Conseil interdiocésain des laïcs
Pratiquer la démocratie dans l’Église ?
fidélité
Conseil interdiocésain des laïcs (C.I.L.)
Pratiquer la démocratie dans l’Église ?
fidélité
Publications du C.I.L. : Magistère et peuple de Dieu (1990) Migrations : la problématique des réfugiés (1996) A propos de l’éthique aux frontières de la vie (1997) A l’écoute des catholiques du parvis (1998) Quelle Église pour demain ? (1999) Pas de brevetage du vivant (2001) La place des femmes dans l’Église (2002) Pratiquer la démocratie dans l’Église ? (2002)
C.I.L. • 1, rue Guimard • 1040 Bruxelles • cil@cil.be • www.cil.be
© Fidélité • 7, rue Blondeau • 5000 Namur • Belgique info@fidelite.be Dépôt légal : D/2002/4323/18 ISBN : 2-87356-244-7 Photo de couverture : Charles Delhez, s.j.
Avant-propos
« Le peuple élu de Dieu est donc un : Un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême (Ep 4, 5). La dignité des membres est commune à tous par le fait de leur régénération dans le Christ ; commune est la grâce des fils, commune la vocation à la perfection, unique est le salut, unique l’espérance et indivise la charité. Il n’existe donc pas d’inégalité dans le Christ et dans l’Église en raison de la race ou de la nation, de la condition sociale ou du sexe, car il n’y a plus ni juifs, ni gentils, il n’y a plus ni esclaves ni hommes libres, il n’y a plus ni hommes ni femmes : vous êtes tous un dans le Christ Jésus (Ga 3, 28). » Concile Vatican II, Lumen Gentium, 4, 32
Lors du colloque organisé à Louvain-la-Neuve par le Conseil interdiocésain des laïcs (C.I.L.) sur le thème « Quelle Église pour demain ? » (28 novembre 1998), un des ateliers a fait entendre un plaidoyer vigoureux pour le développement de pratiques démocratiques dans l’Église catholique et a demandé que cette question soit inscrite parmi les priorités du C.I.L. Pour répondre à cette attente, le C.I.L. a chargé une commission de préparer un projet de document. Ce texte, élaboré et discuté au cours de nombreuses réunions, a été amendé et finalement approuvé par l’Assemblée générale du 8 juin 2002. Le souhait de cette Assemblée est que les propositions ici présentées soient l’objet de débats dans l’Église catholique de Wallonie et
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de Bruxelles. Qu’elles aident à la réflexion des communautés de chrétiens et chrétiennes, petites ou grandes, officielles ou privées. Qu’elles atteignent aussi et surtout les autorités concernées et les poussent à prendre les décisions courageuses qui paraissent bien s’imposer. Paul Löwenthal Président du C.I.L.
Introduction
Lorsqu’on parcourt l’histoire de l’Église, on est frappé de voir la grande diversité des formes qu’elle a connues. Tout en s’efforçant de rester fidèle à sa mission — et précisément pour lui être fidèle — l’Église n’a cessé d’évoluer et de s’adapter selon les temps et les lieux. Les plus âgés d’entre nous ont vécu cette adaptation de façon spectaculaire en ce qui concerne le catholicisme : l’Église d’aujourd’hui ne ressemble plus guère à celle de leur enfance. La plus visible de ces transformations a été celle de la liturgie. Mais d’autres changements moins visibles se sont produits. Ainsi la multiplication des postes occupés par des hommes et des femmes qui ne font pas partie du clergé, lequel jusqu’alors avait un quasimonopole des fonctions dans l’Église. Autre changement : la multiplication des conseils, paroissiaux, pastoraux, presbytéraux, qui donnent de notre Église une image plus participative, moins cléricale. Dans des pays voisins, la vieille institution des synodes diocésains a retrouvé une nouvelle jeunesse, mobilisant des milliers de croyants qui jusqu’alors ne s’étaient jamais sentis consultés. Qu’une telle évolution ait été possible, montre combien l’Église est vivace, désireuse et capable de se réformer elle-même. Le vrai miracle est que l’Église ait survécu, a-t-on ironisé. On peut y voir un signe, en effet : un signe d’espérance. Minoritaire désormais chez nous (et notre document s’enracine clairement dans notre expérience européenne), l’Église reste levain dans la pâte.
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Mais ce n’est là qu’un côté de la médaille. Faut-il rappeler la chute rapide de la pratique religieuse dans nos pays ? Tant d’églises presque vides le dimanche, les confessionnaux désertés, les séminaires dépeuplés se regroupant pour survivre, maints noviciats fermés… Malgré quelques manifestations spectaculaires qui drainent encore un certain public, chacun de nous peut constater à quel point l’audience de l’Église catholique ne cesse de fondre. Dans l’opinion publique, dans la pratique politique et celle des affaires, dans les comportements journaliers, quel est encore son impact ? Nous savons, certes, que cette perte d’influence ne résulte pas d’un seul et unique facteur : les causes sont multiples et complexes. L’important d’ailleurs n’est pas l’influence de l’Église, mais ce que l’Évangile peut apporter à la vie en société. En effet, ce qui nous anime en présentant ce travail, c’est la conviction qu’aujourd’hui encore l’Évangile peut être une « Bonne Nouvelle » pour nos régions, et que les personnes et la société gagneraient à s’en inspirer. Si l’Évangile nous tient à cœur, si nous croyons à sa fécondité ici et maintenant, nous ne pouvons nous résigner à la situation présente de notre Église : celle-ci doit s’interroger et se transformer, en fidélité à l’Évangile et en adéquation avec les signes des temps qu’elle vit. Nous ne sous-estimons pas le nombre de ceux et celles qui, au sein de notre Église, y compris dans sa hiérarchie, militent pour lui donner un visage plus évangélique. Leurs efforts portent sur les secteurs les plus divers. Nous avons choisi cette fois d’en privilégier un à cause de son importance : celui de son fonctionnement, de ses relations internes, de la participation ou non de l’ensemble du peuple de Dieu à sa démarche. Les laïcs se savent et se veulent coresponsables de leur Église : tel est notre point de départ et tel sera notre souci dans la réflexion que nous voulons susciter.
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Notons d’emblée qu’il existe déjà bien des espaces de liberté et de participation dans l’Église, et que nous ne les exploitons pas pleinement. Toutefois, beaucoup de ces possibilités ne sont pas structurelles, mais contextuelles. Elles dépendent de la personnalité du pasteur qui les promeut, les accepte ou les supprime. Ce sont donc des lieux fragiles et il n’est pas exceptionnel que de nouveaux évêques ou curés commencent leur mission en détruisant ce qui avait été construit avant eux, par des laïcs ou avec eux. Soucieux de corriger ces déficiences, devons-nous pour autant en appeler à la notion politique de « démocratie » ? Pourquoi ne pas recourir plutôt à des mots de consonance plus communautaire, comme « participation » ou « partenariat » ? La réponse est que nous vivons dans une société où la culture démocratique dépasse de loin les structures politiques : elle imprègne notre agir ensemble. Ce qui est positif dans la société qui nous entoure, pourquoi ne l’appliquerions-nous pas aussi à nos communautés chrétiennes ? D’autant que, nous le verrons, rien dans le message de Jésus Christ ne s’oppose à un tel mode d’agir ensemble, bien au contraire. Si nous voulons communiquer le message évangélique comme une Bonne Nouvelle aujourd’hui, nous devons faire qu’on puisse dire, non seulement « regardez comme ils s’aiment », mais aussi « regardez comment ils se gouvernent ». La crédibilité d’une annonce de l’Évangile dans notre société en dépend. Les causes de la crise actuelle sont sans doute multiples, mais nous sommes persuadés que l’absence d’une vraie démocratisation des pratiques d’Église pèse d’un grand poids dans la désaffection grandissante que l’on observe. Ce n’est pas là une question accessoire, c’est une interpellation qui s’adresse à tous les baptisés. Car tous sont appelés à proclamer la Bonne Nouvelle et à instaurer le Royaume, mais cela se fait en Église. Si l’Église veut y répondre, ce sera le résultat d’actions qui y seront menées : l’Église ne progresse que si nous la faisons progresser.
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Or que voyons-nous ? Des croyants motivés ont le sentiment que Dieu les appelle à se sentir responsables de la vie de leur communauté, mais que « l’Église » les refoule. Une Église que ces fidèles sont conditionnés à réduire à sa hiérarchie. Or, l’Église est plus que cela. Des réformes utiles y sont déjà intervenues, mais le décalage culturel reste immense entre le fonctionnement de l’institution Église et ce qu’on appelle communément démocratie dans la société civile. C’est là une réalité qu’on ne peut ignorer aujourd’hui. Des clercs revendiquent une forme de démocratie, en termes de collégialité épiscopale notamment. Les laïcs la revendiquent et la proposent, assumant ainsi leur responsabilité. Nous ne pouvons toutefois ignorer les difficultés de cette démarche. Clercs comme laïcs, nous n’y sommes pas bien préparés. Nous devrons tous apprendre. Les clercs sont mal conditionnés par leur statut historique. Mais nous laïcs ne sommes guère mieux préparés par un long passé d’obéissance ou par notre difficulté à gérer nos démocraties civiles. Le présent document se propose de contribuer à réduire le décalage entre le fonctionnement de l’Église et les valeurs démocratiques, à la fois en cherchant à éclairer ses causes et en se risquant à des propositions de changement. Notre objectif sera atteint si, en suscitant le débat sur ces questions tant parmi les « simples fidèles » qu’avec l’épiscopat, nous avons pu contribuer pour notre part à faire en sorte qu’un plus grand nombre de catholiques, en Wallonie et à Bruxelles, se sentent vraiment porteurs de leur Église et responsables de sa mission. L’ancien maître de l’ordre des dominicains, Timothy Radcliffe, rappelait à Manille, en décembre 2000, que le génie de saint Dominique avait doté son ordre « de solides poumons [un gouvernement démocratique] qui nous soufflent vers la mission et nous réinspirent dans la communauté ». Ne pourrait-on faire un rêve identique pour l’Église catholique, à commencer par nos régions ?
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Notre démarche Nous avons adopté la démarche « voir - juger - agir ». En un premier temps, nous nous interrogeons sur nos pratiques d’Église en matière de gouvernement et de participation de l’ensemble des baptisés (chapitre 1). Cet état des lieux nous oblige à constater qu’à côté de quelques indices encourageants, beaucoup de catholiques engagés ne se sentent pas pris au sérieux dans leur propre Église. Une deuxième étape nous a paru nécessaire : essayer de comprendre comment on en est arrivé là, éclairer les causes de ces mauvais fonctionnements. Comment guérir une maladie si on n’atteint pas les racines du mal (chapitre 2) ? Voilà pour le « voir ». Pour « juger », nous avons réfléchi à l’idéal démocratique qui porte les aspirations des chrétiens et des chrétiennes dans le monde d’aujourd’hui (chapitre 3). Nous montrerons ensuite leur légitimité au regard des Écritures, des leçons de la Tradition et de la théologie (chapitre 4). Ayant ainsi dégagé le terrain et circonscrit les enjeux, tels que nous les voyons et en les ouvrant au débat, nous pouvons passer à « l’agir ». Ayant « pensé globalement » nous proposons « d’agir localement » : si nos réflexions ont forcément porté sur l’Église universelle dont les règles nous régissent, c’est à l’Église de Wallonie et de Bruxelles que nous adressons nos propositions. Nous repérons une série de points sur lesquels des progrès sont à nos yeux nécessaires sinon indispensables. Nombre de ces changements peuvent d’ailleurs se réaliser dans le cadre des règles canoniques et conciliaires en vigueur.
