Les Darbellay, quand on est descendus

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Charly et Arthur Darbellay

Les Darbellay

Quand on est descendus...

Préface de Pascal Couchepin Postface de Christophe Darbellay Éditions à la Carte


Éditions à la Carte www.edcarte.ch Imprimerie Calligraphy.ch N° 1640 – août 2015 ISBN 978-2-88924-224-5


Préface de Pascal Couchepin

Depuis plus de 40 ans, je côtoie la famille Darbellay, d’abord avec une certaine méfiance, puis avec intérêt et depuis longtemps maintenant avec amitié et admiration. Car ce qu’ont vécu les Darbellay tient de l’exploit qui mérite d’être conté. A l’issue de la guerre, cette famille était pauvre, à l’image des paysans de montagne de l’époque. Pauvres, certes mais pas misérables car ils étaient en mesure d’éviter la faim et de répondre aux besoins élémentaires. Par contre, l’avenir était bouché pour les enfants. Le récit que vous avez en mains raconte en termes simples les réflexions paternelles, la vie que la famille va quitter à Liddes, l’arrivée en plaine qui apparaissait comme une sorte d’Amérique. Le rêve « américain » des Darbellay se réalise aux portes de Martigny à Charrat. La solidarité familiale joue à plein. Elle permet de financer les études de plusieurs frères. Des malheurs surviennent mais, tant douloureux qu’ils soient, ils ne brisent pas l’élan du clan. Plus remarquable encore, ces malheurs accroissent l’entraide et l’espérance, au sens humain et religieux, qui anime la famille. L’épopée des Darbellay est exceptionnelle par la qualité de ses acteurs. Il était bon qu’elle soit racontée,

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sobrement par les deux cadets et jumeaux ; Arthur et Charly. Mais ce récit permet de fixer la mémoire de ce qu’était la vie dans nos montagnes il y a un demi siècle. Le moins que l’on puisse dire c’est que cela n’était pas facile. Malgré cela la plupart étaient heureux... Mais personne ne regrette ce temps. Il exigeait des efforts que seules des personnalités très fortes pouvaient maîtriser. Joseph Darbellay était l’une d’entre elles. C’est au fond un hommage à leurs parents que rendent Arthur et Charly Darbellay. C’est aussi un document qui mérite d’être largement diffusé parmi ceux qui veulent savoir d’où viennent les Valaisans du XXIe siècle. Pascal Couchepin

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Quand on est descendus...

1. Quand on est descendus... « Quand on est descendus... » - sous-entendu « de Chandonne à Charrat » - cette phrase, c’est la phrase-clé dans les discussions de la famille Darbellay. A peine prononcée, les langues se délient et les souvenirs surgissent comme par magie dans nos mémoires pour évoquer notre émigration de la montagne vers la plaine. Le Jour J : le 5 mars 1947. Ce jour-là, c’est le jour de notre débarquement à Charrat. Nous sommes 16 ; papa, maman, tante Céline et les treize enfants. Nous emmenons avec nous toute notre fortune. Oh, l’inventaire est vite fait : une mule, quatre vaches, quatre à cinq jeunes bovins et des meubles qui tiennent tous sur le pont d’un camion. Mais la vraie richesse est ailleurs. Elle est dans la volonté farouche d’aller de l’avant. Pour s’en sortir, on est prêt à saisir toutes les opportunités de travail, même les plus pénibles, même les plus mal payées. C’est une famille unie qui a l’ambition de creuser son sillon dans cette terre charrataine qui est désormais sa nouvelle patrie. Aujourd’hui, nous, les deux cadets de la famille, Charly et Arthur, avons pris la plume pour retracer cette aventure. 7


Le récit que nous voulons écrire n’a pas la prétention d’être une œuvre historique. Il veut, tout simplement, jeter des coups de projecteurs sur les moments forts qui ont marqué de leur empreinte le destin de notre famille. C’est à la demande de nos enfants, de nos neveux et de nos nièces que nous avons finalement accepté de faire ce travail de mémoire. Ils veulent en savoir plus sur le passé de leurs parents. Ils aimeraient connaître le pourquoi et le comment du déménagement à Charrat. Ils se montrent toujours avides de détails lorsque nous parlons de la vie là-haut, à Chandonne, ou de nos débuts à Charrat. C’est donc à eux que nous dédions ces pages. Pour rafraîchir nos souvenirs, nous avons eu la chance, en ce début d’année 2015 de pouvoir interroger nos aînés et de recueillir par leur voix de nombreux renseignements précis et de jolies anecdotes joyeusement racontées. Merci à Thérèse, à Jean, à Vital, à Odile et à Madeleine qui, au cours de plusieurs entretiens, nous ont restitué l’essentiel des faits ici rapportés. Treize à la douzaine Commençons par les présentations. En réalité, un peu comme les trois mousquetaires qui étaient au nombre de quatre, les treize enfants Darbellay étaient au nombre de quatorze. Il ne faut pas oublier un petit frère, Raymond, né en 1925 et décédé à l’âge de 6 mois. Maman, qui avait beaucoup souffert de cette séparation, se consolait et nous consolait en nous disant que Raymond, « C’est un petit ange au ciel qui veille sur nous tous ». Il aura eu bien du boulot ! Pour les parents et pour les amis, se rappeler des prénoms

