Charles Péguy. Entretiens

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Charles PĂŠguy

Entretiens



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Charles Péguy

Entretiens Suivi de « L’Ève de Péguy » Préfacés par Robert Scholtus Présentés et édités par Albert Béguin, Julie Bertrand-Sabiani et Géraldi Leroy


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Au singulier, 34 Une collection dirigée par Robert Myle s.j. (†) et Annie Wellens

Du même auteur : Œuvres en prose complètes, 3 vol., éd. Robert Burac, Gallimard, coll. Pléiade, 1987-1992. Œuvres poétiques et dramatiques, éd. Claire Daudin, Gallimard, coll. Pléiade, 2014.

© 2017 Éditions jésuites Belgique : 7, rue Blondeau, 5000 Namur France : 14, rue d’Assas, 75006 Paris www.editionsjesuites.com ISBN 978-2-87299-295-9 DL 2017/4255/13


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Préface

« VOILÀ, JE M’ABANDONNE » L’écrivain Georges Hyvernaud disait de Péguy : « C’est un homme que je ne peux pas sentir. Un type qui m’exaspère. […] Je me souviens d’une photo de lui que j’ai vue autrefois. Il est dans sa boutique, la fameuse boutique de la rue de la Sorbonne. Debout, la main droite sur le dossier d’une chaise. Assurance, importance de boutiquier. Il me rappelle mon oncle quincaillier. Mais surtout il fait penser, avec sa barbe et son binocle, aux professeurs de ce temps-là. On ne peut pas s’y tromper. M. Lavisse, M. Lanson, les universitaires qu’il malmenait dans ses écrits, eux aussi avaient cette courte barbe, ce binocle péremptoire, et le petit pli vertical du front à cause du binocle. Péguy a beau s’en défendre, il est l’un d’eux a. » La photo dont il est question date de 1913. La même année, à Fontainebleau, lors des grandes manœuvres, a. G. Hyvernaux, La peau et les os, Le Dilettante, Paris, 1997, p. 129.


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Péguy prend la pose devant l’objectif de son ami Casimir-Perier. Il est sanglé dans son uniforme de lieutenant du 276e R.I. que les péguystes d’aujourd’hui ont encore bien de la peine à déboutonner. En 1913 toujours, au terme de l’entretien qu’il avait eu avec Péguy le samedi 27 septembre, son ami Joseph Lotte note : « Nous parlions dans l’arrière-boutique, la nuit était tombée, nous n’avions pas allumé. Il n’y avait plus de clarté que sur le front de Péguy et sur sa main. » Cet instantané si émouvant, ce portrait en clair-obscur suffit à mettre à distance les clichés et les légendes, les préjugés autant que les idéalisations dont le directeur des Cahiers de la Quinzaine n’a cessé de faire les frais depuis sa « mort à l’ennemi » en septembre 1914. Ses confidences que Lotte a scrupuleusement retranscrites à l’issue de leurs entretiens entre 1910 et 1913 n’ont pas eu droit de cité dans l’édition de ses œuvres complètes pour des raisons que l’on peut comprendre. Elles n’en sont pas moins précieuses, car elles rendent à celui qu’on célèbre comme le poète de l’incarnation ce que l’abstraction des commentaires et les détournements idéologiques de son œuvre avaient fini par faire disparaître : sa barbe hirsute, « sa main à plume », son corps d’écrivain. Corps qui s’épuise à


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écrire sans répit, corps éreinté, « vanné, comme quand on a baisé à force », corps penché sur des épreuves à corriger, corps attablé devant un « demi-brune » ou un « demi-Vichy » dans une brasserie du Quartier latin, corps du pèlerin en marche vers Chartres… Le texte de ces Entretiens cartographie le territoire familier de l’écrivain dont l’épicentre n’est pas tant la boutique que l’arrière-boutique de la rue de la Sorbonne, véritable atelier de production du poète. « Produire » : voilà le mot d’ordre que s’est donné Péguy. Voilà le thème récurrent de ses entretiens avec Lotte : « Je produis. Je subordonne tout à cela… Je produis tout le temps, dans le train, en tramway… Il faut que je produise jusqu’à ce que je meure… Il faut produire, il ne faut pas démontrer, expliquer… Moi je crée, il faut créer… » Péguy n’a effectivement jamais autant produit que ces années-là. Mais en dépit de fugitives promesses de succès et de reconnaissance, il devra se contenter, comme il le dit, d’avoir tout le monde contre lui, de tirer le diable par la queue, et sa femme de faire « ses comptes de boucher ». S’il se trouve encore la force de tout subordonner à sa production, si s’accroît en lui cette fiévreuse volonté de créer, alors même que l’accablent la déroute financière des Cahiers de la Quin-


