Veilleurs aux frontières. Penseurs pour aujourd’hui (Bergson-Rosenzweig, Girard-Ricœur-Chalier…)

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Francis Guibal

Veilleurs

aux frontières Bergson-Rosenzweig Girard-RicĹ“ur-Chalier Derrida-Nancy philosophie

donner raison

Castoriadis-Stanguennec



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Veilleurs aux frontières Penseurs pour aujourd’hui Bergson-Rosenzweig Girard-Ricœur-Chalier Derrida-Nancy Castoriadis-Stanguennec


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Donner raison – philosophie, 66 Une collection dirigée par Paul Gilbert s.j.

La liste des ouvrages du même auteur se trouve en fin de volume.

Cet ouvrage a été : « Publié avec le concours de l’Université de Strasbourg et du Centre de recherches en philosophie allemande et contemporaine (CREPHAC, EA 2326). »

© 2018 Éditions jésuites, 7, rue Blondeau, 5000 Namur (Belgique) 14, rue d’Assas, 75006 Paris (France) www.editionsjesuites.com ISBN : 978-2-87299-343-7 D 2018/4255/15


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Préface SENS EN ÉCLATS L’ombre de l’Absolu S’il paraît difficile de surestimer l’importance philosophique de Hegel, c’est sans doute d’abord parce que cet « Aristote des temps modernes » (Alain) a su prendre la mesure de toute l’histoire intellectuelle et spirituelle dont il se voulait l’héritier et la conscience de soi ; il y a là une œuvre monumentale « où viennent se jeter tous les courants de l’esprit occidental et où se manifestent tous ses niveaux1 ». Son originalité singulière tient probablement au fait qu’elle a découvert l’historicité radicale de l’existence sans renoncer pour autant à la visée compréhensive d’une rationalité coextensive à la réalité. D’où une pensée tenant ensemble la lucidité réflexive et l’ambition encyclopédique, capable de sonder et de faire venir au jour toutes les richesses potentiellement raisonnables de son époque, la logique de l’idéalisme spéculatif s’y révélant en accord foncier avec le réalisme empirique le plus concret. Mais c’est justement cette puissance intégrative de l’Absolu qui semble bien à présent nous être refusée ; parce que sa relève unitaire s’est vu opposer non seulement la violence de la révolte, mais la pluralité invincible des perspectives finies et la reconnaissance raisonnable de l’irréductible multiplicité du patrimoine spirituel de l’humanité. Tout se passe comme si nous avions pris conscience que l’intrigue première n’était pas, pour la

1. Emmanuel Levinas, De Dieu qui vient à l’idée, Vrin, Paris, 1982, p. 214. Éric Weil, de son côté, estimait qu’il y avait là un « nœud de l’histoire » qui faisait d’elle « la dernière des grandes philosophies » et « par conséquent aussi, la première philosophie contemporaine » (Essais et conférences 1, Paris, Plon, 1970, p. 127-128).


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raison elle-même, celle de la pensée et de ses catégories essentielles, mais celle de la liberté et de ses attitudes existentielles. Les questions ultimes ne disparaissent pas pour autant, mais elles échappent désormais aux prétentions magistrales d’une théorie unique. C’est seulement du dialogue toujours à reprendre des libertés en quête partagée de raison que peut renaître sans trop d’illusions la visée d’un sens (de l’existence) qui ne peut que se diffracter en sens multiples2. La pluralité constitutive de ces discours du sens se redouble d’ailleurs en ceci qu’il ne semble plus pouvoir être donné à aucun de prétendre s’établir dans la systématicité circulaire de la totalisation spéculative. La finitude, sans doute, continue bien à être mue par la recherche raisonnable de la cohérence, mais cette dernière comporte elle-même de multiples dimensions qui ne se laissent pas réduire simplement à l’unité de l’idée ou de l’esprit. Cela vaut notamment du rapport entre l’agir, le penser et le vivre3, mais, de manière plus générale, c’est tout ce qui se trouve magistralement recueilli et relevé dans le livre encyclopédique de l’Absolu (le logique et le réel, la nature et la culture, la subjectivité psychologique de la conscience et l’objectivité politico-historique de l’esprit ainsi que son sens ultime, esthétique, religieux et philosophique) qui ne cesse sans doute de « revenir », tout autrement, dans la pensée contemporaine : en éclats multiples de sens, sous le signe d’une exposition sans assurance et d’une déliaison interrogative qui accompagnent toutes les avancées et explorations du présent. Comme si la créativité symbolique du langage et de la liberté ne cessait d’excéder les prises conceptuelles du discours cohérent, comme si les figures et formes multiples de l’altérité venaient constamment relancer l’élan d’une raison jamais assez réveillée dans son désir et sa quête de vérité à hauteur d’humanité en dialogue.

2. Selon Éric Weil, il y a là un paradoxe constitutif de la « catégorie de la philosophie » qu’est pour lui le Sens : « le sens de l’existence est d’avoir un sens » (Logique de la philosophie, Paris, Vrin, 1950, p. 419 et 424). 3. C’est ainsi que la philosophie d’Éric Weil s’expose à travers la cohérence « trinitaire » de la dernière catégorie concrète qu’est l’Action et des deux catégories formelles du Sens et de la Sagesse.


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HISTOIRE ET LIBERTÉS Tout se joue donc pour nous dans l’espace d’une finitude dont il s’agit de discerner et de promouvoir les possibilités raisonnables, en refusant notamment le règne menaçant d’une rationalité purement techno-scientifique dont la violence « monoculturelle4 », destructrice des hommes et du monde, « fonctionne à plein régime » dans une époque qui semble n’avoir plus d’autre « fonction majeure5 ». Face à l’impérialisme d’une économie « malade de sa finance », il importe d’en appeler à une reprise ou à un infléchissement politique qui est « la clé d’un ressaisissement6 » signifiant. Mais cela ne saurait aller sans le réveil et la sagesse pratique d’acteurs-sujets s’efforçant de se faire co-citoyens en charge du monde et des partages signifiants qu’il appelle. La créativité de nos libertés doit apprendre à s’exercer non en se repliant sur la suffisance prétendue de sujets substantiels ou transcendantaux crispés sur leur conscience de soi, mais en s’engageant dans l’épreuve partagée d’une condition moderne dont la finitude même exige de nous que nous tentions d’y articuler au plus juste le réalisme historique de l’action et le jugement responsable de la pensée7. La recherche de Cornelius Castoriadis s’est ainsi centrée tout entière sur ce qui pousse les libertés dans l’histoire vers une autonomie responsable, tant individuelle que collective, qui trouve ses racines dans l’élan de l’ima4. Pour Gérard Granel, la « monoculture » qui menace notre monde est une « vaste machine de destruction » obéissant à la « domination mondiale de la logique du Capital » (« ¿Monocultura ? ¿Incultura ? Perspectivas desde el tercer milenio », dans La mirada de los otros. Diálogos con la filosofía francesa contemporánea, M. Giusti editor, Fondo editorial de la PUC, Lima, 2015, p. 298 et 300). 5. Maurice Bellet, Un trajet vers l’essentiel, Seuil, Paris, 2004, p. 30 ; cette « fonction majeure » ayant jadis été remplie par la Nature, Dieu ou la Raison (dans l’histoire). 6. Marcel Gauchet, dans Que faire ? Paris, Philo-édition, 2014, p. 92 et 95. Le problème, comme l’indique bien Michel Rocard, est que, si « l’essentiel des réponses » aux défis de notre monde « est d’ordre politique », nous assistons trop souvent à une « mort lente du politique » (Suicide de l’Occident, suicide de l’humanité ?, Flammarion, Paris, 2015, p. 60-61). 7. Éric Weil, entre autres, a toujours insisté sur ce lien entre ces deux dimensions également constitutives d’une philosophie digne de ce nom.


