Aussi longtemps que l’herbe poussera
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Pierre-Joseph Ferrali
Aussi longtemps que l’herbe poussera et que couleront les rivières Roman
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Ce que j’ai osé, je l’ai voulu, ce que j’ai voulu, je le ferai ! Herman Melville
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Un
Le capot du camion Ford F 8 de 1959 était ouvert et Dwayne Mitchell jetait un œil dans le moteur. Il n’y comprenait pas grandchose Dwayne dans les moteurs. Les deux pieds posés sur l’aile droite du tracteur, il faisait de légers mouvements de tête. La journée qui s’annonçait semblait ne rien augurer de nouveau mais voilà que, pour la première fois depuis vingt ans, il avait eu envie de voir ce que cette machine avait encore dans le ventre. Même si ses connaissances en mécanique étaient assez limitées, il se doutait bien que les mauvaises herbes qui avaient poussé à l’intérieur ne laissaient rien présager de bon. Des nuages blancs vagabonds fuyaient vers l’est et il se disait qu’il ne pleuvrait pas aujourd’hui. Il posa sa main sur une des pièces du bloc et eut les doigts recouverts de graisse. Il s’essuya sur son jean et referma le capot. Il s’assit et regarda la route qui passait juste à une cinquantaine de mètres d’où le camion était garé. La carrosserie avait besoin d’un bon coup de peinture. La calandre et les phares laissaient apparaître des traces d’oxydation et de rouille. Brad Collins le salua et il leva la main pour lui retourner le bonjour. « Il a foutrement mal traversé les années cet engin-là ! Tu devrais peut-être l’offrir à un musée. T’en tireras plus un radis de ta vieillerie. – Il a encore de la gueule, je trouve. Je me disais que quelques heures de boulot suffiraient pour le remettre en état et lui faire reprendre la route. 7
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– Tu crois qu’il démarre encore ? – On va voir ça. » Il se laissa glisser sur le marchepied en se tenant au large rétroviseur qui dépassait de l’aile puis il se pencha en arrière dans un mouvement aérien, ouvrit la portière et, agrippant le haut de la cabine, se hissa à l’intérieur. La banquette était en cuir couleur sable, craquelée. Sur le siège, des morceaux de tissu étaient déchirés et une mousse de rembourrage jaune avait été creusée sous les fesses du conducteur. Dwayne referma la portière et regarda devant lui, les deux mains posées sur le volant comme un pilote qui se concentre dans son bolide avant le départ de la course. Devant lui, c’était cette allée qui menait à ce bout de terrain sur lequel il s’était installé depuis tout ce temps où il était rentré au pays. Plus loin, la grand-rue la coupait perpendiculairement. Le soir, il regardait sur une chaise les quelques voitures qui roulaient dans les deux sens. Bradley Collins passa sur le côté et vint se percher sur le marchepied. Il croisa les deux bras sur la vitre baissée et tourna la tête vers le pare-brise couvert de saleté. « Tu devrais le nettoyer, dit-il. – Pour quoi faire ? – Pour y voir un peu plus clair. » Dwayne le regarda sans répondre puis il tourna la clé dans le neiman. Il actionna les essuie-glaces et regarda la poussière glisser comme une pluie fossilisée sur la vitre, dessinant les ondulations floues des souvenirs qui ne laissent plus apparaître aucune forme précise. « On n’y verra pas mieux, j’ai l’impression. Y a plus qu’à espérer qu’il pleuve un jour parce que c’est pas toi qui verserais de l’eau sur ce pare-brise. » Dwayne appuya à ce moment sur le starter et attendit le préchauffage. Quand il fit tourner la clé, le moteur refusa de démarrer. « Depuis quand y tourne plus ? 8
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– La dernière fois, c’était à la fin de l’hiver. J’ai dû le laisser s’encrasser, dit Dwayne. – C’est peut-être le démarreur ? – Peut-être. – Je vais y aller. – Tu sais ce qu’on pourrait faire ? – Quoi ? – Boire une bière. – J’dis pas non. – Alors, grimpe là-dedans ! » Bradley Collins descendit du marchepied, passa devant le camion et ouvrit la portière de droite qu’il referma après être monté dans la cabine. Il regarda Dwayne. « J’reviens… » Dwayne sauta du tracteur et disparut à l’arrière. Le vent amenait avec lui cet air sec qui remplissait les poumons de senteurs âpres venues des montagnes. Bradley regarda le ciel puis il aperçut la silhouette de Dwayne qui se dessinait dans le miroir du rétroviseur extérieur gauche. Lorsque celui-ci revint s’installer à bord, il tenait deux bouteilles de bière à la main. Il en tendit une à Collins qui saisit le décapsuleur et, d’un geste sûr, l’ouvrit, leva son bras et attendit que Dwayne dégoupillât la sienne. « Je propose, proclama Brad le rieur sur un ton à la fois grave et grotesque, qu’on boive le coup à la santé de ton vieux huit cylindres, en espérant pouvoir l’entendre à nouveau ronfler un jour. – À ce vieux tas de ferraille, alors ! » Dwayne prit le paquet de Chesterfield sur le tableau de bord et en proposa une à Bradley qui refusa. Il alluma la cigarette avec le briquet qu’il laissait dans le paquet. « La dernière personne à s’être assise à la place que tu occupes maintenant, c’est Jack Kerouac. On s’était envoyé une dernière bouteille de whisky et il était complètement soûl. Il a ouvert la porte du tracteur et il est tombé comme une masse, la figure sur 9
