Introduction Joëlle Pijaudier-Cabot et Roland Recht
16
I
Une grande ville de culture
Quatre maires à l’épreuve de la culture : Georg Friedrich Stempel, Otto Back, Rudolf Schwander et Jacques Peirotes Jean-Claude Richez
26
L’encyclopédie et le palimpseste Jean-Louis Cohen
36
Illustres et inconnues : les femmes de Strasbourg Émilie Oléron Evans 46
II
Acteurs et lieux de l’art
Les arts graphiques : un foyer strasbourgeois Franck Knoery et Florian Siffer
Artistes strasbourgeois entre France et Allemagne Anne-Doris Meyer et Alexandre Kostka 70
Aspirations communautaires et réseaux transnationaux. Le cercle de Saint-Léonard dans le contexte européen Christian Joschke
Des lieux, des musiques, une ville. L’expérience musicale franco-allemande Mathieu Schneider
104
Du Conservatoire à l’École des arts décoratifs ou l’invention d’un modèle d’enseignement artistique David Cascaro et Geneviève Honegger
118
56
84
Introduction Joëlle Pijaudier-Cabot et Roland Recht
16
I
Une grande ville de culture
Quatre maires à l’épreuve de la culture : Georg Friedrich Stempel, Otto Back, Rudolf Schwander et Jacques Peirotes Jean-Claude Richez
26
L’encyclopédie et le palimpseste Jean-Louis Cohen
36
Illustres et inconnues : les femmes de Strasbourg Émilie Oléron Evans 46
II
Acteurs et lieux de l’art
Les arts graphiques : un foyer strasbourgeois Franck Knoery et Florian Siffer
Artistes strasbourgeois entre France et Allemagne Anne-Doris Meyer et Alexandre Kostka 70
Aspirations communautaires et réseaux transnationaux. Le cercle de Saint-Léonard dans le contexte européen Christian Joschke
Des lieux, des musiques, une ville. L’expérience musicale franco-allemande Mathieu Schneider
104
Du Conservatoire à l’École des arts décoratifs ou l’invention d’un modèle d’enseignement artistique David Cascaro et Geneviève Honegger
118
56
84
III
Collectionner et exposer
Les musées de Strasbourg : une perspective européenne Joëlle Pijaudier-Cabot Wilhelm Bode à Strasbourg, ou le despotisme éclairé Pascal Griener
136
154
L’Exposition d’art français contemporain de 1907 Barbara Forest 170
Hans Haug dans les réseaux artistiques Franck Knoery et Anne-Doris Meyer
De la rue de la Nuée bleue à l’âge d’or de Montparnasse. Un portrait de Jeanne Bucher Estelle Pietrzyk 196
IV
Les institutions du savoir
Lieux et figures du savoir Jean-Claude Richez
La bibliothèque, lieu de diffusion des savoirs Christophe Didier
Les nouveaux outils du savoir, pour un nouveau modèle d’université Sébastien Soubiran
186
208 220
226
V
Collectionner le savoir
Le Musée de l’institut d’archéologie classique Jean-Yves Marc
248
Collectionner les sources du savoir : les fonds égyptologiques Frédéric Colin et Cassandre Hartenstein
258
Histoires de collections au fil du temps Marie-Dominique Wandhammer
270
L’étudiant Aby Warburg à Strasbourg Roland Recht et Émilie Oléron Evans
290
VI
Être moderne à Strasbourg
Entre Anciens et Modernes. Des arts appliqués à la revue des Annales Roland Recht
304
Theo Van Doesburg au Champ du Feu ? Roland Recht
312
Hans Koch, les Horn et les Lickteig, des collectionneurs d’art contemporain entre France et Allemagne, de 1900 à 1930 François Pétry
330
La création littéraire : un élan contrarié ? Christophe Didier
340
Annexes
Liste des œuvres, objets et documents exposés
352
Index
374
III
Collectionner et exposer
Les musées de Strasbourg : une perspective européenne Joëlle Pijaudier-Cabot Wilhelm Bode à Strasbourg, ou le despotisme éclairé Pascal Griener
136
154
L’Exposition d’art français contemporain de 1907 Barbara Forest 170
Hans Haug dans les réseaux artistiques Franck Knoery et Anne-Doris Meyer