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et de l’ordre de naissance de toute cette ribambelle n’est pas chose aisée. Il a donc fallu trouver une astuce pour les mettre en mémoire. Un malin, on ne sait plus qui, a eu la bonne idée de résumer ces noms et de les réciter à grande vitesse. On commence par réduire le nom de Thérèse qui devient « Tèse », Germaine « Maine », Raymond « Mon » et ainsi de suite. On a eu ainsi une première série : « Tèse, Maine, Mon » et puis, à peu près chaque année, un nom est venu s’ajouter aux autres, formant une liste qui semblait sans fin. Nous allons donc reprendre cette méthode pour établir le registre des membres de la famille : 1) Tèse, Thérèse, née le 8 août 1924 2) Mène, Germaine, née le 7 août 1925 ; Germaine a un frère jumeau, Raymond qui mourra bébé 3) Mon, Raymond, né le 25 octobre 1926 ; on lui donne le prénom du frère décédé, c’était alors la coutume 4) Zan, Jean, né le 14 décembre 1927 5) Tal, Vital, né le 19 mai 1929 6) Dile, Odile, née le 1er septembre 1930 7) Ra, Gérard, né le 29 octobre 1931 8) Zette, Josette, née le 10 décembre 1933 9) Rie, Marie, née le 18 juillet 1936 10) Leine, Madeleine, née le 12 mai 1939 11) Ber, Gilbert, né le 19 octobre 1940 12) Ly, Charly, né le 15 mars 1943 13) Tur, Arthur, né le 15 mars 1943 La naissance des jumeaux Arthur et Charly porte à 13 le nombre d’enfants vivants. Comme dans les bonnes affaires, après douze on en reçoit un par-dessus le marché : treize à la douzaine ! 9


A la tête de la famille : - Papa, Joseph Darbellay, né le 1er juin 1896 à Chandonne, - Maman, Céline Darbellay, nom de jeune fille Duchoud, née à Icogne le 2 octobre 1896 Vivait également en ménage avec nous : - Tante Céline Darbellay, sœur de papa, née en 1884 à Chandonne. C’est donc toute cette armada qui s’établit à Charrat au printemps 1947.

2. C’est ici l’Amérique ! Quelques années après notre installation à Charrat, un cousin d’Amérique, Maurice Rossier, de passage en Valais, vient nous rendre visite. Alors, encore enfants, nous entendons avec étonnement ce cri qui sort de son cœur : « C’est ici, l’Amérique ! ». Lui-même avait quitté Orsières dans les années vingt pour aller tenter sa chance aux Etats-Unis. Matériellement, il n’avait pas mal réussi. Il avait fait fortune avec les grands magasins qu’il possédait dans la ville de Buffalo. Mais le gangstérisme qui régnait alors dans la cité lui rendait la vie impossible. Il devait, dit-il, dormir avec le pistolet sous l’oreiller. Alors, admirant les plantureux vergers et les belles vignes de Charrat, il trouvait que son cousin Joseph avait eu raison de choisir ces lieux. Aujourd’hui, il est difficile de se rendre compte de l’énorme fossé économique qui sépare la montagne de

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la plaine au sortir de la Seconde Guerre Mondiale. Entre Chandonne et Charrat, la différence des conditions de vie était alors gigantesque. A Chandonne, on vit encore presque en autarcie. A Charrat, chaque exploitation vend déjà de nombreux produits : des fruits, des légumes et de la vendange. Les abricots et les asperges, les deux articles phares, jouissent d’une grande réputation dans toute la Suisse. Les rentrées financières, sans être fabuleuses, apportent un début d’aisance. A Chandonne, il est très difficile d’acquérir de nouvelles terres, étant donné le grand nombre de petits paysans qui peuplent la vallée. A Charrat, la récente correction du Rhône a permis de gagner de nouvelles terres encore accessibles à qui veut les travailler. En montagne, le travail est extrêmement pénible et peu rentable car les terres, dans la pente, sont très morcelées et mal desservies. En plaine, des parcelles d’une certaine grandeur permettent un travail plus rationnel. A Liddes, on est encore à l’heure du mulet alors qu’à Charrat, on dispose de beaux attelages. La mule maigrichonne de Chandonne fait bien piètre mine au milieu des magnifiques chevaux de Charrat. Et certains de nos camarades de classe ne se gênent pas de nous faire des remarques ironiques à ce propos. Liddes d’avant 1950, c’est Liddes d’avant le développement du tourisme, d’avant la construction du barrage des Toules et d’avant l’ouverture du tunnel du GrandSt-Bernard (1964). Pour les jeunes, il n’y a pas d’emplois sur place. A Charrat, l’agriculture manque de bras. De nouveaux domaines arboricoles hautement spécialisés,

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comme le domaine de la Sarvaz, font appel à une maind’œuvre qualifiée. De plus, les premières industries s’établissent dans la commune et embauchent à tour de bras. C’est le cas des Entrepôts frigorifiques de Charrat, construits en 1944, qui sont alors les plus modernes de Suisse. Le village de Chandonne n’est pas encore relié au réseau routier ; seul un chemin muletier quasi impraticable en hiver permet de rejoindre Liddes-Ville, le principal village de la commune. Inutile de dire que personne, dans le hameau, ne possède de voiture. Il faudra attendre 1960 pour avoir une route correcte. Placé en bordure de route cantonale et connecté au réseau CFF, Charrat dispose d’une situation privilégiée, favorable à son essor économique. On pourrait encore multiplier les exemples illustrant les contrastes qui existent alors entre la montagne et la plaine. Les journaux de l’époque n’hésitent pas en faire les grands titres. Un journaliste valaisan ira jusqu’à écrire : « La montagne ne nourrit plus son monde ». D’ailleurs l’évolution de la population traduit à l’évidence les conséquences de ces différences de conditions de vie. Entre 1900 et 1950, le nombre d’habitants de Charrat augmente de 61 %, passant de 550 à 887, alors que celui de Liddes diminue de 33 %, passant de 1076 à 720. L’exode frappe C’est donc à une hémorragie de leurs habitants que font face les communes de montagne. Jean nous cite quelques exemples de personnes qui ont émigré de

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