Mgr Pierre Warin Philippe Wargnies
Mgr Pierre Warin Philippe Wargnies
On le lit presque chaque dimanche à la messe, mais on ne le comprend guère… C’est peut-être pourquoi Benoît XVI a annoncé une « année jubilaire saint Paul » en 2008 – 2009. Elle marque le bimillénaire de la naissance de l’apôtre, que l’on situe généralement entre 7 et 10 ap. J.-C. Qui est l’apôtre des nations aux nombreux voyages apostoliques ? Pourquoi a-t-il écrit tant de lettres aux noms étranges ? Comment lire ces lettres ? À partir des données récentes de la recherche, Philippe Wargnies, jésuite, et Mgr Pierre Warin, évêque auxiliaire de Namur, retracent la vie de Paul et sa double conversion. Avec pédagogie, ils livrent un portrait spirituel de Paul tout en finesse : héraut, apôtre et docteur, prophète et martyr, sage… Autant de clés pour mesurer le rôle incontournable de Paul de Tarse dans l’histoire du christianisme et mieux écouter son message. ISBN 978-2-87356-420-9 Prix TTC : 10,00 €
2e édition
9 782873 564209
Collection « Que penser de… ? »
Saint Paul
Saint Paul Photo de de couverture couverture: :Statue Saint de Paul Notre-Dame en prison, de Rembrandt, Lourdes (Ch. 1627, Delhez) huile sur bois de chêne, 72,8 × 60,3 cm (Inv. 0746) © Staatsgalerie Stuttgart, Allemagne
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Mgr P. Warin – Ph. Wargnies
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Saint Paul
Saint Paul
Monseigneur Pierre Warin Philippe Wargnies, s.j.
Saint Paul 2e éd. corrigée et augmentée
Collection « Que penser de… ? »
Pierre Warin est évêque auxiliaire du diocèse de Namur. Il a été professeur d’exégèse du Nouveau Testament au séminaire de Liège. Philippe Wargnies, jésuite, est professeur d’exégèse et de théologie biblique à l’Institut d’études théologiques (IET) de Bruxelles.
La contribution de Mgr Warin a paru dans l’ouvrage collectif Le semeur est sorti pour semer, Séminaire de Liège, éd. Dricot, 1992, p. 95-120, sous le titre « La première et la seconde conversion de Paul de Tarse ». © Éditions Fidélité • 7, rue Blondeau • BE-5000 Namur info@fidelite.be • www.fidelite.be ISBN 2e édition : 978-2-87356-420-9 Dépôt légal 2e édition : D/2008/4323/23 Photo de couverture : Saint Paul en prison, Rembrandt © Staatsgalerie Stuttgart, Allemagne Maquette et mise en page : Jean-Marie Schwartz Imprimé en Belgique
Introduction
L
Rembrandt, dont le prénom était Paul, a plusieurs fois représenté son saint patron en reprenant ses propres traits. Ce n’est pas le cas du Paul en prison conservé à la Staatsgalerie de Stuttgart (Allemagne), reproduit en couverture de cet ouvrage. L’apôtre est ici représenté chargé d’années riches en fatigues apostoliques*. Les robustes pieds du missionnaire itinérant nous rappellent sa parole : « Ayez pour chaussures aux pieds la promptitude à annoncer l’Évangile de la paix » (Ep 6, 15 1). Une annonce à laquelle il se voue jusque dans sa prison, par la prière et par l’écrit. C’est un Paul vieillissant, mais au regard si vif encore, si jeune du mystère qu’il a entrevu et partagé. Un regard tout ensemble vision, méditation et réflexion. Un regard intérieur, tout absorbé, contemplatif et perplexe à la fois, comme si Paul se disait : « Qu’il est grand le E PEINTRE
* L’astérisque renvoie au petit lexique, p. 122. 1. Ep 6, 15 signifie Lettre aux Éphésiens, chapitre 6, verset 15. Cf. p. 119 les abréviations des lettres pauliniennes.
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mystère de la foi ! Mais comment vais-je ici l’exprimer avec justesse ? » De gros livres se laissent voir, l’un sous sa main, un autre à côté de lui, un troisième sur l’extrémité de sa couche. Sans doute les saintes Écritures. Souvenons-nous qu’à Timothée, auquel il se disait d’ailleurs « prisonnier du Seigneur » (2 Tm 1, 8), Paul écrit : « Depuis ta tendre enfance, tu connais les Saintes Lettres […]. Toute Écriture est inspirée de Dieu et utile pour enseigner, reprendre, redresser, éduquer dans la justice, afin que l’homme de Dieu soit accompli, équipé pour toute œuvre bonne » (2 Tm 3, 15-17). Paul se doute-il alors que ses propres Lettres seront un jour reconnues comme inspirées de Dieu, et entreront pour toujours dans ce qui deviendra le Nouveau Testament* ? On remarque aussi, adossée au livre, une vigoureuse épée. Fait étrange pour un prisonnier. Pense-t-il devoir recourir à la force pour se défendre ? Non. Le Seigneur s’en chargera. C’est lui son arme de victoire. En fait, l’artiste parle le langage métaphorique de l’Apôtre. L’épée est ici toute symbolique. C’est, comme l’affirme Ep 6, 17, « le glaive de l’Esprit, qui est la parole de Dieu ». Oui, au service du Verbe de Dieu, Paul met jusqu’à la fin de sa vie le tranchant de sa parole apostolique enracinée dans les Écritures, méditées dans le Christ. Dans certaines représentations d’évangélistes, tel le Saint Matthieu du Caravage, un personnage 6
angélique, figurant l’inspiration qui gagne l’écrivain sacré, semble lui souffler les mots, ou guide délicatement la main qui rédige. Mais Paul, lui, est ici seul, occupant tout l’espace, et néanmoins si réceptif. En nous introduisant dans l’intimité de sa cellule, l’artiste, dans le jeu du clair-obscur, nous signifie lumineusement l’inspiration, par la douce incandescence qui, venue du jour extérieur, auréole l’apôtre intensément songeur. Un angle de clarté qui semble né d’en haut conjure l’ombre environnante, aux vêpres encore ardentes de cette vie toute donnée. Ce cachot en devient paisiblement pascal. Le Ressuscité brûle au cœur de Paul, le Christ vit en lui. Et l’Esprit divin se joint à son esprit pour des mots qui passeront les siècles. Qui est Paul ? Comment ces mots arrivés jusqu’à nous sont-ils nés ? Quelle fut cette vie toute donnée ? À l’occasion de l’année jubilaire consacrée à saint Paul, et qui fête le deux millième anniversaire de sa naissance, deux auteurs s’unissent pour nous aider à découvrir l’apôtre des nations. Dans un premier chapitre, Philippe Wargnies, jésuite, professeur d’Écriture Sainte à l’Institut d’études théologiques de Bruxelles, rappellera quel fut l’itinéraire de Paul, Juif citoyen romain de Tarse, persécuteur puis disciple du Christ, infatigable dans ses voyages, jusqu’au martyre. Puis, nous entrerons dans l’œuvre de Paul : quelles sont ces treize lettres pauliniennes ? Com7
ment comprendre leur classification ? Quels procédés littéraires Paul a-t-il utilisés pour les rédiger ? Concrètement, comment les lire, quels en sont les thèmes théologiques et pastoraux ? Dans un troisième chapitre, le père Wargnies dressera un portrait spirituel de Paul à partir des éléments donnés par l’apôtre lui-même dans ses œuvres : Paul fut héraut, apôtre et docteur ; prophète et martyr ; sage dans la sagesse de Dieu. Enfin, Mgr Pierre Warin, évêque auxiliaire de Namur, examinera les « deux conversions » de Paul : que signifie l’épisode de la rencontre de Paul et du Christ sur la route de Damas, comme le racontent les Actes des Apôtres* ? Mais ensuite, sa vie durant, Paul n’a-t-il pas connu une autre conversion ? Alors, d’un tel parcours, que peut retirer le lecteur pour sa propre vie ? La conversion de Paul n’a-t-elle rien à voir avec notre quête du bonheur ?
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Une vie avec Dieu
«R
IEN ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu
qui est en Jésus Christ notre Seigneur » (Rm 8, 39). Paul de Tarse confesse ainsi sa foi en réponse à un amour absolu, éprouvé comme infrangible. Mots écrits par un homme qui crut dès sa jeunesse à l’amour que Dieu lui portait : il naquit Juif et fut élevé dans la foi de ses pères. Que cet amour rejoigne les hommes en Jésus de Nazareth, reconnu « Christ et Seigneur », Messie* Fils de Dieu, Paul ne l’expérimenta qu’à l’âge de 25 ou 30 ans, quelques années après la mort de ce Jésus qu’il sut mystérieusement vivant, dans l’instant où ce dernier lui apparut. Son existence bascula. Paul y distinguera pour toujours un « avant » et un « après » (Ga 1, 13.23). Qu’avait été sa vie jusque-là ? Que devint-elle ensuite, jusqu’à son martyre quelque trente ans plus tard ? On peut poser des jalons, sur base de connaissances générales concernant le monde antique au début de l’ère chrétienne et à partir de ce que révèlent de Paul ses Lettres et le récit des Actes 9
des Apôtres attribué à saint Luc : Paul en est un acteur majeur (le statut de ces sources de renseignement sera étudié dans le chapitre 4).
1. Le Juif citoyen de Tarse Saul ou Paul : il répond à un double appellatif, pratique courante dans un bassin méditerranéen cosmopolite. Paul est l’homme de deux mondes. Saul est son nom sémitique* de Juif, qu’on rencontre dans les Actes. Prénom illustre, qu’avait porté le premier roi d’Israël, issu comme lui de la tribu juive de Benjamin (Rm 11, 1 ; Ph 3, 5 ; Ac 13, 21). L’équivalent sonore grec saoulos qualifiait un homme d’allure efféminée ; une des raisons, sans doute, pour lesquelles Paul, dans ses lettres, se présente toujours sous son nom de Paulos, plus adapté au monde gréco-romain. Quand naquit-il ? Selon des estimations déduites, vers l’an 7, à quelques années près, penset-on généralement ; soit une douzaine d’années après Jésus. Où ? Probablement à Tarse (Ac 9, 11 ; 21, 39 ; 22, 3), à moins qu’il n’y soit arrivé ensuite, mais de toute façon très jeune. Cette ville d’Asie mineure, à plus de sept cents kilomètres au nord de Jérusalem (cf. cartes des voyages de Paul, p. 26-27), était, avec ses trois cent mille habitants peut-être, bien plus peuplée que la Ville Sainte. Accessible par 10
la mer avec un port fluvial, carrefour de communications terrestres aussi, Tarse était prospère, renommée entre autres pour la fabrication du « cilice » — du nom de la région, la Cilicie, dont Tarse était la métropole. Cette rude étoffe pour les tentes des nomades, le jeune Saul apprit à la tisser. Compétence qu’il continuera à exercer par moments pour subvenir à ses besoins, comme l’attestent les Actes (18, 3, par exemple) ou des Lettres (1 Co 4, 12). Tarse avait rang de ville universitaire, intellectuellement réputée, avec des écoles philosophiques de haut niveau. Paul bénéficia de cette richesse. Sa manière d’écrire et d’argumenter atteste une réelle connaissance de la culture hellénistique*. Des concepts et des procédés rhétoriques* qui en relèvent lui sont familiers ; il n’hésite pas à y recourir. Cependant, c’est vraisemblablement en milieu juif qu’il reçut d’abord l’essentiel de son instruction. Les Juifs dispersés dans le pourtour méditerranéen étaient peut-être alors quatre millions, deux fois plus qu’en Palestine. Ils gardaient vif le sens de leur identité, enraciné dans la famille, lieu premier de l’éducation religieuse. Leurs importantes communautés, avec la synagogue comme foyer de vie religieuse et sociale, jouissaient depuis Jules César d’une large autonomie : leur religion étant reconnue, ils étaient dispensés des cultes locaux et impériaux ainsi que du service militaire — on ne combattrait pas le sabbat — ; ils pouvaient envoyer à Jé11
rusalem la contribution du didrachme* pour le Temple et, dans leurs propres tribunaux, se référaient à la loi de Moïse. Bien que parfois mal vus en raison de leur singularité et de ces privilèges, ils n’étaient pas trop victimes d’ostracisme et menaient généralement dans l’Empire romain une existence assez paisible, dans un climat moins tendu qu’en Palestine. Depuis le IIIe siècle avant notre ère, un fort mouvement de prosélytisme, gagnant des païens à la foi juive, expliquait l’accroissement de leur nombre. Comme dans toute ville de croisements, les Juifs de Tarse côtoyaient un environnement non-juif varié socialement et religieusement (divinités locales, panthéon grec, culte romain), et culturellement riche. Saul devait être de condition aisée : il avait la citoyenneté romaine, privilège qu’il n’hésitera pas à revendiquer (Ac 16, 37 ; 22, 25-28 ; 23, 27). Il fait plutôt preuve de loyalisme vis-à-vis de Rome, la Pax romana assurant une relative stabilité. Ces ouvertures sur le monde préparaient le jeune Saul à une dimension majeure de sa mission future.
2. Sa formation dans le judaïsme La rencontre de Saul avec le Christ l’amènera à revisiter son judaïsme, mais nullement à renier la foi de ses ancêtres, fortement ancrée en lui. Elle avait 12
été nourrie de bien des manières. Par la prière d’abord. Ainsi, en bon Juif, il récitait plusieurs fois par jour le Shema Israël, « Écoute Israël », passage du livre du Deutéronome (6, 4-6) où Dieu invite son peuple à reconnaître son unicité et à l’aimer. Paul gardera fermement sa foi monothéiste*, à laquelle il montrera que l’adhésion au Christ Seigneur ne s’oppose en rien : « Car il n’y a qu’un seul Dieu » (1 Tm 2, 5 ; 1 Co 8, 6 ; Ep 4, 6), dont Jésus Christ, son Fils parmi nous, est le médiateur, et non un concurrent qui ferait nombre avec lui. Saul priait non seulement en famille, mais encore à la synagogue, fréquentée d’autant plus assidûment qu’on était loin du Temple de Jérusalem. C’est là que, chaque sabbat, on récitait les « dix-huit bénédictions », dont des formules inspireront clairement des passages hymniques dans les écrits de Paul. La foi de Saul grandissait aussi nourrie par l’Écriture Sainte, qu’il fréquentait non seulement dans l’hébreu mais aussi dans sa version grecque. En effet, suite aux conquêtes d’Alexandre le Grand, l’usage du grec se répandit, à partir des années 320 av. J.-C., dans tout le bassin méditerranéen. Les Juifs qui avaient adopté cette langue bénéficièrent rapidement d’une traduction grecque de la Bible, dite « des Septante* » (la LXX), faite d’abord à leur intention mais utile à d’autres aussi. La LXX fut précieuse aux auteurs du Nouveau Testament — dont Paul —, qui écrivirent en grec, car ils citent 13
fréquemment des passages bibliques, qu’ils relisent en lumière chrétienne. Paul profite d’adaptations ou d’explicitations doctrinales que la LXX présente par rapport au texte hébraïque, par exemple quant à la foi en la résurrection finale ; la LXX s’enrichit par ailleurs de livres écrits directement en grec, tel le livre de la Sagesse, dont Paul s’inspire en divers passages. Saul était en outre « pharisien*, fils de pharisien » (Ac 23, 6). C’était là un mouvement laïc, contrairement au parti des Sadducéens dont étaient issues les grandes familles sacerdotales. Il était né au IIe siècle avant notre ère, en réaction contre le relâchement religieux, pour promouvoir une communauté de purs : parush, d’où pharisien, signifie « séparé ». Les Sadducéens s’en tenaient à la Loi écrite en ne se référant qu’à la première partie de la Bible : le Pentateuque (« cinq livres ») ou Torah, « Loi ». Les Pharisiens, eux, s’inscrivaient dans une tradition d’interprétation orale de la Loi de Moïse, incluant la prise en compte des Prophètes et des « autres écrits » (le reste de la Bible) ; leurs discussions sur la Loi cherchaient à en discerner les applications concrètes pour tous — notamment quant aux lois de pureté —, dans la vie quotidienne et pas seulement concernant le culte. Selon Flavius Josèphe, historien juif du Ier siècle, à l’époque de Paul le mouvement comptait environ six mille membres, groupés en confréries, en Palestine du moins. Les 14
« docteurs » pharisiens étaient influents sur le peuple. Jésus puis Paul feront à certains de vifs reproches quant à leur pointillisme touchant des observances accessoires et manquant l’essentiel de ce que Dieu requiert ; quant à leur amour de l’argent, leur orgueil ou leur dureté pour les pécheurs. Mais on ne peut leur dénier dans l’ensemble ferveur et zèle religieux. Beaucoup devinrent chrétiens, fût-ce en gardant quelque raideur, dont Paul aura à souffrir (Ac 15, 5) — moins, bien sûr, que de la part d’autres, non convertis, dont l’opposition au christianisme naissant ira se durcissant. Les Romains détruisirent le Temple de Jérusalem en 70. Le parti sadducéen fut emporté dans la débâcle. Mais le parti pharisien y survécut, pour représenter désormais le judaïsme orthodoxe. Au Ier siècle, les scribes*, spécialistes de l’Écriture Sainte, étaient majoritairement d’obédience pharisienne. Paul vint un temps peut-être assez long à Jérusalem, pour parfaire sa formation à l’école de l’un d’eux nommé Gamaliel : « Je suis Juif, né à Tarse en Cilicie, mais c’est ici, dans cette ville — Jérusalem —, que j’ai été élevé et que j’ai reçu aux pieds de Gamaliel une formation stricte à la loi de nos pères » (Ac 22, 3). Deux maîtres avaient alors fortement marqué le judaïsme : Shammaï, connu comme rigoriste ; et Hillel, venu de Babylonie, d’esprit plus large, plus souple, et favorable aux prosélytes* adhérant au judaïsme. Or le maître de 15
Paul, Gamaliel, se rattachait au courant de Hillel. Gamaliel se montra prudemment mesuré face à l’Église naissante (Ac 5, 34-39). Nous reviendrons sur les procédés d’argumentation à partir de l’Écriture, auxquels Saul put se roder auprès d’un tel maître, acquérant là une compétence qui, dans sa prédication et ses Lettres, lui serait plus qu’utile, face aux Juifs spécialement.
3. Le persécuteur devient disciple Parmi les premiers chrétiens de Jérusalem, issus du judaïsme, ceux auxquels les autorités juives s’opposèrent furent avant tout non pas les fidèles qui, avec les Apôtres, continuaient au début à fréquenter le Temple, mais plutôt des fidèles d’origine prosélyte, à savoir les Juifs « hellénistes » devenus chrétiens, tel Étienne, qui se montraient critiques vis-à-vis de ceux qui magnifiaient le culte du Temple ou exaltaient à l’excès la Loi de Moïse, sans d’ailleurs l’observer. Paul approuva le meurtre d’Étienne. Puis, au dire d’Ac 8, 3, « il ravageait l’Église : il pénétrait dans les maisons, en arrachait hommes et femmes et les jetait en prison ». Même emphatique, sans doute, l’évocation est révélatrice. Bien que le parcours de Paul, on l’a vu, l’ait prédisposé à une certaine ouverture hors du seul milieu juif, son zèle d’ardent pharisien lui fit alors prendre une part active dans la per16
sécution de ce qu’il ne reconnaîtra qu’ensuite comme « l’Église de Dieu » (1 Co 15, 9 ; Ga 1, 13). Le Jésus dont ces gens se revendiquaient n’avait-il pas été condamné par le Sanhédrin*, l’instance juridique et spirituelle suprême du judaïsme, présidée par le Grand Prêtre ? Par ailleurs, le génie de Paul lui aura fait saisir rapidement à quel point la foi de ces chrétiens, qui se disaient sauvés dans le seul Jésus Christ, remettait en cause une manière d’envisager tout le système de la Loi, cadre du judaïsme, et bousculait son trop fier idéal de strict observant. Il rappellera cette époque : « Pour ma part, j’avais vraiment cru devoir combattre par tous les moyens le nom de Jésus le Nazôréen » (Ac 26, 9). Pourquoi retrouvons-nous Saul sur une route non loin de Damas ? Parce qu’indésirables à Jérusalem, les chrétiens hellénistes partirent précisément en Syrie, au-delà du mont Hermon, pour y fonder des communautés. En rappelant l’état d’esprit vindicatif dans lequel Saul approchait de Damas, les passages d’Ac 9, 2, puis 22, 5 et 26, 10 le présentent comme dûment mandaté par les autorités sacerdotales juives. Paul se sent officiellement investi d’une mission d’éradication de l’ivraie. Bien que difficilement exprimable, ce qui se passa alors dans l’apparition dont le Ressuscité lui fit la grâce immense, et communément désigné comme son « chemin de Damas », sera évoqué avec force par Paul. Mgr Warin commentera cela dans le dernier 17
chapitre, mais on peut déjà en signaler quelques fruits majeurs dans l’intuition puis la réflexion théologique et spirituelle de l’Apôtre. Résumonsles comme suit. Persécuter les chrétiens, c’est persécuter le Christ en son corps ecclésial. Pour un chrétien, être persécuté pour le nom du Christ, c’est donc prendre part — éventuellement jusque dans sa chair — à ses souffrances. Comme pour les onze apôtres après Pâques, le Christ prend l’initiative de se faire reconnaître comme ressuscité : un tel mystère nous est inaccessible sans sa grâce. Rencontrer Jésus en tant qu’à jamais vivant, en identifiant comme relevé des morts celui-là même qui fut crucifié par amour de ses ennemis pécheurs, cela signifie reconnaître la victoire de cet amour sur le péché, et se savoir pleinement gracié. La foi en Jésus Christ sauveur, et non l’assurance de nos « œuvres » en elles-mêmes, nous donne d’adhérer à notre « justification* » : dans cette foi nous acceptons que Dieu nous réconcilie miséricordieusement avec lui au-delà de tout mérite. Acquis au Christ, son ex-persécuteur entre humblement dans une tradition et reçoit mission d’apôtre ; dans le cas de Paul, cette vocation le destine particulièrement à être témoin du Christ auprès des nations païennes, que son judaïsme strict avait pu estimer en marge du dessein de salut divin. Il sera l’Apôtre des « Gentils* », comme on dit selon ce sens premier du mot. 18
À quelle date eut lieu le chemin de Damas de Paul ? Vers quelle année eut lieu cet événement décisif pour Paul et, à travers lui, pour l’histoire du christianisme ? Entre les années 32-33 et 36-37, selon les estimations courantes. Deux points de repère expliquent cette fourchette de datation. Juste après son illuminationconversion, Paul fit un séjour en « Arabie » (cf. Ga 1, 17), localisation à entendre, semble-t-il, au sens des régions transjordaniennes, entre autres le domaine des Nabatéens, connus par le célèbre site de Petra. Là, Paul ne se fit pas que des amis, au point que, de son retour à Damas, il nous dit en 2 Co 11, 32 : « À Damas, l’Ethnarque du roi Arétas faisait garder la ville des Damascéniens pour m’appréhender, et c’est par une fenêtre, dans un panier, qu’on me laissa glisser le long de la muraille ; et ainsi j’échappai à leurs mains… » Il s’agit du roi nabatéen Arétas IV, qui régna jusqu’à 38 ou 39 ap. J.-C. Si donc Paul a passé quelque trois ans à Damas et « en Arabie », cela situe sa conversion au plus tard vers 36. Si l’assemblée de Jérusalem (cf. p. 106-107) eut lieu, au dire des Actes, entre le premier voyage et le deuxième voyage, ce dernier étant daté de 50 à 52 (voir encadré suivant), nous sommes en 49, et s’il faut en retrancher même 16 ou 17 ans plutôt que 14 (voir le même encadré) pour remonter à l’année de sa conversion, cela nous mène au plus tôt vers 33. Rappelons que la mort du Christ est datée de l’an 30.