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ginaire créateur et son accomplissement dans l’effectivité pratiquement révolutionnaire d’une citoyenneté s’ouvrant démocratiquement aux partages de la raison (I, ch. 1). De la souveraineté anonyme du « Ça » ou de « Personne » à la liberté responsable du « Je » ou du « Nous », le passage est d’ailleurs toujours à reprendre, ce qui requiert une vigilance pratique perpétuellement aux aguets. Cependant que ces avancées militantes de l’existence en quête de raison font droit également aux progrès de la connaissance et débouchent sur une pensée attentive à la richesse plurielle, hétérogène et morcelée, d’un « il y a » magmatique et énigmatique. L’imprévisible originalité des libertés créatrices s’inscrit bien au cœur de l’inépuisable réalité, mais elle ne récuse pas moins la clôture d’une ontologie unitaire que la transcendance d’une métaphysique de type théologique. André Stanguennec, lui, s’inspire d’Éric Weil et de Paul Ricœur pour revendiquer une sorte de kantisme post-hégélien où la réflexivité critique est fortement préférée à l’absoluité spéculative, mais sans que la liberté finie du soi spirituel s’érige pour autant en instance séparée, surplombant l’effectivité du monde, du langage et de la culture (I, ch. 2). S’expose donc le déploiement audacieux d’une systématique métaphysique, à partir précisément de ce soi reconnu comme dialectiquement coextensif au tout de la réalité. C’est que la réflexivité a ici une portée ontologique, elle explore et révèle l’universalité de l’être en son univocité sensée : l’aventure éthique et historique de l’esprit ne se développe que sur fond de précédence épique dans la nature, et ce « pan-séisme » de la réalité va jusqu’à se réfléchir à partir d’un Infini dont le soi porte l’idée et qu’il lui revient de penser en son analogie paradoxale. Retour, donc, d’une « onto-théo-logie » dont on peut estimer qu’elle constitue en fin de compte une « reprise » finie de l’Absolu sous la Conscience et que certain constructivisme théorique y efface sans doute trop facilement le « pollachôs » irréductible de la dispersion ontologique ainsi que l’originalité d’une créativité historico-spirituelle toujours à l’épreuve des figures multiples de l’altérité. Chacune selon son style, ces deux orientations de pensée partent justement de notre monde et de l’exigence difficile d’apprendre à le soustraire à l’insignifiance qui le guette en le remettant dans une dynamique à la fois pratique et théorique de libération, de création et de réflexion raisonnables. Ce faisant, cependant, ces pensées « fortes » courent le risque de faire retour à certaines assurances trop massives, que ce soit à partir d’un projet pratique d’autonomie trop peu affectée de vulnérabilité, ne retenant des figures et des résistances de l’altérité que ce qui est susceptible de la mettre à l’épreuve et de la conforter, ou en revenant à la visée d’un sens onto(théo)logique susceptible d’être déchiffré et déployé en son unitotalité


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systématique. La probité critique peut sans doute gagner à s’ancrer davantage dans une expérience de libertés mieux ouvertes à l’irréductibilité de ce qui les excède.

EXPÉRIENCE ET TRANSCENDANCE Henri Bergson et Franz Rosenzweig revendiquent également pour leurs pensées le qualificatif d’« empirisme vrai », d’« expérience intégrale » ou d’« empirisme absolu8 ». Il ne s’agit là ni d’un empirisme vulgaire, crispé sur la simple positivité de faits ponctuels, ni d’une « science de l’expérience de la conscience9 » s’ordonnant à la vérité historique et spéculative de son accomplissement spirituel, mais d’une attitude originale de l’existence qui décentre la pensée en tournant son attention vers la nouveauté et le déploiement d’une extériorité qui lui survient et la bouleverse. L’expérience ainsi entendue laisse résonner jusque dans l’enceinte philosophique des paroles irréductibles à la maîtrise des discours, elle relève d’une traversée périlleuse engageant le(s) sujet(s) dans un voyage aventureux où la liberté raisonnable n’est pas maîtresse du jeu, où il lui faut apprendre à fluidifier ses concepts pour les ajuster à une réalité toujours en excès par rapport à ce qu’il lui est donné d’en percevoir et d’en accueillir. La philosophie, dans cette perspective, est seulement une idée régulatrice vers laquelle il n’est de cheminements qu’individuels, dont chaque penseur ne peut s’approcher qu’à la mesure de ses avancées singulières et d’une vulnérabilité déprise de soi, ouverte à l’écoute de ce qui peut l’affecter, l’altérer et la renouveler. La pensée bergsonienne (II, ch. 3) prend ainsi appui sur une expérience qui est toujours bi-face, où ne cessent de se conjuguer le dehors et le dedans, l’extériorité de l’être-au-monde (perception) et l’intériorité de l’être-à-soi (mémoire). Ce qui donne sens à cette articulation est le dynamisme, diversement tendu, d’une durée en jaillissement continu de nou8. H. Bergson, « L’introduction à la métaphysique » (La pensée et le mouvant, PUF, Paris, 1975, p. 196 et 227) et F. Rosenzweig, « La pensée nouvelle » (dans Foi et savoir, Vrin, Paris, 2001, p. 162). 9. Selon le titre original qui se trouve encore indiqué après la Préface de la Phénoménologie de l’esprit ; la formule revient vers la fin de l’introduction (trad. Hyppolite, Aubier-Montaigne, Paris, 1939, t. 1, p. 77).


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veauté, mais où la pesanteur matérielle et l’élan spirituel s’affrontent constamment à travers des variations vitales et psychologiques. Tout culmine dans l’auto-création, constamment relancée par les résistances mêmes qu’elle rencontre, des inspirateurs héroïques de la moralité et des aventuriers mystiques de la religion, dont l’appel ne dessine pourtant, à terme, que la figure idéale d’une expérience « telle qu’on l’attendait10 ». On ne peut que saluer la prudence et la probité qui tentent de retracer l’élan, les avancées et l’intégralité différenciée de cette expérience spirituelle, mais il est difficile de ne pas se demander si nous ne restons pas là à l’intérieur d’une dynamique d’auto-transcendance, où la conscience de la vie ne cesse de réduire à sa propre mesure (intuitive) ce dont elle éprouve pourtant l’immaîtrisable excès. Pour Rosenzweig (II, ch. 4), l’expérience se cherche moins du côté de la durée et de la vie intérieure de la conscience que du côté de la parole qui interpelle cette dernière et l’arrache à la solitude tragique de son monde sourd et muet. Cette survenue de la parole est le « miracle » caractéristique d’une Révélation qui « éveille à sa vraie vie11 » l’âme des humains en faisant d’eux des sujets capables d’écoute et de réponse. Le présent de l’accueil et de l’adresse ne cesse de renouveler et comme de recréer intégralement l’existence, il reflue vers le passé du « grand poème du monde12 » créé dont il éclaire les sombres profondeurs, cependant qu’il se projette également vers l’horizon à la fois en venue et toujours à venir d’un royaume où l’homme et le monde se laissent libérer d’eux-mêmes par un Tiers qui n’entre pas dans leur co-relation. Il s’agit donc ici essentiellement d’une hétéro-transcendance dont la conscience n’est pas la mesure mais le destinataire et qui donne d’ailleurs lieu aux deux aventures spirituelles à la fois distinctes et complémentaires de la vigilance en retrait (de l’élection et du feu judaïques) et de l’envoi en mission (de l’incarnation et du rayonnement chrétiens). La force de ce type de pensées tient à ce qu’elles renvoient les prétentions du savoir à la source vive du sens : l’effectivité et la relativité d’une expérience en devenir, qui met à mal la fixité auto-centrée de la conscience en l’ouvrant aux profondeurs qui l’habitent et où elle se découvre sujette aux provocations et aux visitations du dehors, de l’altérité et de la transcendance. Dans les deux cas, cette expérience décentrée parvient à son 10. H. Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion, PUF/Quadrige, Paris, 1982, p. 263. 11. F. Rosenzweig, L’Étoile de la Rédemption, Seuil, Paris, 1982, p. 135. 12. Id., « La pensée nouvelle », dans Foi et savoir, p. 158.