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le trottoir. Quand il s’est relevé, il avait sa clope à la bouche et il a fait le tour pour venir me rejoindre là où tu étais tout à l’heure. Il se tenait un pied sur la cale et l’autre sur le réservoir de gasoil. Je me souviens des gestes qu’il faisait avec les bras pour essayer de pas tomber et de se maintenir en forçant sur ses reins, comme une sorte de funambule en équilibre qui marche sur son fil et manquant d’assurance pour pouvoir rester debout plus longtemps. Tu vois la fenêtre de ventilation déglinguée sur ma gauche, Bradley ? – Ouais ! » Bradley Collins, appliqué dans un effort de réflexion exagéré, considérait gravement Dwayne sans rien oser ajouter d’autre. « Eh bien, c’est Jack Kerouac qui s’y était accroché comme à un comptoir de bar duquel il aurait eu peur de dégringoler. Il me regardait de ses yeux embrumés quand il me dit simplement : “J’ai été content d’te connaître mon gars” et c’était la dernière fois que j’entendais sa voix. Il a sauté en arrière et est retombé sur ses jambes. Il est rentré chez lui en titubant et puis j’ai démarré le camion. Il est mort quelques semaines plus tard. C’était il y a quarante ans. – Jack Kerouac, dit-il absorbé. C’est qui ça, Jack Kerouac ? » Il est des matins qui naissent en racontant une histoire. Dwayne était resté assis sur la terrasse en attendant l’arrivée de Debra, qui était prévue vers les onze heures et demie. Il se leva et regarda le soleil, appuyé sur la rambarde de bois que Gary et lui avaient installée au printemps dernier. Il ne s’était jamais résolu à un mode de vie sédentaire mais, avec le temps, sans vraiment s’en rendre compte, il avait pris racine. Un jour, il était allé acheter une boîte aux lettres dans le magasin de bricolage de Harvey Reynolds. C’était le premier signe de renoncement à une existence vouée à la route et aux rencontres. C’est avec un gros marqueur noir qu’il avait inscrit son nom dessus. Dwayne n’aurait jamais imaginé 10
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quelque chose de ce genre. Il avait maintenant une adresse comme n’importe qui. Au moment où il avait imprimé son nom sur une saloperie de boîte aux lettres, il avait pensé à celui, indéterminé mais inéluctable, où ce même nom de Dwayne Mitchell serait gravé dans la pierre de granit corail de sa tombe. Il pensait qu’un homme était tôt ou tard condamné à vivre selon les lois établies des institutions. Alors, il lui fallait se préparer et attendre honnêtement son tour, son aller simple à la main. À la minute où il s’était rassis, il vit la camionnette de Gary entrer dans l’allée. Ils étaient en avance. Debra sortit la première du pick-up et fit basculer le fauteuil avant. Sarah descendit et vit Dwayne debout dans la lumière orangée du soleil. Elle courut vers les marches et sauta dans ses bras. « Bonjour Dwayne, lui cria-t-elle en l’étreignant. – Salut ma p’tite grenouille. » Debra embrassa son père et entra à l’intérieur déposer les paquets qu’elle avait amenés pour le repas de midi. Derrière elle, Gary tenait à la main un pot de peinture de cinq litres et deux pinceaux dans leur emballage plastique. « Tu sais ce que c’est ? » demanda-t-il à Dwayne. Dwayne Mitchell sourit et lui donna une tape sur l’épaule. « Tu n’as qu’à poser ça là. Quelle couleur ? – Rouge. Presque un an que tu aurais dû passer cette couche sur la rambarde. – Je crois que je vais avoir besoin d’un sacré coup de main. Qu’est-ce que tu en dis, Sarah ? » Il y avait ces rires heureux de la petite. Pour être sincère, il aimait que sa fille et Gary viennent passer un peu de temps avec lui. Sarah se plaisait en sa compagnie. Après avoir mangé, elle avait pris l’habitude de s’asseoir sur ses genoux pendant que sa mère servait le café. « Qu’est-ce que tu fais en ce moment ? » s’enquit Debra. Debra, obéissant fidèlement à l’amour qu’elle avait pour les siens, était une femme qui savait ce qu’elle ne voulait plus mais qui malgré tout présentait parfois l’inquiétant regard des froides 11
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statues marmoréennes. Mais ce n’était qu’une parade confortable qu’elle avait trouvée pour contenir la douleur muette qu’elle éprouvait dès qu’elle arrivait dans cet endroit retiré où elle avait été élevée avec son frère Andrew. Elle s’infligeait une mine austère pour leur cacher sa souffrance. Pourtant, elle n’y avait pas été vraiment malheureuse mais l’amour exclusif de Dwayne n’avait jamais pu combler l’absence insupportable de sa mère, effacée de la mémoire, morte quand elle avait quatre ans. « Je travaille sur des idées de photos. Je me suis dit que je pouvais donner une espèce de suite à mon projet des Portraits pornographiques, trente-deux ans après mes premières séries en noir et blanc. » À la façon dont Debra regarda Dwayne, il sut qu’il venait de dire quelque chose qui n’avait pas plu à sa fille et qu’il aurait droit à ses éclats de colère. La plus grande révolution qui se soit produite dans sa vie depuis qu’il était retourné vivre dans ce coin du Colorado, avait été celle de la venue au monde de Sarah. Des naissances, il y en avait eu d’autres, celles de Terrence et de Quade, les deux fils d’Andrew, mais elles n’avaient pas entraîné la même conséquence que celle de Sarah. Le chambardement absolu, l’ultime bouleversement s’était déroulé ce matin pluvieux (très pluvieux) où Gary avait débarqué avec la grosse artillerie. Debra avait quitté la maternité depuis trois semaines. Dwayne n’avait pas oublié qu’au moment précis où elle allait accoucher, il s’était cassé la jambe après une mauvaise réception en sautant de la terrasse comme il le faisait de manière absurde et insensée, selon les mots mêmes de Debra. Gary lui avait annoncé qu’elle avait l’intention de venir lui présenter sa petite-fille mais qu’elle ne voulait pas courir le risque de voir un autre stupide accident comme celui-là se produire avec son enfant dans les bras. Il avait travaillé toute la journée, trempé comme un désespéré, afin d’achever l’ouvrage le plus rapidement possible. Il n’avait que son dimanche et il n’aurait pas pu se permettre de 12
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prendre un seul jour de congé. Dwayne avait, de son côté, passé cette journée à regarder son gendre travailler sous la pluie, du haut de cette terrasse protégée. Gary avait commencé par placer trois solides chevrons de dix centimètres de largeur et de quatre mètres de long. Ils appuyaient sur le montant de la terrasse et plongeaient jusque sur le sol. Dwayne comprit ce que celui-ci était en train de faire. Il le vit tracer les planches des contremarches et mesurer la bonne hauteur avant d’entreprendre la construction de la base de l’escalier. Le temps ne s’améliorant pas, Dwayne avait préparé une bonne quantité de café pour que son beau-fils puisse se réchauffer pendant ses courtes pauses. Après avoir fixé les derniers bardeaux, Gary s’était attaqué à la rampe. Il était doué de ses mains et il n’avait jamais eu peur de travailler. Il avait terminé sa besogne en fin d’après-midi, à l’instant même où la pluie avait cessé de tomber et où le soleil était apparu, faiblard sous le rideau de nuages enfin déchiré. Il