Franz Jalics
Le père Franz Jalics, jésuite hongrois, anime un centre spirituel près de Nuremberg. Après avoir enseigné la théologie en Argentine en partageant la vie des favellas de Buenos Aires, il fut séquestré en 1976 par un groupe militaire d’extrême droite. Cet événement a changé sa vie. Depuis 1978, il donne des retraites d’initiation à la contemplation en Allemagne et en Belgique.
Vie spirituelle ISBN 978-2-87356-381-3 Prix TTC : 8,95 €
9 782873 563813
La prière de contemplation
Cet ouvrage présente, simplement mais de façon explicite, le sens de la prière contemplative. Après avoir clarifié les notions de foi, de la vie éternelle et de la contemplation, l’auteur montre concrètement ce qu’est la voie contemplative en cherchant les relations qu’elle entretient avec la philosophie, l’Écriture Sainte et la mystique. Ensuite, il approfondit les grands axes de la prière contemplative, ses effets sur la vie active et son importance dans la vie d’aujourd’hui. Un exemple montre, en finale, à quoi ressemble la prière contemplative et comment elle peut se traduire dans la pratique. Chaque chapitre se conclut par des questions dont l’objectif est de faire le lien avec l’expérience personnelle du lecteur.
Franz Jalics
La prière de contemplation
La prière de contemplation
Franz Jalics
La prière de contemplation
Namur – Paris
Dans la même collection : Brèves rencontres, Willy Gettemans, 2002. La compassion, Henri Nouwen, 2003 (2e éd. 2004). Sous mon figuier, Jacques Patout, 2004. Ce Dieu caché que nous prions, Gaston Lecleir, 2004. Dans le feu du buisson ardent, Mark Ivan Rupnik, 2004. Chemin de Croix au Colisée, André Louf, 2005. Le récit du pèlerin, Ignace de Loyola, 2006. Réapprendre à prier, Cardinal Godfried Danneels, 2006. La prière de contemplation, Franz Jalics, 2007.
Titre original : Der kontemplative Weg, Echter, 2006. Traduction : Jacques Weisshaupt, s.j. © Éditions Fidélité • 7, rue Blondeau • 5000 Namur • Belgique info@fidelite.be • www.fidelite.be ISBN : 978-2-87356-381-3 Dépôt légal : D/2007/4323/27 Maquette et mise en page : Jean-Marie Schwartz Imprimé en Belgique
Introduction
Dans la vie, il y a des moments contemplatifs. Il s’y révèle ce que l’être humain a toujours déjà espéré. Ils permettent de pressentir que la vie offre bien plus que ce que nous expérimentons dans la grisaille quotidienne. Ils nous surprennent et suscitent en nous le désir d’être introduits encore plus avant dans le mystère de la vie, car ils nous révèlent quelque chose de notre véritable patrie. Il arrive alors que quelqu’un, que ce soit sur un pâturage ou dans la montagne, fasse l’expérience d’un espace immense qui ne se laisse pas mesurer en kilomètres. C’est l’intériorisation d’une dimension déjà bien présente mais encore inaperçue. Tôt matin, à la pêche à la ligne, lorsque le lac est totalement paisible et que le poisson n’a pas encore mordu, on est saisi soudainement par un moment de paix profonde. Il se peut même que l’on soit venu jusqu’au lac, non pour pêcher, mais pour trouver une telle paix. Une jeune femme que j’introduisais dans la prière contemplative, me dit soudain : « Mais oui, je connais cela. » Elle me raconta qu’enfant, elle avait une balançoire dans le jardin. Dans les moments de tristesse ou de joie, elle sortait et s’installait tranquillement sur la balançoire. Elle y demeurait, sans rien faire. C’est là qu’elle faisait l’expérience d’un intense silence, qui dissipait sa tristesse ou qui intensifiait sa
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joie. En ce moment d’initiation à la prière contemplative, elle s’est souvenue à nouveau de ce silence. L’étonnement qui saisit les enfants a également quelque chose de contemplatif. Pour d’autres, c’est dans la maladie ou lors d’une grande souffrance qu’ils deviennent contemplatifs. Sans doute pas encore totalement, mais tout de même quelque peu : ils font cette expérience que la vie a une dimension qui ne peut pas être troublée par la douleur ou la faiblesse. D’autres sont parvenus à ce niveau d’expérience à cause d’une soudaine rencontre avec la mort. Beaucoup font cette expérience dans l’humble service, souvent même inutile, des pauvres et des handicapés. Ils disent avoir reçu de ces personnes plus qu’ils ne leur ont eux-mêmes donné. Ce « plus » va dans le sens de la contemplation. Il en est qui, par un lent processus de maturation, sentent grandir en eux une clarté et une force tranquille qui les aide à traverser les moments de crise. Ainsi se développe en eux un fondement contemplatif. Souvent, dans leur regard ou par le rayonnement de leur personne, on peut remarquer qu’ils sont déjà sur le chemin de la contemplation. De tels moments, cependant, ne mettent pas les personnes dans cet état contemplatif dont il va être question dans le présent ouvrage. Mais ils les poussent dans cette direction et ils leur en donnent un avant-goût. Sans ces moments, les gens ne trouveraient aucun intérêt à croire ou à s’engager dans la voie contemplative. Dans le présent ouvrage, je me propose de présenter le sens de la voie contemplative, simplement, mais de façon
INTRODUCTION
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précise. Dans les premiers chapitres, j’essaie de clarifier trois idées : la foi (1), la vie éternelle (2), la contemplation (3). Ensuite, je veux montrer concrètement ce qu’est la voie contemplative (4). Nous chercherons les relations qu’elle entretient avec la philosophie (5), l’Écriture Sainte (6 ; 7) et la mystique (12). Nous approfondirons les lignes de développement de la prière contemplative (8 à 10), ses effets sur la vie active (11) et son importance dans la vie d’aujourd’hui (14). Un exemple concret montrera enfin à quoi ressemble la prière contemplative (13) et comment elle peut se traduire dans la pratique (15). On trouvera à la fin de chacun des chapitres des questions dont l’objectif est non seulement d’en comprendre intellectuellement le contenu, mais aussi de faire le lien avec l’expérience personnelle.
Chapitre 1
Le chemin de la contemplation
Avant de rejoindre le chemin de la contemplation, nous avons, la plupart du temps, arpenté le long chemin de la foi. Il nous faut distinguer le chemin de la foi de celui de la contemplation. La foi, c’est la certitude de ce que l’on ne voit pas et de ce dont on n’a pas l’expérience (He 11, 1) 1. Au contraire, la contemplation n’est pas une connaissance de l’existence de Dieu, mais un début de vision de Dieu. Croire en Dieu, c’est être sûr qu’il existe sans l’avoir vu. Cette certitude de la foi ne s’appuie pas sur une vision immédiate de Dieu. Elle repose cependant sur trois expériences capitales : tout fondement de la foi religieuse est l’expérience même de la vie. Tout homme porte en lui un avant-goût de la transcendance, un désir de Dieu et un pressentiment qu’il y a une vie après la mort. Quand l’homme est confronté au message explicite de Dieu, ce pressentiment se met à vibrer. La foi fait alors écho à ce message. Plus l’expérience existentielle est intense, plus l’homme parvient aisément à la foi en Dieu. Il peut également prendre conscience que ce pressentiment de Dieu était déjà là auparavant, mais, à cause des soucis de la vie quotidienne, il n’y avait pas fait suffi-
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LA PRIÈRE DE CONTEMPLATION
samment attention. Sans expérience existentielle, il n’y a pas de foi. L’expérience existentielle, vitale, est un facteur déterminant de la naissance de la foi en Dieu. À un moment ou l’autre de sa vie, l’homme rencontre le message de la révélation. Celui-ci advient dans un contexte ecclésial ou religieux : des hommes — appelons-les enseignants, prophètes ou maîtres — qui proclament le message, des Écritures Saintes, fruits d’une longue tradition de sagesse de vie, et une communauté qui vit selon cette sagesse. Cela vaut pour toutes les religions : deuxième facteur déterminant conduisant à la foi. L’élément existentiel, vital, consiste en ceci, que les trois pôles — enseignants, Écritures Saintes et communauté — sont vécus à un tel degré d’authenticité et de crédibilité que l’on peut bâtir sur eux sa foi. S’y ajoute la troisième expérience, la plus importante sans doute : la grâce de la foi. Dieu fait don à l’homme d’une confirmation intérieure attestant qu’il est, dans l’acte même de croire, sur la bonne voie et qu’il y a bien vie après la mort. Certitude nécessaire, car la foi demande à l’homme de s’en remettre à Dieu pour vraiment vivre. Dieu conduit alors le croyant à franchir des passages difficiles et à décider de sa vie à partir du jeu en lui des « consolations » et des « désolations » afin d’opérer des choix générateurs de fécondité et de joie (ES 313 ss.) 2. Cela aussi fait partie de l’expérience de la foi. La foi en Dieu est la certitude que notre origine est en Dieu, que, durant notre vie terrestre, nous sommes
LE CHEMIN DE LA CONTEMPLATION
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en lui et qu’après cette vie terrestre nous serons accueillis pour toujours dans l’Amour universel et le bonheur éternel. La foi n’est donc pas l’expérience de la vision de Dieu. Ce qu’elle donne, c’est la certitude que cette vision de Dieu nous est promise. Le sujet de cet ouvrage nous amène, dans le chapitre qui suit, à examiner de plus près la vie en Dieu promise après la mort. ✢ Chère lectrice, cher lecteur, comme je l’ai déjà fait remarquer dans l’introduction, je voudrais vous poser quelques questions. Prenez le temps d’y répondre. Elles peuvent vous aider à approcher la voie de la contemplation à partir de votre propre vécu. À propos du présent chapitre, deux questions : • Sur quelles expériences vitales votre foi s’appuie-t-elle ? • Laquelle de ces expériences s’avère pour vous décisive ?
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Chapitre 2
Notre véritable patrie
D’une façon ou d’une autre, nous pressentons que ce monde et que cette vie, la nôtre, n’ont pas le dernier mot. Nous avons en nous un désir qui nous indique, telle une boussole, que le chemin de notre vie, avec ses souffrances et avec la mort, n’est rien d’autre qu’un chemin de retour à Dieu. Dans la profondeur de notre âme, nous sentons bien que nous sommes des êtres spirituels et que, dans cet univers d’espace et de temps limités, nous cheminons en pèlerins. Quelque chose en nous témoigne que Dieu même est notre demeure. Nous devinons, et nous savons, que Dieu de qui nous venons et vers qui nous marchons nous attend, comme ce Père « qui avait deux fils » (Lc 15, 11-32). Toutes les religions annoncent cette bonne nouvelle. Elles la nomment transcendance, ciel, au-delà, royaume de Dieu ou des cieux ou encore vie éternelle… Nous y vivrons un véritable bonheur sans souffrance ni douleur. Mais notre foi chrétienne nous promet quelque chose de bien plus grand encore : nous verrons Dieu face à face (Mt 5, 8 ; 1 Jn 3, 2). Ce Dieu-amour nous accueille dans son amour et nous donne de ne faire plus qu’un avec lui (Jn 17, 11.21).
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LA PRIÈRE DE CONTEMPLATION
Affirmation incroyable ! Dieu est mystère et nous ne pouvons parler de lui qu’avec un infini respect. Jamais nous ne pourrons le saisir entièrement par la pensée. Seuls l’amour et l’adoration sont capables de l’atteindre. Ce que la révélation nous promet est donc inimaginable. Lorsque Dieu veut nous conduire sur le chemin de la foi ici sur terre et après la mort, il faut que sa grâce nous transforme de fond en comble. Dans la foi, nous sommes sûrs de ce que nous ne pouvons pas comprendre ou voir. Ainsi la certitude de foi reste, en cette vie, au stade de l’espérance, de la foi et de la confiance. Mais il arrive que, dès cette vie déjà, Dieu anticipe, au fond de l’âme et comme secrètement, le cadeau de la « vision ». Et c’est ce que nous appelons la grâce de la contemplation. Ce que le chapitre suivant nous permettra d’approfondir. ✢ • Chère lectrice, cher lecteur, est-ce que pour vous, Dieu, malgré sa proximité, demeure encore toujours un mystère insaisissable qui suscite en vous amour respectueux et adoration ? • Quand vous faites l’expérience de la mort d’une personne aimée, est-ce que vous ne pensez qu’au deuil et à la tombe, ou pensezvous aussi à la lumière et à la vie qui nous attendent ?
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Chapitre 3
Qu’est-ce que la contemplation ?
1. Le mot « contemplation » signifie la vision intuitive des vérités les plus hautes, au sens religieux : de Dieu 3. On trouve des synonymes du mot « contemplation » dans la littérature spécialisée : mystique et vision 4. 2. La contemplation de Dieu, en tant que vision de Dieu, est pure grâce 5, car l’être humain ne peut pas, de lui-même, voir Dieu. Ce don de Dieu se distingue de la grâce de la foi. Car la grâce de la foi donne la certitude de l’existence de Dieu. Elle ne donne pas la vision de Dieu. Nous avons vu cela dans le premier chapitre. La foi ne cesse pas avec la première grâce contemplative, mais un élément essentiellement nouveau — la vision de Dieu — fait passer l’être humain dans un état nouveau. De même qu’on ne peut confondre la grâce de la contemplation avec la foi, il serait erroné de la confondre avec la grâce de la consolation. La consolation est une augmentation, une croissance de la certitude de la foi (ES 316, 4), mais non une vision de Dieu. Cette différence se marque aussi en ce que la grâce de la contemplation peut être vécue avec ou sans consolation. Ainsi la dévotion est une grâce importante sur le chemin vers Dieu 6 ; ce n’est pas une vision de Dieu, mais un senti-
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LA PRIÈRE DE CONTEMPLATION
ment religieux ou une vertu. De même, il ne faut pas identifier la grâce de la contemplation avec le regard porté sur des objets religieux, images ou icônes, ou encore avec la contemplation de pensées ou de faits religieux. La grâce de la contemplation est une vision de Dieu. Même voilée, il s’agit bien d’une vision de Dieu. Il ne faut pas non plus l’identifier avec la vision plénière de Dieu dans la vie éternelle 7. Ainsi, la grâce de la contemplation met l’être humain dans un état intermédiaire entre la foi et la vie éternelle. Elle le conduit au-delà de la foi, car elle ne lui donne pas seulement une certitude, mais aussi une vision réelle. Elle ne lui donne cependant pas encore la totale vision de Dieu de la vie éternelle : « Nous voyons actuellement une image obscure dans un miroir ; ce jour-là, nous verrons face à face. Actuellement, ma connaissance est partielle ; ce jour-là, je connaîtrai vraiment, comme Dieu m’a connu » (1 Co 13, 12). 3. La grâce de la contemplation a un effet immédiat : elle suscite le désir passionné et irrésistible de voir et de goûter Dieu toujours davantage. Quand Dieu fait à une personne la grâce de jeter un regard, même furtif, sur Lui et sur son être, celle-ci s’en découvre à ce point fascinée que désormais elle ne veut plus rien voir d’autre que Lui. Elle veut orienter son regard directement sur Dieu lui-même et se tenir uniquement près de lui. C’est ainsi que prie le psalmiste : « Quand pourrai-je m’avancer, paraître face à Dieu ? » (Ps 42, 3). L’Ancien Testa-
QU’EST-CE QUE LA CONTEMPLATION ?
