiers agnatiques (« ‘asab ») éloignés tels que les neveux, ls de frères ou les oncles et leurs descendants. Cependant, les sœurs consanguines sont exclues par les frères germains, mais les sœurs germaines ne le sont pas en présence de frères consanguins. Par le mécanisme du « tasib bi-l ghayr », par lequel l’héritier « à fardh » devient « ‘asab » pour autrui, les parentes collatérales, germaines ou consanguines peuvent, en présence de frères germains ou consanguins, être assimilées à des héritiers agnatiques (« ‘asab »). Cette « ‘asabisation » jouera pour les sœurs germaines en présence de frères germains, et pour les sœurs consanguines en présence de frères consanguins. Enn, les « dhaou-l-arhâm », les parents par les femmes, parmi lesquels se trouvent les tantes et nièces, ne sont en principe ni héritiers quotistes ni agnatiques, et sont exclus de la succession selon le rite malikite qui leur préfère le patron 14. DURAND B., Droit musulman, …, op. cit., p. 187.

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ou le sc. Néanmoins, dans d’autres rites, tels que le cha’ite, cette catégorie de parents peut être appelée à la succession en l’absence d’autres héritiers, sur le fondement controversé du dernier verset de la huitième sourate15. Malgré sa complexité, le droit successoral musulman est évidemment plus favorable que l’ancien droit corse pour cette catégorie de parentes. Et il l’est encore plus nettement pour les veuves. LES DROITS HÉRÉDITAIRES DES ÉPOUSES

Le chapitre XXVI des anciens Statuts de San Colombano qui sanctionnaient l’inconduite de l’épouse en la privant de ses droits sur les biens du mari et sur sa dot, paraît indiquer que l’épouse bénéciait de droits successoraux à l’égard du mari. Par ailleurs, aucun chapitre ne cite l’épouse parmi les héritiers16. Les Statuts de la Seigneurie de Gentile ne parlaient pas des droits successoraux de l’épouse, probablement régis selon le jus commune, c’est-à-dire le droit romain de Justinien formulé par les novelles 118 et 127, selon lequel l’épouse survivante n’était appelée à la succession qu’à défaut de tout parent jusqu’au septième degré. Exception faite dans le cas où étant sans ressources, n’ayant bénécié ni de la restitution d’une dot, ni d’une donation d’un mari, il lui était octroyé la « quarte du conjoint pauvre », c’est-à-dire une part des biens du mari défunt limitée au quart de la succession. Dans les Statuts civils de la Corse de 1571, l’épouse survivante n’est pas évoquée dans le chapitre XLIII relatif aux successions ab intestat. Les droits héréditaires ab intestat de l’épouse se résumaient donc encore à la « quarte du conjoint pauvre », à une créance alimentaire et vestimentaire « li vesti viduali e li alimenti »17 et à la restitution de sa dot, régie par le chapitre XLVII qui contenait certaines dispositions restrictives. En effet, lorsqu’il n’avait pas été fait un inventaire préalable des biens meubles compris dans la dot, ils étaient présumés avoir été donnés au mari et les héritiers de celui-ci n’étaient par conséquent pas tenus de les restituer à l’épouse survivante. Celle-ci pouvait toutefois bénécier d’un « antéfait », autrement dit un augment de dot que les Statuts de Gênes, qui s’appliquaient subsidiairement en Corse, limitaient à la moitié de la dot lorsqu’elle était inférieure à cent livres, et qui pour les dots supérieures était plafonné à cent livres. Il est cependant à remarquer que ce chapitre des statuts corses était plus favorable aux épouses survivantes que les Statuts de Gênes, puisqu’ils excluaient 15. Sourate Le Butin, verset 75 : « Ceux qui croient après avoir émigré, ceux qui ont lutté avec vous, ceux-là sont des vôtres. Cependant, ceux qui sont liés par la parenté sont encore plus proches les uns des autres d’après le Livre de Dieu (…) ». 16. LECA A., L’esprit du droit corse…, op. cit., p. 95, suggère que les droits successoraux de l’épouse étaient régis par le droit génois, c’est-à-dire les dispositions des chapitres VI à X du livre V des Statuts de Gênes. 17. ROSSI H., Les successions testamentaires…, op. cit., p. 168.