avait quitté Dwayne qui s’était dit en contemplant l’ouvrage qu’une fois de plus il avait concédé – il n’avait pas osé employer le mot céder – à sa fille une part de cette liberté qui s’effritait au fur et à mesure que les années passaient. Quand elle était arrivée le surlendemain sous un franc soleil d’été, émue, elle lui avait présenté Sarah. Elle lui avait dit que c’était un petit poisson et Dwayne avait répondu que c’était une belle grenouille. Et après, alors qu’ils étaient assis tranquillement sous la tonnelle, devant le berceau de l’enfant, Debra avait expulsé brutalement sa peur et sa détresse en reprochant à son père de n’avoir jamais construit d’escalier pour accéder jusque sur cette maudite terrasse d’où il s’était fracturé la jambe en sautant. Un simple escalier composé de sept ou huit petites marches. Rien de plus. Dans une fureur bouillonnante, elle avait hurlé des paroles furibondes et condamné irrévocablement sa façon de vivre en dehors de toute réalité concrète. Debra lui avait rappelé qu’elle avait dû gravir les barreaux métalliques pour monter sur le châssis de la remorque où reposait le mobile home. Vingt-trois ans après son installation dans cette maison singulière, elle allait enfin 13
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pouvoir rentrer chez lui sans avoir à agripper ces abominables échelons comme s’il s’était agi de se déplacer en bathyscaphe et sans avoir à sauter pour descendre. Gary avait gardé le silence jusque-là car il savait qu’il valait mieux se taire quand sa femme réglait ses comptes avec son père, cependant, il la trouvait parfois injuste et dure avec lui. « Tu sais Dwayne, était-il finalement intervenu, malgré lui, dans un souci d’apaisement, on va commencer un chantier vers l’ouest, avec des hommes qui se sont greffés à notre équipe. Je crois qu’il y a des gens que tu aimerais rencontrer. Tu pourrais venir passer une journée avec nous et faire quelques photos. – Qu’est-ce que vous faites ? – On doit clôturer de nouvelles terres sur plusieurs kilomètres. – Et pourquoi pas, après tout… » s’était-il empressé de répondre sans même avoir réfléchi à la proposition. L’après-midi était déjà bien avancé lorsqu’ils s’étaient décidés à rentrer. Dwayne tenait Sarah dans ses bras et avait descendu l’escalier qui avait alors provoqué la première vraie altercation entre sa fille et lui. Il la plaça à l’arrière de la camionnette et lui fit de petits signes à travers la vitre. « Je passe te prendre dans deux jours, Dwayne. – C’est entendu. Un peu d’air frais me fera du bien. – Ça me fait plaisir que tu acceptes l’invitation de Gary. Je t’aime mais tu m’énerves, papa ! » Dwayne savait que sa fille avait raison sur pas mal de sujets et le fait qu’elle le bouscule ne signifiait pas qu’il n’y avait pas ou plus d’amour. C’était une femme de tempérament et il ne fallait pas qu’elle montre à son père qu’elle était encore une enfant. Cette même enfant qui devait grimper sur une remorque de camion pour rentrer chez elle. Il avait laissé sous la calandre du F 8, fixée au niveau du pare-chocs, la plaque jaune en aluminium de deux millimètres sur laquelle était notée l’inscription Oversize load. Ce panneau représentait la trace palpable et encore visible du dernier long 14
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déplacement qu’il ait effectué sur les routes du pays. Vers le milieu des années quatre-vingt, il avait quitté la Floride à bord de ce camion Ford qu’il avait dû acheter pour transporter la maison construite sur un châssis remorquable, composé de rails de fonte, sur lequel étaient coulées les fondations à coups d’écrous, de boulons, de rivets et de soudures. Il avait regardé défiler les paysages sur les accords nasillards de Blowin’ in the wind, How many roads must a man walk down Before you call him a man ? accompagnant Dylan en marmonnant comme un dingue pendant ces semaines de voyage Yes, ‘n’ how many years can some people exist Before they’re allowed to be free ? et en écoutant la réponse à toutes ces questions dans le souffle du vent. Quand il s’était garé ce jour-là à la sortie nord de Walden, sur le terrain qui appartenait aux Mitchell, il avait pensé qu’il repartirait très vite et, finalement, ne regrettait plus l’achat du tracteur. Il n’avait pas voulu descendre le mobile home et l’avait raccordé au réseau public en le laissant stationné sur la remorque. Il avait trouvé ça original et marrant. La petite Debra et son frère Andrew avaient assez bien aimé eux aussi l’idée d’avoir à grimper sur cette cabane roulante grâce à une échelle de métal. Ils avaient vu défiler les kilomètres et n’étaient pas fâchés de se retrouver dans cette petite ville du Colorado. Dwayne avait d’autres projets en tête, mais en attendant, l’endroit bien que déprimant, valait n’importe quel bled paumé du Middle West voisin. Walden était un coin tranquille avec sa large rue principale où les bagnoles se croisaient sans risquer de créer des embouteillages. Il y avait cette bande jaune qui filait au milieu et les commerces sur les deux côtés. Le terrain des Mitchell, du côté de McKinley Street dans la Cinquième, s’étendait jusqu’à la grand-rue qui n’était en réalité que la Highway 125, le long de laquelle était édifiée la ville. Dwayne avait effectué le branchement d’eau et de gaz dès leur arrivée et l’installation électrique avait été complétée le lendemain 15
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matin. Même s’il n’y avait pas l’ambiance urbaine et nocturne qu’il avait connue sur la côte Est, il était sûr d’avoir fait le bon choix. Cette transition à la campagne paraissait vitale, nécessaire, absolument indispensable avant de penser à reprendre la route. Dwayne avait pris son appareil photo après le départ de Brad Collins et s’était rapproché pour venir se placer devant le camion. Il avait choisi un angle serré pour souligner l’importance qu’il entendait donner au symbole que représentait encore pour lui le panneau réglementaire de signalisation de convoi exceptionnel. Le texte en noir sur un fond jaune épais contrastait avec la vieille couleur noire usée et ternie du Ford. Il regardait sur le petit écran numérique la qualité de la photo puis en reprit une autre en ouvrant davantage son angle de vue pour saisir le monstre de face.