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ment consacre un livre entier à ce désir : le cantique des cantiques. Cette passion est également le signe par lequel on peut reconnaître sûrement les personnes qui sont mûres pour la voie contemplative. En revanche, ceux qui n’ont pas fait l’expérience de cette grâce et n’en ressentent pas le désir, ne comprennent guère cette passion intérieure des contemplatifs. Ils sont facilement portés à croire que ceux qui cherchent la voie de la contemplation se contentent de « méthodes de prières sans contenu ». D’autres estimeront qu’il s’agit de naïfs, alors même que ces contemplatifs — mis à part quelques rares ermites — sont très activement engagés dans le monde. 4. La prière contemplative est réponse à la grâce contemplative, tout comme la foi est réponse à la proclamation de l’Évangile — et comme l’ouverture de la fleur est réponse au soleil et à la pluie. La grâce de la contemplation suscite la passion de voir Dieu. Cette passion consiste en ceci, que l’homme dirige son regard toujours plus directement sur la vision immédiate de Jésus Christ ou de Dieu le Père. La prière contemplative est alors la tentative d’orienter de plus en plus vers la vision de Dieu toutes les pensées, préoccupations, projets, sentiments ou images religieuses… Dans le christianisme, la forme de prière contemplative la plus connue et la plus pratiquée est la « prière de Jésus ». Je parle dans le même sens d’exercices contemplatifs. Ni la prière contemplative, ni les exercices contempla-
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LA PRIÈRE DE CONTEMPLATION
tifs ne présupposent nécessairement la présence actuelle de la grâce contemplative. La prière et les exercices visent uniquement à se préparer et à se disposer (« se disposer », ES 1, 3) à cette grâce, que Dieu la donne ou non à ce moment. Dieu peut évidemment agir aussi dans l’homme sans cette disposition. Cette préparation estelle la seule ouverture à la voie de la contemplation ? Nous y reviendrons… En tout cas, la passion de voir Dieu lui-même ne demeure pas cachée à l’intérieur de l’homme. Outre sa vie de prière, elle irrigue et transforme sa relation au monde extérieur. Nous approfondirons ces deux transformations. 5. Encore une remarque terminologique. La méditation est, au sens chrétien, une forme de prière dans laquelle on se rapproche de Dieu à travers des textes, des images ou des pensées, on lui parle, on lui soumet des demandes, on l’honore et on prend des résolutions pour la suite de la vie 8. Cette forme de prière s’appelle en allemand Betrachtung. Au siècle dernier, le mot « méditation » a été utilisé dans le sens contemplatif pour des mouvements extrême-orientaux. Cela peut parfois amener à des erreurs de compréhension. Je n’aborde pas cette question. Par ailleurs, Ignace appelle un certain nombre de méditations de la vie de Jésus 9 des contemplaciones ; sa description montre cependant qu’il ne s’agit pas de « contemplations » mais de « méditations » — que l’on traduit ainsi en allemand.
QU’EST-CE QUE LA CONTEMPLATION ?
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✢ • Cher lectrice, cher lecteur, y a-t-il des moments dans votre prière où vous parlez à Dieu de votre vie : où vous lui demandez, promettez… où vous regrettez… où vous faites des projets en sa présence ? • Vous arrive-t-il aussi de connaître des heures où vous êtes fascinés par Dieu, au point de n’avoir plus aucun vouloir que de rester auprès de lui, sans rien dire, ni penser, ni demander ? • Et si vous vivez tour à tour ces deux attitudes dans votre prière, en ressentez-vous la différence ?
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Chapitre 4
Un récit
Dans les chapitres précédents, j’ai essayé de définir les concepts de base de la voie contemplative. Ecoutons maintenant un récit concret ; il a la forme d’un témoignage personnel, tout en se proposant de décrire un chemin représentatif. Mon objectif est, d’une part, de donner une impression concrète de l’expérience contemplative, et d’autre part, de la placer dans le contexte de la vie chrétienne. 1. J’ai toujours été chrétien, même quand ma vie ne se déroulait pas selon la représentation que s’en fait l’Église. Je n’observais guère les dix commandements et je n’avais pas d’autre but dans la vie que d’en jouir. Ce qui vient après le mort, je n’en savais rien et cela ne m’intéressait pas. Les rares fois où je priais, je le faisais pour mes intérêts personnels. C’est seulement bien plus tard que j’ai appris qu’Ignace m’aurait bien donné, dans l’état où je me trouvais, « la première semaine » des Exercices 10. 2. Plus tard, j’ai bénéficié d’une conversion. J’ai découvert Jésus Christ, ou mieux : il a fait son entrée dans ma vie. Sa vie est devenue mon chez moi. J’avais trouvé le but de ma vie, non plus dans ce monde matériel, mais
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en Jésus Christ. Dans ma prière, j’ai approfondi ma connaissance de la vie de Jésus, devenu mon maître et Seigneur et je l’ai suivi. En méditant sa vie, j’ai pris conscience de mes dynamismes. De mes tendances chaotiques aussi : et j’ai trouvé la force de m’en libérer. En regardant Jésus et sa vie exemplaire, j’ai découvert ma mission dans le monde. Je ne vivais plus que pour lui et j’essayais de le trouver dans toutes les situations de ma vie. J’avais renoncé au monde. Le monde prenait en moi un sens nouveau. Jésus Christ me demandait de changer ce monde, afin qu’il devienne tout entier le royaume du Christ et tout entier son corps mystique. Aussi avais-je mis tous mes talents et toute ma personne, par amour, à la disposition du Christ, afin de sanctifier ce monde. Je voulais me libérer des entraves de ce monde, afin de vivre pour le Christ dans la pauvreté et pour réaliser son royaume dans le monde. Ma prière, ma recherche, mes décisions et mon travail étaient au service de Jésus Christ. Je savais que je ne pouvais pas réaliser cela par mes propres forces, mais, avec son aide et dans la communauté de l’Église, je m’y suis consacré. Après bien des années, j’ai pris conscience qu’Ignace, dans les contemplations de la vie de Jésus, avait devant les yeux cette remise de soi et cette disponibilité au service. Dans ses Exercices, cette portion de chemin s’étend sur la Deuxième et la Troisième Semaine, jusqu’à l’Ascension du Christ dans la Quatrième Semaine.
UN RÉCIT
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3. Ces derniers temps, j’ai cependant remarqué en moi un changement tout en finesse. Je l’interprète comme le début d’une voie contemplative. Cette nouvelle orientation s’est tout d’abord manifestée dans ma vie de prière, alors que mon travail et mon service du Christ dans le monde demeuraient inchangés ; à tout le moins, je ne remarquais aucun changement. Cela a commencé en moi par une grâce qui a suscité un amour passionné et le désir de voir le visage de Dieu lui-même. Je ressentais une poussée irrésistible vers la vie intérieure et je ne désirais qu’une chose, me retrouver paisiblement près de Dieu, près du Christ ressuscité. Le regarder, m’attarder en sa présence mobilisaient toute mon attention. La présence silencieuse et la répétition du nom de Jésus Christ comblaient toute ma vie de prière. Ce n’était pas simplement « une méthode de prier », comme d’aucuns le pensaient parfois, mais bien une nécessité intérieure. Je voulais uniquement me laisser illuminer et irriguer par lui. Je n’excluais pas les autres formes de prières, comme le colloque avec Dieu, mais de répéter simplement son Nom était devenu l’essentiel de ma prière. Je me penchais bien sur un texte d’évangile, mais mes méditations de la vie de Jésus et mes réflexions à propos des changements à apporter dans ma vie se simplifièrent et finirent pas disparaître. Je n’étais plus à même de réfléchir ou de mener un processus de discernement. De-
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meurer dans les images me semblait une perte de temps en comparaison de la vision directe de la présence du ressuscité. Je ne voulais plus me préoccuper de ce que je devrais changer en moi ou de ce que je devrais faire pour le Christ. Aussi je suis passé quasi nécessairement de la réflexion, du discernement et des autres occupations dans la vie de prière à la contemplation, à la dévotion, à la veille paisible en présence de Dieu et à l’attention au Nom de Jésus. Cette prière silencieuse me confrontait sans restriction à mes tendances désordonnées. Je pouvais beaucoup moins souvent les éviter que durant mes méditations antérieures, car, par la contemplation de la présence du Christ je suis devenu plus proche de mon être profond. « Notre cœur est inquiet, jusqu’à ce qu’il repose en toi », dit Augustin. J’avais entendu bien souvent ce texte-là ou d’autres semblables. Je n’ai commencé à les vivre qu’après avoir contemplé exclusivement le Christ pendant des heures, sans rien dire, sans penser, sans imaginer, avec une vive attention. Quand j’en parlai à des amis et même à mon accompagnateur spirituel, ils prirent peur et me mirent en garde, car ils voyaient que je risquais de devenir totalement étranger au monde. Or, c’est le contraire qui se produisit. Le souci de changer le monde ne faisait plus partie de ma vie de prière. Quand j’avais du succès, je me rendais
UN RÉCIT
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compte que ce n’était pas par mes propres forces. Cela se passait par devers moi. J’en éprouvai une liberté incroyable, car je ne sentais pas le besoin d’arriver à quelque chose. J’ai conscience maintenant que c’était la grâce. Ce fut une expérience très profonde de réaliser que je ne fais rien. Cela se fait « en » moi. Ce constat me ramena au Discours sur la Montagne avec ses oiseaux et ses fleurs : « Ne vous inquiétez pas, tout cela vous sera donné » (Mt 6, 25-33). Je pensai aux prophètes, dont le projet était moins de prêcher aux hommes que de dire le pressant projet que Dieu avait sur eux. Saint Paul dit : « L’amour du Christ nous presse » (2 Co 5, 14). L’effet de cette évolution de ma vie de prière sur ma vie dans le monde est étonnant. Chaque fois que je passe du silence à mes activités, je suis un homme nouveau. Ce silence m’a donné beaucoup de clarté, de force et de joie. À partir de là, le monde extérieur se vit autrement. Je fais l’expérience d’un amour sans cesse croissant pour tous les hommes. Désormais, je supporte beaucoup mieux les situations difficiles. Il suffit que je revienne un court moment à cette profondeur de moi-même pour que le stress et les sentiments accablants s’allègent et cessent de m’influencer. Cela m’a fait penser à saint Ignace, qui n’aurait eu besoin que d’un quart d’heure, pour trouver la paix intérieure en acceptant que l’œuvre de sa vie — la Compagnie de Jésus — soit supprimée par le pape. Voilà ce que je vis. La force et la clarté de ma vie ne trouvent plus leur source dans mes réflexions et mes dé-
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cisions, mais découlent sans peine du plus profond de moi-même. Avant de parvenir à la voie contemplative, j’avais souvent entendu dire que les temps de prière se passent au détriment des activités. Ils rendent les gens inaptes à vivre dans le monde. Mon expérience est différente : je travaille maintenant bien plus que par le passé, car je sens que j’ai une plus grande force intérieure et que le stress a disparu. Je commence à comprendre Jésus Christ, qui, après un longue journée de rencontres, de guérisons et de conversations avec une foule de gens, se retirait dans son centre intérieur, plusieurs heures de la nuit, afin de puiser, dans la présence de son Père, de nouvelles forces. Mon activité passa de l’organisation et de l’efficacité au rayonnement et à la fécondité. Auparavant je m’efforçais d’aller trouver les gens pour leur annoncer le Christ. Depuis cette transformation intérieure, je sens de plus en plus que les gens viennent à moi et ils sentent que je parle avec plus de force. Je remarque cela aussi chez d’autres personnes qui vivent dans le silence intérieur. Ils travaillent par rayonnement. Je me souviens de Jésus Christ, dont il est écrit qu’une force sortait de lui (Mc 5, 30). Cette force guérissait les hommes. Me vient à la mémoire le souvenir de Moïse descendant du Sinaï avec un visage rayonnant de lumière (Ex 34, 29-35), ou encore de saint Paul, qui déclarait qu’il avait prêché avec la force de l’Esprit (1 Co 2, 4). Je n’ai certes pas un rayon-
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nement semblable au leur, mais je sens bien que mon influence sur les gens a évolué et est passée de mon agir propre à l’intense courant de vie de Dieu lui-même. Je trouve que je prends autrement mes décisions : je n’éprouve plus le besoin de délibérer beaucoup ou d’entamer de longs processus de décision, mais il me suffit de revenir toujours à nouveau au silence, et, à partir de mon centre spirituel intérieur, j’ai toujours trouvé jusqu’à présent la lumière. J’ai pensé à Jésus, qui, selon l’évangile de Jean, ne faisait que contempler le Père en lui-même pour savoir ce qu’il devait dire. J’ai également pensé « au premier temps de l’élection » d’Ignace (ES 175) : la lumière se fait sans que l’homme intervienne. Comme l’illustre l’appel de l’apôtre Matthieu dans l’évangile, soulignent les Exercices. Les résolutions dans la prière et à la fin des Exercices sont absentes. La garantie du progrès ne se situe plus, comme auparavant, dans les actes de volonté. Elle dépend de l’intensité et de la durée de mon exposition à la présence de Dieu. Cela me donne une très grande liberté. S’il en fallait encore, gardons cette seule et unique résolution : rester sur le chemin de la prière silencieuse. Je ne dois atteindre aucun autre but. Alors qu’auparavant je voulais changer le monde, aujourd’hui je me contente de contempler de quelle façon Dieu fait tout pour moi et par moi, son instrument. Mon contact avec les gens a gagné en profondeur. Je remarque qu’une personne est capable de contact profond
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avec une autre dans la seule mesure où elle atteint en ellemême sa propre profondeur. Par la contemplation de Dieu, j’avance beaucoup plus profondément en moi, et, de ce fait, plus profondément aussi en celui ou celle qu’il me donne de rencontrer. Le silence affine grandement l’intuition que j’ai d’autrui. Ce qui me rend la communication plus aisée, car je deviens davantage capable d’empathie. En résumé, je constate que, grâce à la voie contemplative, ma relation à Dieu et au monde a changé. Par rapport à Dieu, ma relation est passée de la réflexion et de l’agir à la contemplation ; il ne s’agit pas encore d’une contemplation plénière de Dieu, mais tout de même d’une contemplation de sa présence. Ma relation au monde a également changé. Le monde a perdu sa fonction de chemin vers Dieu mais c’est le chemin qui me conduit de Dieu vers le monde. Le monde n’est pas le lieu où je veux exercer mon service du Christ. Je suis dans le monde et Dieu change le monde par moi. Autrement dit : je ne vis pas dans le monde pour arriver à Dieu, mais, parce que je viens de Dieu, je rayonne l’amour dans le monde. Je ne suis qu’un instrument entre ses mains. Lui fait tout et moi, je me laisse utiliser. Auparavant, j’en avais sans doute connaissance. Mais maintenant c’est devenu du vécu.
