Marthe Mahieu-De Praetere
La première partie de ce livre a été écrite par Marthe Mahieu-De Praetere. En se basant sur les témoignages des « anciens », elle raconte toute l’histoire de La Vi V ale – Lozère depuis . Providentiellement, Marthe a pu recueillir les souvenirs et les inspirations de Pierre van Stappen, le fo f ndateur de La Vi V ale, pendant les derniers mois de sa vie. Comme elle-même réside une partie de l’année aux Salces, le village en fa f ce de La Vi V ale, elle a aussi rencontré des Lozériens de vieille souche. Elle décrit ensuite la genèse des trois autres pôles de La Vi V ale : Qu Q artier-Gallet dans les Ardennes belges, Opstal et La Vi V ale – Europe à Bruxelles. Elle évoque encore les « oncles » de La Vi V ale : Ta T izé, Berdine et l’Arche de Jean Va V nier ; et les « cousins » : Mar Moussa, To T ula, Saint-Hilarion, Kobor… Dans une seconde partie, Guy Martinot répond à certaines questions, notamment sur la spiritualité ignatienne de La Vi V ale et la manière dont est vécue l’expérience de l’Évangile par les quelque trente mille jeunes qui ont séj é ourné dans ces lieux de paix, silence et prière : trav a ailler, rire et prier à f nd. Au long de ces pages, on retrouve aussi de « belles histoires » comme fo on aime à se les raconter aux veillées en Cévennes.
La Viale Un lieu pour renaître
La Viale
La Viale
Marthe Mahieu-De Praetere Guy Martinot
Les auteurs Marthe Mahieu-De Praetere, mère de fa f mille, directrice retraitée d’une école secondaire de Bruxelles, voisine intermitt t ente et amie fidèle de La Viale–Lozère. Guy Martinot, prêtre jésuite, engagé à La Viale depuis 1970, profe f sseur de sociologie et animateur de jeunes.
ISBN 978-2-87356-435-3 Prix TTC : 11,95 €
9 782873 564353
PRÉFACE DU CARDINAL DANNEELS
Marthe Mahieu-De Praetere Guy Martinot
La Viale Un lieu pour renaĂŽtre
© 2009, Editions Fidélité • 7, rue Blondeau • BE-5000 Namur • Belgique info@fidelite.be • www.fidelite.be Dépôt légal : D/2009/4323/12 ISBN : 978-2-87356-435-3 Maquette et mise en page : Jean-Marie Schwartz Imprimé en Belgique Ouvrage édité avec le soutien du département culture de la CCMC, a.s.b.l.
Préface plusieurs reprises, Jésus compare le Royaume de Dieu à une semence, en évoquant tantôt le jeu d’affinité manifeste avec son fruit, ou en soulignant le peu d’importance du laboureur dans son évolution, ou encore en admirant son incroyable fécondité.
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L’évolution de La Viale s’inscrit dans l’histoire de l’Église qui sans cesse se renouvelle. Des expériences ou institutions plus anciennes dépérissent et disparaissent, d’autres surgissent en silence, de façon imprévisible. Les arbres qui tombent font certes grand fracas ; les forêts qui poussent le font en silence. Dans ses divers pôles, La Viale a fait vivre déjà une expérience d’Évangile à des milliers de jeunes, qui forment désormais tout un réseau. Le présent livre, La Viale, un lieu pour renaître, raconte les origines et le développement de l’expérience. Il a été écrit par Marthe Mahieu-De Praetere, qui a connu nombre de jeunes comme directrice d’école. Les quelques pages de conclusion sont du père Guy Martinot, jésuite, qui, depuis les premières heures, a accompagné son confrère le père Pierre van Stappen, authentique prophète bâtisseur pour un temps de crise. L’expérience de La Viale est en fait d’une grande simplicité : amitié, prière, paix, silence, pauvreté.
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Beaucoup plus que la formule, c’est l’esprit — le Saint-Esprit — qui compte ici. Comme Jésus disait aux disciples de Jean qu’il appelait à le suivre : Venez et voyez, c’est précisément l’invitation qu’on voudrait adresser à ceux et celles qui liront ce beau petit livre, simple et joyeux.
+ Godfried Cardinal Danneels Archevêque de Malines-Bruxelles
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Un coup du Saint-Esprit l y a dans l’histoire de chacun de ces bifurcations apparemment insignifiantes dont nous nous apercevons après coup qu’elles ont entraîné un changement majeur dans notre vie. Certains l’appellent hasard, d’autres Providence. Pierre van Stappen appelle cela « un coup du Saint-Esprit ». Ce jésuite belge n’aurait sans doute jamais découvert le village de La Viale s’il ne s’était trouvé à court d’essence sur le pont de Pied-deBorne, en juillet . Il descendait l’Ardèche par les petites routes départementales dans sa vieille Coccinelle, à la recherche d’une ferme ou d’une grange à retaper. Il rêvait d’y emmener l’été ces jeunes un peu déboussolés auxquels il donnait cours de religion depuis plusieurs années, sans arriver à allumer dans leur esprit ni dans leur cœur le moindre frémissement d’intérêt. Ses seuls points de repères étaient des adresses que lui avaient données des amis de l’École européenne de Bruxelles, en lui assurant qu’on l’y logerait volontiers. Ce jour-là, venant de Pradelles, il se dirige vers Les Vans par la belle route dite « des Beaumes », saluant au passage la très ancienne chapelle de pèlerinage qui lui vaut son nom. Mais au beau milieu du grand pont qui enjambe le Chassezac, sa voiture se met à hoqueter. Les Coccinelles de ce temps-là n’avaient pas d’indicateur de carburant au tableau de bord : seulement une tirette qu’il fallait actionner lorsqu’on était presque
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à sec, pour libérer la « réserve » qui permettait de parcourir encore une dizaine de kilomètres. Pierre se renseigne auprès d’un passant : — La ville des Vans, c’est encore loin d’ici ? * — Les Vans ? C’est par là, à vingt-deux kilomètres. — Y a-t-il une pompe à essence plus près ? — Ah oui, mais à Villefort, dans la direction opposée. Ce n’est qu’à huit kilomètres, et là vous avez un garage et tous les commerces. Villefort est en Lozère, Pierre n’en a jamais entendu parler. Il hésite un instant, toujours prêt à prendre des risques. Mais il est tard, des nuages sombres s’accumulent au sud, annonciateurs d’orage. Tomber en panne sur cette étroite route en lacets qui longe la rivière manquerait vraiment de charme. Va pour Villefort. Première bifurcation. Après avoir fait le plein, il s’avise qu’il a faim et entre chez le boulanger Niel. Il y a du monde, un « estranger » attire la curiosité : D’où venez-vous ? Ah ! de Belgique… Vous êtes en vacances ? Etc. Pierre saute sur toutes les occasions pour s’informer : n’y a-t-il pas dans les environs de vieux bâtiments à vendre ? Le boulanger intervient et lui renseigne le hameau du Montat. Nouveau hasard, heureuse erreur : c’est en se trompant de route que Pierre tombe sur un autre ensemble de bâtiments abandonnés : Le Pouget. Là se concrétisera son premier projet. Celui, dira-t-il plus tard, qui lui aura appris ce qu’il ne veut pas faire. Les quelques maisons délabrées du Pouget appartiennent à un seul propriétaire, que tout le monde appelle le père Michel. Après quelques jours de vaines recherches — le père Michel n’est pas souvent chez lui — Pierre le trouve finalement au fond du futur lac de Villefort alors en construction : il travaille dans les énormes conduites du bar-
* L’astérisque renvoie à une illustration dans le cahier hors-texte central.
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rage hydraulique. C’est au cœur de ce labyrinthe géant que se déroule une brève tractation : — Un million ¹ pour le tout, ça vous va ? — D’accord. — Venez signer chez moi dimanche. Pierre n’a pas le premier franc de cette somme, mais aussitôt rentré à Bruxelles, il fait le tour de quelques riches amis, et rassemble rapidement l’argent. Une ASBL est créée, et dès le mois d’août, un groupe de jeunes rejoint Pierre pour camper au Pouget et commencer la rénovation des bâtiments. Le projet initial est de retaper ces maisons pour offrir des vacances au soleil à des enfants défavorisés. À chaque congé scolaire, les travaux vont bon train sous la direction énergique du jésuite. Le petit groupe international, constitué en majeure partie d’élèves ou d’anciens de l’École européenne, y mène une vie insouciante et joyeuse. Dick Annegarn n’est pas encore le chanteur célèbre qu’il deviendra, mais autour de sa guitare folk on fume, on chante, on danse et on boit parfois beaucoup au cours de soirées délirantes. Le Pouget devient peu à peu une colonie de vacances de luxe. On s’y retrouve même en hiver. Les enfants pauvres sont complètement oubliés. La révolte contre toutes les traditions bat son plein : pas de simagrées ici, décrètent les jeunes, ni crèche ni sapin ! Le soir du décembre , Pierre dit la messe tout seul dans sa chambre, pendant que le reste du groupe réveillonne dans la salle commune. Ses espoirs de sensibilisation spirituelle sont une nouvelle fois déçus. Cette nuit-là, il décide de partir, de fonder autre chose, ailleurs, dès que l’occasion s’en présentera. Il allume son scanner.
1. Il s’agit, en 1964, d’anciens francs français. Cette somme équivaut à 1500 euros.
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Un dimanche de l’été suivant, avec quelques aînés du groupe, il organise un pique-nique sur le plateau de La Garde-Guérin, au-dessus de Villefort. On marche à l’aventure, suivant un vague sentier qui descend bientôt à flanc de coteau. On distingue un tracé empierré, probablement ancien, mais que les graminées, les orties, les églantiers ont envahi. Se frayant un passage, le petit groupe débouche bientôt dans une châtaigneraie, et, surprise, dans un hameau en ruines couvert de ronces*. — Regardez, un four à pain ! — Ici, la porte est ouverte. — Venez voir, il y a encore un énorme buffet à l’intérieur ! — Et la vue, dites donc ! On domine toute la vallée, je parie qu’on distingue le mont Ventoux par temps clair… Pierre a tout de suite l’intuition que c’est ici qu’il faut s’installer. Quand la première excitation de la découverte est passée, et que les quatre jeunes en sueur s’asseyent à l’ombre légère des châtaigniers pour dévorer les provisions, il écoute le silence, ce silence palpable, intégral de La Viale. Dieu est dans le silence d’abord, se dit-il, pas dans les discours… Aucun d’eux ne sait encore le nom ni l’histoire de ce village abandonné : La Viale, ce qui dans la langue d’Oc des paysans lozériens signifie : le petit chemin. La Voie étroite, en somme. La vraie aventure commence. Pendant trente ans, Pierre va consacrer l’essentiel de son énergie à retrouver d’abord les propriétaires, puis à acquérir et à reconstruire ces maisons en se gardant bien de les « moderniser ». Il y accueillera des jeunes et leur fera expérimenter une vie de silence, de travail, de prière, d’écoute de l’essentiel. Mais qui avait vécu dans ces maisons ? Quand et pourquoi étaientils partis* ?
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Que racontent ces murs écroulés ? n peut voir actuellement, sur chacune des maisons du village, un nom, tracé en lettres blanches sur une lauze accrochée près de la porte : Pellecuer*, Delenne, Fournier, Roux, Fraisse, Le Merle. Ce sont les noms des familles qui formaient ici, depuis le xvie siècle et jusqu’en , une communauté paysanne. Il y a aussi, un peu plus bas, la maison Borrély. Mais celle-là, monsieur Borrély — personne ici ne l’appelle par son prénom — l’habite maintenant quelques jours par semaine et cultive avec soin ses accols ² et sa châtaigneraie. Il a obstinément refusé de vendre son bien au père van Stappen (il prononce Vastapané). Avec les années, les deux hommes, qui ont le même âge, ont développé une estime réciproque. Né au village en , Marcel Borrély est une mémoire vivante de cette société agricole et quasi autarcique qu’il n’a jamais vraiment quittée, même quand il travaillait aux chemins de fer. Le présent chapitre doit beaucoup à ses souvenirs de jeunesse.
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2. Accol : terrasse de culture.
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La vie quotidienne à La Viale dans les années quarante différait à peine de celle qu’on y menait depuis les origines. Il n’y avait ni route, ni électricité, ni eau courante : sources et citernes, chandelles de suif et lampes à huile, four à pain alimenté par des fagots de genêt, marmite dans l’âtre ou cuisinière à bois constituaient l’équipement domestique. On accouchait à la bougie, on cultivait à la main, on transportait à pied, et on se soignait avec les herbes du courtil. Jusqu’en , date à laquelle les derniers habitants s’en allèrent, la seule amélioration du confort avait été l’installation d’une ligne électrique. Les cultures en terrasses étaient étagées sur plus de quatre cents mètres de dénivelé et parfois distantes de plusieurs kilomètres du village. Tout le transport se faisait à dos d’homme ou de mulet par des sentiers caillouteux et pentus. Le cordon ombilical du village était la calade ³, ce vieux chemin empierré, raide, sinueux, qui montait sur le plateau rejoindre à La Garde-Guérin la voie romaine Régordane qui reliait Nîmes au Puy et où circulaient depuis les temps antiques marchands, pèlerins et soldats. Tout ce qui entrait au village ou en sortait passait par la calade. Ce chemin ancestral, d’où le village tire probablement son nom (Viale veut dire voie) était appelé jadis « serre des mulets ». Venant des Vans, il traversait la rivière à Pied-de-Borne et par La Viale, montait jusqu’au plateau. Au hameau du Mont, près de la grande ferme des Meissonnier, le chemin s’élargissait et on peut voir encore les restes de la remise qui abritait les carrioles. C’est là qu’on posait sa charge ; on soufflait, on sortait la carriole et on attelait
3. Calade : le bas-latin calar, emprunté au grec kalan dans le sens de « descendre », nous est parvenu grâce au roman calado. Comme les Romains avaient coutume de paver les chemins en pente pour éviter les glissades et le ravinement, le mot « calade » a désigné toutes les portions de chemin pavées.
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le mulet pour descendre la piste de terre damée jusqu’à Villefort, où se tenait le marché du jeudi. Au retour, la même opération se déroulait en sens inverse : le chargement de chaque carriole était réparti sur les épaules, des femmes comme des hommes, et sur le bât du mulet, pour descendre le raidillon sur un kilomètre. Le marché du jeudi et la messe du dimanche étaient les seules occasions de voir du monde, de rencontrer les gens des villages voisins. C’est alors que se traitaient les affaires et que s’ébauchaient les idylles. Le dimanche, tout le village montait à l’église paroissiale de La Garde : à la calade succédait le chemin « messadier » (qui mène à la messe). Une heure de marche à jeun, et autant au retour, avant de boire la première tasse de café. On mettait ses meilleurs habits, et les femmes disaient le chapelet tout au long du chemin, se répondant par groupes… Les gamins traînaient, ou prenaient de l’avance, pour échapper à la récitation. L’hiver, il arrivait que, pour épargner ses souliers (on n’en avait qu’une paire), on les attache par les lacets autour de son cou, gardant aux pieds les sabots. Près de l’église, on les ôtait, on les cachait dans quelque buisson, on chaussait ses bottines de cuir et on refaisait l’échange au retour. Le canal, ou béal, jouait un rôle central dans l’économie agricole de La Viale. Les terres en pente, en effet, ne retenaient pas l’eau : lorsqu’il pleuvait, des torrents furieux bondissaient de roche en roche jusqu’à l’Altier, cette rivière cascadeuse qui bruissait au fond de la vallée abrupte. L’été, les terres se desséchaient rapidement. Cette eau quasi verticale, il fallait la capter, l’amener en pente douce jusqu’en haut des terres cultivées. C’est au milieu du xixe siècle que les paysans s’attelèrent collectivement à une tâche gigantesque : construire à flanc de coteau un canal qui, depuis Villefort — qui est à peu près à la même altitude que La Viale — capte l’eau de l’Altier pour irriguer les châ-
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taigneraies et arroser les jardins. Ce béal de Ranchine est aujourd’hui asséché et constitue un impressionnant chemin de promenade à travers la vallée. C’était un exploit de l’avoir construit, avec des pierres et de l’argile. C’en était un autre de le maintenir en bon état. Tout l’été, il fallait surveiller les huit kilomètres de ce petit cours d’eau artificiel, colmater les fentes, réparer les brèches, manœuvrer les « bésalières », sortes de mini-écluses qui répartissaient l’eau. Marcel Borrély n’avait pas vingt ans quand il se trouva, un matin de mai, avec quelques hommes au-dessus d’une portion de canal qui s’était écroulée. On attendait un maçon qui n’arrivait pas. — Bon, il ne viendra plus, descendez-moi, je vais faire l’ouvrage. — Tu es sûr que ça ira ? — Allez-y, on va essayer. On l’installe dans un panier qu’on descend au bout d’une corde, à mains nues au-dessus du vide. Comme un alpiniste en rappel, il se dirige avec les pieds. — Ho, ho, crie-t-il, ça va, arrêtez, je suis en place ! Amenez les pierres. Dans un second panier, les autres lui descendent les pierres, qui manquent de lui arriver sur la tête. Il coince les premières sur les fers qui dépassent du granite, et remonte alors pour former un véritable mur, jusqu’à hauteur du béal. Les autres l’encouragent de la voix, tirent sur les cordes, rechargent le panier de pierres. — Ça va, Marcel ? Tu veux pas qu’on te remonte ? — Pas encore. J’ai pas fini.
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Le soleil monte, le canal est exposé plein sud-est, sa chemise lui colle à la peau, le panier gémit par moments, pourvu qu’il tienne, pense le jeune homme… L’année suivante, il sera désigné par le village comme responsable du canal, celui qu’on appelle « cantonnier ». Cette charge était assurée par un des jeunes, à tour de rôle, comme un service à la communauté. Il devait parcourir chaque jour, les pieds dans l’eau, les huit kilomètres du béal, l’examiner attentivement et effectuer toutes les remises en état nécessaires, puis revenir de Villefort par le sentier. Comme cela l’empêchait de participer aux travaux saisonniers, c’était un manque à gagner pour sa famille, que les autres dédommageaient en se cotisant. L’économie du village reposait presque entièrement sur la consommation directe des productions et le troc. Il y avait peu de circulation d’argent, la notion de salaire n’avait pas cours. Les enfants allaient à l’école à pied à La Garde, du moins quand la saison le permettait ⁴. Leur scolarité était plutôt irrégulière. Les familles un peu « à l’aise » envoyaient les garçons en pension chez les Frères de Villefort, avec l’espoir que l’un ou l’autre continue des études secondaires. Mais la plupart, à quatorze ans, commençaient à travailler avec leurs parents aux mille tâches quotidiennes que requérait la simple subsistance. Les potagers, les vergers, les châtaignes, le bois, l’eau, les moutons et les chèvres, les ruches, quelques champs de céréales sur le pla-
4. En 1946 et en 1947, il y eut une petite école à classe unique à La Viale, dont l’une des institutrices fut la femme de Marcel Borrély. On y comptait neuf élèves. Quelques années plus tard, le nombre d’enfants avait diminué et l’école fut supprimée. La maison porte toujours le nom « école ».
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teau… Et encore le coltinage de tous ces produits, sans autre énergie que celle de leurs muscles, ainsi que la construction ou la réparation des murs de pierre et des toits de lauzes, des charpentes, l’entretien des chemins… Sans parler de la lessive à la main, de la cuisson des pains, de la fabrication du vin et de l’huile… C’était une vie dure et pleine d’incertitudes. Une saison trop sèche, un incendie, une maladie grave et tout l’équilibre était menacé. Jusqu’à la deuxième guerre mondiale, cela apparaissait comme la vie « normale ». On ne connaissait rien d’autre, et dès lors que tous les villages des Cévennes vivaient de la même façon, ma foi, tant qu’on avait à manger, on ne se plaignait pas. En de rares occasions, on s’amusait même franchement. En octobre, lors du ramassage des châtaignes, on rameutait les jeunes des villages environnants, garçons et filles, pour être nombreux à l’ouvrage. Ils étaient plus de quarante parfois, et tout ce monde logeait sur place, par terre, sur des paillasses ou des couvertures. Les parents allaient se coucher tôt, les reins cassés par une longue journée de châtaignage, mais les jeunes, avec l’inépuisable énergie de leurs vingt ans, se réunissaient dans une des salles communes. Il y en avait toujours un pour sortir sa resse ⁵ et dans l’odeur des châtaignes rôties on chantait, on dansait, on rigolait jusqu’à minuit autour d’une bonbonne de clinton, ce vin âpre et noir, pressé sur place, que l’un des gars avait chipée en douce dans la cave du père… Quand l’électricité fut installée, un peu avant la guerre, on se mit à rêver d’une route, qui permettrait aux camions, à la voiture du docteur, aux pompiers d’arriver au village. On en discutait les soirs d’hiver, quand plusieurs familles se réunissaient chez l’un ou chez l’autre pour
5. Resse : en patois, petit accordéon rustique.
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taper la carte, les hommes à la table, les femmes avec leur tricot à bavarder de leurs affaires près de la cheminée. La question n’avançait guère parce qu’ils n’arrivaient pas à se mettre d’accord sur le tracé : Fraisse voulait qu’on passe par le haut, vers le plateau de La Garde, Roux voulait qu’on passe par le bas, rejoindre la route récemment construite le long de l’Altier. Chacun avait ses partisans. Construire une route impliquait d’abattre des châtaigniers, et les uns comme les autres voulaient que ce soient ceux du voisin, pas les siens. En , enfin, on tomba d’accord : ce serait vers le bas. Mais déjà les jeunes gens étaient appelés en masse sur la ligne Maginot, le déferlement nazi se préparait, et les projets de route, comme beaucoup d’autres, tombèrent aux oubliettes… Les années de guerre renforcèrent l’isolement. Les Cévennes devinrent des refuges de résistants, et les jeunes qui ne rejoignaient pas les partisans dans les clairières se cachaient dans les fournils pour échapper au STO ⁶. Les familles en sortirent appauvries. Les années d’après-guerre amenèrent aussi un changement de mentalité, surtout chez les jeunes : une aspiration à plus d’autonomie, de sécurité, à un confort « moderne ». La fonction publique recrutait : Poste, Gendarmerie, SNCF. Plusieurs jeunes adultes de La Viale quittèrent la vie patriarcale du village pour s’en aller vers Alès ou Nîmes où ils avaient un salaire, une sécurité d’emploi, des horaires fixes. Les vieux restèrent seuls ou moururent, il n’y avait plus assez de monde pour entretenir le canal, peu à peu les maisons furent abandonnées, on y laissait les gros meubles qui, fabriqués sur place, se révélaient intransportables. Les Pellecuer, qui avaient six enfants, résistèrent les derniers. Ils s’en allèrent en . Alors le village s’endormit, la végétation sauvage se
6. STO : Service du travail obligatoire, en Allemagne.
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mit à envahir les murs, les pluies à disjoindre les lauzes, la foudre à embraser les charpentes. Des pillards, des brocanteurs peu scrupuleux emportèrent bientôt les cruches, les outils et même les meubles démantelés que quelques gaillards hissaient par la calade. Qui aurait pu les surprendre sur ces pentes sauvages que ne hantaient plus que des sangliers, des blaireaux, des lièvres ?