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zaine, les tourments conjugaux et familiaux et l’incompréhension des amis qui lui veulent du bien, c’est paradoxalement sous l’effet prodigieux de son abandon à la grâce. Loin d’être la chronique d’une mort annoncée et de signer le dépôt de bilan d’une revue et l’échec d’une carrière littéraire, les entretiens de Péguy avec Joseph Lotte nous introduisent dans le secret d’une étonnante résilience et dans la profondeur d’une expérience spirituelle proprement pascale. Le 27 septembre 1912, au terme d’une longue conversation dans la maison qu’il habitait à Lozère, Péguy déclare : « Voilà, je m’abandonne. Je ne tiens plus à rien. La gloire qui m’intéressait, il y a deux ans, je m’en fous. Je m’abandonne. » En 1908, il lui avait confié qu’il avait retrouvé la foi. Quatre ans plus tard, ayant traversé des « épreuves inconcevables dans l’ordre du privé », il peut dire : « Je suis un homme nouveau. » Désormais libéré du souci de plaire et de la nécessité de calculer et d’intriguer, n’ayant plus rien ni personne à ménager, il peut se laisser empoigner par son ange et requérir par les « responsabilités énormes » de son nouvel office : travailler à « une renaissance catholique » qui, parce qu’elle ne peut pas compter sur les docteurs moralistes et les curés dont il faut toujours se méfier, a tout à espérer des


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« pécheurs graciés » comme lui dont la vie est une « gageure ». Il peut se laisser aller à admirer le jaillissement de son inspiration, à vanter l’allégresse de sa poésie et les résonances de sa « prose musicale », à s’étonner de ses trouvailles et de ses formules-choc : « Hein, si ça tombe ! Ah, mon vieux, les mots ! Les mots ! il n’y a rien de comparable… » Sans orgueil, il peut se faire l’exégète d’une œuvre poétique qui, si elle est redevable à la « probité de la prose » qu’il a pratiquée pendant vingt ans, ne lui appartient plus. La voici placée sous le patronage des saints qui « littéralement […] commandent la volonté de Dieu et la dirigent », et abandonnée tout autant à l’amicale hospitalité du lecteur et à ce qu’il avait appelé dans Clio son « effrayante responsabilité ». Dans ses grandes œuvres en prose, Péguy interpelle volontiers ses amis. Mais jamais il ne nomme ce « cher vieux Lotte ». Leur amitié appartient à l’ordre de la confidence, et l’on comprend qu’elle seule ait pu recueillir la confession la plus intime du poète : « Je suis les conseils que Dieu donne dans mes Innocents… Ce que j’y exprimais, je ne l’avais jamais pratiqué. Maintenant je m’abandonne. » La libre conversation autorise les aveux que la notoriété interdit et les paroles que la fausse modestie censure. Péguy ne répond pas


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aux questions d’un journaliste. Il parle en toute liberté à un ami qui aura été, dans l’ombre et à distance, son collaborateur, son plus fidèle soutien et son meilleur publiciste. La profonde complicité des deux hommes est particulièrement manifeste dans le dernier de ces Entretiens que Joseph Lotte publia sous le pseudonyme de J. Durel dans le Bulletin des professeurs catholiques de l’Université (« notre secrète filiale spirituelle », disait le gérant des Cahiers de la Quinzaine), pour le lancement d’Ève, le grand œuvre poétique de Péguy. Dicté à l’évidence par Péguy, mis en forme par Lotte, repris, corrigé et amplifié par son auteur, ce texte écrit à deux mains témoigne de la fidélité de Lotte, « dévoué à l’œuvre de son ami comme personne peut-être ne le fut jamais à aucun autre poète », comme le pensait Albert Béguin. C’est à la faveur d’une si intime collaboration que Péguy a pu révéler la source secrète de son art poétique, en « ces profondeurs où la liturgie et la théologie ne se sont pas encore distinguées », où le charnel et le spirituel ne sont point déliés. Robert Scholtus