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intensité la plus haute en se confrontant à la radicalité éthique et mystique d’une inspiration religieuse dont il s’agit d’accueillir la provocation tout en procédant à son examen interrogatif13. Quelle que soit, cependant, la probité intellectuelle et spirituelle dont ces deux pensées témoignent dans leur effort de « vérification » de ce qu’elles avancent, elles risquent symptomatiquement de se laisser prendre au piège de deux formes inverses de « maîtrise » : que ce soit en insistant sur l’immédiateté d’une auto-transcendance récusant finalement toute autorité extérieure à ce qu’elle en éprouve14 ou en s’abandonnant trop exclusivement à la seule altérité d’une parole souveraine de révélation15. Entre une expérience ne s’ouvrant qu’à une transcendance toujours déjà mesurée par la « mêmeté » intuitive du jugement philosophique et une expérience se recevant sans distance (auto)critique d’une hétéro-transcendance absolue, ne conviendrait-il pas de chercher à établir une relation plus mouvante d’interaction et d’altération réciproque où la différence ne cesse de se creuser, de l’intérieur même de l’expérience, entre l’unicité de l’appelé et l’altérité de l’appelant16 ? 13. Une pensée formée à la liberté de la conscience (de soi) moderne ne peut manquer en effet de se demander si celle-ci est compatible avec un assentiment à l’extériorité d’une parole de révélation. Le P. Dominique Dubarle, dans un cours des années 1970 sur « La vérification du discours de foi et l’expérience théologale », formule ainsi cette interrogation : « L’expérience mystique est-elle vraiment, pour une intelligence d’à présent, une expérience de la réalité de ce Dieu qu’elle se figure, expérience théologale, au sens propre et fort de cet adjectif ? » (Je prends cette citation à un article d’Olivier Riaudel, « Théologie et expérience théologale », à la p. 160 du recueil qu’il a dirigé sur la pensée de Dubarle et publié sous le titre Logique, raison, foi et liberté, Cerf, Paris, 2017). 14. Bergson, on le sait, limitait la compétence philosophique à l’expérience et au raisonnement, ce qui lui interdisait de faire porter sa réflexion sur « la révélation qui a une date, les institutions qui l’ont transmise, la foi qui l’accepte » (Les deux sources de la morale et de la religion 3, p. 265-266), l’immédiateté de l’expérience intuitive ne laissant guère de place aux risques de l’interprétation. 15. Rosenzweig, lui, condamnait la rationalité philosophique à la surdité « élémentaire » de rêves monologiques et se risquait à une sorte de « théosophie » ne trouvant appui que sur les deux sols « de la philosophie achevée (Schelling) et de la Révélation (la mystique) » ; il ajoutait, il est vrai, qu’il en demeurait lui-même « étonné » et qu’il résistait « à cette pensée » (« Le noyau originaire de L’Étoile de la Rédemption », dans Foi et savoir, p. 142). 16. C’est surtout la pensée d’Emmanuel Levinas qui a tenté de procéder à cette mise en relation en insistant sur la mutualité irréductiblement dissymétrique du même et de l’autre ou de « l’autre-dans-le-même » : l’expérience, alors, se faisant « épreuve » sans fin relancée d’une responsabilité jamais à la hauteur de l’appel qui la suscite.


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DÉCONSTRUCTION ET CRÉATION Ni Jacques Derrida ni Jean-Luc Nancy ne récusent le terme d’expérience qu’ils prennent au sens de « voyage, épreuve, à la fois médiatisée et singulière17 » ou de style de l’existence qui « s’essaie elle-même, en deçà et audelà d’elle-même, trace et franchit la limite de son être-jeté-au-monde, tente toute sa chance d’exister18 ». Dans le sillage de Heidegger, toutefois, ils laissent ce geste s’engager dans une entreprise de « déconstruction » qui le précède et le prolonge, qui met à mal et fait vaciller toutes les idoles identifiables et toutes les souverainetés assurées. Cela vaut sans doute en tout premier lieu pour les constructions systématiques de la métaphysique classique, mais cela n’épargne ni leurs équivalents religieux traditionnels ni leurs substituts modernes sécularisés. Et cela débouche finalement sur un défi majeur : se soustraire au risque d’une complaisance plus ou moins nihiliste dans la négation, se laisser rappeler donc, à la suite de Nietzsche, que la critique, interne à l’expérience, n’a de sens que portée et débordée par une volonté de création affirmative19. Chez Derrida (III, ch. 5), les rêves illusoires de présence absolue ne sont jamais dénoncés et déconstruits que pour mieux renvoyer à ce qui ne cesse de leur échapper : de l’altérité en mode multiple, toujours « hétérogène à l’origine20 ». Ne se donnent vraiment à éprouver et à accueillir que des formes et figures rebelles à toute capture, dont les venues en passages toujours imprévisibles et inanticipables ont pour effet salutaire d’aiguiser en nous le sens d’une justice indéconstructible parce que sans fin relancée. Car ce « plus d’un » de l’altérité vient frapper au cœur de chacun (de chaque « un ») et suscite ainsi l’élection hétéronomique d’une responsabilité précédant et suscitant l’engagement de la liberté. Ce qui ne conduit nullement à un rejet, plutôt 17. J. Derrida, Points de suspension, Paris, Galilée, 1992, p. 373. 18. J.-L. Nancy, L’expérience de la liberté, Paris, Galilée, 1988, p. 114. 19. Georges Morel a souvent souligné que c’était « pour Nietzsche une thèse cen-

trale qu’il n’y a pas de critique préalable et que seule la création peut détruire » (Nietzsche, Introduction à une première lecture, Aubier, Paris, 1985, p. 201). Le Gai Savoir l’énonce avec une force exempte de toute ambiguïté : « seuls les créateurs peuvent anéantir » (§ 58). 20. J. Derrida, De l’esprit, Paris, Galilée, 1987, p. 184 ; de manière analogue, L’Écriture et la différence (Paris, Seuil, 1967) soutenait déjà que « c’est la non-origine qui est originaire » (p. 303).


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à la provocation et au réveil d’une raison jamais assez vigilante dans sa manière d’accueillir ce qui la précède. Une inquiétude « messianique » — récusant tout messianisme assuré — témoigne ainsi d’un amour sans retour de l’éphémère de la vie et d’un « oui » indéfiniment répété aux figures multiples et toujours nouvelles de son altérité imprenable. Nancy (III, ch. 6), de son côté, met l’accent sur la double déclosion qui affecte tout ensemble la raison philosophique et la foi religieuse en les arrachant respectivement à la domination du principe et au règne de la communion. Tout se joue dès lors sous le signe d’une finitude sans recours ou d’une existence singulièrement plurielle, toujours-déjà abandonnée, espacée et partagée. À égale distance d’une dispersion insignifiante et d’une relève souveraine, le régime ontologique est ici celui « de l’exposition au monde et de l’être-avec qui s’y tisse en humanité21 ». L’effacement de Dieu et des médiations religieuses n’y emporte pas l’enthousiasme d’une pensée habitant et parcourant les lieux « divins » du monde, vouée à la tenue et à l’inclinaison éthiques de l’adresse ou d’une parole de souffle qui garde en elle le sens du salut (sans salvation) et de l’adoration (sans idolâtrie) ; libérée du surplomb de toute majusculation identitaire, l’altérité redoublerait d’intensité en nous et entre nous, entre les uns et les autres que nous sommes tous également et distinctement voués à l’aventure communément partagée d’une existence livrée à elle-même. Une provenance distincte, juive dans un cas, chrétienne dans l’autre, se laisse évidemment discerner dans ces pratiques pensantes de la déconstruction. Distance est prise, sans nul doute, à l’égard de « tous les processus de révélation historique ou d’expérience théo-anthropo-logique22 », comme à l’égard de l’emprise imposante et asservissante de l’Autre comme Un figé dans sa présence et sa souveraineté « religieuses ». Cela n’empêche nullement que justice cherche à être rendue tant à l’inspiration messianique du judaïsme qu’à l’aventure spirituelle et mystique du christianisme. Derrida n’hésite pas, à cet égard, à confesser un « malaise de la responsabilité » quant à la préséance de la « révélation » (Offenbarung) historique de la parole religieuse ou de la « révélabilité » (Offenbarkeit) transcendantale de la réflexion pensante… Et les convictions agnostiques ou « athées » de Nancy vont de pair avec une radicalité décapante qui met à nu la fragilité inhérente à la créature vulnérable et résiste à la tentation de décréter superbement l’épuisement ou la fin des traditions qui ont porté, fût-ce de manière ambiguë, la 21. Pierre Gisel, dans Penser en commun ? Un « rapport sans rapport », Beauchesne, Paris, 2015, p. 132. 22. J. Derrida, dans La Religion, Paris, Seuil, 1996, p. 31.