1 Une situation souvent frustrante
Qui d’entre nous n’a entendu les doléances de tel ou tel groupe de laïcs engagés dans la vie de l’Église, au sujet du cléricalisme encore régnant et de ses multiples formes ? Pour dépasser les impressions globales et nous appuyer sur du concret, nous avons demandé à des correspondants, de Belgique et d’ailleurs, de nous envoyer des exemples récents tirés de leur expérience locale. Nous avons été submergés de réponses, significatives d’une volonté de plus en plus générale de laïcs de prendre effectivement leurs responsabilités ecclésiales, et qui incriminent la persistance de comportements autoritaires et l’absence d’un minimum de participation des personnes concernées. Ces faits vécus apportent une densité humaine importante à notre propos car ils témoignent de situations souvent douloureuses. En outre, ils sont révélateurs d’un malaise assez répandu. Respectueux des situations personnelles, nous ne les évoquerons ici que sous la forme de catégories générales.
Des fonctionnements institutionnels sans consultation Une première catégorie touche à l’attribution des postes de responsabilité, qu’il s’agisse des nominations de curés de paroisse ou des évêques.
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Parlons d’abord des nominations dans les paroisses et les doyennés. Plusieurs cas nous ont été signalés où un curé nommé sans consultation des paroissiens détruisait en peu de temps ce que ses prédécesseurs — et ses paroissiens — avaient mis des années à mettre sur pied. De tels cas font rarement la une de la grande presse, mais c’est peut-être la source de frustration et de découragement la plus fréquente parmi les catholiques de la « base ». Un autre point souvent évoqué est celui des nominations d’évêques. En règle générale, le pape choisit le nouvel évêque parmi trois « nominés » présentés par la Conférence épiscopale locale. De plus en plus souvent, Rome semble s’écarter de cette procédure, pour nommer des candidats sans doute jugés plus « conformes » aux yeux d’une fraction conservatrice. De telles désignations ont à maintes reprises brisé l’élan de renouveau d’une Église locale. Ce fut le cas pour les Pays-Bas et la Suisse, lors des transformations d’après le Concile. Ce fut le cas en divers lieux du Tiers Monde, singulièrement en Amérique latine et pour succéder à des évêques prophétiques comme le furent Mgr Helder Camara ou, après un bref interrègne, Mgr Romero. C’est le cas chez nous aussi, osons le dire, pour l’Église de Namur : après une assemblée diocésaine qui faisait augurer d’une Église particulièrement vivante, le choix fait à l’encontre des propositions locales a créé un véritable divorce entre le nouvel évêque et une grande partie du clergé et des fidèles les plus engagés. D’autres cas illustrent des situations où l’absence totale de participation ou de contrôle démocratique provoque non seulement des frustrations mais une véritable indignation. On se souvient du choc provoqué chez les diocésains d’Évreux par la destitution de leur évêque, Mgr Jacques Gaillot — une décision dont le retentissement a été considérable, et pas seulement en France : en Belgique, en Espagne, au Canada. Dans un autre domaine et en dépit de demandes instantes, Rome refuse toute adaptation aux différentes cultures des règles canoniques de l’Église latine, très marquées par
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le juridisme romain — par exemple celles concernant le mariage — en faveur des sociétés et Églises si différentes d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique Latine. Un problème assez proche se pose à propos des créations de diocèses. En Belgique, par rapport à la population de catholiques, le nombre des diocèses est un des plus bas d’Europe occidentale. Depuis la création des diocèses d’Anvers (1963) et de Hasselt (1967), on ne semble plus se préoccuper de mettre en œuvre les directives du concile Vatican II concernant la délimitation des diocèses (Christus Dominus 22-24) en vue de rendre les évêques titulaires plus proches de leurs diocésains. Et cela, malgré des demandes répétées et argumentées de la part de nombreux fidèles et malgré l’engagement explicite du Saint-Siège de faire coïncider les limites des diocèses et celles des entités politiques et administratives.
Les droits des personnes Une catégorie différente de griefs concerne les droits sociaux et syndicaux des travailleurs pastoraux. Dans plusieurs cas et de façon unilatérale, on a vu la hiérarchie décider pour ses auxiliaires laïcs des incompatibilités entre l’exercice de certains de ces droits et leurs activités pastorales. Quelques cas nous ont été signalés également où l’on a empêché certains d’exercer des mandats politiques « à la carte », selon que la personne concernée opère des choix conservateurs ou progressistes. Dans un domaine où tant d’ambiguïtés sont possibles, un minimum de concertation fait souvent défaut. Une autre catégorie de faits relevés concerne la liberté d’opinion, d’expression et de recherche. Relativement rares chez nous, ces faits ont souvent défrayé la chronique dans l’Église universelle. Les recherches des théologiens qui s’écartent des sentiers battus pour tenir compte des innovations de la science ou de la
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réflexion sont régulièrement suspectes a priori, bloquées ou sévèrement freinées — quitte à être plus tard reconnues et même louées… Ces derniers temps, la méfiance se porte très spécialement sur ceux qui se préoccupent de rechercher une véritable ouverture vers d’autres religions. Jusqu’il y a peu, la Congrégation pour la doctrine de la Foi imposait à ceux ou celles qu’elle suspectait des traitements qui feraient accuser de violation des droits humains tout gouvernement qui les pratiquerait. Elle a amélioré ses procédures, mais celles-ci sont encore loin de correspondre à ce qu’on pourrait légitimement attendre. Une autre catégorie encore, très abondante, touche à la manière dont sont gérés les abus sexuels de la part de membres du clergé. Ce qui est stigmatisé par nos correspondants, c’est non seulement le mal fait aux victimes, mais aussi, de la part de la hiérarchie, la tendance à voiler des agissements répréhensibles ou à les minimiser. Enfin, l’on ne saurait parler du droit des personnes sans rappeler le refus de principe de voir les femmes accéder aux ministères ordonnés. Elles peuvent participer à toutes les responsabilités consenties aux laïcs et elles y sont même incitées. Mais elles ne peuvent accéder à l’autorité. La raison alléguée est scripturaire : Jésus n’ayant pas admis de femme parmi ses apôtres, singulièrement à la dernière Cène, l’Église catholique ne se reconnaît pas le droit d’ordonner des femmes. On sait que de nombreux exégètes catholiques, y compris la très officielle Commission biblique, contestent la valeur de ce raisonnement.
Une mauvaise gestion des conflits Un domaine où l’absence de procédures démocratiques apparaît également dommageable est la manière dont sont gérés les
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conflits, par exemple en cas de divergences en matière doctrinale ou disciplinaire. Très souvent les procédures prévues manquent de transparence. Il arrive que la personne visée ne sache pas très bien de quoi on l’accuse. Elle n’arrive pas à trouver un interlocuteur, n’a même pas toujours la possibilité de se faire entendre. Celui qui est l’objet de soupçons reçoit parfois l’injonction de se taire. Lorsqu’il y a jugement, c’est d’ordinaire dans la plus grande discrétion, parfois même sans en avertir d’abord l’intéressé. Il arrive que l’on sanctionne sans que l’autorité ait rencontré le prévenu. On a maintes fois aussi relevé les déficiences de la procédure telle qu’elle est prévue dans les divers diocèses en cas de conflit. Même lorsqu’il existe des règles précises, l’examen est souvent non contradictoire. En dernière instance, l’autorité cumule à la fois pouvoir exécutif et pouvoir judiciaire, et c’est elle qui fixe les règles du jeu. En divers cas qu’on nous a signalés, l’autorité s’est trouvée être à la fois juge et partie. La présomption d’innocence n’est pas toujours respectée. Même là où existent théoriquement des possibilités d’appel, elles ne sont pas toujours signalées à l’intéressé ou sont inutilement compliquées et onéreuses. Derrière ces pratiques, on dénonce une confusion regrettable entre pouvoir judiciaire et pouvoir exécutif, sinon même législatif.
Un souci pour l’image de l’Église et son avenir Arrêtons ici ce tableau, qui heureusement ne dit pas tout ce qui se vit dans notre Église et qui dessine davantage une esquisse de l’Église catholique dans son ensemble que le portrait de nos diocèses. On pourrait sans aucun doute signaler, chez nous comme ailleurs, de multiples réalisations positives en matière de participation, de coresponsabilité, voire de cogestion. Le problème est
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bien souvent le caractère ponctuel et fragile de ces réalisations et leur inscription dans la durée, nous l’avons dit. Ces aspects positifs étant reconnus, ne sous-estimons pas l’impact négatif des faits énumérés. Si nous jugeons utile de relever ces diverses déficiences, c’est que certains comportements ne sont plus du tout acceptés. Ils ternissent l’image de l’Église dans l’esprit de ses membres et dans l’opinion publique. Ils occasionnent de nombreuses souffrances. Ils entraînent le découragement et la démobilisation de nombre de catholiques de bonne volonté. Comment, disent-ils, continuer à s’investir dans une institution sur laquelle on n’a aucune prise ? On peut comprendre — sans les imiter, car nous voulons rester d’Église — ceux qui prennent distance par rapport à une Église si profondément en décalage par rapport à la culture contemporaine en nos régions. Redisons-le, ceux et celles qui manifestent ainsi leur insatisfaction, ce ne sont pas des aigris ou des marginaux : ce sont des chrétiens et chrétiennes convaincus qui refusent d’accepter encore des pratiques ecclésiales jugées inéquitables et peu évangéliques. Riches de leurs expériences et compétences les plus variées, des chrétiennes et chrétiens entendent vivre leur foi en adultes. A juste titre, ils se sentent responsables non seulement de leur propre croissance spirituelle mais aussi du fonctionnement de leur Église et de sa mission. Un peuple composé d’adultes ne se laisse plus mener comme un « troupeau docile », selon le mot souvent cité de Pie X. Nous ne pouvons que nous en réjouir.
2 Comment en sommes-nous arrivés là ? L’éclairage de l’histoire
Les multiples dysfonctionnements que nous avons évoqués ne sont pas le fruit du hasard : bien au-delà des erreurs ou des petites mesquineries humaines, c’est tout un système qui est à l’œuvre. Nous pensons même que ce système, parce qu’il s’est doté d’une doctrine qui le sacralise, se présente comme quasiment intangible. Il est un peu comme un organisme sclérosé, devenu presque incapable de s’adapter aux évolutions de la pensée et du monde. Il nous paraît donc impératif d’aller voir, derrière la façade, le fonctionnement caché et idéologique de ce système, d’en démonter les mécanismes élémentaires et d’en montrer la contingence historique. Nous pourrons ainsi, dans la suite de ce travail, indiquer avec plus de précision la nécessité de plus de pratiques démocratiques dans l’Église.