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4. L’après-Damas Une longue période de latence va s’écouler avant celle des grands périples missionnaires. Cinq ans au moins ; peut-être bien plus : sans entrer dans la complexité des débats, on peut en signaler des coordonnées (voir encadré). Dans l’enthousiasme de sa conversion au Christ, Paul s’empressa de vouloir prêcher « le Fils de Dieu », à la grande surprise d’auditeurs étonnés de son revirement soudain. Il intervint d’abord dans les synagogues de Damas, selon Ac 9, 19-20. Les Actes ne soufflent mot du séjour en « Arabie » (= Transjordanie) qui aurait suivi, auquel Ga 1, 16 fait une brève allusion : « … aussitôt, sans consulter chair et sang et sans monter à Jérusalem vers ceux qui étaient Apôtres avant moi, je partis pour l’Arabie et de nouveau je retournai à Damas ». Les communautés juives étaient alors nombreuses en Transjordanie. Paul chercha-t-il à les gagner au Christ ? Auquel cas, son effort fut difficile sinon peu fécond, à en croire sa discrétion sur ce séjour et l’hostilité qu’il lui valut jusque dans Damas ensuite. Paul, nouveau chrétien zélé mais inexpérimenté, aurait bientôt la sagesse de monter à Jérusalem faire au moins la connaissance des autorités que représentaient Céphas (Pierre) et Jacques. Barnabé devra l’accréditer auprès des disciples méfiants — on l’eût été pour moins —, et lorsqu’à Jérusalem Paul cherchera à 20
Repères pour la chronologie des voyages pauliniens Ac 18, 11.12.18 nous dit que Paul, lors de son deuxième voyage important, « demeura à Corinthe un an et six mois, enseignant parmi eux la parole de Dieu. Alors que Gallion était proconsul d’Achaïe, les Juifs se soulevèrent d’un commun accord contre Paul et l’amenèrent devant le tribunal […]. Paul resta encore un bon nombre de jours. Puis, ayant pris congé des frères… ». Une inscription de Delphes permet de situer ce proconsulat de Gallion en 51–52 ou 52–53. Si Paul comparut vers la fin de son séjour, il a dû rester à Corinthe de 50 à 52. À partir de ce point d’ancrage ferme concernant le deuxième voyage, on raisonne en amont et en aval, mais non sans devoir faire des hypothèses (reflétées dans la variété des propositions de datation, qui ne peuvent jamais être péremptoires), car il est parfois difficile d’accorder les données des Actes avec celles des Lettres. L’identification des diverses venues de Paul à Jérusalem, notamment, fait problème. Par exemple, la visite « de la famine », lors de laquelle Paul et Barnabé portent en Judée une aide des disciples, relatée en Ac 11, 27-30, est-elle celle dont parle Ga 2, 1-10 ? Ou ce dernier passage fait-il allusion à une visite ultérieure, à savoir celle qui correspond à « l’assemblée de Jérusalem », rapportée en Ac 15, 5 s ? Selon que l’on se fie plus ou moins aux Actes, ladite assemblée eut-elle lieu après le premier voyage de Paul (options
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de la TOB* ou d’Osty) ou après le deuxième (BJ — Bible de Jérusalem —, dernière version, par exemple) ? Lorsque Paul dit, en Ga 1, 18 : « Ensuite, trois ans après, je suis monté à Jérusalem… », est-ce trois ans après sa conversion, évoquée au v. 16, ou après son retour à Damas, v. 17, déjà un peu postérieur ? Et lorsqu’il poursuit, en Ga 2, 1 : « Ensuite, au bout de quatorze ans, je suis monté de nouveau à Jérusalem avec Barnabas », veut-il dire quatorze ans après sa conversion, ou après son premier séjour à Jérusalem, soit dix-sept ans (14 + 3) après sa conversion ?
prêcher et à convaincre, on devra l’arracher à la vindicte de certains Juifs hellénistes en le faisant partir pour Tarse via Césarée maritime, sur la côte (Ac 9, 26-30). Il fallait, semble-t-il, laisser à Dieu le temps de purifier en profondeur et d’éclairer plus avant son zélateur un peu précipité. Paul resterait assez longuement à Tarse avant que Barnabé soit délégué de Jérusalem pour constater qu’à Antioche de Syrie, cette fois, des Grecs avaient accueilli la Bonne Nouvelle, et que ce Barnabé originaire de Chypre, en « homme droit, rempli d’Esprit Saint et de foi » (Ac 11, 24) vienne chercher à Tarse Paul, dont il allait partager les vues missionnaires, pour se l’adjoindre dans l’apostolat à Antioche. Après un an de travail fécond dans cette ville d’importance, Paul vint une deuxième fois à Jérusalem, avec Bar22
nabé cette fois (Ac 11, 27-30), avant d’entreprendre, peut-être seulement vers l’an 45, son premier voyage missionnaire.
5. Le temps des voyages missionnaires Paul va dès lors parcourir quatre mille kilomètres au moins par voie de terre et sur mer, dans des conditions de voyage pénibles et dangereuses, surtout lorsqu’il fallait s’écarter des grandes voies romaines ; en méditerranée, supporter des traversées d’une durée guère prévisible ou essuyer des tempêtes meurtrières telles que celle rapportée en Ac 27, survenue entre la Crète et Malte, et en réchapper de fort peu ; souffrir du relief tourmenté de l’actuelle Turquie, en affrontant, sur les plateaux d’Anatolie, les extrêmes estivaux et hivernaux d’un climat continental, les rançonneurs de voyageurs, les chiens de ferme et les loups pareillement menaçants… : tout cela avec le cœur rempli d’ardeur apostolique mais aussi de préoccupations et d’inquiétudes non tant pour soi que pour les jeunes fondations chrétiennes ; de souvenirs d’échecs essuyés ; de perplexité sur les persécutions subies ou trop prévisibles. Seules la réflexion et la prière donneraient à l’Apôtre d’entrevoir et d’espérer la fécondité de missions aussi tourmentées. Le passage de 2 Co 11, 23-33 (cf. p. 103-104) est éloquent à ce sujet. Paul s’emporte dans une énu23
mération impressionnante mais nullement surfaite d’épreuves rencontrées, pour conclure : « S’il faut s’enorgueillir, je mettrai mon orgueil dans ma faiblesse. Dieu, le Père du Seigneur Jésus, qui est béni pour l’éternité, sait que je ne mens pas. » On ne peut détailler les missions de l’apôtre des Gentils, riches en rebondissements relatés par les Actes et perceptibles à travers les Lettres. Fixons quelques repères, utiles aussi pour esquisser le cadre de rédaction des écrits pauliniens. Il est bon de se référer ici aux cartes de ses trajets. Antioche sera pour Paul une sûre base de départ. Sur l’échiquier de l’évangélisation, la capitale syrienne comptait : la ville, à ne pas confondre avec Antioche de Pisidie (Ac 13, 14), était alors la troisième du monde, après Rome et Alexandrie. Paul y a œuvré avec Barnabé. Les disciples y reçurent pour la première fois le nom de chrétiens (Ac 11, 26 ; 26, 28). Paul y affrontera Pierre pour maintenir l’ouverture de son activité évangélisatrice contre toute étroitesse judaïsante (Ga 2, 11-15). - À partir d’Antioche, au plus tard de 45 ou 46 jusqu’à 48, un PREMIER VOYAGE, assez limité, mène Paul, avec Barnabé, vers Chypre puis l’Asie mineure. Les Actes se réjouissent à ce propos que « Dieu ouvre [alors] aux païens la porte de la foi » (Ac 14, 27). Il est fort possible qu’à Lystres, parmi les païens convertis, il faille compter déjà un certain Timothée. 24
- Le DEUXIÈME VOYAGE, de 50 à 52, marque le début des plus vastes parcours. Paul, repassant par Lystres, engage ce Timothée à le suivre. Par la Galatie, il se porte au nord-ouest, puis franchit un pas décisif : de l’Eurasie à l’Europe — dirionsnous aujourd’hui —, en embarquant à Troas. Son premier périple en Grèce le conduit alors, par Philippe, Thessalonique et Athènes, à Corinthe où il reste près de deux ans. De là, il gagne Éphèse, où il reviendra plus longuement par la suite, et retourne à Antioche en passant par Césarée et Jérusalem. Au cours de ce voyage, il écrit, de Corinthe, aux Thessaloniciens. - Lors de son TROISIÈME VOYAGE (de 53 à 58) Paul s’arrête cette fois longuement à Éphèse. De là il revient en Grèce et repasse à Corinthe d’où il remonte par le même chemin. À partir de ces grandes cités portuaires ou en chemin, il envoie alors ses « grandes épîtres* » : aux Corinthiens, aux Galates (sous réserve d’une hypothèse signalée plus loin), aux Romains et, peut-être alors déjà, aux Philippiens. Au terme de cette troisième mission, Paul, de retour à Jérusalem, y est arrêté comme il l’avait pressenti. Conduit de là à Césarée maritime pour être soustrait aux intentions meurtrières des autorités juives, il y reste prisonnier de 58 à 60. Les Actes détaillent cette période (ch. 21 à 26), avec les diverses comparutions de Paul devant des instances variées. 25
1er voyage missionnaire : d’Antioche à Antioche (env. 45 à 48)
2e voyage missionnaire : d’Antioche à Césarée (env. 50 à 52)
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3e voyage missionnaire :
d’Antioche à Jérusalem (env. 53 à 58)
Voyage « de captivité » : de Césarée à Rome (60 à 61)
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- De Césarée, Paul est embarqué dans un QUATRIÈME VOYAGE, dit « voyage de captivité » : après un naufrage à Malte, il aboutit à Rome (en 61), puisqu’il en a appelé à César. Il y demeure deux ans en prison, ou du moins en résidence surveillée. Là se termine le récit des Actes. De cette époque sont souvent datées les épîtres précisément dites « de captivité » : aux Colossiens, aux Éphésiens, et le billet à Philémon. Mais Paul a-t-il terminé ses voyages là où les Actes s’arrêtent ? Ce n’est pas sûr. Certains, entre autres à la suite d’Eusèbe de Césarée (cf. encadré cicontre), pensent que Paul fut libéré, au terme d’une première captivité, et se serait remis à voyager « aux confins de l’Occident », sans doute jusqu’en Espagne, selon le projet qu’il exprimait en Rm 15, 24.28. De nouveau arrêté il aurait alors connu le martyre vers 67, au terme d’une « seconde captivité » romaine. Cette hypothèse importe : pas mal d’auteurs, réfléchissant dans un tel cadre chronologique, pensent que c’est au cours des dernières années de sa vie, en l’occurrence entre 64 et 66, qu’auraient été composées les Lettres dites « pastorales » (1 Tm et 2 Tm, Tt). De toute façon, selon une solide tradition, Paul mourut martyr à Rome sous Néron en 64 ou 67. Une fin qu’il avait d’avance envisagée et offerte, avec force et espérance : « Si nous mourons avec Lui, avec Lui nous vivrons » (2 Tm 2, 11). 28
Un dernier grand voyage de Paul ? Eusèbe de Césarée écrit au IVe siècle : « Ayant plaidé sa cause, l’apôtre repartit [de Rome] de nouveau, diton, pour le ministère de la prédication ; puis il vint pour la seconde fois dans la même ville et fut consommé par le martyre. C’est alors qu’étant dans les chaînes, il composa la seconde Lettre à Timothée, où il signifie à la fois sa première défense et sa consommation imminente […]. Nous faisons remarquer que le martyre de Paul n’a pas eu lieu pendant le séjour à Rome que Luc décrit (à la fin des Actes). Il est d’ailleurs vraisemblable qu’au commencement de son règne, Néron était plus doux et reçut facilement la défense de Paul en faveur de sa doctrine » (Histoire ecclésiastique II, 22, 2-8). Le dernier argument sur un Néron « plus doux » nous paraît faible : son règne s’étendant de 54 à 68, le « commencement » en est déjà loin. Paul arriva à Rome en 61 et, selon l’épilogue des Actes, « demeura deux années entières dans le logis qu’il avait loué », ce qui nous mène à 63. Or Néron, après d’infâmes assassinats dès 55 et 59, vira au franc despotisme en 62, et la persécution contre les chrétiens éclata en 64.
Que de chemins parcourus et de mers sillonnées en une vingtaine d’années ! Sans manquer d’esprit d’initiative, Paul, avec abnégation, aura laissé l’Esprit Saint guider sa trajectoire pour le bien de la mission, comme les Actes y insistent. 29
Écoutons l’apôtre prendre congé des anciens d’Éphèse, vers la fin de son troisième voyage : « Maintenant, prisonnier de l’Esprit, me voici en route pour Jérusalem ; je ne sais pas quel y sera mon sort, mais en tout cas l’Esprit Saint me l’atteste de ville en ville, chaînes et détresses m’attendent. Je n’attache d’ailleurs vraiment aucun prix à ma propre vie ; mon but, c’est de mener à bien ma course et le service que le Seigneur m’a confié : rendre témoignage à l’Évangile de la grâce de Dieu […]. Prenez soin de vous-mêmes et de tout le troupeau dont l’Esprit Saint vous a établis les gardiens… » (Ac 20, 22-28).
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Les collaborateurs de Paul Tempérament entier et parfois ombrageux, Paul saura pourtant s’entourer de collaborateurs — « coœuvrant », synergoi —, dont il attend l’esprit d’unité et la fiabilité ; il sait leur déléguer des missions pour lesquelles leur médiation est précieuse. Compagnonnage fécond, mais non exempt de tensions. Il y a BARNABÉ, bien sûr (cf. p. 105 s), doué de charisme et plein de sagesse, qui joue un rôle majeur dans les débuts de Paul et au départ de la première mission. On le retrouve soutenant Paul à l’« assemblée de Jérusalem » (Ga 2, 1 ; Ac 15, 2.12.22). L’ascendant paulinien l’éclipsera quelque peu. Il lui faudra de l’humilité pour voir l’Apôtre lui reprocher de s’être laissé fourvoyer un temps (Ga 2, 13). Barnabé se séparera de Paul avec son cousin JEAN-MARC, dont l’Apôtre ne voulait plus pour son deuxième voyage (Ac 15, 39.40 ; cf. Ac 13, 13). Paul paraît s’être réconcilié avec l’un et l’autre, (1 Co 9, 6 et Col 4, 10). TIMOTHÉE aura été le collaborateur le plus dévoué de l’apôtre, qui acceptera de faire circoncire ce fils d’un père païen et d’une mère juive. Paul se l’associe dans l’entête de six lettres, en spécifiant souvent « Timothée le frère ». Ce compagnon souple s’acquittera de missions délicates à Thessalonique et Corinthe. Paul voit en lui un relais vers l’avenir et lui adresse nominalement deux lettres dans cet esprit. Quant à TITE, ancien païen que Paul dira son « véritable enfant dans la foi » et qu’il refusera, lui, de voir circoncire, l’apôtre put lui confier des tâches complexes ou ar-
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dues : pour dénouer une crise corinthienne ou, selon la lettre qu’il lui adresse personnellement, admonester et organiser vigoureusement la jeune chrétienté crétoise. D’autres noms pourraient allonger la liste, tels ceux de SILAS, qui participa à l’évangélisation de Thessalonique, ou TYCHIQUE, délégué auprès de l’Église d’Éphèse, etc. ; des noms de femmes, aussi, parmi lesquelles LYDIE, commerçante hospitalière de Philippes, PRISCILLE, épouse d’AQUILAS le fabricant de tentes, ou PHOÉBÉ, diaconesse qui eut sans doute le privilège de convoyer la lettre aux Romains. La présence et le rôle de toutes ces personnes, et de celles que mentionnent régulièrement des finales de lettres, tissent aux côtés de Paul un beau réseau d’amitiés apostoliques dans le Seigneur.