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Deux
Le bar de Leland Johnson n’était qu’à cinq minutes à pied à peine de chez Dwayne. Les habitués qui fréquentaient l’établissement ne faisaient même plus attention à lui lorsqu’il se déplaçait à l’extrémité du comptoir et qu’il les photographiait à l’improviste. C’était un type réglo et il n’avait jamais causé de soucis aux gars en prenant des photos. Même au cours des soirées chaudes qui finissaient mal à cause des quelques serveuses de passage qui provoquaient de violentes bagarres. Il parvenait à donner à ces clichés une dimension artistique qui les impressionnait toujours. Il était là, buvait avec eux, discutait de n’importe quoi et, soudain, il disparaissait sans que personne ne s’en rende compte. On le voyait alors debout sur une chaise ou sur une table à la recherche du meilleur cadrage. Dwayne aimait travailler les ambiances feutrées et, pour donner plus d’impact et de vérité à cette banale quotidienneté, il évitait l’éclairage artificiel. Il savait s’accommoder de la clarté de la salle et se servir de la lumière de l’instant et, comme ça, il pouvait se fondre dans l’ambiance et ne dérangeait personne avec le déclenchement d’aveuglantes éclaboussures lumineuses. John Ashley-Cooper lisait un livre à une table. Dwayne marcha jusqu’au comptoir et commanda d’un signe de tête une bière au patron qui était en train de parler avec un petit groupe d’hommes excités à l’autre bout, près de la vitre. Il voulut fumer et fouilla dans les poches de sa veste mais il ne trouva pas le paquet. Et puis, il se rappela qu’il l’avait laissé sur la 17
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terrasse après le départ de Debra. Il avait dû modifier ses projets au tout dernier moment pour désamorcer ce conflit qui couvait déjà depuis quelque temps et qui n’allait pas tarder à lui exploser à la figure. Elle s’inquiétait souvent pour des motifs qui n’en étaient pas ou pour ses choix qu’elle contestait comme celui de s’adonner à nouveau à sa passion de la photographie qui avait fait de lui un artiste reconnu dans les années soixante-dix et quatre-vingt. Il se disait qu’il n’aurait pas dû lui soumettre son idée de poursuivre l’œuvre initiale sur laquelle s’étaient concentrées toute sa sensibilité et son attirance pour des motifs esthétiques et poétiques que ses détracteurs avaient qualifiés d’obscènes et de pornographiques. Ce n’était ni par goût immodéré de la provocation ni dans un souci capricieux de choquer qu’il avait choisi à l’époque de retenir ce mot de pornographique pour son travail de portraits. Dwayne Mitchell n’avait jamais accepté de prostituer la vérité ni de corrompre la douleur des autres. Il fallait respecter la violence, quelle qu’elle soit. Il attira l’attention de Johnson en posant deux doigts sur ses lèvres pour avoir un paquet de cigarettes. Il allait simplement accompagner Gary à la frontière de l’État et prendre une série de photos des mecs qui dressaient les clôtures. Rien d’autre, mais il avait dû dire oui pour que Debra se calme un peu. Rien d’autre, mais cette offre qu’il avait acceptée à contrecœur l’avait mis mal à l’aise. Rien d’autre, mais il devait se soumettre à sa proposition pour apaiser une situation déjà tendue qui menaçait de tourner au drame. « Apporte-moi aussi une boîte d’allumettes ! – Tu pouvais pas me le dire avant. Rien d’autre ? – Rien d’autre, mon pote. Non, attends une seconde ! » Dwayne sortit dix dollars de sa poche et les posa devant lui. Il demanda au patron d’encaisser ce qu’il avait pris et de lever un peu le volume. Il entendait à la radio une vieille ballade traditionnelle folk de 1929, composée par Blind Alfred Reed que Ry Cooder avait réenregistrée en 1970. Springsteen lui aussi avait interprété plus récemment 18
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How can a poor man stand such times and live ? mais ce n’était pas sa version préférée. De la devanture, la vue plongeait sur Van Horn Avenue et Dwayne pouvait voir le bleu profond de Walden Lake. Il avait eu le temps de boire une autre bière quand Gerry Robert Llewellyn entra dans le bar et vint le retrouver au comptoir. Dwayne l’avait appelé après la visite de sa fille pour lui dire qu’il ne serait pas disponible pour la journée de mardi à cause d’un empêchement familial. Les circonstances qui amènent un homme comme Dwayne à mentir le maintiennent prisonnier de tous ses échafaudages minables dans lesquels il s’empêtre et sur lesquels il n’a plus aucune emprise. L’alibi qu’il avait donné à Gerry Robert était pitoyable mais il lui dirait peut-être la vérité plus tard. Il ne voulait pas endormir le gamin avec des histoires à la con. À la fac, Gerry entendait sans arrêt les discours de ses professeurs fabriqués de toutes pièces pour obtenir une adhésion totale et définitive de leurs étudiants à des thèses foireuses sur le contrôle des individus et pour annihiler toute tentative de réflexion singulière qui serait sortie d’une cervelle saine et pas encore corrompue par des grilles subliminales de calculs et de pensées apodictiques. Gerry Robert Llewellyn avait découvert par hasard le travail de Dwayne Mitchell. Il était resté étudiant modèle en droit à l’université du Colorado de Boulder en tout et pour tout un trimestre avant de reconsidérer les choses. Dans cet environnement de pôles d’excellence, où les principes fondamentaux de l’économie, de la finance ou des sciences étaient enfoncés dans les crânes sans filtre des futures élites en place, il s’était laissé porter par son envie de devenir photographe. L’ambiance sur le campus ne ressemblait pas à ce qu’il avait imaginé au moment de son inscription. Les étudiants étaient dans les starting-blocks pour franchir la ligne d’arrivée avant tout le monde. Ils étaient conditionnés pour écraser les autres et, bien pire encore, l’autre. Barney Wiggins, directeur du département photo de l’université, qui avait en charge le module « Perspectives et territoires de l’image », leur dit un jour que le 19