Une Église hypercentralisée Les historiens de l’Église nous montrent, dans les derniers siècles, une extraordinaire centralisation des pouvoirs ecclésiaux dans la personne de l’évêque de Rome et de sa curie. Cette centralisation a connu un sommet lors du premier concile du Vatican
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en 1870, par la définition solennelle de l’infaillibilité et de la primauté de juridiction du pape, ce qui rend évidemment difficile tout changement dans l’organisation de l’Église. Le deuxième concile du Vatican a tenté d’inverser quelque peu cette tendance centralisatrice, en accordant la priorité au Peuple de Dieu par rapport à la constitution hiérarchique de l’Église et en reconnaissant une plus large autonomie aux Églises locales. Mais ces dernières années, nous avons assisté à une érosion progressive de ces avancées et, en corollaire, à une inflation d’encycliques, de décrets et d’ordonnances de toutes sortes. Serions-nous dans une phase de retour à ce qu’on imagine avoir été une unité massive et rassurante ? Certains voudraient nous le faire croire. Ils parlent de la sainte Tradition de l’Église vers laquelle nous serions invités à revenir, après quelques détours plus ou moins aberrants. Pourtant, rien n’est moins évident : la tendance centralisatrice n’a rien d’originel, elle n’est pas un phénomène fondateur. Elle ne s’appuie pas sur une volonté de départ, mais est bien plutôt due à une série de contingences historiques qui n’ont rien à voir avec la nature de l’Église. Nous n’en épinglerons que les deux aspects suivants, unanimement reconnus par les historiens de toutes tendances. D’abord le fait que l’Église, pour protéger son fonctionnement interne des ingérences de pouvoirs profanes, a dû souvent insister sur son autonomie. Elle a tenu à souligner son indépendance, tant dans son autorité intérieure et morale que dans son développement territorial et politique, notamment au Moyen Age, lors des longs conflits entre la papauté et l’Empire. Le recours à l’arme de l’excommunication, redoutable à l’époque, situait Rome comme un contre-pouvoir face aux interventions des princes. L’influence de la Curie romaine s’en est trouvée accrue d’autant. Le statut de souverain temporel dont jouissait le pape ne faisait qu’accroître l’ambiguïté.
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Ensuite, lors du premier concile du Vatican, en 1870, les menaces qui pesaient sur les États Pontificaux ont incité à renforcer le pouvoir spirituel du pape. Malgré les réticences d’une fraction importante de l’épiscopat, il en est résulté une proclamation appuyée et solennelle de l’infaillibilité et de la primauté de juridiction de l’évêque de Rome, accentuant ainsi sa double stature de chef doté d’un pouvoir religieux et moral, mais aussi disciplinaire.
Des fonctions sacralisées, donc intouchables Un autre fruit de l’histoire, qui constitue actuellement un des grands obstacles à toute évolution, est la sacralisation dont a fait l’objet le ministère des évêques et surtout celui des prêtres. Remarquons le vocabulaire employé : on parle du prêtre « revêtu du sacerdoce » ; c’est un « personnage sacré », doté par l’entrée dans les « ordres sacrés » d’un « pouvoir sacré », principalement celui de « consacrer » le pain et le vin dans l’eucharistie. Souvenons-nous du respect dû au calice ou à la patène qui porte l’hostie, qu’un laïc ne pouvait toucher sans commettre un « sacrilège » ! Cet usage redondant et constant du mot sacré et de ses dérivés n’est pas innocent : la sacralisation des lieux, des fonctions, des objets a pour effet de les rendre intangibles, reliés spécialement au divin, chargés d’une aura qui les entoure de mystère et donc dignes d’un infini respect. Plus particulièrement, la sacralisation aboutit, de manière subtile, à séparer du monde ordinaire une catégorie de personnes, une caste de fonctionnaires députés au maniement du sacré et pour ce motif dotés de privilèges ; par là se construit et se préserve une forme de pouvoir qui leur est exclusivement réservé. Cette séparation se renforce d’une ample symbolique ornementale, vestimentaire et rituelle, censément apte à impressionner les foules.
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Dans les textes officiels actuels concernant les fonctions ecclésiastiques et dans les textes canoniques qui s’y rapportent, cette sacralisation est plus que jamais présente. Pour ne citer qu’un exemple, dans l’Instruction sur quelques questions concernant la collaboration des fidèles laïcs au ministère des prêtres, datée du 15 août 1997 et signée par seize éminentes autorités épiscopales ou cardinalices, le vocabulaire du sacré est présent de manière quasi obsessionnelle. Tout l’objectif de ce document est d’ailleurs de bien délimiter le domaine des pouvoirs réservés à ceux « qui sont revêtus du sacrement de l’ordre sacré », en le distinguant nettement de ce qui peut éventuellement, mais alors par suppléance, être confié aux « ministres non ordonnés ». Comment en pareil contexte oser même employer le mot de démocratie ?
L’hypertrophie du juridisme romain Une autre pratique, liée au sacré et qui l’exploite, freine l’évolution de notre Église. Il s’agit de la place envahissante prise par les catégories juridiques dans le fonctionnement ecclésial, même en matières de doctrine ou de sacrements. La chose est manifeste lorsqu’il s’agit de la doctrine concernant les sacrements et l’habitude catholique d’utiliser largement à leur propos les concepts de « valide » et « invalide », tributaires de conditions de forme et qui nous éloignent d’une religion célébrée et vécue en esprit et en vérité. Lorsque c’est l’acte formel qui importe, la référence essentielle à la foi de l’Église se trouve estompée. Le reproche vaut aussi pour les disciplines internes à l’Église. De deux manières. Une première manière est la prééminence de la doctrine et de la jurisprudence sur les Écritures, de la lettre sur l’esprit. En cas de controverse, les références aux Écritures sont peu décisives, parce qu’elles sont ouvertes à la diversité des interprétations.
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Rome préfère renvoyer à des textes ecclésiaux, plus précis et qui, convenablement choisis, peuvent venir conforter l’état présent de la Tradition. Ce comportement se retrouve au niveau local, où les autorités, soumises à l’Autorité romaine, sont, il est vrai, moins libres d’opérer leur propre discernement. La deuxième manière renvoie au caractère sacré du décideur. Les jugements romains sont revêtus du sceau de l’autorité sacrée, quand ce n’est pas — et de plus en plus souvent — en se donnant les dehors de l’infaillibilité. Les formes prescrites par le magistère lui-même sont contournées : il suffit à Rome d’affirmer qu’elle se prononce en vertu d’une vérité générale sanctionnée par l’infaillibilité, pour que sa position se voie imposer comme « définitive et irréversible », donc obligatoire et indiscutable. Cette sanction juridique d’un pouvoir sacralisé se retrouve dans le quotidien des décisions locales. Chez nous, il n’est plus d’usage de réprimer la contestation d’une affectation personnelle par un péremptoire « c’est la volonté de Dieu », mais la pratique locale se satisfait toujours, quant aux formes, de l’autorité cléricale du décideur. Elle n’a guère d’égard pour les droits des personnes concernées, qu’elles soient clercs ou laïcs. Nous voilà donc revenus aux ravages de la sacralisation, qui non seulement enlève toute possibilité de démocratisation, mais attribue cette interdiction à Dieu même : le pouvoir sacramentel, réservé à ceux qui l’ont reçu avec toutes les conditions de validité, ne peut évidemment pas être partagé par ceux (encore moins par celles !) qui ne sont pas revêtus du même pouvoir sacré.
Le monopole de la vérité La difficulté de sortir de cette perspective juridique et sacralisée tient également à un autre aspect de ce qu’on peut appeler l’idéo-
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logie romaine : la conviction de détenir de façon privilégiée, la seule interprétation correcte du dépôt révélé confié par Jésus à l’Église. Sans discussion possible, et au motif de protéger l’intuition fondatrice de Jésus, l’autorité officielle veille sur le dépôt de la foi comme s’il s’agissait d’un trésor scellé dont elle est seule habilitée à pénétrer l’intérieur. Le deuxième concile du Vatican a eu beau rappeler que c’était l’Église tout entière qui avait reçu la promesse de rester fidèle à l’enseignement et à la mission du Christ : en vain, car une survalorisation constante du magistère romain fait que l’on en est venu à considérer comme insignifiant le « sens de la foi du peuple de Dieu tout entier » (Lumen Gentium 12). La tendance de ce magistère (en particulier celle de certains documents de la curie du Vatican) est de s’attribuer le monopole de l’autorité, y compris en des matières qui ne relèvent pas du dépôt de la foi. Le réflexe en est si bien enraciné qu’il imprègne la mentalité de nombreux baptisés — pour ne pas parler de certains évêques. Le magistère romain n’est pas, et n’a jamais été, la seule référence des croyants. Il ne représente pas à lui seul l’Écriture et la Tradition. Le « sens de la foi » du « peuple tout entier » (LG 12) fait également partie de ces références. En particulier, il contribue de façon décisive au discernement des « signes des temps » (Gaudium et Spes 4.1, 11.1) auxquels le magistère lui-même doit être attentif. Sans négliger le rôle pastoral de gardien de la foi qui est celui de l’évêque de Rome (« Affermis tes frères » : ce mot de Jésus dit à Pierre a été interprété en ce sens), il est bon de nous rappeler aussi que la portée exacte de tel ou tel document ne se révèle qu’à la mesure de sa réception par « le peuple de Dieu tout entier ». Il ne manque pas de décisions solennelles et « définitives » de Rome qui, au bout de quelques siècles mais parfois beaucoup plus tôt, sont tombées en désuétude. Dans quelques années, comment par-
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lera-t-on de l’histoire récente des résistances à la collégialité, de la part de Rome ? Nul, heureusement, ne peut le prévoir… ❇ Ce quadruple éclairage de l’histoire explique, sans encore la justifier, l’actuelle difficulté à faire évoluer le fonctionnement de notre Église catholique romaine et ses modes de participation. Le modèle en vigueur est non seulement le fruit de contingences historiques, mais il a été sacralisé, il s’est coulé en formes juridiques qui incitent à penser en termes de tout ou rien, il est considéré comme la seule vérité révélée, divine, authentique, et donc échappant à la volonté de l’Église : ceux-là même qui en auraient le pouvoir ne se sentent pas autorisés à le changer. D’où la nécessité d’un retour à une vision plus juste de la nature du fonctionnement de l’Église telle que la propose l’Écriture et la Tradition la plus authentique, comme en témoigne abondamment le consensus de plus en plus clair des exégètes et des théologiens.
3 Des précisions sur la démocratie
Dans un premier temps, nous avons énuméré et stigmatisé des pratiques qui sont source d’indignation et de frustration. Notre analyse nous a fait voir qu’elles ont des racines profondes et vraisemblablement très résistantes. Certes, il ne s’agit pas d’opposer la Bonne Nouvelle au Droit canon, les prophètes à un magistère qui ne reconnaîtrait pas un « signe des temps » dans ce qui lui paraît n’être que l’air du temps. Toutefois, nous l’avons vu à propos du sacré, ce qui est en cause est aussi une affaire de pouvoir : qui décide dans l’Église et qui obéit ? Et il est vrai que le pouvoir que les baptisés s’arrogeraient sans fondement légitime ne ferait pas moins question qu’un pouvoir monopolisé par le magistère en vertu d’une théologie unilatérale. Affaire de pouvoir, ce qui veut dire à la fois liberté et, indissolublement, responsabilité. Car la liberté n’est pas un absolu : elle n’a de portée morale ou spirituelle qu’en tant qu’elle sert une finalité : nous sommes « libres pour… ». Pour quoi ? Les chrétiens répondent : pour contribuer à construire le Royaume de Dieu : c’est la finalité même de l’Église, c’est-à-dire de tous les baptisés. Tous membres, donc tous responsables — et nous ne pouvons être responsables que si nous sommes libres.