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• Chère lectrice et cher lecteur, commencez-vous à réaliser que, dans des moments de doute et d’épreuve, rester tout simplement le regard fixé sur Jésus Christ apporte une lumière toute simple et donne aux activités extérieures de l’homme un dynamisme tout neuf ?
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Chapitre 5
Cinq minutes de philosophie
L’évangile de Jean raconte une conversation bien intéressante entre Jésus et une Samaritaine. Jésus lui demande de l’eau à boire. Après avoir été touchée par la clairvoyance de Jésus, la femme de Samarie lui pose une question à propos du lieu où Dieu doit être adoré : « Seigneur, je vois que tu es un prophète. Nos pères ont adoré Dieu sur la montagne qui est là derrière moi, et vous, les Juifs, vous dites que le lieu où il faut l’adorer est à Jérusalem. » Jésus lui dit : « Femme, crois-moi : l’heure vient où vous n’irez plus ni sur cette montagne ni à Jérusalem pour adorer le Père. Vous adorez ce que vous ne connaissez pas ; nous adorons, nous, celui que nous connaissons, car le salut vient des Juifs. Mais l’heure vient — et c’est maintenant — où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et vérité : tels sont les adorateurs que recherche le Père. » La réponse de Jésus est claire. L’adoration du Père n’est liée à aucun lieu. Elle doit se passer au niveau de
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LA PRIÈRE DE CONTEMPLATION
l’esprit. Le Père est Esprit et il doit être adoré en esprit. Que veut dire Jésus ? Nous sommes toujours liés au corps et donc à l’espace. Sommes-nous quelque part entièrement esprit ? Où donc se situe, dans le temple de notre corps, ce sanctuaire où nous ne sommes qu’esprit ? Où est la lumière divine en nous, celle qui est, tout comme Dieu, entièrement Esprit ? Cette question a été posée par tous les grands philosophes. Elle est même le problème central de la philosophie. Aussi ai-je l’audace, chère lectrice et cher lecteur, de vous attirer quelques instants dans le monde des philosophes. Nous, les humains, nous sommes corps et esprit. Tout ce que nous faisons ou pensons possède un pôle spirituel et un pôle corporel. Ainsi, les pensées sont, d’une part, esprit et, d’autre part, elles ont une dimension corporelle, car elles sont suscitées aussi à partir du cerveau — qui est corps. Sans cerveau, impossible de penser. Dieu, lui, ne pense pas, il sait. Y a-t-il quelque part en nous un centre, un fondement, où nous ne sommes qu’esprit et où notre corps n’a pas accès ? Beaucoup de philosophes ont trouvé cet endroit. Prenons donc un exemple dans l’Antiquité, au Moyen Âge et à l’époque moderne. « Je sais que je ne sais rien », disait Socrate. « Je sais » signifie ici « je suis bien conscient que ». Mais de quoi suis-je conscient ? Socrate veut dire que, par le fait qu’il porte son regard en profondeur sur lui-même, il arrive à
CINQ MINUTES DE PHILOSOPHIE
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un état de conscience dans lequel il n’y a rien d’autre que sa propre existence. Je sais que je suis. À part cela, ma conscience est vide. Il reste que je sais que je ne sais rien. Voilà qui serait une manifestation du pur esprit. Quand, éveillé, je suis conscient, mais que mon état de conscience est vide, je me situe en mon centre. Là, nous ne sommes qu’esprit et nous nous trouvons au plus près de Dieu, qui est pur esprit. C’est une simple conscience d’être, une conscience d’être là. En ce lieu, l’être humain est au plus haut point à l’image de Dieu. C’est là qu’il peut avoir un pressentiment de ce que veut dire être un avec Dieu. Quand l’homme demeure là, il est pure adoration. Voilà l’adoration en esprit. Les scolastiques médiévaux abordent cette question en prenant un autre point de départ. Ils prétendent que, dans notre conscience, il ne peut rien y avoir qui soit totalement esprit, car tout ce qui entre dans la conscience, le fait par l’intermédiaire des sens. Mais, ce qui est passé par les sens reste lié à du corporel, ce n’est donc pas du pur esprit. Ils l’expriment en latin : Nihil est in intellectu quod non erat prius in sensu (« il n’y a rien dans la conscience qui ne soit pas d’abord passé par les sens »). Dans la foulée, ils complètent en formulant une exception : nisi intellectus ipse (« sauf la conscience ellemême »). L’exception est la lumière de la conscience elle-même qui ne nous est pas parvenue par les sens. C’est du « pur esprit ». Quand la lumière de la conscience se perçoit elle-même, c’est du « pur esprit ».
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LA PRIÈRE DE CONTEMPLATION
C’est alors que nous sommes au sens fort du mot à son image. Demeurer dans ce « pur esprit », voilà l’adoration en esprit. Heidegger parle de la soseinsfreien Daseinerkenntnis. La reconnaissance de l’existence, c’est la conscience que l’on existe. L’« être ainsi » (Sosein) exprime l’essence constituée existentiellement : ses limites, sa particularité. Le terme soseinsfrei signifie l’absence de toute particularité, de toute limitation qui fasse que quelque chose soit comme ceci ou comme cela. Dans ma conscience, il n’y a rien de saisissable, aucune chose limitée, aucune forme, aucun être-ainsi. La pure reconnaissance de l’existence est « pur esprit ». C’est là que doit se faire la véritable adoration. Quand une chose est réellement absolue, tout se relativise par rapport à cet absolu. Ainsi ce « lieu spirituel » évoqué par les philosophes est un point d’absolu repos. Quand on y demeure, tout le reste devient relatif et s’ordonne naturellement à ce point absolu. En un tel centre, seul un voile ténu nous sépare encore de la Présence. À partir de cette expérience de « pur esprit », tout se structure de l’intérieur, sans qu’il faille penser. Les exemples de vocations où Ignace reconnaît le premier temps de l’élection ne participent-elles pas de cette expérience ? La prière contemplative consiste à porter son regard vers ce point focal, vers ce point source, et à y demeurer longuement. Tel est le sommet de l’adoration,
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non point en paroles, pas davantage en actions, mais de tout son être. ✢ • Chère lectrice et cher lecteur, j’ai conduit votre attention jusqu’au centre spirituel de l’être humain. • Avez-vous déjà fait l’expérience de votre propre centre ? Avezvous déjà réalisé que vous êtes tout simplement là et que vous êtes entièrement un avec vous-mêmes ?
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Chapitre 6
Les deux degrés de la pauvreté
C’est tout particulièrement dans le dialogue avec l’homme riche (Mc 10, 17-31) que Jésus fonde très clairement et largement la contemplation. Cet homme demande comment il peut obtenir la vie éternelle. Jésus donne deux réponses, qui représentent les deux étapes de la vie spirituelle : la première consiste à observer les commandements, la deuxième à suivre personnellement Jésus. Jésus voit où cet homme se situe dans sa vie spirituelle et il lui propose : « Observe les commandements. » Ce qui veut dire : observe tout ce qui est nécessaire à la vie éternelle. L’homme répond qu’il a suivi de bonne heure un tel chemin et il demande s’il n’y a pas pour lui une voie qui mène plus loin. Jésus répond alors en lui proposant de le suivre. Il lui propose de vendre tout ce qu’il possède et de l’accompagner ensuite sur le chemin : « Va, vends ce que tu as… et suis-moi. » Cet homme devrait maintenant abandonner sa grande fortune, ce dont il n’est d’ailleurs pas encore capable. Sa patrie est encore ici, sur cette terre. Pesanteur et tristesse s’abattent sur lui et il s’en va. Les disciples sont effrayés par la proposition de Jésus : s’il faut tout abandonner — disent-ils — qui peut en-
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core être sauvé ? Au lieu d’apaiser les disciples, en leur disant que ce geste d’abandon n’est pas tellement irréalisable, Jésus renforce encore les craintes des disciples : impossible assurément… aux hommes, mais pas à ce Maître de l’impossible qu’est Dieu ! Cette confrontation de l’impuissance des hommes et de la puissance de Dieu révèle le sens de la pauvreté : l’homme doit être vide pour que Dieu puisse le combler. Il ne s’agit pas d’une pauvreté négative et destructrice, car elle mène à la plénitude en Dieu. Cependant, pour Jésus, cela ne suffit pas encore. Il continue le dialogue et renforce à nouveau le radicalisme de son enseignement : « il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu. » Le chas d’une aiguille indique une porte étroite. C’est le nom donné à l’entrée de la cour d’une ferme. Les charges portées par les chameaux étaient attachées de part et d’autre de leurs flancs. Aussi ne pouvaient-ils pénétrer dans la cour avant d’avoir été débarrassés de leur chargement. Jésus indiquait ainsi que la marche à sa suite mène au travers d’un étroit passage qu’on ne peut franchir avec tous ses biens. Il faut donc tout vendre et devenir complètement vide. La doctrine des deux voies n’est pas un épisode neutre dans l’évangile. Elle traverse l’ensemble de toute la prédication de Jésus. Jésus alterne continuellement les deux perspectives. Il y a des affirmations qui valent clairement pour ceux qui suivent la voie des commande-
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ments. Quand Jésus dit que l’être humain ne doit pas tuer, ni jurer, ni commettre d’adultère (Mt 5, 21-38), c’est à ces personnes-là que cela s’adresse. Par contre, les béatitudes se réfèrent au chemin de la suite de Jésus : « Bienheureux, ceux qui sont pauvres devant Dieu » (Mt 5, 3). Dans l’évangile, nous devons toujours noter à quelles personnes s’adresse Jésus, où chacune en est de son évolution humaine et spirituelle, de son chemin de foi. C’est ici que se pose la question de fond : Jésus parlet-il uniquement de possession matérielle, ou vise-t-il aussi les trésors mentaux, psychiques et spirituels ? Faut-il abandonner également les divers registres de l’action humaine : pensée, mémoire, préoccupations sentimentales, projets, discernements, décisions, résolutions et réalisations de tout ordre ? Jésus ne mentionne explicitement que les trésors que l’on peut vendre et pour lesquels on peut obtenir un prix. Mais ce qui est en jeu, c’est l’obtention de trésors dans le ciel. Tout ce que l’on n’abandonne pas, demeure « un trésor sur la terre » et cela ne devient pas « un trésor dans le ciel ». Autrement dit, nous devons faire le vide en nous afin de nous laisser habiter par la plénitude de Dieu. Mais Dieu désire aussi remplir nos activités psychiques et mentales. Il s’agit bien aussi des trésors intellectuels et spirituels. Ceux-ci ne peuvent être exclus de la grâce de la contemplation. Jésus exige de renoncer jusqu’à sa propre vie : corps et psychisme inclus.