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temps n’était plus à la compassion. Il ne s’agit pas de s’apitoyer sur le sort des gens mais d’absorber dans un cliché tout leur désespoir. Il prononça une phrase bizarre, quelque chose comme « il ne faut pas s’occuper de ses semblables quand on fait un boulot pareil, il ne faut pas s’occuper de ses égaux mais de son ego ». Oui, quelque chose de ce genre. Et un matin, en préparant un travail qu’il devait exposer, il découvrit de façon inattendue mais providentielle, dans un rayon excentré de la bibliothèque, complètement à l’écart, dans les dernières rangées, caché par d’autres livres, le dernier ouvrage publié par Dwayne Mitchell, Portraits pornographiques. Ce fut pour lui une révélation. Il vit des photos qu’il n’avait encore jamais vues. Il vit des portraits de gens ordinaires, bruts, sincères, imparfaits, impudiques. Des portraits de marginaux loin de toute révolte, dans leur quotidien miséreux et sordide. Il y voyait des hommes et des femmes qui s’exposaient sans s’exhiber. Lorsque Wiggins rendit les résultats, il insista auprès de Gerry Robert sur le fait que des personnages comme Dwayne Mitchell ne représentaient pas plus une époque qu’un style. Il lui dit qu’il ne fallait pas confondre réalisme et voyeurisme ni réalité et obscénité. Il lui avait mis la note de cinq virgule cinq sur vingt. Dwayne alluma une cigarette et se tourna vers la salle. Appuyé de dos contre le comptoir, il tira un tabouret et se hissa dessus. Le soleil de cette fin d’après-midi rentrait dans le bar à travers les vitres et produisait un jeu de lumières contrasté entre les rayons d’un vif orangé et l’ombre sereine de l’établissement où l’éclairage était presque toujours éteint pendant la journée. John Ashley Cooper se leva et marcha lentement vers la sortie. Dwayne posa les pieds sur les barreaux de bois du tabouret et mit ses coudes sur le comptoir dans une attitude rêveuse. Il commanda deux autres bières. « Je lui ai téléphoné avant de venir te rejoindre et il m’a confirmé qu’il n’y aurait pas le moindre problème, dit Gerry Robert en adoptant la même position perchée que Dwayne. Il a jamais eu trop de chance et il a vu tes œuvres. Je crois que ça lui a plu. C’est 20
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un gars qui ne parle pas beaucoup comme s’il avait peur d’attirer encore plus l’attention sur lui. J’arrivais pas à en croire mes oreilles quand il a dit oui. Je lui ai même pas demandé pourquoi il avait accepté de faire ça. – C’est quelque chose qu’il me dira s’il en a envie. C’est avant tout une question de confiance. Tu ne peux pas réussir de bonnes séances si les personnes que tu photographies ont peur de toi et te craignent. Le plus dur, c’est de saisir cette peur et cette crainte qu’ils peuvent avoir dans le ventre quand ils sont enfin rassurés devant l’objectif. Ils doivent te dire qui ils sont sans avoir sans cesse à se demander qui tu es, toi. Je lui parlerai et je verrai si je peux le photographier sans qu’il y ait le moindre risque pour lui. – Tu peux refuser de prendre des gens ? – Pas à cause du fait qu’ils soient encore mineurs mais comme tu le disais, à cause de la motivation. Barney Wiggins voulait te persuader que j’étais quelqu’un de voyeur et d’obscène. Je ne cherche pas à provoquer de scandale mais j’ai besoin de raconter des choses vraies qui ne soient pas dénaturées par des effets d’habillage. On ne doit pas sentir de contraintes quand on pose, infligées ou travesties. On est libre de vivre mais on est libre aussi de vouloir mourir rien que pour échapper à l’inacceptable idée de sa propre mort. – Ouais… On fait ça où, alors ? – Le mieux serait chez lui, dans son environnement culturel et social, là où il a tous ses repères. C’est possible, tu crois ? Il pourrait me recevoir ? – Depuis quelques semaines, il vit seul. Il a dit à ses vieux d’aller se faire foutre, qu’il voulait bénéficier de la pension qu’il perçoit chaque mois pour emménager dans un logement où il se sentirait moins assisté. Il en a marre que tout le monde le prenne pour un minable estropié. Je lui ai donné un coup de main pour s’installer. C’est un appart pourri, exigu, mal éclairé, sale. Je pense qu’il s’y plaira. Vers quelle heure ? – Quand il veut ! Matin, midi ou soir. » 21
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Derrière le comptoir, Leland Johnson servait les tournées à des gars qui commençaient à s’échauffer un peu. La journée de travail était terminée et une lumière intense descendait sur la ville avant que la nuit ne vienne engourdir le patelin. Il n’y avait rien d’autre à faire que de venir au bar passer les heures mortes avant que tous ces types ne rentrent chez eux pour manger et dormir. Mais chez eux, ils ne disaient rien ou pas grand-chose. Presque tous avaient une femme et des enfants, mais ils ne parlaient pas. Ils n’avaient peut-être jamais parlé, enfermés dans une haine grandissante qui les avait dépassés et coincés à cause de leur faiblesse et de leur lâcheté. Dwayne régla ce qu’ils devaient et ils sortirent sur l’axe principal. Les montagnes paraissent plus hautes ce soir, pensa silencieusement Dwayne, et elles paraissent encore bien seules. Il alluma une cigarette et attendit que Gerry Robert confirme le rendez-vous de demain. Il s’était éloigné de plusieurs pas et parlait en hochant la tête. Quand il se rapprocha de Dwayne, il parut satisfait. « Il nous attend à partir de quatorze heures. – Parfait ! »
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Trois
Après ce coup de fil, Gerry Robert téléphona à Charmaine pour lui dire qu’il passerait la soirée chez Dwayne. Ils remontèrent la rue principale en regardant l’ouest s’embraser dans la crépusculaire défaite du soleil. Ils traversèrent à l’angle de Main Street et de la Cinquième puis s’engagèrent à droite dans McKinley avant de passer l’allée et d’arriver sur la propriété de Dwayne. Il avait fait ce même trajet au volant de son camion Ford, il y a des années de ça, pour venir le garer à l’endroit où ils se trouvaient en cet instant avec Gerry Robert. C’était aujourd’hui une évocation glacée du voyage, remplie pour Dwayne de vieux spectres mélancoliques. De la ferraille qui rouillait. Il monta les marches et alluma une cigarette sur la terrasse. Gerry Robert empoigna les barreaux de l’échelle pour le rejoindre sur la remorque. Il était le seul de tous ceux qui venaient lui rendre visite à grimper par là. Même Dwayne s’était résigné à prendre l’escalier en bois. À l’intérieur, il y avait les images de la route. Une route désormais déserte, figée, sans bruits et sans odeurs. Il s’était servi de la salle de bain pour installer la chambre noire et développer les pellicules, son matériel alors posé sur la chasse d’eau des toilettes ou dans la cabine de douche. Lorsque Debra et Andrew l’avaient quitté, il avait récupéré la chambre des enfants pour être plus à son aise jusqu’à la révolution du numérique où il avait balancé tout son vieux matos argentique à la poubelle. Il occupait un espace de vingt-huit mètres carrés et c’était suffisant pour lui. Les photos 23