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Ce qui est en cause, c’est donc la façon d’exercer notre liberté responsable. Son expression collective, pour beaucoup de contemporains, s’appelle pratiques démocratiques.
Démocratie : de quoi parlons-nous ? Démocratie : c’est là une notion humaine, profane, relativement moderne. Il est normal qu’on ne la trouve pas dans l’Écriture. De plus en plus de catholiques la revendiquent pourtant, parce qu’elle est à leurs yeux porteuse de sens et de valeurs qui apparaissent d’emblée comme évangéliques. Mais que mettons-nous exactement sous ce mot ? En pratique, chacun de nous réagit au mot « démocratie », chacun a sa petite idée, parfois vague, souvent péremptoire, sur ce qu’elle est ou devrait être. C’est pourquoi, avant de voir en quoi les aspirations démocratiques peuvent légitimement trouver place dans l’Église, il nous paraît utile d’examiner d’abord d’un peu plus près ce qu’est la démocratie : ses caractéristiques (nature et portée), et ses pratiques (fonctionnement, forces et faiblesses). Nous comprendrons pourquoi elle est devenue pour nos contemporains une référence incontournable. Démocratie : peut-on en donner une définition précise ? Beaucoup d’auteurs se contentent de la décrire. Ils le font parfois par décalque négatif : pour eux, c’est essentiellement « l’absence de despotisme ». D’autres y voient la conjonction de plusieurs éléments constitutifs sans lesquels il n’est point de démocratie : c’est un mode de gouvernement basé sur trois piliers : la civilité, la légalité et la publicité — en clair, le débat, formule lapidaire qui mentionne à la fois sa nature (c’est un mode de gouvernement) et ses constituants indispensables. Pour notre propos, nous retiendrons surtout que chez beaucoup ce mot éveille spontanément l’écho de valeurs comme la liberté ou le dialogue, mais aussi de règles, comme celle de la ma-
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jorité. Et nous prendrons comme point de départ une description simple : la démocratie est le gouvernement des gens par euxmêmes. C’est une mise en forme de la liberté humaine vécue en société, l’exercice collectif bien dosé de libertés personnelles d’êtres humains qui s’affirment dignes en soi et égaux en droit, afin d’assurer leurs solidarités et de gérer leurs conflits.
Quelques principes de base Cette première approche peut être précisée : tout fonctionnement démocratique suppose qu’on admette quelques principes de base. Si la démocratie est une forme de vie en société, on peut considérer qu’elle requiert admise au départ la dignité des personnes. Elle affirme, à la base, l’autonomie de chacun, donc la liberté en général et les libertés individuelles en particulier : de pensée, d’expression, etc. — tout en les reconnaissant relatives aux buts qu’elles se donnent. Faire ce que je veux ou ce que je crois bon, ce n’est pas toujours faire ce qui me plaît ; car ma liberté finit où commencent les droits des autres : qui dit liberté, dit responsabilité. Ce qui vaut pour un, vaut pour plusieurs. La démocratie est la liberté des groupes, petits et grands : familles, mouvements, partis, églises. Elle implique les libertés de réunion, d’association, etc. Si l’on tient aux libertés individuelles, on devra tenir au moins autant aux libertés des groupes, même minoritaires, que les individus constituent. Ce qui vaut pour un petit groupe vaut a fortiori pour un grand, et vaut donc aussi pour la majorité. Ainsi, de proche en proche, l’idéal démocratique est l’unanimité, ou le consensus de tous, après délibération. Car ainsi seraient conciliés l’ensemble des li-
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bertés collectives et la somme des autodéterminations individuelles. Dans le concret des situations, c’est l’impossibilité de parvenir à cet idéal unanime qui conduit à se satisfaire des règles de majorités plus ou moins qualifiées.
Des limites de la démocratie • La démocratie est a priori sans limite : c’est la « volonté du peuple » qui compte. Mais une démocratie ne peut, sous peine de contradiction, décider (même démocratiquement) de ne plus être une démocratie. Comme toute liberté, la démocratie est relative à son projet. C’est pourquoi il est inhérent à toute démocratie de s’imposer ses propres limites. • Par exemple, la règle du respect de la position majoritaire (à défaut de mieux) n’est fidèle à l’esprit de la démocratie que si le poison comporte son antidote : à la position majoritaire qui prédomine doit absolument s’ajouter le respect des minorités, reconnu aujourd’hui comme pierre de touche des démocraties dignes de ce nom. • Une conséquence, très négligée mais centrale, est que la démocratie n’est pas la dictature de la majorité : c’est pourquoi certains s’opposent au référendum au nom de la démocratie. Dans un système représentatif, les mandataires élus peuvent aller au-delà de majorités trop faibles ou régionalement diversifiées, et procéder à une renégociation afin d’aboutir à une décision moins radicale mais plus consensuelle. On le voit par ces précisions, l’existence de limites fixées au fonctionnement démocratique n’est pas seulement compatible avec la démocratie mais fait partie de son essence même. Ces limites peuvent varier selon la nature des sociétés en question, mais elles existent toujours.
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De même, toute société démocratique doit organiser l’exercice de l’autorité en son sein, fixer ses règles et ses procédures, prévoir une répartition des pouvoirs. Les États modernes ont jugé nécessaire de fixer de telles limites dans une constitution. Une séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire y est communément admise, pour éviter qu’aucune autorité humaine devienne absolue Il n’est pas étonnant qu’aujourd’hui surgisse périodiquement dans notre Église l’idée d’une Lex ecclesiae fundamentalis, équivalent pour l’Église d’une telle constitution.
Pratiques et progrès Au fil des temps ont été mis en place des mécanismes renforçant la démocratie. A ses débuts historiques, la réalisation en était réservée à une toute petite minorité : pas de place pour les femmes notamment, ni pour les pauvres, ni pour les esclaves. Peu à peu, des pratiques nouvelles se sont développées et un déplacement des pouvoirs a pu se produire et s’amplifier. Le gouvernement et l’administration de la cité ne se sont plus limités à quelques personnes (les souverains ou les chefs de guerre), mais se sont progressivement élargis au-delà des élites. De plus en plus, la démocratie s’est voulue « gouvernement de tous par tous » ou « du peuple par le peuple ». La démocratie n’est pas réductible à un code de bonnes pratiques, mais suppose le respect de valeurs à incarner. Elle doit être sans cesse adaptée aux évolutions de la société. On ne le sait que trop, la démocratie n’a pas toujours bien fonctionné. Elle a parfois été confisquée par les intérêts de quelques-uns. Elle a souvent été la proie d’appétits particuliers, vivant à l’ombre ou dans la dépendance de factions, d’élus, de partis ou de groupes soucieux de pouvoir, de prestige ou d’efficacité purement financière. C’est le lieu de rappeler le propos de Winston Churchill : « La démocratie est le pire des systèmes politiques, à l’exception de tous les autres. »
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Il n’en reste pas moins que, sur la base des idées fondatrices de liberté, égalité, solidarité (ou fraternité), on a progressivement dégagé des principes, mis au point des textes et adopté des normes multiples : respect des droits humains et Déclaration universelle des droits de l’homme, Charte européenne des droits fondamentaux, etc. Les pratiques et les techniques démocratiques se sont considérablement répandues, comme l’électorat et l’éligibilité largement étendus aux femmes et aux jeunes, des formes de décentralisation et de cogestion, le principe de subsidiarité, les organismes paritaires, la limitation de la durée des mandats, bien d’autres encore. Les domaines où elles s’appliquent se sont également diversifiés, par exemple dans le milieu de travail (concertation, droits syndicaux, protections diverses de l’emploi) ou même dans le milieu de l’école. Une nouvelle culture s’est ainsi progressivement créée qui se réclame de la règle de la majorité respectée par tous, mais fait place aussi à la protection des minorités et au respect des spécificités des groupes minoritaires, religieux, ethniques, de sexe et d’âge.
La référence démocratique On le voit, tous tant que nous sommes, nous baignons dans une culture démocratique. Même si nous nous y croyons étrangers, même si nous prétendons relever comme groupe d’une essence étrangère à l’esprit démocratique. Alors même que nous professons des doctrines contraires à elle, nous nous mettons inconsciemment sous sa protection. L’habitude généralisée de l’habeas corpus, c’est-à-dire le refus de toute détention arbitraire sans décision du juge légal, a notamment rendu possible de proférer les pires hérésies contre la démocratie sans bastonnade immédiate. Nous sommes donc spontanément habitués à prendre la démocratie comme référence. De par le monde, de nombreux chrétiens
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et chrétiennes la voient comme un bien, tout au moins comme une utopie vers laquelle tendre sans cesse. La démocratie leur paraît un objectif à la fois enviable et jamais pleinement atteint, vu les multiples faiblesses humaines. Sur ce chemin, les chrétiens se retrouvent avec beaucoup d’autres : la recherche commune des valeurs de la démocratie réunit, bien au-delà des clivages traditionnels de familles idéologiques différentes, une foule de gens de bonne volonté qui, parfois, s’étonnent eux-mêmes de se trouver si bien en phase avec ceux qu’on leur avait présentés auparavant comme des ennemis potentiels. Dans le monde sécularisé et désacralisé où nous vivons, ce n’est pas un moindre bénéfice. Au contraire, c’est souvent ressenti comme un plus, et de mieux en mieux expérimenté, de plus en plus fréquemment vécu.
4 La démocratie convient-elle à l’Église ?
On le pressent facilement : d’emblée, la pratique démocratique apparaît à beaucoup de baptisés comme compatible avec le fonctionnement ecclésial ; elle jouit d’un a priori favorable, on peut sans crainte adopter à son égard une attitude foncièrement positive. Pour beaucoup, ce n’est pas là un phénomène superficiel de l’évolution humaine, mais une avancée dans le destin spirituel de l’humanité : on peut à bon droit lui reconnaître la qualité d’un véritable signe des temps. Si cela est vrai, l’Église ne peut qu’en tenir compte, y compris pour elle-même. Pourtant, tout le monde le sait, il existe dans l’Église des résistances devant les demandes de démocratisation. Nous devons donc rencontrer ces difficultés. Tout d’abord, revenant sur certains aspects du chemin parcouru, nous pourrons faire un sort à quelques objections périphériques couramment faites à un projet démocratique pour l’Église. Nous pourrons ensuite serrer de plus près l’essentiel.
Une première approche : Église et démocratie font bon ménage Il convient d’abord de le souligner : progrès dans les processus démocratiques et prises de conscience dans l’Église ont souvent parcouru des chemins sinon parallèles, du moins fort proches.