De la rue de la Nuée bleue à l’âge d’or de Montparnasse. Un portrait de Jeanne Bucher Estelle Pietrzyk 196
IV
Les institutions du savoir
Lieux et figures du savoir Jean-Claude Richez
La bibliothèque, lieu de diffusion des savoirs Christophe Didier
Les nouveaux outils du savoir, pour un nouveau modèle d’université Sébastien Soubiran
186
208 220
226
V
Collectionner le savoir
Le Musée de l’institut d’archéologie classique Jean-Yves Marc
248
Collectionner les sources du savoir : les fonds égyptologiques Frédéric Colin et Cassandre Hartenstein
258
Histoires de collections au fil du temps Marie-Dominique Wandhammer
270
L’étudiant Aby Warburg à Strasbourg Roland Recht et Émilie Oléron Evans
290
VI
Être moderne à Strasbourg
Entre Anciens et Modernes. Des arts appliqués à la revue des Annales Roland Recht
304
Theo Van Doesburg au Champ du Feu ? Roland Recht
312
Hans Koch, les Horn et les Lickteig, des collectionneurs d’art contemporain entre France et Allemagne, de 1900 à 1930 François Pétry
330
La création littéraire : un élan contrarié ? Christophe Didier
340
Annexes
Liste des œuvres, objets et documents exposés
352
Index
374
1
Marc Bloch, Apologie pour l’histoire ou Métier d’historien, Paris, Armand Colin, 1949. 2 C’est le titre du livre de Claude Digeon, La Crise allemande de la pensée française (1870-1914), Paris, PUF, 1959.
« Nous ne comprenons jamais assez.1 » À l’origine du projet « Laboratoire d’Europe, Strasbourg 1880-1930 », il y a le désir d’explorer l’histoire culturelle d’une ville qui est à cheval sur deux appartenances nationales, mais en cherchant à échapper au récit national qui généralement accompagne l’une comme l’autre. Nous avons examiné l’historiographie de cette période cruciale pour l’Alsace très attentivement : peu d’études approfondies échappent à ce récit, que ce soit d’un côté ou de l’autre du Rhin. Nous devions donc partir d’un certain nombre de constats simples : les rues tracées, les bâtiments érigés, les lieux destinés à la vie sociale aménagés, et après les lieux, les figures qui les illustrent et les font vivre. Pourquoi 1880, puis 1930 ? C’est en fonction de grandes mutations que ces dates ont été retenues. Après le bombardement de Strasbourg par les troupes prussiennes en 1870 et les pertes irrémédiables qu’il a entraînées – dont la destruction de la bibliothèque et des collections d’art, de même que celle de bâtiments historiques –, le traité de Francfort stipule la cession à l’Allemagne de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine, avec le statut d’un Reichsland dont Strasbourg est la capitale. Mais c’est seulement à partir de 1880 qu’ont lieu de profonds changements : inauguration d’une université nouvelle et ambitieuse, constitution de collections prestigieuses pour le musée des Beaux-Arts, création d’une École des arts décoratifs (Kunstgewerbeschule) et d’une bibliothèque nationale, début des chantiers de construction qui vont contribuer à donner à la ville un nouveau visage architectural et urbain. Si nous avons choisi de nous arrêter en 1930, c’est pour des raisons aisément compréhensibles : dans la décennie qui suit, on assiste à la montée des périls totalitaires, et en particulier du national-socialisme qui va embraser l’Europe entière. En Alsace, le courant autonomiste occupe une place de plus en plus grande dans les débats publics. On dira que les cartes sont rebattues. Cependant, deux événements – qui se situent sur deux plans bien distincts – marquent la fin des années 1930. D’abord, la réalisation du complexe de loisirs de l’Aubette par les trois éminents artistes d’avant-garde que sont Sophie Taeuber-Arp, Theo Van Doesburg