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D’où vient Pierre van Stappen ? n , à quatre-vingt-cinq ans, Pierre a toujours ce regard clair, ce ton bref, cette diction nette, cette allure de capitaine habitué à diriger la manœuvre. La nuque vigoureuse, la tête un peu enfoncée dans les épaules, un corps de joueur de rugby prêt à foncer dans la mêlée. Son visage s’éclaire d’un sourire franc, presque tendre, quand il vous accueille. Pierre raconte son histoire sans se prendre au sérieux, sans complaisance. Il est né à Bruxelles en , dans une famille d’entrepreneurs et de bâtisseurs. Il dit lui-même qu’il a été un enfant « difficile ». On le devine aisément. Farouche, remuant, imprudent, il inquiétait ses parents. Espérant que cela l’aiderait à canaliser son énergie quelque peu fatigante pour son entourage, ils l’inscrivirent dans la troupe scoute du collège Saint-Michel où il était élève. Pour le jeune garçon, ce fut une révélation : vivre en plein air, travailler de ses mains, aménager le coin de patrouille dans les caves ou encore la salle à manger en rondins au camp, ces activités avaient pour lui du sens, et le conduisaient à accepter une discipline qui, en classe, le rebutait. Il découvrit le ciel étoilé, le silence autour des braises qui rougeoient, la présence de Dieu, l’amitié. Il devint vite chef dans la troupe où il restera jusqu’en . Dans les maigres bagages qui l’on suivi au long de sa vie et dans ses
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installations successives, il conserve une photo de sa promesse scoute, à l’âge de dix ans : Devant tous je m’engage Sur mon honneur Et je te fais hommage De moi Seigneur. Je veux t’aimer sans cesse De plus en plus Protège ma promesse Seigneur Jésus
Pour lui, ce n’est pas qu’un chant de circonstance. À l’issue de sa rhétorique, alors que la guerre vient d’éclater, il annonce à ses parents son intention d’entrer chez les jésuites. Il se heurte à un refus catégorique : « Il n’en est pas question, tu es beaucoup trop jeune. Quand tu auras conquis un diplôme universitaire, on en reparlera. On verra si tu as toujours la vocation… » Pierre obéit mais ne renonce pas. L’obstination, on le verra, est un trait éminent de son caractère. Il s’inscrit à la faculté Saint-Ignace d’Anvers, pour en avoir fini au plus vite. On peut en effet y obtenir un diplôme universitaire de commerce en trois ans. Il effectue en train la navette quotidienne Bruxelles-Anvers. L’atmosphère est tendue, les soldats allemands surgissent à l’improviste, exigeant les Ausweissen, fouillent les sacs, emmènent parfois brutalement l’un ou l’autre passager sans que les autres sachent pour quelle raison. Les vitres sont barbouillées de noir, à cause de l’occultation. Un soir, dans le wagon obscur et bondé, le jeune homme observe la masse des voyageurs debout, pressés les uns contre les autres, fatigués,
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inquiets, silencieux. À chaque virage du convoi, accrochés d’une main aux lanières du plafond, ils oscillent et penchent ensemble d’un côté, puis de l’autre. L’image biblique du « troupeau sans berger » s’impose à son esprit, en même temps que la certitude d’un appel : « Tu seras berger… » Trois ans plus tard, Pierre est majeur et décroche sa licence en Sciences commerciales. Le contrat familial est satisfait mais c’est toujours contre la volonté de son père — lui aussi avait de la suite dans les idées — qu’il entre au noviciat des jésuites en , animé par une grande ferveur, un désir d’absolu, une volonté de servir le monde. Après un parcours d’études accéléré et trois ans de stage, il est affecté comme surveillant à Saint-Michel. Cela lui permet de retrouver les scouts comme aumônier. Il est heureux dans ce poste et son enthousiasme est contagieux : les collégiens le suivent avec entrain dans les activités spirituelles, sociales et sportives qu’il organise pour eux et avec eux. Certains se souviennent encore des casse-pipes héroïques à travers bois qu’il avait baptisés Do or Die ⁷ (« Vas-y ou meurs ! »). En , il est envoyé par ses supérieurs dans les milieux européens de Bruxelles, en pleine expansion, où les jésuites désirent créer et animer des lieux de vie chrétienne. Avec son ami Luigi Parisi, Pierre fonde le Foyer catholique européen, mais il s’en éloignera par la suite, jugeant l’approche trop abstraite, trop bureaucratique, pas assez proche des jeunes. Dans cette pastorale d’adultes, il cherche à mobiliser les catholiques pour la construction d’une Europe fraternelle, solidaire et attentive au Tiers-Monde (comme on disait alors). Mais il
7. « Do or die » est devenu la devise de certains mouvements écologistes aux USA.
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est confronté au nationalisme des aumôniers attachés aux diverses communautés en présence. On l’envoie alors, en , donner cours de religion catholique à l’École européenne d’Uccle. C’est une école privée pluraliste et multilingue, créée pour les enfants des fonctionnaires européens en poste à Bruxelles, et où les hommes d’affaires de ce quartier aisé sont fiers d’inscrire leurs rejetons. L’ambiance cosmopolite est très différente de celle du collège Saint-Michel. C’est aussi l’époque où on jette beaucoup de traditions par-dessus bord, et la religion en premier. Le père van Stappen, qui était à Saint-Michel comme chez lui, dans sa famille d’élection, est ici un étranger. En classe, il se trouve face à des élèves indifférents, blasés. En salle des profs, il rencontre des collègues condescendants, qui ne se gênent pas pour ironiser sur « les curés ». Il essaie toutes les méthodes pour intéresser les jeunes, même ceux de la huitième heure du vendredi qui s’agitent sur leur chaise en regardant leur montre toutes les cinq minutes ! Ciné-forum, photomontages, débats idéologiques, bandes dessinées, écoute et analyse de chansons : rien ne les arrache à leur inertie. Il va même, pour tenter de les rencontrer plus personnellement, jusqu’à diviser chaque classe en trois petits groupes, et donc à prester le triple du temps pour lequel il est payé… Le résultat est maigre. Il a pourtant pu percevoir chez beaucoup d’entre eux une souffrance, un malaise, un manque de relations vraies. Leurs familles sont riches, mais souvent désunies, dispersées, peu disponibles. Déjà une intuition le pousse à créer quelque chose en dehors des murs de l’école, un lieu d’écoute, de partage, de vie. Il déniche un cabanon au fond d’un jardin et organise là des soupers, des partages de vie, une messe le samedi soir. Durant quatre ans, une seule élève le rejoint ! Elle deviendra carmélite. L’un ou l’autre parent ou collègue se joignent parfois à lui. C’est une période difficile pour Pierre. Il continue à prier, à
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espérer, à chercher. L’échec du Pouget, auquel il a cru, auquel il a consacré beaucoup d’énergie, l’a blessé, mais l’a rendu plus lucide, plus radical : il faut oser rompre avec la facilité, proposer quelque chose de difficile, d’exigeant, de fou. Ce sera La Viale.
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Cinq fols en Christ n ce torride mois d’août , ils sont quatre autour de Pierre, quatre « qui en veulent », quatre prêts à tout. Ils quittent Le Pouget chargés de gourdes d’eau, de quelques provisions, de sacs de couchage, de bougies. Ils laissent la Volkswagen au Mont, descendent la calade et installent leur campement dans les ruines de La Viale. Il n’y a ni eau ni électricité. C’est très bien. Ils viennent pour se dépouiller, se détacher, ils viennent écouter Dieu dans le silence. Ce sont de piètres paroissiens, ils ne fréquentent guère les églises ni « les curés ». La figure du moine, en revanche, les fascine. Dans leur radicalité, c’est la seule forme de vie chrétienne que ces jeunes gens respectent et admirent. Ils décident de se lever pour prier au cœur de la nuit. Ils aménagent une « crypte » dans une cave moisie, au sol de terre battue. La voûte croisée en gros moellons à peine taillés les enchante. Ils fabriquent des lutrins avec de vieilles planches, allument une débauche de bougies. Ils restent là longtemps, alternant les longues méditations silencieuses avec les lectures d’Évangile et de psaumes. Pour la première fois de leur vie, ils éprouvent la présence de Dieu. Pierre, lui, voit son intuition confirmée : c’est bien ce lieu qu’il a cherché longtemps, où on peut emmener les jeunes vivre la foi au-delà des paroles. Le matin, ils déblaient les gravats, arrachent les ronces, tentent de rendre une des maisons quelque peu habitable… fût-ce sans toit. Ils
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se nourrissent de rien : deux poireaux, du pain rassis, quelques abricots cueillis dans les vergers ensauvagés. Plusieurs fois par jour, ils se réunissent sur un bout de terrasse effondrée, sur un tertre qu’ils ont nettoyé des bogues de châtaignier accumulées là depuis des lustres. Face à la vallée abrupte et à l’horizon des plateaux, ils prient. Une réponse est donnée à ces adolescents qui demandaient à Pierre, après le cours de religion : « Vous parlez de prier, de partager, de vivre sobrement… Mais quand est-ce que vous priez avec nous, qu’est-ce que vous partagez avec nous, où est-elle cette vie sobre ? » Cet été-là, dans une sorte de jubilation ascétique, ils instituent ce qui formera l’expérience clé de La Viale, ses « cinq piliers » : la nature, le silence, le travail manuel, la simplicité de vie et, à travers tout, la prière. Le même groupe renouvellera l’expérience plusieurs étés de suite, squattant le village abandonné, délaissant Le Pouget et ses plaisirs faciles durant tout le mois d’août. Pierre est allé entre temps à Lyon acheter quelques exemplaires de Prière pour le temps présent, le nouveau recueil de textes liturgiques qui vient d’être publié en français dans la foulée du concile Vatican II. Ces psaumes, ces hymnes rythment la vie du groupe qui s’est fixé un horaire monastique. Ils vivent une ferveur un peu folle, quasi clandestine, une exaltation de nouveaux amoureux. Mais ils en éprouvent la force et la justesse. Ils sont conscients de marcher à contre-courant du déferlement de permissivité et de spontanéisme à la mode en ce début des années . Par certains côtés, pourtant, ils sont proches des valeurs qui se développent en ces années « hippies » : vie en communauté rurale autarcique, rejet du luxe, proximité de la nature, non-violence et végétarisme… La différence, c’est que pour eux rien de tout cela n’est un but en soi : il s’agit de se laisser saisir par l’amour de Dieu à la suite de Jésus, de se laisser conduire au désert par l’Esprit.
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La régularisation ierre est un visionnaire doublé d’un pragmatique. Il réfléchit à la manière de consolider l’expérience, de lui assurer un avenir. On ne peut pas continuer à occuper ces lieux sans les acheter. Au fil de ses rencontres avec les vieux lozériens des villages voisins, il tente d’obtenir des informations sur les propriétaires de La Viale. — Les fils Borrély vivent à Alès. Une des filles Fournier est à SaintJulien-des-Rosiers. Il y a des Pellecuer à Génolhac. L’adresse ? Ah, ça non, on ne sait pas, Monsieur l’abbé. Faut vous renseigner à la Mairie. Le cadastre de Prévenchères n’est pas vraiment à jour. En vingt-cinq ans, les enfants de La Viale se sont mariés, ont déménagé, certains sont morts… Plusieurs années de recherches sont nécessaires pour retrouver les héritiers des sept fermes, et négocier avec eux l’achat des ruines, auxquelles se rattachent plusieurs centaines d’hectares de terrain. À Saint-Julien-des-Rosiers, petit bourg aux portes d’Alès, aucune famille Fournier n’est recensée. Pierre utilise sa méthode favorite : converser avec les gens qu’il rencontre par hasard, chez le boulanger, sur les bancs des placettes ombragées de platanes. Personne ne connaît de Fournier. Jusqu’au moment où un vieil homme accoudé au bar-tabac… — Fournier ? Non, connais pas. Mais, attendez : je me demande si la mère Rieu n’est pas née Fournier… C’était bien cela. Pierre la retrouve et lui propose son affaire.
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— Mon pôv’Monsieur, ça ne vaut plus rieng ! Sans route, sans eau… Peut-être dix mille francs ? — Je suis prêt à signer, mais pour le prix, je ne suis pas d’accord. — Écoutez, père, j’ai encore une fille à marier, ce n’est pas beaucoup ce que je vous demande… — Vous ne me comprenez pas : je ne suis pas d’accord parce que ce n’est pas un juste prix ! Je vous offre le double. La vieille maman Pellecuer, elle, lui répond : — C’est pour un village de prière ? Alors je vous la donne, la maison ! Personne n’en voudrait, dans l’état où elle est… Bien entendu, là aussi, on paiera un juste prix. Parallèlement à cette quête, Pierre organise des structures administratives. En , il démissionne du Pouget et crée, avec l’autorisation de ses supérieurs jésuites et la générosité des donateurs qu’il sollicite sans vergogne, deux associations. Pourquoi deux ? Parce qu’il ne veut pas que les gens qui séjournent à La Viale, qui reconstruisent les maisons et cultivent les terres, en soient propriétaires. Ce serait contraire à l’esprit de « dépossession », de pauvreté. Il y a donc une société coopérative propriétaire, et une ASBL (association sans but lucratif) locataire et chargée de la gestion des lieux. Les deux sont bientôt établies statutairement à Bruxelles. Les coopérateurs investissent dans des parts dont ils restent propriétaires, mais qui permettront d’acheter une à une toutes les anciennes fermes, ainsi que les matériaux nécessaires à la reconstruction. Seul monsieur Borrély refuse catégoriquement de vendre son bien. — Quand je serai mort, mes enfants feront ce qu’ils voudront. Mais moi vivant, la maison ne sera pas vendue. Depuis que « les Belges » viennent nettoyer le village, monsieur Borrély monte d’ailleurs plus souvent et remet ses terrasses en culture avec
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un entrain renouvelé, tout en observant les jeunes citadins d’un œil sceptique. Le temps des pionniers commence, durant lequel Pierre va entraîner tout un groupe à travailler très dur, à chaque congé scolaire, dans des conditions spartiates, pour faire refleurir le désert.
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Le temps des pionniers (1973 – 1983)
« Nos débuts sont lents, effacés, mais fidèles aux intuitions de l’Esprit. Ne commençons pas d’énormes structures, mais cultivons l’Esprit qui vit en nous. Le reste nous sera donné par surcroît. » Pierre, Lettre de La Viale, octobre
L’eau vive Au début, le petit groupe se contente de récupérer, dans des bassines ou dans des cruches, l’eau qui ruisselle ici et là. À l’extérieur de la maison Fournier, celle qu’ils ont commencé à retaper, il y a un robinet capricieux : certains jours, il crachote un peu d’eau, parfois il n’en sort que des borborygmes. — Ce robinet témoigne d’une arrivée d’eau dans le village ! dit Pierre — Il faut la retrouver, la déboucher… Cherchons ! disent les jeunes camarades. Ils essaient de suivre la conduite d’eau qui alimente le robinet, mais elle s’enfonce profondément sous les éboulis. Comme souvent quand
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il recherche les traces du passé, Pierre se tourne vers les anciens : les deux Marcel, Borrély et Meissonnier… Un matin, ils sont là tous les trois à fureter, à piocher de ci, de là. Les villageois sont affirmatifs : — C’est sûr qu’il y a une source sous la calade. On l’avait captée en et on s’était cotisé pour placer un tuyau en plomb qui amenait l’eau jusqu’aux maisons. Chacun avait son robinet. Mais à l’heure qu’il est, ça doit être bouché, ou crevé… Ils grattent le sol, creusent des trous partout et finalement, sur le coup de midi : — Voilà, je l’ai, c’est ici ! Marcel Meissonnier triomphant déblaie quelques pierres, arrache un bout de tuyau, et l’eau jaillit, froide, claire. Le tuyau est effectivement en plomb, il est déchiré en plusieurs endroits. Pierre sait que ce genre de conduit rend à la longue l’eau toxique. Mais il sait aussi que ce métal vaut cher. Il récupère la conduite en petits morceaux, et avec l’argent du plomb vendu en Belgique, il achète un conduit tout neuf en plastique. Dans la maison Fournier, non seulement le robinet extérieur coule à nouveau abondamment, mais on installe un évier dans la salle. Plus tard, on captera une deuxième source. Une vieille lozérienne, à qui on demandait dans une émission de télévision quel était le plus beau souvenir de sa vie, répondit gravement : « C’est quand j’ai eu l’eau sur l’évier… »
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La voie aérienne Pour reconstruire les maisons*, les pierres ne manquent pas : elles se sont amoncelées partout, couvertes de mousse et de ronces. On les dégage, on les gratte, on les aligne par taille. Pour remonter les murs, il ne manque plus que le ciment… mais il en faut des tonnes ! Pour les toitures, après réflexion, on décide d’abandonner les lauzes d’origine — dont beaucoup sont cassées — et d’apporter des tuiles. Les lauzes sont des plaques de schiste plus ou moins taillées en demi-cercle. Les placer exige une technique délicate, et c’est très lourd à manier. Sacs de ciment, paquets de tuiles et bois de charpente : on trouve tout ce qu’il faut à Villefort, chez Barrial, le marchand de matériaux installé là depuis deux générations. Son camion va jusqu’au Mont : là, il débarque le chargement en haut de la calade. Durant plusieurs étés, Pierre et ses compagnons descendront des charges de cinquante kilos sur leur dos au long du sentier pierreux, courant presque, entraînés par le poids, haletants. Un jour, ils transportent ainsi un poêle à bois en fonte, en se relayant. — Il faut trouver autre chose. On n’arrivera pas à descendre les grandes poutres comme ça… — Et puis, c’est trop claquant. On va se démolir les reins. — D’accord, mais quoi ? — Vous avez vu les câbles et le bac rouillé qui traînent sur les terrasses d’en bas ? C’était une sorte de téléphérique à manivelle qui servait à monter les patates et les châtaignes jusqu’au village. On pourrait faire la même chose, mais avec un moteur, depuis le village jusqu’en haut, où la piste s’arrête… — Mince, ça serait super… Mais comment construire un truc pareil ? À travers les rochers, les crevasses ? On n’arrivera jamais !
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Pierre poursuit son idée. Il examine le paysage, fait venir un entrepreneur de travaux publics de Villefort qui ne trouve pas l’idée irréalisable. — Le plus difficile, ce sera d’établir le tracé. Il faut une ligne parfaitement droite, sinon la benne va coincer. Or, tout ici est hérissé de crêtes, creusé de ravines… Essayez de visualiser une voie praticable. Ensuite on peut envisager de placer des portiques de fer bétonnés dans le sol… Et voilà Pierre avec une poignée de fidèles, crapahutant à travers les rochers et les failles, pour découvrir le meilleur tracé, du Mont jusqu’au village. On affuble les filles d’un bonnet ou d’un turban rouge. On les poste sur la pente avec une cordelette en mains et, d’en haut, on juge de l’effet : — Hélène, où es-tu, on ne te voit pas… À droite, Marie-Claire, c’est pas aligné ! Plus à gauche, Catherine… stop ! Marcel Meissonnier contemple cette agitation d’un œil dubitatif. Son commentaire est resté dans les mémoires : — Si votre ciment vous arrive pas comme un nuage, moi, je vous paie des figues ! Mais peu à peu, le projet prend corps. Le câble est offert par une firme belge, un vieux moteur de grue est récupéré à Bruges, des scouts viennent débroussailler le terrain. L’entrepreneur place les portiques au cours de l’été . Il faut encore construire une terrasse de déchargement — baptisée « gare d’arrivée » —, accrocher la benne, monter le tableau de commandes avec l’aide d’un ami électricien. Les premiers essais sont effectués en février , lors du congé de carnaval. Et ça marche ! Ce téléphérique fonctionne désormais à plein rendement. Il va acheminer au village les centaines de tonnes de matériaux nécessaires à la reconstruction des maisons et aussi les équipe-
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ments de seconde main en tout genre, récupérés en Belgique et transportés dans le combi VW qui a remplacé la coccinelle. Les habitants intermittents continueront de rejoindre ou de quitter le village par la calade, à pied. Et en silence, Pierre y tient.