LES DROITS SUCCESSORAUX AB INTESTAT DE LA FEMME

la possibilité de déduire les « frazi »18 de la dot restituée. En revanche, le chapitre X du livre V des Statuts de Gênes intitulé Della moglie fugita dalla casa del marito, était applicable en Corse en qualité de règle subsidiaire en l’absence de restriction des Statuts de la Corse sur ce point. Selon ce texte, la femme qui avait quitté le domicile conjugal pour habiter chez une personne autre que son père, sa mère, un oncle ou parent jusqu’au troisième degré, pouvait en cas de plainte du mari, être privée par le juge de la restitution de sa dot et de l’« antéfait », à moins que son départ n’ait été justié par le fait que son mari était fou (« pazzo ») ou furieux (« furioso ») ou qu’il ait mis sa vie en danger par des mauvais traitements. De toute façon, la veuve qui se remariait perdait le bénéce des legs en usufruit qui lui étaient attribués par testament, et selon certaines clauses testamentaires, elle ne pouvait en jouir qu’à condition « d’observer un deuil perpétuel in “gura di nero” ou “in abito vidovale” selon l’expression en usage »19. Les règles régissant les droits héréditaires de l’épouse en droit musulman sont assez éloignées de celles de l’ancien droit corse. En effet, la ou les veuves sont des héritières quotistes du mari. En l’absence d’enfant du défunt, une veuve unique recueille un quart de la succession. Si le mari polygame laisse plusieurs veuves, elles se partageront ce quart de façon égalitaire. En présence d’un ou plusieurs enfants légitimes du défunt, la réserve héréditaire de la ou des veuves est réduite à un huitième de la succession. Certains docteurs de la loi se sont même prononcés en faveur d’une extension des droits de la veuve dans des cas exceptionnels et scabreux. Par exemple, en cas d’inceste, lorsque la sœur est en même temps la veuve du défunt, elle pourra cumuler les deux « fardh », et ce cumul des deux réserves héréditaires pourrait atteindre les trois quarts de la succession si la veuve est en même temps la sœur germaine du défunt et qu’elle n’est pas confrontée à des descendants légitimes. Il en est de même d’une sœur consanguine en l’absence de sœur germaine. Quant à l’épouse qui serait en même temps une sœur utérine, elle pourra cumuler un quart et un sixième, et dans ce groupe d’héritiers, le privilège de masculinité qui attribue aux hommes une part double de celle des femmes, ne joue pas20. Il pourra également y avoir cumul de quotités dans le cas où le veuf avait épousé d’autres parentes à un degré qui normalement prohibait le mariage, mais qui sont elles aussi des héritières « à fardh ». À titre d’hypothèse d’école, 18. Cette curieuse institution que Serval, traducteur des Statuts civils de la Corse en 1768 orthographiait « frazz », était prévue par le chapitre VII du livre V des Statuts de Gênes. Elle permettait aux héritiers du mari de déduire de la dot, lors de sa restitution à l’épouse ou à ses héritiers, 5 % de l’actif dotal lorsque les époux avaient cohabité moins de six ans, 8 % lorsque la cohabitation avait duré entre six et douze ans, et 10 % au-delà. C’était en quelque sorte une façon de demander a posteriori à l’épouse de rembourser à la famille de son mari tout ou partie des frais suscités par son entretien pendant les années de vie conjugale. 19. ROSSI H., Les successions testamentaires…, op. cit., p. 169. 20. DURAND B., Droit musulman,…, op. cit., p. 188-189, nos 439 à 444.