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Les lettres de Paul 1. Des écrits au service de la mission Après sa conversion au christianisme, le pharisien studieux, assuré que le Christ accomplissait l’attente et les promesses de salut présentes dans les Écritures, dut continuer à travailler celles-ci. Dans ses déplacements, il transportait des textes bibliques : « le manteau que j’ai laissé à Troas chez Carpos, apporte-le en venant, ainsi que les livres, surtout les parchemins », écrit-il à Timothée (2 Tm 4, 13). Les écrits de Paul se révèlent nourris de réflexion priante et d’étude personnelle sur des passages scripturaires, approfondis à la faveur de temps d’arrêt dans ses pérégrinations, fût-ce en prison ou assigné à résidence… L’apôtre, homme du large et marcheur de Dieu, n’a rien d’un théologien calfeutré. Sa réflexion est en prise directe sur ce qu’il vit dans son ministère, elle répond aux besoins pastoraux qu’il discerne. En 2 Tm 3, 15, il reconnaît aux Saintes Écritures le pouvoir de communiquer à celui qui les fréquente « la sagesse qui conduit au 33
salut par la foi dans le Christ Jésus » ; ces vertus scripturaires, Paul en use à des fins apostoliques : « Toute Écriture, inspirée de Dieu, est utile pour enseigner, réfuter, redresser et éduquer dans la justice, afin que l’homme de Dieu soit accompli, équipé pour toute bonne œuvre » (2 Tm 3, 16.17). Le but de Paul dans ses écrits est bien différent de celui des quatre évangélistes. Ces derniers élaborent des récits relatifs à la naissance, la vie, la mort et la résurrection de Jésus de Nazareth. La narration n’y est pourtant pas simplement factuelle, de l’ordre du reportage. Dans leur manière de raconter, les évangiles engagent déjà un témoignage de foi, et véhiculent une théologie : avec un certain recul par rapport aux événements, ils veulent, en les relatant, manifester ce que l’existence, les paroles et les actes du Christ révèlent, dans la clarté pascale, de son identité et de sa mission. Les lettres de Paul, elles, ne nous parlent pratiquement pas de la vie du Christ, hormis les références à la réalité de sa passion et de sa résurrection. D’abord parce que Paul n’a pas été témoin oculaire de la vie de Jésus. Mais surtout, ces lettres élaborent une réflexion seconde, théologiquement plus systématique et explicite, sur le salut advenu en Jésus Christ et sa place dans le plan de Dieu pour le monde. Les épîtres de Paul ne sont pas pour autant des traités déguisés, même si celle aux Romains offre un développement particulièrement 34
riche. Car leur rédaction relève, à des degrés divers, de circonstances concrètes, déterminées, qui ont présidé à leur envoi : écrites pour des communautés et des personnes précises, elles cherchent à dégager les implications du mystère du Christ pour la conduite des croyants et la vie des communautés, en répondant aussi à des questions, des besoins et des difficultés des destinataires. Elles ont donc une double fonction : théologique et pastorale, dans une visée missionnaire. Les aspects doctrinaux et pastoraux de la réflexion paulinienne ne sont pas simplement juxtaposés, mais profondément articulés. Leurs liens se laissent percevoir dans le contenu et l’organisation des lettres. Plus d’une se déploie en deux temps : un développement doctrinal, souvent substantiel, est suivi d’une section parénétique*, c’est-à-dire exhortative, qui s’y adosse ; c’est clairement le cas, par exemple, pour Rm (1 – 11 puis 12 – 15) ou Ep (1 – 3 puis 4 – 6). D’autres lettres articulent les deux genres d’approche, non pas à la suite l’un de l’autre, mais en alternance, dans un va-et-vient entre les énoncés ou développements plus doctrinaux d’une part, et les passages touchant des questions éthiques ou cultuelles et appelant des consignes ou recommandations d’autre part. C’est davantage le cas, par exemple, en 1 Co, lettre qui aborde avec réalisme plusieurs sujets concrets, mais en lien avec une réflexion profonde sur les mystères de la croix, de la 35
résurrection et du corps ecclésial ; ou dans la petite lettre à Tite, essentiellement pastorale, mais dont chacun des trois chapitres offre un passage bref mais riche en termes de doctrine de salut. Dans ses lettres, Paul parle beaucoup de lui, de ses relations sereines ou problématiques avec ses destinataires, de leur évolution, des espoirs et des craintes qu’il nourrit pour leur futur. Il le fait en termes tantôt cordiaux et empreints de gratitude (Ph par exemple), tantôt plus graves (2 Th), voire sévèrement réprobateurs (Ga). Le rappel narratif de ce qu’il a vécu et des rapports qu’il a entretenus avec ceux auxquels il s’adresse s’assortit toujours d’un effort de discernement pour en tirer des enseignements quant à ce qui doit être loué, encouragé, éclairé, redressé. Si les joies et les peines de son apostolat sont chez Paul objet d’épanchements affectifs, c’est « dans le Christ », « dans le Seigneur », c’est-à-dire en communion avec lui, avec les souffrances de sa passion et la joie de sa résurrection ; ses « états d’âme » relèvent d’une vie et d’une perception spirituelles qu’il veut partager. Les sentiments de Paul, dans ses lettres, s’expriment vivement, non seulement en vertu de son tempérament spontané, mais en raison du grand désir qui l’anime de faire connaître et aimer le Seigneur Jésus, et de voir ceux qu’il a évangélisés se maintenir et progresser dans la vraie foi et la droiture de l’agir proprement chrétien. 36
2. Une collection de lettres variées Paul écrivit plus de lettres que nous n’en avons conservées, notamment aux Corinthiens. Le « Canon* » du Nouveau Testament est la suite définie des écrits qui le composent, retenus en fonction du caractère inspiré, apostolique et normatif que l’Église leur a reconnu. Dans ce Canon, le corpus paulinien* comporte 13 lettres : Romains, 1 et 2 Corinthiens, Galates, Éphésiens, Philippiens, Colossiens, 1 et 2 Thessaloniciens, 1 et 2 Timothée, Tite, et Philémon (la Lettre aux Hébreux, malgré certaines convergences avec la pensée de Paul, ne lui est guère attribuée, en raison de son style particulier, de son origine probablement homilétique — un sermon — et de la singularité de sa présentation du Christ comme Grand Prêtre, unique dans le Nouveau Testament). Ce n’est pas là l’ordre chronologique de leur rédaction, mais leur suite dans le texte du Nouveau Testament, selon un classement partant grosso modo des lettres les plus longues et adressées à des communautés (Rm en premier) pour en venir à celles, plus courtes, adressées à des personnes singulières (Phm en dernier). Ébauchant le cadre des voyages pauliniens, nous y avons déjà situé brièvement la rédaction des lettres. Des points d’interrogation demeurent concernant les époques et les lieux de rédaction respectifs. Avant de les signaler, résumons les positions plus classiques (voir le tableau p. 38). 37
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Corinthe (51)
Éphèse (53 à 55) Corinthe (57 à 58)
2e voyage (50 à 52) (Ass. de Jérusalem : ici ?)
3e voyage (53 à 58)
Colossiens, Philémon, Éphésiens
Rome (61 à 63 ou 64 à 67 ?)
1 Timothée, Tite, 2 Timothée
Colossiens ? Éphésiens ? Philémon ?
1 et 2 Corinthiens Galates, Philippiens, Romains
1 et 2 Thessaloniciens
Galates ?
LETTRES
captivité à Césarée (58 à 60)
Rome
Antioche de Syrie ?
LIEUX DE RÉDACTION
1er voyage (45 à 48) Assemblée de Jérusalem
ÉVÉNEMENTS
} }
}
« lettres pastorales »
« lettres de captivité »
« grandes épîtres »
« premières lettres »
GROUPES
Lettres ou épîtres ? Quant au « genre », le professeur Deissmann (fin du XIXe siècle) distinguait la lettre d’une part : spontanée, sans apprêt, proche de l’oral, assez intime : destinée à une ou des personnes données qui en ont les clés de compréhension dans les circonstances implicitement connues par elles ; et l’épître d’autre part : bien qu’empruntant par artifice certaines formes (initiales et finales par exemple) de la lettre, c’est un écrit travaillé littérairement et artistiquement, offert à la diffusion et l’intelligibilité « publiques ». Deissmann classe alors (maladroitement) les écrits de Paul. Mais ceuxci, tout en étant indéniablement des lettres — dont les circonstances d’énonciation singulières importent —, se déploient en même temps comme épîtres, à des degrés variés, pour nous rejoindre, aujourd’hui encore, pastoralement et doctrinalement, dans des contextes différents de celui d’alors.
Beaucoup de spécialistes considèrent que tout fut rédigé du vivant de l’apôtre. Dans ce cadre, selon les options et leurs extrêmes, on envisage la rédaction de l’ensemble sur une période plus ou moins longue : au minimum dix ans (51 à 60), au maximum vingt (47 à 67). La reconnaissance ecclésiale des treize lettres apparaît assurée au plus tard vers la fin du IIe siècle, comme le montre par exemple le Canon de Muratori, une liste de l’époque reprenant 39
Quelques points discutés - On considère généralement 1 et 2 Th comme les premières lettres, donc aussi les plus anciens écrits du Nouveau Testament, vers 51 : le premier évangile définitivement rédigé (Mc ; ou Mt ?) est d’au moins douze ans postérieur. Mais selon certains (cf. Osty), Paul serait passé dès son premier voyage par le sud de la Galatie (entendue dans son extension géographique large) et aurait écrit Ga dans la foulée (dès 47 ou 48 ?). Cette option fait de Ga le premier écrit du Nouveau Testament (qui démarre dans ce cas « rude et fort » !). Par ailleurs, la « crise galate » (tentation d’un retour à des impositions judaïsantes strictes) et le « conflit d’Antioche » entre Pierre et Paul à ce sujet, dont Ga 2, 11s fait état (cf. p. 109-111), seraient, dans cette hypothèse, antérieurs aux décisions de l’Assemblée de Jérusalem — qui aurait ensuite mis les choses au point — plutôt que postérieurs à ces décisions, comme dans l’optique plus classique d’une rédaction de Ga (pour des Galates du nord) proche de celle de Rm — ces crises apparaissant dans ce cas comme une « rechute » par rapport aux décisions de l’Assemblée de Jérusalem. - Concernant les « lettres de captivité », la datation est controversée : outre l’hypothèse de deux temps de captivité différents à Rome, évoquée supra, il y a une « captivité » dès la mise en attente de Césarée (58 à 60) et peut-être même avant (un moment, à Éphèse). Des auteurs sérieux (cf. Ph. Rolland) envisagent leur rédaction dans ce cadre et les voient peut-être même précédées des « pastorales » (2 Tm a aussi un clair aspect « de captivité »). On range parfois Ph, en la postposant éventuellement, dans les « lettres de captivité » en raison d’allusions qu’on y trouve en ce sens. - 2 Co, avec ses deux parties différenciées (1 – 9 ; 10 – 13), agglomèrerait deux lettres. - Si l’on attribue les pastorales à un autre que Paul (option évoquée ci-dessous), on les date plutôt d’après sa mort.
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les livres bibliques alors en usage liturgique à Rome ; cette reconnaissance sera entérinée par la fixation officielle du Canon du Nouveau Testament. Dans les manuscrits que nous connaissons, les lettres de Paul ne sont jamais transmises isolément, mais toujours en collections. 2 P 3, 16 offre la première désignation générale des lettres de Paul. Toutes ces lettres sont de nature authentiquement « paulinienne » quant à leur contenu inspiré, sans être nécessairement toutes directement attribuables à Paul lui-même (cf. encadré p. 42). Le texte grec des lettres est bien établi : les éditions critiques reposent sur des manuscrits nombreux et fiables dont des papyrus remontant à l’an 200, avant même les grands « codex » sur parchemin des IVe et Ve siècles. Ces sources ne présentent guère de variantes déterminantes. Les versions dans les langues modernes — il en existe beaucoup d’excellentes — sont souvent amenées à s’écarter de la syntaxe paulinienne, vu sa complexité. Dans le cas de Paul spécialement, le recours au grec est indispensable pour une exégèse* affinée, dont les notes de nos Bibles nous livrent de bons éléments. À cet égard, en lien avec l’importance des écrits pauliniens pour les Églises réformées, les notes de la TOB (Traduction œcuménique de la Bible) sont substantielles et éclairantes.
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L’authenticité paulinienne des lettres « La salutation est de ma main, à moi, Paul » (1 Co 16, 21). Une précision finale de ce genre (cf. aussi Ga 6, 11 ; Col 4, 18, etc.) nous rappelle que, selon la pratique d’alors, Paul ne tient pas nécessairement la plume, mais cautionne pleinement ce qu’un secrétaire a rédigé soit sous sa dictée littérale, soit plus librement, à partir des indications de l’apôtre. Même dans ce dernier cas, à voir la force de l’argumentation et la précision dans l’expression, on mesure que rien n’est laissé au hasard. Une part de la recherche historico-critique va plus loin que la prise en compte du recours à un secrétaire : elle tend à attribuer certaines lettres à d’autres que Paul, qui, plutôt postérieurs à lui, mettraient leur écrit sous son nom ; cela, nullement dans une intention de plagiaire ou de faussaire, mais au contraire dans la conviction et le désir d’une grande fidélité à l’apôtre, qu’ils présentent comme l’auteur de la lettre en se rangeant discrètement sous son autorité. C’est ce qu’on appelle le procédé de la pseudépigraphie* ou pseudonymie, connu dans l’antiquité, et qu’on trouve dans l’Ancien Testament par exemple pour les « Proverbes de Salomon », ou certains des psaumes attribués à David. En lien avec la question d’une datation plus tardive, on qualifie dès lors des lettres de deutéro-pauliniennes*, voire d’autres encore de trito-pauliniennes. Les arguments dans ce sens sont loin d’être toujours convaincants. Font ainsi l’objet d’opinions variées à
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ce sujet : 2 Th, les lettres de captivité (Col, Ep) et les épîtres pastorales (1 et 2 Tm, Tt). Par contre, on s’accorde sur la paternité paulinienne stricto sensu de sept lettres au moins : Rm, 1 et 2 Co, Ga, Ph, 1 Th, Phm. Pour notre part, sans l’exclure, nous ne penchons pas trop vite pour les hypothèses de pseudépigraphie, et soulignons de toute façon le dommage qu’il y a à trop souvent ne retenir que ces sept lettres « indiscutées » dans des études ou des présentations pauliniennes d’ensemble, alors que la reconnaissance canonique de treize (et non de sept seulement) répond à l’organicité et la validité du contenu que présente tout le corpus paulinien, en dépit des variations qu’on y rencontre. Par exemple, comment pourrait-on parler de « la femme » chez Paul en excluant le beau développement sponsal d’Ep 5 ? Du « service ministère » (diakonia) sans les « pastorales » ? De l’icône (eikôn, « image ») en ignorant Colossiens, qui applique le terme au Christ (1, 15) puis au croyant (3, 10) ? D’« accomplir » (plêroô) en l’absence du « plérôme » (plénitude, accomplissement) d’Ep et Col ? Du « jour » du Seigneur sans « le » jour de la parousie* selon 2 Th ou 2 Tm ?
3. Un écrivain aux multiples ressources Sans vouloir « recourir à la sagesse du discours » (1 Co 1, 17), l’écriture paulinienne s’appuie néanmoins sur des procédés précis et des ressorts efficaces pour argumenter de manière convaincante. La 43
faconde paulinienne ne veut pas dire que l’apôtre se laisse aller à l’improvisation. L’emportement peut précipiter ou surcharger son style, l’empressement du raisonnement ou l’ardeur pastorale jouer les fauteurs d’ellipse, le désir de mieux s’expliquer ou de prévenir une objection l’entraîner dans des excursus un moment nécessaires…, l’apôtre n’en garde pas moins une belle maîtrise de son verbe. Les études rhétoriques, stylistiques et exégétiques le montrent : le fond et la forme s’organisent vigoureusement. Encore faut-il saisir les ressorts et les tonalités variés de l’argumentation paulinienne, tantôt plus froidement dialectique et syllogistique, tantôt plus subtilement rabbinique ; ici calmement démonstrative, là vivement parénétique. Et s’adapter à la fluctuation des registres stylistiques en fonction des contenus et des mouvements de l’affectivité spirituelle : l’écriture peut se faire nerveuse et ramassée dans l’invective, chatoyante dans la jubilation, ample et apaisée dans la contemplation, d’une solennité liturgique dans la doxologie*. Pour exprimer la profondeur du mystère et servir le zèle pastoral, la cohérence de la pensée et la force de l’expression — surtout chez un Juif rompu aux procédés rabbiniques — ne s’attestent pas seulement sur le mode des clartés cartésiennes. Proposons quelques clés de lecture. D’abord joue le cadre du genre épistolaire, qui impose des manières déterminées de commencer et de finir une lettre. 44
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On débute par une adresse en bonne et due forme, qui réponde aux standards habituels. Lisons celle de 2 Co : « Paul, apôtre de Christ Jésus par la volonté de Dieu et Timothée, le frère, à l’Église de Dieu qui est à Corinthe, ainsi qu’à tous les saints qui sont dans l’Achaïe entière ; à vous grâce et paix de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus Christ. » Les éléments typiques sont ici présents : l’auteur de la lettre décline nom et qualités (« apôtre » ou « serviteur »), éventuellement justifiées : « par volonté de… » ; les destinataires sont nommés, voire qualifiés (par exemple, « mon enfant bien-aimé ») ; le souhait est formulé (généralement « grâce et paix »), et l’on spécifie : « de la part de… ». Dans les adresses des lettres pauliniennes, l’amplification de tel ou tel élément est toujours annonciatrice d’un accent ou d’un thème important pour la suite. Les adresses étoffées de Rm et de Tt, par exemple, sont très révélatrices.
◆
À l’adresse succède, dans neuf lettres, une action de grâce où Paul remercie Dieu pour son action dans le cœur de ses destinataires, pour leur belle conduite, etc. L’action de grâce s’inscrit dans la mémoire de ses motifs et dans la prière, d’intercession ou de reconnaissance. Par exemple, Ph 1, 3-5 : « Je rends grâce à mon Dieu chaque fois que je fais mémoire de vous. 45
Toujours, dans toutes mes prières pour vous tous, c’est avec joie que je prie, à cause de la part que vous avez prise à l’Évangile… » ◆
De nature un peu différente que l’action de grâce, une bénédiction peut remplacer celle-ci (2 Co), ou la précéder (Ep). Elle monte vers Dieu célébré tel qu’en lui-même à partir des bénédictions reçues. Ga 1, 6 se signale par une entrée en matière abrupte et sévère : « Je m’étonne que si vite vous désertiez Celui qui vous a appelés… », sans action de grâce ni bénédiction.
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Pour terminer ses lettres, Paul suit également souvent un formulaire habituel : il donne des nouvelles de ses collaborateurs, puis adresse, transmet ou confie des salutations aux fidèles, et conclut par une brève formule de bénédiction. Par exemple : « Tous ceux qui sont avec moi te saluent. Salue ceux qui nous aiment dans la foi. La grâce soit avec vous tous » (Tt 3, 15).
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Le corps central des lettres, outre les balancements entre doctrine et parénèse, peut recourir à des canons de la rhétorique gréco-romaine, selon les moments dans lesquels s’articule la dispositio ou agencement des parties. Ainsi, l’exorde capte l’attention bienveillante du destinataire (Ph 1, 6-8 le fait sans artifice). Une 46
proposition offre un énoncé de base sur un argument ou sujet à développer (exemple en 1 Co 1, 17-18), en annonçant éventuellement les subdivisions de son traitement. Puis l’argumentation déployée peut procéder par narration, présentant un récit soit de défense ou d’accusation (exemple en Ga 2, 11 : « mais quand Pierre est venu à Antioche… »), soit exemplaire (le rappel des événements de l’Exode pour en tirer les leçons, en 1 Co 10), soit laudatif ou dépréciatif (« J’apprends que… », cf. 1 Co 5) ; ou par démonstration ou preuve systématique, déclinant tantôt un raisonnement plus formel (comme en 1 Co 15, 12-20), tantôt, chez Paul, une argumentation scripturaire (Ga 3, 6-14 entrelace habilement les citations). La péroraison récapitule la réflexion ou la pointe parénétique. ◆
Par ailleurs, le style de Paul use avec vivacité de procédés chers aux rhéteurs dans les débats d’idées appelé « diatribes ». Par exemple, la question rhétorique : « Alors, si certains furent infidèles, cela va-t-il annuler la fidélité de Dieu ? Certes non ! » (Rm 3, 3) ; la réfutation anticipée d’un interlocuteur fictif : « Oui mais, dira quelqu’un, comment… ? […] — Insensé !… » (1 Co 15, 35-36) ; la mise en place et le jeu des antithèses (vie et mort, chair et Esprit, lettre et Esprit, œuvres de la Loi et justification 47
par la foi, sagesse folle et faiblesse puissante de Dieu, etc.), mais où Paul, par glissements subtils, se démarque d’une dialectique sommairement dualiste. ◆
Surtout, last but not least, Paul, en bon scribe pharisien, argumente à partir des Écritures, qu’il cite souvent explicitement, ou auxquelles il fait allusion dans la mémoire plus globale du texte. S’appuyant sur ce qu’il avait appris à l’école de Gamaliel, lui-même disciple du grand maître Hillel, Paul n’hésite pas, en vrai rabbin, à associer des passages de manière parfois assez libre et audacieuse à première vue, mais pleinement suggestive et parlante, dès lors qu’en scrutant les contextes bibliques des versets convoqués par ces rapprochements, on décrypte la pertinence des liens textuels ainsi tissés. Parmi des manières de raisonner plus récurrentes, signalons l’argument a fortiori (si ceci…, alors à plus forte raison cela), l’assimilation juridique partant d’un cas connu pour éclairer une situation nouvelle par analogie, et l’association de citations sur base d’un terme qu’elles ont en commun.
Un aspect central de l’argumentation à partir de l’Écriture est, chez ce grand chrétien qui ne récuse en rien son origine juive, la mise en évidence du rapport entre l’Ancien Testament et le Nouveau 48
Testament (rapport qu’on dit volontiers allégorique ou typologique). Ceci relève non plus du procédé, mais de la perspective de fond qui est désormais celle de Paul : le mystère du Christ mort et ressuscité éclaire d’un jour nouveau toute l’histoire sainte tendue vers sa venue. Dès lors, des événements, des paroles et des personnages de la Première Alliance acquièrent une force figurative et révèlent une consistance préparatoire pointant vers des réalités de la Nouvelle Alliance. C’est à partir du Christ que Paul opère une telle relecture plutôt que la démarche inverse. Ainsi le Christ « dernier Adam » fait comprendre, en l’en sauvant, le drame du premier Adam ; la liberté de l’Église épouse trouve sa préfiguration dans la femme libre d’Abraham, Sara, distincte de sa servante ; la présence fidèle et vivifiante du Christ en nos vies fait dire avec audace que le rocher d’où l’eau jaillit jadis au désert (et qui, dans l’interprétation rabbinique, accompagnait les pères dans l’Exode) « était le Christ » (1 Co 10, 4) ; etc. Les multiples ressources de son génie argumentatif, de son talent littéraire et de sa formation exégétique, Paul en usa efficacement pour proclamer et exposer le mystère du Christ, seul digne d’être ainsi scruté et déployé.