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sur les murs retraçaient le parcours mythique de 1987, depuis la Floride jusqu’ici. Lui aussi, il l’avait vécue cette route. Ils préparèrent la viande dans la cuisine et descendirent tout le nécessaire en bas de la terrasse. Gerry Robert alluma le feu avec le bois mort amassé et s’agenouilla et souffla pour attiser les flammes naissantes. Il déposa dessus une grille graisseuse et s’assit par terre à côté de Dwayne. Il ne faisait pas froid mais les deux hommes prirent quand même une chaise et s’installèrent autour du feu en étirant leurs jambes, regardant les étincelles s’envoler dans la volupté vespérale de la ville. « J’ai bien envie d’aller pêcher un de ces soirs. Je crois que les conditions sont bonnes. L’eau est encore suffisamment chaude et le poisson vient mordre, d’après ce que j’ai pu entendre au bar. – Ça marche, répondit Gerry Robert en nettoyant la grille avec une serviette. On peut faire griller les steaks. – Attends un peu. Il n’y a pas encore assez de braise. – Je me demandais si ça ne te manquait pas les grandes virées à travers le pays ? Comme quand tu étais plus jeune. J’ai pas voulu dire que t’étais vieux, c’est pas ça, hein ! » se reprit Gerry Robert, réalisant qu’il avait été maladroit. Mais Dwayne se mit à rire et lui frappa doucement le pied avec le sien. « T’inquiète pas, fils. Je ne m’ennuie pas avec ce boulot que j’ai pour le journal. Ils me foutent la paix et j’ai tellement de sujets à leur présenter pour honorer mes engagements… Le fait de vivre ici, ça ne me gêne pas. Ici ou ailleurs, ça ne fait plus une grande différence. » Dwayne avait signé un contrat avec le National Geographic. Il leur envoyait des reportages qu’il réalisait à travers les comtés de l’État et il pouvait aussi recevoir des commandes sur un thème particulier en fonction de l’actualité du mois. « Je sillonne encore les routes, plus comme avant c’est vrai mais ça me garde en forme. Après-demain, je vais passer la journée avec Gary et son équipe qui travaillent à l’ouest de la ville. Il y a encore des hommes qui sont capables de sentir vibrer la nature 24
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sous leurs pas, qui marchent dans la poussière ou qui laissent les empreintes de leurs pieds dans la terre. Pendant longtemps, j’ai rejeté la vie rurale en m’enfuyant vers les villes mais il arrive que le passé te remette la main dessus et là, tu ne peux pas résister. Tu peux pas gagner contre le passé. » Il prit avec une longue fourchette le premier morceau de viande et l’étala sur la grille puis il fit de même avec l’autre. La chair fut saisie sur le fer brûlant et une odeur agréable se mêlait à la fumée des braises. « Lorsque j’étais encore qu’un gamin, fit Dwayne, mon père m’emmena un jour dans la forêt pour chasser. Je marchais derrière lui et j’essayais de ne pas faire trop de bruit. Quand soudain, caché à l’abri des bouleaux, nous aperçûmes un cerf qui se nourrissait de feuilles d’arbustes. J’avais rechigné à le suivre mais lorsque je vis l’animal, je fus heureux d’être là. C’est alors que mon père s’est tourné vers moi et il m’a tendu son fusil. J’ai refusé de saisir l’arme. Alors, j’ai vu sa mâchoire se serrer puis il s’est tourné vers le cerf et l’a visé. À ce moment, j’ai senti mon cœur s’accélérer dans l’attente de la détonation et, sans pouvoir me contrôler, je me suis mis à hurler. J’ai vu l’animal bondir et s’enfuir dans les bois sans que mon père ait eu le temps d’appuyer sur la gâchette. Il s’est alors tourné brutalement, les yeux exorbités, et il a levé la main sur moi mais il ne m’a pas frappé. Il était silencieux, haletant, pris dans de sombres pensées et l’incompréhension qui était la sienne quant à mon attitude, presque douloureuse pour lui. Je compris que mes relations avec mon père allaient devenir difficiles. On est rentrés à la maison et j’appris plus tard qu’il avait raconté ce qui s’était passé à ma mère. Elle n’avait pas su de toute évidence trouver les mots qu’il voulait entendre. Les jours qui suivirent furent assez calmes, trop calmes peut-être, mais j’avais dans l’idée que mon père n’allait pas me lâcher. Il ne pouvait pas admettre que son fils ne respectât pas les traditions. C’est le mot qu’il employait souvent. » Gerry Robert écoutait le récit de Dwayne. Il se redressa et retourna les deux morceaux de viande qui grillaient lentement 25
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au-dessus du feu. La nuit venait paisible vers eux, affranchie des dernières lueurs noires du soleil pour pouvoir enfin dévoiler la profondeur impénétrable de ses entrailles, qui allait envahir la terre. Dwayne continuait de parler, plongé dans ses souvenirs. « Il me disait toujours que pour être un homme, il fallait porter un chapeau et des bottes en cuir. Mais plus important encore, il fallait avoir une arme et savoir s’en servir. Il était convaincu que ce qu’il disait était une vérité imprescriptible, au nom de ces putains de traditions. La semaine suivante, ma mère était partie passer quelques jours chez sa sœur à Mesa, près de Grand Junction. La maladie de ma tante s’aggravait et maman, inquiète, voulait être à ses côtés pour l’aider un peu. Mon père me dit un soir qu’il s’absenterait le lendemain et serait de retour en milieu d’aprèsmidi. Il me demandait de l’attendre. Il avait du mal à accepter le fait que je sois le seul gamin du coin à exhiber une casquette des Denver Nuggets, alors que les autres avaient leur chapeau style western country. Il trouvait inquiétant qu’un enfant de mon âge puisse préférer porter des chaussures en toile plutôt que d’enfiler une bonne vieille paire de bottes en cuir. Des chaussures de basket en toile, même avec le nom de Chuck Taylor inscrit sur l’étoile, passait encore, mais le refus de tenir une arme en main était un comportement inadmissible pour lui. Il arriva vers les trois heures. Je vis se dessiner sur sa figure un sourire étrange alors qu’il me dévisageait avec un vague dégoût sur les lèvres. Il passa devant moi avec son fusil et un sac fermé qui contenait quelque chose de vivant. Il avait planté, derrière notre ancienne maison, un poteau téléphonique d’à peu près un mètre quatre-vingt de hauteur pour un diamètre d’environ vingt centimètres. Il me demanda de le suivre et je le suivis. Il posa le sac par terre et saisit le manche d’un poignard et coupa la lanière avant de planter le poignard sur le haut du poteau. Il plongea sa main gantée à l’intérieur et en ressortit, à ma grande stupeur, une marmotte à ventre fauve qu’il tenait par le cou. L’animal était effrayé. Il connaissait des prédateurs féroces comme le lynx, le coyote, les aigles et les faucons, et 26