Un lieu pour renaître Tout ce travail manuel n’est pas seulement un moyen de reconstruire un lieu d’accueil : c’est déjà une renaissance, une manifestation de « conversion ». Le travail manuel délivre des apparences ⁸. Il s’agit de sortir de ses habitudes de citadin aisé, d’abandonner le bruit, les courses dans les magasins, les conversations interminables et souvent futiles, le téléphone, la télévision, l’agitation… Les repas sont frugaux, ils utilisent au maximum les ressources locales : pain, légumes, pommes de terre, fromage, fruits. On boit de l’eau, très rarement du vin lors des fêtes. Vivre autrement, faire un arrêt, reprendre souffle. À La Viale, depuis le début, l’urgence des travaux de première nécessité ne justifie jamais qu’on les poursuive au-delà de l’heure de la prière, ni qu’on leur sacrifie le silence de l’après-midi. Les quatre temps de recueillement dans la « chapelle » de fortune sont la priorité. Certains jeunes renâclent : « Pierre, quatre « messes » par jour, c’est trop pour moi ! ». Le père est inflexible :
8. Les phrases en italique sans référence sont extraites des Lettres de La Viale, publiées plusieurs fois par an par Pierre van Stappen, puis par ses successeurs, sans interruption depuis 1973. Au début, il écrivait une lettre personnelle à chaque participant. Le nombre des séjournants entraîna bientôt un texte ronéotypé. Ces archives sont, avec les interviews de divers acteurs de l’histoire, la source principale de ce livre.
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— Tu n’es pas obligé de prier. Mais tu viens poser tes fesses par terre et tu peux dormir si tu veux. Beaucoup disent, après quelque temps : — Cette prière de midi dans la crypte quand on a transporté des paquets de tuiles pendant quatre heures par trente degrés, c’est un repos extraordinaire, une respiration céleste… Le silence de l’après-midi est un moyen de laisser parler Dieu en soi. Loin de nous l’idée de faire de ce hameau un moyen de conversion mené par les hommes. Laisser Dieu parler dans le silence. C’est Lui qui vient vers nous, ce n’est pas nous qui le captons. Saint Bernard de Clairvaux, fondateur des moines cisterciens au xiie siècle, est souvent cité : « Les arbres et les rochers t’apprendront ce que tu ne pourras apprendre à l’école de tes maîtres. » À l’écart du village, au milieu des châtaigniers*, on retrouve de petites granges de pierre aux murs noircis. Ce sont des clèdes, qui servaient jadis à sécher les châtaignes pour les conserver sous forme de « blanchettes ». On les retape une à une et on les équipe sommairement. Ils deviendront des ermitages, où ceux qui le désirent peuvent passer quelques jours en solitude et en silence. Dès leur mise en service, ils sont habités à temps plein chaque fois que La Viale est ouverte. Oser faire silence, c’est oser tout arrêter, oser rompre ses assurances, oser se remettre en question, oser laisser l’autre entamer notre cœur. C’est préparer un espace de renaissance. Avant de déposer la semence, il faut purifier le sol, la terre, le cœur. Il faut faire silence. Ce silence, comme un œil de cyclone, comme un soupir musical, devient semblable au vide accueillant les jours de la création du monde. Ce temps de rupture avec le monde n’a de sens que s’il renvoie au service d’un monde plus juste. C’est une expérience personnelle de simpli-
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cité en vue d’un changement de société. Pour la justice, il faut à la fois aider les continents défavorisés à élever leur niveau de vie, et tenter de diminuer le train de vie de nos propres milieux. Car il n’y a pas assez de ressources sur la Terre pour permettre à tous de mener la vie que nous menons dans nos villes d’Occident. Nous sommes donc invités par les pauvres à partager, à vivre plus sobrement pour que d’autres puissent tout simplement vivre. Notre bataille pour la justice et la libération du monde ne devrait-elle pas commencer par une pratique de la moindre consommation, de la non-pollution, du non-gaspillage ? Se changer soimême avant de changer les autres… (janvier )
La bénédiction des anciens Les anciens habitants de La Viale et du Mont ont été des conseillers précieux en cette période « héroïque ». À chaque arrivée, Pierre garait le combi au Mont devant la ferme Meissonnier. Marcel vivait là en vieux garçon, avec sa sœur Juliette et son frère un peu simplet, que tout le monde appelait « le berger ». Il y avait encore un autre frère, qui était gendarme et vivait à Alès avec sa femme et ses deux enfants. Avant de décharger les vivres, les bagages, le matériel, et de les transporter au village à dos d’homme, le petit groupe était invité à entrer dans la salle, à s’asseoir, à boire quelque chose, à échanger les nouvelles, avant de repartir avec une offrande de saison : du thym, de la sauge, quelques pommes, des cerises. Le matin du départ, c’était pareil. C’était devenu un rituel. Au début, Marcel offrait de la grenadine. Puis, sa sœur Juliette proposa du lait*. Au bout d’un an, Marcel sortit la bouteille de vin. Et un jour, il alla chercher dans le bahut un vieux flacon de fine et des petits verres qu’il remplit à ras bord. Il se mit debout et leva le sien en disant :
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« À l’amitié ! ». Sa famille habitait là depuis le xve siècle. Il fut celui qui initia les étrangers à la vie du pays, les protégea contre les rumeurs désobligeantes, leur fit confiance. Il leur transmit bien sûr son expertise en techniques agricoles et en bâtiments ruraux, mais surtout il se révéla comme un sage, l’héritier de ces Cévenols des hauts plateaux : austères, libres et fervents. On décida qu’il serait le critère de la reconstruction de La Viale : ce que Meissonnier avait comme confort, on pouvait l’avoir. Pas moins, mais rien de plus. Il y aurait par exemple le téléphone — un seul appareil — et l’électricité, mais pas de chauffage central, ni de télévision, ni de lave-vaisselle… L’hiver est rude. Quand le père Étienne Amory arrive un peu avant Noël avec sœur Angeline, Meissonnier lui déconseille de descendre : il y a plus d’un mètre de neige, la calade n’est pas déblayée. — Dormez ici, père, vous descendrez demain quand il fera jour. — Non, merci, j’ai une torche, on connaît le chemin, ne vous en faites pas. Les deux ajustent leur sac à dos et s’enfoncent dans la nuit. Meissonnier est inquiet. Au bout d’une heure, il téléphone pour voir si les imprudents sont arrivés. On ne répond pas. Alors le vieux met sa veste, sa casquette à oreillettes, son cache-nez et descend à son tour. Il ne va pas bien loin : deux cent mètres plus bas, il découvre Étienne et Angeline qui ont glissé dans une congère. Ils n’arrivent pas à reprendre pied sur le chemin et sont enfoncés dans la neige jusqu’à la taille. — Alors, racontait Meissonnier plus tard, geste à l’appui, toute bonne sœur qu’elle était, moi, je l’ai prise à bras le corps, comme ça ! Il tire les deux religieux de la neige, les aide à reprendre pied sur le chemin et les ramène chez lui. Là, Juliette prépare un grog, réchauffe de la soupe. On leur donne des habits secs, et on les invite à dormir dans les chambres du premier étage. Cette fois, ils acceptent. Le len-
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demain matin, ils découvrent que les deux lits dans lesquels ils ont dormi sont les seuls de la maison : Marcel et Juliette ont passé la nuit dans les fauteuils d’osier de la cuisine… Sœur Angeline était professeur à l’école d’infirmières accoucheuses de Namur. Quand on lui demandait combien de bébés elle avait aidés à naître, elle disait : — Oh, pas tellement… Peut-être vingt-cinq mille ? Elle emmènera quelques-unes de ses étudiantes à La Viale dès l’été suivant. Après la mort de son frère, quelques années plus tard, Juliette Meissonnier est pressée par le curé de s’installer à la maison de retraite de Villefort. Elle refuse, elle ne veut pas quitter sa maison. Elle demande conseil au père Guy Martinot, lui aussi partenaire de La Viale depuis les débuts. — Qu’est-ce que Marcel en penserait, père ? — Je n’en sais rien, Juliette. Il n’est plus là pour vous le dire. Priez, et peut-être entendrez-vous sa voix dans votre cœur ? — Je voudrais vous demander un service : conduisez-moi au cimetière… — Bien volontiers ! Le cimetière de La Garde est en dehors des murs d’enceinte, en plein vent, au sommet d’une butte qui domine la lande de genêts. Juliette s’agenouille devant chacune des trois tombes : son père, sa mère, son frère. Elle prie d’abord en silence. Puis elle parle avec ses morts, tout haut, elle dialogue, en vieux français, puis en dialecte occitan, longtemps. Guy se tient en retrait, il a le sentiment d’être témoin de quelque chose d’intime et de sacré. Finalement, Juliette se relève et dit : — C’est d’accord, j’irai.
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Ceux de La Viale allaient la voir régulièrement chez les sœurs où elle s’était retirée. Elle leur faisait raconter les travaux, les récoltes, les nouvelles du village, et continuait à les conseiller. — Vous avez mis un poulailler ? Où cela ? Près de la clède Fournier ? C’est beaucoup trop loin ! Il ne restera pas beaucoup de poules ! Et la suite de l’histoire lui donna raison : les renards et les blaireaux dévorèrent les poules… Pour célébrer le dixième anniversaire de la renaissance du village, on invita les descendants de toutes les familles de La Viale à un dimanche de retrouvailles, en août. Après la messe et un repas en plein air, on leur fit visiter les maisons reconstruites et les terres remises en culture. On leur montra, avec une fierté qui se voulait modeste, ce qu’on avait fait de leur Viale et surtout on les écouta comme on écoutait leur terre. Tous étaient venus. Leur émotion était visible quand ils découvrirent qu’on avait conservé la mémoire de toutes les familles du village, en inscrivant leur nom sur chaque maison. Ce fut une journée d’action de grâces, qu’on renouvela les années suivantes à la demande générale.
Les cloches Au début, il n’y avait pas de permanents à La Viale. On ouvrait le village quand on arrivait, on le fermait quand on quittait. Il y avait deux trousseaux de clés : celui de Pierre et un autre chez Meissonnier. Le plus dur, le jour du départ, c’était de dépendre la grande cloche de bronze pour la cacher dans une remise, sous la paille. Et, naturellement, il fallait la remettre en place à chaque arrivée.
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Il y a toute une histoire autour des cloches de La Viale. Celle qui sonne aujourd’hui n’est pas celle du village d’origine. Cette cloche-là appartenait à la famille Delenne. Elle guidait les égarés l’hiver en cas de brouillard ou de tempête de neige, elle signalait les incendies, les accidents, appelait le curé de La Garde quand quelqu’un était près de mourir. Elle sonna le glas à coups lents pour la déclaration de guerre en , et puis, joyeusement carillonna à toute volée pour annoncer la Libération de la France en . Puis, elle se tut, quand les derniers habitants s’en allèrent. En , des voleurs vinrent, en plein jour, tenter de la dérober. Pas de chance pour eux, la mère Borrély âgée de soixante-dix ans était ce jour-là venue à pied de Villefort pour faire un peu de ménage dans sa maison. Elle entendit les voix, s’approcha sans se faire voir, observa les malandrins et, quand elle réalisa ce qui se tramait, rentra chez elle et se mit à entrechoquer ses casseroles et à taper du marteau sur la tôle qui couvrait le puits, en faisant le plus de bruit possible. Les voleurs décampèrent ! Émile et Jeannette Delenne élevaient leurs cinq enfants à Alès. On les prévint, et craignant que les malfaiteurs ne reviennent, Émile alla avec quelques amis enlever la cloche et la cacher dans sa cave. Il projetait de la vendre à un brocanteur. Mais Jeannette n’était pas d’accord. Pour elle, ce n’était pas une propriété privée, mais une sorte d’objet consacré. C’était pour qu’elle ne soit pas vendue qu’ils l’avaient soustraite aux voleurs ! Émile accepta finalement de l’offrir au curé de leur paroisse d’Alès. On la hissa dans le clocher et en signe de reconnaissance, on la baptisa « Martine », du nom de la fille cadette des Delenne. À La Viale, le départ de la cloche signait celui des habitants. Plus rien ne les rassemblerait dans la montagne. Mais quand le village fut réinvesti, et que le bruit se répandit dans la région qu’un père jésuite belge y installait un village de prière pour
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les jeunes, les Frères de Villefort, qui fermaient leur pensionnat, lui offrirent leur belle cloche de bronze. C’est elle qui, suspendue à un trépied de poutres et tirée à la main par une corde, appelle depuis ce temps-là les nouveaux habitants et les rassemble quatre fois le jour à la chapelle pour chanter, prier, méditer, partager.
Des communautés provisoires La Viale n’est ni une auberge de jeunesse, ni un monastère, c’est un ensemble de « maisons communautaires ». On s’inscrit là pour une semaine au moins et dans chaque maison se forme, pour la durée du séjour, une petite communauté de six à huit personnes. Le premier jour, on organise le partage des tâches, et chaque maison se choisit un responsable. Dans chaque maisonnée il peut y avoir des jeunes, des adultes, une religieuse, un prof, une mère de famille, un jésuite… Cette organisation constitue, avec le travail et la prière, une des facettes importantes de l’expérience de vie à La Viale. Pierre tient beaucoup à ce que les jeunes qui séjournent au village se sentent chez eux, que ce soit leur village, qu’ils en soient responsables. Il ne faut pas leur construire un lieu d’accueil, il faut leur donner quelque chose à construire ⁹. Aussi, durant ces dix premières années, on ne cherche pas à recruter des permanents ni à susciter une communauté qui vivrait à La Viale toute l’année pour assurer l’accueil et la maintenance. Cela créerait un statut « à deux vitesses » que Pierre surtout veut éviter. « Quelque chose à construire », ce ne sont donc pas seulement des maisons. Il s’agit aussi, lors de chaque séjour, de construire une communauté, une « maisonnée ». Les personnes qui arrivent là sont amenées à vivre ensemble sans s’être choisies*, à développer une frater-
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nité basée non pas sur les sympathies ou les affinités mais sur l’appartenance au Christ, sur le pari de voir en chacun un enfant de Dieu. Tous sont responsables, chacun est « hôte », aux deux sens du terme : accueillant et accueilli. Les « maisonnées » prennent ensemble les repas de midi et du soir, et elles assurent toute l’organisation de la vie quotidienne. Cela veut dire : approvisionner (à partir de ce qui est disponible au « magasin central »), cuisiner, chauffer d’octobre à mai, (ce qui signifie aller chercher le bois, le refendre, le scier, l’entreposer), nettoyer, faire la vaisselle, etc. Sur les chantiers ou les cultures, le matin, on rencontre ceux des autres maisons. À l’église, pour la prière, le partage d’Évangile, l’Eucharistie, tout le village est réuni, et le petit-déjeuner est pris également en grand groupe. C’est un moment particulièrement joyeux, après la prière et avant le travail, où tout le village se retrouve, s’interpelle, plaisante en dévorant force tartines. Cette organisation ne va pas sans difficultés. Ce n’est pas évident, par exemple, pour un jeune qui n’a jamais cuit un repas, de préparer sur un fourneau à bois un souper pour neuf personnes avec des ingrédients qu’il n’a pas choisis. On mange parfois en retard. Alors, on chante en attendant que ce soit prêt, et on essaie de ne pas râler si c’est brûlé. Si personne ne s’occupe de prévoir du bois sec, on a froid. Il y a une sanction directe des étourderies qui entraîne la responsabilisation. Cette confrontation commune aux réalités élémentaires du feu à entretenir, de la terre à travailler, du bois qu’on scie, des pierres qu’on assemble et surtout du silence total de la nuit étoilée a quelque chose d’équilibrant,
9. Cf. saint Bernard : « Fie-toi à mon expérience. Tu trouveras plus dans les bois que dans les livres. Les arbres et les pierres t’apprendront ce que tu ne pourrais entendre des professeurs » (Lettres Tome I (Lettres 1-41), Paris, Cerf, coll. « Sources chrétiennes » 425, 1997.
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d’humanisant qui favorise la conversion, la « métanoia », la remise en question de son mode de vie, de ses habitudes, de ses idoles… À toute personne qui demande pour la première fois à s’inscrire, on présente le projet de La Viale et on lui demande de signer une charte, une sorte d’engagement à respecter le silence, à participer à l’organisation et aux temps de prière. On demande aussi une lettre de motivation. Ainsi, les choses sont claires, les candidats savent ce qui les attend, on ne risque pas trop de malentendus.
Rumeurs de secte Les jeunes qui viennent à La Viale ne fréquentent pas les cafés de Villefort ni les fêtes organisées l’été dans les villages à grand renfort d’orchestres « rock ». On ne les voit guère non plus dans les églises paroissiales le dimanche, ils ne restent pas bavarder chez le boulanger, ils font leur pain eux-mêmes. « Mais que fabriquent-ils donc dans ces ruines ? » chuchote la rumeur… Leur isolement, et sans doute leur tenue fantaisiste et leur enthousiasme religieux ont surpris les rares visiteurs venus au hameau dans les débuts et alimentent à Villefort des soupçons de « secte ». Pour les paroissiens traditionnels de cette petite ville, et même pour le curé, la pratique religieuse de La Viale paraît étrange et, comme tout ce qui est étrange, un peu inquiétante. Peut-être aussi ressent-on une crainte confuse que ces étrangers, qui ont l’air si joyeux, si insouciants dans leur chapelle cave éclairée par des bougies collées dans de vieilles boîtes de conserve n’attirent les jeunes du catéchisme hors des chemins balisés.
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La mémoire collective des Cévenols reste marquée par les guerres de religion et les épisodes terribles de la révolte des Camisards qui ensanglanta la région au début du xviiie siècle. Pour les catholiques d’ici, des gens qui se réunissent pour prier dans un lieu désert, cela rappelle le temps des huguenots et prend vite des relents d’hérésie… Pierre se rend compte du danger : il ne veut pas donner prétexte à division dans l’Église. Le vieux Meissonnier, qui est conseiller municipal, a beau défendre ses amis et assurer qu’ils sont de bons chrétiens, il faut aller plus loin. Deux initiatives vont couper les ailes au canard : les jésuites belges et leur groupe vont participer aux offices de la Semaine Sainte dans l’église paroissiale de Villefort et surtout, l’évêque de Mende va se rendre à l’invitation de Pierre pour venir confirmer deux jeunes qui ont préparé leur baptême à La Viale. Si l’évêque est venu là, on peut être tranquille, ce n’est pas une secte ! Il y eut aussi, dans le but de se rapprocher de la vie chrétienne locale, la participation au pèlerinage de Saint-Loup, et à celui de Notre-Dame des Beaumes. Le « dimanche des anciens », où les représentants des familles originaires de La Viale ont été invitées à partager l’Eucharistie et le repas avant de visiter le village avait déjà contribué à rassurer la population. Il reste que l’équilibre est toujours à inventer entre l’expérience forte que l’on vit à La Viale « entre habitués » — avec les codes implicites que cela suppose — et la volonté d’accueillir fraternellement le visiteur curieux, le commerçant des environs avec sa famille ou le touriste égaré, qui ne comprennent pas très bien ce qui se passe là et ne se sentent pas trop à l’aise.
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Contemplatif dans l’action Ignace de Loyola est un mystique dans son journal intime, un manager dans ses Constitutions, et les deux ensemble dans ses Exercices spirituels ¹⁰.
Pierre van Stappen était de cette race. La Viale, c’est son œuvre. Pendant plus de trente ans, il a fait vivre ce « prototype de vie chrétienne » en y consacrant son énergie débordante et tous les temps de congé que lui laissait son travail de professeur à Bruxelles. « Rien ne l’arrêtait », dit Guy Martinot. Il fut l’animateur infatigable de l’entreprise, tant spirituelle que matérielle. Il était partout, au four et au moulin, à l’église et au chantier, et rentré en Belgique il préparait aussitôt le séjour suivant. Comme il répugnait à parler de lui-même, c’est en interrogeant ses amis et en lisant les lettres qu’il diffusait plusieurs fois par an à ceux qui avaient séjourné au village que nous avons esquissé ce portrait vivant en forme de verbes. Il roule. À chaque congé, il conduit le combi à neuf places occupées par ceux et celles qui ont répondu à son invitation. Jusqu’au toit, on empile le matériel et les fournitures destinées aux maisons. Les premières années, l’autoroute du Sud n’est pas terminée. Il faut dix-huit heures pour parcourir les mille kilomètres de route qui séparent Bruxelles de La Viale. On fait escale à Taizé, dans la communauté de frère Roger, d’où l’on ramène toujours quelque beau chant à ajouter au répertoire. À raison de cinq allers-retours par an, cela doit totaliser dans les trois cents mille kilomètres.