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« déclosion » dont nous sommes contemporains. Il se pourrait donc que la « déconstruction, en mettant à mal les souverainetés idolâtriques de nos traditions tant religieuses que philosophiques, nous incite à un dialogue renouvelé entre l’inspiration du croire et l’articulation du penser, les deux se provoquant et s’ordonnant réciproquement au(x) partage(s) toujours singulier(s) de l’existence ».

LE RELIGIEUX EN HÉRITAGE(S) Il est possible, en tout cas, de reprendre un peu autrement l’inspiration critique et créatrice de la déconstruction ; en partant davantage de l’intérieur d’une inscription historique et culturelle particulière, mais toujours vivante et susceptible de donner lieu à des convictions raisonnablement exposées à une « vérification » ou à une « homologation » jamais achevée ni assurée. Il ne s’agit pas alors de répéter simplement une transmission séculaire, mais de mettre à l’épreuve de la finitude et de l’histoire des écritures d’expérience(s) en les confrontant aux défis modernes de la sécularisation, soit de la rationalité scientifique, de l’émancipation politique et de la réflexion philosophique. Est-il possible, autrement dit, de continuer à écouter et à laisser résonner dans notre actualité des textes du passé en exerçant à leur égard une probité intellectuelle et spirituelle qui recueille de manière responsable les incitations et provocations dont ils témoignent ? En refusant donc résolument d’en faire des instances de souveraineté magistrale, mais en leur permettant « d’occuper parmi d’autres la place23 » raisonnablement assignable à l’inspiration et à la signifiance religieuses. C’est à partir de la violence inhérente à un désir mimétique qui met la rivalité et la jalousie au cœur des relations humaines que René Girard interroge le phénomène religieux (IV, ch. 7). Il y décèle la place centrale d’un sacrifice victimaire originel fonctionnant comme opérateur culturel de réconciliation sociale. Mais il découvre également que la conjuration éminemment ambiguë de cette contre-violence religieuse fait l’objet, dans la tradition biblique, juive et surtout chrétienne, d’une démystification et d’une purification radicales. Il faut alors se demander si cette orientation spirituelle foncièrement éthique, qui travaille justement notre histoire 23. P. Gisel, dans Penser en commun ?, p. 137.


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occidentale, ne risque pas malgré tout de sous-estimer les « puissances » dont elle prétend nous libérer et de conduire en fin de compte au déchaînement d’un affrontement apocalyptique sans précédent… On ne peut qu’apprécier l’audace d’une pensée qui se risque à prendre l’originalité de la révélation biblique et évangélique pour fil conducteur d’une herméneutique fondamentale de la culture et de son sens. Mais il est possible d’estimer qu’il y a là une générosité qui cède parfois à certain triomphalisme en prétendant trop vite mettre la foi (chrétienne) en position d’arbitre « scientifique24 » dans le conflit des interprétations. Beaucoup plus prudente et patiente est la manière de Paul Ricœur (IV, ch. 8). S’il s’avoue marqué fondamentalement par une « double allégeance », religieuse et philosophique, il met résolument l’accent sur une distinction qui interdit tout amalgame entre ces deux modes de pensée : impossible de confondre les problèmes auxquels s’affronte le travail de la raison et les appels qui suscitent l’écoute de la foi. La réflexion raisonnable du philosophe relèvera donc d’une ascèse anthropologique dont la probité éthique et critique récuse toute intrusion de l’absolu ; cependant que les convictions religieuses du croyant se garderont de leur côté de toute prétention spéculative ou dogmatique. Si rencontre il peut et il doit y avoir, elle n’aura lieu qu’à l’intersection de trajectoires distinctes et dans le respect des régimes spécifiques de discours ; la raison pourra bien s’y ouvrir à ce qu’elle ne maîtrise pas et la foi s’y exposer à des efforts toujours à reprendre de traduction intelligible, cela ne conduira jamais à supprimer la distance entre la relation d’altérité du religieux et la responsabilité autonome du philosophique, entre des sources reçues de la contingence historique pour l’un et des arguments posés et développés par la maîtrise rationnelle pour l’autre. La rigueur critique va ainsi de pair ici avec le style et la réserve d’une « tenue » qui ne consent que difficilement à se plier à l’inclinaison et au lâcher prise d’un « me voici » ou d’une expérience existentielle d’unicité singulièrement décentrée dont la responsabilité même se reçoit d’une élection qui la précède, la provoque et la relance sans fin. Ce n’est pas de l’intérieur d’une confession chrétienne, qu’elle soit catholique ou protestante, mais à partir d’un ancrage judaïque que Catherine Chalier tente librement de suivre Emmanuel Levinas dans un cheminement de pensée soucieux de tenir ensemble et d’articuler au plus juste la rigueur 24. Convaincu que la révélation est la « clef » (Les origines de la culture, Pluriel/ Fayard, Paris, 2011, p. 277) de toutes les contradictions de l’existence, Girard en vient parfois à soutenir que « la supériorité biblique et évangélique est démontrable scientifiquement » (ibid., p. 121).


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philosophique et l’inspiration biblique (IV, ch. 9). Il s’agit d’abord de ranimer la vigilance critique d’une raison toujours menacée de sommeil dogmatique. Le langage et la liberté, les visages toujours singuliers, les résistances de la violence et les partages du sens, autant de figures diverses d’une altérité dont il importe de prendre la mesure sans prétendre la réduire trop facilement ; ne serait-ce pas d’ailleurs le meilleur et le plus vif de la raison effective que de se découvrir justement ordonnée à ce qui la provoque tout en l’inquiétant et en l’altérant ? Les Écritures bibliques, de leur côté, ne révèlent leur densité symbolique spécifique qu’à un travail herméneutique opposé à la violence fondamentaliste mais débordant également l’étroitesse des analyses historico-critiques. Leurs lettres mêmes appellent une exégèse spirituelle dont le souffle ravive le feu qui couve sous leurs braises. La « révélation » ainsi entendue n’a rien de magique, elle se mesure aux avancées qu’elle suscite, elle en appelle pratiquement « à l’unique en moi », soit à la responsabilité d’une élection unique à vocation universelle, qui « n’oublie pas le poids du monde, l’inertie des hommes, la surdité de l’entendement25 ». Tant et si bien qu’entre leur « premier sens », avec sa richesse potentiellement inépuisable, et le « dernier mot » toujours à inventer de leur traduction responsable, s’éprouve une sorte de transcendance réciproque qui interdit toute installation au(x) sujet(s) en qui ils se rencontrent. Marquées par des provenances distinctes et témoignant également de styles très différents, ces trois pensées ont en commun de conjuguer une libre fidélité singulière à des sources religieuses traditionnelles avec la mise en œuvre d’un souci critique d’actualisation et d’universalisation raisonnables. Il importe sans doute de continuer à maintenir un espace d’écoute pour une Parole qui s’est transmise à travers des écritures d’expérience, mais en refusant les facilités aliénantes d’une soumission passive à des autorités magiques. La liberté, pour autant, ne s’érige pas en instance d’autonomie souveraine, elle se laisse atteindre par ce qui la décentre et qu’elle ne maîtrise pas. À la fois vulnérable, éducable et responsable, la subjectivité s’éprouve appelée à un discernement critique où ne cessent de se conjuguer l’ouverture aux provocations immaîtrisables de l’altérité et les ressources d’une intériorité susceptible de réponse aussi juste que possible. C’est la force même des convictions personnelles, issues ici de la mouvance judaïque et de sa greffe chrétienne, qui invite à faire confiance aux ressources d’intelligibilité d’une raison qui n’est peut-être jamais davantage fidèle à elle-même que lorsqu’elle se donne les moyens d’écouter et de 25. E. Levinas, L’au-delà du verset, Minuit, Paris, 1982, p. 163 et 166.