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il connaissait les hommes. Et il avait rencontré le plus cruel, le plus sanguinaire d’entre eux, mon père. Il avait capturé cette pauvre bête dans la prairie et l’avait emmenée jusqu’ici, vivante. J’ai su à cet instant que la marmotte allait payer pour la fuite du cerf. À moins qu’il n’ait voulu me punir moi, pour cette trahison. Il avait dans l’autre main un morceau de fil de fer barbelé qu’il fit passer autour des pattes de l’animal et, à l’aide de tenailles, il serra les deux extrémités derrière le poteau. Il avait toujours ce même rictus sadique aux commissures des lèvres. La marmotte poussait des cris aigus insoutenables et paraissait s’étouffer. Il prit ensuite un autre morceau et le passa autour du cou du rongeur qui continuait à secouer ses pattes de derrière et à se tordre sur le pieu. Mon père me saisit alors par le col et me traîna en arrière sur une dizaine de mètres. Il vérifia que la Remington 22 Long Rifle était chargée, avant de me mettre l’arme entre les mains. Je vis maintenant la colère et l’horreur apprivoisée de l’hystérie sur ses traits. Quand il me dit de faire feu, je crus que j’allais m’évanouir. Je ne pouvais pas faire ça. La marmotte remuait et essayait de se libérer mais elle était condamnée. Il me répéta plusieurs fois de tirer, d’abord debout à côté de moi puis il se mit dans mon dos. À cet instant, il me prit la carabine des mains et se dirigea d’un pas foudroyant vers le poteau. J’aurais voulu m’enfuir mais mes jambes refusèrent d’obéir. Il retira le poignard planté dans le bois et soudain d’un coup de lame, je le vis sectionner la truffe de la marmotte. Les cris devinrent alors spasmodiques, moins stridents. Et dans un ultime coup de semonce, il enfonça lentement le poignard, les deux mains posées à plat sur le manche, dans le muscle de la chair entre une patte et la queue. Il revint vers moi et me tendit à nouveau la carabine, hurlant de toute sa rage fanatique : « Tire, où elle va agoniser longtemps avant de crever. » Ma peur disparut aussitôt et je fus envahi par une haine si puissante, si pure que je levai la carabine et visai la marmotte en pensant que c’était lui qui se trouvait ligoté à ce poteau, en face de moi. Je sentis des larmes couler sur ma figure. Lorsque j’appuyai sur la détente, je fus d’abord surpris par 27
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le faible recul de la carabine, m’attendant à me retrouver culbuté par terre après le coup de feu. J’avais manqué la marmotte et mon père me dit de me concentrer et de maîtriser ma respiration et mes tremblements. Je tirai alors plusieurs coups et je sus que j’avais atteint l’animal. Il m’arracha alors la carabine des mains et me poussa pour que je m’approche de ma victime. Je vis la fourrure brune de la marmotte souillée. L’animal tressaillait encore sous de piteuses convulsions et j’étais là, dévoré par cet acte de barbarie. Mon père reprit son couteau et lui trancha soudain la gorge. Je ne parvenais pas à fermer les yeux. Le sang coulait sur le poteau. Je pus enfin détourner mon regard et je le fixais qui s’éloignait, le fusil dans une main et ajustant son chapeau de l’autre. Il pensait qu’il avait fait de son fils un homme. Il avait sans doute perpétué la tradition et il tenait sa victoire. Jamais je ne lui ai pardonné. » Dwayne prit un steak sur la grille et servit Gerry Robert puis il mit la deuxième part dans une assiette et ils mangèrent sans parler. La nuit les avait maintenant recouverts. Quand ils eurent terminé, ils burent une bière et restèrent autour du feu. Dwayne ramassa du bois et le jeta sur les braises. Quand le feu se réveilla, les flammes éclairèrent leurs visages. Ils ne firent rien d’autre que de regarder ces flammes dansantes en continuant à les nourrir pour qu’elles ne faiblissent pas. « Tu sais ce qu’il y a de plus effrayant dans cette histoire ? finit-il par demander à Gerry Robert. – Non. Mais sûrement pas le fait que tu aies voulu tuer ton père. – Eh bien, dit-il, c’est que ce poteau qu’il a planté était à hauteur d’homme. Il a voulu que je m’exerce au tir sur une cible qui avait l’apparence symbolique d’un être humain. Quelque part, la finalité du maniement d’une arme à feu ne trouve sa justification inavouable que dans le meurtre d’un homme. – Tu n’es pas un assassin, Dwayne. – Non, et pourtant je l’ai tué. Pas physiquement mais en un sens, je l’ai bien tué. Lorsque les médecins lui ont dit qu’il était 28
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foutu, il n’a pas cherché à se rapprocher de moi. Ni moi de lui. Le jour de son enterrement, après la cérémonie, je suis allé récupérer dans leur chambre son chapeau que ma mère n’avait pas voulu déposer dans le cercueil. J’étais assis dehors et je le faisais tourner entre mes mains. Et puis, je me suis dirigé vers ce poteau et je l’ai posé dessus. J’ai pris un clou et un marteau et je l’ai planté au milieu parce que je ne voulais pas qu’il s’envole. – Qu’il s’envole ? – Ouais. Je suis rentré à la maison et j’ai chargé la carabine Remington. J’ai compté dix mètres et je me suis concentré pour ne pas trembler. J’étais face à ce maudit poteau. Ma respiration était lente et j’ai attendu, attendu encore et j’ai tiré. En m’approchant, j’ai constaté que la balle l’avait effleuré. Je suis revenu sur mes pas et j’ai tenté de canaliser mes émotions. Je devais faire disparaître toute trace de haine et de colère, la moindre sensation de peur. Lorsque j’ai appuyé sur la détente, son compte était réglé. J’ai laissé tomber l’arme à terre et j’ai rejoint l’étrange totem autour duquel j’avais pratiqué cette étrange catharsis. Je voyais le trou en plein milieu du front. Il y avait encore le sang séché de la marmotte sur le bois. Je ne sais pas qui a décroché le chapeau de là ni ce qu’on a pu en faire, mais à mon retour au pays, le poteau était encore debout. C’est celui que tu vois là-bas, derrière les arbres. – Et la carabine ? – Elle est dans le mobile home. – Tu l’as toujours ? interrogea le gamin fasciné. – Je l’ai toujours. Me demande pas pourquoi. » Gerry Robert se leva avec sa bouteille de bière et regarda Dwayne qui s’était allongé près du feu. « Ça fait un moment que je voulais t’en parler et je crois que, après ce que tu m’as raconté, je peux te le dire. – Qu’est-ce qu’il y a ? – Je crois que j’ai une idée géniale. Si on partait sur les routes avec le mobile home ? – Je crois que tu es complètement frappé. 29
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– Et pourquoi pas ? – Plus de vingt ans qu’il roule plus ce camion. Je faisais tourner le moteur pour qu’il ne s’encrasse pas mais il a plus rien dans le bide. – Je dis qu’on peut essayer. – Je dis que tu es complètement frappé. – Merde alors, tu n’es plus l’homme que tu étais ! – Je crains de jamais l’avoir été… »
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Quatre
La porte s’ouvrit sur des mouvements saccadés, par à-coups, comme combattue par des obstacles invisibles. De petits chocs sourds se firent entendre. Enfin, l’accès fut libre et une voix timide les invita à entrer. Dwayne pénétra le dernier dans la pièce et referma la porte. Il n’y avait que deux fenêtres et l’appartement lui parut sombre. Une petite lampe était allumée pour compléter le faible éclairage du jour. Jack Harlan Thornton se tenait sur le côté. Ils s’avancèrent sur le canapé au milieu de la pièce et Gerry Robert fit les présentations. Dwayne posa son sac et s’assit. « Comment ça va se passer ? demanda Jack Harlan. – Je demande aux modèles qui posent pour moi de ne pas poser. Il y a un certain temps d’adaptation où il faut attendre d’être à l’aise pour commencer à travailler. Ce que j’attends de toi, c’est que tu oublies que je suis là. Je veux saisir les moments les plus intimes des gens, les choses personnelles et privées qu’ils font dans leur vie de tous les jours. Je ne fais pas dans le sensationnel. Rien que des situations ordinaires. Rien que des gestes quotidiens. Rien que des circonstances banales sans vernis ni artifices illusoires. – Vous me demandez de ne rien faire de spécial ? – C’est toi qui m’offres ce que tu veux. – Gerry Robert m’a montré des photos assez hard. – C’est aux personnes de me livrer ce qu’elles veulent. Mais quand elles me donnent, je ne rends pas. – Qu’est-ce que vous allez en faire de tout ça ? 31