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4. De riches apports théologiques et pastoraux Pour conclure sur ce point, à défaut d’un résumé même sommaire du contenu des lettres, dégageonsen quelques lignes de force, en suivant leur probable chronologie rédactionnelle. ◆ La PREMIÈRE LETTRE AUX THESSALONICIENS (puis la DEUXIÈME, de tonalité plus dramatique) insiste sur l’appel à la sainteté, loue et encourage la foi des destinataires, rencontre leurs inquiétudes sur le retour du Seigneur, aborde la question de la résurrection des morts. ◆ La PREMIÈRE LETTRE AUX CORINTHIENS, dans un souci de promouvoir la communion, recentre ses destinataires sur le mystère de la croix puis met l’accent sur la réalité du corps : le corps des croyants (avec des questions éthiques afférentes), le corps ecclésial un et divers, le corps eucharistique et l’assemblée qui y communie, notre corps promis à la résurrection dans le Christ. ◆ La DEUXIÈME LETTRE AUX CORINTHIENS, suite à des oppositions dont l’apôtre a souffert, valorise le ministère apostolique contre des détracteurs et en montre la beauté, dans une humble fierté pour son authenticité au service de la vraie foi et pour l’esprit d’abnégation qu’il requiert. ◆ Dans la LETTRE AUX GALATES, Paul prend vigoureusement la défense du véritable « évangile » qu’il proclame, dont la tentation d’un retour indu 50
à la circoncision et à la Loi mosaïque* menace de détourner ses destinataires ; puissent ceux-ci vivre plutôt de l’Esprit de liberté filiale reçu en héritage dans le Christ. ◆ La LETTRE AUX ROMAINS, un écrit majeur, enrichit et développe plus sereinement des enseignements de Ga, notamment le salut par la foi en Christ, qui nous ouvre à la « justification » reçue du Christ en pure gratuité, et non du fait de notre observance de la Loi, toujours insuffisante. Tous sont pécheurs, qu’ils soient païens ou Juifs, et ont besoin d’être sauvés par grâce. Avant une exhortation ecclésiale substantielle, la partie médiane de la lettre aura largement considéré la situation d’Israël dans le plan du salut. ◆ Les LETTRES AUX ÉPHÉSIENS et aux COLOSSIENS sont parentes. À partir de bénédictions ou cantiques hymniques célèbres (Ep 1, Col 1), ces lettres dégagent une très large vision : celle de la nouveauté radicale qu’inaugure pour l’humanité sa récapitulation dans la « plénitude » du Christ, tête du Corps ecclésial (Ep) et Seigneur de l’univers (Col). ◆ La LETTRE AUX PHILIPPIENS se signale par la cordialité de son ton affectueux « dans le Seigneur », l’accent sur la joie exprimée et recommandée ; ceci, sans préjudice de la purification dans l’humilité souffrante à la suite du Christ, dont la fameuse hymne (ch. 2) célèbre l’abaissement et l’exaltation. 51
La PREMIÈRE LETTRE À TIMOTHÉE, celle à TITE et la DEUXIÈME À TIMOTHÉE — c’est l’ordre de rédaction probable — révèlent un Paul au terme de son « beau combat de la foi ». Elles précisent des critères d’appel aux fonctions ecclésiales, se montrent attentives aux différentes catégories de chrétiens confiées à la charge pastorale, recommandent la fidélité au beau « dépôt » de la foi et l’ardeur dans les « belles œuvres », afin d’édifier en toute choses, et de ne pas offrir de prise à l’adversaire. En 2 Tm spécialement, de tonalité quasi testamentaire, l’intime union de Paul au Christ est poignante. ◆ Le bref billet à PHILÉMON (25 versets), porteur d’une requête personnelle de l’apôtre, révèle la délicatesse avisée de Paul. ◆
Même furtif, cet aperçu laisse pressentir pourquoi le corpus des écrits pauliniens alimente toujours la réflexion, la prière et la pratique ecclésiales.
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Un visage multiple 1. Un saint par grâce de Dieu De Saul à saint Paul ! Une existence à la mesure de « l’amour du Christ, qui surpasse toute connaissance » (cf. Ep 3, 19). Le pharisien zélé rejoint par le Ressuscité est connu comme un évangélisateur intrépide, un pasteur ardent, un théologien profond : ses lettres, même parfois complexes ou désarçonnantes, ne cessent de nourrir les chrétiens. Mais quelle est la source d’un tel rayonnement, d’une fécondité pastorale, spirituelle et théologique si actuelle ? C’est l’expérience radicale que fit Paul de la miséricorde divine à son égard, et l’appel à la sainteté, dont il ne cessera de vivre : « Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ : […] Il nous a choisis en lui avant la fondation du monde pour que nous soyons saints et irréprochables sous son regard, dans l’amour » (Ep 1, 3.4). Ce tempérament de feu, Dieu le purifie, le sanctifie dans la grâce du Christ qui l’a appelé à sa suite et le consume à son service. 53
Chaque jour, des croyants, dans la diversité des nations, prient avec des mots de l’Apôtre : divers passages hymniques des lettres pauliniennes figurent parmi les « Cantiques » chantés dans l’office quotidien. Nées dans un cœur croyant, ces prières n’expriment pas seulement une saine théologie. Elles disent l’ardeur d’une âme saisie par Dieu ; la vive flamme d’un saint qui, dans ses lettres, sa prédication et toutes ses relations, ne fait pas que proclamer, argumenter, dénoncer, exhorter, mais encore laisse déborder le mouvement de sa prière : louange, action de grâce, contemplation du mystère révélé, ou encore intercession pour tous les hommes — à commencer par ses frères Juifs (Rm 9, 1-5 ; 10, 1) — ; il voudrait tellement les voir connaître et aimer le Christ. Avec Paul de Tarse, Dieu a donné à l’Église et au monde un saint, en compagnie duquel le Christ nous conduit à Dieu : « Le Christ a aimé l’Église et s’est livré pour elle. Il a voulu ainsi la rendre sainte… » (Ep 5, 25-26). « Tous sont-ils apôtres ? Tous sont-ils prophètes ? Tous sont-ils docteurs ? », demande Paul (1 Co 12, 29). Non. Mais tous sont appelés à l’amour donné en réponse à l’amour reçu : la célèbre « hymne à la charité », en 1 Co 13, exalte cet unique nécessaire, cœur de la vocation chrétienne à la sainteté. Paul, comme tout baptisé (Ac 9, 18), est d’abord de « ceux qui ont été sanctifiés en Christ Jésus et appelés à être saints » (1 Co 1, 2). Les conseils moraux de l’Apôtre, ses directives pasto54
rales et ses réflexions théologiques sont irrigués par la sève de sa vie intérieure. La participation du croyant à l’amour trinitaire ou les vertus théologales* — foi, espérance et charité — ; le mystère de nos existences au sein de l’histoire du salut ; la grâce du Christ qui nous « justifie » et répand l’Esprit de liberté… rien de tout cela n’est pour l’Apôtre objet de considération ou sujet d’encouragement sans qu’il en vive d’abord en profondeur. Son activité et sa méditation s’abreuvent à leur source spirituelle. Avec le Christ, il prend sa part de souffrance pour renaître à sa vie. Sa croix est le seul sujet de fierté qu’il veuille connaître. La vie du Ressuscité est son horizon à jamais. « Qui es-tu, Seigneur ? — Je suis Jésus que tu persécutes », raconte l’épisode de Damas (Ac 9, 5) : ébloui dans cette révélation, Paul se reçoit désormais du Christ ; il s’offre en lui ; il rapporte par lui toute gloire à Dieu. Paul ne manque pas de défauts ! Mais si l’humilité, par exemple, ne lui est guère spontanée, l’amour qui le conforme au Christ le gagne de plus en plus à la douceur. « Ayez entre vous les dispositions qui furent dans le Christ » (Ph 2, 5). Tel est le chemin de la sainteté, dans la communion au Seigneur. S’il est des vertus chrétiennes qui balisent la route — Paul en égrène des listes —, il y a surtout, sous-tendant nos efforts, des dons et des fruits de l’Esprit (1 Co 12, 1-11 ; Ga 5, 22-23), reçus en partage de Jésus ressuscité. Dans les aléas de la mis55
sion, Paul, avec une disponibilité et une persévérance étonnantes, se laisse conduire par la présence de Jésus vivant. La capacité d’initiative, l’audace et les qualités de leadership ne lui manquaient vraiment pas. Sa sainteté passera dès lors spécialement par une docilité sans cesse réajustée à l’Esprit de Jésus, au gré des imprévus de Dieu. Paul supporte avec force les contrariétés, les désaffections et les remises en cause. Pareille endurance, plus encore qu’elle ne relève de sa ténacité naturelle, le révèle décentré de lui-même, uni au Christ livré : « C’est dans la faiblesse que je suis fort » ; « Je peux tout en celui qui me fortifie » (Ph 4, 13). Son courage atteste sa source : « C’est le Christ qui vit en moi » (Ga 2, 20). La sainteté de Paul, le peuple de Dieu la reconnut fort tôt. Un signe en est la prière assidue des premiers chrétiens sur sa sépulture : comme la tombe de saint Pierre au Vatican, celle de saint Paul au bord du Tibre, sur la route d’Ostie, est dès l’origine honorée par ceux qui y viennent en pèlerinage. Vers 330, l’empereur Constantin érige sur la tombe de Paul un édifice assez modeste que remplace, dès la fin du IVe siècle, la splendide basilique dite de Saint-Paul-hors-les-murs. L’Église fête deux fois Pierre et Paul ensemble. D’abord le 29 juin, en tant qu’apôtres, avec une préface propre, riche en sa précision :
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« Tu nous donnes de fêter en ce jour les deux Apôtres Pierre et Paul : celui qui fut le premier à confesser la foi, et celui qui l’a mise en lumière ; Pierre qui constitua l’Église en s’adressant d’abord aux fils d’Israël, et Paul qui fit connaître aux nations l’Évangile du salut ; l’un et l’autre ont travaillé, chacun selon sa grâce, à rassembler l’unique famille du Christ. »
Puis le 18 novembre, où l’on rappelle la dédicace de leurs basiliques respectives. De plus, le 25 janvier, nous célébrons la « conversion » de Paul. C’est dire la grâce que cet événement intime, de soi éminemment personnel, représente, en vertu du dessein de Dieu, pour la vie de l’Église. Eusèbe de Césarée, historien des IIIe et IVe siècles, confirme dans son Histoire ecclésiastique les lieux de cette vénération rapide de Pierre et Paul martyrs : « On rapporte que sous le règne de Néron, Paul eut la tête coupée à Rome même et que semblablement Pierre y fut crucifié, et ce récit est confirmé par le nom de Pierre et de Paul qui jusqu’à présent est donné aux cimetières de cette ville. C’est ce qu’affirme tout autant (vers 200) un ecclésiastique, du nom de Gaius […] ; il dit à propos des lieux où furent déposées les dépouilles sacrées desdits apôtres : “Pour moi, je peux montrer les trophées des apôtres — comprenons leurs monuments. Si tu veux aller au Vatican ou sur la voie d’Ostie, tu trouveras les trophées de ceux qui ont fondé cette Église.” » 57
Dans les décennies qui suivent le martyre de Paul, ce que disent de l’Apôtre les écrits chrétiens et les citations qu’ils font de ses lettres ne laissent pas de doute sur la reconnaissance précoce de sa sainteté et de son autorité apostolique. En tout cela, donc, sans même parler de tant de représentations artistiques de l’Apôtre, dès les premières mosaïques chrétiennes, il apparaît que Paul fut rapidement estimé pour l’œuvre de sainteté qu’opéra en lui la grâce du Christ, « surabondante là où le péché avait abondé » (Rm 5, 20). Les essais biographiques sur Paul, les approches exégétiques de ses écrits et les interprétations de sa pensée peuvent bien garder leur part de tâtonnements et prêter à discussion, l’Église a reçu et continue de recevoir Paul comme un témoin privilégié du Christ. Elle en rend grâce à Dieu.
2. Héraut, apôtre et docteur Dans ses deux lettres à Timothée, Paul revendique cette triple manière de définir sa charge : « Car il n’y a qu’un seul Dieu, qu’un seul médiateur aussi entre Dieu et les hommes, un homme : Christ Jésus, qui s’est donné en rançon pour tous. Tel est le témoignage qui fut rendu aux temps fixés et pour lequel j’ai été, moi, établi héraut et apôtre — je dis la vérité, je ne mens pas —, docteur des nations dans la foi et 58
Les Pères apostoliques* évoquent Paul Clément de Rome, vers la fin du Ier siècle, écrit aux Corinthiens : « Reprenez la lettre du bienheureux Paul l’apôtre… » (Clément aux Corinthiens, 47, 1). L’adjectif « bienheureux » connote ici sans équivoque la sainteté reconnue. Ou, plus explicitement, l’évêque Polycarpe de Smyrne (dont saint Irénée — qui l’a connu dans son enfance — nous rappelle qu’il « vécut avec beaucoup de ceux qui avaient vu le Seigneur »). Vers le milieu du IIe siècle, Polycarpe écrit aux Philippiens : « Ni moi ni un autre tel que moi ne pouvons approcher de la sagesse du bienheureux et glorieux Paul qui, étant parmi vous […] enseigna avec exactitude et avec force la parole de vérité et après son départ vous écrivit une lettre » (Polycarpe aux Philippiens, 3, 2), et se dit persuadé que Paul et les autres apôtres « sont dans le lieu qui leur était dû près du Seigneur avec qui ils ont souffert » (id., 9, 1.2).
la vérité » (1 Tm 2, 7 ; cf. 2 Tm 1, 11). Les lettres à Timothée marquent le souci qu’a Paul, vers le terme de son parcours, de transmettre pour les générations à venir « le bon dépôt » de la foi. L’Apôtre mesure sa responsabilité vis-à-vis de ceux qui suivront, à commencer par son disciple Timothée. Paul se redit serviteur du dessein d’universel salut de Dieu et relit sa vocation comme impliquant un 59
témoignage martyre jusqu’au bout, à la suite du Christ. D’où l’enjeu qu’il souligne en déclinant ces titres : « je dis la vérité, je ne mens pas ». Paul, en ces passages, se dit donc d’abord héraut. À nos oreilles, la qualification fait un peu moyenâgeux, connotant le tambourineur ou le crieur public. Guillaume de Saint-Thierry, au XIIe siècle, ne désigne-t-il pas Paul comme « la trompette du Nouveau Testament » ? Le héraut proclame avec assurance. Le mot rend un substantif grec, kèrux, de la même racine que le mot kérygme ; ce dernier désigne aussi bien le fait de l’annonce évangélisatrice que son contenu essentiel, à savoir le mystère pascal du Christ mort et ressuscité pour nous selon les Écritures (1 Co 15, 3b-5 offre un bel exemple de kérygme exprimé synthétiquement). En Ac 9, 20, au terme du premier récit de la conversion de Paul, la première chose dite de lui après son baptême est qu’« il passa quelques jours avec les disciples de Damas, et aussitôt il proclamait [verbe du kérygme] dans les synagogues que Jésus est le Fils de Dieu ». Bien plus tard, Paul affirmera, en soulignant l’extension de sa mission : « Le Seigneur m’a revêtu de force, afin que par moi le kérygme soit pleinement assuré et que tous les peuples l’entendent » (2 Tm 4, 17). Parmi les « doxologies » pauliniennes — c’est-à-dire des formules quasi liturgiques glorifiant Dieu —, celle qui clôt la lettre aux Romains monte vers « Celui qui a le pouvoir de 60
vous affermir selon mon évangile et le kérygme de Jésus Christ » (Rm 16, 25). Oui, sur les routes du bassin méditerranéen, sur le pont des navires, dans les synagogues ou sur les places de tant de villes, la voix de Paul sonne haut et clair pour proclamer ce qu’il nomme son évangile, littéralement, « Bonne Nouvelle », à savoir le salut advenu pour tout homme en Jésus Christ. Évangélisateur ardent, mobile et passionné, Paul n’a généralement pas à s’établir durablement en un lieu ; mais, dans une inlassable itinérance, il sème la bonne parole que Dieu fait germer : « Moi j’ai planté, Apollos a arrosé ; mais c’est Dieu qui faisait croître » (1 Co 3, 6) ; « Malheur à moi si je n’annonce pas l’Évangile ! » (1 Co 9, 16). Paul revendique ensuite la qualification d’apôtre que les Actes reconnaissent aussi, secondairement, à de proches collaborateurs comme Barnabé, Sylvain ou Timothée. De fait, la première prière eucharistique, dite « Canon Romain », cite en tête « les saints Apôtres et Martyrs Pierre et Paul ». Le terme apostolos dénote une mission reçue, un envoi ; une charge importante, mais à vivre dans l’humilité : « Car je suis le moindre des apôtres […]. C’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis » (1 Co 15, 9-10). Selon Lc 6, 13, non seulement la désignation mais la qualification des douze comme apôtres pourraient remonter à Jésus lui-même. Leur statut est 61
unique : quand l’un d’eux mourra, il ne sera pas remplacé comme tel (sauf Judas avec Matthias) ; sans quoi, l’Église compterait encore douze apôtres actuels ! Dès lors, d’où vient que Paul s’attribue ce titre, alors qu’il n’a pas connu Jésus de son vivant terrestre ? Est-ce simplement pour s’être vu inscrit dans la tradition apostolique — ce qui n’est déjà pas rien — : « Je vous ai transmis ce que j’ai moi-même reçu » (1 Co 15, 3) ? Son identité d’apôtre, Paul la présente plus profondément en son origine : la rencontre personnelle du Christ ressuscité, qui lui a fait la faveur exceptionnelle de lui apparaître. « Ne suis-je pas apôtre ? N’ai-je pas vu Jésus Notre Seigneur ? » (1 Co 9, 1). Sans doute Paul pense-t-il ici avant tout à l’apparition du Ressuscité sur le chemin de Damas (voir, au chapitre 4, le beau développement de Mgr Warin). Ce moment décisif de sa conversion est identiquement au départ de sa vocation et de sa mission propres : « Voici en effet pourquoi je te suis apparu : je t’ai destiné à être serviteur et témoin de la vision où tu viens de me voir ainsi que des visions où je t’apparaîtrai encore » (Ac 26, 16). Il vécut là l’expérience fondatrice de sa qualité d’apôtre, qu’il décline dans l’entête de neuf de ses lettres. Il s’en montre légitimement jaloux et dénonce par contraste les « faux apôtres », pseudo-apostoloi, « déguisés en apôtres du Christ » ; ou ironise sur les prétentions illégitimes de « super-apôtres » en se défendant à cet égard : « les signes de l’apôtre 62
ont été réalisés chez vous : parfaite constance, signes, prodiges et miracles » (2 Co 12, 11-12). Question de fierté personnelle ? Non : de fidélité à la manière dont, pour son service, Dieu l’associe spécifiquement à son Fils. « Apôtre du Christ », précise régulièrement Paul ; jamais « apôtre de Dieu ». Par contre, relativement à la source de son identité apostolique, Paul se reconnaît apôtre par volonté de Dieu (le Père) ; ou par volonté conjointe du Père et du Fils, comme par exemple en Ga 1, 1 : « Paul, apôtre non de la part des hommes, ni par un homme […], mais par Jésus Christ et Dieu qui l’a relevé d’entre les morts… ». Apôtre, Paul l’est vraiment par son union au Christ, sa façon de se laisser façonner par lui et configurer à lui : « l’envoyé (apostolos) n’est pas plus grand que celui qui l’envoie », dit l’évangile (Jn 13, 16) ; et par le sens de ses responsabilités ecclésiales dans un esprit de communion, alors même que, dans un apostolat pleinement engagé, il laisse voir son souci « de ne pas bâtir sur les fondations d’autrui » (Rm 15, 20). Quand, dans leur profession de foi, les chrétiens chantent l’Église « une, catholique — au sens d’universelle — et apostolique », l’Apôtre des nations fait partie du chœur. Paul se dit aussi plus spécifiquement Apôtre des nations. Ainsi, en Rm 11, 13 : « Dans la mesure où je suis, moi, apôtre des nations » et Ga 2, 8 : « Celui qui a fait de Pierre l’apôtre des circoncis a fait aussi 63
de moi l’apôtre des nations. » Ou, encore, indirectement, dans des passages comme Rm 1, 5 : « Jésus Christ notre Seigneur, par qui nous avons reçu grâce et mission d’apôtre, pour amener à l’obéissance de la foi, en son Nom, toutes les nations… » ; ou Rm 15, 15-16 : « … la grâce qui m’a été donnée par Dieu d’être servant de Jésus Christ auprès des nations » ; etc. Paul avait de naissance la citoyenneté romaine ; il parlait le grec (Ac 21, 37) et ses écrits en attestent sa grande maîtrise. Éduqué de nombreuses années en « diaspora* », Paul était bien préparé à se voir un jour envoyé non seulement vers les Juifs, mais encore vers les non-Juifs pour leur annoncer le Christ. Cette ouverture de sa mission s’impose à lui dès le début. Plus tard, Paul rappellera la source de sa vocation : la révélation reçue sur le chemin de Damas, et ajoutera : « Dès lors, roi Agrippa, je ne me suis pas montré indocile à la vision céleste, mais à ceux de Damas, puis à Jérusalem et par tout le pays de Judée, puis aux nations, j’ai annoncé… » (Ac 26, 19-20). Parmi les prophètes bibliques, Isaïe annonçait particulièrement le projet qu’a Dieu de se révéler à toutes les nations. À la toute fin des Actes, on entend l’Apôtre citer Isaïe pour stigmatiser l’endurcissement au moins provisoire de certains Juifs, puis conclure : « Sachez-le donc : c’est aux nations qu’a été envoyé ce salut de Dieu ; eux, ils écouteront » (Ac 28, 28). Paul cite abondamment Isaïe dans le 64
sens de cette universalité dans la lettre aux Romains, pour bien situer le rapport entre les « judéochrétiens* » et les « pagano-chrétiens* ». Par ailleurs, en Rm, comme en Ga, Paul remonte volontiers, en amont de la Loi mosaïque, à la figure d’Abraham, vu que le patriarche est non seulement le père du peuple élu (2 Co 11, 22), mais encore celui qui s’entendit dire : « en toi se béniront toutes les nations ». Ces nations prennent part dans le Christ à l’héritage d’Israël et deviennent dans la foi bénéficiaires des promesses faites au père des croyants. Nous sentons qu’en tout cela Paul, envoyé aux nations, réfléchit théologiquement son propre envoi dans l’élaboration même de sa doctrine. Ceci nous mène à sa troisième « auto-qualification ». Car Paul se dit aussi docteur en précisant : « docteur des nations dans la foi et la vérité ». Ce terme de didaskalos, « enseignant », s’inscrit dans la constellation des mots « enseigner », enseignement et doctrine (didaskô, didachè, didaskalia). Son équivalent juif est Rabbi. Dans les évangiles, Jésus se voit souvent appelé Rabbi ou didaskale, couramment rendu par « Maître » dans nos Bibles : un terme qui dénote bien la capacité d’instruire et d’éclairer. Le Rabbi didaskalos forme les disciples qu’il s’est agrégés. Selon Matthieu, spécialement attentif aux discours de Jésus, les foules reconnaissent d’emblée en Jésus un Rabbi hors norme : « Et il arriva, quand 65
Jésus eut fini ces paroles-ci, que les foules étaient stupéfaites de son enseignement (sa didachè), car il les enseignait comme ayant autorité, et non pas comme leurs scribes » (Mt 7, 29). Paul se sait inscrit par grâce dans la dynamique de cet enseignement ; il entrevoit les maillons futurs de sa transmission : « Ce que tu as entendu de moi — dit-il à Timothée — […], confie-le à des hommes fidèles qui soient capables d’en enseigner encore d’autres » (2 Tm 2, 2). Le terme de didascalie désigne le contenu de l’enseignement, la doctrine. Il se rencontre massivement dans les lettres pastorales. Paul, comme « docteur », y rappelle instamment la « saine doctrine » dans le souci de la vérité, en l’opposant aux doctrines « mensongères ». À l’époque de sa conversion, Paul, du point de vue de son cursus dans le judaïsme pharisien, n’avait pas encore l’âge requis pour être rabbi, « docteur ordonné ». C’est son expertise en Christ, réflexion priante docile aux lumières de l’Esprit, qui fit de lui un « docteur » chrétien. En quoi l’enseignement prodigué par le docteur diffère-t-il de la proclamation du héraut ? L’enseignement engage une réflexion approfondie, une catéchèse plus élaborée. Il complète la proclamation kérygmatique qui ne constituait que le moment initial de l’évangélisation. Telle était déjà la pédagogie de Jésus, que nous voyons proclamer la Bonne Nouvelle en circulant, mais aussi s’arrêter pour ensei66
gner plus longuement les foules, jusque dans les synagogues et au cœur du Temple. Docteur, Paul l’est par sa prédication orale d’abord. En bon « pharisien, fils de pharisien » (Ac 23, 6, cf. Ph 3, 5) il s’inscrit, comme Jésus, dans la ligne de force de cette tradition, qui favorise l’interprétation orale de l’Écriture. Dans les Actes, nous l’entendons prendre longuement la parole en divers lieux (synagogues, places, aréopage…), pour des auditoires variés. Docteur, Paul l’est aussi par ses lettres : même à partir d’éléments circonstanciels ou de questions particulières, elles véhiculent un enseignement développé et mûri. Parfois longuement articulé, cet enseignement s’appuie sur l’étude méditée de l’Écriture. Quand Paul dit : « Toute Écriture est inspirée de Dieu et utile pour enseigner, reprendre, etc. » (2 Tm 3, 16), le verbe de l’enseignement vient en tête. D’instinct Paul, rompu à l’argumentation scripturaire par sa formation aux pieds de Rabbi Gamaliel (Ac 22, 3), en usera magistralement ; spécialement, bien sûr, dans ses discussions avec les Juifs. À la lumière du Christ, bien des passages bibliques s’éclairent et se rapprochent entre eux d’un jour nouveau. Ce surcroît de sens manifeste en l’exauçant ce qu’ils portaient en pierres d’attente. En 1 Co 12, 28, concernant le corps ecclésial et ses membres, Paul dit : « Et ceux que Dieu a établis dans l’Église sont premièrement des apôtres, deuxièmement des prophètes, troisièmement des docteurs. » 67
Ces missions peuvent revenir à différentes personnes, mais aussi se conjoindre, par grâce de Dieu, notamment chez Paul, comme autant de facettes d’une riche vocation.