et Jean-Hans Arp. Inaugurée en 1928, cette œuvre est dédaignée par les habitants, mais célébrée aujourd’hui, au plan international, comme une des grandes créations artistiques de la première moitié du XXe siècle. Le second événement qui scande cette décennie est le résultat d’un esprit interdisciplinaire qui anime aussi bien l’université revenue à la France que celle qu’avaient ouverte les Allemands. Le philosophe Henri Berr célébrait « l’esprit de synthèse à l’université de Strasbourg ». Deux historiens, Marc Bloch et Lucien Febvre, vont mettre en pratique cette interdisciplinarité en 1929 sous la forme d’une revue, les Annales d’histoire économique et sociale : au fil des années et jusqu’à nos jours, celle-ci va s’affirmer sur le plan international et donner naissance à un courant, une certaine façon de faire de l’histoire, l’« école des Annales ». Ouvertes à la sociologie, à l’économie ou encore à la géographie, les Annales vont contribuer à faire de l’histoire une science sociale.
3 Jean-Louis Cohen et Hartmut Frank (dir.), Interférences / Interferenzen. Architecture. Allemagne, France, 1800-2000, Strasbourg, Musées de la Ville de Strasbourg, 2013. 4 C’est cette perspective qui a été développée également en 2007 dans l’exposition d’Europalia, dans un autre cadre chronologique : Roland Recht (dir.), Le Grand Atelier. Chemins de l’art en Europe, V eXVIIIe siècle, Bruxelles, Fonds Mercator, 2007 ; rééd., Arles, Actes Sud, 2008. 5 Sur ces deux notions, voir le livre passionnant d’Ernst Robert Curtius, Die französische Kultur (1931), trad. fr. par Jacques Benoît-Meschin sous le titre : Essai sur la France, avant-propos de François Ewald, La Tour d’Aigues, L’Aube, 2017. Sur la notion de « Bildung », voir en particulier Louis Dumont, L’Idéologie allemande. FranceAllemagne et retour, Paris, Gallimard, « Bibliothèque des Sciences humaines », 1991. 6 Il est l’auteur d’un ouvrage devenu un classique : La Littérature européenne et le Moyen Âge latin, Berne, A. Francke, 1948.
Ce n’est pas à une histoire factuelle que nous nous intéressons avant tout, même si les faits y occupent leur juste place, mais à une histoire de mouvements inégaux qui affectent aussi bien le temps court que la longue durée. En 1872, la conception de la nouvelle université de Strasbourg est fondée sur celle que Wilhelm von Humboldt a élaborée trois générations plus tôt, liant étroitement la recherche à l’enseignement et accordant une importance alors toute nouvelle à l’interaction entre les disciplines. Si bien qu’après Sedan, des intellectuels français considèrent que la victoire de l’Allemagne résulte en partie des forces scientifiques et intellectuelles concrétisées par les succès de l’université allemande – ce qu’on a appelé « la crise allemande de la pensée française2 ». Tandis que Wilhelm Bode réunissait à Strasbourg tous les ingrédients d’un grand musée européen, et qu’Anton Seder organisait la structure et l’enseignement de la Kunstgewerbeschule comme un
16
Introduction
17
foyer de production et de diffusion d’une esthétique nouvelle, l’université recrutait les meilleurs professeurs de toutes disciplines pour en faire une véritable vitrine de la science allemande face à la France. Cet objectif prenait aussi une forme urbaine : depuis l’université fut tracé un axe la reliant au palais impérial, complété par deux vastes bâtiments, celui de la bibliothèque et celui du palais de la Diète d’Alsace-Lorraine. La scénographie urbaine, conçue par un architecte strasbourgeois, Jean-Geoffroy Conrath, laisse la place à des espaces verts et se cristallise autour de grandes voies ménageant des