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« comprendre ce qui en nous et dans les autres excède la raison26 ». Aussi vénérables soient-ils, les textes bibliques eux-mêmes, avec toute leur force « révélante » plus que « révélée27 », n’ont donc pas à être soustraits à cet examen compréhensif qui invite notamment à « accepter le voilement qui résulte de l’entrée dans l’histoire, donc à accepter également la critique historique28 ». Il peut sans doute en résulter une purification douloureuse pour un imaginaire religieux inévitablement lié à des contextes culturels particuliers, mais cette transmission d’expérience(s) peut également s’avérer porteuse de ressources symboliques et signifiantes encore à explorer. En acceptant de se confronter tout ensemble au passé dont elle provient et au présent du monde qui l’entoure, l’attitude croyante se défait de fausses sécurités, s’expose inévitablement à certaine « mort de Dieu29 », mais se révèle aussi capable de se soumettre au feu d’une critique raisonnable qui pourrait bien creuser en elle la radicalité d’une maturité et d’une responsabilité jamais assez réveillées. Ne faut-il pas, en effet, que, d’une manière ou d’une autre, « l’enfant incroyant du monde et l’enfant croyant de Dieu » se reconnaissent comme participants d’une humanité commune pour que, de leur rencontre et de leur dialogue (entre eux mais aussi à l’intérieur de chacun), puisse jaillir éventuellement une sorte de supplique qui les porte, au-delà d’eux-mêmes, vers la transcendance imprenable d’une vérité qui, 26. Maurice Merleau-Ponty, « De Mauss à Lévi-Strauss », dans Signes, Gallimard, Paris, 1960, p. 154. 27. Marc Faessler estime justement en ce sens que les textes bibliques et évangéliques « mettent en chemin notre intelligence, appellent notre interprétation, sont advenue de parole pour nous » (Ce que je crois… encore, Musée international de Genève, Genève, 2011, p. 28). 28. Dietrich Bonhoeffer, dans Qui est et qui était Jésus-Christ ? Son histoire et son mystère, Paris, Cerf, 1981, p. 103 ; Bonhoeffer ajoute justement que « la Bible reste un livre parmi les livres » et que « c’est seulement à travers la Bible friable que le Ressuscité nous rencontre. Il faut entrer dans la détresse de la critique historique ». 29. L’expérience historique de la modernité et d’une violence en excès toujours renaissant peut amener à estimer raisonnablement qu’« un certain Dieu est certainement mort » (E. Levinas, dans la discussion qui a suivi « Le nom de Dieu d’après quelques textes talmudiques », dans le recueil L’intrigue de l’infini, Flammarion, Paris, 1994, p. 230) ; peut-être faut-il cette épreuve du silence, voire de l’absentement, de la transcendance pour que puisse se produire, « au cœur du silence même », le « retournement d’un silence opaque en un Silence accompagnant – à l’intime duquel fait signe, de nous échapper, la Transcendance » (M. Faessler, « Le défi du mal. La méditation philosophique de Ricœur à l’épreuve du tragique », dans Philosophie, Minuit, Paris, janvier 2017, p. 141-142) d’un Dieu toujours Autre et inconnu, mais qui « donne de vivre et appelle à vivre contre toute apparence » (Henri Laux, Pour une existence spirituelle, Éditions Facultés Jésuites de Paris, Paris, 2017, p. 73).


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se donnant seulement en « partage(s) », ne saurait refuser de se manifester à qui « l’invoque de la double prière du croyant et de l’incroyant30 » ?

ENVOIS Les essais qui suivent ne proposent qu’une première introduction, témoignant à l’évidence des limites d’une compétence et de la contingence d’un choix, à quelques penseurs susceptibles de nous aider à mieux nous orienter dans l’actualité intellectuelle et spirituelle de notre monde. On ne cherchera donc nulle prétention magistrale, téléologique ou systématique, moins encore exhaustive, dans la relative mise en ordre d’un parcours résolument attentif à des explorations et à des avancées singulièrement plurielles. Partageant une conscience accrue de la finitude de leurs perspectives, les « penseurs pour aujourd’hui » auxquels on se réfère ne rêvent plus d’énoncer solitairement la Vérité du monde et on ne s’étonnera pas qu’ils abordent très différemment, chacun à sa manière et selon son style, des tensions qui partagent l’époque ; ce qui les amène, à l’intérieur d’une probité existentielle analogue, à mettre des accents distincts sur l’autonomie ou l’altérité, l’effectivité historique ou la transcendance spirituelle, la rigueur critique ou la générosité de l’écoute, les ancrages culturels ou religieux. Ce qui reste commun, cependant, à tous ces tracés d’expérience, c’est l’inspiration résolument philosophique qui les travaille, les maintient aux aguets et leur interdit de se recourber sur une suffisance prétendue : aussi originales que soient leurs explorations, les voyageurs restent mus ici par le désir de l’enrichissement dû aux rencontres et aux échanges raisonnables, ils ne sauraient ni garder pour eux-mêmes ni ériger en autorités indiscutables des découvertes signifiantes qu’ils exposent et

30. Fr. Rosenzweig, L’Étoile de la Rédemption (p. 350-351), qui invite ainsi philosophes et théologiens à se départir de leur suffisance respective pour s’unir dans la prière commune d’un désir à la fois raisonnable et croyant qui porte l’existence audelà de ses prises et de ses frontières. au-delà de ses prises et de ses frontières. J’ai tenté de préciser cette intensification réciproque entre le penser et le croire dans « Langage, discours parole. Rigueur philosphique et ressources bibliques », dans Recherches de Science Religieuse, 106-1, janvier-mars 2018, p. 117-130. »


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adressent plutôt à la communauté toujours à venir de ceux qui s’éprouvent et s’avouent « taraudés par l’idée d’infini31 ». Il ne s’agit donc pas là d’études soucieuses d’érudition, plutôt d’aveux de rencontres et d’attestation(s) de dette(s) qu’il importe moins d’effacer que de reconnaître et de tenter de partager. Le philosopher-avec s’y révèle inséparable d’un désir d’expérience personnelle ou d’un cheminement à frayer en responsabilité à la fois inéluctablement singulière et vouée aux risques d’une universalisation aussi juste et respectueuse que possible32. Loin de toute sécurité objective et de tout modèle idéal, le propos tend seulement à laisser résonner en nous et entre nous non seulement des discours en quête de sens cohérent, mais des paroles33 habitées, traversées et envoyées par un souffle qui les anime et les emporte. Dans un espace commun de ressources culturelles diverses, pour avoir le courage de rester debout « en dépit de la noirceur du mal et des désastres de l’histoire34 » au cœur même des déchirements de l’époque, il peut être bon de se laisser toucher et inquiéter par des voix qui, chacune à sa manière, nous transmettent des expériences significatives et nous invitent par là même à mieux prendre notre part des combats et des dialogues soucieux de maintenir et de raviver jusque dans la violence de notre monde un désir effectif de liberté et de justice, de paix et de sens.

31. Sylvie Germain, À la table des hommes, Albin Michel, Paris, 2016, p. 220. Emmanuel Levinas aimait souligner que, dans « l’idée de l’Infini, c’est-à-dire l’Infini en moi, le in de l’Infini signifie à la fois le non et le dans » (« Dieu et la philosophie », dans De Dieu qui vient à l’idée, p. 106). 32. C’est déjà sous le signe de cette tension féconde que j’ai tenté de me mettre à l’écoute des pensées contrastées d’Éric Weil et d’Emmanuel Levinas (Figures de la pensée contemporaine, Hermann, coll. Le Bel Aujourd’hui, Paris, 2015) ou de Georges Morel et de Paul Beauchamp (Le souffle et la parole, Le Félin, coll. Les Marches du Temps, Paris, 2017). 33. Émile Benveniste définit justement la parole comme « la langue assumée par l’homme qui parle » (Problèmes de linguistique générale, t. 1, Gallimard/Tel, Paris, 1974, p. 266) ; mais cette assomption suppose sans doute une interpellation ou une provocation première à laquelle il s’agit de répondre. 34. M. Faessler, Miettes théologiques, Éditions Ouverture, Le Mont-sur-Lausanne, 2017, p. 114.