3. Prophète et martyre La triade citée à l’instant parle aussi de prophète. Et sans doute le héraut du Christ, proclamant le salut advenu et invitant à la conversion, assume-t-il une prédication de type prophétique : autre richesse encore, trop inaperçue peut-être, de la personnalité de Paul. De soi, la qualification de « prophète » relève surtout de l’Ancien Testament. Mais on discerne aussi des charismes prophétiques dans le temps de l’Église. Ac 13, 1 parle de « prophètes et docteurs » dans l’Église d’Antioche, et les passages d’Ep 2, 20 et 3, 5 articulent le binôme « apôtres et prophètes ». De Jésus lui-même on avait pu dire : « un grand prophète s’est levé parmi nous » (Lc 7, 16). Mais le prophète, en rendant témoignage à la vérité de Dieu et de son dessein, s’expose souvent à des persécutions, parfois jusqu’au martyre. Jésus s’est engagé sur cette voie en connaissance de cause : « il ne convient pas qu’un prophète périsse hors de Jérusalem […] Jérusalem, toi qui tues les prophètes… » (Lc 13, 33.34). Le Christ assuma librement une mort violente, endurant l’injustice extrême, plus 68
encore que nombre de grands prophètes, jusqu’à Jean-Baptiste inclus. Jésus en avait averti ses apôtres : « Un serviteur n’est pas plus grand que son Seigneur : s’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront vous aussi » (Jn 15, 20). Paul se dit « serviteur de Christ Jésus » (Rm 1, 1 ; Ph 1, 1). Il le sera lui aussi jusqu’au don de sa vie. Le Seigneur avait dit à Ananie, dès les jours de Damas : « Cet homme m’est un instrument de choix pour porter mon Nom devant les nations, et les rois et les fils d’Israël ; car moi je lui montrerai tout ce qu’il doit souffrir pour mon Nom » (Ac 9, 15-16). Ainsi se profile la destinée de l’Apôtre, évangélisateur intrépide qui finit martyr pour avoir confessé le Christ. Paul s’avance consciemment vers le martyre pressenti : « je suis déjà offert en libation, et le moment de mon départ est arrivé » (2 Tm 4, 6). Sa foi nourrit son assurance : « C’est là une parole sûre : Si nous sommes morts avec lui, nous vivrons aussi avec lui » (2 Tm 2, 11). On peut d’ailleurs souligner des analogies entre la fin de sa vie et celle de Jésus (cf. plus bas, p. 115, Monseigneur Warin sur la configuration de Paul au Christ). Les épreuves de Paul et leur couronnement dans le martyre participent d’une dramatique toute « prophétique », en régime chrétien. Certes, Paul ne se dit pas explicitement prophète. Mais il parle en Ga 1, 15 de Celui qui l’a mis à part dès le sein de sa mère, exprimant l’origine de 69
sa vocation dans les mêmes termes qu’un Jérémie (1, 5) ou que le Serviteur de Dieu en Isaïe (49, 1.6) : passages où le premier se voit établi comme « prophète des nations », et le second « alliance du peuple et lumière des nations », pour que le salut de Dieu « parvienne jusqu’aux extrémités de la terre » (Is 49, 6, cité en Ac 13, 47 ; cf. Ac 1, 8). Cette extension, l’apôtre des nations la servira singulièrement. Le troisième récit de son chemin de Damas, en Ac 26, après avoir signalé que Jésus s’exprime en langue hébraïque — biblique, donc —, développe ce que le Seigneur lui dit. Or, aux versets 16 à 18, la voix céleste inscrit l’appel de Saul sur une toile de fond précise : les vocations de ces mêmes grands prophètes bibliques : « Voici pourquoi je te suis apparu : je te destine à être serviteur et témoin [en grec, martus, d’où martyr] des choses pour lesquelles tu m’as vu et de celles pour lesquelles je t’apparaîtrai. Je t’arracherai au peuple et aux nations vers qui je t’envoie, pour leur ouvrir les yeux, afin qu’ils se détournent des ténèbres vers la lumière […] et qu’ils reçoivent par la foi en moi la rémission des péchés… » Cette formulation fait allusion à Jr 1, 8 puis cite clairement Is 42, 7, avec le thème de l’aveuglement cher à ce livre prophétique. Là-dessus, Paul, aveuglé, restera sans voir trois jours durant : cette cécité physique donne douloureusement chair à la métaphore isaïenne dans laquelle lui est signifiée sa mission. En son corps, Paul voit « mimé » l’aveugle70
ment spirituel qui était le sien à l’égard de Jésus de Nazareth. Ceci, pour l’en arracher et l’ouvrir à la lumière, pour d’autres aussi à sa suite : « il m’a été fait miséricorde pour qu’en moi, le premier, Jésus Christ montrât toute sa patience et me fît servir d’exemple à ceux qui croiront en lui en vue de la vie éternelle » (1 Tm 1, 16). Dieu l’envoie vers le peuple juif et vers les nations, précise Ac 26, 17, toujours en accord avec la perspective ouverte en Isaïe. De fait, Paul s’efforcera en tout lieu de s’adresser d’abord à ses frères de race avant d’élargir sa prédication aux païens. Le vieillard Syméon avait, en des termes isaïens déjà, reconnu en Jésus « le salut apprêté par Dieu à la face de tous les peuples, lumière révélée aux nations et gloire d’Israël son peuple » (Lc 2, 30-32). En Rm 2, 9-12, l’Apôtre soulignera que tous, « Juifs » et « Grecs », ont péché, mais que tous sont rejoints par la croix au carrefour de la miséricorde (cf. Rm 11, 30-32). Cette croix, d’abord « scandale pour les Juifs, folie pour les païens », devient source de salut pour tous ceux qui croient (1 Co 1, 21-24). Isaïe avait entrevu le vaste horizon de la mission de salut dévolue au Serviteur Souffrant. Jésus fut livré « pour la multitude » et la prédication paulinienne, en tout lieu, confesse bien le salut en Jésus qui justifie les multitudes (Rm 5, 19 ; cf. Is 53, 11). Avec une lucidité et une profondeur toutes prophétiques, Paul reconnaît les lointaines prépara71
tions de la rédemption advenue et se met au service de sa proclamation. Prophète, Paul l’apparaît ainsi non seulement à la lumière de sa haute mission, de sa parole tranchante et des souffrances endurées, mais encore par l’ampleur de vue, proprement visionnaire, qui lui est accordée sur l’histoire du salut, dont il esquisse une théologie d’envergure ; par la conscience assurée qu’il a de cette révélation, la défendant contre vents et marées ; et par son discernement sur la place que la grâce et le dessein divin lui assignent, à lui, Paul, dans cette histoire sainte. Avec un recul de vingt siècles, nous mesurons le rôle incontournable de Paul de Tarse dans l’histoire du christianisme. Mais lui-même, le nez collé sur les événements, pris dans la tourmente d’échecs et d’épreuves multiples, confronté aux problèmes immédiats de jeunes Églises en croissance, comment donc, si génial fût-il, pouvait-il évaluer le rôle de sa mission propre dans le plan de Dieu et le défendre en « espérant contre toute espérance » (Rm 4, 18), si ce n’est par une grâce de connaissance singulière, une révélation de caractère sapientiel ?
4. Sage dans la sagesse de Dieu Polycarpe, nous l’avons relevé au début de ce chapitre, magnifiait « la sagesse du glorieux et bienheureux Paul ». En Rm 11, 33, Paul s’exclame : « Ô 72
abîme de la richesse, de la sagesse et de la science de Dieu ! » La lettre aux Éphésiens manifeste combien Paul entend témoigner de cette sagesse. Il y parle du « mystère » porté à notre connaissance. Ce mot désigne au sens biblique non pas un secret ésotérique ou une pratique réservée à des initiés, comme dans les « religions à mystère », mais le dessein de Dieu en sa profondeur, en tant qu’il relève d’une sagesse inaccessible en dehors d’une révélation divine. Dieu n’est pas cachottier : « Il n’est rien de caché qui ne doive être révélé » (Mt 10, 26). Paul, bénéficiaire de révélations divines, a pleine conscience d’être mis au service de leur transmission. Laissons parler le texte de la Lettre aux Éphésiens. Nous suivons la traduction d’Osty. Dans la célèbre bénédiction initiale de la lettre — « Béni soit le Dieu et Père… » (Ep 1, 3) —, Paul reconnaît que non seulement Dieu a déterminé d’avance de nous donner l’adoption filiale en Jésus Christ (v. 5), mais encore nous fait comprendre son intention. Nous offrant sa grâce en son Fils, Dieu l’a fait « abonder pour nous en toute sagesse et prudence, nous faisant connaître le mystère de sa volonté » (v. 8-9). Dans la prière qui s’ensuit, Paul demande au Père, pour les croyants, « un esprit de sagesse et de révélation » qui le leur fasse connaître, et qu’il illumine les yeux de leurs cœurs sur son dessein en leur faveur, mis en œuvre dans le Christ (v. 17s). Au chapitre 2, Paul précise déjà l’aboutissement de ce sage dessein, tout 73
au bénéfice de ses destinataires, à savoir qu’eux « les nations », c’est-à-dire les non-Juifs, jadis étrangers aux alliances de la promesse, en héritent maintenant dans le Christ Jésus (Ep 2, 11-12). Le chapitre 3 nous éclaire encore sur la sagesse lucide accordée à Paul, par révélation. L’Apôtre l’ouvre en disant : « À cause de cela, moi, Paul, le prisonnier du Christ Jésus pour vous, les nations… » (Ep 3, 1). La phrase s’interrompt : Paul veut d’abord s’expliquer au sujet du « pour vous » : « Car vous avez sans doute appris comment m’a été dispensée la grâce de Dieu qui m’a été donnée pour vous, que c’est par révélation qu’a été porté à ma connaissance le mystère, tel que je viens de l’écrire en peu de mots » (Ep 3, 2-3). Il souligne ensuite combien, du mystère qu’elle lui révèle, la grâce de Dieu lui accorde en outre une compréhension profonde : « Vous pouvez, en me lisant, comprendre l’intelligence que j’ai du mystère du Christ, [mystère] qui, en d’autres générations, n’a pas été porté à la connaissance des fils des hommes comme il a été révélé maintenant à ses saints apôtres et prophètes en l’Esprit » (v. 4-5). Il poursuit en exprimant de nouveau ce que lui fait voir cette intelligence : « [à savoir] que les nations ont le même héritage, la même Promesse, en Christ Jésus par le moyen de l’Évangile » (v. 6). Paul fait encore un pas de plus. S’il a par grâce reçu la révélation du mystère et l’intelligence profonde de son contenu essentiel, ce n’est pas pour 74
lui-même seul, mais pour partager cela en y étant appelé, par grâce encore : « À moi, le moindre de tous les saints, a été donnée cette grâce d’annoncer aux nations l’insondable richesse du Christ et de mettre en lumière ce qu’est la dispensation du mystère tenu caché depuis l’origine des siècles en Dieu le créateur de toutes choses, afin que, par le moyen de l’Église soit maintenant connue […] la sagesse tellement diverse de Dieu… » (v. 7-10). Paul, on le voit, affiche sans fausse modestie une belle lucidité sur la révélation de sagesse qui lui fut faite et sur la grandeur de sa mission propre en Église. Pourquoi, en fin de compte, parle-t-il longuement de lui-même ? Non par vantardise, mais pour que les bénéficiaires de sa mission, reconnaissant qu’elle vient de Dieu, puissent d’autant mieux accueillir la révélation qu’il leur partage : eux aussi sont sauvés en Jésus Christ ! Dans le « mystère du Christ », il y a place pour des chrétiens d’origine païenne. Paul, en confessant avoir reçu la faveur exceptionnelle d’une telle mission, n’est nullement mythomane : il se reconnaît en même temps « le moindre de tous les saints » au cœur de l’Église. Il n’a pas parlé d’une sagesse dont il aurait le mérite mais, par trois fois dans ce passage, de la grâce qui lui a été donnée comme source de sa connaissance et de son habilitation auprès de ses destinataires. La sagesse révélée à laquelle il a conscience d’accéder par grâce, Paul la sait incompréhensible à hau75
teur de vues humaines. Précisons encore ce point, car le sage biblique, comme le prophète, est souvent incompris ou raillé par la suffisance mondaine et sa prétendue sagesse. Paul a parlé de l’intelligence qu’il reçut du « mystère du Christ ». Dans l’offrande de son Fils, Dieu met en œuvre sa sagesse de manière paradoxale. Dans la première lettre aux Corinthiens, spécialement, Paul reconnaît dans la Croix du Christ la sagesse de Dieu folle aux yeux des nations, la faiblesse de Dieu scandaleuse pour des Juifs en attente de signes : « Nous proclamons, nous, un Christ crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les nations, mais pour ceux qui sont appelés, et Juifs et Grecs, c’est un Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu. Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes » (1 Co 1, 23-25). De plus, Paul a conscience de participer, à la suite du Christ, à ce mystère d’une sagesse qui passe par la folie-faiblesse de la croix : « Dieu, ce me semble, nous a exhibés au dernier rang, nous les apôtres, comme des condamnés à mort ; oui, nous avons été livrés en spectacle au monde, aux anges et aux hommes. Nous sommes fous à cause du Christ […], nous sommes faibles… » (1 Co 4, 9.10). Oui, Paul a consenti à devenir sage dans la sagesse de Dieu, jusqu’à épouser le lieu où cette sagesse lui est mystérieusement révélée : « Je suis à jamais crucifié avec Christ » (Ga 2, 19) ; « Pour
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moi, puissé-je ne me vanter que de la croix de Notre Seigneur Jésus Christ… » (Ga 6, 14). La riche vocation de Paul brille ainsi de ses multiples facettes, que sa sainteté conjugua dans le rayonnement de son éclat : héraut, apôtre et docteur ; prophète et martyre ; sage dans la sagesse de Dieu. Que de dons rassemblés ! Humblement, Paul dirait lui-même, de tant de richesses : « Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? » (1 Co 4, 7). Ou encore : « C’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis, et sa grâce envers moi n’a pas été vaine » (1 Co 15, 10). Philippe Wargnies, s.j.
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La première et la seconde conversion de Paul « On ne se tromperait pas en appelant l’âme de Paul une prairie de vertus et un paradis spirituel, tellement la grâce y fleurissait avec magnificence… » (Saint Jean Chrysostome, Exorde du Premier panégyrique de saint Paul)
À
vue, il paraît relativement aisé de composer une biographie de saint Paul. Les sources sont abondantes, les documents ne manquent pas. Plus de la moitié du livre des Actes est consacrée à l’apôtre Paul. Par ailleurs, des vingt-sept écrits du canon néotestamentaire, pas moins de treize portent son nom. Il est vrai que plusieurs lettres voient leur authenticité discutée. Ce sont aujourd’hui : 2 Th, Col et Ep, et surtout les « épîtres pastorales ». Les critiques modernes voient le plus souvent, dans ces dernières, des lettres deutéropauliniennes, c’est-àdire écrites au nom de l’apôtre. Si toutes ces lettres PREMIÈRE
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n’émanent pas de Paul lui-même, leur inauthenticité pourrait n’être que partielle : soit que le scribe ne travaillerait plus seulement sous la dictée, mais prendrait une part plus importante à la rédaction à partir de quelques indications, soit qu’après Paul, quelqu’un de la génération postapostolique aurait repris des lettres authentiques de l’apôtre (ou simplement son héritage spirituel), et en aurait donné une édition adaptée aux besoins nouveaux des communautés. De toute manière, un bon nombre de documents authentiques, rendant Paul et son message immédiatement accessibles, subsistent même après un criblage sévère. Les difficultés sont toutefois réelles. Les lettres ont toutes vu le jour pendant une période limitée, celle de la fin de la vie de l’apôtre, de sorte que de larges pans de son histoire ne peuvent être éclaircis au moyen d’elles. À cela s’ajoute que, loin d’être des écrits autobiographiques, les lettres de Paul ont été rédigées en vue de la mission dont il était chargé ; dans les lettres, la personne de l’apôtre s’efface devant la mission. Et il n’est pas possible de combler, sans examen préalable, les lacunes laissées par les épîtres au moyen des informations dont le livre des Actes est plus prodigue. En effet, il n’est pas sûr que l’auteur des Actes ait été collaborateur et compagnon de voyage de l’apôtre Paul, que l’authenticité de sa relation se trouve garantie par sa qualité de témoin oculaire. Et même si la tradition ecclésiastique 80
avait raison, il reste que, si Luc écrit en tant qu’historien, il est historien dans le sens de l’historiographie antique, et non moderne, que, partant, il s’en faut de beaucoup que la seule exactitude des faits historiques lui serve de norme. Les difficultés devant lesquelles nous situe la seconde source relative à Paul obligent à abandonner le procédé combinatoire courant qui consiste à amalgamer, sans examen préalable, le livre des Actes et les épîtres, à faire parler naïvement les Actes quand les épîtres se taisent. En raison des recherches récentes, on ne peut plus se conformer à la pratique traditionnelle suivant laquelle on considère sans hésitation le livre des Actes comme base pour l’histoire de Paul et on lui coordonne, à l’occasion, les lettres en tant que complément ou illustration bienvenus — pratique qui a brouillé, de façon funeste, les contours du portrait historique de Paul. Il faut donner la préférence aux lettres, sources de première main, adopter une attitude prudente en nous servant du livre des Actes, et apprécier par rapport à la première source les renseignements que nous obtenons ailleurs au sujet de Paul. Tel est le principe de base de la critique historique appliquée à saint Paul, ou principe dit « de Barnikol-Knox » : « Un fait même seulement suggéré dans les lettres possède un statut que l’attestation la plus claire dans les Actes ne peut conférer à un événement inconnu par ailleurs. Nous pouvons, avec les précau81
tions appropriées, utiliser les Actes pour compléter les données autobiographiques des lettres, mais jamais pour les corriger 1. » Commençons par voir comment le principe se vérifie à propos des sources de l’événement de Damas.