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La lettre aux Philippiens nous montre le chemin du vide sur le chemin de la suite personnelle de Jésus Christ. Jésus a suivi le chemin de la totale kénose : « Ayez entre vous les dispositions que l’on doit avoir dans le Christ Jésus : lui qui était dans la condition de Dieu, il n’a pas jugé bon de revendiquer son droit d’être traité à l’égal de Dieu ; mais au contraire, il se dépouilla lui-même en prenant la condition de serviteur. Devenu semblable aux hommes et reconnu comme un homme à son comportement, il s’est abaissé lui-même en devenant obéissant jusqu’à mourir, et à mourir sur une croix » (Ph 2, 5-8). La kénose de Jésus est totale : jusqu’à la mort et la mort sur une croix. Il a également abandonné ses pensées, ses représentations et ses sentiments. Tous sont appelés à désirer suivre ce chemin escarpé. Nous aussi, il nous faut nous vider, non pour demeurer vides, mais pour que Dieu puisse nous remplir. Le mystère de la mort et de la résurrection de Jésus Christ s’étend à tous les chrétiens. C’est le message central du christianisme. Nous le célébrons à Pâques : « Si quelqu’un veut marcher derrière moi, qu’il renonce à lui-
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même, qu’il prenne sa croix, et qu’il me suive » (Mc 8, 34). « Amen, amen, je vous le dis : si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il donne beaucoup de fruit » (Jn 12, 24). « Car celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perd sa vie à cause de moi la gardera » (Mt 16, 25). C’est ainsi que l’invitation à faire le vide s’étend aussi aux activités mentales, psychiques et spirituelles. La méditation sur la mort a toujours joué un rôle important dans la spiritualité chrétienne. Beaucoup de congrégations religieuses plaçaient un crâne dans leurs réfectoires pour rappeler à chacun sa propre mort. Des moines se saluaient entre eux par un Memento mori (« Souviens-toi que tu mourras »). Les accompagnateurs des mourants pourraient raconter beaucoup de choses à propos de ce vide qui se fait en soi avant la mort. Beaucoup de gens, à cause d’une expérience frontière dans leur vie, ont comme franchi une porte et ont vécu un avant-goût de l’au-delà. Ce fut pour eux l’expérience d’une plénitude totale dans un vide total. Aussi pouvons-nous dire que l’invitation à tout vendre comprend deux niveaux : le premier niveau consiste à vendre tous les trésors matériels. Le deuxième niveau de cette opération de faire le vide comprend aussi la séparation de tous les trésors spirituels. À savoir : la pensée et les activités psychiques. S’y ajoutent la volonté et l’agir même. Alors seulement nous sommes entièrement
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pauvres. Alors seulement nous sommes morts au monde et prêts à vivre en Dieu. Si nous appliquons ceci à la prière, nous devons dire, certes, qu’images, pensées, souci des consolations, des discernements, des décisions, des résolutions… appartiennent à une foi engagée à la suite de Jésus, puisque l’objectif en est le changement de nous-mêmes, de notre monde extérieur et de notre relation à Dieu. Mais il s’agit d’un faire. D’un faire pour Jésus, certes, mais cela reste un faire. Voilà pourquoi réflexions, méditations et même « applications des sens » appartiennent bien à la suite du Christ dans la foi, mais elles ne font pas partie de la voie contemplative. Comment se formulerait alors une prière dans le sens d’un vide radical et de la remise de soi contemplative ? Donnons un exemple : « Prenez, Seigneur, et recevez toute ma liberté, ma mémoire, mon intelligence et toute ma volonté, tout ce que j’ai et tout ce que je possède. Vous me l’avez donné ; à Vous, Seigneur, je le rends. Tout est vôtre, disposez-en selon votre entière volonté. Donnez-moi de vous aimer ; donnez-moi cette grâce, voilà qui me suffit » (ES 234). ✢
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• Cher lectrice et cher lecteur, comment cette prière vous touchet-elle ? • De quelle manière pouvez-vous y communier ? • Où se situent vos résistances et où s’éveille en vous le désir d’un chemin contemplatif ?
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Chapitre 7
La chambre haute et le balcon
Jésus parle explicitement de la pauvreté au cœur de la prière. « Mais toi, quand tu pries, retire-toi au fond de ta maison, ferme la porte, et prie ton Père qui est présent dans le secret ; ton Père voit ce que tu fais dans le secret : il te le revaudra » (Mt 6, 6-7). Le fond de la maison signifie la chambre à provisions ou la chambre au trésor, sans fenêtres. Chaque fois que la porte est fermée, il est impossible de regarder à l’intérieur ou à l’extérieur. Le seul regard possible — selon le texte — se dirige vers le Père. Aussi longtemps que quelqu’un, dans sa prière, se préoccupe de pensées, de sentiments, de mouvements affectifs ou d’images, il n’est pas encore dans sa chambre (du fond). Il est sans doute déjà dans la maison, mais il est assis à son balcon et il jouit d’une vue magnifique sur son voisinage, à savoir le monde extérieur. Ses pensées et ses observations, ses projets et ses discernements le mettent en relation avec son monde extérieur. Il peut se préoccuper avec délices de son propre paysage psychologique et religieux. Les pensées et les sentiments nous relient en effet avec le monde et avec notre propre psychologie. Dans la conception de Jésus, il ne s’agit pas en-
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core ici de la chambre, de la pièce obscure. La porte n’est pas encore verrouillée. On ne se trouve pas encore dans l’obscurité de la chambre. On n’a pas encore entièrement fait le pas, on n’est pas encore passé par le chas de l’aiguille. Le pas essentiel se situe à l’intérieur entre le balcon et la chambre du fond, dans laquelle le Père seul nous voit, où aucune pensée, aucun sentiment ne nous préoccupe plus et où seul existe ce centre vide, sans question, de la chambre obscure. Je ne veux pas dire par là que l’on réprime les sentiments. Les sentiments peuvent tous aller et venir, sinon l’être humain est paralysé. Mais dans la chambre, dans ce centre vide, au fond de l’âme, il n’y a pas de sentiments, il n’y a que la pure conscience. Dieu est notre centre le plus profond. Il demeure au fondement de notre être. Aussi devons-nous quitter le balcon et pénétrer plus en profondeur dans la chambre. C’est seulement là que notre regard est tourné totalement vers le Père. Seul celui qui est capable de demeurer dans ce centre aura, dans le monde extérieur, la liberté qu’Ignace appelle l’« indifférence » : ne plus désirer pour soi-même une vie longue plutôt que courte et rester imperturbable devant les coups du sort (ES 23, 6-7). Il ne suffit pas de renoncer volontairement à ces désirs. Avec notre volonté, nous pouvons bien résister à la réalisation de nos préférences, mais sans pouvoir les déraciner. Ne pas ressentir ces préférences dépasse notre pouvoir. Or, dans la contemplation de la présence de Dieu ils sont détruits par le feu.
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Dans l’évangile de Marc, nous trouvons une affirmation claire concernant le vide radical de la pensée : « Et lorsqu’on vous emmènera pour vous livrer, ne vous tourmentez pas d’avance pour savoir ce que vous direz, mais ce qui vous sera donné à cette heure-là, dites-le. Car ce n’est pas vous qui parlerez, c’est le Saint-Esprit » (Mc 13, 11). Le prévenu doit être entièrement vide. Il ne doit pas chercher la sécurité dans ses talents rhétoriques, dans son argumentation ou dans ses avocats. L’Esprit Saint parlera à partir de lui. S’il cherche des avocats ou s’il réfléchit aux arguments qui lui permettront de se défendre, ce n’est que lui qui parlera, mais pas l’Esprit Saint. Il s’agit ici du deuxième degré de pauvreté, que Jésus exige de nous. ✢ • Chère lectrice et cher lecteur, où allez-vous de préférence quand vous voulez prier : préférez-vous rester sur votre balcon, ou vous retirez-vous dans votre chambre, pour demeurer là sous le regard du Père ? Ou bien avez-vous déjà fait cette expérience d’une conversation difficile ou d’une rencontre dangereuse que vous n’avez préparées que par un temps de silence, car vous saviez que vous pouviez vous attendre à ce que la parole juste vous soit donnée au bon moment ?
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Chapitre 8
L’immédiateté
Nous les humains, nous avons besoin de médiations pour entrer en relation les uns avec les autres. Si je veux entrer en contact avec un ami qui habite loin de moi, je lui écris une lettre. S’il me répond, nous sommes en contact épistolaire. Mais s’il vient en personne jusque chez moi, je cesse de lire ses lettres. Nos lettres ont atteint leur objectif. Nous devons les abandonner, autrement elles perturbent notre communication. Au lieu de lire ses lettres, je me mets à parler avec lui. Ainsi, j’ai choisi un nouveau moyen, la conversation. Elle me relie davantage avec lui que des lettres. Si la conversation nous rend de plus en plus proches, le moment peut arriver où même les mots sont de trop. Il reste le contact du regard — également un moyen de communication : nous nous regardons, tout simplement. À un moment donné, même le regard sera de trop. Demeurer en silence l’un près de l’autre suffit. Les cœurs se dilatent, et nous nous retrouvons encore plus proches l’un de l’autre qu’avec les moyens cités précédemment. Le but de ces moyens, c’est de fonder la rencontre. Ils n’ont qu’une utilité provisoire. Au début ils sont nécessaires et même profitables, ensuite ils deviennent su-
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perflus et ils commencent à déranger. À la fin, ils empêchent une rencontre plus en profondeur. Jésus a suivi ce même parcours dans l’accompagnement de ses disciples. Les disciples ont fait sa connaissance en Galilée. Pour que se noue la rencontre, ils disposaient de toutes les médiations humaines, de la langue jusqu’aux élans de sympathie. Par sa mort, Jésus a privé ses disciples de ces médiations, et dans les « apparitions » après la résurrection, la parole et le repas en commun n’ont plus joué qu’un rôle de soutien. Jésus a touché ses disciples de façon beaucoup plus immédiate. Après un certain temps il monta au ciel, les privant de cette manière habituelle de leur être présent : « Jésus se sépara d’eux » (Luc) et il vint comme Esprit les combler et les guider de l’intérieur vers les autres. La médiation qui demeure, c’est l’écoute de l’intériorité. Voilà ce qu’il en est du chemin vers Dieu : la foi doit être médiatisée. La foi est vécue en communauté, par la Parole évangélique, par l’Église, par les livres, par l’expérience de la vie et par les œuvres de miséricorde… La foi grandit par la prière, le regard vers des images du Christ… par des réflexions, des méditations, des inspirations génératrices de paix durable : toutes ont leur place dans notre cheminement de foi. Ce sont des aides qui nous rapprochent de Jésus Christ et de Dieu le Père. Cependant Dieu vient à notre rencontre par sa grâce et les médiations deviennent de plus en plus ténues, jusqu’à ce que la rencontre soit immédiate.
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Cette approche de l’extérieur vers l’intérieur s’actualise clairement dans l’Eucharistie. Nous commençons par célébrer la liturgie de la parole. Les paroles, les images, la Sainte Écriture et l’homélie médiatisent la proximité de Dieu. Nous passons aux intentions de prières qui expriment souvent des préoccupations personnelles et particulières. Cela correspond à ce moment. Dans la prière sur les offrandes nous renouvelons notre remise de nous-mêmes à Dieu. Puis, à la consécration, le corps et le sang de Jésus sont présents. Le silence se fait davantage en nous. À la communion nous accueillons en nous son corps. Ainsi Jésus Christ se fait encore plus proche de nous. Par son corps et par son sang, il entre dans nos cœurs. Après la communion, c’est le silence. À ce moment-là, quelques mots suffisent, qui expriment l’unité de l’homme avec Dieu, tels que « toi en moi et moi en toi » ou « tu es tout et je ne suis rien ». La persévérance silencieuse signifie ici : offrande, service de Dieu et adoration. Existe-t-il, là encore, quelque médiation ? Tout chrétien sentirait bien qu’une homélie après la communion serait déplacée. La rencontre avec le Christ est à cet instant plus immédiate que toute parole prononcée. L’Eucharistie nous apprend en pratique à passer des moyens extérieurs de la rencontre à l’immédiateté. Je ne veux pas dire qu’après la communion on ne puisse plus formuler ou lire des prières. Mais nous sommes, bien davantage, invités à déplacer la priorité
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de notre attention des paroles au silence. Celui qui s’y sent invité, y répondra. Il s’agit d’une invitation. Chacun fait ce qui correspond au point où il en est dans sa vie spirituelle. Il en va de même dans la prière. Le saint curé d’Ars racontait comment il vit un jour dans son église paroissiale un paysan qui restait longtemps agenouillé devant l’autel et qui priait. Manifestement, il n’avait aucun livre de prière en main. Le curé lui demanda un jour comment il faisait pour prier si longtemps et ce qu’il faisait pendant la prière. Sa réponse : « Je le regarde et il me regarde. » On voit que chez cet homme les médiations se sont réduites au simple regard. Imaginons-nous qu’un accompagnateur spirituel soit passé par là et lui ait dit : « Non, cher ami, tu ne peux pas rester ainsi à ne rien faire, tu dois prendre la Sainte Écriture et tu dois travailler avec un texte, ensuite tu peux de nouveau regarder le Christ, brièvement. » Cela ne signifierait-il pas que l’on placerait entre Dieu et les hommes des moyens qui, dans ce cas concret, seraient gênants ? Si, chez cet homme, les médiations se sont déjà réduites au simple regard, on ne ferait que le troubler en lui proposant des moyens dont il n’a que faire. Il a déjà intériorisé le message de l’Écriture Sainte, celui-ci est dans son cœur. Les images, les pensées et les sentiments demeurent toujours des moyens présents dans la rencontre. Seule la perception rend possible l’immédiateté ; aussi est-il né-
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cessaire de passer des pensées et des images à la perception et à la vision. On peut adorer Dieu avec des paroles. Il y a aussi une adoration par des actes. Mais il y a une adoration avec l’être : simplement être là pour Dieu. C’est l’adoration la plus profonde, car elle est immédiate. Si l’on poursuit sur le chemin de l’immédiateté, on peut s’approcher de l’union d’être avec le Christ. Ignace a sans doute eu un grand souci à propos des hommes qu’il formait à donner les Exercices. Bien qu’il ait été très avare de paroles, dans les Exercices il met par deux fois en garde devant un excès. Ignace savait que nous sommes promis à être unis à Dieu. Il a dû remarquer qu’un certain nombre de nouveaux accompagnateurs des Exercices troublaient sérieusement les retraitants qu’ils dirigeaient, en ce qui concerne cette union à Dieu. Ils s’interposaient, sans le vouloir, entre les retraitants et Dieu en leur proposant toutes sortes d’explications, de textes et de conseils. Ignace leur demande de respecter l’immédiateté entre celui qui fait les Exercices et Dieu (ES 15, 6 et 2, 2-4). ✢ • Chère lectrice et cher lecteur, dans votre vie, lors de quelle rencontre interpersonnelle êtes-vous parvenus, progressivement ou d’un seul coup, à une plus grande immédiateté ?