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Première partie HISTOIRE ET LIBERTÉS


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Chapitre premier LA PUISSANCE CRÉATRICE DE L’IMAGINAIRE En hommage à Cornelius Castoriadis Pour affronter les défis multiples — politiques, mais également éthiques et culturels — de notre monde et de notre histoire, la lucidité active à laquelle nous convie Castoriadis prend appui sur la force de l’imaginaire à l’œuvre dans la réalité, mais en tentant de la mettre au service de libertés responsables soucieuses de création raisonnablement partagée. Après ceux d’Emmanuel Levinas et de Gilles Deleuze, le décès de Cornelius Castoriadis (26 décembre 1997) vient de frapper la communauté philosophique française. D’origine grecque, ce passionné de liberté s’était installé à Paris après la guerre, dirigeant notamment pendant vingt ans la revue Socialisme ou Barbarie où un marxisme radicalement critique s'essayait à prendre une mesure nouvelle du siècle et de ses défis. Depuis 1968, la militance révolutionnaire avait dû, sans se renier, s'investir en responsabilité citoyenne et cosmopolitique ; une attention nouvelle à la finitude de l'histoire et des existants obligeait l'homme à laisser grandir en lui le philosophe qui l'habitait. Une œuvre se faisait, moins soucieuse d’elle-même que de la réalité et du monde dont il fallait répondre ; on en rappellera simplement ici quelques orientations majeures1. 1. J’ai jadis proposé une approche plus détaillée de la trajectoire et des perspectives socio-politiques de Castoriadis (Études, mai 1980, p. 761-778) ; c’est davantage au « titan de l’esprit » (E. Morin) que cet article voudrait rendre hom-


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I. Histoire et libertés

UNE HISTOIRE À PRENDRE EN CHARGE Lorsqu’il jette sur la modernité de notre monde un regard qui se veut de lucidité sans illusions, Castoriadis y décèle la tendance massive au règne de l’insignifiance organisée. L’imaginaire opératoire du capitalisme, vide de tout sens vivant, s’investit intégralement dans le fantasme néo-libéral d’une puissance rêvant de tout contrôler et maîtriser et aboutissant à « l’expansion illimitée d’une pseudo-maîtrise pseudorationnelle » (MI, 90). Ne compte plus que l’objectivité calculable d’un système économique mondial abandonné à son extension indéfinie et dont le fonctionnement même accule les individus à une passivité cherchant (vainement) à se compenser dans des divertissements privés et/ou des replis de type « communautariste ». Gagner, avoir, jouir, telles sont les pseudo-« valeurs » de ce « projet capitaliste démentiel » qui mobilise au service de son nihilisme tendanciel toutes les « données physiques, biologiques, psychologiques, sociales, culturelles » (MI, 90) que lui fournit son développement techno-scientifique accru, mais qui ignore superbement « les questions du fondement, de la totalité, des fins et du rapport de l’homme avec le monde » (IIS, 223). « De moins en moins capable de fournir du sens » (DH, 102), notre société mondialisée paraît n’avoir pour « idéal » qu’un « zappanthrope » apathiquement hédoniste qui pourrait bien actualiser pour nous la figure menaçante du « dernier homme » pressenti par Nietzsche ; sous les formes contrastées du dérisoire ou du terrifiant, le « monstrueux » nous menace toujours. À l’origine, pourtant, et jusqu’à l’intérieur de cette même modernité (occidentale), il est possible de discerner également tout autre chose : mage. Il s’en tient donc aux œuvres majeures, à savoir la grande Institution imaginaire de la société (Seuil, Paris, 1975, IIS) et l’ensemble des essais recueillis, également au Seuil, sous le titre générique Les carrefours du labyrinthe (CL, 1978 ; DH – Domaines de l’homme –, 1986 ; MM – Le monde morcelé – 1990 ; MI – La montée de l’insignifiance – 1996 ; Fait et à faire – FAF –, 1997). Je me permets de renvoyer également au volume Cornelius Castoriadis. Lo imaginario y la creación de la autonomía que j’ai publié avec Alfonso Ibáñez (Fondo editorial de la Universidad Ruiz de Montoya, Lima, 2009).


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Chap. I. La puissance créatrice de l’imaginaire

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l’invention conjointe, dans le monde hellénique, d’une action (politique) et d’une pensée (philosophique) soucieuses d’universalisation raisonnable ; des avancées de savoir (scientifique) également qui, en posant et explorant la complexité hétérogène de figures inédites du connaissable, invitent en principe à « ranimer, raviver et renouveler l’interrogation philosophique » (CL, 13) ; sans oublier des luttes pratiques multiples, en quête d’émancipation effectivement égalitaire, tournées vers l’avènement de libertés inséparablement finies et raisonnables, originales et relationnelles, singulières et en quête d’universalité, faisant ainsi émerger « de nouvelles formes de vie et de nouvelles significations » (DH, 160). D’où vient alors qu’un tel projet — celui d’une autonomie ouverte et sensée — tende aujourd’hui à être toujours davantage recouvert et comme effacé par la perversion qui le caricature en soif et rêve cauchemardesque d’autosuffisance anthropocentrique ? Il n’est sans doute pas de réponse(s) simple(s) à ce type de question(s). À la suite de Castoriadis, on peut proposer la double hypothèse suivante : 1) « La lutte entre l’autonomie et l’hétéronomie » (DH, 268) ou entre les risques de la liberté et les facilités de la servitude est sans doute constitutive de l’histoire et de l’existence humaines ; 2) Le mythe moderne de la toute-puissance illusoirement assurée de soi ne fait que prendre la relève — en l’inversant apparemment — de la « logique » qui porte l’imaginaire traditionnel à rêver d’une appartenance sécurisante qui méconnaît tout ensemble la créativité de l’être et l’irréductibilité de la liberté. Il importe donc de prendre la mesure de cet imaginaire social institué qui pèse d’autant plus lourdement sur nos mentalités que nous répugnons à le reconnaître. Derrière nos pratiques sociolinguistiques de classification et d’identification logiques, on peut ainsi discerner toute une ontologie de la « déterminité » — de l’être-ainsi et pas autrement — pour laquelle n’est vraiment que ce qui est susceptible d’être connu et maîtrisé de manière univoque. Cette visée tournée vers l’untout en son homogénéité déterminable, identifiable grâce à l’ensemble dont il fait partie2, caractérise une « pensée héritée, portée le plus souvent par le phantasme de la maîtrise comme détermination exhaustive 2. Ce qui conduit Castoriadis à forger le néologisme d’« ensidique » pour qualifier cette pensée de l’être-ensemble et de l’être-identique.


En lecture partielle‌


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INDEX DES NOMS CITÉS

Agnon, Samuel Joseph : 112 Alain : 5 Arendt, Hannah : 196, 212, 213, 215, 217, 219, 221, 222 Aristote : 5, 38, 39-41, [50], 56, [96], [180], [181] Aron, Raymond : 165 Aubenque, Pierre : 39 Averroès : 199 Bataille, Georges : 115-117 Beauchamp, Paul : 19, 147, 152, 167, 171, 183, 226 Bellet, Maurice : 7, 200 Belloy, Camille de : 75 Benrubi, Isaac : 65 Benveniste, Émile : 19 Bergson, Henri : 9-11, 43, 56, 61-76, 88, 196, 205 Billouet, Pierre : 37, 54 Birnbaum, Jean : 138 Blanchot, Maurice : 131 Bonhoeffer, Dietrich : 17 Bourgeois, Bernard : 165 Buber, Martin : 84

Caïphe : 153 Calin, Rodophe : 193 Carré, Ambroise-Marie : 143 Cassirer, Ernst : 39 Castoriadis, Cornelius : 7, 23-25, 27, 29-34, 177 Celan, Paul : 91, 107 Cervantès, Miguel de : 144 Chalier, Catherine : 15, 78, 81, 88, 183, 194, 196, 198, 202, 203, 206208 Changeux, Jean-Pierre : 175 Chantre, Benoît : 164 Chrétien, Jean-Louis : 96 Cixous, Hélène : 92, 110 Courtine, Jean-François : 192 Crépon, Marc : 82 Dante : 73 David, Alain : 112 Debord, Guy : 115 Debray, Régis : 169 Deguy, Michel : 131 Delacroix, Henri : 66 Deleuze, Gilles : 23 Derczanski, Alexandre : 84