Sources de l’événement de Damas L’épisode de Damas est rapporté pas moins de trois fois dans le livre des Actes. En Ac 9, 1-19, Paul, muni des lettres des autorités juives, se trouve en route vers Damas pour y rechercher les chrétiens. À proximité de la ville, il se voit soudainement enveloppé d’une lumière venue du ciel tandis qu’une voix l’interpelle en hébreu. Le persécuteur, ébloui par l’éclat de la lumière qui le frappe, est terrassé. La voix qui l’interpelle est celle du Seigneur que Saul persécute en tourmentant l’Église. Saul ne peut dire qu’une phrase : « Qui es-tu, Seigneur ? » (v. 5). Toute opposition est impossible. Le texte raconte ensuite, dans un contraste saisissant, comment celui qui respirait « menaces et meurtres » (v. 1) doit être maintenant conduit par la main par
1. John KNOX, Chapters in a Life of Paul, New York, Abingdon Press, 1950, p. 32. Cité par Michel Albert HUBAUT, Paul de Tarse, Paris, Desclée, 1989, p. 10.
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ses compagnons de route. Saul est dans une obscurité totale : il est aveugle et le Seigneur l’a laissé dans l’incertitude quant à l’avenir (cf. v. 6). Le récit parle alors d’un disciple du nom d’Ananie qui habite Damas. Dans une vision, le Seigneur lui donne l’ordre d’aller vers Saul, qui se trouve dans une maison dont la situation est minutieusement décrite, et de lui imposer les mains. Dans la même vision, il est révélé à Ananie que Saul l’a vu, dans une vision, venant lui imposer les mains. Ananie est hésitant et s’en ouvre au Seigneur : ce Saul est dangereux pour l’Église. Mais le Seigneur répond qu’il a fait de Saul un instrument de choix pour porter son Nom devant les païens et les Juifs. Le récit s’achève en mentionnant comment Ananie exécute l’ordre du Christ, guérit Paul et lui administre le baptême. En Ac 22, 3-21 et 26, 9-18, l’épisode est rapporté dans un discours par lequel Paul se défend. Dans le premier cas, Paul est accusé, malmené même par des Juifs de la Diaspora, originaires d’Asie mineure. Son discours ne répond pas directement à l’accusation de profanation du Temple portée contre lui, mais essaie de montrer que la mission parmi les païens a été voulue par Dieu. Dans le second cas, le plaidoyer est prononcé devant le gouverneur romain Porcius Festus et le roi Agrippa et sa suite. Des deux côtés, Paul est interrompu. Sa dernière phrase, relative à la mission parmi les païens, déchaîne là une violente co-
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lère parmi les auditeurs juifs, ici la sèche réplique de Festus : « Tu es fou, Paul ! » (Ac 26, 24). La comparaison des trois récits révèle un certain nombre de divergences. Par exemple, l’effet de la vision céleste sur Paul et ses compagnons n’est pas le même des trois côtés. D’après 9, 7 les compagnons entendent la voix, mais sans voir l’interlocuteur. D’après 22, 9 ils voient la lumière, mais n’entendent pas la voix. D’après 9, 7 les compagnons restent debout, stupéfaits (heistèkeisan eneoi, « ils se tenaient debout, sans voix »), Paul tombant à terre. D’après 26, 14 tous ensemble tombent à terre. Trois types d’explication sont a priori possibles. Ou bien on cherche à harmoniser le plus possible les textes et à manifester leur unité profonde. Ou bien, prenant la voie contraire, on met en lumière les divergences et on les explique en recourant à des sources différentes. Ou bien, plus que par la pluralité des traditions, on rend compte des divergences à partir du travail rédactionnel de l’auteur des Actes. Parce que les recherches consacrées aux Actes tendent de plus en plus à cette conclusion que l’on doit partout dans les Actes tenir compte de la liberté avec laquelle Luc a présenté ses matériaux, les exégètes contemporains qui se penchent sur l’événement de Damas — ainsi Gerhard Lohfink que nous suivons ici 2 — sont favorables au troisième 2. Gerhard LOHFINK, La conversion de saint Paul, Paris, Cerf, 1967.
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type d’explication et de moins en moins enclins à distinguer des sources d’origines diverses ou à faire la lecture conservatrice que représente le premier type d’explication. À l’appui de la thèse d’un travail rédactionnel de l’auteur des Actes dans la relation de l’épisode de Damas, on peut avancer de bons arguments. On l’a vu : deux des trois récits qui rapportent la vocation de Paul sont en forme de discours. La libre activité de Luc paraît ici manifeste. On sait qu’il était d’usage à l’époque hellénistique d’entrecouper une composition de discours, de faire tenir des discours aux personnages principaux de l’action afin de donner vie et couleur au récit et d’éclairer tel personnage, telle situation donnée, tel déroulement historique, et que, même dans le cas d’une composition historique, les discours introduits ne rendaient pas exactement des discours effectivement prononcés, mais répondaient à des préoccupations littéraires et herméneutiques. Il est vraisemblable que l’écrivain Luc a suivi l’usage de son époque en rédigeant les Actes où l’on peut dénombrer pas moins de vingt-quatre discours. Voici un des bons indices le confirmant. Il n’est nullement certain, il est même improbable que la transmission des discours des apôtres ait trouvé dans la communauté, contrairement aux paroles de Jésus, une assise (Sitz im Leben). Comment tenir alors que les discours du livre des Actes se85
raient le fidèle reflet de discours prononcés ? Il n’est possible de retenir le mot à mot d’un discours pendant trente ans et davantage, que si, durant cette période, on le redit sans cesse. Non douteuse quand il s’agit de l’élément discursif propre aux deuxième et troisième relations de l’événement de Damas dans le livre des Actes, l’intervention de Luc concerne encore le noyau narratif, à savoir le dialogue entre le Christ et Paul commun aux trois récits de la vocation de Paul. Ce dialogue, qui suit un plan semblable en 9, 4-6 ; 22, 7-10 et 26, 14-16, doit être le résultat de la reprise par Luc d’un modèle de l’Ancien Testament, spécialement dans sa version des Septante 3. Ce qui a été dit suffit pour convaincre de l’importance du travail rédactionnel de Luc. On sait que l’Antiquité disposait de tout un éventail de formules et de motifs pour relater une apparition. Ne peut-on penser que l’auteur des Actes, qui fait appel à des formes littéraires, a puisé dans cet arsenal et que les divergences relatives à l’effet de la vision céleste sur Paul et ses compagnons s’expliquent à partir de là ? Si tantôt on dit que les compagnons entendent la voix, mais sans voir l’interlocuteur, tantôt qu’ils voient la lumière, mais n’entendent pas la voix, on veut signifier en fait une
3. Cf. ibid., p. 77-87.
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même réalité : les compagnons de Paul se rendent bien compte qu’il y a une apparition, mais il leur est impossible d’y participer comme Paul le fait. Si tantôt on dit que les compagnons restent debout, stupéfaits, Paul tombant à terre, tantôt que tous ensemble tombent à terre, on exprime en réalité la même idée, à savoir la puissance de fascination de l’apparition qui saisit non seulement Paul, mais aussi ceux qui l’accompagnent. L’étude de Lohfink montre de façon remarquable que la relation lucanienne concernant Damas, loin d’être un procès-verbal exact des faits, est le résultat d’une interprétation mettant en œuvre des formes littéraires. Aussi, quand il s’agit de rejoindre la réalité historique, convient-il de donner la préférence aux passages des épîtres qui parlent de l’événement de Damas, sans pour autant verser dans une méfiance exagérée à l’endroit des Actes. Le principe dit « de Barnikol-Knox » vaut ici aussi. La difficulté est que Paul, dans ses lettres, mentionne l’événement, qui a pourtant marqué le tournant de sa vie, toujours brièvement et pour ainsi dire en passant. Les deux passages où il est le plus explicite sont : 1 Co 15, 8s et Ga 1, 15s ! Dans le premier, à la fin du credo traditionnel sur les apparitions du Ressuscité, il ajoute : « En tout dernier lieu, il m’est aussi apparu, à moi l’avorton. Car je suis le plus petit des apôtres, moi qui ne suis pas digne d’être appelé apôtre parce que j’ai persécuté 87
l’Église de Dieu. » Dans le second, alors qu’il eût été normal de raconter avec plus de détails comment il avait été appelé, sa qualité d’apôtre se trouvant contestée, il se contente d’une simple allusion placée au détour d’une proposition subordonnée : « Mais, lorsque Celui qui m’a mis à part depuis le sein de ma mère et m’a appelé par sa grâce, a jugé bon de révéler en moi son Fils afin que je l’annonce parmi les païens… ». La discrétion de Paul sur l’apparition qui se trouve à l’origine de sa vocation paraît chose sûre 4.
Un événement de grâce « Il est certain que les procédés littéraires de Luc dans les Actes doivent former le point de départ de toute étude. Leur ignorance a conduit à des reconstitutions pleines de fantaisie ». Ces mots, qui définissent une méthode, sont de Béda Rigaux 5. Nous avons considéré d’abord la relation lucanienne de l’événement de Damas, abondante, haute
4. Même réserve de l’apôtre en 2 Co 12, 1-4, où il parle de ses « visions et révélations ». Il le fait seulement parce qu’il est contraint de se défendre ; il recourt de plus à une anacoluthe qui lui permet de parler de lui-même en employant la troisième personne du singulier (« je connais un homme… ») ; de surcroît, il s’arrête dès le verset 5. 5. Béda RIGAUX, Saint Paul et ses lettres, Paris-Bruges, DDB, 1962, p. 104.
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en couleurs — comme la Conversion de saint Paul sur le chemin de Damas, œuvre du peintre liégeois JeanJoseph Ansiaux (1764-1849) 6 —, et conclu que la précellence doit être accordée aux lettres même si jamais elles n’offrent un rapport tant soit peu détaillé sur le fait qui bouleversa la vie de l’apôtre. Le propos de la présente contribution n’est pas maintenant de faire le bilan des interprétations proposées de l’événement de Damas 7, ni de s’arrêter longuement aux différences entre le livre des Actes et les données des épîtres pauliniennes relatives à la vision de Damas (qui trouvent leur explication dans les points de vue théologiques qui ont orienté le travail de Luc 8), ni non plus d’être exhaustif quant à la nature de cette vision : peut-on l’être 9 ? Simplement, nous voudrions répondre à la question : de quelle conversion s’agit-il 10 ? 6. Le tableau de grandes dimensions, qui se trouve dans le collatéral droit de la cathédrale Saint-Paul à Liège, frappe par la vivacité des tons : cheval blanc, manteau rouge, bouclier jaune… 7. On consultera utilement à ce sujet : Jules CAMBIER, art. « Paul », dans DBS, VII, col. 290-291 ; Charles PERROT, « La vie et l’œuvre de saint Paul », dans Introduction à la Bible, t. 3., vol. 3, p. 34-35 ; et surtout Béda RIGAUX, op. cit., p. 63-97. 8. Pour l’examen de ces différences, voir l’étude déjà citée de Gerhard LOHFINK, p. 28-37 et 122-128. 9. Les pages de Simon LÉGASSE à ce sujet, qui soupèsent un à un chacun des témoignages en commençant par ceux de Paul, montrent à tout le moins que la prudence s’impose. Cf. Paul apôtre. Essai de biographie critique, Cerf et Fides, 1991, p. 59-69. 10. Malgré les réserves de certains et le fait que l’apôtre lui-même, à propos de l’événement de Damas, n’utilise pas le vocabulaire de
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À l’école, « au catéchisme » ou à l’église, il arrive qu’on parle de la conversion de Paul à Damas en termes de conversion morale : Paul était un grand pécheur, mais à un certain moment, ayant compris le mal qu’il faisait, il change de vie ; ou encore, en termes de changement de drapeau, de camp, de parti, d’église : auparavant il servait la Synagogue, maintenant il sert l’Église du Christ qui lui est apparue comme une voie supérieure. Ces façons courantes de voir la conversion de Paul, ces idées reçues, ne sont pas purement fausses : s’il est vrai qu’on ne peut concevoir la conversion de Paul comme un changement de religion, les chrétiens ayant continué à fréquenter les synagogues jusque dans les années 80, ou encore, en termes éthiques, Paul se considérant comme ayant été naguère un Juif au-dessus de tout soupçon (cf. Ph 3, 6), il reste que Paul s’accuse « d’avoir persécuté avec frénésie l’Église de Dieu » (Ga 1, 13 ; cf. aussi v. 23 ; 1 Co 15, 9 ; Ph 3, 6). Mais les lectures habituelles de l’événement de Damas sont réductrices à tout le moins. Nous inspirant librement du petit livre, riche, de Carlo Maria Martini sur Paul, la « conversion », avec bien des auteurs, nous pensons qu’« il n’est pas abusif de parler de conversion » (ainsi Xavier JACQUES, art. « Paul dans les écrits pauliniens et les Actes », dans Dictionnaire de spiritualité, col. 494), tant il est vrai que la conversion, c’est exactement ce mouvement par lequel, allant dans une direction, on s’arrête à un certain moment et on prend un tout autre chemin.
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nous nous proposons de souligner quel renversement réel a signifié la vocation de Paul 11. Il faut partir bien sûr des sources de première main. En Ga 1, 15s, le contexte dans lequel Paul parle de l’événement qui a déterminé sa vie est, dans la ligne des grandes vocations prophétiques (cf. Is 49, 1 ; Jr 1, 5), le dessein de la Providence sur lui, et il présente ce qui lui est arrivé à Damas comme une révélation qui lui a été donnée et comme une mission qui lui a été confiée. À Damas, nous dit-il, il s’est passé quelque chose qui a Dieu pour auteur. Il en résulte que le sujet de la conversion, ce n’est pas Paul, mais plutôt Dieu. Ce n’est pas Paul qui se convertit, mais plutôt Dieu qui le convertit. Les deux façons courantes évoquées de voir la conversion de Paul, en soulignant qu’à partir de Damas Paul change de vie ou de camp, ont tendance à concentrer l’attention sur l’agir de l’homme Paul et à réduire considérablement l’action de Dieu. L’événement de Damas est avant tout un événement de grâce. C’est ce qu’exprime aussi le verset qui suit immédiatement 1 Co 15, 8s : « … ce que je suis, je le dois à la grâce de Dieu… » Et les récits de la vocation de Paul dans les Actes soulignent semblablement que c’est Dieu qui dirige le cours des événements. À proximité de la ville, Saul se voit soudain enve11. Cardinal Carlo Maria MARTINI, Saint Paul face à lui-même, Paris, Médiaspaul, 1984.
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loppé d’une lumière venue du ciel tandis qu’une voix l’interpelle. Ebloui par l’éclat de la lumière qui le frappe, le persécuteur est terrassé (« tombant à terre »). À la voix qui l’interpelle, Saul ne peut répondre que : « Qui es-tu Seigneur ? » Toute opposition est impossible. Puissance irrésistible de Dieu. Et l’utilisation dans le troisième récit d’un proverbe courant dans le monde antique (à la base duquel se trouve cette image empruntée au travail des champs : il est vain, pour une bête de trait, de s’insurger contre le rude aiguillon de son conducteur ; si elle le fait, elle ne parvient qu’à se blesser davantage : cf. 26, 14) souligne de la même manière la puissance irrésistible de Dieu qui a raison de l’homme. L’événement de Damas est un événement qui a Dieu pour auteur, un acte souverain de Dieu, un événement que nous devons approcher avec beaucoup de respect et d’humilité, un événement de grâce, profond, qu’une considération trop extérieure (c’est le cas des deux façons courantes évoquées de voir l’événement de Damas) ne peut pas bien saisir. Pour le rejoindre, il faut l’intériorité de la foi.
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Ce n’est pas Paul qui se convertit, mais plutôt Dieu qui le convertit… Par nous-mêmes nous ne pouvons guère sortir des ornières où notre péché nous enlise. Les ballons que l’on attache au poignet des petits enfants : si on les gonfle avec le souffle de notre bouche, ils ne quittent pas le sol. Par contre, gonflés avec un gaz qui ne vient pas de nous comme l’hélium, ils prennent la direction d’en haut. Pour qu’un voilier avance, il faut bien orienter la voile, la border si on va vers le vent, la larguer si on navigue par vent arrière. Mais quand bien même la voile serait dûment orientée par le barreur, s’il n’y a pas de vent, l’embarcation ne bougera pas. « L’expérience montre que bien souvent la vie morale de l’homme est comme une barque échouée sur une plage d’où la mer s’est retirée. D’elle-même la barque ne peut rejoindre la mer ; elle est clouée au sol. Abandonnée à sa pesanteur, elle est condamnée à l’enlisement dans les sables. À moins que le flux ne vienne lui-même la chercher pour la remettre à flot. Alors soulevée et portée par la vague, elle se remet à voguer ; elle retrouve la liberté et les grands horizons marins. Ainsi en va-t-il de l’homme. Laissé à lui-même, il ne peut rien changer à sa vie ou si peu, prisonnier qu’il est de ses habitudes et de ses pesanteurs. Mais que vienne à lui le flot gratuit de l’amour divin, le voici porté, entraîné dans le courant de la tendresse divine. » Éloi Leclerc, Le Royaume caché, Paris, Desclée de Brouwer, 1987, p. 113-114
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Une conversion à la grâce Quelle a été en Paul l’œuvre de la grâce ? Où l’intervention qui a bouleversé sa vie a-t-elle conduit l’apôtre et d’où le Seigneur l’a-t-il tiré à Damas ? Le passage autobiographique de Ph 3, 4-9 répond à ces questions. Assurément, ces versets ne parlent pas directement de l’événement de Damas, néanmoins ils sont explicites sur un avant et un après, sur une profonde transformation qui doit avoir son origine dans l’événement qui a marqué un tournant dans sa vie. Paul explique que le Seigneur l’a conduit à un total détachement de ce que, jusque là, il considérait comme biens suprêmes. Il écrit : « À cause de lui, j’ai tout perdu et je considère tout cela comme ordures… » (8b). Quelles étaient les valeurs qu’avant sa conversion, Paul tenait pour fondamentales ? Il s’agit de qualités en partie héritées, en partie acquises. Ce sont son appartenance au peuple élu, sa qualité de pharisien, c’est-à-dire de Juif de la stricte observance, sa parfaite justice par rapport à la Loi. Paul dit bien que, par rapport à la Loi, il était « devenu irréprochable » (v. 6). Nous avons la fâcheuse tendance de noircir Paul avant sa conversion. Il y a incontestablement de cela dans les deux façons courantes évoquées de comprendre la conversion de Damas. Mais c’est oublier que Paul était un « type bien », un homme en tous points exemplaire. D’où vient que nous noircissons le tableau de 94
l’homme non encore converti ? C’est à cause de ce que disent les Actes. Le premier récit de la vocation de Paul dans les Actes commence ainsi : « Saul, ne respirant toujours que menaces et meurtres contre les disciples du Seigneur… » (9, 1). Mais il n’est pas sûr que Paul ait joué, dans la persécution de la communauté primitive de Jérusalem, le rôle décisif que l’auteur des Actes lui attribue. En Ga 1, 22, l’apôtre affirme que son visage était « inconnu aux églises du Christ en Judée ». Tant s’en faut que la présentation de Luc soit toujours fidèle à la vérité historique. Il est ainsi douteux que Paul se soit rendu à Damas muni de lettres du grand prêtre pour en ramener, enchaînés, les chrétiens, pour la bonne raison que l’administration romaine n’a jamais concédé au Sanhédrin un pouvoir de juridiction allant au-delà des frontières de Judée, dont Damas est bien loin. Il faut plutôt supposer que Paul y a déployé son activité persécutrice dans le cadre du pouvoir pénal accordé aux communautés synagogales (flagellation, excommunication). Pour cette raison, nous retenons, comme étant plus plausible, que Paul s’est converti non sur le chemin de Damas — comme l’affirment les Actes — mais à Damas même, et qu’il eut la révélation dont parle Ga 1, 16 lorsque lui, qui surpassait bien des compatriotes de son âge en tant que partisan acharné de la tradition de ses pères (cf. Ga 1, 14), persécutait effectivement les chrétiens hellénistiques de Damas, plus 95
ouverts que les « Hébreux » (cf. Ac 6, 1) dans leur manière de vivre et de comprendre le judaïsme. Paul était non seulement un pharisien, mais un « superpharisien ». Quand nous parlons des pharisiens, nous avons aussi tendance à noircir le tableau, à cause de Mt 23. Mais il semble que cette sévère diatribe constitue une exagération et doive se comprendre à partir de la polémique entre l’Église naissante et la Synagogue. Les pharisiens avaient de l’idéal ! Sur le plan politique, ils étaient tout le contraire d’opportunistes, n’hésitant pas à rompre avec le roi, lorsque sa politique prenait une allure trop séculière, ou à braver la colère du terrible Hérode le Grand, qui n’était pas à une exécution près, en refusant le serment de fidélité à César et à son servile lieutenant en Palestine. Religieusement, les pharisiens étaient dévorés par un zèle semblable, hors du commun. Le précepte de prélever la dîme, c’est-à-dire le dixième de tout ce qu’on récolte et gagne, n’était guère observé avec rigueur dans le judaïsme au temps de Jésus. On n’était donc pas sûr qu’une denrée achetée à un marchand avait été soumise à la dîme par le producteur. Pour être certains de ne pas transgresser cette loi de Dieu (cf. Nb 18, 21-24), les pharisiens payaient, eux, la dîme non seulement du revenu de leurs terres mais encore de tout ce qu’ils achetaient ! Il dit vrai le pharisien de la parabole, quand il prie en ces termes : « Je jeûne deux fois par semaine, je paie la dîme de tout ce que je me procure » (Lc 18, 96
12), ou quand il se compare aux autres dans le verset qui précède : « … je ne suis pas comme les autres hommes, qui sont voleurs, malfaisants, adultères, ou encore comme ce collecteur d’impôts ». Pourtant, dit Jésus en conclusion de la parabole, le collecteur d’impôts « redescendit chez lui justifié, et non l’autre » (v. 14). Il faut rendre aux pharisiens la justice qu’on a dite. Soit ! Mais alors qu’est-ce qui en eux les fermait au salut de Dieu ? Et d’où vient que, pour reprendre le mode d’expression des Actes, le Seigneur ait sur la route de Damas renversé de son cheval Paul, le « superpharisien » ? Il y a beaucoup de « je » dans la prière du pharisien susmentionnée. Les pharisiens étaient pleins d’eux-mêmes ; en eux, point de creux où Dieu puisse faire sa demeure. Or disait Jésus : « … je suis venu appeler non pas les justes, mais les pécheurs » (Mc 2, 17 et par.). Il y a du mépris dans le cœur du pharisien de la parabole. Sûrs de leur valeur, les pharisiens regardaient les autres de haut et s’en démarquaient (du reste, le mot « pharisien » signifie « séparé »). Or, se couper des autres, c’est se couper de Dieu. Il y a des chiffres sur les lèvres du pharisien. Les pharisiens pensaient le salut en termes de mérite et de rétribution. Mais l’économie du Royaume, qui est celle de la grâce, ignore tout des comptes et des calculs (cf. en particulier la parabole des ouvriers de la onzième heure en Mt 20, 1-16). 97
Ce qui, en définitive, faussait tout chez les pharisiens, c’était la tentation d’être avec une justice à soi, la tentation de la justice personnelle, la tentation de l’auto-justification : je me sauve moi-même alors que c’est Dieu qui sauve ; je fais moi-même mon salut alors que le salut est donné par grâce. Quand on y cède et que l’on est généreux et zélé, grand est le danger de se présenter devant Dieu en comptabilisant ses bonnes actions, les mains pleines et non les mains vides, comme un riche et non comme un pauvre, et aussi de devenir dur et non miséricordieux vis-à-vis des frères qui n’en font pas autant. Paul souffrait de ce mal subtil. Voici ce qu’en Ph 3, 8b-9 il dit de sa situation après sa conversion : « À cause de lui, j’ai tout perdu et je considère tout cela comme ordures afin de gagner Christ et d’être trouvé en lui, non plus avec une justice à moi, qui vient de la loi, mais avec celle qui vient par la foi au Christ, la justice qui vient de Dieu et s’appuie sur la foi. » Que s’est-il passé à Damas, cette « oasis, à la limite du désert syro-arabique, arrosée par le Nahr Barada […], qui descend de l’Anti-Liban, irrigue la ville puis se perd dans le désert, et par le Nahr el-A’wadj, […] qui jaillit du grand Hermon, au sud de la ville 12 » ? Alors qu’il était plein de lui-même, fort des assurances qu’il tenait de sa naissance, de sa nature 12. Jean-Louis VESCO, En Méditerranée avec l’apôtre Paul, Paris, Cerf, 1972, p. 47.