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Chapitre 9
Regarder l’intérieur
Comment pouvons-nous nous préparer à accueillir la grâce de la contemplation ? Tout ce que nous avons fait jusqu’à maintenant durant notre vie pour Dieu, pour les hommes et pour nous-mêmes nous prépare au moins de loin à accueillir cette grâce. La suite du Christ dans la pauvreté, le service des hommes et toute notre vie de prière nous ont rapprochés, au moins à terme, de la contemplation et de la vie éternelle. Il existe cependant une préparation directe et immédiate à cette expérience. Il y a deux promesses certaines qui concernent la vie éternelle : nous serons un avec Dieu (cf. Jn 17, 20-26) et nous verrons Dieu tel qu’il est (cf. 1 Jn 3, 2). Aussi posons la question : comment pouvons-nous nous préparer à cette communion d’être avec Dieu et à la vision de Dieu ? À quoi ressemblent les étapes qui nous y disposent ? 1. Commençons par la communion d’être avec Dieu. Cette promesse ne peut sans doute pas se comprendre uniquement pour l’avenir. Car cela signifierait qu’à un moment donné nous arriverions auprès de Dieu et qu’ainsi, Dieu se transformerait dans son essence. Or, Dieu ne peut pas se transformer. Il n’est pas dans le
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temps. Si nous deviendrons un avec Dieu, c’est que déjà nous sommes un avec lui, et nous ne ferons que prendre conscience de notre communion d’existence avec lui. La transformation se fait dans notre conscience. Nous pouvons nous demander alors si nous connaissons déjà maintenant quelque chose de notre communion d’être avec Dieu. La révélation va nous aider dans notre recherche. Imaginons que nous nous trouvions devant un arbre imposant, avec de puissantes branches. Si je posais la question à l’une de ces branches : « Es-tu branche ou estu arbre ? », elle devrait me répondre : « Je suis branche et je suis arbre, et je suis un seul. » Et si je demandais encore : « Comment vis-tu le fait que tu sois arbre ? », elle devrait me répondre qu’elle le vit à travers la force qui la traverse, car il s’agit de la force de l’arbre et en même temps de sa propre force. De plus, elle fait la même expérience par les fruits qu’elle porte, car ses fruits sont davantage les fruits de l’arbre que ses propres fruits. Je pourrais lui dire : « Regarde maintenant la force qui coule en toi et suis-la jusqu’en sa source, jusqu’à l’endroit où cette force n’est plus branche, mais encore uniquement arbre. Tu fais alors l’expérience de la manière intense avec laquelle tu ne fais qu’un avec lui. » Jésus, dans l’évangile, fait la même comparaison. Il dit qu’il est la vigne et que nous sommes les sarments. Nos fruits sont ses propres fruits (Jn 15, 1). Sans lui, nous ne pourrions porter du fruit. Lorsque nous faisons l’ex-
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périence que c’est lui qui agit par nous, nous expérimentons à tout le moins une communion d’être dans l’action commune. Il suffit que nous regardions d’où sort cette sève, cette force qui nous fait produire des fruits, que nous la suivions jusqu’à son origine. Alors nous réalisons à quel point nous sommes un avec lui. La vigne n’est cependant pas la seule image dans la bible qui nous conduise jusqu’à la source. Paul dit plusieurs fois que nous sommes les membres du Christ. Si je suis la main du Christ, je suis tout aussi uni à lui que les sarments le sont à la vigne. Paul décrit notre communion d’être avec le Christ de façon impressionnante : « Je vis, mais ce n’est pas moi : c’est le Christ qui vit en moi » (Ga 2, 20). Paul doit se tourner vers l’intérieur pour regarder le Christ assumer en sa Personne tout son être. Paul dit en outre que nous sommes le temple du SaintEsprit. Il suffit que nous tournions notre regard vers l’intérieur pour trouver en nous le tabernacle de l’Esprit. L’évangile explique la même chose fort simplement : « Le Royaume de Dieu est en vous » (Lc 17, 21) 11. Quand Jésus dit qu’il est la vie (Jn 11, 25 ; 14, 6), il nous invite à nous tourner vers l’intérieur, pour communier immédiatement à cette vie en nous. Nous voulons nous disposer à accueillir la grâce de la contemplation ? Rien d’autre à faire qu’« avancer vers le grand fond » (Luc), tourner nos sens à l’intérieur, jusqu’à pouvoir vivre à plein notre communion d’être avec Dieu. C’est notre mystère qui se trouve ainsi caché et comme enveloppé
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dans notre silence profond, au fondement même de notre âme. 2. Comment nous préparer à la vision de Dieu ? Chère lectrice, cher lecteur, vous avez certainement observé quelque chose d’intéressant. Dès que nous avons commencé à parler d’une orientation vers l’intérieur, le verbe que nous avons dû employer pour désigner notre activité intérieure a toujours été le mot « voir ». Sans doute pouvons-nous parfois utiliser l’un ou l’autre synonyme comme « réaliser », « observer », « regarder », « contempler », « percevoir », « être attentif ». Mais à ce niveau de profondeur, il n’y a plus de pensée, ni d’image, ni de réflexion, ni d’action. Tout passe par ce « voir » et cet « être ». Ainsi, nous sommes arrivés à la deuxième promesse de vie éternelle : nous verrons Dieu. Pour nous y disposer, nous devons apprendre une manière de prier qui consiste de plus en plus à voir et regarder. Cela veut dire qu’il est nécessaire d’adapter notre prière à cette vision. En notre profondeur, là où nous cherchons le contact immédiat avec Dieu, il n’y a plus rien que la vision et l’être. Tout le reste ne peut être qu’une lointaine préparation. Se disposer immédiatement à accueillir la grâce de la contemplation implique que l’on fasse son deuil de la pensée et de l’action et que l’on demeure dans la vision du centre. Pour ce faire, une discipline sévère est indispensable, car la pensée et l’action continuent de nous relier au monde extérieur. La transformation commence ainsi :
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nous regardons et écoutons ce qui se présente à nous, une fleur, le ciel bleu ou l’horizon. L’important, c’est la perception. Voir, entendre, toucher, humer et goûter sont des perceptions sensorielles. La perception ellemême est spirituelle, car nous percevons avec notre esprit, mais ce que nous percevons nous arrive par les sens. Voilà pourquoi nous disons que nous avons affaire à des perceptions sensorielles. Nous commençons par elles, jusqu’à ce que nous puissions tourner notre attention vers l’intérieur, de manière pleine et entière : sur la vie en nous, sur notre conscience, sur l’ici-et-maintenant de la Présence. Il est indispensable d’apprendre à demeurer et de persévérer dans cette vision. Soit que la personne fasse elle-même effort pour se disposer à accueillir cette grâce contemplative, soit que Dieu la surprenne avec cette grâce avant même qu’elle l’ait découverte, de toute façon la grâce l’attire puissamment vers « le grand fond ». Quel que soit notre chemin vers la prière contemplative, c’est le désir croissant de trouver Dieu à l’intérieur qui nous y pousse. Qu’il soit ermite ou directeur d’entreprise, subitement l’homme trouve le temps de prier pour se trouver lui-même dans le silence. S’il persévère dans la contemplation, de son centre jaillit une force qui donne à son action une magnifique fécondité. C’est la force de la vigne qui irrigue sa vie et qui, par son action, lui fait porter du fruit au centuple.
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Se préparer à accueillir la grâce de la contemplation consiste en une double conversion : de l’extérieur vers l’intérieur et de la pensée et de l’action vers la vision. Il est peut-être utile de remarquer qu’il y aurait danger à confondre la contemplation avec des consolations et des sentiments religieux. La contemplation n’a pas grand chose à voir avec les sentiments et la dévotion. Elle se situe au niveau de la perception spirituelle, c’està-dire au niveau de l’être. Certes, l’expérience contemplative implique souvent des sentiments, mais elle peut aussi exister sans aucun sentiment. Tous les pratiquants de cette voie contemplative éprouvent consolations et sentiments religieux. La consolation vient de Dieu. Il veut nous guider dans nos processus de discernement par cette alternance de consolations et de désolations. Elles appartiennent cependant encore au domaine de la foi et des sentiments, et non pas à celui de la vision (ES 316, 4). C’est pourquoi il ne s’agit pas encore de grâces contemplatives. La grande différence se situe entre le « sentir » et le « voir » spirituel. Le contemplatif veut voir Dieu indépendamment du fait qu’il ait ou non des sentiments. Aussi images, pensées, consolations ne lui sont d’aucune aide. Il préfère demeurer uniquement en son propre centre plutôt que de « voir Dieu » sans aucun sentiment, plutôt que d’éprouver de la consolation ou de la dévotion. ✢
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• Chère lectrice, cher lecteur, rappelez-vous l’un ou l’autre moment de votre vie où vous avez pu rester un certain temps à vous étonner fortement. À ces moments-là vous étiez sans penser, sans rien faire, entièrement présent à vous-même. Laissez l’intuition grandir en vous de la façon dont cet étonnement pourrait vous ouvrir une nouvelle voie vers Dieu.
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Chapitre 10
Le silence
Quand deux personnes se taisent ensemble, un bienfaisant silence, tout pénétré d’amour, les unit. Bien sûr, il peut s’agir aussi d’un silence pénible tout rempli de tensions et de blocages, un silence avant la tempête ou un mutisme fermé à toute communication. Souvent, quand deux personnes gardent ensemble le silence, c’est qu’elles ont quelque chose à se dire. Cependant, si elles ont pu tout se dire, et que leur message a été réellement compris, l’amour se met à circuler et il se fait un silence heureux. Si, au contraire, elles ne sont pas parvenues à exprimer leur message, la communication entre elles reste bloquée et des nuages s’accumulent. Le silence en devient insupportable. La raison pour laquelle elles ne peuvent pas exprimer ce qu’elles auraient à dire ne change pas grand chose. Peut-être que l’une connaît un blocage tel qu’elle ne sait pas elle-même ce qu’elle aurait à dire à l’autre, ou bien, si elle le sait, que l’autre n’est pas réceptive au message ou ne peut pas l’accepter. Elles ne supporteront pas longtemps un tel silence. C’est un silence de mort et leur message est comme enfoui. Il en va de même du silence devant Dieu. Aussi long-
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temps que le message de l’homme devant Dieu ne s’est pas exprimé, il règne un silence tendu. Quand l’homme a exprimé devant Dieu toute sa misère, le silence devient bienfaisant. S’il se produit tout de même une panne dans la communication, c’est dû au fait que l’homme ne connaît pas lui-même le message qu’il veut communiquer à Dieu. Il peut se trouver si profondément caché en lui qu’il ne peut pas encore affleurer à sa conscience. Il se peut aussi que l’homme ne fasse pas à Dieu la confiance de croire que son message sera accueilli avec bienveillance et miséricorde. C’est de nouveau un silence de mort, insupportable. On cherche alors le bruit, la distraction et les dérivatifs. Il y a encore un troisième silence. Un silence douloureux et curatif. Il y a un mutisme dans lequel le silence est comme un médecin et un thérapeute. Il y a un mutisme devant Dieu, dans lequel le silence joue le rôle d’un chercheur de perles : il plonge dans les profondeurs et remonte ensuite à la surface avec la blessure inconnue et oppressante de l’homme. Cette découverte fait mal, mais Dieu peut accueillir la blessure et la guérir, car le silence véritable, c’est Dieu lui-même. Il peut révéler à la conscience et guérir les blessures cachées et non reconnues. L’homme n’a pas du tout besoin de les formuler. Il doit seulement les laisser affleurer à la conscience et les supporter sous le regard aimant de Dieu. Ce regard curatif de Dieu a une finesse dont rêverait n’importe quel thérapeute. Il amène les blessures à la
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conscience dans l’ordre où elles sont vécues puis indéfiniment ressassées par le cœur de l’homme. Jamais il ne révèle une blessure plus profonde avant son tour, avant l’heure de sa possible guérison. L’homme ne doit ni guérir lui-même ses blessures, ni les analyser. Il ne doit pas se confronter à elles. Il doit seulement les contempler et les supporter en présence de Dieu. Le regard de Dieu les dissout. En fin de compte, Jésus Christ a dit que dans pareilles situations nous devions aller à lui, car il veut nous guérir (Mt 11, 28). C’est dans le dynamisme du silence que se trouve la clé qui permet de gérer les sentiments dans la prière contemplative. Cependant, le silence fait encore de plus grands miracles. Il accompagne et guide notre attention dans les profondeurs, là où nous voyons et Dieu et nous-mêmes. Il nous permet de faire l’expérience de la plus grande contradiction qui soit dans la communion d’être avec Dieu -et finit par la résoudre : je ne suis rien et tu es tout, je suis un pécheur et tu es mon Père (Lc 15, 22). C’est également à ce miracle qu’Ignace veut conduire à la fin des Exercices (ES 258, 5). ✢ • Chère lectrice et cher lecteur, vous souvenez-vous de ces moments de silence curatifs dans votre vie ? Dans quelle mesure avez-vous bénéficié de guérison ?
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Chapitre 11
L’infinie bénédiction
Revenons à l’histoire du jeune homme riche. Pierre veut savoir comment cela se passe au tournant de nos renoncements : « Tu le sais, nous avons tout quitté et nous t’avons suivi » (Mc 10, 28-30). Jésus répond par deux promesses. Pour le temps qui suit la mort, il promet la vie éternelle, c’est sur cela que l’homme riche l’avait interrogé. Pour la vie présente, il promet aux disciples le centuple de ce à quoi ils ont renoncé. En quoi consiste cette bénédiction au centuple ? Aussi longtemps que l’homme en prière est enroulé dans ses soucis, dans ses projets, dans son agir, ce sont ses propres forces intellectuelles et psychiques qui sont à l’œuvre. S’il se retire à nouveau dans sa chambre et qu’il y apprend à contempler en silence la présence de Jésus, les forces les plus profondes prennent le relais dans un agir qui lui devient « repos ». « Nous ne savons pas comment nous devons prier, dit Paul, l’Esprit Saint soupire en nous avec des mots que nous ne pouvons formuler » (Rm 8, 26). C’est la vraie différence entre l’état de prière dans lequel on agit soi-même et l’état de la prière contem-
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plative, dans lequel Dieu agit en nous. Comment cela se présente-t-il concrètement ? L’existence en tant que telle oriente la vie de l’homme vers Dieu, ordonne la relation à Dieu et ordonne les relations aux autres hommes et au monde. Examinons ces quatre effets de la prière contemplative. 1. La bénédiction au centuple se manifeste tout d’abord dans la relation à Dieu. La communication avec Lui commence par un échange de paroles et de pensées et par une conversation intime pour en arriver au niveau de la présence mutuelle silencieuse et gratuite. De cette façon, nos trésors spirituels, pensées, sentiments, représentations et autres activités spirituelles ne s’interposent plus entre la créature et son créateur. Ainsi, la relation entre Dieu et les hommes s’intériorise radicalement. Elle se déplace du niveau de la conversation et des colloques au niveau de l’être. À partir de cette présence mutuelle plus profonde et gratuite, un amour de Dieu beaucoup plus intime apparaît. Les personnes qui, après de nombreuses années de méditations et d’autres formes de prière, ont découvert la prière contemplative, peuvent en témoigner. 2. Un autre effet de la prière contemplative, c’est que l’homme en vient à une relation beaucoup plus profonde vis-à-vis de lui-même. Il peut demeurer bien davantage avec lui-même. Lorsqu’au lieu de tourniquer dans ses pensées il ose s’habiter lui-même, de proche en proche et jusqu’en ses profondeurs ultimes germent en lui des
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intuitions qui ne se situent plus à un niveau rationnel ou psychique mais sourdent de l’Esprit même de Dieu qui témoigne en lui. On en fait rapidement l’expérience dans la prière contemplative : pensées et projets s’élaborent en nous, qui touchent si simplement à l’essentiel. Les familiers de la spiritualité ignatienne reconnaîtront ici le premier temps de l’élection. La grâce rend l’homme plus simple et plus lumineux. Il est davantage au clair avec lui-même et avec la voie à suivre. Ses inquiétudes et ses peurs régressent. Il se sent mieux à sa place et il découvre de manière toujours plus existentielle le lieu de sa véritable patrie. Assurément, Jésus n’exagère pas quand il parle de « grâce au centuple ». Le vécu de l’homme contemplatif, c’est qu’il ne fait rien. Tout se fait de soi-même. Cela se fait à travers lui, mais il sent qu’il n’est que l’instrument entre les mains de Dieu. Cela peut avoir commencé avant la prière contemplative, mais ici c’est encore bien plus fort. L’expérience qu’on n’est pas l’acteur premier et dernier de son agir mais que c’est Dieu même qui en est la source et qui le déploie suscite une incroyable liberté. L’homme est délivré de son souci de progrès. Il devient indépendant des résultats de ses efforts. Il peut, à partir de son centre, se confier à l’action de Dieu, car il en fait continuellement l’expérience. Que l’on pense aux résolutions dans les Exercices. À l’époque de la prière active, on prend, dans les Exercices, des résolutions et on s’efforce de les tenir.