10. Timothy Radcliffe, Pourquoi donc être chrétien ? coll. « Épiphanie », Paris, Cerf, 2005.
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Il pense. C’est lui qui rédige les statuts, prenant soin de distinguer propriétaires et usagers. Il imagine le fonctionnement original de cette communauté intermittente, réunit parfois ses collègues jésuites pour, à la lumière de leur prière, réajuster les règles, remettre certaines choses en question, essayer de nouvelles pistes. Il élabore une charte, un projet, la mission des responsables. Il approfondit sans relâche sa recherche d’une pédagogie spirituelle, qui permette une évangélisation des jeunes de nos sociétés modernes par des expériences plutôt que par des interventions verbales à ses yeux toujours ambiguës. Il mendie. Quand il n’y a plus d’argent, il va trouver l’un ou l’autre ami. Comme Ignace de Loyola le dit à propos du « pèlerin » (c’est-à-dire de lui-même), « il a l’art de repérer les personnes riches et ferventes ¹¹ ». En général, il les aborde de front : « Jean (ou Alain, ou Marc…), j’ai besoin d’argent pour La Viale. Ne me propose pas cinq mille, c’est cinquante mille qu’il me faut. » Il sait plaider, son enthousiasme est communicatif, il repart presque toujours avec un chèque ou une promesse. Il explore et il défriche. Un jour, entendant les branches craquer et voyant les genêts s’agiter sur une pente broussailleuse, Marcel Borrély cria : « Attention, un sanglier ! » C’était Pierre qui explorait une portion de coteau en friche. Il arpentait le terrain, repérait les arbres, entreprenait de nouvelles terrasses de culture. De pareille façon, il aidait les jeunes à défricher leur âme et leur cœur, à y repérer les forces latentes, à sarcler les plantes parasites pour que l’arbre porte du fruit. Il sait que si Dieu choisit le moment où Il fait irruption, c’est à nous de
11. Ignace de Loyola, Le récit du pèlerin, Namur, Fidélité, coll. « Vie spirituelle », 2006. Récit écrit par le père Louis Gonçalves aussitôt qu’il l’eût recueilli de la bouche même du père Ignace.
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préparer le terrain pour accueillir la semence, à nous de faire silence pour entendre le murmure. Il cimente. Sur les chantiers, il dirige les équipes et il n’est pas le dernier à empoigner la truelle. Il transporte les pierres et les tuiles, que le soleil cuise ou que la pluie fouette. Il entraîne tout le monde, il galvanise, il unit. Monique, quarante ans plus tard, se souvient de ces premiers travaux et dit : « Ce que Pierre disait, on le faisait, on avait une confiance totale. Cet homme-là, on l’aurait suivi n’importe où. » Il écrit. Avant chaque congé, il diffuse dans son école une circulaire qui invite au « voyage scolaire » à La Viale. Au début, sur les mille élèves concernés, quatre ou cinq répondent. Qu’importe. Ils reviennent. Ils en amènent d’autres. Il y a aussi des collègues, des parents qui se risquent. Au retour, Pierre écrit à chacun une lettre personnelle. Cela deviendra vite la « Lettre de La Viale », entièrement rédigée par lui durant des années, quatre fois par an, avec une sorte de méditation exhortation spirituelle suivie des nouvelles du séjour précédent, et de l’invitation au suivant. Il célèbre. À six heures du soir, quand le soleil baisse, il revêt son aube et célèbre une Eucharistie fraternelle, ponctuée par un partage d’Évangile au cours duquel chacun peut s’exprimer. Les jeunes se sentent concernés, interpellés. D’abord parce que ce prêtre qui consacre le pain et le vin, c’est le même Pierre qui arrachait les pommes de terre en plaisantant avec eux quelques heures plus tôt, épaule contre épaule, dans la chaleur de midi. Et puis, parce que les mots sont vrais, l’écoute chaleureuse, les chants simples et méditatifs. Les adultes, les mères de famille qui accompagnent le groupe découvrent une religion d’amour et de beauté. Ils avaient rejeté le Dieu sourcilleux des pensionnats de leur enfance, ils découvrent un Seigneur nouveau.
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Il prie. Comment dire la prière de Pierre ? Elle est permanente, profonde, forte. Attentive à toute la douleur du monde, et pleine d’émerveillement devant la vie, la Nature, l’amour infini et surprenant de Dieu. Elle est au-delà des mots. Une de ses expressions révélatrices : « allumer » la prière. Comme un grand feu qui brûle le superflu et illumine la nuit. La seule chose que Pierre ne faisait pas, c’est la cuisine. Mais il aimait manger de bonnes choses, aussi choisissait-il souvent comme « maison » celle où une cuisinière expérimentée était aux fourneaux ! C’est l’une d’elles qui nous l’a confié, aussi faut-il peut-être sur ce point faire la part de la vérité ?
chapitre
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n dix ans, sans publicité, le nombre de participants aux séjours de La Viale est passé de cinq à cinq cents. L’été , la fête des vingt-cinq ans de sacerdoce de Pierre a rassemblé plus de cent personnes. La même année, en hiver, le père Jean-Marie Glorieux, un des collègues jésuites qui, avec Guy Martinot et Étienne Amory, est partenaire enthousiaste du projet depuis le temps des pionniers, emmène pour la première fois ses quinze novices jésuites pour la grande retraite de trente jours, appuyée sur les Exercices spirituels. On sort du « club fondateur » : ce n’est plus seulement cette poignée de jeunes de l’École européenne mais des couples de fiancés, des familles avec enfants, des personnes âgées, des étrangers, qui descendent la calade, informés par le bouche-à-oreille ou par un article paru dans la revue catholique Espaces ¹². L’été , ils sont une cinquantaine en permanence, répartis en sept « maisons ». On a établi une charte pour dissuader les touristes et les simples curieux, assurer la continuité de l’entreprise.
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12. François Séjourné, « En solitude dans les Cévennes », Espaces, 1983.
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Mais Pierre se pose des questions sur l’avenir de La Viale. Avec autant de monde, peut-on continuer cette organisation intermittente ? Comment ouvrir tout en consolidant ? Accueillir un grand nombre de personnes d’âges et de milieux divers tout en conservant l’esprit des origines, le silence de l’après-midi et de la soirée ? N’est-ce pas le moment de chercher des « permanents » qui puissent assurer la gestion du lieu et accueillir des gens tout au long de l’année ? Une évaluation réalisée fin montre que les participants sont unanimement contents de l’expérience humaine et spirituelle : reviennent souvent dans leurs réponses des mots comme paix, liberté, harmonie entre la nature, les hommes et Dieu. Les suggestions d’amélioration portent essentiellement sur des questions d’organisation pratique. On demande des Eucharisties à durée fixe, des horaires de repas réguliers, des chemins bien déblayés, une information générale sur l’évolution des chantiers (savoir pourquoi on transporte des tuiles…), des responsables désignés pour les outils, les ermitages… Quelques suggestions sont originales : faire connaître l’historique du village, ne pas cantonner les femmes aux tâches domestiques (cuisine, enfants)… On note aussi, concernant la continuité Viale et vie quotidienne, que si le regard sur les autres change durablement, maintenir la prière et la pratique de l’Eucharistie s’avère plus difficile une fois rentré chez soi. L’attente des participants (une centaine d’entre eux a participé à l’évaluation) semble encourager une organisation plus stable, au delà de la « génération spontanée », plus difficile à gérer à cinquante, avec des personnes de tous âges, qu’avec une dizaine de jeunes.
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Une permanence d’accueil Marc Chodoire est jésuite. En , il a quarante ans et décide de passer quarante jours en silence à La Viale, en solitude. C’est pour lui une expérience décapante. Pierre aussi passe le carême en silence, pour affiner son discernement à propos de l’avenir du village. Marc désire tenter l’expérience d’une petite communauté permanente. Pierre résiste. Pendant deux ans, la réflexion va se poursuivre, ponctuée de réunions entre jésuites et de temps de prière pour écouter de quel côté souffle l’Esprit. Pierre redoute l’institutionnalisation, il tient à cette « dynamique du provisoire » qui caractérise à ses yeux la dimension prophétique de l’œuvre. Il ne veut pas que La Viale devienne un but en soi, elle doit rester un « envoi » vers le monde. Mais finalement, la décision est prise d’autoriser Marc à résider toute l’année à La Viale. L’hiver -, il accueille divers pèlerins et ermites et ne reste finalement que vingt jours tout seul. À partir de ce moment, il y aura un prêtre en permanence, qui accueillera tout au long de l’année ceux et celles, venus d’horizons de plus en plus variés, qui cherchent « un lieu pour renaître ». Pierre résume dans un court texte « la mission des permanents » : – Assurer quotidiennement la prière de louange – Assurer l’accueil spirituel et matériel des solitaires en dehors des vacances – Entretenir et transmettre l’esprit du projet et l’alternance entre le travail manuel et le silence – Entretenir le site et continuer à le reconstruire.
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De à , une petite communauté de six personnes s’organise autour de Marc. Elle rassemble des hommes et des femmes, des personnes aux origines et aux parcours très différents, certains portant de grandes blessures. C’est une expérience difficile et riche. Après deux ans, le groupe se sépare, chacun reprend un projet de vie renouvelé. En , Pierre réunit quelques collègues jésuites durant un weekend pour élaborer un véritable statut pour les permanents. C’est à cette époque que le père Jacques Jouanin, s.j. prend le relais. Il résidera au village jusqu’en , entouré par des laïcs qui s’engagent le temps de quelques mois ou de quelques années, seuls ou en couple, parfois avec enfants. Parmi eux, Michel Val, éducateur à Metz, découvrira à La Viale sa vocation sacerdotale et deviendra, peu après son ordination en , responsable des « quatre pôles », partageant son ministère entre La Viale et le diocèse de Mende. C’est toute une équipe aussi qui, depuis Bruxelles, gère maintenant l’organisation des séjours où convergent un nombre croissant d’étrangers. Parmi eux, après la chute du Rideau de fer en , des groupes de Polonais, de Tchèques, de Russes, d’Allemands de l’Est. Pierre partage désormais l’animation du village avec un « petit gouvernement ». Le père Guy Martinot y est de plus en plus engagé. Il séjourne dans une des « communautés » durant les vacances de Pâques et une partie des mois d’été. Le père Étienne Amory, familier lui aussi des séjours d’hiver depuis les débuts, comme on l’a vu plus haut, sera permanent au village à partir de . Pendant toutes ces années, les travaux d’aménagement se poursuivent au cours des matins de travail manuel : douches dont l’eau est chauffée par des panneaux solaires, fosse septique, chauffage de la grande chapelle à l’aide d’une chaudière à bois qui dévore des morceaux entiers de troncs d’arbre, planchers, toitures, isolations, ermitages, boulangerie
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équipée. Les potagers, les vergers sont cultivés selon les saisons et on conserve les récoltes sous forme de confitures, compotes, stérilisations. On aménage, pour entreposer toutes ces provisions, une grande « réserve », sorte de cellier où il ne gèle jamais, même au cœur de l’hiver.
Un mois pour les «appelés» Les jeunes qui envisagent d’entrer dans la vie religieuse passent souvent par une phase de doute, d’hésitations. Pierre et son équipe imaginent de leur offrir à La Viale un « programme » spécial, une sorte de « banc d’essai » de la vie communautaire et consacrée, qui leur permettrait un meilleur discernement, une occasion d’éprouver leur vocation sans engagement prématuré. La première expérience se tient en , du juillet au août. On installe les garçons aux Rochettes, les filles dans la maison Le Merle. Ces deux maisons sont à quelque distance du hameau, où, l’été, le grand nombre de jeunes résidents ne permet pas, malgré les efforts des anciens, un silence et une solitude radicale. Les petites communautés organisent leur horaire, les temps de travail et de prière, les repas entre eux, et ne rejoignent le village que pour l’Eucharistie. Cette expérience répond à une attente et portera du fruit. Certains s’engageront dans la Compagnie de Jésus, au Carmel, ou au séminaire diocésain, parfois aussi dans des congrégations très radicales, comme les Franciscaines de l’Agneau, religieuses pèlerines qui n’ont ni toit ni pain assuré et confient à Dieu leur subsistance de chaque jour. D’autres rejoindront leurs études et leurs maisons confortables, se marieront. Mais l’expérience de la frugalité et du partage, la « grâce du désert » laissera des traces. Au sein de leur famille, de leur univers pro-
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fessionnel, ils seront plus attentifs à la justice, aux pauvres, acteurs d’une forme ou l’autre de résistance au matérialisme, à la surconsommation et à l’individualisme. Quelques-uns, sans entrer dans une vie consacrée, donneront six mois ou un an de leur vie au service de populations démunies : communautés de l’Arche de Jean Vanier, camps de réfugiés au Cambodge, dispensaires au Rwanda, favellas de Rio ou de Colombie…
Épreuves et drames Beaucoup viennent déposer leurs douleurs intérieures : elles se traduisent presque toujours par un manque de sens de la vie. Les cœurs s’ouvrent, la densité et l’homogénéité de la vie favorisent cette ouverture, tant vers des amis laïques présents que vers les prêtres. Cette peine supportée en secret, qui jamais n’a pu être écoutée, exprimée, libérée, elle se livre et se dénoue […]. La sérénité de la Nature donne le pouvoir de partager ces drames indicibles, fruits de notre époque : dépressions, drogues, deuils, enlisements spirituels, avortements… ¹³ Les lieux où se vit le Christ attirent les gens en grande détresse. Arrivent aussi à La Viale des routards — parfois transfuges de Berdine, une communauté du Gard qui recueille les exclus, les marginaux, les délinquants, les drogués — des jeunes en souffrance, en manque profond d’affection et de repères. Une jeune fille anorexique, une autre qui se drogue et drague dans les cafés de Bruxelles depuis deux ans, ne comptant plus, à dix-neuf ans, le nombre d’hommes qu’elle a connus. Arrivent aussi des 13. Pierre van Stappen, s.j., « La communion de La Viale et d’Opstal », Lumen Vitae, 1983, no 1.
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garçons désespérés, des fugueurs… C’est à cette époque que Pierre et Guy décident de s’asseoir le soir après Complies dans le fond de la chapelle à peine éclairée. À côté d’eux, une chaise libre. Une présence, une écoute ouverte, dans le noir, comme Jésus avec Nicodème. Beaucoup viennent parler, vider leur cœur, confier leurs peines. On vivra des rédemptions magnifiques, mais aussi des déceptions et des drames. Un jeune mourut du sida un an après son départ… Un jeune homme de vingt-cinq ans, en traitement psychiatrique, mit fin à sa vie, après quelques jours au village. Judas aussi s’était pendu, et c’était l’un des Douze… Il y eut d’autres épreuves, moins tragiques. Paul Smolders, jeune jésuite, fut pris d’un grave malaise qui le paralysa partiellement. Le médecin de Villefort arriva aussi vite que possible, et appela en urgence l’hélicoptère du Samu : sans route d’accès, impossible d’évacuer autrement un malade grave vers l’hôpital de Montpellier. Depuis, le seul terrain plat proche du village où se posa ce jour-là l’appareil des gendarmes secouristes est appelé « l’héliport ». Des scouts et des guides installaient leur camp, l’été, sur les pentes au-dessus de Chassezac. Un soir, trois jeunes filles, qui étaient parties se baigner dans la rivière, manquaient à l’appel du soir. Les chefs très inquiets vinrent chercher du renfort au village. On organisa une battue, on appela partout jusqu’à minuit, en vain. Le vieux Meissonnier, consulté à l’aube, plissa ses yeux bleus : — Je crois que je sais comment les retrouver. Quand des citadins se perdent ici, il faut reprendre le chemin à partir de l’endroit où ils sont partis, et choisir à chaque bifurcation le chemin le plus facile :
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celui qui descend, le plus large, le moins caillouteux… En plus, il faut prier les anges. Et en effet, on retrouva ainsi les trois guides perdues. Elles avaient passé la nuit entre fous rires et crises de larmes, enroulées dans leurs essuies de bain. Quelques incendies ne firent heureusement que des dégâts matériels. En , l’annexe de la maison Le Merle, tout juste terminée, brûla entièrement et il fallut tout reconstruire. Au cours de l’été , c’est une pente de garrigue de plusieurs hectares qui flamba durant trois jours, manquant de consumer tout le village. L’histoire vaut la peine d’être contée. Michel Val, à peine arrivé, s’était cassé le pied. Au moment où il revenait de l’hôpital, le pied plâtré, descendu sur un brancard au long de la calade, la pente voisine s’embrasa. Tous ceux qui étaient présents restèrent, aucun ne se sauva. Quelques-uns montèrent rapidement jusqu’au plateau, vers où montait le feu, pour mettre leur voiture à l’écart. Les autres se mirent à débroussailler au-delà du village. Ensuite, tout le monde se rassembla dans la chapelle pour veiller et prier. Quelqu’un — inconscience ou humour ? — entonna le chant : Dans nos obscurités, Seigneur Allume le feu qui ne s’éteint jamais…
Entre-temps, l’alerte était donnée et les pompiers départementaux attaquaient le feu avec leur matériel sophistiqué. Il y eut bientôt quatre cents hommes sur place mais, sans route, impossible d’atteindre le front des flammes avec les camions. On fit appel aux Canadairs qui effectuèrent plus de cent passages. Au bout de deux jours, ça flambait
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toujours. L’officier de gendarmerie donna l’ordre d’évacuer. Guy et Pierre se concertèrent avec quelques anciens : — Si nous évacuons, ils laisseront brûler les maisons. Si nous restons, ils devront nous protéger. — Pas question de partir. Nous n’abandonnons pas le village. Un officier est furieux. Il vient de rentrer d’Iran où son unité aidait à déblayer les ruines du tremblement de terre de Bam. Il supporte mal qu’après le feu, les habitants maintenant lui résistent ! Le troisième jour, les pompiers volontaires de Villefort débarquent. Ce sont des gars du pays plutôt rigolards. On sympathise, ils ne sont pas inquiets… — On va vous arranger ça ! Mais il faut attendre que le vent tombe. Ils se couchent par terre, somnolent, puis ouvrent une bouteille de rouge, sortent leur couteau Laguiole et se coupent des rondelles de saucisson. En fin d’après-midi, ils enrôlent quelques jeunes et, tous en rang, avec des pelles, ils creusent une tranchée et allument un contrefeu. — En fait, c’est pas régulier. C’est pour ça que d’autres ne peuvent pas le faire. Mais vous allez voir, c’est le bon truc ! En effet, le soir, le feu, faute de combustible, meurt sur la bande de terre calcinée. Entre-temps, les gendarmes ont mené l’enquête et découvert que le responsable du départ de feu est… une religieuse qui, devant l’ermitage où elle faisait retraite en solitaire, a voulu se cuire un œuf sur le plat. La malheureuse, effondrée, est emmenée menottes aux poings et mise au cachot à Mende. Elle sera relâchée au bout de trois jours mais l’affaire passera au tribunal. La semaine suivante, l’évêque vient rendre visite et apporter ses encouragements et ses félicitations à tous
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les Vialais pour leur sang-froid et leur résistance. Il réconforte l’infortunée religieuse, cause involontaire de toute cette aventure. Son geste est fort apprécié, tant par les habitants du village que par la population des environs.
Les ermitages En , il y en a huit, situés à environ vingt minutes à pied du village : le Teroun, la Rousselle, la Rochette-Pellecuer, la Levade, le Boucharin, la clède Roux, la Rochette-Gaillard, la clède Fournier. On leur a conservé leurs anciens noms chantants, qui désignent soit le propriétaire, soit un lieu-dit. Ce sont de petites constructions de pierre d’environ quatre mètres de côté. La partie inférieure, au sol de terre battue contenait jadis une réserve de bois : on y alimentait un feu de braises qui, au bout de quelques jours, séchait les châtaignes étalées sur le plancher à claire-voie installé à mi-hauteur. On les a retapés un à un : une toiture solide, des fenêtres, une porte, un plancher renouvelé auquel on accède par une échelle de meunier. À l’intérieur, un matelas, des couvertures, un poêle, une table et une chaise. Comme matériel : des outils, une casserole, un peu de vaisselle ébréchée, quelques provisions (riz, thé), une bible, un carnet de chants, une icône. Vraiment le minimum. Ceux qui en font la demande — et il y en a beaucoup — peuvent vivre là dans une solitude et un silence total, durant un temps qu’ils fixent eux-mêmes. Seigneur avec Toi nous irons au désert Poussés comme toi par l’Esprit.
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Chaque jour quelqu’un va les voir, leur porter une bouteille d’eau et quelques provisions, s’asseoir à côté d’eux pour un « entretien spirituel ». Ils rejoignent le village pour l’Eucharistie du soir. Une façon aussi de vérifier qu’ils vont toujours bien. Certains restent là trente jours, pratiquant dans cet environnement privilégié les « Exercices spirituels » de saint Ignace, avec l’accompagnement d’un père jésuite. Une affichette à l’entrée rappelle que le locataire est censé travailler manuellement deux heures par jour : débroussaillage des environs, provision de bois, nettoyage… La vie en ermitage, c’est un peu « La Viale au carré ». On y expérimente à fond ce qui est au cœur de la démarche vialaise : la « kénose », l’abandon de son moi, de son activité, de son rôle « mondain ». Si le grain ne meurt en terre, il ne portera pas de fruit. Le Seigneur vient. Il vient dans les ascèses où il nous invite, le silence et la solitude où il nous plonge. Mais quelle simplicité ! Et voici que c’est précisément cette vie, inutile et inefficace aux yeux des sages et des puissants qui engendre joie, paix et service pour le monde ¹⁴.
Des temps forts Les moments intenses de l’existence, qu’ils soient horribles ou merveilleux, sont souvent difficiles à mettre en paroles. Ils sont au-delà des mots. À La Viale, il y a eu pour beaucoup de gens des moments très forts qui, aux yeux des autres, sont passés inaperçus : découvertes fulgurantes dans le silence. « Ce dont on ne peut parler, dit Wittgen-
14. Pierre van Stappen, Lettre de La Viale, mars 1983.
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stein, il faut le taire. » Nous nous contenterons donc ici de décrire deux temps forts collectifs, ritualisés, qui se déroulent dans le village à date fixe.