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les ‘ulama ont même résolu dans ce sens le cas probablement très rare d’une veuve qui serait la lle ou la petite-lle du défunt. Il est inutile de souligner que le droit musulman est dans cette rubrique encore nettement plus favorable à la femme que l’ancien droit corse. On peut néanmoins objecter qu’en Corse, prédominaient largement les successions testamentaires. Le droit successoral ab intestat n’y était donc qu’un droit subsidiaire. À l’inverse, en droit musulman, c’est la succession ab intestat qui prévaut, le testament n’est utilisé que de manière marginale. Selon Henri Rossi21, certaines clauses testamentaires « legs en usufruit, substitution déicommissaire notamment, permettaient de mieux doser la condition des veuves, eu égard aux facteurs particuliers de chaque espèce. C’est ainsi qu’à défaut d’héritiers mâles et en présence de lles, la veuve pouvait recueillir l’universalité juridique des biens étant, il est vrai, grevée de substitutions au prot de celle-ci ». Mais cela n’enlève rien à la signication symbolique des règles de dévolution ab intestat concernant la femme dans l’ancien droit corse. Son retard évident sur le droit musulman ne permet pas pour autant de présenter ce dernier comme un droit féministe dans la mesure où la dévolution ab intestat n’est qu’une composante du statut de la femme. Ce qui a été rappelé ci-dessus de l’ancien droit corse est un élément de plus à ajouter au dossier de réfutation de la thèse22 soutenue par certains d’une société corse traditionnelle sinon matriarcale, accordant du moins une grande place à la femme, et d’un ancien droit corse précurseur en la matière, notamment sur le plan électoral…

21. Les successions testamentaires…, op. cit., p. 168. 22. La réfutation de cette thèse, qui avait pris corps dans des travaux d’auteurs de l’Entre-deuxguerres et qui est encore parfois soutenue, a été notamment entreprise par Ghjermana De Zerbi dans un intéressant article en langue corse, « Riettendu una cria sopra u cusidettu matriarcatu corsu » (in « Hommages à Fernand Ettori », vol. 2, Études corses, 1983, nos 20-21, p. 327-332).


Quelques fragments d’une économie communicative pour une aide à la décision Françoise Albertini

Parce que le propre de la tradition, c’est d’ignorer les fables progressistes du « progrès » technique comme « bond en avant de l’histoire ». (G. Durand, 1980). La langue socialement circulante, concept cher aux sociolinguistes, donne le ton en véhiculant volontiers l’adage « Corsica non avrai mai bene ». La formule s’est adaptée aux différentes périodes historiques pour être largement reprise par les médias contemporains qui en font encore bon usage, notamment en période de crise. Une culture doloriste et un cadre fataliste semblent peser depuis quelques décennies sur les interactions sociales et l’on entend souvent dire qu’« ici, ça ne marche pas ». De l’utopie incantatoire aux solutions forcément provisoires, c’est bien l’idée de panne et d’impuissance qui conduit à envisager un nécessaire aggiornamento. La question du développement durable, sur laquelle nous sommes collectivement conduits à rééchir, impose une interrogation préalable au chercheur en Sciences sociales qui travaille sur des espaces sensibles. Aussi, les problèmes d’identité et leurs rapports au social ne peuvent être traités en soi, il convient de les approcher par une analyse des mécanismes communicatifs dans lesquels ils s’enchâssent et ressurgissent. Nous essaierons d’éviter les impasses en proposant ici une approche communicationnelle de cet espace encore très particulier qu’est une île, un lieu où la crise de représentation et de légitimation rappelle en termes communicationnels un véritable double bind – c’est-à-dire une double contrainte aux fondements nécessairement paradoxaux – oscillant entre volonté et impossibilité d’être. Si « on ne peut pas ne pas être corse », alors la notion d’économie communicative, proposée par l’Américain Dell Hymes, servira de point de départ à l’élaboration d’une sorte de répertoire des ressources en matière de communication dont s’est dotée la communauté insulaire au l du temps.