perspectives qui mettent en valeur la rhétorique architecturale, éclectique, de la ville nouvelle. L’architecture offre un terrain exemplaire pour l’histoire de Strasbourg entre 1880 et les années 1930. Cependant, nous n’avons pas voulu lui donner une place trop importante en raison de l’exposition que le Service de l’inventaire de la région Grand-Est consacre actuellement à la Neustadt, et dans la mesure où l’exposition « Interférences » que le musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg (MAMCS) présentait en 20133 la situait dans son contexte européen. Car c’est bien aussi le résultat le plus immédiatement visible d’un échange de formes et de théories qui ne peut être compris sans référence à ce contexte européen4. L’idée de laboratoire s’impose un peu partout : parfois, elle produit des effets très remarquables, comme cette université qui introduit une nouvelle acception du savoir et de sa diffusion ; parfois, l’expérience fait long feu – c’est le cas de ce véritable laboratoire de la modernité qu’était l’Aubette conçue par Sophie Taeuber-Arp, Theo Van Doesburg et Jean-Hans Arp, qui connaîtra un terrible échec. Sur les limites fluctuantes du Rhin, Strasbourg est, entre 1880 et 1930, la ville de tous les possibles. Mais c’est aussi un lieu de conflits internes qui se manifestent par exemple dans l’usage des langues – la bourgeoisie pratiquant plutôt le français, et les classes populaires le dialecte, l’allemand étant le véhicule linguistique des nouveaux arrivants venus de différentes régions d’Allemagne. Avant 1918, les meilleurs écrivains s’expriment en allemand, même quand ils sont partisans, comme René Schickele, d’une Alsace riche de ce qu’elle a puisé, et dans la « civilisation » française, et dans la Bildung allemande5. Dans le milieu littéraire, la vocation européenne de cette ville est tout particulièrement sensible. On retiendra, presque au hasard, deux figures qui l’illustrent d’une manière que l’on qualifierait de « symétrique ». D’abord celle d’Ernst Robert Curtius (1886-1956) : né à Thann de parents allemands, étudiant à l’université de Strasbourg, il devient un éminent philologue dont on a pu dire qu’il incarnait une certaine idée de l’Europe6. Au cours d’une carrière remarquable en Allemagne après 1918, il n’a jamais cessé d’expliquer à ses compatriotes ce qu’était la culture française au centre de laquelle il plaçait un écrivain comme Marcel Proust. Un autre exemple serait celui de Denise Naville (1896-1979), née à Sarreguemines, qui est une élève du philosophe Georg Simmel lorsqu’il enseigne à Strasbourg durant la Première Guerre, après quoi elle rejoint à Paris le cercle surréaliste, fréquentant alors André Breton et Paul Éluard notamment. À la différence de Curtius, elle s’exprime en français et devient une remarquable traductrice de l’œuvre de Friedrich Hölderlin, et plus tard, de Paul Celan. À ces deux cas, on pourrait en ajouter bien d’autres, ainsi celui de l’historien des images Aby Warburg (1866-1929), qui a trouvé à Strasbourg à la fois le modèle de sa future bibliothèque (aujourd’hui, le Warburg Institute à Londres) et les outils intellectuels pour mener à bien sa brillante thèse sur Botticelli. Ou encore le cas de Maurice Fréchet (1878-1973), qui a su conférer une dimension européenne aux mathématiques du hasard à partir du terreau strasbourgeois – qui avait été préparé déjà par l’université allemande –, avec la complicité du sociologue Maurice Halbwachs. Voilà un infime aperçu de ce que Strasbourg peut alors donner – et recevoir. Voilà comment le « moment strasbourgeois » s’inscrit dans ces biographies singulières.