Petit-déjeuner, ensemble avant le travail* Pâques est sans doute le plus important. Ils viennent nombreux, quel que soit le temps, parfois glacial en Cévennes, pour fêter à La Viale le mystère de la Résurrection. Jeunes, anciens, familles avec enfants, ils sont souvent plus de cent. Dans cette nuit d’avril encore si noire, juste avant l’aube, on a quelquefois baptisé ou confirmé des jeunes qui, après un parcours difficile, ont converti leur cœur et leur vie en séjournant au village. Tony, Patrick, Myriam, Cédric… et bien d’autres. La cloche a sonné vers cinq heures trente du matin. Emmitouflés dans les gros chandails et les écharpes, chaussés de bottines de marche, tous, même les petits enfants convergent vers la grande église aménagée depuis dans l’immense grange Fraisse. Les benjamins illustrent les longues lectures de l’histoire sacrée. Abraham brandit le couteau à pain de la cuisine au-dessus de la tête d’un petit Isaac aux cheveux frisés, et le bélier découvert dans le buisson — une branche de châtaignier — est un jouet en peluche. D’autres, un peu plus grands, ont apporté leur instrument de musique et le chant de leur flûte ou de leur violon rend le silence qui suit plus dense encore. Des gens de tous âges sont assis partout, serrés sur les escaliers de bois, sur les bancs, par terre, calmes, attentifs durant plus de deux heures. Le chant de l’alléluia, dont les paroles sont projetées en lettres lumineuses sur le mur de moellons, éclate au moment même où les premiers rayons du soleil traversent la fenêtre du chœur, derrière l’autel, auréolant les célébrants
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d’un halo de lumière. Le baiser de paix est l’occasion d’un énorme charivari d’effusions enthousiastes. À la sortie, tout le monde se retrouve sur la « place de l’Église », cette terrasse récemment déblayée et qui surplombe la vallée maintenant éclairée d’un côté par le soleil encore bas. Les guitares reprennent, et le chant joyeux de la bonne nouvelle éclate jusqu’aux confins du pays : Christ est ressuscité ! Quelques enfants s’égaillent pour dissimuler aux alentours les œufs en chocolat que l’on ira chercher après le petit-déjeuner… Il y a aussi la fête de la Transfiguration*. Au début de la reconstruction, un jour de plein été, Pierre faisait des courses à Villefort. Il s’arrêta près d’un conteneur où étaient entassés des objets cassés et des débris de toutes sortes : réflexe de « glaneur », toujours en quête d’une planche, d’un bocal ou d’une vieille casserole encore utilisables au village. Au milieu des gravats, il découvrit… une icône de la Transfiguration, quasi intacte ! Il réalisa soudain qu’on était le août, le jour même de cette fête qu’il affectionnait particulièrement. On décida que ce serait la fête votive de La Viale. On porte ce jourlà l’icône en procession à travers la montagne, c’est un jour de ferveur et de réjouissances qui ponctue l’été d’une lumière éblouissante, à une période de l’année où il y a toujours un maximum de résidents. Bien des années plus tard, lorsqu’on célébra les vingt-cinq ans de La Viale, une grande icône de la Transfiguration, peinte par une Sœur dans le jeûne et la prière, fut offerte à La Viale. Elle fut l’occasion d’une sorte de pèlerinage. Portée à travers la Belgique d’Opstal à Quartier-Gallet (cf. chapitre ) en trois jours de marche, elle fut accueillie dans l’église voisine de Sevry au cours d’une veillée de prière. L’expérience de cette marche priante fut si bonne qu’on la renouvela les années suivantes, mais… en quatre jours, la première étape de
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soixante kilomètres étant vraiment un dépassement de ses limites à n’opérer qu’à titre exceptionnel ! Le projet d’escorter l’icône à vélo jusqu’en Cévennes (près de mille kilomètres…) ne recueillit pas assez de suffrages. C’est donc en camionnette qu’elle gagna La Viale, après escales à Taizé et à Paray-le-Monial. Mais la dernière partie du trajet, à partir de l’abbaye Notre-Dame des Neiges, fut tout de même accomplie à pied ! Elle est maintenant installée en bonne place dans la chapelle. Chaque août, on la transporte au sommet du plateau et on attend autour d’elle, en silence, le lever du soleil.
Où l’idée de route refait surface Dès l’incendie de , les autorités avaient insisté pour qu’on construise une route, ou au moins une piste qui permette à leurs camions de monter jusqu’au hameau. Chaque été, on dépassait la centaine de résidents et on devait pouvoir assurer la sécurité en cas de feu sans recourir aux grands moyens coûteux de type hélicoptère… Mais Pierre résistait. Dans chacune de ses circulaires d’invitation, il présentait La Viale en insistant sur l’isolement du lieu, l’accès à pied « par un chemin muletier ». Une route, pour lui, c’était une concession regrettable, une perte, la porte ouverte à la facilité, au bruit des moteurs, bref, aux démons qu’il avait réussi jusqu’ici à tenir à distance. En novembre , il se résigna pourtant à réunir les résidents et quelques usagers réguliers de La Viale pour discuter la question. Comme du temps des anciens propriétaires, le premier sujet de débat fut le tracé de la future piste. Pierre voulait qu’on la voie le moins possible du village. Il y avait plusieurs possibilités, toutes aussi riches en virages serrés. Il fallut plusieurs réunions et explorations du terrain avec piquetages successifs avant de se décider.
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Puis vinrent les autres questions, plus épineuses encore : qui aurait accès à la route ? Seulement les secours et les urgences ? La famille Borrély ? Les personnes à mobilité réduite ? Les responsables d’approvisionnement ? Pour Pierre, il n’était en tous cas pas question que les « séjournants » montent en voiture, ou qu’on abandonne le téléphérique pour les transports de matériaux, de colis et de bagages. On passa des heures à envisager les diverses hypothèses, depuis la barrière à cadenas en bas de la route (mais qui aurait la clé ?) jusqu’au libre accès (mais où garer les voitures ?). On dressa la liste des avantages et des inconvénients de chacune des options. On pria beaucoup pour être éclairé. Pierre finalement se résigna : les barrières étaient impraticables. Mais on décida que la route serait étroite, pas goudronnée, malaisée en somme, et qu’en tous cas elle s’arrêterait à plusieurs centaines de mètres du village, pour préserver le silence et le recueillement. Les arrivants seraient toujours invités à rejoindre le village par la calade. Les travaux commencèrent dès l’année suivante, à partir du bas. Une grue au bord de l’Altier transbordait les matériaux et les machines d’une rive à l’autre. Marcel Borrély suivait l’affaire de près : pour lui, c’était l’espoir d’un confort appréciable et d’une plus-value certaine pour son bien. Mais ce n’est qu’en , six ans après, que la piste atteignit la maison Le Merle, en contrebas du village, et qu’une dalle de béton fut posée sur la rivière en guise de pont. On aménagea un parking rustique sous les châtaigniers. Un sentier fléché menait à travers les rochers jusqu’au village. Quelques années plus tard, la piste fut tout de même goudronnée.
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L’essaimage ans « essaimage », il y a « semence ». La semence de La Viale est faite non de paroles ou de théories, mais d’une expérience vécue, de silence, de relations simples débarrassées des ornements mondains, de prière, de partage d’une vie frugale. Emportée par des participants comme un don précieux, elle germa bientôt en d’autres terres. Tous les dix ans, on vit naître — on fit naître plutôt — un nouveau « pôle » de La Viale.
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La Viale –Opstal Le premier surgeon vit le jour à Bruxelles. Très tôt, de jeunes Bruxellois avaient demandé à Pierre de créer un lieu en ville, qui leur permettrait d’entretenir la flamme, de se retrouver plus régulièrement. C’est en que ce projet se concrétisa. La découverte du bâtiment se déroula selon les méthodes chères à Pierre, avec l’habituelle collaboration de la Providence. Il cherchait quelque chose à Uccle, le quartier de l’École européenne, d’où provenaient à cette époque beaucoup d’habitués de La Viale. Madame Barras, la fidèle concierge de l’école, l’apostropha un jour : — Toi qui aimes les vieilles baraques, tu devrais une fois aller voir le vieil atelier au *…
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Pierre découvrit là, au fond d’une impasse, une bâtisse vaste et délabrée, comme il les affectionnait, Madame Barras ne s’était pas trompée ! Mais à qui appartenait cette menuiserie désaffectée depuis des lustres ? Les voisins interrogés expliquent que ces locaux servent de dépôt aux cinémas Crosly. Le propriétaire envisage de les démolir. Il s’agit d’une société dont le siège se trouve rue de la Poste, dans un tout autre quartier. Pierre n’attend pas, il prend le tram et se retrouve en fin de matinée au numéro indiqué, un immeuble à appartements assez défraîchi lui aussi. Il sonne plusieurs fois en vain à toutes les sonnettes. Au moment où il se résigne à s’en aller, un monsieur bien habillé et l’air contrarié vient lui ouvrir. — Que voulez-vous ? Je n’ai guère de temps… — Je viens voir la société X à propos du bâtiment du chemin d’Opstal. — Que se passe-t-il ? — Rien, mais voyez-vous, je suis prêtre et je cherche un local dans ce quartier pour réunir des jeunes… Le ton de l’inconnu change aussitôt. Son visage s’éclaire… — Ça alors ! Figurez-vous que le Conseil d’administration est réuni ici en haut, et que nous sommes en train de nous demander ce que nous allons faire de ce vieux bâtiment ! Voulez-vous monter et nous préciser votre offre ? L’affaire est bientôt conclue. Comme pour le village cévenol, Pierre mobilise des jeunes et des amis pour déblayer et aménager l’atelier. Dès que les lieux deviennent habitables — standard camping deux étoiles — il s’y installe lui-même avec un jeune jésuite et un couple d’amis. Tout en continuant les travaux, on réunit là régulièrement les
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anciens de La Viale et leurs amis. La communauté de La Viale – Opstal est née, qui assure depuis le relais de l’expérience dans la vie quotidienne, au cœur de la ville*. Souvent, nous en avions rêvé, à la Viale. Comment poursuivre nos accueils du Seigneur ? Comment, une fois rentrés en ville, ne pas nous perdre comme l’eau dans le sable? Comment nous retrouver en communauté de prière ? Quelques-uns se sont jetés à l’eau et tentent l’expérience de « vivre autrement». À cinq, nous formons une petite communauté de base dans un atelier désaffecté, à deux pas de l’École européenne. Nous y célébrons régulièrement quatre prières par jour. Nous tenons à vivre dans la même simplicité qu’à la Viale. Il n’y a pas encore de chauffage central, mais c’est pour dans quelques jours, du moins à l’étage. Tout s’y fait soi-même, comme là-bas. La vie y est très vivante, beaucoup de passages et d’accueils. Les initiatives s’expriment et leur écoute dessine progressivement un style de maison. Voici l’horaire […]. Mais dans une vieille tradition d’Église universelle, il n’est pas indécent d’entrer plus tard au cours de ces offices ou de sortir avant la fin. Lettre de la Viale et d’Opstal, 15 novembre 1980
La Viale –Quartier-Gallet* Dix ans plus tard, en , c’est dans l’Ardenne belge que s’installe le troisième pôle. Les « Vialais » prospectaient le coin depuis longtemps, ils avaient repéré une ferme inhabitée à Vonêche. Mais les trac-
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tations s’éternisaient avec un propriétaire qui tergiversait sans cesse. Entre-temps, on allait s’y promener le dimanche, on rêvait, on imaginait. Au bout de trois ans, ce fut le refus définitif. Mais sans doute le Saint-Esprit avait-il, une fois de plus, son idée. Le fils du fermier suggéra : pourquoi n’allez-vous pas voir à Quartier-Gallet ? C’était exactement ce qui convenait. Une petite demeure familiale de cultivateurs, abandonnée depuis la guerre dans une grande clairière, près de Beauraing. Vingt hectares de prairie en pente douce où paissent quelques vaches paisibles, un large horizon borné par la forêt, le silence, un accès malaisé par une route caillouteuse à l’écart de la circulation automobile : tous les ingrédients indispensables à une « Viale ». Autour du vieux bâtiment qui sert surtout de cuisine et de salle à manger, avec quelques chambres dans le grenier, on projette de construire une grande chapelle et quelques ermitages. Pierre anima ce nouveau pôle pendant quinze ans : il était toujours là où les choses se construisent. Au début, comme en Cévennes, il campa sans eau courante ni électricité. Les compagnons bâtisseurs affluaient en fin de semaine. On célébrait l’Eucharistie le soir dans la prairie humide sous une grande tente « Abraham » en lourde toile verte, une ancienne tente hôpital de l’armée américaine, que l’on montait le matin même, en fonction du nombre de participants. Le tabernacle était une vieille table de nuit sur laquelle on avait collé une icône. L’ambiance était vraiment « abrahamique », nomade, pèlerine, sous les toiles qui frémissaient, se gonflaient et claquaient au vent ardennais. Un ami électricien installa un groupe électrogène, qui permettait tout juste d’éclairer la maison avec des lampes de six volts. Quand on put trouver un câble de seconde main, on creusa une tranchée de quatre kilomètres pour se raccorder au réseau existant. Un sourcier recommandé par des voisins fut invité à venir découvrir d’éventuels
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points d’eau souterrains : il se promena avec sa baguette de coudrier, qui soudain piqua du nez : — Ici, vous trouverez de l’eau ferrugineuse à soixante mètres, et de l’eau pure à cent mètres… On fit forer à l’endroit précis désigné par le sourcier : ses déclarations se révélèrent parfaitement exactes. Une pompe, et QuartierGallet puise désormais son eau dans les profondeurs de sa propre terre. En mars , la première pierre de la chapelle fut posée le jour où on fêtait les cinquante ans de vie religieuse de Pierre. C’était un beau bloc de granit apporté de La Viale – Lozère. Guy ne résista pas à écrire à cette occasion : « Sur ce(tte) Pierre, je bâtirai mon Église »… La nouvelle chapelle* est la sœur jumelle de la grange Fraisse : matériaux très ordinaires, charpentes non rabotées, lanternes (boîtes de conserve) suspendues à de longs filins, dizaines de bougies dans leurs photophores de plastique rouge. L’autel : une vieille table de ferme en chêne. Quelques bouts de tuyau en grès superposés supportent une icône de la Trinité. Une esthétique du rugueux, de l’élémentaire. La première impression laisse parfois les arrivants perplexes : inachevé, inconfortable, un peu froid… Mais voilà que des gens arrivent, les flammes des bougies l’une après l’autre frémissent, un psaume résonne, lu par deux groupes en alternance. Les lumières dansent, le chant s’élève, la prière s’allume. Ensuite, le silence partagé vibre longtemps : oui, le Seigneur passe. Quartier-Gallet, c’est une petite Viale belge, à une heure de voiture ou de train de Bruxelles. On peut y venir pour un week-end, pour une retraite avec ses élèves, ses scouts. Une équipe y habite désormais, quelques laïcs, un jésuite, d’autres religieux parfois. Pour loger ceux qui viennent y vivre, selon le même horaire et les mêmes règles qu’à La Viale, on a construit, au fil des matinées de travail manuel, quelques
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maisonnettes en parpaings, qui portent les noms des pères de l’Église : Grégoire de Nazianze, Grégoire de Nysse, Maxime le Confesseur. Un jour, un Albanais égaré, débarqué d’un camion de clandestins sur un parking d’autoroute, est arrivé à pied. Il est resté six mois. Deux adolescents en rupture de famille sont pris en charge par le père Philippe, responsable du lieu, avec l’accord de leur juge. Ils peignent les murs en chantant, puisqu’on les a dissuadés de faire fonctionner leur transistor à tue-tête… Un groupe de jeunes jésuites prépare une marche de prière avec des jeunes pour le week-end prochain. Au dîner, un gratin de courgettes, cueillies le matin dans le potager. On se raconte les dernières nouvelles des Viale, des anciens, de ceux qui vont arriver la semaine prochaine. Le groupe « Warizi » arrive, une quarantaine de jeunes qui animent les séjours d’été dans les trois pôles. Ils se réunissent régulièrement et suivent trois week-ends de formation par an. Pierre peut se reposer en paix dans le Seigneur : son œuvre se poursuit…
La Viale – Europe « Je te le dis avec amour, vieille Europe : retrouve-toi toi-même ! » Jean-Paul II
À l’aube du troisième millénaire, c’est La Viale – Europe qui s’est installée au cœur du quartier européen de Bruxelles*, en plein centre de la ville. Ce vaste bâtiment de briques rouges est rapidement devenu un carrefour de rencontres et un lieu international de vie chrétienne très fréquenté. Pendant une centaine d’années, il avait abrité le couvent des Pères du Saint-Sacrement. Les plus âgés du quartier se souviennent encore
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des Vêpres solennelles qui s’y déroulaient jusque dans les années soixante. On allait chercher l’ostensoir à l’aide d’une échelle, au centre de l’immense soleil doré qui l’entourait et couvrait quasiment tout le mur du fond, éblouissant les fidèles de son opulence baroque et de sa lumière surnaturelle… Mais le nombre de religieux diminua, ils se rassemblèrent dans une maison voisine et les locaux de la chaussée de Wavre furent mis en location. Une auberge de jeunesse s’y installa et le grand jardin arboré, bien caché par les immeubles voisins, fut transformé en terrain de camping. Ce lieu d’accueil aurait pu être une réussite. Mais, malgré les efforts, il resta une maison tristounette, que le Guide du routard de l’époque signale comme ultime recours… faute de mieux. Le camping constituait tout de même une rareté dans ce quartier central, et une possibilité de logement à prix imbattable… En , les Pères du Saint-Sacrement perçoivent le caractère stratégique de leur propriété, situé à deux pas du grand chantier des institutions européennes en pleine expansion. Mais ils voudraient que le bâtiment reste voué à une mission chrétienne. Ils vont trouver le Provincial des jésuites et l’un d’eux dit : — Mon ami, moi aussi j’abandonne plusieurs maisons chaque année ! Comment reprendrais-je cette énorme bâtisse délabrée ! Le Provincial en parle tout de même à ses collègues de La Viale. Guy Martinot va visiter les lieux. D’autres mouvements associatifs sont intéressés, notamment pour organiser du « tourisme social ». Guy subodore sous cette dénomination « pieuse » un projet d’affaires lucratives. La décision doit être prise assez rapidement. Prendre en charge un bâtiment de soixante chambres en mauvais état, alors qu’à Opstal les dix chambres ne sont pas toutes occupées, n’est-ce pas une
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folie ? On cherche des appuis, des cautions : le Foyer catholique européen, l’Ocipe (Office catholique d’initiative pour l’Europe). Après plusieurs semaines de discussions, ceux-ci renoncent : il y a trop de risques. Guy pourtant y croit de plus en plus. À cause de la situation, à deux pas de la gare du Luxembourg, et au centre d’une sorte de carrefour prophétique : d’un côté Matonge, le quartier africain ; en face le Quartier-Léopold aux bureaux peuplés de fonctionnaires internationaux, où s’élabore l’Europe en plein élargissement vers l’Est ; en contrebas la place Jourdan, secteur populaire où les pauvretés ne sont pas rares. Une fois de plus, ceux de La Viale partent à l’aventure. Faut y aller ! La Viale signe un bail de neuf ans, prenant de vitesse les promoteurs du « tourisme social » qui avaient rendez-vous le lendemain. Cinq volontaires s’installent avec Guy : des célibataires, un couple de fiancés. On trouve en quelques mois des partenaires avec lesquels partager la relance. Ce sont des ASBL de services en lien organique avec l’Église catholique, entre autres le Bureau international catholique de l’enfance, l’Aumônerie internationale des étudiants, la Délégation catholique à la coopération, ainsi qu’un projet de l’Arche de Jean Vanier à Bruxelles ¹⁵. On commence par nettoyer, et ce n’est pas rien. Il y a des rats, des dépôts d’ordures, du papier moisi… On repeint, on place des tentures, des meubles clairs. Un architecte ami établit un plan de rénovation à long terme. Il n’y a pas de personnel, tout le monde se partage les tâches de cuisine et d’entretien. Très vite le groupe s’agrandit et les soixante chambres sont bientôt occupées. Il y a des stagiaires
15. Communautés fondées par Jean Vanier, associant des personnes handicapées et valides.
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d’Europe de l’Est, des étudiants, un jeune couple avec son bébé, un prêtre africain… Certains sont protestants ou orthodoxes. Ils restent six mois, un an. Ils travaillent tous en ville, alors l’horaire est adapté. S’il n’y a que cinq ou six personnes à la prière de midi et au déjeuner, ils sont quarante le soir, à l’Eucharistie de h , au dîner et aux Complies de h . L’organisation matérielle aussi tient compte du milieu urbain : les achats d’alimentation sont effectués une fois par semaine via Internet et livrés à domicile. Il y a cinq grands surgélateurs. Les familles disposent d’un appartement. Le lien entre les habitants de La Viale – Europe va bien au-delà d’une cohabitation harmonieuse soutenue par la prière : une solidarité, une entraide personnelle se pratique, on crée des liens sociaux forts. Quelqu’un a récemment perdu sa situation : les autres se sont cotisés pour l’aider jusqu’à ce qu’il retrouve du travail. La chapelle et l’église sont maintenant rénovées, dans un style très contemplatif, et le grand chantier de modernisation de l’ensemble est en route. Après réflexion, on a gardé le camping. Chaque été, accueillis par une équipe d’animateurs expérimentés, des jeunes de toutes origines posent leur sac et montent leur tente dans ce jardin insoupçonné, en plein cœur de Bruxelles. Venus pour une nuit, ils restent parfois une semaine et participent aux temps de prière. Après douze ans d’expérience, les grands bâtiments modernes du quartier européen sont déjà en fonction. La confiance des Pères du Saint-Sacrement, lorsqu’ils invitèrent La Viale à redonner vie à leur couvent, est devenue une collaboration amicale.