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Avec des rythmes différents, Église et société ont apporté chacune leur contribution à l’élaboration de plusieurs des principes éthiques qui conditionnent la démocratie : recherche du bien commun, subsidiarité, égalité des femmes et des hommes, droit à la vie, etc. Au cours de son histoire, l’Église a manifesté de longues faiblesses à propos notamment de l’esclavage, du recours au bras séculier, de la torture ou de la peine de mort. Mais elle a aussi été pionnière de l’État de droit : le droit civil s’est constitué en se démarquant par rapport au droit canon et l’Inquisition, à côté de ses cruautés, est la première à avoir introduit une instruction préalable au jugement. Pour beaucoup de valeurs associées à l’idéal démocratique, il est d’évidentes influences réciproques entre l’Église et la société politique. L’Église a pratiqué la démocratie pour l’élection de ses évêques et dans ses communautés religieuses et ce n’est pas un hasard si la démocratie politique et l’idéologie des droits humains sont nées en terre de tradition helléno-judéo-chrétienne : elles n’auraient sans doute pu naître nulle part ailleurs. Il a pourtant fallu des mouvements laïques (au sens de mouvements organisés selon les principes de la laïcité) pour imposer à la conscience commune certaines valeurs humanistes que l’Église elle-même avait tendance à négliger, quand elle ne les refusait pas — alors qu’en fait ces valeurs s’enracinent dans le fond judéo-chrétien. Prenons en exemple le respect inconditionnel des droits de la défense, dont le mouvement démocratique, humaniste et laïque, s’est souvent montré l’ardent défenseur. Ainsi les influences se sont disjointes ou rattrapées tour à tour. Au temps des Lumières, les Églises issues de la Réforme étaient notoirement imprégnées des idéaux démocratiques — en réaction à quoi, malheureusement, la Contre Réforme catholique avait cru devoir accentuer son caractère monarchique. Il faudra attendre notre époque pour que le discours officiel de notre Église affirme enfin l’autonomie de la raison humaine, même dans la recherche
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théologique (voir à ce sujet l’encyclique Fides et ratio de JeanPaul II). Il reste au magistère à en admettre plus franchement la conséquence dans les discernements en matière d’éthique. Mais déjà la perspective est claire là où elle est vécue, dans les institutions d’Église ou à leur marge, et personne n’ôtera plus aux fidèles l’exercice de leur sainte liberté d’enfants de Dieu.
Jusqu’où peut-on aller ? Pour discerner ce qui est compatible ou non avec l’Église en fait de démocratie, il nous faut garder présente à l’esprit la « vraie nature des choses », celle qui ressort des données de l’Écriture et de la Tradition. La question est moins simple qu’il n’y paraît. Pour ceux qui ne sont pas spécialisés en théologie, certains débats sont à première vue surprenants. Ainsi la question que posent les exégètes : Jésus a-t-il fondé l’Église ? A-t-il voulu l’Église telle que nous la connaissons ? Or il s’agit en fait d’une question capitale : jusqu’où nous est-il permis de changer l’Église sans attenter à sa nature même ? L’Église, la communauté des baptisés, ne pourrait évidemment pas décider de ne plus être chrétienne. Elle doit sauvegarder l’intuition fondamentale de Jésus. Jusqu’où des pratiques démocratiques sont-elles compatibles avec la nature de cette institution particulière ? Certes, l’Église n’est pas, à l’origine, une institution de type démocratique. La relation à Dieu ne l’est pas ; or l’Église est une institution « née de la parole de Dieu en Jésus Christ » (J. Famerée). Cela n’a donc aucun sens de prétendre que dans l’Église le pouvoir « émane du peuple ». Mais la question reste entière de savoir comment l’autorité agit ou exerce son pouvoir. A la question que se posaient quelques-uns des Douze de savoir qui serait le plus grand, Jésus répond : « Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous » (Mc 9, 35-37). Il est assez clair que quand il s’agit de fonctionnement, des change-
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ments sont possibles, qui rapprocheraient le fonctionnement actuel de l’institution Église des aspirations légitimes à plus de démocratie. L’Écriture le suggère d’ailleurs, en caractérisant par l’amour et l’unité la communauté des chrétiens, suivant le commandement du Seigneur : « Si vous avez de l’amour les uns pour les autres, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples » (Jn 13, 35). « La multitude des croyants n’avait qu’un cœur et qu’une âme » (Ac 4, 32). Quant à la notion de « peuple de Dieu » mise en avant à Vatican II, elle n’oriente certes pas vers l’image d’un troupeau de moutons. L’Église, ne serait-ce pas l’ensemble des baptisés, y compris les clercs… et les femmes ? Mais ce n’est là qu’une première approche.
L’organisation des pouvoirs dans l’Église est-elle « sacrée » ? Nous avons déjà rencontré une difficulté à première vue insurmontable : le caractère sacré de l’organisation hiérarchique de l’Église. Or on le sait aujourd’hui, cette sacralisation n’a rien d’originel ni de nécessaire. Les historiens ont étudié l’apparition de ce phénomène. Il est frappant de constater que, dès le départ, les textes traduisent une volonté manifeste de ne pas employer les anciens termes qui, justement venaient de l’univers sacral du judaïsme. Pour désigner les diverses fonctions et services dans les nouvelles communautés des disciples de Jésus, on a préféré des mots nouveaux : envoyé (apostolos), proclamateur (euanggelistès), enseignant (didaskalos), prophète, serviteur (diakonos), ancien (presbyteros), superviseur (episkopos) ou encore pilote (kubernètès) ou simplement président (proestôs). Aucun de ces termes n’est emprunté à l’univers sacral des mondes juif ou gréco-romain. Bien au contraire, tous les mots qui, dans les écrits apostoliques, désignent le service de l’Évangile et de l’assemblée (ekklesia) viennent directement de la langue la plus profane et la plus commune.
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Selon l’ensemble des spécialistes, ce n’est nullement le fruit du hasard : avec l’événement Jésus, on savait que l’on se trouvait dans un autre univers que celui du sacré des religions — ou, si l’on préfère, en face d’une transfiguration de toute religion. Là où traditionnellement le sacré était l’intouchable, le radicalement extérieur à l’homme, Jésus le met en nous-mêmes, créés à l’image du Père — homme et femme — en qui Il s’incarne et qu’Il appelle à une communauté fraternelle. Ce dont la démocratie est une approximation imparfaite. Les disciples de Jésus qui se sont mis au service de l’évangile et des communautés ne se sont pas perçus eux-mêmes et n’ont pas été perçus comme un personnel sacral ou sacré : personne ne pouvait les confondre, par exemple avec le sacerdoce lévitique. De même, les lieux et les objets liés à la dimension rituelle que les communautés ont voulu conserver, comme les assemblées de prière, ou la fraction du pain, faisaient indubitablement partie du cadre profane (maison, table…) : au début, on ne trouve aucune mention « d’autel », ni de « vases sacrés ». Rien d’étonnant à cela : Jésus ne s’est jamais présenté comme le fondateur d’une nouvelle religion, même si la nouveauté de son message ne pouvait laisser intacte aucune des religions existantes. Il reste que très tôt, une fois que les disciples de Jésus n’ont plus été reçus dans les synagogues, une fois que les nouvelles communautés ont essaimé dans le monde méditerranéen, il a fallu franchir une étape, et se définir face aux religions existantes. En un premier temps, les communautés chrétiennes ont tout simplement pris le visage d’une religion particulière, à côté de bien d’autres. Puis, une étape décisive fut franchie en 313 avec l’édit de Milan, par lequel l’empereur Constantin reconnut les communautés chrétiennes et leur donna pratiquement un statut de religion d’État. On s’accorde à reconnaître que c’est à partir de ce moment que les « permanents » des communautés chrétiennes ont revêtu les titres, les ornements, les attributions de ce qui était auparavant ceux de la caste sacerdotale romaine, y compris le titre
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de « souverain pontife » qui était celui du grand prêtre de la religion païenne officielle. Ce n’est pas le lieu d’exposer ici toutes les conséquences de ce tournant de l’histoire. Du point de vue qui est le nôtre en ce moment, il nous suffit de noter que la fidélité à l’Évangile n’oblige nullement à considérer comme sacrée et donc intangible l’organisation des ministères que nous avons ainsi héritée des circonstances. L’histoire de l’Église témoigne d’ailleurs des nombreuses variations et des multiples exceptions que le modèle actuel a connues. Pour son organisation, l’Église dispose en principe d’une liberté beaucoup plus grande que ne le donne à penser la doctrine officielle. Ce qui a, dans le passé, été considéré comme bon et légitime pourrait encore être admis et mis en œuvre aujourd’hui. Mais il ne suffit pas de s’inspirer du passé : l’histoire, précisément, montre qu’innover n’est certainement pas faire automatiquement œuvre impie. L’évolution du monde, des sciences et des possibilités qu’elles ouvrent oblige à envisager des innovations au sein de l’Église, à modifier certains jugements. Le monde change, l’Église ne peut rester figée et n’a pas le droit de se distancier de la société.
Ne s’agit-il pas du sacrement de l’ordre ? La tradition des grandes Églises a peu à peu considéré que les fonctions principales dans les communautés chrétiennes, épiscopat, prêtrise et diaconat, n’étaient pas simplement nées d’un besoin d’organisation mais étaient voulues par Jésus comme faisant partie des moyens de salut donnés à l’Église. En vocabulaire de théologie catholique : l’Ordre est un des sept sacrements. L’Église ne pourrait donc décider de supprimer purement et simplement ces ministères. Encore faut-il serrer la question de plus près.
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Nous avons vu que l’Église latine, dans son organisation et ses pratiques sacramentelles, avait fortement mis en valeur les catégories juridiques, en particulier celles de validité et invalidité. Or, ici encore, l’histoire apprend que le concept central en théologie des sacrements n’est pas celui de validité, mais de vérité, c’est-àdire de la signification correcte des gestes posés à la lumière de l’Évangile. Ainsi, en ce qui concerne les fonctions ecclésiales, le mode de désignation a pu prendre des formes diverses au cours de l’histoire. Dans les premiers siècles, les communautés choisissaient elles-mêmes leur évêque et leur conseil d’anciens (leurs presbytres, leurs prêtres). L’assentiment de l’Église universelle se marquait par la présence, à l’ordination d’un évêque, des évêques des diocèses voisins. Ici, nous ne sommes pas dans une logique juridique, dans le « tout ou rien » mais dans un itinéraire de fraternité. C’était déjà la logique du reproche de saint Paul aux Corinthiens à propos de leur façon de se « réunir en assemblée » (1 Co 11) : en « faisant affront à ceux qui n’ont rien », ils « méprisaient l’Église de Dieu », ils ôtaient sa signification au « repas du Seigneur » et le transformaient en ripaille. Nous avons évoqué plus haut comme un obstacle à tout changement l’espèce de monopole de la vérité qu’a peu à peu concentré sur lui le magistère romain. C’est le lieu de rappeler que ce magistère lui-même est soumis à la Parole de Dieu dont l’Écriture est pour nous un témoin essentiel. D’où certaines affirmations traditionnelles qu’il est bon de nous remettre à l’esprit. Oui, le magistère, par sa référence à la succession apostolique, est témoin autorisé de la vérité de la foi, qu’il a mission de faire proclamer par l’ensemble des baptisés : la foi en la Bonne Nouvelle et dans les événements cruciaux qui la fondent, en particulier la Résurrection. Mais la foi proclamée par le magistère passe par une « réception » par les fidèles, car la foi à proclamer est la foi
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de l’Église, et les disciplines sacramentelles ou rituelles doivent être acculturées. Dans la vie morale, les principes dégagés par le magistère sont passés au filtre du discernement personnel, dans la sainte liberté des enfants de Dieu, dans l’autonomie de la raison et une conscience personnelle « informée et formée ». Et l’on reconnaîtra la vocation communautaire de l’ensemble du peuple de Dieu — ce qui implique des formes participatives d’exercice de l’autorité en son sein. Oui, le magistère est chargé de missions, et notamment celle de promouvoir l’unité des chrétiens expressément demandée par le Christ : rassembler les catholiques dans une même foi et, dans l’œcuménisme, restaurer la communion des baptisés. Mais ce n’est pas sa mission d’imposer une forme unique d’unité — la sienne. Oui, le magistère, afin de proclamer, célébrer et réaliser la Bonne Nouvelle du salut et l’Alliance, s’est vu reconnaître une mission sacramentelle : pour les catholiques, l’Église est sacrement, c’est-à-dire signe efficace du Christ, lui-même sacrement par excellence de l’amour de Dieu. Cette vision de l’Église comme un grand sacrement, adoptée par le concile Vatican II, aide à situer la portée de ce que nous appelons les sept sacrements, y compris celle du sacrement de l’ordre. Mais elle n’entraîne pas qu’il faille considérer comme « de droit divin » toute une série de formes d’organisation qui relèvent de contingences historiques. Enfin, oui, les fonctions dans l’Église ont pris la forme d’une « hiérarchie » : l’Église est une organisation humaine qui ne saurait fonctionner sans règles, sans un ordre et une discipline. Mais cela ne justifie nullement un fonctionnement autocratique ou hypercentralisé. Sur ces divers points, d’autres Églises chrétiennes témoignent de ce que diverses modalités de fonctionnement sont possibles. Même si nous tenons à notre tradition catholique, gardons con-
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science des contingences historiques qui sous-tendent son organisation, et récusons le sophisme qui tend à légitimer un certain autoritarisme : « Le Christ a institué l’Église. Or vous appartenez à l’Église. Donc vous devez obéir à l’Église. » Dans ce syllogisme vicieux, le mot Église prend chaque fois un sens différent : communauté des chrétiens, baptisés catholiques romains, hiérarchie. Clarifier le vocabulaire est une bonne piste pour ouvrir les vraies perspectives, celles-là même que la confusion des termes tend à masquer.