Joëlle Pijaudier-Cabot et Roland Recht
1
Marc Bloch, Apologie pour l’histoire ou Métier d’historien, Paris, Armand Colin, 1949. 2 C’est le titre du livre de Claude Digeon, La Crise allemande de la pensée française (1870-1914), Paris, PUF, 1959.
« Nous ne comprenons jamais assez.1 » À l’origine du projet « Laboratoire d’Europe, Strasbourg 1880-1930 », il y a le désir d’explorer l’histoire culturelle d’une ville qui est à cheval sur deux appartenances nationales, mais en cherchant à échapper au récit national qui généralement accompagne l’une comme l’autre. Nous avons examiné l’historiographie de cette période cruciale pour l’Alsace très attentivement : peu d’études approfondies échappent à ce récit, que ce soit d’un côté ou de l’autre du Rhin. Nous devions donc partir d’un certain nombre de constats simples : les rues tracées, les bâtiments érigés, les lieux destinés à la vie sociale aménagés, et après les lieux, les figures qui les illustrent et les font vivre. Pourquoi 1880, puis 1930 ? C’est en fonction de grandes mutations que ces dates ont été retenues. Après le bombardement de Strasbourg par les troupes prussiennes en 1870 et les pertes irrémédiables qu’il a entraînées – dont la destruction de la bibliothèque et des collections d’art, de même que celle de bâtiments historiques –, le traité de Francfort stipule la cession à l’Allemagne de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine, avec le statut d’un Reichsland dont Strasbourg est la capitale. Mais c’est seulement à partir de 1880 qu’ont lieu de profonds changements : inauguration d’une université nouvelle et ambitieuse, constitution de collections prestigieuses pour le musée des Beaux-Arts, création d’une École des arts décoratifs (Kunstgewerbeschule) et d’une bibliothèque nationale, début des chantiers de construction qui vont contribuer à donner à la ville un nouveau visage architectural et urbain. Si nous avons choisi de nous arrêter en 1930, c’est pour des raisons aisément compréhensibles : dans la décennie qui suit, on assiste à la montée des périls totalitaires, et en particulier du national-socialisme qui va embraser l’Europe entière. En Alsace, le courant autonomiste occupe une place de plus en plus grande dans les débats publics. On dira que les cartes sont rebattues. Cependant, deux événements – qui se situent sur deux plans bien distincts – marquent la fin des années 1930. D’abord, la réalisation du complexe de loisirs de l’Aubette par les trois éminents artistes d’avant-garde que sont Sophie Taeuber-Arp, Theo Van Doesburg et Jean-Hans Arp. Inaugurée en 1928, cette œuvre est dédaignée par les habitants, mais célébrée aujourd’hui, au plan international, comme une des grandes créations artistiques de la première moitié du XXe siècle. Le second événement qui scande cette décennie est le résultat d’un esprit interdisciplinaire qui anime aussi bien l’université revenue à la France que celle qu’avaient ouverte les Allemands. Le philosophe Henri Berr célébrait « l’esprit de synthèse à l’université de Strasbourg ». Deux historiens, Marc Bloch et Lucien Febvre, vont mettre en pratique cette interdisciplinarité en 1929 sous la forme d’une revue, les Annales d’histoire économique et sociale : au fil des années et jusqu’à nos jours, celle-ci va s’affirmer sur le plan international et donner naissance à un courant, une certaine façon de faire de l’histoire, l’« école des Annales ». Ouvertes à la sociologie, à l’économie ou encore à la géographie, les Annales vont contribuer à faire de l’histoire une science sociale.