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L’objectif est de construire une base empirique sérieuse capable de permettre un va-et-vient constant entre la théorie et le terrain ainsi qu’un passage aisé entre les niveaux micro et macro – de l’acteur à la structure – an de permettre la mise au jour de régularités que les Américains nomment patterns et qu’Yves Winkin propose de rendre par congurations en langue française. « Ce sont des récurrences comportementales qui nous amènent à parler en termes de règles, sinon en termes de codes » (Winkin, 2001). Ces choix théoriques précisés, nous tenterons de présenter quelques éléments de réponse à la question centrale qui nous préoccupe ici : comment les insulaires communiquent-ils et comment cette communauté, au l du temps, organise-t-elle ses relations collectives ? La question de l’intentionnalité du message se pose également à qui souhaite dégager les cadres sociaux de la perception propres à la communauté par une description « émique », conformément à la pensée de Dell Hymes (1974). Car être participant complet, ou natif, confère une compétence supplémentaire qui permet de déceler de l’intérieur la valeur accordée – ou pas – aux éléments (Dell Hymes, 1967). En Corse, l’acte communicatif apparaît particulièrement protéiforme (F. Albertini, 2004). Il emprunte un spectre large, se densie au sein du groupe habitué à l’instar d’autres îles à la promiscuité et à l’interconnaissance (Simonin & Watin, 1992). Sans cesse, la conjonction des activités humaines et de l’espace produit de la mémoire collective et de l’appartenance. L’île est bien le lieu d’une transmission des savoirs culturellement incorporés. Contrairement au lien social de type continental plus distendu, le lien social insulaire construit sur la parenté et/ou sur la proximité semble renvoyer non pas à un contrat d’individus mais à celui d’une communauté (Moles & Rohmer, 1982). L’anthropologie de la communication n’est au fond qu’un outil méthodologique qui s’adapte aux changements, aux variations d’échelle. En privilégiant l’aspect micro elle permet, dans le même mouvement, de prendre en considération les ux qui traversent les petites unités et ce faisant ne cessent de les constituer et de les reconstituer. Aussi, la prise en compte de la diversité a-t-elle été non seulement possible mais également nécessaire à l’analyse de la dynamique identitaire (Albertini, 2006, 2007). Les différents statuts politiques mis en place depuis 1982, en anticipant le mouvement de décentralisation, contribuent à renforcer et à redénir la question de l’appartenance. En devenant Collectivité territoriale, l’organisation politico-administrative redénit d’une certaine manière le rapport au territoire en l’inscrivant de plus en plus comme un espace frontalier euro-méditerranéen. L’oralité y est encore structurante car au l du temps elle a mis en place une matrice comportementale, comme une certaine manière d’être-au-monde qui s’adapte et se régénère. Celle-ci se déploie en écho à d’autres propos, à d’autres situations, à d’autres lieux désormais réels et virtuels. En se performant au l du temps et des contextes, elle « formate » à sa manière et permet de dégager les contours de ce qui est propre au groupe et qui le dénit jusque dans sa