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NOTE SUR L’ÉDITION Les Entretiens de Charles Péguy avec Joseph Lotte ont connu trois éditions. Les deux premières sont dues à Marcel Péguy, sous le titre Lettres et entretiens (1re éd. Cahiers de la Quinzaine, XVIII-1, 10 avril 1927 ; 2e éd. Éditions de Paris, Paris, 1954) ; la troisième est l’œuvre de Julie Bertrand-Sabiani et Géraldi Leroy, publiée dans L’Amitié Charles Péguy (no 103, juillet-septembre 2003). « L’Ève de Charles Péguy », édité par Albert Béguin, a paru dans le numéro 3-4 de L’Amitié Charles Péguy (4e trimestre 1948), puis repris en annexe de l’ouvrage d’A. Béguin : L’Ève de Péguy : essai de lecture commentée, suivi de documents inédits (Labergerie, Paris, 1948, p. 203-221). La dernière édition de ce texte a été établie par Robert Burac dans les Œuvres en prose complètes de Péguy (Gallimard, coll. Pléiade, Paris, t. III, 1992, p. 1216-1236). Ces textes sont publiés ici avec l’aimable autorisation de Mme Claire Daudin, présidente de L’Amitié Charles Péguy, que nous remercions vivement. Sauf exception, les notes des éditeurs scientifiques sur le texte de Péguy sont reportées en fin de volume. Celles précédées de la mention NdÉ sont nôtres. Ce livre est dédié à la mémoire de Robert Myle, s.j., qui, au sein de la collection « Au singulier » qu’il dirigeait avec Annie Wellens, avait soutenu ce projet avec enthousiasme et émotion. Yves Roullière 14 mars 2017


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Charles PĂŠguy

Joseph Lotte


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ENTRETIENS


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PRÉSENTATION

« Je me sens avec toi dans un ordre de confidence et de confession qui est en dessous de l’ordre publica. »

Joseph Lotte est né à Rochefort-sur-Mer en 1875b. Il fit ses études secondaires au lycée de Cherbourg. Venu préparer l’École Normale Supérieure à Sainte-Barbe en 1894, il y rencontra Péguy reçu au concours de la rue d’Ulm le 31 juillet précédent. Lotte, pour sa part, s’y présenta en vain. Il obtint sa licence à Rennes et occupa plusieurs postes de professeur en collège et en lycée. À la rentrée de 1910, il fut nommé à Coutances. Il y a. Lettre de Ch. Péguy à Joseph Lotte, vendredi 10 mai 1912. b. Sur la personnalité de Lotte et le rôle du Bulletin des professeurs catholiques de l’Université, relais de la pensée de Péguy et instrument de promotion de son œuvre, voir l’article de Françoise Gerbod, « Le Bulletin des professeurs catholiques de l’Université. Un instrument utilisé pour la diffusion de son œuvre dans le monde catholique » (L’Amitié Charles Péguy, no 103, juillet-septembre 2003, p. 295-313).


En lecture partielle‌


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TABLE DES MATIÈRES

Préface, par Robert Scholtus .................................. Note sur l’édition, par Yves Roullière ..................

5 12

Entretiens Présentation ............................................................ Note sur la présente édition .................................. Entretiens ................................................................

17 25 27

L’èVE DE PÉGUY Présentation ............................................................ Note sur la présente édition .................................. L’Ève de Péguy ........................................................

65 74 77

Notes ........................................................................ 115 Table des matières .................................................. 137


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ImprimĂŠ en Belgique Mai 2017



Charles PÉGUY (1873-1914) est l’un des plus grands ĂŠcrivains et penseurs du XX e siècle. Le prĂŠfacier, Robert SCHOLTUS, ĂŠcrivain, est spĂŠcialiste de l’œuvre de PĂŠguy.

ISBN : 978-2-87299-295-9

9 782872 992959

Collection Au singulier 10 â‚Ź

www.editionsjesuites.com

En couverture : J.-P. Laurens, Portrait de Charles PĂŠguy, huile sur toile, 118,5 Ă— 89 cm, 1908 Š Centre Charles PĂŠguy - OrlĂŠans

C

es confidences de Charles PĂŠguy ont ĂŠtĂŠ scrupuleusement retranscrites entre 1910 et 1913 par son ami Joseph Lotte. Elles n’ont pas eu droit de citĂŠ dans l’Êdition de ses Ĺ“uvres complètes. Elles n’en sont pas moins prĂŠcieuses. Celui que l’on cĂŠlèbre comme le ÂŤ poète de l’incarnation Âť se fait ici prĂŠsent comme jamais, avec sa barbe hirsute, son corps ĂŠreintĂŠ, autour d’une table de bistrot. Plongeant sans apprĂŞt au cĹ“ur des ĂŠpreuves que traverse PĂŠguy Ă l’Êpoque, ces entretiens nous introduisent surtout dans le secret d’une ĂŠtonnante rĂŠsilience et dans la profondeur d’une expĂŠrience spirituelle proprement pascale.


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