3 Jean-Louis Cohen et Hartmut Frank (dir.), Interférences / Interferenzen. Architecture. Allemagne, France, 1800-2000, Strasbourg, Musées de la Ville de Strasbourg, 2013. 4 C’est cette perspective qui a été développée également en 2007 dans l’exposition d’Europalia, dans un autre cadre chronologique : Roland Recht (dir.), Le Grand Atelier. Chemins de l’art en Europe, V eXVIIIe siècle, Bruxelles, Fonds Mercator, 2007 ; rééd., Arles, Actes Sud, 2008. 5 Sur ces deux notions, voir le livre passionnant d’Ernst Robert Curtius, Die französische Kultur (1931), trad. fr. par Jacques Benoît-Meschin sous le titre : Essai sur la France, avant-propos de François Ewald, La Tour d’Aigues, L’Aube, 2017. Sur la notion de « Bildung », voir en particulier Louis Dumont, L’Idéologie allemande. FranceAllemagne et retour, Paris, Gallimard, « Bibliothèque des Sciences humaines », 1991. 6 Il est l’auteur d’un ouvrage devenu un classique : La Littérature européenne et le Moyen Âge latin, Berne, A. Francke, 1948.
Ce n’est pas à une histoire factuelle que nous nous intéressons avant tout, même si les faits y occupent leur juste place, mais à une histoire de mouvements inégaux qui affectent aussi bien le temps court que la longue durée. En 1872, la conception de la nouvelle université de Strasbourg est fondée sur celle que Wilhelm von Humboldt a élaborée trois générations plus tôt, liant étroitement la recherche à l’enseignement et accordant une importance alors toute nouvelle à l’interaction entre les disciplines. Si bien qu’après Sedan, des intellectuels français considèrent que la victoire de l’Allemagne résulte en partie des forces scientifiques et intellectuelles concrétisées par les succès de l’université allemande – ce qu’on a appelé « la crise allemande de la pensée française2 ». Tandis que Wilhelm Bode réunissait à Strasbourg tous les ingrédients d’un grand musée européen, et qu’Anton Seder organisait la structure et l’enseignement de la Kunstgewerbeschule comme un
16
Introduction
17
foyer de production et de diffusion d’une esthétique nouvelle, l’université recrutait les meilleurs professeurs de toutes disciplines pour en faire une véritable vitrine de la science allemande face à la France. Cet objectif prenait aussi une forme urbaine : depuis l’université fut tracé un axe la reliant au palais impérial, complété par deux vastes bâtiments, celui de la bibliothèque et celui du palais de la Diète d’Alsace-Lorraine. La scénographie urbaine, conçue par un architecte strasbourgeois, Jean-Geoffroy Conrath, laisse la place à des espaces verts et se cristallise autour de grandes voies ménageant des perspectives qui mettent en valeur la rhétorique architecturale, éclectique, de la ville nouvelle. L’architecture offre un terrain exemplaire pour l’histoire de Strasbourg entre 1880 et les années 1930. Cependant, nous n’avons pas voulu lui donner une place trop importante en raison de l’exposition que le Service de l’inventaire de la région Grand-Est consacre actuellement à la Neustadt, et dans la mesure où l’exposition « Interférences » que le musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg (MAMCS) présentait en 20133 la situait dans son contexte européen. Car c’est bien aussi le résultat le plus immédiatement visible d’un échange de formes et de théories qui ne peut être compris sans référence à ce contexte européen4. L’idée de laboratoire s’impose un peu partout : parfois, elle produit des effets très remarquables, comme cette université qui introduit une nouvelle acception du savoir et de sa diffusion ; parfois, l’expérience fait long feu – c’est le cas de ce véritable laboratoire de la modernité qu’était