Revenons à l’essentiel : l’Église est communion de libertés Mais revenons à l’essentiel. Jésus n’a pas voulu fonder une nouvelle religion mais, parce qu’il vivait sa foi juive en plénitude d’esprit et de vérité, son message en est venu à transfigurer toute religion. On ne peut donc appliquer au mouvement né de lui, le christianisme, les lois sociologiques qui président à la fonction des religions dans les sociétés du passé. Cela nous apparaît plus clairement aujourd’hui, à nous qui vivons dans cette partie du monde assez largement marquée par ce qu’on appelle la « sécularisation ». Dans de nombreuses sociétés traditionnelles, en effet — et c’est encore le cas dans les États islamiques — la religion sacralise l’ordre établi, fonde le droit et la vie publique tout entière. Ce fut évidemment aussi le cas dans les siècles de ce qu’on appelle précisément « chrétienté ». Mais nous ne sommes plus en chrétienté. La sécularisation de la vie publique, économique, intellectuelle, a libéré notre regard et nous permet de mieux distinguer ce qui relève de la volonté fondatrice de Jésus et des sédiments de l’histoire. Du même coup, nous voyons mieux les affinités profondes entre les fonctionnements démocratiques et l’esprit de l’Évangile. De quoi s’agit-il en effet dans le christianisme ? De la rencontre de personnes libres qui, attirées par la personne de Jésus et son
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message, poussées par l’Esprit, s’associent — librement ! — pour vivre une forme de communion, d’entente, de respect mutuel, bref, de « charité » : ce mot galvaudé qu’il a fallu inventer pour traduire l’agapè évangélique. Ils s’engagent dans cette aventure en acceptant le baptême, qui les constitue membres à part entière de la communauté des croyants et leur donne part à l’Esprit qui les a menés jusque-là. Cet aspect des choses se manifeste avec évidence aux premiers temps de l’Église. Dès la célébration de la Dernière Cène, les disciples ont eu la conviction de vivre une aventure nouvelle. Au pied du tombeau, à Emmaüs et dans l’épisode de l’incrédule Thomas, cette conviction n’a cessé de grandir jusqu’à la Pentecôte. Ils se sentaient investis, ils étaient les témoins et les porteurs d’un projet nouveau. Les disciples des premiers temps du christianisme savaient qu’ils mettaient en œuvre un nouveau commencement, et que l’Esprit était avec eux : ils ne craignaient rien. Suivre Jésus, c’était décider de faire partie de ce groupe qui « n’avait qu’un cœur et qu’une âme », qui mettait tout en commun, où on s’efforçait d’observer la règle évangélique : « Ne vous faites pas appeler Maître, car vous n’avez qu’un seul maître et vous êtes tous frères » (Mt 23, 8). Ce qui constitue donc l’Église et la perpétue à travers le temps, c’est bien évidemment la grâce de Dieu, mais celle-ci agit en attirant à elle des libertés. Si l’Église subsiste aujourd’hui encore, ce n’est pas d’abord parce qu’un appareil impressionnant d’institutions, de règles, de bâtiments prestigieux a marqué durablement la vie et le paysage dans les pays qui furent de chrétienté : l’Église n’est pas un musée vivant, une sorte de « réserve » où survivent des comportements dépassés. C’est parce qu’au long des siècles des hommes et des femmes ont — librement — donné leur foi à Jésus et à son message et laissé leur vie se transformer par là, formant du même coup un groupe régi par l’amour mutuel.
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Sans doute, dans nos Églises qui pratiquent le baptême des nouveau-nés, cet aspect de réponse libre à l’attirance du message évangélique se trouve voilé : il n’en est pas moins fondamental et constitutif du « groupe Église » : les communautés chrétiennes sont essentiellement composées d’adultes dont l’appartenance est un acte d’adhésion personnelle. Le baptême est censé exprimer ce statut adulte qui entraîne une égalité foncière de tous, un égal droit à la parole et une égale responsabilité dans la mission de l’Église et dans la gestion interne de celle-ci. Relisons à ce sujet des textes comme la constitution de Vatican II Lumen Gentium 12, 32, 35, ou le décret Apostolicam actuositatem 2. Pourtant, l’Église se définit d’abord comme fraternité (J. Ratzinger). C’est pourquoi elle a longtemps privilégié des fonctionnements dans lesquels chaque individu adulte — libre et (donc) responsable ! — avait son mot à dire. C’est pourquoi sa gestion doit être essentiellement synodale ou conciliaire : collégiale pour parler comme Vatican II. C’est pourquoi durant des siècles fut observée et répétée la règle : « Ce qui concerne tout le monde doit être traité et accepté par tout le monde » (le pape saint Léon, au Ve siècle). Il n’y a d’Église que par la communion des libertés, ce qui est à la racine même de ce qu’on appelle démocratie. Une démocratie que nous pouvons appeler de nos vœux, non seulement parce qu’elle est notre mode désiré de vie collective, mais parce qu’elle est appelée par l’Évangile lui-même. Lumen Gentium avait suscité beaucoup d’espoirs dans l’Église. Malheureusement, la reprise en main ultérieure a vidé de sa substance la collégialité promue par Vatican II en rognant de multiples manières le pouvoir des synodes et conférences épiscopales.
5 Pour une Église plus démocratique : propositions pour l’action
En ce moment de l’histoire de notre Église, il nous a paru utile, non seulement de montrer les espaces de liberté que nous laissent la nature de l’Église et sa tradition, mais d’en indiquer les voies qui nous paraissent concrètement possibles. « Penser globalement, agir localement » : notre démarche se consacre d’abord à l’Église ici en Europe et à ce qu’on peut expérimenter chez nous, en Wallonie et à Bruxelles, dans le cadre du droit canon en vigueur. Le rêve, mais aussi la nécessité, au sein d’une institution centralisée, sont pourtant d’avoir un impact sur l’Église universelle. Disons-le d’emblée : la route sera sans doute longue, car il s’agit aussi d’un changement de mentalités. C’est pourquoi, avant même de présenter des propositions concrètes, il faut nous habituer à l’idée que l’Église a changé, qu’elle change encore et donc qu’elle peut encore changer.
Faire comprendre que l’Église a le droit de changer Une première tâche nous paraît s’imposer : faire admettre plus largement dans l’Église que des changements, même profondément novateurs, peuvent parfaitement être légitimes. Pour le dire autrement, qu’ils peuvent très bien être inspirés par l’Esprit. En
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effet, aujourd’hui encore, l’Église se sait assistée par l’Esprit. Nous aussi nous pouvons être amenés à vivre l’aventure de la nouveauté. Pour beaucoup de fidèles, cette légitimité ne va pas de soi. L’Église catholique, bien établie, montre un visage quasiment intemporel. Elle se présente comme une institution immuable, sûre d’elle-même : n’a-t-elle pas « les promesses de vie éternelle » ? Or, nos contemporains perçoivent chaque jour une réalité opposée à cette intemporalité : tout est en permanente évolution, s’adapter est une condition de survie. Les hommes et les femmes d’aujourd’hui savent que le changement n’est pas nécessairement mauvais, et que l’immobilisme peut l’être bien davantage. Il ne s’agit évidemment pas de changer pour changer, mais de répondre à une exigence du présent pour que le message évangélique puisse mieux rejoindre ses destinataires. Ni les Écritures, ni la Tradition n’imposent un modèle organisationnel contraignant, nous l’avons vu. Et par ailleurs, nous l’avons vu également, les valeurs fondatrices de la démocratie sont en affinité manifeste avec l’anthropologie chrétienne. C’est pourquoi, tant qu’est respecté le noyau de la foi, qui lui-même invite à relecture et approfondissement, rien n’échappe à la liberté et à la responsabilité d’un discernement quant aux réformes souhaitables. Dans les années qui viennent, il faut s’attendre à voir s’accentuer les deux réalités soulignées par notre travail : d’une part, la proportion grandissante de chrétiens et de chrétiennes devenus plus conscients et responsables, citoyens actifs dans la société civile ; d’autre part, la culture démocratique dans laquelle nous baignons. En se conjuguant, ces deux éléments appelleront de plus en plus impérativement une adaptation du mode de gouvernement de l’Église qui soit à la mesure de l’ampleur des attentes. Retarder les réformes, c’est s’exposer à voir grandir le nombre des défections et des découragements. C’est aussi prendre le risque de changements plus violents, dispersés et traumatisants.
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Il ne s’agit certes pas d’imposer brutalement une révolution qui serait insupportable pour des secteurs entiers de l’Église actuelle. Comment alors concilier les légitimes impatiences et les nécessaires prudences ? D’abord en réalisant dans le court terme ce qui est déjà prévu dans les textes du concile Vatican II et le droit canonique. Nous ferons plus loin des propositions en ce sens. Il nous semble aussi souhaitable que des espaces d’expérimentation et de liberté soient ouverts ; que l’on accepte le principe que des évolutions puissent se produire plus rapidement dans certaines communautés et Églises, tout en respectant le rythme des autres. L’unité n’est pas l’uniformité ; faire l’unité n’est pas en imposer une. Une pratique démocratique du pouvoir dans l’Église ne peut être imposée d’en haut mais devrait se propager par contagion. C’est à la base que naît le souci de participer, même si les initiatives viennent parfois des niveaux intermédiaires, voire même du sommet… Rappelons-nous que les changements dans l’Église, en plus de la constante assistance de l’Esprit, peuvent avoir plusieurs sources d’inspiration. Il sera bon de se remémorer notamment certaines pratiques anciennes : l’histoire de l’Église peut nous apprendre beaucoup, par exemple, sur le choix de l’évêque par les fidèles d’un diocèse. Nous disposons aussi de potentialités peu ou pas exploitées qui sont laissées libres par le droit canonique en vigueur. Les propositions qui vont suivre s’adressent d’abord à l’Église de Wallonie-Bruxelles : le contexte est celui de la Belgique et de l’Europe. C’est, bien sûr, avec l’espoir que ce qui pourra être tenté ici trouvera un écho ailleurs. Elles suivront aussi un parcours pédagogique, en partant de ce qui, à première vue, est le plus facile à réaliser sans bouleverser les règles du droit canon et en allant vers des structures plus complexes dont il faudra encore débattre dans un esprit créatif.