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La Communion de partage « Nous faisons la même expérience que la première communauté chrétienne. En se multipliant, elle constate que les prêtres ne peuvent continuer à remplir tous les services, alors elle s’organise pour répartir les responsabilités selon les dons et les possibilités de chacun. Elle confie aujourd’hui plus que jamais une tâche pastorale à chaque fidèle appelé à être évangélisateur. » Proposition d’engagement dans la Communion de partage, Pierre van Stappen, juin
Depuis longtemps, le projet de La Viale est soutenu, porté par un groupe de « fidèles » qui ont vécu de nombreux séjours dans le village des Cévennes et se retrouvent régulièrement à Opstal. En , ce lien est officialisé et structuré par la création de la « Communion de Partage ». Ouvert à tous, ce groupe rassemble des couples et des célibataires qui, sans résider dans une des communautés, se lient à La Viale par un triple engagement : prière, service et partage des biens. À l’image des premières communautés apostoliques, ces chrétiens versent mensuellement une part de leurs revenus (qu’ils déterminent eux-mêmes) sur un compte commun, géré par un petit comité de membres. Une part de cet argent sert à aider des communautés très pauvres, à Bruxelles ou ailleurs. Le reste est au service des communautés de La Viale, qui accueillent souvent des personnes en grande difficulté et font face à des frais de fonctionnement multiples, même si la vie y est frugale et le travail des résidents bénévole. L’engagement de prière est d’abord personnel : prier chez soi, chaque jour, selon un mode à déterminer par chacun. Mais aussi participer à l’Eucharistie dominicale dans un des pôles ou ailleurs, et à une réunion plénière par an. Tous les mois, une soirée de rencontre et
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de prière est organisée à Opstal et plus tard des week-ends rassembleront les membres à Quartier-Gallet. L’engagement de service consiste à accomplir une tâche, à accepter une responsabilité en rapport avec ses compétences, dans des domaines très variés. Une liste non exhaustive de trente-deux services utiles est jointe à la proposition d’engagement. Cela va des relations avec d’autres groupes de prière service à la gestion des comptes en passant par le service des repas, l’animation musicale des messes voire des prestations occasionnelles de médecin ou d’avocat. Le groupe prend aussi des initiatives communes : créer un atelier de boulangerie qui réintègre des marginaux dans un circuit socioprofessionnel, ou racheter une petite maison dont les habitants, une famille amie, allait être expulsée. Ou encore : jeûner pendant vingtquatre heures, et « dé-jeûner » ensemble le dimanche matin… Dans sa Lettre de mars , Pierre donne un écho enthousiaste de l’expérience : La joie du moment reste la « Communion de partage ». Elle est vivante. Plusieurs mettent énormément d’espérance en cette Communion. L’Église de demain sera animée par des équipes de laïcs profondément enracinés dans la prière constante. Le « service » des couples ou des personnes célibataires ainsi que la « mise en commun » de biens trouvent leur source et leur sens dans la prière contemplative, c’est-à-dire au regard fixé sur le réel. Les communautés nouvelles de plus en plus nombreuses en nos vieux pays européens font la même constatation. Elles prient, restent fidèles à l’enseignement des successeurs des apôtres et partagent dans la paix. Notre Communion de partage tient toujours ses portes ouvertes. Il n’y a en son sein ni nouveau ni ancien. Nous y retrouvons la joie des pre-
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la viale mières heures de La Viale ou d’Opstal. Chacun demeure en sa maison, veille à ses enfants, exerce sa profession. Ce qui paraît plus « parfait » que de vivre ensemble en une même maisonnée. Tout cela nous livre un énorme enthousiasme.
L’alliance avec la Compagnie de Jésus Depuis les débuts de La Viale, en , les responsables jésuites de la Province belge méridionale ont soutenu les projets de Pierre et de ses amis. Ils ont donné les autorisations, cautionné, envoyé des renforts quand c’était nécessaire. Mais pendant vingt ans, c’est Pierre qui, en fait, a mené la barque. En , il a septante ans et souhaite que La Viale, alors démultipliée en trois pôles, soit considérée officiellement comme un « ministère s.j. », c’est-à-dire une œuvre de la Compagnie de Jésus, afin d’en assurer l’avenir. C’est l’occasion de repenser le projet, les objectifs poursuivis, la structuration des divers pôles. On consigne tout cela dans une « formula » qui sera la base du contrat, de l’alliance avec la Compagnie. La rédaction de cette formula prendra deux ans et sera l’occasion d’une réflexion, d’une mise à jour fructueuse. En , le lien est officialisé, la responsabilité générale est confiée au père Guy Martinot cependant que Pierre est « envoyé en mission » à Quartier-Gallet.
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Oncles et cousins « Un des signes de vie d’une communauté est la création de liens avec d’autres communautés, constituant un vaste réseau d’amour de par le monde. Et comme il n’y a qu’un Esprit qui vivifie, des communautés naissant ou renaissant sous son inspiration se ressemblent sans même se connaître. » Jean Vanier, La communauté, lieu du pardon et de la fête
a Viale, avec ses quatre pôles, est déjà un réseau. Mais elle s’inscrit dans un maillage beaucoup plus vaste, une grande famille de communautés présentant des affinités entre elles, sans que leurs liens soient formalisés. Certaines sont plus anciennes, elles ont contribué à l’inspiration de la première Viale. D’autres sont de la même génération, animées par un esprit semblable dans des contextes divers. C’est une configuration vivante, évolutive, avec peu de règles fixes, des rencontres ponctuelles organisées ou improvisées, des personnes relais, des échanges. La graine est portée par le vent…
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Les «oncles»… TAIZÉ
Parmi les « oncles », prédécesseurs ou inspirateurs de La Viale, le plus célèbre est sans conteste Taizé. Qui ne connaît, au moins de nom, cette communauté de prière, fondée en plein cœur de la Bourgogne peu après la seconde guerre mondiale par un pasteur protestant suisse, Roger Schutz. Devenue un centre œcuménique, la communauté des Frères de Taizé rassemble depuis plus de cinquante ans des milliers de jeunes — et quelques moins jeunes — du monde entier et de toutes les Églises chrétiennes pour prier, chanter, fraterniser. C’est un haut lieu de la « spiritualité pèlerine ¹⁶ » qui attire un nombre croissant de personnes en quête de sens et de repères. Un style de chants liturgiques s’est créé là, simple, lent, polyglotte et polyphonique, caractérisé par la répétition (« l’ostinato ») et le canon, avec un accompagnement d’instruments légers et « nomades » : flûtes, harmonicas, guitares. Les paroles sont reprises dans les plus anciennes traditions bibliques : psaumes, prophètes, Évangiles. Elles sont courtes, faciles à retenir, elles restent sur les lèvres et dans le cœur longtemps après qu’on a quitté la colline. L’église, construite en , s’est vite révélée trop petite. On l’a prolongée par des toiles de tente. On s’assied par terre, sur des tapis de sol, des coussins, de petits bancs bas. Il y a des dortoirs, quelques chambres. Beaucoup de jeunes logent sous tente. Taizé est, en fait, le plus grand camping de France.
16. Cf. Danièle Hervieu-Léger, Le Pèlerin et le Converti, Paris, Flammarion, 1999.
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Pierre avait découvert Taizé dès . Il disait : « J’ai été marqué au fer rouge par ce premier passage. » Ce fut un électrochoc. Les Belges en route pour les Cévennes faisaient presque toujours étape chez frère Roger durant les premières années. Beaucoup de jeunes ont fréquenté les deux lieux de ressourcement. Certains sont arrivés à La Viale parce qu’ils en avaient entendu parler à Taizé. Sans qu’aucune filiation directe n’apparaisse, l’esprit de Taizé a contribué à modeler les mœurs, le style, les chants de La Viale. À chaque passage, Pierre van Stappen parlait longuement avec frère Roger, et il le reconnaissait comme son inspirateur. BERDINE
D’autres « oncles », un peu plus âgés seulement que La Viale, ont travaillé dans l’ombre à promouvoir l’esprit de ce genre de communauté d’accueil, dans des conditions parfois insensées aux yeux des hommes. Berdine est de ceux-là. Henri Catta est né en . Dans les années soixante, il dirige une agence immobilière sur la Côte d’Azur. Il fait des affaires d’or et mène une vie de luxe. Son frère meurt prématurément et il devient le tuteur de ses quatre neveux. Un de ceux-ci, jeune pilote d’aéronavale, se tue en avion le jour même où il devait déjeuner avec son tuteur dans un restaurant de Nice. Cette succession de drames ébranle Henri, lui fait entrevoir la vanité de son existence. Il est en relations d’affaires avec les carmélites d’Uzès. Un jour de cafard, il se confie à la mère supérieure, qui lui dit : « Monsieur Catta, tous ces jeunes qui traînent par ici, qui sont désespérés, vous devriez vous en occuper… » Henri ramasse deux jeunes routards qui font du stop, les installe dans une maison qu’il a achetée dans l’arrière-pays. D’autres jeunes paumés les rejoignent bientôt, Henri s’efforce de les accueillir, de les
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aider. Bientôt, ivres, drogués, ils se disputent, se battent et mettent le feu à la maison. Tout part en fumée. Pour leur bienfaiteur, c’est une révélation : il ne faut pas les installer dans quelque chose de tout fait, « clé sur porte », mais leur donner quelque chose à construire. Berdine est un tas de pierres, un petit hameau de montagne abandonné, en plein Lubéron, dans la Provence chaude, rugueuse et rocailleuse des environs d’Apt. Henri l’achète et s’installe là, dans une maisonnette qu’il retape lui-même. Une vieille religieuse et un jeune jésuite le rejoignent. On accueille quelques égarés, et bientôt, informés par le tam-tam souterrain des marginaux, affluent des exclus en tout genre : drogués, délinquants en fuite, travestis, zonards, vagabonds. Instruit par l’expérience, Henri instaure deux règles non négociables : - assister à la prière deux fois par jour : à h , le matin, et à h , le soir ; - pas de violence et partant, pas de drogues ni d’alcool, parce qu’ils entraînent la violence. Tout le reste est décidé et organisé par le Conseil de communauté qui se tient chaque mercredi. Des personnages extraordinaires prennent bientôt un rôle structurant dans le groupe : Willy, une sorte de clown, insuffle de la drôlerie dans la pénurie omniprésente et brise les tensions naissantes. Nénesse, qui en a vu de toutes les couleurs et possède une autorité naturelle, dirige et stimule les énergies. Spontanément, on l’appelle « le chef ». On reconstruit, on aménage de bric et de broc, on cultive un potager, on élève des chèvres pour nourrir tout ce monde. Les habitants de Berdine, comme les grands enfants d’une famille nombreuse, viennent, s’en vont, reviennent, parfois disparaissent. Aucun contrat ne les lie. Rien n’est garanti. Ce sont pour la plupart des hommes blessés par la vie, qui n’ont connu ni père ni mère, qui n’ont trouvé place nulle part dans la société. L’âge moyen est de
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ans. Être « de Berdine » leur donne une identité, un lien social, une place quelque part, où ils sont acceptés comme ils sont. Une fois qu’ils ont retrouvé un équilibre, ils partent souvent s’installer ailleurs, dans des lieux plus structurés. Certains ont transité par La Viale. Berdine, plus encore que Taizé, s’appuie sur cette « dynamique du provisoire ¹⁸ » adoptée avec enthousiasme par Pierre van Stappen. Une confiance insensée dans la Providence, une obligation de se rassembler et de prier plusieurs fois par jour, même si on est à cent lieues de toute religion, la nécessité de « quelque chose à construire ensemble », sont des inspirations communes aux deux expériences, même si les habitants de l’un et de l’autre lieu sont, d’un point de vue sociologique, très différents. On peut observer aussi que, à Berdine comme à La Viale, une première expérience menée dans le confort a échoué, entraînant une exigence de radicalité dans la deuxième tentative. L’ARCHE DE JEAN VANIER
« Notre monde a de plus en plus besoin de communautés intermédiaires, c’est-à-dire de lieux de vie où des personnes puissent demeurer et trouver une certaine libération intérieure avant de se déterminer dans un projet de vie : ni projet de leurs parents, ni contre-projet, mais véritable choix. En ces communautés, à travers un réseau de relations et d’amitiés, on peut être vraiment soi-même sans chercher à paraître ni à se prétendre autre qu’on est. On peut se dépouiller de ce qui nous encombre et nous empêche de découvrir notre être profond ¹⁸. »
17. La dynamique du provisoire, titre d’un livre de Frère Roger Schütz, publié en 1974 aux Presses de Taizé et réédité au Seuil en 1977. 18. Jean Vanier, La communauté, lieu du pardon et de la fête.
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Ces phrases de Jean Vanier, fondateur des Communautés de l’Arche, révèlent d’emblée les affinités de son projet avec celui de La Viale. Ce Canadien né en a interrompu une carrière d’officier dans la Royal Navy pour des études de philosophie et de théologie à Paris. En , encouragé par un de ses professeurs, le père dominicain Thomas Philippe, il décide de créer une communauté où des personnes handicapées partageront une vie simplement humaine et joyeuse avec ceux qui s’engageront auprès d’elles. Quarante-cinq ans plus tard, l’Arche a essaimé dans une trentaine de pays et accueille près de trois mille personnes avec un handicap mental. Les communautés de l’Arche participent de ces mouvements d’Église, nés aux alentours du concile Vatican II, où naît une espérance nouvelle, un engagement concret dans l’Évangile. Elles entendent réaliser « le Royaume, tout de suite !… Faire croître ces semences d’éternité que Dieu a enfouies dans un corps limité, et qui se manifestent à travers mille petits gestes quotidiens d’amour et de pardon ¹⁹. » C’est à travers la vie ordinaire, le travail, la prière, les repas, les fêtes — très important, les fêtes — que la vie spirituelle s’approfondit, dans le respect de la foi et des traditions de chacun. Bien sûr, cette expérience est très différente de La Viale : les personnes qui s’y engagent y vivent à temps plein, dans la durée. Les « assistants » sont volontaires les deux premières années, salariés (modestement) ensuite. Mais ici non plus on n’a pas de garantie, on vit dans l’incertitude de trouver assez de personnes valides pour équilibrer les communautés. Cette incertitude est constitutive de l’esprit de con-
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fiance en la Providence. « Si un jour on voulait s’assurer qu’il y ait toujours assez d’assistants, ce serait la fin de l’Arche », dit Jean Vanier. Des groupes de l’Arche sont venus en vacances à La Viale – Cévennes. Des membres ou des bureaux de l’Arche partagent les locaux de La Viale – Europe depuis ses débuts. On s’entend bien, c’est le même Esprit qui est à l’œuvre, manifestement.
… et les «cousins» MAR MOUSSA
Mar Moussa, comme La Viale, est la reconstruction de ruines longtemps abandonnées. Mais au lieu d’un village lozérien, c’est une citadelle de pierre jaune aux portes du désert de Syrie, un lieu de vie monastique très ancien qu’un jésuite italien, Paolo dall’Oglio, a fait revivre. Dès les premiers siècles chrétiens, les grottes de cette falaise avaient été habitées par des ermites. Au xie siècle, on y construit un monastère dédié à Moïse l’Éthiopien, saint Moïse, qui se dit en arabe Mar Moussa. Ce monastère traverse les siècles, épargné et même respecté par les dynasties musulmanes successives qui dominent la région. Il appartient à l’Église syriaque, qui parle cette très ancienne langue sémitique, proche de l’arabe et de l’araméen parlé par Jésus, où dans les prières chrétiennes, Dieu s’appelle Allah. L’église abbatiale est peinte de fresques magnifiques, qui en cachent d’autres, plus anciennes encore. Le monastère, comme beaucoup en terres d’Orient, périclite à partir du xviiie siècle. Le dernier moine s’en va en . Cent cinquante ans plus tard, en , le jeune père Paolo découvre ce site grandiose et délabré. Il y passe plusieurs jours, seul dans la prière,
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et forme aussitôt le projet d’y vivre et d’y créer une communauté vouée au dialogue islamo-chrétien. Il lui faudra neuf années et beaucoup d’obstination pour obtenir les autorisations nécessaires, tant de ses supérieurs que des autorités locales. Entre-temps, il termine ses études à Rome, est ordonné à Damas dans le rite oriental et est envoyé comme prêtre de paroisse à Alep. Là, il s’occupe des mouvements de jeunesse et emmène les scouts nettoyer Mar Moussa pendant les vacances. Il remue ciel et terre — les relations politiques de son père, le Vatican, le ministère de la Culture en Syrie — pour obtenir qu’on s’intéresse à cet antique monastère fortifié et qu’on y consacre des crédits. Les fresques de l’église sont retenues pour leur inestimable valeur artistique et historique. Des travaux de restauration associant plusieurs universités — dont celle de Louvain en Belgique — révèlent plusieurs couches superposées, qui sont analysées et reconstituées avec patience. En , quelques jeunes qui ont travaillé avec le père Paolo aux travaux d’aménagement s’engagent avec lui et s’installent dans les quelques pièces rafistolées pour former la première communauté. À Mar Moussa, des chantiers de vacances accueillent des jeunes de tous pays qui viennent reconstruire les bâtiments et chercher Dieu dans le désert. Les piliers de la vie quotidienne sont, comme à La Viale : prière, silence, travail manuel, dans la frugalité et la fraternité… Un accent particulier est placé sur l’hospitalité : accueil des gens du voisinage, mais aussi de groupes d’étudiants et de pèlerins solitaires, venus parfois de loin. Les prières, l’homélie, la messe sont en arabe, tandis que les chants, les psaumes, les hymnes sont en syriaque. Toutes les occasions de favoriser la reconnaissance mutuelle entre chrétiens et musulmans sont retenues. Un jeune moine de Mar Moussa a séjourné à La Viale, et plusieurs « Vialais » sont passés dans ce haut lieu syrien. Dans les deux lieux de
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prière, ils ont retrouvé le même silence, le même travail fraternel, le même souffle de l’Esprit sur la montagne. De chaque côté de la Méditerranée, un jésuite obstiné habité par le désir de Dieu a réalisé son rêve, suscitant la ferveur, mobilisant les énergies, croisant les différences. TOULA
Toula n’est ni un monastère, ni un village de prière, c’est tout simplement une paroisse orthodoxe russe, à deux cents kilomètres de Moscou, non loin de la propriété familiale de Léon Tolstoï. Alors, quel cousinage avec La Viale ? C’est que Toula abrite une antenne locale dynamique du MJO (le Mouvement de la jeunesse orthodoxe). Dès , à son invitation, un groupe de jeunes français participe à un chantier à Bogoutcharovo. Deux ans plus tard, les jeunes russes commencent leur pèlerinage en France par une semaine à La Viale. Le père Jean-Marie Glorieux les accompagne. Il connaît le village cévenol depuis longtemps : il y a monté des murs et assemblé des charpentes. Il a aussi emmené plusieurs fois, en plein hiver, ses novices jésuites pour une retraite de trente jours. Il parle russe, la moitié de son cœur habite la Russie et il va depuis longtemps à la rencontre des Orthodoxes. Lia Aladina écrit, après son retour à Toula où elle est responsable de l’école du dimanche : Il est intéressant de remarquer qu’à La Viale travaillent et s’amusent comme des enfants ceux qui sont déjà arrivés à la foi, ceux qui ne sont absolument pas catéchisés et ceux qui tentent de comprendre ce qu’est la foi, l’Église, le salut. Il y règne une atmosphère spécifique de prière et de recueillement. Nous avons retenu les paroles du père Pierre: «Écoutez le silence!»
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la viale La discipline régnant au camp m’a beaucoup étonnée. Après la prière du soir, par exemple, il est interdit de discuter, et tous se soumettent à cette règle. […] Je suis très reconnaissante à sœur Catherine, au père Jean-Marie et aux responsables du village de nous avoir accordé une maisonnette. Nous l’avons déblayée et nettoyée de façon à satisfaire, matin et soir, à la règle de prière orthodoxe. Les membres de la communauté ont manifesté un intérêt sincère envers nos traditions. Je suis pleine de gratitude envers nos amis français et belges pour leur aide loyale concernant l’ouverture de cette chapelle orthodoxe. Je veux aussi faire mémoire de nos rencontres dans «la maison à la cheminée ²⁰ », lorsque le camp tout entier se réunissait avec nous, le groupe russe. Nous avons sympathisé avec de nombreux jeunes: de France, de Belgique, de Tchéquie, du Canada, du Liban, d’Inde. C’était intéressant de découvrir les particularités de la foi catholique, des familles françaises, les coutumes liées au mariage. Nous avons appris l’histoire de La Viale, dont le père Pierre van Stappen nous a fait un récit remarquable. J’ai perçu l’intérêt sincère de la jeunesse d’Occident pour la Russie, la culture russe. On nous a questionnés sur notre chemin de foi personnel, sur l’activité pastorale dans notre pays au cours des années qui ont suivi la chute du communisme. Une question revenait souvent : comment proclamons-nous notre foi? Est-il facile d’être chrétien dans notre pays? Il est curieux de remarquer que c’est à La Viale précisément qu’il nous a été donné le plus profondément de réfléchir à l’Orthodoxie, aux particularités du caractère national russe. Nous avions la pos-
20. Il s’agit d’une maison courbe, l’ancienne grange Roux, longtemps appelée « le haricot » et qui, vu les difficultés de sa structure, fut restaurée la dernière. Rebaptisée « maison Maissonnier » en mémoire de Marcel et Juliette, elle offre une vaste salle où on peut maintenant se réunir nombreux autour d’un feu ouvert gigantesque.