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Dans la phase contemplative, les résolutions perdent de leur importance. Quand on demeure dans le silence, le reste s’accomplit tout naturellement. Les humains que nous sommes ont des affections désordonnées qui perturbent leurs vies (ES 1, 4) : déceptions, hésitations, peurs, dépressions, tristesses, sentiments d’infériorité et beaucoup d’autres tendances qui ont presque toujours un rapport avec notre passé. Très souvent, elles sont inconscientes. Quand elles se mettent à perturber fortement le quotidien, il faut se faire aider par un thérapeute. D’ailleurs les tendances négatives pèsent d’une manière ou d’une autre sur la vie de presque tous les hommes. Dans la période active de la prière ou dans celle du faire, on entreprend de changer ses habitudes à force de prières, de réflexions, de résolutions. Très souvent en vain. Car les affections désordonnées, qui ont pris forme d’habitudes, se situent bien plus profond que ce que l’on peut changer en « s’exerçant ». Il est étonnant de constater à quel point le silence complet en présence de Dieu peut avoir un effet purificateur sur ces tendances inconscientes. Le silence fait remonter à la surface ces tendances, et il le fait selon le temps vécu de chacun. Je ne connais pas de meilleur thérapeute que le silence. Nous l’avons vu dans le chapitre consacré au silence. Comme on l’a dit, l’homme ne doit rien faire : il voit ses tendances, il rejoint son centre et celles-ci se dissolvent lentement. Le silence tra-
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vaille dans les profondeurs. Je trouve que c’est mille fois plus facile que d’essayer de se changer activement soimême. Celui qui se met sous le regard de Dieu, dans le vide complet, fera ainsi, peu à peu, grâce à cette présence silencieuse, l’expérience de la paix et de l’équilibre dans son vécu quotidien. Ce bonheur qui grandit lentement, prolongera progressivement ses effets au-delà du temps de prière, telle une musique d’ambiance qui résonne en continu. La vie se simplifie, et, finalement, il ne reste que l’amour. Une force paisible, inconnue jusqu’alors, fait sentir ses effets. Et, dans les tempêtes du monde extérieur, il suffit de revenir au silence pour qu’agisse le centre profond de l’homme — la présence de Dieu. On ne peut réaliser cela tout seul. C’est une action de Dieu : l’accomplissement de la promesse de Jésus de « bénir au centuple » le vide de soi. 3. Les effets de la contemplation se révèlent également dans les relations avec le prochain. En premier lieu, parce que l’homme ne peut entrer en relation profonde que s’il atteint ses propres profondeurs et qu’il est capable d’y demeurer. Dans les relations interpersonnelles, nous pouvons découvrir que nous ne pouvons communiquer qu’au niveau où nous vivons nous-mêmes. Personne ne peut s’adresser à autrui à un niveau plus profond, s’il ne se situe pas à un niveau de profondeur où il se retrouve lui-même. Si quelqu’un évolue au niveau du faire, de la planification et de la rhétorique, il
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ne peut guère s’adresser aux autres ou les aider en profondeur. Dans le vécu de la contemplation, un très grand respect se développe dans les relations interpersonnelles. Les affections désordonnées et toutes les obscurités sont identifiées plus nettement dans le prochain, en même temps que croît le respect de sa dignité. Demeurer ainsi en silence, le regard tourné vers Jésus, n’estce pas se préparer mille fois mieux à la rencontre avec le prochain ? L’agir se déplace du faire au rayonnement. Il est certain que l’action par rayonnement n’est pas le privilège exclusif de la voie contemplative. Cependant, ce rayonnement ne se fera vraiment sentir que dans l’environnement contemplatif. À mon sens, l’agir prend trop souvent la place centrale — particulièrement dans l’activité pastorale. Jésus, lui aussi, a été actif. Mais c’est pour son rayonnement qu’on le cherchait : car une grande force sortait de lui. Il a guéri par sa présence. Pour Jésus, guérir et annoncer l’Évangile vont de pair. Quand Jésus nous ordonne d’annoncer l’Évangile, il affirme que cette annonce s’accompagnera de guérisons (Lc 10, 9). Jésus ne nous demande pas de faire des miracles, mais il aimerait que nous soyons tellement enracinés en lui que les hommes, dans leurs rapports avec nous, s’en trouvent guéris. Dans la contemplation, l’agir se déplace du faire au rayonnement. N’oublions pas que les saints ont guéri par leur existence même. Ne serait-il pas utile de dé-
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placer le centre de gravité de notre activité pastorale et sociale, du faire au rayonner ? 4. Si l’on se tourne vers la relation au monde pour mesurer les effets du temps passé à demeurer dans le centre vide de soi, le regard tourné vers la présence de Jésus Christ, on peut dire qu’ils sont immenses. Dans la prière active, l’enjeu est d’arriver à une certaine indépendance par rapport au monde ; Ignace l’appelle l’« indifférence » (ES 23, 5) : ne plus souhaiter la santé plutôt que la maladie, une vie longue plutôt qu’une vie courte. On peut souhaiter pour soi un tel état, s’en soucier, se désoler d’en être si éloigné. D’autre part, le désir de la santé et de la vie est une force vitale essentielle de l’homme, qu’il ne peut neutraliser à force de volonté. Mais cette liberté par rapport à nos souhaits et désirs nous est donnée en cadeau lorsque nous demeurons veilleurs attentifs du fondement de notre âme. Pareille grâce est une bénédiction « au centuple ». Dans la joie et la peine, à travers les succès et les échecs, l’homme demeure, dans cette phase contemplative de la prière, comme à l’abri des tempêtes du destin. Au début, cela ne se passe que dans la prière. Lorsque nous nous retirons régulièrement dans notre chambre, nos problèmes apparemment insolubles, perdent de leur force. En progressant dans l’état contemplatif, cette liberté intérieure par rapport aux tempêtes de la vie s’étend à l’ensemble du vécu quotidien. ✢
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• Chère lectrice, cher lecteur, avez-vous déjà fait la connaissance d’une personne dont vous pressentiez que son rayonnement et son influence provenaient d’un soleil intérieur ? Quel a été l’effet de cette personne sur vous ? Qu’a-t-elle déclenché en vous ?
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Chapitre 12
Coup d’œil sur la mystique
Au cours de sa vie, l’homme va franchir plusieurs étapes dans sa relation à Dieu. Elles se reflètent le plus clairement dans la transformation de sa conscience. Les étapes particulières de la prière se développent lentement. Ce n’est pas en un jour que l’on passe d’une étape à l’autre, tout comme l’adolescent n’atteint pas l’âge adulte en un instant. Les éléments d’une nouvelle manière de prier font leur apparition de bonne heure. Bien souvent aussi, la prière d’une personne comprend les caractéristiques de deux ou trois étapes. Dans l’itinéraire complet de la vie de prière, on peut distinguer deux périodes. Les auteurs appellent prière active toutes les prières dans lesquelles celui qui prie est luimême actif. C’est par là que débute l’itinéraire, et il comporte quatre étapes. Je décris ces quatre moments devenus classiques dans mon livre Lernen wir beten (« Apprenons à prier ») 12. Nous les examinerons brièvement ici. Mais on désigne par « prière passive » les états de prière dans lesquels c’est Dieu qui est actif ; l’homme est simplement ouvert et il accueille passivement la grâce de la prière. Cette prière comporte également quatre étapes, que nous allons parcourir.
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Il faut savoir que chaque forme de prière implique à chaque fois une purification — la prière active une purification active, dans laquelle l’homme se préoccupe de changer, la prière passive une purification passive, dans laquelle Dieu lui-même purifie l’homme de ses imperfections présentes.
1. La prière active Dès que l’enfant commence à communiquer en paroles avec ses parents, possibilité lui est offerte de s’adresser aussi à Dieu en paroles. Nous appelons cela la prière vocale, puisque les paroles sont à l’honneur. L’enfant apprend le Notre Père, l’Ave Maria et d’autres prières et les répète littéralement. Ces prières, souvent apprises par cœur, éveillent vis-à-vis de Dieu des sentiments qui permettent à l’enfant de s’adresser à Dieu et de faire l’expérience des premiers contacts conscients avec Lui. Les enfants ne sont pas les seuls à trouver un accès à Dieu par la prière vocale. Tous les hommes religieux adressent la parole à Dieu. La prière vocale signifie simplement que l’essentiel de la prière se situe encore dans les paroles et pas encore au niveau mental ou émotionnel. Quelques années passent : l’intelligence s’éveille de plus en plus. L’enfant se pose de questions à propos de son environnement, des problèmes de sa vie et de ses re-
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lations. Finalement se pose la grande question du sens de la vie. L’intelligence devient le vecteur. Lorsque l’homme, à ce stade, se tourne vers Dieu, l’accent de la prière est mis sur l’intelligence qui pose des questions, réfléchit, discerne. À la suite de ces activités mentales, il prend aussi des décisions. À ce stade, c’est l’intelligence qui domine dans la prière. On l’appelle prière mentale. Le familier du livre des Exercices d’Ignace reconnaît dans cette prière les méditations de la première semaine. L’effet purificateur de cette phase de la prière provient des intuitions de l’intelligence. Au rationnel s’ajoute ensuite l’émotionnel. À la puberté et au-delà s’ouvre le monde foisonnant des sentiments. L’homme se tourne vers Dieu avec ses passions changeantes, ses états d’âme, ses exaltations ou sa dévotion et sa reconnaissance. Toute la vie sentimentale est assumée dans la prière. La vie de Jésus est le sol nourricier de cette prière. Nous appelons cette prière en termes traditionnels d’origine latine la prière affective. Celui qui prie de cette façon prend l’évangile, choisit un texte, le lit et le laisse agir en lui. Vient ensuite la partie vraiment personnelle. Celui qui prie confronte les passages de la vie de Jésus à sa propre vie et à son activité. Quel appel Jésus me fait-il dans ce texte ? Avec qui puisje m’identifier dans cet évangile ? Ainsi un pont est jeté entre la vie de Jésus et la celle du priant. Celui qui prie découvre ce qui dans sa vie et dans son comportement ne correspond pas à l’évangile, et il décide de changer
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cela. À la fin de son temps de prière, il se tourne personnellement vers Jésus ou vers Dieu le Père, et il s’entretient avec lui de ses découvertes et de ses intentions. Ces méditations peuvent contribuer à développer une relation très intime à Jésus Christ et à Dieu le Père. Cette étape de la vie de prière dure beaucoup plus longtemps que la puberté et elle peut mener à une vie spirituelle intense. Les méditations de la vie de Jésus conduisent l’être humain, quand il les approfondit, à la suite de Jésus. Dans cette forme de prière, la purification ne se passe pas seulement au niveau rationnel, mais elle traverse toute la vie de l’âme. Les lourdeurs inconscientes et non résolues sont soumises à un travail actif. De l’extérieur, on remarquera que la personne a une vie religieuse profonde et que son exemple influe sur son entourage. Quand l’homme arrive à plus de paix et de simplicité, sa vie de prière s’unifie. Aux paroles, aux pensées, aux sentiments religieux vient s’ajouter peu à peu un silencieux étonnement. L’orant choisit alors souvent une parole tirée des psaumes qui l’émeut particulièrement et, dans sa prière, il répète durant des jours ou des semaines entières le même verset. Intérieurement il se fait disponibilité croissante et aimante à Dieu. Cela arrive le plus souvent quand en lui les grandes tempêtes de la vie ont peu à peu fait place à la sérénité. Les paroles, les pensées et les émotions perdent beaucoup de leur intensité tout en ne disparaissant pas entièrement. La purification aussi de-
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vient plus paisible. Une simple relation à Dieu prend de l’ampleur. C’est la prière toute simple, et c’est aussi une forme simplifiée de la prière affective. Dans les Exercices, Ignace introduit à la prière affective et à la prière toute simple à travers les méditations de la vie de Jésus.
2. La prière passive ou la mystique La prière toute simple est la dernière manière de prier que l’homme peut pratiquer avec l’aide de la grâce. Ce qui se passe ensuite n’est plus de son ressort. Il devient un bénéficiaire passif. Dieu oriente l’attention de l’homme sur Lui. L’homme sent un désir croissant de voir Dieu : non sa création, mais Lui-même. Il éprouve de plus en plus le désir du visage de Dieu. Au début, la vision n’est cependant pas encore donnée. Que peut bien faire l’homme dans ces circonstances ? Il ne peut obtenir la vision de Dieu par une quelconque activité. Mais, paradoxalement, il peut encore faire quelque chose : il peut, dans sa prière, concentrer son regard directement sur le visage de Dieu, sur Jésus Christ, sur son Nom ou sur la personne du Père, à partir de la « matière » de sa prière : textes, pensées, images et sentiments, attentes et demandes. Le désir de la vision contemplative est déjà présent, mais la grâce de la contemplation elle-même, à savoir la contemplation infuse, peut encore faire défaut.