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Index des noms cités

Derrida, Jacques : 12, 13, 91-104, 106-114, 128, 131, 133, 135, 138, 140, 175, 203-205, 208, 209 Descartes, René : 26, 131, 212, 214 Dolto, Françoise : 185, 216 Domenach, Jean-Marie : 168 Dostoïevski, Fedor Mikhailovitch : 144-146 Dubarle, Dominique : 11 Dufrenne, Mikel : 173 Dupuy, Jean-Pierre : 163 Ehrenberg, Rudolf : 81, 82 Esposito, Roberto : 97 Faessler, Marc : 17, 19, 88, 180, 192194, 216, 224-226 Fessard, Gaston : 188, 215, 224 Flaubert, Gustave : 145 François, pape : 163, 214 Freud, Sigmund : 30, 135, 175 Frye, Northop : 183 Gadamer, Hans Georg : 107 Gauchet, Marcel : 7, 151, 217, 218, 220, 221 Gérard, Gilbert : 46 Germain, Sylvie : 19 Gilson, Étienne : 75, 202 Girard, René : 14, 15, 143-170 Gisel, Pierre : 13, 14, 138 Giusti, Miguel : 7 Glazer, Nathan : 81 Goldschmidt, Victor : 36 Gouhier, Henri : 64, 65, 71, 73 Granel, Gérard : 7, 131 Habermas, Jürgen : 37, 92, 101, 115 Hegel, Georg Wilhelm Friedrich : 5, [8], 26, 36-38, 40, [42], 47-52, 79-81, 86-88, 114, 115, 129, [139], 148, 165, [166], 168,

[169], 176, [180], [188], [197], [198], 200, 212, 215, 216, [222], 224 Heidegger, Martin : 12, [26], 37, 40, 52, 56, 80, 91, 101, 114-116, 119, 129, 131, [139], 159, 160, 173, 180, 196, 198, 212, 213, 217 Henry, Michel : 96 Hillesum, Etty : 88, 207 Hitler, Adolf : 68 Hölderlin, Friedrich : 107, 123 Humboldt, Wilhelm von : 39 Husserl, Edmund : 49, 173, [174], 212 Hyppolite, Jean : 9, 165 James, William : 62, 66 Jarczyk, Gwendoline : 48 Jaspers, Karl : 173, 222, 223 Job : 152, 153 Jonas, Hans : 43 Joseph : 152 Kant, Emmanuel : [8], 36-40, 47, 48-53, 79, 80, 84, 131, 180, 188, 197, 212, 213, 222, [226] Kierkegaard, Soeren : 80 Kirscher, Gilbert : 53, 57 Lamblin, Robert : 36 Launay, Marc de : 82 Laux, Henri : 17 Léon-Dufour, Xavier : 193 Le Roy, Édouard : 66 Levinas, Emmanuel : 5, 11, 15-17, 19, 23, 52, 53, 75, 93, 94, 97, 98, 103, 110-112, 131, 139, 140, 171, 173, 179, 181, 192-208, 212, 222, 226, 227 Liverani, Livio : 201 Luther, Martin : 181 Maine de Biran : 174


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Index des noms cités Marcel, Gabriel : 173 Maritain, Jacques : 158 Marx, Karl : [23], 30, 92, 174 Meinecke, Friedrich : 79 Merleau-Ponty, Maurice : 17, 43, 52, 62, 72, 75, 173 Merton, Thomas : 88 Moingt, Joseph : 137, 225 Morel, Georges : 12, 19, 108 Morin, Edgar : 23 Mosès, Stéphane : 80, 82 Nabert, Jean : 173, 190 Nancy, Jean-Luc : 12, 13, 92, 96, 97, 102, 108, 113-119, 124, 125, 127133, 135, 137-140 Néher, André : 82, 88 Nietzsche, Frédéric : 12, 24, 52, 80, [116], 129, 131, 133, [137], 174, 180, 196, 217 Onfray, Michel : 130 Pascal, Blaise : 56, 131, 165, 166, [170], 224 Patocka, Jan : 101 Petitdemange, Guy : 81, 87 Petrosino, Silvano : 93, 101, 154 Philonenko, Alexis : 213 Platon : 131, 223 Plotin : 50, 51, 71 Proust, Marcel : 144-146, 223 Rastoin, Cécile : 78 Renan, Ernest : 199 Riaudel, Olivier : 11 Ricœur, Paul : 8, 15, 17, 29, 37, 138, 171-188, 190-193, 198, 205, 219, 221, 224 Rocard, Michel : 7 Rogozinski, Jacob : 111, 164 Romeyer, Blaise : 76

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Rosenstock, Eugen : 80-83 Rosenzweig, Franz : 9, 10, 11, 18, 57, 58, 77-88 Ruyer, Raymond : 43 Schaeffer, Jean-Marie : 215 Schelling, Friedrich Wilhelm Joseph : 11, 84 Schlegel, Jean-Louis : 84 Schleiermacher, Friedrich : 39 Schopenhauer, Arthur : 80 Schwager, Raymond : 156 Serres, Michel : 143, 168 Shakespeare, William : 163 Socrate : 196, 223 Spinoza, Baruch : 50, 70 Stanguennec, André : 8, 36-40, 43, 47-50, 52, 54, 56, 57 Stein, Edith : 78, 88 Stendhal : 144-146 Thomas d’Aquin : 50, 51, 126, [197] Tonquédec, Joseph de : 64, 76 Treguer, Michel : 144 Trigano, Shmuel : 207 Vattimo, Gianni : 159, 165 Vincent, Gilbert : 186, 190, 221, 225 Waterlot, Ghislain : 75 Weil, Éric : 5-8, 19, 37, 39, 42, 49, 52, 53, 139, 160, 170, [180], 197, 198, 205, 206, 211, 212, 217, 218, 224, 226 Weil, Simone : 75, 88, 168 Worms, Frédéric : 75 Whitehead, Alfred North : 43


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SOURCES

Chapitre I : « La puissance de l’imaginaire. En hommage à Cornélius Castoriadis », dans Études, septembre 1998, p. 195-204. Chapitre II : « Finitude, réflexion, sens. La systématique métaphysique d’André Stanguennec », dans Revue des Sciences philosophiques et théologiques, 2014-1, p. 103-122. Chapitre III : « Henri Bergson, penseur de l’expérience spirituelle. L’humain au-delà de lui-même », dans Études, octobre 2015, p. 43-55. Chapitre IV : « Franz Rosenzweig. Paradoxes et sens d’une “conversion” », dans Études, septembre 2014, p. 51-60. Chapitre V : « Un étrange amour. Sur le “style” philosophique de J. Derrida », dans Études théologiques et religieuses, 2007-3, p. 361-378. Chapitre VI : « Venue, passage, partage. La voix singulière de Jean-Luc Nancy », dans Études, octobre 2000, p. 357-371 ; on lui a ajouté, en annexe, un bref essai sur les deux volumes de La déconstruction du christianisme. Chapitre VII : « Face à la violence, la pensée audacieuse de René Girard », dans Esprit, février 2016, p. 107-122. Chapitre VIII : « Entre critique et conviction. Le chemin de pensée de Paul Ricœur », dans Études théologiques et religieuses, 2017-2, p. 393-410. Chapitre IX : « Rationalité philosophique et inspiration biblique. Le “deux-en-un” de la pensée chez Catherine Chalier », est issu d’une conférence donnée au colloque « Judaïsme et altérité. Autour de Catherine Chalier » (25 et 26 novembre 2015).


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TABLE DES MATIÈRES

Préface. Sens en éclats .......................................................................... L’ombre de l’Absolu .............................................................................. Histoire et libertés .................................................................................. Expérience et transcendance ................................................................ Déconstruction et création .................................................................... Le religieux en héritage(s)...................................................................... Envois ......................................................................................................

5 5 7 9 12 14 18

Première partie HISTOIRE ET LIBERTÉS Chapitre premier. La puissance créatrice de l’imaginaire. En hommage à Cornelius Castoriadis............................................

Une histoire à prendre en charge.......................................................... L’institution politique du champ social .............................................. La formation éthique du psychisme .................................................... L’élucidation aporétique de la réalité .................................................. Intégralité ouverte ..................................................................................

Chapitre II. Finitude, réflexion, sens. La systématique métaphysique d’André Stanguennec ......................................................................

L’histoire de la pensée en héritage herméneutique ............................ Le déploiement d’une dialectique réflexive ........................................ Ana-logie, onto-logie, théo-logie : explicitations logiques ................ Ouvertures interrogatives ......................................................................

23 24 27 30 32 34 36 38 41 46 51


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Table des matières

Deuxième partie EXPÉRIENCE ET TRANSCENDANCE Chapitre III. Henri Bergson, penseur de l’expérience spirituelle. L’humain au-delà de lui-même ......................................................

La réalité positive de l’esprit .................................................................. L’esprit de la créativité personnelle ...................................................... Les résistances de l’esprit de pesanteur................................................ Les (res)sources de l’esprit de rénovation............................................ L’esprit du christianisme et sa mission ................................................ À l’aune de l’expérience ? ......................................................................