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ou de ses efforts, Paul est devenu par grâce tout pauvre. Les Actes disent cela admirablement : ses compagnons de route sont amenés à faire avec lui ce qu’on fait avec un tout petit enfant ; ils doivent le prendre par la main : « … c’est en le conduisant par la main que ses compagnons le firent entrer dans Damas » (9, 8). Et deux versets plus haut, il est dit encore que le Seigneur l’a laissé dans une totale incertitude concernant l’avenir… Damas, c’est un événement de grâce, la grâce qui fait capoter, pour son plus grand bien, un « superpharisien ». Damas, c’est une conversion à la grâce par la grâce. Nous nous sommes efforcés de porter un regard en profondeur sur l’événement de Damas, et sans doute percevons-nous maintenant à quel point c’est réduire l’événement de Damas que de parler d’un changement de camp ou encore de dire que Paul, de mauvais qu’il était, serait devenu bon. Ce regard porté en profondeur aura encore eu pour effet de rapprocher Paul de nous. Son drame de pharisien est aussi le nôtre, et la grâce du Seigneur nous travaille comme elle l’a travaillé pour que nous nous dépossédions tout à fait et devenions des pauvres devant Dieu. J’aime encore relever cette façon d’agir touchante du Seigneur. Au moment même où il fait comprendre à Paul : « Tu t’es entièrement trompé », il lui confie le soin de répandre sa Parole, il l’envoie en mission auprès des païens ! C’est de pauvres qu’il a besoin… 99
L’ascenseur remplace le rude escalier de la perfection (d’après sainte Thérèse de Lisieux) Le ciel, c’est bien haut. Le chemin qui y conduit est un haut escalier. Au bas du haut escalier vers le ciel, une première attitude est de se figurer qu’on arrivera à le gravir avec ses propres forces. Le Seigneur a mis en nous des qualités. Mais il arrive qu’on oublie qu’elles viennent de lui. Parfois grisé, enflé par nos talents et nos succès, on se sent fort et on en vient à penser : « Je ne fais pas si mal. Si seulement tous faisaient comme moi… J’aurai bien mérité mon ciel. » On vit alors dans l’illusion car on s’attribue ce qui revient à Dieu. Comme la petite fille, sur l’estrade, avec son papa à qui est décernée une décoration, qui regarde fièrement comme si elle-même venait de recevoir la médaille. Ou encore — pour reprendre une image de Jean de la Fontaine citée par Thérèse — comme l’âne portant les reliques qui croyait que les hommages rendus aux saints s’adressaient à lui (Ms C 19 vo). Aimer Dieu revient alors à vouloir faire beaucoup pour lui, à se dévouer pour mériter son amour, et même à se tuer à la besogne. Avec l’intime conviction que tout dépend de nous. On croit alors sauver le monde et faire son salut. Mais on oublie que c’est Dieu qui sauve. Facilement alors on se croit un juste. Mais quand on se croit juste, cela ferme au salut de Dieu : « Je suis venu, a dit Jésus, appeler non pas les justes, mais les pécheurs » (Mc 2, 17 et par.). Pour nous arracher à cette attitude catastrophique, le Seigneur permet que les héros soient fatigués et même qu’ils trébuchent lourdement. Comme alors on tombe de haut, on
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se fait bien mal. On en vient à penser : « Quel incapable je fais ! » Et même on se fâche contre soi. Survient le découragement. La deuxième attitude au pied de l’escalier vers le ciel est la dépression spirituelle : « Je n’y arriverai jamais ». Cette fois on est amené à plus de vérité sur soi-même. Mais ici encore on table sur ses propres forces. « Je n’y arriverai jamais » : le moi est toujours envahissant. C’est toujours de l’orgueil. Le découragement, pourrait-on dire, c’est de l’orgueil non dans la griserie, mais dans la dépression. La troisième attitude au pied du haut escalier vers le ciel est celle du petit enfant qui se sent petit devant le grand escalier, mais qui ne se désole pas de sa petitesse, qui ne se décourage pas, qui inlassablement lève son petit pied pour essayer de gravir la première marche, parce que certain que son Père, qui est au-dessus de l’escalier et qu’il regarde tout confiant, va venir le prendre dans ses bras pour l’élever jusqu’en haut à la manière d’un ascenseur. Thérèse disait : « L’ascenseur qui doit m’élever vers le ciel, ce sont vos bras, ô Jésus ! Pour cela je n’ai pas besoin de grandir, au contraire il faut que je reste petite, que je le devienne de plus en plus » (Ms C 3 ro). Car les tout petits enfants, on ne les laisse pas marcher seuls : on les porte dans ses bras (cf. CS p. 39). L’important et le difficile — ajoutait-elle encore (cf. par exemple CS, p. 18) — est de rester petit et de le rester joyeusement. Pas seulement consentir à ses limites et faire la paix avec ses imperfections, mais se réjouir d’être sans forces et sans provisions. Parce que « plus on est faible […], plus on est propre aux opérations de son Amour consumant et transformant » (LT 197), ou encore — pour le dire avec saint Paul — parce que « sa puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse » (2 Co 12, 9).
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La seconde conversion de Paul La deuxième lettre aux Corinthiens, qui est en fait la quatrième et abonde en enseignements sur le ministère apostolique, a été écrite par Paul au cours du troisième voyage missionnaire dont parle le livre des Actes, plus précisément peu après le long séjour qu’il fit à Ephèse, soit vingt à vingt-cinq ans après sa conversion. Aux versets 8 et 9 du chapitre 1, on peut lire ce qui suit : « … nous ne voulons pas que vous l’ignoriez, frères : la tribulation qui nous est survenue en Asie nous a accablés à l’excès, au-delà de nos forces, à tel point que nous désespérions même de conserver la vie. Vraiment, nous avons porté en nous-mêmes notre arrêt de mort, afin d’apprendre à ne pas mettre notre confiance en nous-mêmes mais en Dieu, qui ressuscite les morts. » Nous avons cité la Bible de Jérusalem, plus proche du grec que la Traduction œcuménique de la Bible. Que suggère ce passage ? D’abord, que Paul a dû apprendre toujours à nouveau à mettre sa confiance non en lui-même, mais en Dieu, en d’autres mots, que la conversion de Damas a été suivie d’autres conversions. Ensuite, que c’est l’épreuve qui a achevé la purification de l’apôtre 13.
13. Ici encore, notre source d’inspiration, et parfois notre guide, est le livre du cardinal Martini cité supra, dans lequel cet exégète chevronné reconstruit l’itinéraire spirituel de Paul.
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Paul a souffert, beaucoup souffert, au point d’en pleurer. En faisant ses adieux aux anciens d’Éphèse qu’il a convoqués à Milet, il leur confie : « J’ai servi le Seigneur […] dans les larmes… », et encore : « … nuit et jour pendant trois ans, je n’ai pas cessé, dans les larmes, de conseiller chacun d’entre vous » (Ac 20, 19.31). Dans la deuxième aux Corinthiens, faisant référence à une lettre écrite avant la seconde lettre canonique, il dit : « … c’est en pleine difficulté et le cœur serré que je vous ai écrit parmi bien des larmes… » (2 Co 2, 4). Un peu plus loin dans la même lettre, dans un passage où il se défend contre des adversaires qui ont opéré un travail de sape contre son ministère et se targuent de leur ascendance juive, il évoque ainsi les souffrances endurées : « Ils sont hébreux ? moi aussi ! Israélites ? moi aussi ! de la descendance d’Abraham ? moi aussi ! Ministres du Christ ? — je vais dire une folie — moi bien plus ! Dans les fatigues — bien davantage, dans les prisons — bien davantage, sous les coups — infiniment plus, dans les dangers de mort — bien des fois ! Des Juifs, j’ai reçu cinq fois les trenteneuf coups, trois fois j’ai été flagellé, une fois lapidé, trois fois j’ai fait naufrage, j’ai passé un jour et une nuit sur l’abîme. Voyages à pied, souvent, dangers des fleuves, dangers des brigands, dangers de mes frères de race, dangers des païens, dangers dans la ville, dangers dans le désert, dangers sur mer, dangers des faux frères ! Fatigues et peine, 103
veilles souvent ; faim et soif, jeûne souvent ; froid et dénuement ; sans compter tout le reste, ma préoccupation quotidienne, le souci de toutes les églises » (2 Co 11, 22-28). Je cite encore trois versets du chapitre qui suit : « … pour m’éviter tout orgueil, il a été mis une écharde dans ma chair, un ange de Satan chargé de me frapper, pour m’éviter tout orgueil. À ce sujet, par trois fois, j’ai prié le Seigneur de l’écarter de moi. Mais il m’a déclaré : “Ma grâce te suffit ; ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse”… » (2 Co 12, 7-9). On a beaucoup discuté sur la nature de cette écharde dans la chair de Paul. Les auteurs pensent le plus souvent à une maladie chronique comme la malaria, aux accès pernicieux (que Paul aurait contractée, au cours du « premier » voyage missionnaire, dans la région insalubre de Pergé en Pamphylie 14 ?). Quoi qu’il en soit, il doit s’agir d’un mal qui ne vous lâche pas,
14. Nous avons placé le mot premier entre guillemets parce qu’avec d’autres auteurs, nous pensons que le premier voyage missionnaire dont parlent les Actes a été précédé d’autres. C’est probablement une erreur de penser qu’après sa conversion, Paul se serait préparé en Arabie, dans une solitude monacale, à son activité ultérieure : comment celui qui attendait une venue prochaine du Seigneur (cf. 1 Th 4, 15) aurait-il pu ajourner pendant trois ans (cf. Ga 1, 18) l’accomplissement de la mission dont il était chargé ? Il convient de supposer, même si cela n’est pas explicité, que dans cette région, qui comprenait des villes hellénistiques telles que Pétra, Gérasa et Philadelphie, Paul a déjà annoncé l’Évangile.
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d’une croix non choisie, de la croix dont justement vous ne vouliez pas… Avec Carlo Maria Martini, je m’arrête plus longuement sur un épisode douloureux de la vie de Paul, sa rupture avec Barnabé, qui voit se briser une solide amitié 15. Plus profond est l’attachement, plus profonde est la douleur de la rupture. C’est pourquoi quand les liens forts de l’union conjugale se dénouent, quel déchirement, quel abîme de souffrance ! De Barnabé, dans les Actes, il est question pour la première fois à la fin du chapitre 4 : « … Joseph, surnommé Barnabas par les apôtres — ce qui signifie l’homme du réconfort — possédait un champ. C’était un lévite, originaire de Chypre. Il vendit son champ, en apporta le montant et le déposa aux pieds des apôtres » (Ac 4, 36s). S’il a reçu ce surnom, c’est peut-être « à cause de sa charité et de son pouvoir de lire dans les âmes » (Mgr Holzner 16) ou parce qu’« à une époque où la communauté ne représentait encore rien, où elle n’était qu’un minuscule groupement d’hommes qui pouvaient passer pour des fanatiques, lui, Barnabé, a cru, s’est dépouillé de tout et s’est résolument rangé aux côtés des apôtres et du Christ » (Mgr Martini, p. 94). Plus loin, le livre des Actes nous dit que Barnabé, devenu figure de proue de l’Église d’Antioche (il est 15. Cf. p. 92-109. 16. Joseph HOLZNER, Paul de Tarse, Paris, Éd. Alsatia, 1952, p. 71.
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cité en premier en Ac 13, 1), alla chercher Paul à Tarse (11, 25). Le verset qui suit évoque la collaboration entre les deux hommes : « Ils passèrent une année entière à travailler ensemble dans cette église et à instruire une foule considérable. » Paul et Barnabé sont ensuite compagnons de voyage. Les missionnaires rencontrent bien des difficultés. À peine, venant de l’île de Chypre, ont-ils débarqué à Pergé que le jeune Jean-Marc les abandonne. Pour se rendre à Antioche de Pisidie, ville située au nord de la première et séparée d’elle par quelque deux cents kilomètres, il fallait traverser des gorges profondes, repaires de brigands. Plusieurs fois, on oppose des injures aux paroles des missionnaires. Un même scénario se reproduit bien des fois dans les villes où ils proclament la Bonne Nouvelle : ils sont chassés comme des malpropres. Toutes ces difficultés ont dû tisser des liens très profonds entre Paul et Barnabé. On imagine quel terrible déchirement dut éprouver Barnabé lorsqu’à Lystre il se pencha en pleurant sur l’ami qu’il croyait mort (cf. Ac 14, 19). C’est toujours ensemble que Paul et Barnabé se rendent à l’assemblée de Jérusalem. Telle fut l’occasion de celle-ci : des judéo-chrétiens venus de Judée ont fait irruption dans la communauté d’Antioche et exigé la circoncision des pagano-chrétiens. À Jérusalem, Paul leur oppose « la vérité de l’Évangile » (Ga 2, 5), l’Évangile de Dieu qu’il a reçu à Damas et qui signifie la disqualification de la Loi. S’il en est ainsi, 106
peut-on exiger des païens qui se convertissent qu’ils soient circoncis ? Subordonner le salut à la circoncision, ce serait provoquer Dieu. On peut toutefois présumer que, dans l’accord des « colonnes », l’œuvre prodigieuse accomplie par Dieu auprès des païens a eu une part plus importante que les arguments théologiques développés par Paul (cf. Ga 2, 7), et que, pour les communautés judéo-chrétiennes, l’exigence de la circoncision est restée en vigueur. La relation de l’assemblée de Jérusalem donnée par les Actes montre les deux amis pleinement d’accord, agissant en parfaite concertation. Mais vers la fin du chapitre 15 apparaît le drame de la rupture (cf. Ac 15, 36-40). Le mot grec pour exprimer la consommation de celle-ci est paroxysmos, un mot qui a donné en français « paroxysme ». Le cardinal Martini fait le rapprochement que voici. Sous la plume de l’apôtre, on trouve le mot une seule fois, là où il définit ce que doit être la charité. La charité, écrit Paul, ou paroxynetai, « ne s’irrite pas » (1 Co 13, 5). Il n’est pas impossible que Paul, repensant à sa discussion avec Barnabé, confesse « qu’il lui est arrivé à lui aussi de se laisser entraîner à ces excès et qu’il n’a pas été capable de se contrôler lors de sa discussion avec Barnabé » (p. 102). « La charité ne s’irrite pas »… Quand bien même aurait-on raison, le bon droit de son côté, rien ne peut autoriser une attitude dure et peu fraternelle. 107
Que s’est-il passé entre Paul et Barnabé ? Le livre des Actes nous dit qu’il y a eu une divergence de vues à propos d’un collaborateur. Celui-ci convenait à Barnabé, mais non à Paul. Même si on considère que Jean-Marc était le cousin de Barnabé (cf. Col 4, 10) et qu’en prenant son parti Barnabé défendait l’honneur familial, on a peine à croire qu’une divergence de vues à propos d’un collaborateur ait pu conduire à un divorce deux hommes que les difficultés de la première mission avaient unis pour le meilleur et le pire. Il est établi que l’auteur du livre des Actes, soucieux de souligner l’unanimité et l’harmonie qui régnaient dans la communauté primitive, a tendance à minimiser, voire à passer sous silence les conflits. Ainsi il ne dit rien du conflit d’Antioche, qui a opposé « ouvertement » Paul et Pierre (cf. Ga 2, 11). Il est permis de penser qu’il y eut une autre raison, cachée, au conflit entre Paul et Barnabé. Cette raison pourrait être psychologique. Quand on lit le récit du premier voyage missionnaire, on remarque un changement dans la direction de la mission. Au début, c’est Barnabé qui est cité en premier : « Un jour qu’ils célébraient le culte du Seigneur et qu’ils jeûnaient, l’Esprit Saint dit : “Réservez-moi donc Barnabas et Saul pour l’œuvre à laquelle je les ai appelés” » (Ac 13, 2). Barnabé est le chef de l’expédition, et Saul l’adjoint. Mais très rapidement, dans cette mission, la personnalité de 108
Paul commence à émerger : « Paul et ses compagnons s’embarquèrent à Paphos et gagnèrent Pergé en Pamphylie » (Ac 13, 13a) ; Barnabé est déjà ramené au rang de « compagnon de Paul » ! Quelques versets plus loin est relaté le premier grand discours de la mission (à Antioche de Pisidie) ; il est attribué à Paul et non à Barnabé : « Paul […] se leva, fit signe de la main et dit : Israélites… » (Ac 13, 16). Cette inversion des rôles a pu engendrer une difficulté psychologique, et peut-être Barnabé, personnalité marquante à Antioche, a-t-il hésité à repartir avec celui dont la personnalité, en s’imposant, l’avait relégué au second plan. On peut encore penser à une autre raison cachée du conflit, théologique, doctrinale cette fois. « Mais, lorsque Céphas vint à Antioche, je me suis opposé à lui ouvertement, car il s’était mis dans son tort. En effet, avant que soient venus des gens de l’entourage de Jacques, il prenait ses repas avec les païens ; mais, après leur arrivée, il se mit à se dérober et se tint à l’écart, par crainte des circoncis ; et les autres Juifs entrèrent dans son jeu, de sorte que Barnabas luimême fut entraîné dans leur duplicité » (Ga 2, 1113). Ce passage nous apprend qu’après l’assemblée de Jérusalem, un conflit ouvert entre Pierre et Paul a éclaté à Antioche, parce que Pierre opérait une sorte de courbe rentrante, entraînant à sa suite bien d’autres Juifs dont Barnabé. Que s’est-il passé alors à Antioche ? 109
Lors d’un séjour dans la communauté composée de judéo-chrétiens hellénistiques (libéraux) et de pagano-chrétiens, Pierre a commencé par prendre part aux repas pris en commun, jusqu’au jour où arrivent de Jérusalem des gens de l’entourage de Jacques qui l’interpellent sur son comportement : « Tu es toujours soumis à la Loi de Moïse ; l’assemblée de Jérusalem n’a pas déclaré la Loi chose indifférente au salut. Et cette Loi interdit de s’asseoir à la même table que les païens. » Pierre est intimidé, et lui, qui n’était pas le premier venu dans l’Église primitive, entraîne à sa suite les Juifs de la communauté d’Antioche. En conséquence, est à nouveau creusé le fossé entre Juifs et païens que le Christ avait définitivement comblé : « Il n’y a plus ni Juif, ni Grec… » (Ga 3, 28). Paul fulmine. Le mot n’est pas trop fort. Il accuse Pierre de duplicité. Pour la défense de Pierre, il faut dire qu’on peut comprendre sa double attitude. Au début, il n’hésite pas à participer aux repas fraternels qui réunissent tous les chrétiens d’Antioche. Puis, quand on évoque devant lui la Loi et l’autorité de l’assemblée de Jérusalem, il réalise l’erreur de son premier mouvement. Il est pourtant clair que Paul a raison. On ne peut vivre sa foi en frères séparés. Ah ! si on avait écouté un peu plus Paul à l’assemblée de Jérusalem, on aurait évité les difficultés funestes qui apparaissent maintenant. Paul avait dit que telle était la vérité de l’Évangile : 110
ce n’est pas l’observance de la Loi de Moïse qui sauve mais la foi en Jésus Christ ; conséquemment, la circoncision et la Loi ne sont pas nécessaires au salut. Au nom de la même vérité de l’Évangile, il dit maintenant avec force : on ne peut arguer de la Loi à laquelle seraient soumis les judéo-chrétiens pour les forcer à vivre leur existence chrétienne en frères séparés. Paul est isolé, complètement isolé. En conflit ouvert avec Pierre, avec les gens de l’entourage de Jacques, lâché aussi par Barnabé, qui, à l’assemblée de Jérusalem, partageait complètement ses vues. Pourtant, Paul a raison. Son point de vue finira par s’imposer, mais plus tard. Il n’est pas trop fort de parler du génie de Paul. Dans l’Église primitive, il eut une vision incontestablement plus profonde, plus pénétrante, supérieure de l’Évangile de Dieu. Isolé bien qu’ayant raison, il ne provoquera néanmoins pas un schisme. À la fin des deux voyages missionnaires qui suivent le conflit d’Antioche, il retournera chaque fois à Jérusalem, soucieux de l’unité de l’Église, mais sans jamais transiger sur la vérité de l’Évangile. Je reviens sur les difficultés de Paul avec ses frères dans la foi. Saint François de Sales, ce saint expert en humanité, a écrit ceci : « Comme les piqûres d’abeilles sont plus cuisantes que celles des mouches, ainsi le mal que l’on reçoit des gens de bien, et les contradictions qu’ils font sont bien plus 111
insupportables que les autres 17 ». Les conflits de Paul avec ses frères dans la foi, en particulier avec Barnabé, l’ami, ont dû le faire bien plus souffrir que ses controverses avec les adversaires. Paul avait un tempérament aussi affectueux que bouillant. Sa capacité d’aimer est surtout manifeste dans la lettre aux Philippiens, qui est un cœur à cœur entre l’apôtre et ceux qu’il a engendrés dans la foi : « … je vous porte dans mon cœur […] je vous chéris tous dans la tendresse de Jésus Christ » (1, 7s). Paul était lié à Barnabé par une amitié profonde. De tels liens ne se sont pas déchirés sans que son cœur n’ait saigné, abondamment. Quand saigne le cœur de l’homme, saigne aussi le cœur de Dieu. Quand l’homme souffre, Dieu souffre la souffrance de l’homme, parce qu’il habite celle-ci. Et parce que Dieu habite la souffrance de l’homme, cette dernière peut être un temps de grâce, si du moins le cœur de l’homme se laisse travailler, buriner par la grâce de Dieu. Une phrase du cardinal Etchegaray m’a beaucoup aidé et continue à m’aider beaucoup dans les moments difficiles. Je l’ai trouvée dans son petit livre Dieu à Marseille : « À certains moments, il ne s’agit plus de se poser des problèmes ou de se cogner la tête ; il s’agit simplement de se tenir debout sans broncher devant Dieu, comme la montagne dans la nuit, chargée d’éclairs, 17. Saint François de SALES, Introduction à la vie dévote, III, 3.