QUELQUES FRAGMENTS D ’ UNE ÉCONOMIE COMMUNICATIVE

contemporanéité. Alors, le processus de mise en forme des normes passe par la communication en tant qu’activité sociale inscrite dans un continuum sémantique et sémiotique fait d’apports, d’emprunts et d’héritages. Cette oralité est une sorte de canevas sur lequel la culture va œuvrer en sourdine et faire qu’en dernière instance, on ne communique qu’avec sa culture. Ceci est d’autant plus vrai que chacun n’en est pas forcément conscient. La culture à laquelle nous faisons référence n’est pas celle qui « se donne à voir », parfois celle que l’on surethnicise à des ns mercantiles, mais bien celle qui, la plupart du temps, va simplement se vivre sur le mode de l’évidence. Loin des stigmates d’une identité malade, une situation socio-historique assumée sereinement fournit les modalités nécessaires pour se rendre disponible au monde. Pour Dell Hymes, le « culturel » se présente comme une potentialité de partage, de communication, bien qu’il y ait conformité à une certaine attente, c’est-à-dire « prévisibilité » comme dit Birdwhistell (in Winkin, 2001). Concevoir l’identité comme un processus – et non comme un état – c’est alors pointer un puissant « réservoir de sens » qu’il convient de mettre au jour. Ressurgissent à ce propos, certaines questions touchant aux relations entre individus ainsi qu’aux rapports entre individus et communauté. Cette dernière n’est pas une entité monolithique qui obéit à une norme unique, mais bien une « organisation de la diversité ». D’ailleurs, la grande idée de l’anthropologue social anglais A. P. Cohen, a été de considérer celle-ci autrement que comme une institution, pour l’envisager comme un symbole (Cohen, 1985-1989). Car, par sa nature même, le symbole peut être interprété de manière différente par les membres d’une même communauté. Pour Cohen, le commun de la communauté est représenté par ses frontières. C’est son « visage public » qui est symboliquement simple, alors que la « variété interne » qui en constitue le « visage privé » est complexe et se trouve cachée par un masque. On doit alors chercher la culture dans la profondeur de sa pensée interne et non pas dans l’apparence supercielle du fonctionnement de la société. La culture est prévisible et compréhensible par et pour ceux qui partagent les mêmes frontières symboliques. Mais la forme ne détermine pas la substance, et parfois la forme du comportement dissimule sa substance car les apparences sont aussi trompeuses. La capacité même de la forme symbolique à cacher les réalités de la vie indigène du regard des autres, protège ses réalités contre l’intrusion et la transformation (Albertini, 2007). Cohen insiste également sur une autre faculté de la strate symbolique qui a la capacité, en se transformant, de se régénérer. Alors les formes traditionnelles peuvent être utilisées, tandis que les situations sociales et politiques ont radicalement changé. Ce phénomène permet aux gens de trouver leurs repères dans de nouvelles conditions et ce à travers des actions familières. Malgré les transformations, certains éléments vont être perçus comme traditionnels dans la conscience collective. Ils deviennent alors de puissants moyens pour réitérer les frontières symboliques.

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Il convient cependant de nuancer la pensée de Cohen, par exemple au regard d’un terrain singulier, car il n’y a pas de prototypes à validité universelle, et qu’en permanence il est nécessaire de recontextualiser les problématiques. En effet, les idéologies peuvent aussi avoir pour mission d’arrêter certains modes de communication, de casser les logiques symboliques d’origine, de brouiller les pistes an de mieux asseoir les pouvoirs. Or, dans la perspective évoquée, la culture est une construction mentale. Elle ne peut pas être uniquement dénie par des facteurs géographiques et sociologiques. Si l’expression symbolique renvoie à la tradition, le passé est à considérer comme une ressource pour affronter le présent. Il peut servir de modèle de « réalité ». C’est le cas quand les gens ont tendance à interpréter le présent avec leur expérience du passé. Alors la tradition peut être comprise comme l’histoire d’aujourd’hui, comme une manière pour l’individu et pour le groupe de légitimer leur place dans le monde social. Souvent le néophyte confronté au terrain insulaire contemporain – et cela même dans les actes les plus anodins de la vie quotidienne – ressent une sorte de « décalage ». Après la surprise, les tentatives d’explication iront des attitudes les plus prudentes (« ce sont les îles, c’est la Méditerranée ») aux propos les plus acerbes (« ils ne sont jamais pressés, ils sont fainéants »). La réalité se situe entre ces deux positions et s’exprime par une situation de tension psychologique, un malaise qui tient aussi à la conception du « bon usage » du temps. Deux conceptions du monde, deux perceptions de la réalité et de son agencement entrent en conit dans ce type d’interaction. Le temps local, culturellement ancré dans l’espace méditerranéen et dans la sphère ofciellement chrétienne, se caractérise par la multitude des faits se déroulant simultanément et ne connaît pas la rigidité ou la tyrannie des horaires xes. Le calendrier religieux qui rythme l’année présente quelques temps forts auxquels la population semble apporter un profond attachement. Il ponctue le déroulement des activités religieuses mais également économiques et sociales. Une cristallisation s’opère autour de certaines dates, un cycle se termine et un autre commence. Les points pivots orchestrent la vie du groupe et s’organisent autour d’événements pleins. Les « événements pleins » sont ces temps où la pluralité des activités humaines se constitue en faisceaux, des instants où se cristallise la convergence des comportements comme une mise au jour des éléments d’inscription d’une sémiosphère sur la biosphère. Le politique et le religieux représentent les secteurs principaux de cette imbrication, ils en matérialisent en tout cas le cadre conceptuel. La fête de la Vierge (le 8 septembre) est célébrée dans toute l’île comme un moment clé du calendrier religieux sur lequel se superposent les autres domaines d’activité. Si le temps administratif vient déranger l’ordre communautaire, désormais calé sur le temps chrétien, il n’est pas rare d’assister à des protestations. La Saint-Joseph à Bastia (le 19 mars) et la Madunuccia à Aiacciu (le 18 mars) en sont des exemples pertinents où le maximum de sens est enfermé dans le minimum de signes. La présence conjointe des autorités – religieuses, politiques et administratives ainsi que celle du monde