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J’appelle cela déjà la prière contemplative. C’est ainsi qu’elle commence, par cette transition entre les quatre niveaux de la prière active et l’état contemplatif, dont nous allons bientôt voir les étapes. Ce qui est inhérent à la prière active, c’est qu’elle est une œuvre de l’homme. Ce qui est inhérent à la prière passive, c’est que l’homme limite son activité propre à regarder Dieu, que l’expérience de la vision lui ait déjà été donnée ou pas encore. La troisième manière de prier d’Ignace est la prière contemplative (ES 258). Lorsque Dieu lui-même commence à conduire la personne gracieusement sur le chemin de la prière, cela s’appelle selon les auteurs la mystique. Sur le chemin de la mystique, il y a encore quatre niveaux. Les étudier en détail n’est pas notre tâche ici, et cela dépasserait largement le cadre de ce petit livre. Toutefois, dans le but de nous orienter et de compléter notre panorama, je vais ajouter sur un mode simplifié ces quatre étapes. Elles ont été décrites 13 par sainte Thérèse d’Avila, qui, par cet enseignement, a été honorée du titre de docteur de l’Église. La première étape est la prière de RECUEILLEMENT. Dieu attire tellement à lui la volonté de l’homme que l’homme n’a plus de distractions dans la prière. Il est tellement fasciné par la présence de Dieu qu’il demeure très longtemps et sans interruption dans l’étonnement devant Lui. Il ne prie pas, mais il perçoit la présence de Dieu. C’est à ce stade qu’une méditation à l’aide de textes devient
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franchement gênante 14. Quand on est occupé par un texte, l’attention ne peut s’orienter vers Dieu, directement et exclusivement. Ce qui est la contemplation au sens propre. Il y a encore des pensées en périphérie de la conscience, mais on ne s’en occupe plus, on demeure continuellement attentif auprès de Dieu. Ici commence la purification passive des sens. Saint Jean de la Croix l’appelle « la nuit obscure des sens ». Dieu purifie les profondes obscurités qui sont encore présentes malgré le long chemin spirituel déjà parcouru. C’est une purification du psychisme, mais le mode de purification est passif. Nous l’avons décrit brièvement dans le chapitre sur le silence. À cette étape de la prière, l’homme rayonne étonnamment. Peu de personnes parviennent à cette prière de recueillement. Le deuxième niveau est la PRIÈRE D’UNION. Dieu prend aussi possession de la conscience à un point tel que l’homme n’a plus aucune pensée. L’expérience de la présence de Dieu est à ce point intense qu’il est impossible à la personne, même longtemps après, de se demander si c’était bien Dieu qu’elle avait vu. C’est le cas des conversions ou des vocations exceptionnelles, comme celles de Paul ou de l’apôtre Matthieu 15 ou encore, pour Ignace de Loyola, la vision qu’il eut sur les bords du Cardoner 16. La nuit des sens se prolonge. Les personnes qui bénéficient de cette grâce ne sont pas seulement rayonnantes : alentour, leur présence devient même guérissante. De nombreux saints furent
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conduits, au moins à la fin de leur vie, à cette étape de la vie de prière. Le troisième niveau est l’UNION EXTATIQUE. Dieu prend également possession de la sensibilité de la personne, et la personne n’a plus aucun contact avec le monde extérieur durant ce temps de prière. Elle se retrouve assez souvent en extase. Les saints témoignent de visions fréquentes de l’humanité de Jésus Christ. Dans ce cas, la personne passe par la nuit de l’esprit : une purification fort douloureuse et radicale. La personne peut à peine supporter la lumière pénétrante de Dieu et elle se sent — ce qui est apparemment contradictoire — totalement abandonnée par Dieu, jusqu’à ce que la grâce la prépare à la lumière inimaginable de Dieu. Elle accède à des fiançailles mystiques : Dieu fait à l’homme pour un moment le cadeau de l’état de vie éternelle. Cela dépasse absolument notre capacité humaine normale de représentation. Dans la foulée, on peut faire l’expérience des « noces mystiques ». En cet état, l’union à Dieu est continue et sans solution de continuité. Il va de soi que cet état est encore bien plus rare que la simple union. Le quatrième niveau est l’UNION TRANSFORMANTE. Dieu prend possession de toute la personne. La personne est entièrement irriguée par Dieu : elle n’est séparée de la vie éternelle que par le pas ultime. Vu de l’extérieur, c’est une personne tout à fait normale sans extases ni phénomènes extraordinaires. Elle se déplace en toute
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liberté dans le monde et, le plus souvent, elle est très active, mais intérieurement, elle vit sans interruption l’être-un avec Dieu. Ce qui est extraordinaire chez elle, c’est qu’elle diffuse exclusivement l’amour et la lumière. Ces hommes pleins de grâce exercent une influence extraordinaire sur de nombreux peuples et sur de nombreuses générations. Songeons aux grands saints : Paul, Augustin, Benoît, François d’Assise, Ignace, Thérèse d’Avila, Thérèse de Lisieux. Ils sont le Christ sur la terre. L’important, c’est de ne pas nous casser la tête au sujet de tous ces niveaux, de ne pas vouloir en savoir trop et de ne pas nous mettre à discuter. Cela n’apporterait rien à notre compréhension ni à notre relation à Dieu. On ne peut de toute façon pas les comprendre. Il suffit que nous ayons un grand respect pour l’action de Dieu et que nous regardions notre propre avenir avec espérance et joie. Mon propos était seulement d’indiquer la direction, de montrer les dimensions qui s’ouvrent à nous quand Dieu prend les commandes. J’aurais atteint mon but si cette description laisse s’épanouir en nous le désir du visage de Dieu en Jésus Christ ou accroît le don de nousmêmes à son service. ✢
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• Chère lectrice, cher lecteur, pouvez-vous vous imaginer qu’un jour Dieu peut vous donner des grâces qui dépassent complètement le cadre des efforts humains ? Avez-vous déjà eu un avantgoût d’une telle grâce ?
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Chapitre 13
Un exemple
Nous avons réfléchi à la voie contemplative de diverses manières. Il nous manque sans doute encore un exemple concret qui permettrait de l’illustrer. Nous allons prendre notre exemple chez Ignace. Il appelle la prière que nous présentons la troisième manière de prier ; elle se trouve dans les Exercices comme le dernier exercice de prière (ES 258-260) 17. Comme il le fait pour les autres manières de prier, Ignace donne aussi à celle-ci un cadre : un colloque introductif et conclusif avec Dieu. Ensuite, il décrit l’attitude corporelle et il recommande pour cette prière un attitude de profond recueillement, assis ou à genoux. Ce faisant, le retraitant est invité soit à fermer les yeux, soit à fixer son regard sur un point (ES 252, 1). Dans cette prière, la respiration occupe une place importante : chaque mot doit être exprimé l’espace d’une respiration, et Ignace souligne qu’entre deux respirations, il ne faut pas exprimer plus d’un seul mot. L’attention fixée sur la respiration joue un grand rôle dans la prière contemplative.
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Dans toutes les méditations et contemplations précédentes, Ignace a fixé pour tâche au priant de trouver des significations, des exemples, du goût ou des consolations. Maintenant, au contraire, il limite la prière à la vision. Que faut-il regarder ? Au début, on peut regarder le mot que l’on prononce. Songeons à la « prière de Jésus ». Mais il ne faut pas se contenter de fixer son attention sur la signification d’un mot -en l’occurrence le Nom de Jésus. Il faut regarder la personne elle-même, dont on prononce le nom. Il s’agit d’une relation à Dieu. Il faut porter son regard sur cette relation, c’est ce qu’exprime Ignace : on peut aussi regarder « sa propre bassesse ou bien la différence entre une telle grandeur et une telle bassesse en moi » (ES 258, 5). En résumé, on peut dire que cette prière consiste exclusivement à regarder, à regarder Dieu et notre relation à lui. Cette prière a, dans le livre des Exercices, une position privilégiée ; d’abord parce qu’elle fait partie du noyau des Exercices ; si l’on ne s’est pas exercé à cette prière, les Exercices ne sont pas complets — Ignace est très clair sur ce point 18 ; ensuite, parce qu’il indique ici une prière essentiellement nouvelle, qui, en étant différente de toutes les manières de prier précédentes, est centrée entièrement sur la vision ; en troisième lieu, parce que c’est la dernière manière de prier et le dernier exercice, par lequel Ignace reconduit le retraitant dans la vie. Avec cette manière de prier, le retraitant est arrivé là où Ignace veut le
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conduire. Si, au cours des Exercices, ne serait-ce qu’un souffle de la grâce contemplative l’a atteint et a éveillé en lui le désir du visage de Dieu, jamais plus il n’oubliera cette manière de prier. Ignace n’a pas écrit de longs textes sur la contemplation, ce n’est pas son genre. Sa détermination et sa manière propre de conduire à la prière contemplative sont exprimées brièvement et sobrement dans le livre des Exercices. On pourrait se demander pourquoi Ignace n’a pas écrit davantage sur la voie contemplative. Peut-être tout simplement parce qu’il est difficile d’exprimer ce qui se passe quand on contemple sans aucune pensée. Ignace n’a jamais été prolixe, mais ce fut un grand mystique, et il était familier du cheminement des âmes. Il savait ou pressentait qu’un jour viendrait où beaucoup chercheraient la voie contemplative. Voilà pourquoi, dans son livret des Exercices, il ouvrit cette voie à ses contemporains et aux générations futures par quelques balises sobres et claires qui ne pèsent pas sur la route : l’homme est si fragile et la mystique peut peser ! Aujourd’hui, la voie contemplative est d’une urgente nécessité. N’est-il pas admirable que nous puissions ouvrir cette voie en tirant de notre trésor « du neuf et du vieux » ? ✢
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• Chère lectrice et cher lecteur, pouvez-vous imaginer que vos méditations, avec le temps, se simplifient au point de n’être plus qu’un regard silencieux porté sur notre créateur et sauveur ? Si oui, d’après vous, quelles sont pour vous, les étapes suivantes ?
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Chapitre 14
Une petite fleur
C’est à l’époque de Vatican II que j’entendis pour la première fois l’expression « les signes des temps ». C’est alors que l’Église se mit à bouger et il était plus que temps de changer les structures. Cela a suscité de l’angoisse chez beaucoup. La vie de l’Église est conduite par Dieu — selon eux — et voici que nous devrions dévier du chemin que Dieu nous avait montré jusqu’ici et chercher de nouvelles voies ? Les représentants du renouveau (aggiornamento) répondaient que c’est justement Dieu qui nous a donné des signes, pour nous montrer que c’est Lui qui veut conduire l’Église sur des voies nouvelles. Or, nous n’avions pas reconnu ces signes dans les décennies qui ont précédé le concile. La devise était donc : portons notre attention sur les signes des temps ! Cette expression a éveillé l’espérance chez beaucoup et leur a fait faire l’expérience qu’ils formaient une communauté de vie. Aujourd’hui aussi cela bouge dans l’Église comme au temps du concile. La plupart des monastères et des ordres religieux, qui autrefois étaient les piliers de l’Église — et cela me fait de la peine — ne se sont-ils
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pas transformés en « maisons de vieillards » ? Les religieux qui ont encore la santé se surmènent souvent au détriment de la prière. Les prêtres ont toujours davantage de paroisses à administrer. N’est-il pas dès lors normal qu’eux-mêmes et les pasteurs s’occupent plus de gestion que du renouveau spirituel ? Beaucoup de paroisses se dépeuplent. Beaucoup — Dieu soit loué, pas toutes ! — ne sont plus adaptées aux besoins d’aujourd’hui. Peut-être précisément parce qu’elles débordent d’activités et de discours ? Ne serait-il pas préférable que, dans chaque paroisse, il y ait des possibilités d’apprendre la prière contemplative, que beaucoup cherchent par ailleurs ? Et ne serait-ce pas du goût d’Ignace que ceux et celles qui donnent les Exercices reçoivent aussi une formation à l’accompagnement d’exercices de prière contemplative ? Le renouveau de l’Église n’a-t-il pas toujours commencé par un renouveau intérieur ? Ne serait-il pas possible que le signe des temps le plus pressant soit l’appel de Dieu à la prière contemplative ? Beaucoup de chrétiens émigrent vers d’autres religions, car ils ne trouvent pas dans l’Église la voie contemplative. Il y a quarante ou cinquante ans d’ici, ce n’était pas encore le cas. Karl Rahner l’a vu clairement, lorsqu’il disait que le chrétien, à l’avenir, serait mystique, ou ne serait plus chrétien. Phrase souvent citée, qui prouve aussi que cette vérité affleure à la conscience de tous. Qu’aujourd’hui tant de chrétiens ne soient pas des mystiques questionne, selon moi, notre vie de prière. La
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réaction adéquate ne serait-elle pas, alors, de nous engager dans la voie contemplative ? Ce besoin de la voie contemplative n’est-il pas un signe des temps pressant, manifestant la volonté de Dieu de nous amener à un nouveau printemps de l’Église ? L’homme religieux d’aujourd’hui manifeste un désir évident de prière contemplative. Il cherche — comme jamais encore dans l’histoire — la simplicité et la paix de la voie contemplative. À mesure que le monde accélère ses rythmes, nous avons besoin du rééquilibrage de la paix contemplative. Plus le monde devient compliqué, plus nous avons besoin de la simplicité contemplative. Plus le monde nous agresse avec les paroles vides de la propagande et de la publicité, plus il nous faut un silence sans parole, pour nous rapprocher de notre être authentique. Plus les études, la presse, l’électronique et la vie moderne nous mettent au défi de penser à toute vitesse, plus il nous faut la compensation de la vision contemplative. Plus les pays du monde se font la guerre et plus les familles vivent dans les conflits, plus il nous faut l’harmonie et la paix de la voie contemplative. Les besoins en matière de voie contemplative sont grands. La réponse de ceux qui s’y engagent est comme une petite fleur fragile. En temps de crise, on court le danger d’élaborer de grands projets et de discuter sur les objectifs et les méthodes de renouveau. Je crois qu’il y a une bien meilleure stratégie. Ce n’est pas à nous d’inventer les nouveaux sentiers. Dieu nous les montre. Il
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suffit que nous découvrions tous les endroits où surgit la vie nouvelle. La vie nouvelle est un signe des temps, car en elle c’est Dieu qui agit. La vie nouvelle surgit telle une fleur. Au départ, on discerne à peine une petite pousse qui dépasse de quelques millimètres la surface du sol. Plus tard, la fleur se déploie d’elle-même. Il suffit que nous gardions les yeux ouverts et que nous discernions à temps tous les endroits où apparaît de la vie nouvelle. Elle veut grandir. À nous de veiller sur elle, de la soigner et de faire en sorte qu’elle bénéficie du soleil et de la pluie et qu’elle ne subisse aucun dommage. Voilà les espoirs pour l’avenir. Jésus nous a déjà rendus attentifs à respecter les petites plantes de l’avenir (Mt 13, 31). Au milieu du bourdonnement du monde, beaucoup sont déjà à la recherche de prière simple et de vie pacifiée. C’est pour moi un signe des temps manifeste, une petite fleur, sur laquelle il nous faut veiller, que nous devons arroser et exposer au soleil. C’est une petite flamme qui deviendra un grand feu. Il nous faut reconnaître en elle l’appel de Dieu. En effet, par ce signe des temps, Jésus Christ veut nous dire qu’il veut nous conduire sur la voie qui mène au Père et qui passe de la foi à la vision. ✢
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• Chère lectrice, cher lecteur, quels sont, au moment de l’histoire où nous sommes, les signes des temps que vous voyez ? Quelles sont ces petites fleurs discrètes annonciatrices d’un grand printemps que Dieu veut pour notre monde (« Voici que je fais du neuf qui déjà bourgeonne… », criait Isaïe en son temps) ? • Et parmi celles-ci, quelle place accorderiez-vous à la voie contemplative ?