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entièrement occupée à recevoir l’eau et le feu du ciel et à s’en laisser purifier 18. » Comme le suggère 2 Co 1, 8s, dont nous sommes partis, les souffrances de Paul après Damas ont achevé de le purifier.
L’apôtre « configuré » à son Seigneur On peut penser qu’après l’expérience spirituelle très forte de Damas, Paul a retrouvé sa nature et, maintes fois, a été tenté de placer sa confiance en lui-même, dans ses œuvres. Alors, à travers des déboires, des nuits et des larmes, le Seigneur libère son cœur de tout ce qui pourrait être succès personnel, du découragement aussi, qui, au fond, est de l’orgueil non dans la griserie, mais dans la dépression. Dieu fait comprendre à son apôtre que, s’il est rejeté ou n’aboutit pas selon son désir, cela ne doit pas se transformer en problème personnel, en découragement et en abandon. C’est un apôtre purifié par la grâce de Dieu qui écrit au milieu des pires difficultés : « Pressés de toute part, nous ne sommes pas écrasés ; dans des impasses, mais nous arrivons à passer ; pourchassés, mais non rejoints ; terrassés, mais non achevés » (2 Co 4, 8-9). C’est un apôtre qui a mis toute sa confiance en Celui dont l’amour est tout18. Roger ETCHEGARAY, Dieu à Marseille, Paris, Cerf, 1976, p. 112-113.
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puissant quand il entonne ce chant sublime : « Qui nous séparera de l’amour du Christ ? La détresse, l’angoisse, la persécution, la faim, le dénuement, le danger, le glaive ? Mais en tout cela, nous sommes plus que vainqueurs par Celui qui nous a aimés. Oui, j’en ai l’assurance : ni la mort ni la vie, ni les anges ni les dominations, ni le présent ni l’avenir, ni les puissances, ni les forces des hauteurs ni celles des profondeurs, ni aucune créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Jésus Christ notre Seigneur » (Rm 8, 35.37-39). Et c’est un apôtre non seulement pauvre mais encore joyeux de l’être qui écrit ces mots, peut-être les plus profonds de tout le Nouveau Testament : « Donc je me complais dans les faiblesses, les insultes, les contraintes, les persécutions, et les angoisses pour Christ ! Car lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort » (2 Co 12, 10). Au creux de la souffrance provoquée par la rupture avec Barnabé, l’ami, la grâce de Dieu a dû affiner, décanter et mûrir l’amitié de Paul pour le Christ. « Pour moi, vivre, c’est Christ… » (Ph 1, 21) : cette phrase ne peut jaillir que d’un cœur pour lequel le Seigneur est vraiment tout. Et puis, il y a Ga 2, 20a, où Paul dit : « Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi. » C’est un indice sûr de la sainteté de l’apôtre. Être saint, n’est-ce pas laisser en soi toute la place à Dieu, qui seul est saint ? Les souffrances de Paul, les nombreuses souffrances de Paul, ont été celles d’un enfantement. 114
Une remarque encore : ce que le Nouveau Testament dit des dernières années de Paul, celles de sa Passion, présente de notables points communs avec les derniers jours de Jésus. Discours d’adieu de Jésus en Jn 13 – 17 et discours d’adieu de Paul en Ac 20, 18-35 (ce sont les deux seuls discours d’adieu du Nouveau Testament). L’arrestation de Jésus comme celle de Paul (cf. Ac 21, 27ss) est une injustice. Si l’on se saisit de Jésus au jardin de Gethsémani, c’est dû à la trahison, par un baiser, de Judas ; si l’on se saisit de Paul dans le Temple de Jérusalem, ce pourrait être dû aussi à une trahison de frères. Tous les amis de Jésus s’enfuient, seul Pierre le suit de loin et finit par le renier ; à en croire 2 Tm 4, 16, Paul a connu le même abandon de tous. Dans le procès de l’un et l’autre, sous une apparence de justice, ce sont des intérêts personnels qui se donnent libre cours (pour Paul, lire sa comparution devant le procurateur Félix à la fin de Ac 24). Les deux procès aboutissent à l’exécution capitale : pour Jésus, la croix infâmante, pour Paul, le glaive aux Tre Fontane sur la via Ostiense — au cours de la cruelle persécution déclenchée contre les chrétiens au lendemain de l’immense incendie de Rome de 64 19 ? Ne peut-on voir dans ces points communs la célébration par le Nouveau Testament de ce que désormais ce n’est plus Paul qui vit mais le Christ qui 19. Voir à ce sujet Carlo Maria Martini, op. cit., p. 128-145.
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vit en lui ? Il est beau de voir deux époux chargés d’années que l’épreuve du temps a rendus semblables jusque dans les plus petits détails. Et il est beau de voir un apôtre que le creuset de la souffrance a accordé, assorti, et « configuré » à son Seigneur… + Pierre Warin, Évêque auxiliaire de Namur
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Prière : la conversion de Paul et la nôtre Seigneur, en vérité, je suis si faible, si petit, si pauvre. Pour que je puisse aimer mon conjoint, mes enfants, les hommes et les femmes comme tu le demandes, pour que je puisse aimer sans exclusive, sans restriction, sans mesure comme toi-même aimes, viens habiter en moi avec ton amour brûlant. Un amour que tu m’offres, si je le veux bien, chaque fois que je m’approche, pour le recevoir, du pain eucharistique. Seigneur, il n’est pas facile d’être patient, de supporter les défauts des autres, ce qu’ils me font parfois endurer, les petites piqûres d’aiguille de chaque jour. Je veux m’appuyer sur ta patience, toi qui ne te précipites pas pour arracher l’ivraie, mais la laisses croître ensemble avec le bon blé jusqu’à la moisson, toi qui crois passionnément qu’un plus est toujours possible en l’autre, toi qui inlassablement rouvres un avenir à l’homme qui vient à fauter. Seigneur, la fidélité n’est pas chose aisée aujourd’hui : il y a tant de défections, tant d’attelages qui se défont. Pour rester fidèle, pour vivre l’amour dans la durée, je veux compter avant tout sur la grâce reçue de toi le jour de notre mariage, le jour de ma profession solennelle, le jour de mon ordination de prêtre. Apprends-moi, à la suite de Paul de Tarse, à mettre ma confiance en ta grâce, en toi. Et lorsqu’au soir de ma vie, viendra le jour de passer sur l’autre rive où tu m’attends, donne-moi, Seigneur, quand bien même j’aurais commis tous les péchés qui se peuvent commettre, d’aller avec la même confiance me jeter dans tes bras…
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Abréviations des lettres pauliniennes Nous avons suivi le système abréviatif adopté par la Bible de Jérusalem : Romains ........................................................Rm 1 Corinthiens ................................................1 Co 2 Corinthiens ................................................2 Co Galates............................................................Ga Éphésiens ......................................................Ep Philippiens ....................................................Ph Colossiens ....................................................Col 1 Thessaloniciens ..........................................1 Th 2 Thessaloniciens ..........................................2 Th 1 Timothée ....................................................1 Tm 2 Timothée ....................................................2 Tm Tite ................................................................Tt Philémon ......................................................Phm
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Repères chronologiques VIE DE PAUL 10 ? Naissance à Tarse, en Cilicie (Turquie d’Asie), de parents juifs. 30 ? À Jérusalem, étudie la théologie juive (école rabbinique) après avoir appris le métier de tisseur de tentes. 37 ? Conversion sur le chemin de Damas (Ac 9, 1-6). 37-43 Séjour à Damas, puis en Arabie, puis à Tarse. 43-44 Se rend à Antioche avec Barnabé (Ac 11, 25-26). 44 Paul et Barnabé vont à Jérusalem. 45-49 Premier voyage missionnaire (Ac 13, 4 – 14, 27). 49 Assemblée (ou concile) de Jérusalem (Ac 15, 1-8). 50-52 Deuxième voyage missionnaire (Ac 15, 40 – 18, 22). Lettres aux Thessaloniciens. 53-58 Troisième voyage missionnaire (Ac 18, 23 – 21, 35). Lettres aux Corinthiens, Galates, Philippiens, Romains. Juin 58 Arrestation à Jérusalem (Ac 21, 27-36). 58-60 Prison à Césarée maritime (Ac 23, 32 – 26, 32). 120
60 Toujours prisonnier, il est emmené à Rome (Ac 27, 1 – 28, 16). 61-63 Résidence surveillée à Rome. Lettres aux Colossiens, à Philémon, aux Éphésiens ? 63 ? Mise en liberté ? 67 ? Deuxième captivité à Rome ? Lettres à Tite et à Timothée ? Martyre (ou en 64 ?)
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Petit lexique - ACTES DES APÔTRES : récit de saint Luc faisant suite aux évangiles ; il relate les débuts de l’évangélisation chrétienne. - APOSTOLIQUE : d’un verbe signifiant l’envoi ; relatif à l’apostolat, à l’apôtre, « l’envoyé » du Christ. - CANON DES ÉCRITURES : liste des écrits reconnus « inspirés » et repris dans la Bible ; voir p. 37. - CORPUS PAULINIEN : ensemble des 13 lettres du Nouveau Testament à l’enseigne de Paul ; voir p. 43. - DEUTÉROPAULINIEN : qualifie les lettres « pauliniennes » qui seraient en fait écrites par des disciples de Paul ; voir p. 79. - DIASPORA : « dispersion » : les Juifs résidant en dehors d’Israël. - DIDRACHME : monnaie antique (1⁄10 de drachme) servant à l’impôt religieux juif. - DOXOLOGIE : formule finale de louange liturgique, glorifiant Dieu. - ÉPÎTRE : lettre (de Paul, Pierre, etc.) ; voir p. 39. - EXÉGÈSE : étude rigoureuse (textuelle, historique) des écrits bibliques. - GENTILS : au sens religieux : les non-Juifs, les « Nations ». - HELLÉNISTIQUE : relatif à la culture et la langue grecques. - JUDÉO-CHRÉTIEN : chrétien venant du judaïsme.
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- JUSTIFICATION : chez Paul, le salut par grâce de Dieu dans le Christ. - MESSIE ou CHRIST : « oint » (consacré par Dieu) : le sauveur qu’attend ou attendait Israël. - MONOTHÉISTE : relatif à la foi en un Dieu unique. - MOSAÏQUE : relatif à Moïse et à la Loi reçue de Dieu à travers lui. - NOUVEAU TESTAMENT : seconde partie de la Bible, constituée des écrits chrétiens : Évangiles, Actes des Apôtres, Lettres, Apocalypse. - PAGANO-CHRÉTIEN : chrétien venu du monde nonjuif. - PARÉNÉTIQUE : de contenu et de tonalité exhortatifs pour la vie chrétienne. - PAROUSIE : retour en gloire du Seigneur Jésus au terme de l’histoire humaine. - PÈRES APOSTOLIQUES : écrivains chrétiens proches du temps des Apôtres (fin 1er s., début 2e s.). - PHARISIEN : membre d’un groupe religieux juif zélé ; voir p. 14. - PROSÉLYTE : païen qui a embrassé la religion juive. - PSEUDÉPIGRAPHIE : procédé connu consistant à écrire sous le nom d’un autre ; voir p. 42. - RHÉTORIQUE : art précis du discours argumenté et persuasif ; voir p. 46-47. - SANHÉDRIN : instance juridique et spirituelle suprême du judaïsme. - SCRIBES : Juifs spécialistes de l’Écriture Sainte.
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- SÉMITIQUE : groupe socio-linguistique (dont l’hébreu, l’araméen, le syriaque, l’arabe…). - SEPTANTE (LXX) : version grecque de la Bible ; voir p. 13. - THÉOLOGAL : relatif à Dieu ; « VERTUS THÉOLOGALES » : vécues par grâce de Dieu (la foi, l’espérance et la charité). - TOB : « Traduction œcuménique de la Bible », commune à diverses confessions chrétiennes.
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Bibliographie Paul BONY, Saint Paul… tout simplement, Paris, Éd. de l’Atelier et Éd. ouvrières, 1996, 208 p. — S’appuie sur 1 et 2 Co, Ga, Rm ; thématique ; didactique. ◆ Édouard COTHENET, « Saint Paul en son temps », Cahier Évangiles 26, Paris, Cerf, 1985, 83 p. — Riche ; clair ; par un exégète apprécié. N.B. : Les Cahiers Évangiles sur les diverses Lettres sont précieux. ◆ Charles DELHEZ, Réjouissez-vous ! Textes choisis de saint Paul, Namur, Fidélité, 2008, 144 p. ◆ Pierre GIBERT, Apprendre à lire saint Paul, Paris, DDB, « Croire aujourd’hui », 1981, 156 p. — Repères puis approche thématique (Ga, Rm et 1 et 2 Co surtout). ◆ Jacques GUILLET, Paul, l’apôtre des nations, Paris, Bayard, 2002, 184 p. — Beau parcours décanté, à partir d’articles pour un large public. ◆ Michel A. HUBAUT, Paul de Tarse, Paris, Desclée, « Bibliothèque d’histoire du christianisme » 18, 1989, 143 p. — Bonne première approche ; visée pédagogique ; nombreux encadrés. ◆ Daniel MARGUERAT, Paul de Tarse, un homme aux prises avec Dieu, Poliez-le-Grand, Éd. du Moulin, 2002, 112 p. — Par un exégète protestant ; bref ; pertinent ; très accessible. ◆ Cardinal Carlo Maria MARTINI, Saint Paul face à luimême, Paris, Médiaspaul, coll. « Maranatha » no 3, 1984, 158 p. ◆
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Jean-Michel POFFET, Paul de Tarse, Nouvelle Cité et Prier Témoigner, coll. « Regards », 1998, 160 p. — Un portrait spirituel de l’Apôtre, à partir des sept lettres « incontestées ». ◆ Michel QUESNEL, Paul et les commencements du christianisme, Paris, DDB, 2001, 149 p. — Réhabilite un Paul trop caricaturé ; introduit à sa vie et ses écrits. ◆ Claude TASSIN, Saint Paul, homme de prière, Paris, Éd. de l’Atelier, 2003, 103 p. — À partir de passages où Paul rend compte de sa prière. ◆ Étienne TROCMÉ, Saint Paul, Paris, PUF, « Que sais-je ? » 3662, 2003, 127 p. — Par un connaisseur des origines chrétiennes. ◆ « Paul de Tarse », Le Monde de la Bible 123, 1999, p. 1-69. — Par divers contributeurs ; quelques approches ; richement illustré. ◆
PLUS DÉVELOPPÉS ◆ Alain DECAUX, L’avorton de Dieu. Une vie de saint Paul, Paris, Perrin et DDB, 2003, 333 p. — Pour grand public mais bien documenté ; biographie suggestive ; théologiquement plus élémentaire. ◆ Jerome MURPHY-O’CONNOR, Histoire de Paul de Tarse. Le voyageur du Christ, Paris, Cerf, 2004, 315 p. — Par un bon spécialiste ; plus scientifique ; richement informé ; certaines options hardies.
Table des matières Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 1. 2. 3. 4.
Une vie avec Dieu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 Les lettres de Paul . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33 Un visage multiple . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53 La première et la seconde conversion de Paul . . . 79
Prière : La conversion de Paul et la nôtre . . . . . . . . 117 Abréviations des lettres pauliniennes . . . . . . . . . . 119 Repères chronologiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 120 Petit lexique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122 Bibliographie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125
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2e édition achevée d’imprimer le 20 octobre 2008 sur les presses de l’imprimerie Bietlot, à 6060 Gilly (Belgique)
Mgr Pierre Warin Philippe Wargnies
Mgr Pierre Warin Philippe Wargnies
On le lit presque chaque dimanche à la messe, mais on ne le comprend guère… C’est peut-être pourquoi Benoît XVI a annoncé une « année jubilaire saint Paul » en 2008 – 2009. Elle marque le bimillénaire de la naissance de l’apôtre, que l’on situe généralement entre 7 et 10 ap. J.-C. Qui est l’apôtre des nations aux nombreux voyages apostoliques ? Pourquoi a-t-il écrit tant de lettres aux noms étranges ? Comment lire ces lettres ? À partir des données récentes de la recherche, Philippe Wargnies, jésuite, et Mgr Pierre Warin, évêque auxiliaire de Namur, retracent la vie de Paul et sa double conversion. Avec pédagogie, ils livrent un portrait spirituel de Paul tout en finesse : héraut, apôtre et docteur, prophète et martyr, sage… Autant de clés pour mesurer le rôle incontournable de Paul de Tarse dans l’histoire du christianisme et mieux écouter son message. ISBN 978-2-87356-420-9 Prix TTC : 10,00 €
2e édition
9 782873 564209
Collection « Que penser de… ? »
Saint Paul
Saint Paul Photo de de couverture couverture: :Statue Saint de Paul Notre-Dame en prison, de Rembrandt, Lourdes (Ch. 1627, Delhez) huile sur bois de chêne, 72,8 × 60,3 cm (Inv. 0746) © Staatsgalerie Stuttgart, Allemagne
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Mgr P. Warin – Ph. Wargnies
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