QUELQUES FRAGMENTS D ’ UNE ÉCONOMIE COMMUNICATIVE

économique et social –, associées à un public large et intégrateur pour l’occasion, atteste de l’importance accordée collectivement à la célébration du temps rituellique. Ce dernier est ponctué parfois solennellement, sur l’espace central, d’une procession en forme de spirale : A Granitula, l’escargot qui s’enroule puis se déroule pour célébrer l’inni. Il est intéressant de pointer ici un autre exemple particulièrement pertinent. L’ensemble des syndicats étudiants ont choisi – et imposé – un jour férié à la communauté universitaire. Ce choix n’est pas neutre puisqu’il s’agit du 8 décembre, jour de A festa di a Nazione/ La fête de la Nation. C’est en effet ce jour-là que la Sainte patronne de l’île, la Vierge Marie, est célébrée depuis le XVIIIe siècle. Les insurgés de l’époque en lutte contre Gênes choisirent de se placer sous la protection de la Vierge, ce qui donna naissance à « l’hymne national, Le Dio Vi Salvi Regina », qui termine à la fois les ofces religieux et les rassemblements politiques. Ces quelques points choisis dans le calendrier sont des moments forts qui renforcent et renouvellent la vie communautaire mais également de réels évènements communicatifs toujours fortement médiatisés. Pour l’anthropologue de la communication, la référence au passé se manifeste en acte religieux pour donner du sens au présent et pour contenir de l’avenir. En regardant de près le religieux, il n’analyse pas la religion mais prend acte des rites anciens et nouveaux, il focalise sur ce qui fait lien, sur ce qui fonde la communication et la politique. On l’aura compris à travers ce bref propos, le dé de tout travail ethnographique ambitieux consiste à transformer le regard en écriture pour faire surgir de l’inédit. Il s’agit de « se déshabituer à tenir pour naturel ce qui est culturel » (Laplantine, 1996/2002). Les quelques fragments d’une économie communicative pointés ici sont certes vécus sur le mode de l’évidence pour la population, mais ils font signe pour l’analyste. Ils sont porteurs de sens et peuvent constituer des ressources pertinentes pour une politique d’aide à la décision. C’est ce que les Sciences de l’Information et de la Communication peuvent apporter au questionnement sur le développement durable à partir d’un territoire qui s’engage dans son époque, un lieu résolument solidaire des pensées fortes. Face au changement d’échelle, le politique mérite d’être réinventé. Il convient de le resituer dans son contexte frontalier, à la fois européen et assurément méridional. BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE ALBERTINI Françoise (dir.), Dynamiques Identitaires, publication réalisée dans le cadre du Programme d’initiative communautaire Interreg III, Bastia, Éditions Dumane, 2007, 316 p. ALBERTINI Françoise (dir.), Communication interculturelle et diversité en Méditerranée, Préface du Pr. Manfred Peters, publication réalisée dans le cadre du programme de coopération décentralisée corso-marrakchie 2001-2006, sous l’égide du ministère