l’Aubette conçue par Sophie Taeuber-Arp, Theo Van Doesburg et Jean-Hans Arp, qui connaîtra un terrible échec. Sur les limites fluctuantes du Rhin, Strasbourg est, entre 1880 et 1930, la ville de tous les possibles. Mais c’est aussi un lieu de conflits internes qui se manifestent par exemple dans l’usage des langues – la bourgeoisie pratiquant plutôt le français, et les classes populaires le dialecte, l’allemand étant le véhicule linguistique des nouveaux arrivants venus de différentes régions d’Allemagne. Avant 1918, les meilleurs écrivains s’expriment en allemand, même quand ils sont partisans, comme René Schickele, d’une Alsace riche de ce qu’elle a puisé, et dans la « civilisation » française, et dans la Bildung allemande5. Dans le milieu littéraire, la vocation européenne de cette ville est tout particulièrement sensible. On retiendra, presque au hasard, deux figures qui l’illustrent d’une manière que l’on qualifierait de « symétrique ». D’abord celle d’Ernst Robert Curtius (1886-1956) : né à Thann de parents allemands, étudiant à l’université de Strasbourg, il devient un éminent philologue dont on a pu dire qu’il incarnait une certaine idée de l’Europe6. Au cours d’une carrière remarquable en Allemagne après 1918, il n’a jamais cessé d’expliquer à ses compatriotes ce qu’était la culture française au centre de laquelle il plaçait un écrivain comme Marcel Proust. Un autre exemple serait celui de Denise Naville (1896-1979), née à Sarreguemines, qui est une élève du philosophe Georg Simmel lorsqu’il enseigne à Strasbourg durant la Première Guerre, après quoi elle rejoint à Paris le cercle surréaliste, fréquentant alors André Breton et Paul Éluard notamment. À la différence de Curtius, elle s’exprime en français et devient une remarquable traductrice de l’œuvre de Friedrich Hölderlin, et plus tard, de Paul Celan. À ces deux cas, on pourrait en ajouter bien d’autres, ainsi celui de l’historien des images Aby Warburg (1866-1929), qui a trouvé à Strasbourg à la fois le modèle de sa future bibliothèque (aujourd’hui, le Warburg Institute à Londres) et les outils intellectuels pour mener à bien sa brillante thèse sur Botticelli. Ou encore le cas de Maurice Fréchet (1878-1973), qui a su conférer une dimension européenne aux mathématiques du hasard à partir du terreau strasbourgeois – qui avait été préparé déjà par l’université allemande –, avec la complicité du sociologue Maurice Halbwachs. Voilà un infime aperçu de ce que Strasbourg peut alors donner – et recevoir. Voilà comment le « moment strasbourgeois » s’inscrit dans ces biographies singulières.
Joëlle Pijaudier-Cabot et Roland Recht
I
Une grande ville de culture
22
Strasbourg, place Kléber avec l’Hôtel Maison Rouge, vers 1905
23
I
Une grande ville de culture
22
Strasbourg, place Kléber avec l’Hôtel Maison Rouge, vers 1905
23
Cat. 10. Ludwig von Zumbusch, Jugend, hebdomadaire de Munich, affiche, 1896.
Cat. 11. Jugend, nยบ 14, 3 avril 1897. Dessin de couverture de Hans Christiansen.
78
II
Artistes strasbourgeois entre France et Allemagne
79
II
Anne-Doris Meyer et Alexandre Kostka
Cat. 10. Ludwig von Zumbusch, Jugend, hebdomadaire de Munich, affiche, 1896.
Cat. 11. Jugend, nยบ 14, 3 avril 1897. Dessin de couverture de Hans Christiansen.
78
II
Artistes strasbourgeois entre France et Allemagne
79
II
Anne-Doris Meyer et Alexandre Kostka
Cat. 55. Max Beckmann, Selbstbildnis als Krankenpfleger, 1915.
Cat. 54. Max Beckmann, Kleine Operation, 1915.
152
III
Les musées de Strasbourg : une perspective européenne
153
III
Joëlle Pijaudier-Cabot
Cat. 55. Max Beckmann, Selbstbildnis als Krankenpfleger, 1915.
Cat. 54. Max Beckmann, Kleine Operation, 1915.