Chapitre IV. Franz Rosenzwzeig. Paradoxes et sens d’une conversion

En quête d’orientation............................................................................ Le chemin du retour .............................................................................. Le déploiement d’une fidélité................................................................ Envoi ........................................................................................................

61 62 64 67 69 71 74 77 78 81 83 87

Troisième partie DÉCONSTRUCTION ET CRÉATION Chapitre V. Un étrange amour. Sur le « style » philosophique de Jacques Derrida ................................................................................

Plus d’une langue .................................................................................... Le tact au-delà du contact ...................................................................... L’hospitalité, sans condition ? .............................................................. Le don, l’abandon, la responsabilité .................................................... La vie, la mort, la bénédiction .............................................................. Salut sans retour ......................................................................................

91 93 96 98 101 106 110

Chapitre VI. Venue, passage, partage. La voix singulière de JeanLuc Nancy .......................................................................................... 113 Envois d’une pensée .............................................................................. 114 Espacement(s) du monde ...................................................................... 117 Passion de l’existence ............................................................................ 119 Partages de l’être-ensemble .................................................................. 121 Arts de la déliaison.................................................................................. 124 Naître à la présence ................................................................................ 127 Annexe. Déconstruction du christianisme ? ........................................ 129 À la croisée d’une double déclosion .................................................... 130 Effacement de Dieu, sens du monde .................................................... 132 La tenue de l’existence, l’adoration ...................................................... 134 Questions en guise d’adresse ................................................................ 137


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Table des matières

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Quatrième partie LE RELIGIEUX EN HÉRITAGE(S) Chapitre VII. Face à la violence. La pensée audacieuse de René Girard.................................................................................................. 143 Aux sources de la violence, le désir mimétique .................................. 144 La conjuration « religieuse » de la violence : le bouc émissaire ........ 147 La violence démasquée : la révélation biblique et évangélique ........ 151 La violence réfrénée : les rationalisations ambiguës de l’histoire .... 157 La violence déchaînée : l’apocalypse aujourd’hui ? ............................ 162 Questions ouvertes.................................................................................. 167 Chapitre VIII. Entre conviction et critique. Le chemin de pensée de Paul Ricœur .................................................................................. 172 La cohérence intentionnelle d’un parcours sinueux .......................... 173 Une orientation anthropologique sans absolu divin.......................... 177 Une foi biblique sans prétention spéculative ...................................... 182 Une réciprocité herméneutique sans relève unitaire ........................ 187 Envoi ........................................................................................................ 192 Chapitre IX. Rationalité philosophique et inspiration biblique. Le « deux-en-un » de la pensée chez Catherine Chalier .............. 194 L’écoute au cœur de la raison ? ............................................................ 195 L’esprit des Écritures .............................................................................. 200 Le premier sens et le dernier mot ........................................................ 204 Envoi ........................................................................................................ 208 Conclusion. Responsabilité – de la pensée .......................................... 211 Juger : la pertinence d’un retrait............................................................ 212 Vivre : l’originalité d’une appartenance .............................................. 214 Travailler : l’ambiguïté de l’œuvre de nos mains................................ 216 Agir : la fragilité des affaires humaines ................................................ 219 S’orienter : inspiration, ouverture, discernement .............................. 221 Exister : une singulière universalité ...................................................... 226 Index des noms cités.............................................................................. 229 Sources .................................................................................................... 233 Table des matières .................................................................................. 235


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Du même auteur Dieu selon Hegel. Essai sur la problématique de la Phénoménologie de l’Esprit, Aubier-Montaigne, coll. Philosophie de l’Esprit, 1975. Et combien de dieux nouveaux… t. 1 : Heidegger ; t. 2 : Levinas, Aubier-Montaigne, coll. Philosophie de l’Esprit, 1980. Gramsci. Filosofía, Política, Cultura, Tarea, 1981. Mariátegui hoy, Tarea, 1987. L’homme de désir. Sur les traces de Georges Morel, Cerf-Cérit, coll. Arguments, 1980. Autonomie et altérité, Cerf/Cérit, coll. Arguments, Paris, 1993. Vigencia de Mariátegui, Amauta, 1995. Historia, razón, libertad. Una introducción al pensamiento político y filosófico de Éric Weil, Pontificia Universidad Católica del Perú, 2002. La Gloire en exil. Le témoignage philosophique d’Emmanuel Levinas, Cerf, 2004. Emmanuel Levinas ou les intrigues du sens, PUF, coll. Philosophie d’aujourd’hui, 2005. Fenomenología, ontología, metafísica. Emmanuel Levinas en el espacio filosófico contemporáneo, Universidad de Chile, 2005. Approches d’Emmanuel Levinas. L’inspiration d’une écriture, PUF, coll. Études d’histoire et de philosophie religieuses, 2005. Cornelius Castoriadis. Lo imaginario y la creación de la autonomía, Fondo editorial de la Universidad Ruiz de Montoya, 2e éd., 2009. Emmanuel Levinas. Le sens de la transcendance — autrement, PUF, coll. Philosophie d’aujourd’hui, 2009. Le courage de la raison. La philosophie pratique d’Éric Weil, Le Félin, coll. Les marches du temps, 2009. Le sens de la réalité. Logique et existence selon Éric Weil, Le Félin, coll. Les marches du temps, 2011. À-Dieu. De la philosophie à la théologie ?, Cerf, coll. Cogitatio Fidei, 2013. Philosopher à l’écoute du monde. Un chemin de pensée, Presses universitaires de Strasbourg, 2013. Figures de la pensée contemporaine. Éric Weil et Emmanuel Levinas en contrastes, Hermann, coll. Le Bel Aujourd’hui, 2015. Faut-il renoncer à la métaphysique ?, Éditions Facultés jésuites de Paris, 2016. Le souffle et la parole. Liberté philosophique et inspiration biblique, Le Félin, coll. Les marches du temps, 2017.


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Achevé d’imprimer en novembre 2018 sur les presses de la Nouvelle Imprimerie Laballery 58500 Clamecy Dépôt légal : novembre 2018 Numéro d’impression : 810476 Imprimé en France La Nouvelle Imprimerie Laballery est titulaire de la marque Imprim’Vert®



E

n philosophie comme en d’autres domaines, la puissance de l’Absolu semble bien Ă prĂŠsent nous ĂŞtre refusĂŠe. Sa relève s’est vue opposer non seulement la violence de la rĂŠvolte, mais la pluralitĂŠ invincible des perspectives finies et la reconnaissance raisonnable de l’irrĂŠductible multiplicitĂŠ du patrimoine spirituel de l’humanitĂŠ. Tout se passe comme si nous avions pris conscience que l’intrigue première n’Êtait pas celle de la pensĂŠe et de ses catĂŠgories essentielles, mais celle de la libertĂŠ et de ses attitudes existentielles. Les questions ultimes ne disparaissent pas pour autant, mais elles ĂŠchappent dĂŠsormais aux prĂŠtentions magistrales d’une thĂŠorie unique. C’est seulement du dialogue, toujours Ă reprendre, des libertĂŠs en quĂŞte de raison que peut renaĂŽtre, sans trop d’illusions, la visĂŠe d’un sens de l’existence qui ne peut que se diffracter en perspectives multiples. C’est dans cet esprit que Francis Guibal met en vis-Ă -vis Cornelius Castoriadis et AndrĂŠ Stanguennec sur ÂŤ histoire et libertĂŠs Âť ; Henri Bergson et Franz Rosenzweig sur ÂŤ expĂŠrience et transcendance Âť ; Jacques Derrida et Jean-Luc Nancy sur ÂŤ dĂŠconstruction et crĂŠation Âť ; RenĂŠ Girard, Paul RicĹ“ur et Catherine Chalier sur ÂŤ Le religieux en hĂŠritage(s) Âť.

Francis GUIBAL, professeur ĂŠmĂŠrite de philosophie de l’UniversitĂŠ de Strasbourg. SpĂŠcialiste de Hegel, attentif aux pensĂŠes contrastĂŠes d’Éric Weil et d’Emmanuel Levinas, il s’intĂŠresse particulièrement aux questions-frontières : rapports de la philosophie avec la politique et l’histoire, la culture et la religion.

ISBN : 978-2-87299-343-7

9 782872 993437

22 â‚Ź

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