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sibilité d’observer notre maison de l’extérieur, d’en apercevoir la dignité, la beauté, mais aussi les manques ²¹.
Depuis ce périple mémorable, les échanges ont continué presque chaque année, animés par des enthousiastes du dialogue entre Chrétiens d’Orient et d’Occident : le père Viatcheslav à Toula, sœur Catherine en France, père Jean-Marie en Belgique, en partenariat avec le Foyer culturel franco-russe « Aux Deux Ours », dirigé par le père Bernard Dupire, à Paris. Comme à Mar Moussa avec les musulmans, ces rencontres personnelles, concrètes, ces réseaux d’échanges contribuent puissamment à réduire les préjugés réciproques entre peuples et religions, à tisser des liens de paix. Le théologien français orthodoxe Olivier Clément le soulignait dans une interview récente : « Ce qui engage l’avenir, c’est l’amitié, les petits groupes d’amis réunissant des orthodoxes, des catholiques, des protestants. Là s’élabore l’œcuménisme de demain. Je crois aussi aux changements qui se feront dans la jeunesse des pays orthodoxes. Au fur et à mesure que ces jeunes des pays de l’Est viendront chez nous, ils découvriront que l’Occident n’est pas un ramassis d’hérétiques mais qu’il y a ici des chrétiens confrontés aux mêmes problèmes qu’eux. »
On pourrait en citer encore bien d’autres. Saint-Hilarion, par exemple, en Calabre, où Frédéric, un ancien de La Viale, vit en ermite dans un
21. Ces lignes sont extraites de la brochure Chrétiens d’Orient et d’Occident. Chantier pèlerinage en Cévennes, Haute-Loire et Ile-de-France, août 2001, publiée à l’initiative de sœur Catherine Déom, Notre-Dame de Fidélité, Paris.
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monastère abandonné qu’il retape peu à peu. Il accueille toute l’année des jeunes qui viennent partager sa vie de prière et de travail durant quelques jours. Ou Kobor, en Roumanie. Le climat est rude et la région très pauvre. Erwan, qui a passé quelques années à La Viale – Europe, s’est installé là pour tenter de faire revivre ce village déshérité.
chapitre
Histoires de veillée vant de mener, à partir de cette expérience de quarante ans, une réflexion sous forme d’action de grâces, en prenant conscience de tout ce que nous avons reçu et vécu, prolongeons un peu la veillée au coin du feu pour raconter quelques histoires, quelques fioretti.
A
N’aie pas peur de toi-même! Lorsque Pierre, après avoir pénétré une première fois dans La Viale en ruines, a décidé d’y passer six jours seul en priant, il est arrivé le soir dans l’obscurité avec une petite lampe de poche pour trouver son chemin. En approchant de la maison Fournier, la seule offrant encore un toit, il a été effrayé de se trouver en face de quelqu’un d’autre avec une lampe de poche. « Il y a quelqu’un ? » Silence, pas de réponse. Par prudence, pour ne pas être trop facilement repérable, Pierre éteint sa lampe. Son vis-à-vis fait de même. « Qui êtes-vous ? Que voulezvous ? » Nouveau silence. Pierre avance et rallume brusquement sa lampe pour surprendre l’autre. Mais celui-ci fait exactement la même chose. C’est au bout de quelques minutes, pour se calmer que, dans la pénombre, il a découvert son reflet dans le seul carreau entier d’une fenêtre.
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Les ruches: il n’y a pas de problème sans solution Dès les premières années de La Viale, Pierre rêvait d’installer un rucher. Les moines de Chevetogne lui offrirent une ruche en activité. C’était encore l’époque où les douanes existaient en Europe et le voyage jusqu’à La Viale, avant les autoroutes, durait une vingtaine d’heures. Après être passé chercher cette ruche au crépuscule pour que les abeilles soient au logis, nous sommes arrivés à la douane française. Un douanier somnolent s’est approché : « Rien à déclarer ? » Pierre avait comme principe de répondre d’une manière désarçonnante : « Nous déclarons que nous allons dans un village de prière en Cévennes. » En éclairant de sa torche l’intérieur de la camionnette le douanier remarque la ruche qui ressemblait à une caisse disjointe : — Et dans cette caisse ? — Il reste probablement quelques abeilles. — C’est interdit, il vous faut un certificat pour les importer ! — Nous ne pouvons pas les vacciner une par une… — Rien à faire, c’est interdit ! — Nous voulons bien les jeter sur le côté de la route mais demain cela pourrait être ennuyeux pour vous ! » — Allez, ça va… mais s’il y a un contrôle, ne dites pas que vous êtes passés par ici ! Après quelques centaines de kilomètres, aux environs de Dijon, le soleil se lève et les abeilles trouvent une fente pour sortir de la ruche. Aussi longtemps que nous roulions, pas tellement de problème, elles se regroupaient à l’arrière. Mais à chaque arrêt, elles nous entouraient, c’était insupportable. Que faire, ce serait trop bête de les laisser s’échapper ou d’aller chez les pompiers pour leur demander de les gazer… « Il n’y a pas de problème sans solution. »
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Pierre arrête le minibus, retire les valises et commence à couvrir les vitres avec des vêtements et des couvertures. L’obscurité ramène les abeilles dans la ruche. Il ne reste qu’à obturer la fente pour continuer la route. À l’arrivée, après avoir descendu la ruche par la benne, nous serons tellement fatigués qu’en portant la ruche sur le dos nous cognerons une vigne… Le salut dans la fuite.
C’est les scouts! À la même époque, après un long voyage sous une pluie battante, nous arrivons de nuit à La Viale. Avant d’emprunter la calade pour descendre à pieds, nous chargeons les bagages dans la benne qui, le long d’un câble de six cents mètres, achemine tout le matériel jusqu’au village. Malheureusement, pour une cause inconnue, le moteur qui contrôle le câble de descente bloque avant l’arrivée et la benne se balance à quelques mètres du sol. Trouver une échelle, l’appuyer en déséquilibre contre la benne et, toujours sous la pluie, descendre les sacs un par un. Enfin, nous sommes à l’abri dans la maison Fournier et après avoir chauffé une tasse de tisane, nous nous glissons épuisés dans nos sacs de couchage. Et c’est alors que, après quelques minutes, un coup sourd est frappé à la porte. Non, ce n’est pas possible, à des kilomètres de tout humain… Un nouveau coup. — Oui, c’est qui ? — C’est les scouts, nous sommes perdus et nous avons aperçu votre lumière ! Quel courage il faut pour se lever, rallumer un feu, préparer un repas sommaire et trouver un abri.
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Depuis lors, c’est devenu un réflexe lorsqu’il y a une catastrophe imprévue, nous répétons spontanément : « C’est les scouts ! »
Égarés, et nous t’indiquons le chemin Il y a quelques années, nous avions décidé pour le lundi de Pâques de faire le pèlerinage de Thines, plus de trente kilomètres, avec un important dénivelé. La moitié de la communauté partirait en voiture jusqu’à Thines et reviendrait à pieds, tandis que l’autre moitié retrouverait les voitures pour rentrer. Avant l’aurore, Guy constate qu’il y a un épais brouillard et que quelques flocons de neige sont tombés. C’est fou de partir pour cette longue route que nous n’avons jamais parcourue. Il y a des enfants dans le groupe. Sur la garrigue, la neige a sûrement effacé la sente. Si nous nous égarons, quelle sera la réaction des gendarmes en face de cette imprudence ? Il est bon d’être prudent mais de ne jamais céder à la peur. Nous partons. À la mi-journée, nous constatons que nous sommes perdus. Impossible de retrouver une trace de chemin ou un point de repère dans le brouillard. Après avoir marché à l’aveuglette pendant une heure, nous devinons des ombres en face de nous. C’est l’autre groupe, perdu lui aussi. Nous dansons et chantons de joie car le chemin parcouru par ceux qui viennent en face est le bon pour nous et réciproquement.
Le dernier mot Pierre houspillait tout le monde sur les chantiers : « Plus vite… Ils ne travaillent pas. »
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C’est toujours lui qui résolvait les problèmes et les difficultés. Un ami, qui travaille dur en Belgique comme membre du personnel communal, raconte ses vacances à ses collègues : « Je dois me lever à sept heures, aller prier, préparer le repas, faire la vaisselle, travailler quatre heures à la sueur de mon front et, en partant, je dois encore payer ! » C’est lui que Pierre stimule énergiquement en lui expliquant comment creuser un grand trou dans un sol empierré : — Pierre, tu veux toujours avoir le dernier mot, c’est impossible de creuser ce trou, je vais finir par mourir d’épuisement. — Ce n’est rien, dit Pierre, je te ferai un bel enterrement. — C’est ça, tu auras encore dernier mot ! Marthe Mahieu-De Praetere
« De commencement en commencement » par Guy Martinot, s.j.
ans ce dernier chapitre, nous allons, comme on le fait en Cévennes après avoir récolté les châtaignes, trier, décortiquer et engranger, autrement dit, tirer les conclusions et retenir les enseignements de cette belle histoire. Nous évoquerons d’abord La Viale – Lozère en Cévennes, le premier pôle historiquement, avant de parler des trois autres. La meilleure manière sera de répondre à quelques questions.
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Quelle est la première impression en arrivant à La Viale – Lozère? La toute première expérience est de retrouver par tous ses sens la beauté et la force de la nature : la pureté de l’air et de l’eau, le jeu de la lumière et des nuages, la croissance continue des arbres, la silencieuse mouvance des étoiles. Cette expérience heureuse réveille doucement le goût de la contemplation. Comme le Seigneur, dans le livre de la Genèse, nous voyons que cela est bon. Notre mode de vie urbain technicisé a souvent entamé notre capacité de contempler les réalités simples et vraies de la nature. De plus,
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pour beaucoup de jeunes, l’écran du monde virtuel de l’ordinateur et de la télévision est devenu un exil intérieur. En percevant les possibilités de manipulation, ils ont aussi développé intuitivement une méfiance à l’égard des mots et même des images.
Est-ce simplement une émotion «écologique»? Cela peut aller plus loin. Oui, au sens plénier du terme, la nature est le premier langage de Dieu : « Devine qui je suis et comme je t’aime, dit le Seigneur. J’ai voulu te laisser la liberté de me découvrir dans la création que je te confie. » Face à Dieu Créateur, découvert par les quatre éléments — l’eau, la terre, l’air et le feu — dans la force et la beauté de la nature, jeunes et moins jeunes peuvent accepter de se sentir petits et que Dieu soit grand, mystérieusement, cela les met en paix. De nombreux jeunes vivent dans des familles décomposées, recomposées. Certains de ces jeunes s’opposent à leurs parents parce qu’ils connaissent leurs faiblesses et parfois leurs lâchetés. Comme leur relation au père est blessée, il vaut mieux pour eux, avant de reconnaître Dieu comme père, le découvrir comme Créateur.
Pourquoi cette vie simple que certains, à la limite, trouvent trop austère? Depuis les premières années, à La Viale, une vie simple fut à la fois une nécessité et un choix. Lorsqu’il fallait porter pendant vingt minutes à dos d’homme (ou de femme)… tout ce qui était nécessaire pour vivre, cela nous a aidés à éliminer le superflu. Ensuite, lorsque
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le monte-charge et la route facilitèrent la vie, un critère permanent fut le mode de vie des Lozériens, nos voisins et amis. Cette vigilance permet de lutter contre les tentations de l’argent et par surcroît de mettre comme entre parenthèses les différences sociales ; c’est la première des béatitudes évangéliques : « Heureux les pauvres de cœur, ils posséderont le Royaume de Dieu. » Tous, nous sommes plus ou moins prisonniers de notre milieu social. Pour les jeunes, c’est une tentation constante de se faire valoir par l’argent. Pendant le temps vécu à La Viale, il n’y a rien à acheter, l’argent n’a pas cours. Il n’y a pas de classe sociale, pas de différence dans le logement ou la nourriture. Le banquier et le routard sont à la même enseigne. Cette vie simple délivre aussi de tant de besoins superficiels. Beaucoup de jeunes éprouvent une sourde inquiétude à propos de la consommation effrénée qui met la planète en danger et crée un fossé d’injustice. Les secousses financières, économiques et sociales de notre monde les troublent. Face à cette onde de choc, la volonté collective de « décroissance » reste souvent théorique et n’est pas relayée par les politiciens. Une modeste expérience heureuse d’une vie simple où les compensations artificielles sont éliminées, telle que nous la vivons à La Viale, est un engagement réel pour la vie.
Comment peut-on «obliger» tout le monde à ce travail manuel du matin? Comme nous l’avons noté, beaucoup de jeunes vivent dans un univers virtuel d’images, de sons et de mots où toutes les illusions sont possibles. La seconde expérience de la vie à La Viale est celle du travail manuel : monter un mur, bêcher la terre, capter une source, c’est en-
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trer dans la réalité et la vérité du travail. Pas d’illusion, le mur est droit, l’eau coule… ou pas. C’est aussi une manière de redécouvrir concrètement le bienfait d’une autorité car, pour arriver à un résultat, le jeune a souvent besoin du conseil ou de l’encouragement d’un aîné. C’est bien cela le rôle de l’autorité, qui selon la racine latine fait « grandir ». Après en avoir apprécié la valeur sur le plan matériel, il est plus simple de l’accepter à sa juste place dans le domaine spirituel. Dans ce travail manuel, naît aussi la solidarité. La pierre que je ne puis porter seul, peut facilement être transportée à deux. Et dans l’effort commun peut naître l’amitié. Après le travail, chacun peut trouver un moment de paix en voyant que « cela est bon ». Le travail intellectuel laisse souvent insatisfait, alors que le travail manuel apaise. D’ailleurs chacun, chacune peut choisir un travail adapté à ses capacités. Ainsi en définitive tous nous découvrons qu’il est naturel de travailler de ses mains.
Le cadre de vie de La Viale est assez exigeant, laisse-t-il une place à la liberté? C’est vrai que le cadre est exigeant, mais tous ceux qui viennent sont volontaires, ils ou elles ont choisi de vivre cette expérience. À ceux qui viennent pour la première fois, une lettre de motivation est demandée. Ce style de vie simple offre la chance d’une vraie liberté car ce ne sont pas les choix des choses qui sont les plus féconds, mais bien le choix libre des personnes à qui faire confiance.
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Cela se vérifie spécialement pour les adolescents. Alors que la loi de vie du petit enfant est extérieure : « obéis à ceux qui t’aiment », l’adolescent, lui, découvre, souvent avec difficulté, une loi intérieure : « grandis en osant choisir ». Beaucoup de jeunes se sentent à l’étroit dans leur famille, mais ils peuvent l’agrandir par des paternités « adoptives » et des amis qui sont comme des frères et sœurs choisis librement. Ces paternités et maternités « adoptives » complètent ou guérissent les apports familiaux. Ces choix intuitifs personnels constituent la plus belle expérience de liberté. La Viale en offre des occasions vraies et profondes.
Peut-on parler d’une expérience de désert? Oui, car le désert est un lieu qui n’est pas encombré par les choses, où n’existe que l’espace de la rencontre avec Dieu et avec le prochain. Comme, par exemple, il n’y a pas de télévision et seulement un journal, souvent vieux de quelques jours, qui traîne sur une table, les sujets de conversation ne sont pas alimentés par les stéréotypes des médias, mais s’enracinent dans l’expérience personnelle. Le temps de la rencontre est donné. Lorsqu’une maman a demandé à son fils, revenu d’un séjour à La Viale, ce qu’il avait le plus aimé, celui-ci a répondu : « les gens ». Il avait bien perçu l’essentiel. Il n’y a pas une Viale, mais des Viale, car chaque période est différente d’après les personnes présentes. Mais il existe aussi une continuité dans la transmission de l’esprit, car les arrivées et départs se font individuellement. Ce n’est pas un groupe qui remplace un autre, chaque jour quelques personnes arrivent et d’autres s’en vont. L’eau ne reste
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pure que si l’écoulement est continu. C’est aussi une parabole de la vie où chaque jour il y a des naissances et des décès.
Et les finances? Heureusement, il y a quarante ans, les prix d’achat en Lozère étaient beaucoup moins élevés qu’actuellement : un peu plus de cinquante mille euros pour racheter le village en ruines et une centaine d’hectares de landes. Comme d’autres achètent les actions d’une industrie, ceux qui les premiers avaient fait l’expérience de La Viale ont investi pour créer un lieu de vie pour des jeunes. Pour reconstruire, les pierres et le bois sont disponibles sur place. La nourriture est frugale et les quotes-parts journalières permettent d’acheter ce qu’il faut et de payer assurances, électricité, etc. Depuis l’origine, les Viale ont vécu, sans subsides, grâce à la générosité, notamment celle des permanents. Ainsi, les jeunes perçoivent que c’est une joie et une mission de donner sa vie pour qu’ils grandissent et ils découvrent librement Dieu. Cela leur donne confiance en eux, d’expérimenter qu’on est heureux de donner son temps et sa vie pour eux, qu’ils en valent la peine.
Avec une messe quotidienne et trois offices de prière, ne risque-t-on pas «l’overdose» de prière? Pour un regard extérieur, les offices de prière du matin du midi et du soir avec une messe quotidienne, tels que vécus à La Viale, peuvent paraître un rythme exagéré. Pourtant, à l’expérience, c’est une « respi-
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ration naturelle ». À l’origine, ce sont les jeunes eux-mêmes qui ont proposé de reprendre ce rythme de prière des moines. Tout d’abord, la prière du matin est un véritable éveil intérieur, ensuite, cela fait du bien, après avoir travaillé dur le matin, de se retrouver assis dans la fraîcheur de la chapelle. C’est bon aussi de chanter simplement les psaumes. Ces poèmes vieux de trois mille ans exorcisent les peurs et les colères. Non seulement ils sont profondément humains, mais ils sont aussi un chemin divin puisque Jésus les priait par cœur. Ils donnent des mots pour exprimer, sans indiscrétion, les expériences intérieures. Pour mesurer le rythme du cœur, il faut prendre le pouls. La pulsation secrète de la communauté se révèle le mieux dans les rencontres personnelles et spécialement dans ces moments privilégiés de cœur à cœur vécus à la chapelle* dans le grand silence du soir où les jeunes et moins jeunes viennent rencontrer un prêtre pour prier, poser une question ou recevoir la réconciliation par le pardon du Christ. Depuis toujours, l’Eucharistie est le cœur de la vie à La Viale. La chapelle, qui est une grange transformée, est belle. Après les lectures de la Bible, il y a un partage très libre où la vie éclaire l’Évangile et l’Évangile éclaire la vie. Lorsque Jésus nous fait entrer dans son merci et son pardon, notre vie devient une fête. Il vient faire corps avec nous. Sa tendresse et sa parole touchent notre cœur et sa vie nous est partagée.
Olivier Clément a écrit que le christianisme est la religion des visages. Quels sont quelques visages de La Viale–Lozère? Il y a en a tellement : tous les jeunes dont on retrouve l’amitié après quelques années. Il y aussi des aînés dont la personnalité a marqué La Viale. Avant d’arriver à La Viale, envoyé par son Provincial, Jacques
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Jouanin avait été, pendant de longues années, aumônier de prison. Parfois, il nous racontait certains souvenirs. Un jeune l’avertit un jour que son frère détenu libéré s’était procuré une arme. Comment l’empêcher de faire une bêtise ? Jacques va le trouver : « Promets-moi de ne prendre ton arme que lorsque tu as décidé d’avance de l’utiliser. » Jacques était direct, rude et abrupt. Mais les jeunes l’aimaient à cause de cela, parce qu’ils étaient sûrs de sa vérité. Il avait une relation très forte avec Nicolas, un jeune d’origine coréenne, qui fut pendant longtemps permanent à La Viale. Tous deux se comprenaient bien, parce que la vie les avait malmenés. Ils étaient les maîtres d’un grand chien noir Spitz qu’ils emmenaient à la chapelle pour la prière où il ne s’ébrouait qu’au moment de l’amen final. Chaque matin, pendant la prière, Jacques distillait des commentaires très personnels et pertinents sur les psaumes du jour. Avec le temps, Jacques s’affaiblit, sans que sa personnalité ne changeât. Il y a encore eu bien d’autres pionniers de La Viale : Jacques Cochaux qui, à plus de quatre vingt ans, était un infatigable débroussailleur et un prêtre enthousiaste, Jean Burton qui chaque été anime des retraites pour les jeunes qui viennent en ermitage pour huit ou trente jours. Cette quête spirituelle des ermites est la source cachée de la vie du village. En citant ces quelques noms, reviennent au cœur et à l’esprit des centaines de prénoms de personnes qui firent La Viale. Dans ces quelques lignes, nous avons surtout évoqué la vie à La Viale Lozère. Celle des trois autres pôles, La Viale – Opstal, La Viale – Quartier-Gallet et La Viale – Europe, lui ressemble, avec les adaptations nécessaires. Ainsi, d’autres « Viale » sont nées, sans être enfermées dans une formule ou une organisation. Tout récemment, lors du passage d’une cinquantaine de Lituaniens, un homme nous a dit : « Je viens d’acquérir un grand terrain, maintenant, je sais ce que je vais en faire : une Viale. »
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À partir de cette première expérience en Lozère, quelles sont les histoires et les caractéristiques des autres pôles? Ils sont nés de la demande des jeunes ayant vécu une expérience forte à La Viale et cherchant à la continuer. Tout d’abord La Viale – Opstal, proche de l’École européenne d’Uccle à Bruxelles, avec le même rythme de prière et surtout une messe dominicale très vivante dans le style Viale. Ensuite, La Viale – Quartier-Gallet, une grande clairière dans les bois près du lieu où la Vierge Marie est apparue à Beauraing. Là, des centaines de jeunes sont venus en retraite scolaire. Et, finalement, La Viale – Europe, toute proche du Parlement européen à Bruxelles, où plus de six cents jeunes européens ont vécu pendant quelques mois une vie évangélique et communautaire. Chacun des pôles a une histoire passionnante où la Providence est intervenue. Une caractéristique commune aux quatre pôles, c’est la présence de « pauvres ». Ils trouvent leur place dans la vie quotidienne un peu comme ceux qui venaient vers Jésus. Ils nous aident à réaliser comment Jésus a osé dire que les pauvres sont bienheureux et que le Royaume des cieux est à eux. Certains d’entre eux sont sans papiers, ils nous réapprennent le courage et la solidarité.