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Chapitre 15
Commençons
Chère lectrice, cher lecteur, je vous ai indiqué dans les grandes lignes le chemin de la contemplation. Il se peut qu’il vous ait touché et que vous ayiez envie de vous y engager. Je voudrais vous montrer un certain nombre de démarches par lesquelles commencer. 1. Peut-être avez-vous déjà fait souvent les Exercices ou avez-vous médité dans l’évangile la vie de Jésus. C’est la préparation idéale à la grâce de la contemplation. C’est au contact de l’évangile que souvent Dieu donne, par la sainte Écriture et par la vie de Jésus, les grâces de la contemplation. Si, en effet, vous faites l’expérience que vos méditations se simplifient, vous donnent davantage de paix ou éveillent en vous le désir de voir Dieu lui-même, vous pouvez être certain que la grâce de la contemplation a commencé à agir en vous. C’est un appel de Dieu qui demande instamment une réponse : peut-être d’apprendre la prière contemplative ? Un apprentissage s’impose en effet, pour apprendre à gérer la masse de distractions qui vous tiennent à distance de la vision directe de Dieu. De plus, vous verrez monter en vous des sentiments tels que la sécheresse ou le dégoût.
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Dans une introduction à la prière contemplative, votre capacité d’attention sera éduquée afin de savoir comment vous comporter devant toutes ces distractions. Vous ne devez pas abandonner vos manières habituelles de prier, mais l’apprentissage de la prière contemplative permettra que l’accent de votre prière se déplace spontanément, au moment favorable, sur la voie où l’Esprit désire vous mener. Pour apprendre la prière contemplative, je vous recommande mon livre Kontemplative Exerzitien 19. Permettez-moi de m’exprimer plus personnellement. Après avoir donné pendant vingt-cinq ans les Exercices contemplatifs, j’ai souhaité publier mon expérience, afin que beaucoup y aient accès. J’ai enregistré plus de deux mille dialogues de guidance. J’ai ensuite commencé à composer, sur la base de ce matériel, un cours-type sur les Exercices. J’ai essayé de voir quels thèmes apparaissent et à quel moment ils apparaissent dans le cursus, et ce que je pouvais en dire. C’est ainsi que j’ai sélectionné environ deux cents dialogues à partir de mes enregistrements. Ils forment le noyau de mon livre. Je les ai divisés en dix journées, tout comme les Exercices que je donnais à l’époque comprenaient dix jours pleins. J’y ai ajouté dix conférences que je donnais alors et qui servent d’introduction à chaque journée. Ainsi, on peut aussi faire sa retraite en privé, que ce soit pendant quelques jours en silence total ou sous la modalité des Exercices dans la vie courante. Il est également utile,
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qu’en dehors des Exercices, on lise tel ou tel dialogue d’accompagnement avant ou après la prière contemplative quotidienne. C’est comme un accompagnement de la prière quotidienne. Si cela vous intéresse, vous pouvez, grâce à ce livre, faire les Exercices dans la vie courante ou l’entièreté des Exercices. Tout est expliqué dans ce livre. Si votre intérêt vous porte plus loin, je vous recommande de prendre contact (aux adresses indiquées plus loin en annexe) afin de faire les Exercices contemplatifs. 2. Avant que nous ne vous procuriez ce livre, je vous donne ici, chère lectrice et cher lecteur, quatre exercices qui vous donneront un avant-goût de l’attitude contemplative. Le sens de ces exercices s’appuie sur le parallélisme des relations à Dieu et aux hommes. Celui qui n’est pas capable de se laisser approcher par les hommes et de les accueillir, n’est pas capable non plus de faire l’expérience de Dieu. Celui qui est capable d’écouter les hommes, n’est pas incapable non plus de vivre un silence attentif en présence de Dieu. • Efforcez-vous, dans une violente discussion où vous ne jouez qu’un rôle secondaire, de changer votre attention et votre attitude. Cessez de faire attention au thème de la discussion et n’exprimez plus rien de ce que vous aviez peut-être l’intention de dire, mais écoutez la personne qui est le plus fortement impliquée dans la discussion. Écoutez-la tout simplement. Faites-le en toute
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simplicité, afin de comprendre cette personne de l’intérieur. Essayez de sentir ce que vit cette personne pour le moment, sans toutefois vouloir exprimer à la fin votre propre opinion. • Essayez de faire la même chose que dans l’exercice précédent, mais cette fois-ci lors d’une discussion vivante ou orageuse que vous menez vous-même avec votre partenaire. Faites comme ci-dessus jusqu’à la fin de la discussion, et, à la fin, ne dites rien de plus que ceci : « J’ai bien pu tout écouter », ou « Je veux encore prendre du temps pour bien m’en imprégner ». C’est un excellent exercice pour apprendre à voir et à sentir dans la vie de tous les jours. • Efforcez-vous, lors d’une conversation intéressante et vivante, dans laquelle vous voulez absolument apporter des éléments importants, d’y renoncer et de vous disposer uniquement à l’écoute. Faites-le aussi lorsque vous pensez que vous avez quelque chose de décisif à communiquer, que cette chose pourrait bénéficier au thème de la discussion. Essayez de vous intéresser vraiment à l’opinion de votre interlocuteur et de renoncer à exprimer votre propre message. Dans la prière contemplative, c’est Dieu qu’il vous faut écouter. Vos propres idées n’ont alors que peu d’importance. • Essayez de bien regarder la pression que vous éprouvez dans une situation exaspérante, à votre travail ou à la maison, sans toutefois vouloir la changer. Contentez-vous de percevoir tout simplement la pres-
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sion et demeurez dans cette perception, jusqu’à ce que cette pression diminue d’elle-même et disparaisse. ✼
Adresses où le père Jalics donne les Exercices contemplatifs, soit uniquement, soit temporairement : - Centre spirituel ignatien La Pairelle • 25, rue Marcel Lecomte • BE-5100 Wépion • Belgique tél. : +32 81 46 81 11 centre.spirituel@lapairelle.be www.lapairelle.be - Haus Gries • Gries 6 • DE-96352 Wilhelmsthal, Oberfranken • Allemagne tél. : +49 92 60 220 info@haus-gries.de
Notes 1. « La foi est le moyen de posséder déjà ce qu’on espère, et de connaître des réalités qu’on ne voit pas » (He 11, 1). Les citations de la Bible sont reprises de la Bible de la liturgie (cf. www.aelf.org:591/bibledelaliturgie). 2. Ignace DE LOYOLA, Exercices spirituels, Traduction du texte autographe par Édouard Gueydan, s.j., en collaboration, DDB, 1985. Les chiffres après ES renvoient à la numérotation marginale. 3. Kontemplation, in Lexikon für Theologie und Kirche (LThK) 1997, Col. 326. Voir l’article fondamental : Contemplation, in Dictionnaire de spiritualité (DS), Col. 1643-2193. 4. Kontemplation, LThK, 1961, 506. 5. Dans la tradition de l’Église, cela porte le nom de contemplatio infusa. 6. La dévotion est remise de soi, intensité vécue de l’amour, une vertu de la religion. Voir Dévotion, in DS, Col. 702-718. 7. Visio beatifica, in LThK, 199, Col. 810. 8. Meditation, in LThK, 1962, Col. 234. 9. En français, le mot est traduit par « contemplation ». Voir la traduction d’Édouard GUEYDAN, DDB, coll. « Christus » 61, 1985. 10. Nous y reviendrons au chapitre 13. 11. Dans la traduction de la Bible de la liturgie, on met : « En effet, voilà que le règne de Dieu est au milieu de vous. » C’est une traduction possible. Littéralement, en grec, on lit : « en vous ». 12. Würzburg, 2000, Topos plus Taschenbuch, Band 564.
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13. Œuvres complètes de Thérèse d’Avila – Le château intérieur, Tome IV, Cerf, 1982, p. 61-195. 14. Jean DE LA CROIX, La montée du Carmel, Cerf, 1982, Livre I, chap. 13. 15. Ignace en parle dans le premier temps pour faire élection (ES 175, 1-3). 16. Ignace DE LOYOLA, Le récit du pèlerin, Fidélité – Salvator, coll. « Vie spirituelle », 2006, no 30, p. 52-53. 17. Je développe davantage la signification de cette manière de prier dans mon article : « Die contemplative Phase der ignatianischen Exerzitien », (« la phase contemplative des Exercices ignatiens »), paru dans Andreas SCHÖNFELD (Ed.), Spirituatlität im Wandel (« la spiritualité en évolution »), Würzburg, 2002, p. 344363. 18. Assez bien au début du livre des Exercices, dans la quatrième annotation (ES 4), Ignace explique la structure et la durée des quatre parties des Exercices. Dans la quatrième partie, il inclut les trois manières de prier (ES 4, 3). Il déclare par là que la troisième manière de prier fait partie à part égale des Exercices. Il écrit, de plus, que, ce qui est déterminant dans les quatre parties des Exercices, ce n’est pas la matière des méditations, mais de savoir si l’objectif de chacune des parties a bien été atteint ou non. Ce qui veut dire qu’aussi longtemps que l’on ne s’est pas exercé à la vision de Dieu selon la troisième manière de prier et que l’on n’en a pas fait l’expérience en tant que manière propre de prier, les Exercices ne sont pas encore achevés. Il ne faut pas les achever, si l’état spirituel du retraitant ne le permet pas (ES 18). Mais dans ce cas, ils ne sont pas complets, même s’ils ont duré trente jours. 19. Kontemplative Exerzitien, Echter, 2001. Le livre est traduit en de nombreuses langues. En français : Ouverture à la contemplation, DDB, coll. « Christus » 89, 2002.
Table des matières
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
Chapitre 1. – Le chemin de la contemplation. . . . . . . . . . 7 Chapitre 2. – Notre véritable patrie. . . . . . . . . . . . . . . . . 11 Chapitre 3. – Qu’est-ce que la contemplation ? . . . . . . . 13 Chapitre 4. – Un récit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19 Chapitre 5. – Cinq minutes de philosophie. . . . . . . . . . . 29 Chapitre 6. – Les deux degrés de la pauvreté. . . . . . . . . . 35 Chapitre 7. – La chambre haute et le balcon . . . . . . . . . 43 Chapitre 8. – L’immédiateté . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47 Chapitre 9. – Regarder l’intérieur . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53 Chapitre 10. – Le silence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61 Chapitre 11. – L’infinie bénédiction . . . . . . . . . . . . . . . . 65 Chapitre 12. – Coup d’œil sur la mystique . . . . . . . . . . . 73 1. La prière active . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74 2. La prière passive ou la mystique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77
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Chapitre 13. – Un exemple . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83 Chapitre 14. – Une petite fleur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87 Chapitre 15. – Commençons . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
Notes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99
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Achevé d’imprimer le 9 novembre 2007 sur les presses de l’imprimerie Bietlot, à 6060 Gilly (Belgique).
Franz Jalics
Le père Franz Jalics, jésuite hongrois, anime un centre spirituel près de Nuremberg. Après avoir enseigné la théologie en Argentine en partageant la vie des favellas de Buenos Aires, il fut séquestré en 1976 par un groupe militaire d’extrême droite. Cet événement a changé sa vie. Depuis 1978, il donne des retraites d’initiation à la contemplation en Allemagne et en Belgique.
Vie spirituelle ISBN 978-2-87356-381-3 Prix TTC : 8,95 €
9 782873 563813
La prière de contemplation
Cet ouvrage présente, simplement mais de façon explicite, le sens de la prière contemplative. Après avoir clarifié les notions de foi, de la vie éternelle et de la contemplation, l’auteur montre concrètement ce qu’est la voie contemplative en cherchant les relations qu’elle entretient avec la philosophie, l’Écriture Sainte et la mystique. Ensuite, il approfondit les grands axes de la prière contemplative, ses effets sur la vie active et son importance dans la vie d’aujourd’hui. Un exemple montre, en finale, à quoi ressemble la prière contemplative et comment elle peut se traduire dans la pratique. Chaque chapitre se conclut par des questions dont l’objectif est de faire le lien avec l’expérience personnelle du lecteur.
Franz Jalics
La prière de contemplation
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