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MÉLANGES OFFERTS À LA MÉMOIRE DE CLAUDE OLIVESI

des Affaires étrangères et de la Collectivité territoriale de Corse, Bastia, Éditions Dumane, 2006, 224 p. ALBERTINI Françoise. Approche d’une Économie Communicative : l’exemple de la Corse, HDR en Sciences de l’Information et de la Communication, sous la direction du Pr. Yves Winkin (ENS de Lyon), UDC, 2004, 2 volumes. ALBERTINI Françoise, « Au carrefour des contradictions : l’espace public corse », in Littératures Frontalières, Trieste, Edizione Università di Trieste, An X, Vol. 2, 2001, p. 313-318. ALBERTINI Françoise, SALINI Dominique, « Totem et Tabou ou le destin des traditions populaires corses », in Mélanges en l’honneur de P. Denez. Presses Universitaires de Rennes, 1999. ALBERTINI Françoise, SALINI Dominique, Îles et Mémoires, Actes du colloque de Corti, 27-29 septembre 1996, Université de Corse, Presses Universitaires Corses, 1998, 230 p. ALBERTINI Françoise, « Discours, droit corse et mythe de souveraineté : l’exemple de U Furcatu », Heteroglossia, Ancona, Nuove Ricerche, n° 5, 1994, p. 129-140. CAREY James, Communication as Culture : Essays on Media and Society, Boston, Unwin Hyman, 1989. CASTELLANI Jean-Pasquin, « Les paradoxes de l’identité », in Encyclopaedia Corsicae, Bastia, Éditions Dumane, 2004, 7 Volumes. COHEN Anthony P., The symbolic construction of community, London/New York, Routledge, 1985, reprint in 1989. DURAND Gilbert, Sciences de l’Homme et Tradition, Paris, Berg International, 1979. FABIAN Johannes, Time and the Other, How Anthropology makes its Objects, New York, Columbia University Press, 1983. GUMPERZ John, HYMES Dell (dir.), Directions in Sociolinguistics : The Ethnography of Communication, New York, Basil Blackwell, 1986, 589 p. HERMÈS, nos 17-18, Communication et politique, CNRS Éditions, 1995. HERMÈS, nos 32-33, La France et les Outre-Mers. L’enjeu multiculturel, CNRS Éditions, 2002. HYMES Dell H., « The Anthropoloy of Communication », in DANCE F. E. X., Human Communication Theory : Original Essays, New York, Rinehart and Winston, 1967, p. 1-39. HYMES Dell H., Vers la compétence de communication, Paris, Crédif-Hatier-Didier, 1991. HYMES Dell H., « Vers la compétence linguistique » (1973), in HYMES Dell H., Vers la compétence de communication, Paris, Crédif-Hatier-Didier, 1991, p. 15-118. HYMES Dell H., Foundations in Sociolinguistics : An Ethnographics Approach, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 1974. HYMES Dell H., Postface (1982), in HYMES Dell H. Vers la compétence de communication, Paris, Crédif-Hatier-Didier, 1991, p. 119-196. HYMES Dell H. (dir.), Reinventing Anthropology, The University of Michigan Press, 2002. 470 p. LAPLANTINE François, La description ethnographique, Paris, Nathan Université, 2002. LAPLANTINE François, Je, nous et les autres. Être humain au-delà des apparences, Éd. Le Pommier, 1999, 153 p. LARDELLIER Pascal, Théorie du lien rituel. Anthropologie et communication, Paris, L’harmattan, 2003.


QUELQUES FRAGMENTS D ’ UNE ÉCONOMIE COMMUNICATIVE

MOLES A., ROHMER E., Labyrinthes du vécu. L’Espace : matière d’actions, Paris, Librairie des Méridiens, 1982. SAÏGH BOUSTA R., ALBERTINI F. (dir.), Le Tourisme durable. Réalités et perspectives marocaines et internationales, Actes du Colloque de Marrakech, mai 2003, Université Cadi Ayyad, 2004, 436 p. SIMONIN J., WATIN M., « L’espace public réunionnais : une opportunité pour problématiser certaines problématiques établies », in Les nouveaux espaces de l’information et de la communication, CREDO/SFSIC, Lille III, 1992, p. 407-413. WINKIN Yves, Anthropologie de la communication. De la théorie au terrain, Paris, Seuil, 2001. WOLTON Dominique, Penser la communication. Paris, Flammarion, 1997.

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