152
III
Les musées de Strasbourg : une perspective européenne
153
III
Joëlle Pijaudier-Cabot
La bibliothèque, lieu de diffusion des savoirs
Fig. 2 Musée des moulages, salle d’Hermès et vue sur la Salle hellénistique, entre 1884 et 1897, Strasbourg, bibliothèque de la Maison interuniversitaire des Sciences de l’Homme – Alsace.
Fig. 1 La grande salle de lecture de la Kaiserliche Universitäts- und Landesbibliothek zu Strassburg, vers 1930, BNU.
Fig. 3 Les objets égyptiens de la BNU, conservés dans les actuelles réserves muséographiques de l’établissement.
Fig. 4 Lion aux pattes enchaînées décorant la façade nord de la BNU de Strasbourg.
220
IV
Christophe Didier
221
IV
La bibliothèque, lieu de diffusion des savoirs
Fig. 2 Musée des moulages, salle d’Hermès et vue sur la Salle hellénistique, entre 1884 et 1897, Strasbourg, bibliothèque de la Maison interuniversitaire des Sciences de l’Homme – Alsace.
Fig. 1 La grande salle de lecture de la Kaiserliche Universitäts- und Landesbibliothek zu Strassburg, vers 1930, BNU.
Fig. 3 Les objets égyptiens de la BNU, conservés dans les actuelles réserves muséographiques de l’établissement.
Fig. 4 Lion aux pattes enchaînées décorant la façade nord de la BNU de Strasbourg.
220
IV
Christophe Didier
221
IV
Cat. 95. Globe de la Lune, 1897, Rudolf Dietz (sculpteur), Dietrich Reimer (fabricant), Eduard von Lade (concepteur).
Cat. 94. Sismomètre de terrain Mintrop, 1er quart du XXe siècle, Ludger Mintrop (inventeur).
242
IV
Les institutions du savoir
243
IV
Cat. 95. Globe de la Lune, 1897, Rudolf Dietz (sculpteur), Dietrich Reimer (fabricant), Eduard von Lade (concepteur).
Cat. 94. Sismomètre de terrain Mintrop, 1er quart du XXe siècle, Ludger Mintrop (inventeur).
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IV
Les institutions du savoir
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IV
V
Collectionner le savoir
244
Salle du Parthénon à l’intérieur du musée des moulages, avant 1922
245
V
Collectionner le savoir
244
Salle du Parthénon à l’intérieur du musée des moulages, avant 1922
245
Cat. 110. Modèle de la cinquième étape de développement d’un mollusque gastéropode, Gleba cordata, 1890, Léopold et Rudolf Blaschka (fabricants).
Cat. 109. Modèle de méduse, Geryonia proboscidalis, 1890, Léopold et Rudolf Blaschka (fabricants).
282
V
Histoires de collections au fil du temps
283
V
Marie-Dominique Wandhammer
Cat. 110. Modèle de la cinquième étape de développement d’un mollusque gastéropode, Gleba cordata, 1890, Léopold et Rudolf Blaschka (fabricants).
Cat. 109. Modèle de méduse, Geryonia proboscidalis, 1890, Léopold et Rudolf Blaschka (fabricants).
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V
Histoires de collections au fil du temps
283
V
Marie-Dominique Wandhammer
Cat. 134. Theo Van Doesburg, L’Aubette : projet de banquette de restaurant, 1927. Cat. 135. Theo Van Doesburg, L’Aubette : projet pour un fauteuil en cuir, 1927.
Cat. 133. Sophie Taeuber-Arp, Composition abstraite désaxée, vers 1926-1927.
326
VI
Entre Anciens et Modernes
327
VI
Roland Recht
Cat. 134. Theo Van Doesburg, L’Aubette : projet de banquette de restaurant, 1927. Cat. 135. Theo Van Doesburg, L’Aubette : projet pour un fauteuil en cuir, 1927.
Cat. 133. Sophie Taeuber-Arp, Composition abstraite désaxée, vers 1926-1927.
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Entre Anciens et Modernes
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