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Le pari est aussi fait que les premières étapes permettront d’initier le peuple chrétien au goût d’un exercice plus démocratique du pouvoir dans l’Église, dans la fidélité au Christ.
Espérances et exigences dans le chef des instances ecclésiales Une nécessaire transparence Une première étape, qui ne bouleverserait ni les lieux actuels d’exercice du pouvoir, ni leur compétence canonique, pourrait être la généralisation d’une obligation de transparence, partout où sont prises des décisions intéressant tant des individus que des communautés. La seule limite à cette règle de publicité serait le respect de la vie privée des personnes concernées. • Décisions individuelles et transparence vis-à-vis du destinataire La transparence est bien sûr de mise là où sont prises des décisions engageant l’avenir d’une personne au sein de l’Église. Cela suppose à nos yeux que la personne en question ait accès au dossier la concernant, que ne soient pas pris en considération des éléments d’information couverts du sceau de l’anonymat, que la motivation de la décision prise soit communiquée à l’intéressé et que toute question posée reçoive une réponse. • Décisions individuelles et transparence vis-à-vis de la communauté concernée Une série de décisions individuelles (nomination, retrait de fonction…) ont des effets directs sur le fonctionnement et la vie des communautés chrétiennes. Il nous semble nécessaire que celles-ci soient informées préalablement des modalités et des résultats des procédures conduisant à une nomination à une charge pastorale (curé, évêque…) : qui a été consulté, quels
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sont les noms proposés à l’instance compétente ? Il devrait en aller de même pour le retrait ou le non-renouvellement d’une fonction pastorale. Ici aussi la motivation devrait également être communiquée aux personnes et aux communautés concernées. • Décisions relatives au gouvernement des communautés chrétiennes Toute décision relative au gouvernement d’une communauté chrétienne, territoriale ou non et quelle que soit sa grandeur (paroisse, doyenné, évêché…) devrait systématiquement être portée à la connaissance de l’entité concernée, de la manière la plus appropriée et la plus pédagogique. Il y a lieu d’éviter que ce type d’information reste confiné dans un groupe d’initiés ou de notables et que se créent ainsi des communautés à deux vitesses. • Transparence des finances L’argent de l’Église comme organisation provient du peuple chrétien ainsi que de la collectivité civile ; il est normal que les uns et les autres soient informés de son usage et de l’administration des biens temporels. Du côté de la société civile, la possibilité du contrôle existe, même s’il n’est pas toujours exercé. C’est rarement le cas dans les paroisses et autres communautés. Chaque année, des comptes détaillés relatifs au fonctionnement des différentes communautés devraient leur être communiqués. Cette obligation de publicité au sujet des moyens financiers mis en œuvre s’adresse tant aux instances de la communauté concernée qu’à celles des communautés plus larges dont elle fait partie : doyenné, diocèse. Cette règle vaut notamment pour les conseils de fabrique. Il s’agit là certes de la présentation des comptes aux paroissiens, mais aussi du choix des fabriciens. En attendant la réforme
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d’un statut vétuste (il date de 1809), les paroisses pourraient être incitées, lors des élections des équipes pastorales ou conseils, à organiser également un vote en vue de dresser une liste de paroissiens parmi lesquels les conseils de fabrique seraient invités à recruter leurs cooptés. C’est le lieu de rappeler que le droit canon prévoit qu’existe en chaque diocèse une Commission pour les affaires économiques, commission dont doivent faire partie des laïcs et que l’évêque a le devoir de consulter en certains cas. Là aussi, plus de transparence est souhaitable. • Des communautés à visage humain La transparence suppose, en outre, que l’information puisse circuler naturellement et sans trop de difficultés ; les « gouvernés » ne doivent pas ressentir les « gouvernants » comme trop éloignés. D’où l’importance de la dimension des communautés chrétiennes. A Bruxelles et en Wallonie, la taille des diocèses pose problème à de nombreux observateurs et cela depuis longtemps. En 1967, à la suite de la création du diocèse de Hasselt, la hiérarchie de l’Église a réaffirmé son intention de calquer son organisation sur les limites des circonscriptions de la société civile. Malgré cela, la demande de création de nouveaux diocèses (Brabant Wallon, Bruxelles…) n’a pas reçu d’écho jusqu’ici auprès de la conférence épiscopale. Ce genre de question devrait à l’avenir recevoir toute l’attention qu’elle mérite. C’est là un point sur lequel le concile Vatican II a formulé des recommandations précises (décret sur la charge pastorale des évêques Christus Dominus 22-24).
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La gestion des conflits Il nous semble qu’une annonce crédible de la Bonne Nouvelle exige de l’Église et des communautés qui la composent, la mise en place de procédures de gestion de conflits, non seulement transparentes, mais également respectueuses dans tous leurs aspects des droits humains. Ce n’est rien d’autre que la mise en pratique du souhait clairement formulé dans la préface du code de droit canonique de 1983. L’exercice du pouvoir doit apparaître plus clairement comme un service ; cela implique d’apporter un soin particulier à régler les procédures qui regardent la protection des droits des personnes individuelles : « C’est pourquoi dans la révision du droit, on fera attention à ce qui jusqu’ici manquait beaucoup dans ce domaine, à savoir les recours administratifs et l’administration de la justice. » L’Église ne peut se permettre d’ignorer la séculaire sagesse des juristes : summum ius, summa iniuria (« l’extrême justice [formelle] cause l’extrême injustice [réelle] »). Nous ne pouvons ici que constater l’actualité des propositions très concrètes formulées en 1995 par le C.G.A.L. (prédécesseur du C.I.L.) dans un mémorandum adressé à la conférence épiscopale. Nous en reprenons ici la teneur : a. que chaque évêque désigne dans son diocèse une instance de conciliation ou de médiation indépendante de sa personne (par exemple avec l’aide des conseils pastoral ou presbytéral) à laquelle pourraient recourir les diverses parties en conflit. b. que chaque évêque établisse une procédure d’arbitrage indépendante de sa personne au cas où une conciliation ne serait pas possible ou n’aboutirait pas, garantissant une parfaite égalité entre les parties en conflit ;
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c. que la conférence épiscopale, conformément au canon 1733 § 2, décide d’établir dans chaque diocèse un conseil dont la tâche sera de rechercher et de suggérer des solutions équitables en cas de recours contre un décret administratif ; d. que la conférence des évêques francophones établisse, conformément au canon 1439, un tribunal interdiocésain de deuxième instance qui permette l’appel contre les décisions rendues au premier degré par une juridiction diocésaine.
Des lieux de coresponsabilité Une étape suivante qui ne bouleverserait pas non plus de manière fondamentale l’économie actuelle des pouvoirs dans l’Église mais aurait un effet pédagogique indéniable à long terme, serait de poursuivre et de redonner vigueur au processus amorcé à la suite de Vatican II, visant à la mise en place de conseils de laïcs aux niveaux des paroisses, doyennés et diocèses, ainsi qu’au sein des communautés non-territoriales. En effet, lors du colloque organisé le 26 novembre 1998 par le C.I.L., il a été rapporté qu’à de nombreux endroits, les structures de participation mises en place après le Concile ne fonctionnaient plus et que leur existence dépendait trop de la personnalité du responsable canonique. Il y aurait lieu de généraliser la mise en place de ces structures de participation et d’inviter les responsables nommés à installer ou réinstaller de tels conseils. Le bon fonctionnement de ces conseils serait un élément d’évaluation des responsables en question. Il serait bon que les règles de composition et de désignation des membres de ces conseils soient formulées de manière uni-
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forme et garantissent la représentation de toutes les composantes de la communauté concernée, y compris les plus faibles et les sans-voix. Ces conseils seraient des espaces où les diverses communautés pourraient débattre des questions qui les intéressent et les concernent ; ce qui leur permettrait de remettre des avis, sur demande ou même d’initiative, à leurs responsables canoniques. Dans l’hypothèse où ces mêmes responsables ne suivraient pas les avis formulés, ils auraient alors l’obligation de motiver et d’expliquer leur décision. En cas de changement de responsable canonique, les conseils respectifs seraient informés et consultés en vue de faire connaître le profil souhaité de son successeur. Mais il n’y a pas que des conseils. La pratique actuelle voit apparaître (et se multiplier en certains pays) des équipes pastorales qui ont la charge d’une paroisse, sous la vigilance d’un prêtre modérateur, qui n’en est pas le curé canonique. Si l’on veut affronter courageusement des situations qui ne manqueront pas de se présenter de plus en plus souvent, vu la diminution du nombre des prêtres, il nous paraît préférable de confier à de telles équipes pastorales les « paroisses sans prêtre », plutôt que de surcharger les prêtres restants ou de recourir à du clergé africain ou polonais.
Des fonctions et des mandats limités dans le temps La limitation de la durée des mandats ainsi que la limite d’âge sont aujourd’hui monnaie courante dans la société civile, dans l’administration et même la justice. Elles sont signe de l‘abandon d’un mode de fonctionnement hiérarchique pour un mode démo-
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cratique. Cette limitation existe déjà pour certaines fonctions d’Église et au sein des ordres religieux. Il nous semble qu’une telle façon de faire a toute sa place dans une société comme l’Église qui envisage toute fonction comme un service. La généralisation d’une telle limitation à tous les postes de responsabilité, y compris l’épiscopat et la papauté, devrait pouvoir être mise en œuvre progressivement. Cette règle a plusieurs avantages : - elle permet l’évaluation régulière des responsables ; - elle empêche que l’habitude ou la sclérose s’installe ; - elle limite au maximum les ambitions personnelles d’accès au pouvoir. Rien n’empêche d’ailleurs qu’après une évaluation positive un nouveau mandat puisse être conféré. Cela suppose évidemment aussi la mise en place de procédures transparentes d’évaluation et la consultation des communautés concernées. Quant à la limite d’âge, elle est parfois une simple question d’humanité : on songe à certains prêtres qui ne se sentent pas la liberté de donner leur démission, préférant se dépenser jusqu’à la limite de leurs forces pour le bien des âmes qui leur sont confiées, ou encore qui sont invités à conserver leur fonction au-delà du souhaitable parce qu’il n’y a, dit-on, personne pour les remplacer.