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– Livre, expos… Pour l’instant, je ne sais pas encore très bien. Mais en tout cas, ce sont des photos que le grand public verra. Alors, réfléchis bien. – Vous voulez commencer quand ? – Je te l’ai dit. C’est toi qui décides de ce que sera une séance. – On peut y aller ? – Je prépare le matériel. » Gerry Robert connaissait Jack Harlan depuis l’année dernière. Ils s’étaient rencontrés dans le bus qui les avait transportés pour la première fois jusqu’à Boulder, quand ils y étudiaient encore tous les deux avant que Jack Harlan ne rejoignît la CSU Extension au bout de six semaines. Il était assis à l’avant, à côté du chauffeur et n’était jamais allé dans une grande ville comme celle-là. Il était partagé entre la joie d’une émancipation nouvelle, gagnée à la force du caractère et le doute de se retrouver seul, loin de tout ce qu’il connaissait. Il était fasciné par les paysages qu’il voyait défiler. Les montagnes du Rocky Mountain National Park étaient vraiment hautes. Il les voyait maintenant de près, roulant sur la Highway 34. Il ne s’était pas imaginé qu’il éprouverait une telle sensation d’espace. Dwayne fit rapidement le tour de l’appartement. La pièce principale, mal éclairée, comprenait un coin cuisine et une table sans chaises pour manger. La salle d’eau et les toilettes étaient séparées et Jack Harlan dormait dans une chambre aveugle aux murs humides. Il n’y avait pas de couloir. Dwayne prit deux appareils et fit passer les sangles sur ses épaules. Il avait choisi une ouverture large et un angle très rapproché. « Tu restes avec nous ? demanda-t-il à Gerry Robert. – Non, je vais vous laisser bosser. » Dwayne était prêt et il se plaça à côté de la porte. De là, il avait une vue d’ensemble qui lui permettait de voir venir et de s’adapter à Jack Harlan. Gerry Robert Llewellyn sortit de l’appartement. « On se voit plus tard », dit-il. 32
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Dwayne acquiesça d’un signe de tête et il claqua la porte derrière lui. « Je peux me mettre devant la télé ? – Ne me parle pas, Jack Harlan. Fais ce que tu veux. C’est par ce que tu fais ou ne fais pas que tu t’exprimeras le mieux. C’est ce que les gens dissimulent qui révèle la vérité d’une photo. Que ce soit par honte ou par crainte d’être jugés, ils cachent ce qu’ils croient mauvais pour eux. C’est absurde. – Je crois que je comprends. » Il se dirigea vers les toilettes et poussa la porte, se penchant vers l’avant. Les roues du fauteuil butèrent sur le cadre et il actionna le frein pour que l’engin ne recule pas. Dwayne s’était rapproché et avait commencé à le photographier. Jack Harlan se hissa de façon misérable et pendant qu’il s’appuyait sur la poignée de la porte d’une main, il posa l’autre sur l’abattant des chiottes et fit pivoter son corps. Il parvint à s’asseoir et fit sauter les boutons de son pantalon qu’il laissa glisser sous son cul, jusqu’au niveau des genoux. Et des deux mains, il le fit tomber sur les chaussures. Dwayne entendit l’urine s’écouler dans l’eau de la cuvette et prit plusieurs photos de Jack Harlan qui avait gardé la tête baissée. Puis il la releva soudain et regarda l’objectif. « Toute ma vie, j’ai pissé assis comme une femme. » Il ne bougeait plus. Dwayne, qui était resté à la même place, remarqua la laideur gênante de ses jambes décharnées mais dans un contraste anatomique radical, les muscles saillants et renflés de ses bras. Ses membres inférieurs n’étaient pour lui que deux morceaux de bois sans aucune sensibilité. Jack Harlan fit remonter le pantalon et le fit à nouveau glisser sous ses fesses. Des gouttes de pisse coulèrent de son sexe et mouillèrent le slip, remonté sur ses cuisses. Il se reboutonna et s’accrocha à la poignée de porte et s’assit sur le rebord de l’abattant. Il se contorsionna et tira la chasse d’eau. De sa main gauche, il agrippa l’encadrement et se tracta dans l’embrasure, enfin il bascula dans le fauteuil. Il déverrouilla 33
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le frein et s’avança vers la salle de bain où il put se laver les mains sans difficultés. « Ce sont de bonnes photos ? – Tu veux les voir ? – Je peux ? » Dwayne vint s’asseoir sur le canapé et lui mit l’appareil sur les genoux. « Tu n’as qu’à appuyer ici pour faire défiler les images. » Jack Harlan était attentif et prit le temps qu’il fallait pour les regarder toutes dans le détail. Il tendit l’appareil à Dwayne et le dévisagea pour savoir ce qu’il en pensait. « Elles te plaisent ? demanda Dwayne. – Un peu sombres, non ? – Ça donne une ambiance. Je crois que tu as pigé le truc et, si tu veux, je pourrai faire une série avec toi. Si tu n’as pas peur de t’exposer, on devrait faire du bon boulot. – Je crois savoir ce que vous recherchez. – Tant mieux. – Je ne crois pas que vous profitiez de la détresse des gens pour faire votre business. Et j’ai assez aimé le travail que vous avez fait avec les vieilles putes. – Comment ça se passe pour toi ? – À Boulder, ça s’est bien passé. Je n’étais pas le seul étudiant handicapé et les accès étaient bien aménagés. Ils ne faisaient pas de différence entre un gars comme moi et un valide. Ici, les gens disent que je porte la poisse. Mais je laisse dire. Je peux rien y faire, après tout. – Ce sont des ignorants. Je crois que tu te débrouilles comme un chef. Ça ne doit pas te détruire le moral. – Je peux encore supporter ce genre de conneries. Mais c’est dur quand tu vas pisser et que vingt minutes plus tard, tu as envie de chier. C’est dur quand tu ne peux pas te torcher le cul comme tout le monde et quand, pour ne pas tacher tes sous-vêtements de merde, il te faut presque une heure pour te laver. Et ça, c’est quand 34
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je suis chez moi. Tu imagines ce qui se passe entre deux cours à la fac pour simplement aller aux toilettes ? Ces choses-là, les gens que tu rencontres, ils ne peuvent pas y penser. Ils trouveraient ça dégradant et avilissant. – C’est pour ça que je fais ces photos. – Quand Gerry Robert m’a parlé de toi, je me suis dit que c’était peut-être le moment de m’élever un peu de ce fauteuil et de cette puanteur. On se revoit quand ? »
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