Quel est le lien de La Viale avec l’Europe? Lorsque nous parlons d’Europe, nous envisageons spontanément les institutions européennes, pour faire court, les fonctionnaires de Bruxelles ! À cause de liens historiques, il y a toujours des familles de fonctionnaires européens présentes dans les différents pôles de La
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Viale. L’expérience pastorale de quarante années nous a enseigné qu’il faut toujours mélanger d’autres catégories de personnes avec les fonctionnaires européens, sous peine de retomber dans les travers de ce milieu qui, comme le remarquait l’un d’entre eux, peut être tenté de « cultiver les consensus mous à l’abri des privilèges acquis ». Depuis l’origine, les Viale sont européennes. Les milliers jeunes qui y ont vécu un moment sont originaires de tous les pays de l’Europe. Grâce à la prière partagée, ils ont uni leurs cultures. Ils gardent entre eux des liens pour former un réseau. Heureusement, il y a toujours eu la présence de jeunes d’autres continents pour nous rappeler que l’Europe n’a d’autre raison d’être que de se mettre au service des autres. Les problèmes actuels de l’Europe semblent du ressort des politiciens et des technocrates, mais ce qui reste fondamental, c’est la vie des hommes, des femmes et des enfants formant l’Europe. Jean Monnet aimait à répéter qu’il n’avait pas pour objectif de fédérer des nations mais de rassembler des hommes. C’est à ce niveau que se situent les véritables défis. Le fait de mener une vie simple en ne consommant pas plus que la part revenant à chaque homme sur terre est aussi un élément de vérité et de solidarité. L’unité de l’Europe s’est d’abord forgée par tous les monastères vivant la même règle, les millions de pèlerins sillonnant les routes, les échanges d’étudiants et d’information par le réseau des universités. Ce sont des modes de vie que nous retrouvons à La Viale. Le style de vie que les jeunes y ont spontanément retrouvé est proche de celui des moines défricheurs et de la démarche des voyageurs venant de toute l’Europe et au-delà. Depuis le xvie siècle, à côté des universités, sont nés les « séminaires » jésuites, où les premiers compagnons partageaient avec quelques jeunes une vie fraternelle de prière et d’étude. C’est ainsi que les prêtres vivant à La Viale partagent la vie des jeunes.
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Quels sont le service et la mission d’une communauté comme La Viale dans l’évolution actuelle de l’Église? C’est un jésuite, Pierre van Stappen, qui est à l’origine de la communauté. Il est parti comme Abraham sans savoir où il allait, preuve qu’il était dans la bonne direction. Il n’aimait pas qu’on le considère comme un fondateur. Parce qu’il aimait les jeunes, il avait reçu, à partir de ses échecs, une grâce pour leur donner de connaître le Christ. Il ne voulait pas qu’on s’arrête et nous incitait même à quitter ce qu’il avait construit pour aller de l’avant. C’est en partageant l’enthousiasme des jeunes, dans un hameau en ruines, qu’il a reconnu le don de Dieu jusqu’à en devenir responsable. La province belge des jésuites a envoyé, depuis l’origine, une douzaine de prêtres pour animer les différents pôles. C’est pourquoi la Communion est une œuvre de la Province belgo-luxembourgeoise de la Compagnie de Jésus et est reconnue comme Association de fidèles par l’archidiocèse de Malines – Bruxelles. Plus de vingt-cinq mille jeunes ont vécu un temps fort à La Viale – Lozère et Quartier-Gallet. À La Viale – Europe et à Opstal, plus de six cents jeunes ont fait une expérience de vie évangélique pendant une période variant de quelques mois à dix ans. Ces chiffres ne donnent qu’un aspect quantitatif. Mais en comparant avec le nombre de jeunes qui sortent d’une institution scolaire, une centaine annuellement, ils sont encourageants. Parmi tous ces jeunes, quelques-uns ont entendu l’appel de Dieu à le suivre comme prêtres, religieux ou religieuses. Le plus grand nombre vit l’Évangile en famille et dans un engagement professionnel. Nous voyons maintenant les enfants de cette première génération venir à leur tour à la Viale. Sans qu’il y ait de liens formels, quinze cents familles sont
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« proches » de La Viale. Nous avons ainsi la joie de reconnaître que, sans former un mouvement structuré, c’est un réseau animé par l’Esprit. Depuis quarante ans La Viale vit une histoire sainte. La parabole des châtaigniers de Lozère peut nous éclairer. Ce sont des arbres « éternels » : lorsque la foudre ou la maladie attaquent le tronc, la sève des racines continue à monter dans les surgeons. Une autre manière d’envisager cette loi de la vie nous est donnée par « la loi de la novation », avec ses différentes étapes. Ce qui est vraiment neuf est quasiment toujours l’œuvre d’une personne ou d’un tout petit groupe : « les inventeurs », « les saints ». Schématiquement, ils représentent moins d’un pour cent de l’ensemble. Viennent ensuite les « aventuriers », qui essaient ces nouveautés en les mettant en pratique. Leur groupe ne dépasse pas les cinq pour cent. Ils ont le sens du risque et se passionnent plus pour l’innovation que pour le résultat matériel. Les quinze pour cent de « notables » suivent attentivement les expériences des aventuriers et, si elles aboutissent, ils les annexent et les rachètent. Les septante pour cent restant suivent les notables et constituent leur masse de manœuvre. Reste neuf pour cent de « marginaux » qui se situent en dehors du processus, mais parmi lesquels peuvent se recruter les inventeurs. La durée du processus varie suivant les domaines. La communication entre les différents groupes est aussi bien distincte. Lorsqu’on est attentif, il est possible de retrouver ce cheminement pour la plupart des nouveautés, en n’oubliant pas qu’une sélection sociale joue pour éliminer certaines nouveautés inutiles, superflues, inadaptées ou trop excessives. Où situer l’expérience de La Viale dans ce processus ? Probablement comme un petit groupe entre les inventeurs et les aventuriers. Mais pour l’apprécier vraiment, il faut encore, au-delà des catégories sociologiques, tenir compte du caractère particulier de la démarche pro-
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phétique. Comme la Bible le rappelle, le prophète crie souvent dans le désert et nos vies sont cachées avec le Christ en Dieu. La prophétie n’est pas uniquement destinée à une efficacité sociale mesurable statistiquement, car plus une réalité est importante vitalement, moins elle est quantifiable, elle est ordonnée au Royaume de Dieu.
Quelle est l’expérience pastorale de La Viale? D’une certaine manière, nous n’avons parlé que de cela : la nature, le travail, la simplicité de vie, l’amitié et la paternité spirituelle, la joie de la prière, la fidélité à l’Église, et l’ouverture à l’imprévu pour accueillir Dieu. Nous pourrions pourtant reprendre deux conseils fondamentaux de Jésus pour la « pastorale » : « Aimez-vous les uns les autres, c’est à ce signe qu’on vous reconnaîtra pour mes disciples » (Jean , ) et « Lorsque j’aurai été élevé de terre, j’attirerai tout à moi » (Jean , ). Un jeune a dit : « Dans les Viale, c’est possible d’apprendre à s’aimer. » Tous les éléments que nous venons de rappeler sont des moyens pour un but : l’amitié et la fraternité vécues en Dieu. Nous vivons aussi le mystère de la mort et de la résurrection de Jésus. Au cours de ces quarante années, nous avons vécu le décès d’amis proches. Ce furent des moments d’épreuves mais aussi de grâce, surtout quand c’étaient des jeunes pleins de foi et de dynamisme. Le passage de Pierre van Stappen de ce monde vers le Père fut aussi un moment fondateur pour La Viale. Pendant les derniers mois de sa vie, le dynamisme optimiste qui l’animait s’est intériorisé. Son dernier geste fut de poser longuement sa main sur la tête d’une amie de la communauté qui lui demandait l’absolution. Au moment même de son passage, les responsables de la communion étaient réunis autour
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de lui en priant et chantant des refrains de Taizé. Nous avons préparé la messe « d’à-Dieu » par trois veillées. Un mot le révélait pour le millier de personnes qui l’entouraient : Dieu nous a donné un prophète pour un temps de crise. Il fut enterré dans le cimetière du petit village de Sevry, près de Quartier-Gallet, le dernier pôle qu’il avait bâti de ses mains. Ce sont les jeunes et ses amis prêtres qui l’ont porté. Quelques amis n’ont pas laissé aux fossoyeurs le soin de combler sa tombe. Spontanément, ils se sont relayés au milieu d’un cercle de prière et de chant pour enfouir son corps en terre dans l’attente de la résurrection promise. Jésus avait promis qu’il attirerait le monde à Lui après sa mort. C’est bien de Lui que nous vivons.
La Viale est née en 1968, est-ce significatif? Pendant la seconde guerre mondiale, les nations belligérantes ont été prisonnières d’une spirale d’aveuglement et de violence déchaînée. Aujourd’hui, chaque verset des psaumes résonne différemment parce qu’ils ont été criés vers Dieu par des millions de juifs dans les camps. Notre civilisation est bâtie sur ceux et celles qui ont résisté au mal par le courage, la prière et l’espérance. La paix et la liberté nous sont transmises par les sacrifices, les solidarités secrètes et solitaires. Mais l’arrêt des hostilités a laissé le monde dans la peur engendrée par la guerre froide entre le bloc communiste, idéologie se nourrissant de la révolte des pauvres, et le monde occidental capitaliste. Ces deux idéologies sont aujourd’hui exsangues.
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Dans les années soixante, le concile de l’Église catholique s’est efforcé, pour transmettre l’Évangile de Jésus en se mettant à l’écoute du cœur du monde, de trier les illusions et les espérances. fut l’année marquée en Occident par un craquement des institutions sous une poussée libertaire. Sans que personne n’en soit conscient, ce fut aussi la date de naissance de la Viale, un chemin, un petit chemin (via) de vie.
Quels sont les défis, les questions et les promesses pour l’avenir? Jusqu’à présent, la croissance de la Communion a été « organique ». Faudra-t-il structurer ces appartenances ou, comme à Taizé, rester un lieu de « passage » ? Jusqu’à présent, le travail manuel de « construction » a été essentiel pour la pédagogie. Nous avons vu toute son importance pour des jeunes qui vivent dans une société vieillissante. Comme l’a écrit Charles Péguy : « Le grand malheur des fils de bâtisseurs de cathédrales, c’est qu’ils ne peuvent être que sacristains ! » Dans les quatre pôles existants, les grands travaux sont achevés, même s’il reste beaucoup à faire pour entretenir et rénover. Quel sera le prochain appel vers un nouveau pôle ? Jusqu’à présent, le cœur de la Communion est l’Eucharistie. Comment garderons-nous ce cœur vivant en appelant de nouveaux prêtres ? Nos forces étaient requises à chaque instant face à de nouveaux défis, ce qui donne au temps un goût d’éternité et nous rend libres et joyeux face à toute question d’avenir. Ces questions sont autant de défis et d’invitations à mettre notre foi en Dieu : nous savons en Qui nous croyons, en qui nous sommes sûrs.
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À l’horizon se profilent aussi des questions plus vastes : - Comment nous renouveler pour accueillir tous les cinq ans de nouvelles générations de jeunes qui changent et demandent d’autres réponses ? - Comment continuer à vivre la gratuité dans des sociétés appauvries et fonctionnarisées ? - Comment vivre le risque d’aimer et d’être aimé dans l’idolâtrie généralisée du risque zéro ? - Comment vivre la joie de la « décroissance » économique en renonçant aux compensations et aux fausses assurances ? - Comment continuer l’aventure européenne sans être prisonnier de ses limites ? - Comment aider les chrétiens et musulmans à prier et collaborer ? - Comment accueillir les jeunes que Jésus appelle à le suivre en respectant la nouveauté de leur vocation ? - Comment vivre la créativité de l’Évangile dans une civilisation occidentale vieillissante et une démographie en déclin ? Dieu nous appelle encore à partir sans savoir où nous allons, preuve que nous sommes dans la bonne direction ! Ces questions nouvelles sont pour nous des appels de Dieu, qui nous invitent à des réponses inédites. À La Viale nous avons faite nôtre la célèbre maxime de saint Grégoire de Nysse : « Nous allons de commencement en commencement, par des commencements qui n’auront pas de fin. »
Sources Entretiens avec Pierre van Stappen, Guy Martinot, Michel Val, Étienne Amory, Marcel Borrély, Jeannette Delenne, Monique Wéry… et bien d’autres, au fil des rencontres dans les Viale, en Cévennes ou en Belgique. QUELQUES LIVRES DANS NOTRE BIBLIOTHÈQUE
• Ignace de Loyola, Le récit, vie d’Ignace de Loyola racontée par luimême, § , DDB, coll. « Christus » no , . • Guyonne de Montjou, Mar Moussa. Un monastère, un homme, un désert, Albin Michel, , p. • Jean Giono, L’homme qui plantait des arbres, Gallimard Jeunesse, , p. • Roger Schütz, Prieur de Taizé, Dynamique du provisoire, Taizé, Presses de Taizé, , p. • François Séjourné, « En solitude dans les Cévennes », revue Espaces, . • Christian Signol, Marie des Brebis, Poche, , p. • Jean Vanier, La communauté, lieu du pardon et de la fête, Fleurus, p. • Pierre van Stappen, « La Communion de La Viale et d’Opstal », dans Lumen Vitae, vol. XXXVIII, Bruxelles, , no . ARCHIVES
• Lettres de La Viale, chemin d’Opstal, Bruxelles, -.
Adresses des Viale • LA VIALE–LOZÈRE
FR-48800 Villefort Tél. : +33 (0)4 66 46 83 13 lozere@laviale.be Compte bancaire en Belgique : 210-0370701-19 Compte bancaire en France : Crédit Agricole 773-7291-3-000 • LA VIALE–OPSTAL
Opstalweg 49, 1180 Bruxelles Tél. : +32 (0)2 374 76 53 opstal@laviale.be Compte bancaire : 001-0832506-31 • LA VIALE–QUARTIER-GALLET
1, Quartier-Gallet, 5570 (Sevry) Beauraing Tél. : +32 (0)82 71 42 33 quartiergallet@laviale.be Compte bancaire : 068-2155502-92 • LA VIALE–EUROPE
205, chaussée de Wavre, 1050 Bruxelles Tél. : +32 (0)2 640 79 67 lavialeeurope@laviale.be Compte bancaire : 001-3087532-01 Site Web : http://www.laviale.be
Table des matières Préface du cardinal Danneels ........................................................ 3 1. Un coup du Saint-Esprit......................................................... 5 2. Que racontent ces murs écroulés ? .......................................... 9 3. D’où vient Pierre van Stappen ?............................................ 17 4. Cinq fols en Christ............................................................... 23 5. La régularisation................................................................... 25 6. Le temps des pionniers (1973 – 1983) ...................................... 29 L’eau vive ...................................................................................... 29 La voie aérienne .............................................................................. 31 Un lieu pour renaître ...................................................................... 33 La bénédiction des anciens .............................................................. 35 Les cloches ...................................................................................... 38 Des communautés provisoires............................................................ 40 Rumeurs de secte.............................................................................. 42 Contemplatif dans l’action .............................................................. 44
7. « Élargis l’espace de tes tentes » (1984 – 1994) .......................... 49 Une permanence d’accueil................................................................ 51 Un mois pour les « appelés ».............................................................. 53 Épreuves et drames .......................................................................... 54
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Les ermitages .................................................................................. 58 Des temps forts ................................................................................ 59 Petit déjeuner, ensemble avant le travail .......................................... 60 Où l’idée de route refait surface ........................................................ 62
8. L’essaimage .......................................................................... 65 La Viale – Opstal ............................................................................ 65 La Viale – Quartier-Gallet .............................................................. 67 La Viale – Europe............................................................................ 70 La Communion de partage .............................................................. 74 L’alliance avec la Compagnie de Jésus .............................................. 76
9. Oncles et cousins.................................................................. 77 Les « oncles ».................................................................................... 78 Taizé ....................................................................................................78 Berdine ................................................................................................79 L’Arche de Jean Vanier ..........................................................................81
… et les « cousins » .......................................................................... 83 Mar Moussa ..........................................................................................83 Toula ....................................................................................................85
10. Histoires de veillée ............................................................. 89 N’aie pas peur de toi-même ! ............................................................ 89 Les ruches : il n’y a pas de problème sans solution .............................. 90 C’est les scouts ! ................................................................................ 91 Égarés, et nous t’indiquons le chemin ................................................ 92 Le dernier mot ................................................................................ 92
« De commencement en commencement » (par Guy Martinot) ...... 95 Quelle est la première impression en arrivant à La Viale – Lozère ? .... 95 Est-ce simplement une émotion « écologique » ? .................................. 96 Pourquoi cette vie simple que certains, à la limite, trouvent trop austère ? 96
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Comment peut-on « obliger » tout le monde à ce travail manuel du matin ? ...................................................................................... 97 Le cadre de vie de La Viale est assez exigeant, laisse-t-il une place à la liberté ? ...................................................................................... 98 Peut-on parler d’une expérience de désert ? ........................................ 99 Et les finances ? .............................................................................. 100 Avec une messe quotidienne et trois offices de prière, ne risque-t-on pas « l’overdose » de prière ? ........................................................ 100 Olivier Clément a écrit que le christianisme est la religion des visages. Quels sont quelques visages de La Viale – Lozère ? ........................ 101 À partir de cette première expérience en Lozère, quelles sont les histoires et les caractéristiques des autres pôles ? ............................ 103 Quel est le lien de La Viale avec l’Europe ? ...................................... 103 Quels sont le service et la mission d’une communauté comme La Viale dans l’évolution actuelle de l’Église ?............................................ 105 Quelle est l’expérience pastorale de La Viale ? .................................. 107 La Viale est née en 1968, est-ce significatif ? .................................... 108 Quels sont les défis, les questions et les promesses pour l’avenir ? ........ 109
Sources.................................................................................... 111 Adresses des Viale.................................................................... 115
Achevé d’imprimer le 12 juin 2009 sur les presses de l’imprimerie Bietlot, à 6060 Gilly (Belgique).
Marthe Mahieu-De Praetere
La première partie de ce livre a été écrite par Marthe Mahieu-De Praetere. En se basant sur les témoignages des « anciens », elle raconte toute l’histoire de La Vi V ale – Lozère depuis . Providentiellement, Marthe a pu recueillir les souvenirs et les inspirations de Pierre van Stappen, le fo f ndateur de La Vi V ale, pendant les derniers mois de sa vie. Comme elle-même réside une partie de l’année aux Salces, le village en fa f ce de La Vi V ale, elle a aussi rencontré des Lozériens de vieille souche. Elle décrit ensuite la genèse des trois autres pôles de La Vi V ale : Qu Q artier-Gallet dans les Ardennes belges, Opstal et La Vi V ale – Europe à Bruxelles. Elle évoque encore les « oncles » de La Vi V ale : Ta T izé, Berdine et l’Arche de Jean Va V nier ; et les « cousins » : Mar Moussa, To T ula, Saint-Hilarion, Kobor… Dans une seconde partie, Guy Martinot répond à certaines questions, notamment sur la spiritualité ignatienne de La Vi V ale et la manière dont est vécue l’expérience de l’Évangile par les quelque trente mille jeunes qui ont séj é ourné dans ces lieux de paix, silence et prière : trav a ailler, rire et prier à f nd. Au long de ces pages, on retrouve aussi de « belles histoires » comme fo on aime à se les raconter aux veillées en Cévennes.
La Viale Un lieu pour renaître
La Viale
La Viale
Marthe Mahieu-De Praetere Guy Martinot
Les auteurs Marthe Mahieu-De Praetere, mère de fa f mille, directrice retraitée d’une école secondaire de Bruxelles, voisine intermitt t ente et amie fidèle de La Viale–Lozère. Guy Martinot, prêtre jésuite, engagé à La Viale depuis 1970, profe f sseur de sociologie et animateur de jeunes.
ISBN 978-2-87356-435-3 Prix TTC : 11,95 €
9 782873 564353
PRÉFACE DU CARDINAL DANNEELS