Vers un gouvernement synodal Les propositions ci-dessus ne sont à nos yeux que des étapes nécessaires vers l’établissement d’un gouvernement réellement démocratique de nos Églises, où l’ensemble du peuple chrétien aurait voix au chapitre à travers ses représentant(e) s élu(e) s. Ces
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étapes doivent être perçues comme un apprentissage de l’art de se gouverner ensemble. Ce qui est visé au terme, c’est que dans l’Église, toutes et tous se sentent coresponsables et jouissent, individuellement et collectivement, des libertés et facultés de discernement qui leur permettent de participer aux décisions qui les concernent. A cette fin, un énorme travail d’éducation à la démocratie au sein de nos communautés devra certainement avoir lieu, et cela, dès la catéchèse de l’enfance. Nous aurons à revenir sur ce point. Il ne nous semble pas utile de décrire ici en détail les structures possibles d’un tel mode de gouvernement. Il devra surgir des débats et des expériences qui devront être menés. L’expérience en ce domaine d’autres églises chrétiennes ou de certains ordres religieux pourra certainement nous être très utile. Néanmoins, certaines attentes s’expriment de plus en plus souvent — y compris au récent synode des évêques à Rome — et nous semblent devoir être appuyées. Il en est ainsi d’une pratique plus effective de la collégialité aux différents niveaux et du respect de l’autorité des instances intermédiaires entre le diocèse et l’Église universelle : conférences épiscopales, assemblées d’évêques au plan continental, etc. Il n’est pas normal que les décisions de telles assemblées soient soumises à la censure des bureaux du Vatican, lesquels ne manquent pas de rappeler que de telles décisions n’obligent même pas les évêques dans leurs diocèses respectifs.
Espérances et exigences dans le chef du laïcat Parce que l’ecclésiastique régit aujourd’hui tout l’ecclésial, c’est à la hiérarchie — curie romaine, évêques et curés — que doivent nécessairement s’adresser nos propositions. Nous ne ferons pas pour autant mine de croire que tout est pour le mieux dans le
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meilleur des mondes laïcs… Nous aussi, devons nous imposer des exigences, et elles sont à la mesure de nos espérances.
Apprendre la démocratie Le titre étonnera, choquera peut-être : ne vivons-nous pas en démocratie ? Non, pas vraiment. En politique comme dans nos organisations, la démocratie reste une ambition, sans cesse remise en question par les vicissitudes des rapports humains, mais aussi par les divergences de conception que les uns et les autres se font de l’équilibre parfois délicat à réaliser entre la convivialité et l’efficacité dans la prise de décision. Le chapitre 3, où nous rappelions les principes d’une pleine démocratie, ne trace pas vraiment le portrait-robot de nos sociétés régionale, nationale ou européenne — pour ne pas parler de notre monde « globalisé ». L’énoncé des conditions d’une démocratie vraie comporte bien des critiques implicites à notre démocratie politique, qui n’est pas seulement imparfaite mais qui est, à plusieurs égards, en recul. Et nos propres communautés, organisations et mouvements ont parfois bien de la peine à se gérer démocratiquement. Reconnaissons-le, nous aussi : tout férus de démocratie que nous soyons au C.I.L., nous avons parfois peine à voir comment en réaliser toutes les exigences. Comment éviter une dictature de la majorité, si l’on n’arrive pas à un consensus ? Comment tenir compte de l’avis des minorités sans pour autant leur obéir, ou alors émasculer nos prises de position ? Et chacun de nous, comment nous plierons-nous à l’opinion commune sans renier nos convictions ? La démocratie est une ambition et, pour qui veut vraiment respecter l’autre et ses choix, elle est une ascèse. Nous reconnaissons plus ou moins ces difficultés, mais nous ne savons pas toujours comment il convient de les gérer. Et comme nous n’avons pas l’expérience de pratiques démocratiques dans
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l’Église, nous ne savons pas non plus comment nous nous y prendrions. Quelles responsabilités restent-elles propres aux clercs, aux pasteurs locaux ou à leur collège ? Quelle « voix au chapitre » auront-ils dans des instances synodales ? L’expérience, au demeurant assez diverse, des autres Églises chrétiennes pourra nous inspirer — elles sont toutes plus participatives que la catholique — mais notre propre expérience reste à faire. Nous allons devoir apprendre, et nous devrons le faire avec la même humilité que les clercs : heureux équilibre.
Articuler les démocraties Dans la société, se pose aujourd’hui un nouveau défi : faire coexister, et même s’articuler, la démocratie représentative de la société politique et la démocratie participative de la société civile, au sens où on l’entend aujourd’hui. La société civile inclut des mouvements d’Église. Inclut-elle l’Église elle-même ? Le « civil » ne s’oppose-t-il pas, notamment au religieux ? La question est ouverte — et elle posera à nouveaux frais la question toujours délicate des rapports entre l’Église et l’État. Il est des enjeux de principe que l’autorité ecclésiastique est bien placée pour affronter. Il lui revient de dénoncer ce qui attente à la dignité humaine ou à la justice. Il lui revient de rappeler, aux chrétiens avant tout, la radicalité des appels évangéliques. Mais il serait plus crédible pour l’Église et, surtout, pour l’annonce de la Bonne Nouvelle, que pasteurs et fidèles assurent le plus souvent possible ensemble, en collège, pareilles missions.
Assumer nos responsabilités Être loyal, c’est être à la fois vrai et fidèle. Parfois, souvent même, c’est en étant vrai que l’on est fidèle, sinon à la lettre du
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moins à l’esprit des normes auxquelles nous nous référons : nous sommes appelés à vivre notre foi « en esprit et en vérité ». Mais l’Église a, comme toute organisation humaine, besoin de règles et d’autorités qui y veillent, et il est inéluctable que parfois les exigences de vérité et de fidélité entrent en conflit. Il est une double facilité qui menace alors. Nous risquons la facilité morale qui renonce à être vrais — donc libres et responsables — au nom de l’obéissance due. Ou nous risquons la facilité personnelle où « nos » convictions personnelles sont défendues comme vérité d’Évangile. Bien entendu et suivant une constante doctrine chrétienne, c’est notre conscience qui doit avoir le dernier mot (« L’homme doit obéir à sa conscience, même si elle se trompe », écrit saint Thomas d’Aquin). Mais il doit s’agir, honnêtement, d’une conscience « informée et formée » — en Église. Telle est la loyauté que nous voulons promouvoir, en cherchant à ne poursuivre, ni notre gloire, ni celle de l’autorité instituée, mais la gloire de Dieu qui est en « l’homme vivant » (saint Irénée) et singulièrement chez le plus faible, l’exclu. Là est notre vocation et c’est en y veillant que nous serons fidèles.
Conclusion
Chrétiens adultes et responsables, nous constatons qu’un manque de transparence et de pratiques participatives fait de plus en plus obstacle à la nécessaire action des baptisés, clercs et laïcs. Nous avons cherché les causes de cette situation, identifié la pertinence évangélique de procédures démocratiques, rencontré les objections que cette analogie soulève et suggéré des solutions qui puissent exercer un effet d’entraînement, dans le respect des sensibilités différentes qui constituent l’Église. Nous espérons que ce travail incitera à rechercher de meilleures formes et procédures au sein de tous nos lieux et groupes d’Église, dans un esprit nouveau qui considère les valeurs démocratiques comme « signes pour notre temps ». Ces fruits espérés, nous ne pourrons les cultiver et les récolter qu’ensemble, et cela passera par une éducation à la démocratie sans laquelle celle-ci n’instaurerait qu’un nouveau juridisme. Mais nous sommes remplis d’espérance car nous sommes certains de pouvoir découvrir les merveilles d’une plus grande participation de toutes et de tous, y compris ceux qui sont aujourd’hui exclus de notre vie communautaire, civile ou ecclésiale d’ailleurs. L’Église est l’affaire des baptisés, de tous les baptisés, clercs, religieux et laïcs, hommes et femmes.
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L’Église est en particulier l’affaire des laïcs pour leur mission dans le monde, parce qu’ils ont besoin d’elle et qu’elle a besoin d’eux. L’Église n’est ni le monde, ni le Royaume ; elle est le sacrement communautaire par lequel nous pouvons, ensemble et dans l’Esprit, aller de l’un à l’autre. L’Église est l’affaire des laïcs, enfin, parce que nous sommes l’Église, nous aussi. Nous devons être loyaux à notre baptême : à la fois vrais et fidèles, ce qui ne va pas toujours sans tension. Cette tension, nos consciences sont invitées à la discerner en Église — et c’est la mission de tous les baptisés d’y parvenir. Rendre compte de l’espérance qui est en nous, proclamer la Bonne Nouvelle, édifier le Royaume suppose en effet que nous nous mobilisions. Et c’est cette mobilisation des chrétiens qui justifie qu’ils prennent leur responsabilité commune dans l’Église : elle en est la fin et elle en est la condition.
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Table des matières
Pratiquer la démocratie dans l’Église ? ..................................................1 Avant-propos ............................................................................................3 Introduction ............................................................................................5 Notre démarche ..........................................................................................9
1. Une situation souvent frustrante ......................................................10 Des fonctionnements institutionnels sans consultation ........................11 Les droits des personnes ..........................................................................12 Une mauvaise gestion des conflits ..........................................................14 Un souci pour l’image de l’Église et son avenir ......................................14
2. Comment en sommes-nous arrivés là ? L’éclairage de l’histoire ....16 Une Église hypercentralisée ....................................................................16 Des fonctions sacralisées, donc intouchables ........................................18 L’hypertrophie du juridisme romain ......................................................19 Le monopole de la vérité ..........................................................................20
3. Des précisions sur la démocratie ......................................................23 Démocratie : de quoi parlons-nous ? ........................................................24 Quelques principes de base ......................................................................25 Des limites de la démocratie ....................................................................26 Pratiques et progrès ..................................................................................27 La référence démocratique ......................................................................28
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4. La démocratie convient-elle à l’Église ? ..........................................30 Une première approche : Église et démocratie font bon ménage ..........30 Jusqu’où peut-on aller ? ............................................................................32 L’organisation des pouvoirs dans l’Église est-elle « sacrée » ? ................33 Ne s’agit-il pas du sacrement de l’ordre ? ................................................35 Revenons à l’essentiel : l’Église est communion de libertés ..................38
5. Pour une Église plus démocratique : propositions pour l’action ..41 Faire comprendre que l’Église a le droit de changer ..............................41 Espérances et exigences dans le chef des instances ecclésiales ............44 Espérances et exigences dans le chef du laïcat ......................................52
Conclusion ............................................................................................55 Quelques éléments de bibliographie ....................................................57
Achevé d’imprimer le 30 novembre 2002 sur les presses de l’imprimerie Bietlot, à 6060 Gilly (Belgique).
« L’Église n’est pas une démocratie », tout le pouvoir n’y émane pas du peuple. Mais elle veut être une communauté de baptisés, prêtres, prophètes et rois, envoyés en Église édifier le Royaume, donc coresponsables de cette Église. Par conséquent, la question se pose de la participation des laïcs au fonctionnement de leur Église. Et elle ne saurait se réduire à une consultation par un pouvoir clérical. Les valeurs démocratiques — qui ne se laissent réduire ni aux libertés individuelles ni à une dictature de la majorité — rejoignent celles qui doivent présider aux rapports entre chrétiens. Elles ne sont pas seulement compatibles avec l’esprit évangélique, elles en découlent naturellement. Le Conseil interdiocésain des laïcs (C.I.L.)est un lieu de réflexion et de prise de parole des catholiques de Wallonie et de Bruxelles sur les problèmes de société et les problèmes d’Église. Le C.I.L. est donc un lieu de réflexion et de dialogue, en son sein d’abord, entre les diverses sensibilités qui le composent, avec les évêques, avec d’autres confessions et courants philosophiques et avec diverses composantes de la société civile.
ISBN 2-87356-244-7 Prix TTC : 4,95 €
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