L'Âge d'or des corsaires, 1643-1815, Morlaix - Paimpol - Bréhat - Binic

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Après une riche vie de chef d’entreprise, Jean-François Jacq est revenu à sa passion : la mer. Ancien officier de marine, il a parcouru le monde en bateau et vit aujourd’hui entre Paris et Paimpol. Polytechnicien, diplômé d’une maîtrise d’histoire, il a puisé dans l’histoire de ses aïeux (des capitaines au long cours et un corsaire de Napoléon) et dans des archives inédites, pour rassembler dans ce premier ouvrage de nombreuses années de recherche.

Jean-François Jacq

L’Âge d’or des corsaires

1643-1815 / Morlaix - Paimpol - Bréhat - Binic

L’ Âge d’or des corsaires

La célébrité de Saint-Malo, cité corsaire, a longtemps éclipsé le rôle des autres ports de la côte nord de la Bretagne, dans la guerre de course. Pourtant, une telle activité y existe dès le xve siècle, avec l’île de Bréhat pour point d’ancrage. À la fin du xviiie siècle, les îliens les plus entreprenants essaiment sur le continent, à Paimpol, Binic, Saint-Malo, Morlaix et même à Bordeaux, où ils deviennent armateurs à succès et notables. Les bateaux, les armements, les gains (et les pertes!), le déroulement d’une course et le sort des prisonniers,… Avec rigueur et passion, l’auteur rend justice à ces oubliés de la « grande » histoire maritime.

Jean-François Jacq Éditions Apogée - 20 € TTC ISBN 978-2-84398-398-6

www.editions-apogee.com

Préface de Patrick Villiers

Éditions Apogée



Jean-François Jacq

L’Âge d’or des corsaires 1643-1815

Morlaix — Paimpol — Bréhat — Binic

Préface de Patrick Villiers Professeur des Universités

Éditions Apogée


À Rose


Sommaire Préface de Patrick Villiers. Paimpol cité corsaire ? Avant-propos. À la recherche de Joseph Hamon, capitaine corsaire de Paimpol

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Chapitre i. La naissance d’une tradition maritime

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1. Au cœur de la Manche 2. Naissance d’une tradition maritime 2.1. Au temps des moines 2.2. La guerre de Cent Ans bretonne 2.3. Les débuts de la pêche à Terre-Neuve 2.4. La guerre de la Ligue 2.5. L’âge d’or breton

23 29 29 31 31 32 33

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Chapitre ii. La vie maritime dans le Goëlo sous Louis XIV 35 1. La Bretagne vers 1650 2. Le Goëlo au xviie siècle 2.1. Une population riche et dynamique 2.2. L’activité maritime

35 37 37 39

2.2.1. Paimpol, une ville de marchands 2.2.2. Bréhat, une tradition de pêche 2.2.3. La modestie de Saint-Quay-Portrieux 2.2.4. Binic et la pêche

2.3. Les atouts de Bréhat

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Chapitre iii. La course en Bretagne

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1. La course et les corsaires 1.1. Les origines : du droit de représailles à la course 1.2. La mise en place progressive d’un statut 2. La course à Saint-Malo 2.1. La guerre de course sous Louis XIV

53 53 54 57 57

7


2.2. La guerre de course sous Louis XV

61

2.2.1. La guerre de Succession d’Autriche (1740-1748) 2.2.2. La guerre de Sept Ans (1756-1763) 2.2.3. La guerre d’Indépendance (1778-1783)

3. La course à Morlaix 3.1. Le développement du port 3.2. L’activité corsaire à Morlaix 4. Les premiers armements du Goëlo 4.1. Les armements corsaires sous Louis XV et Louis XVI 4.2. Le Serpent

66 67 69 71 73 76

Chapitre iv. De la République à l’Empire, l’apogée de la course en Goëlo, 1795-1815

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1. L’importance de la course et son impact dans le Goëlo 1.1. Les atouts de la situation 1.2. Le rôle du tribunal de commerce 1.3. Le Goëlo arme à la course (1795-1815) 2. Le déroulement d’une course 2.1. Le choix du théâtre des opérations 2.2. Trafics et cargaisons 2.3. Les prises 2.4. Gains et pertes 2.5. Le devenir des prisonniers 2.6. Des bilans contrastés ?

81 82 87 90 95 95 96 98 102 105 105

Chapitre v. Un succès corsaire : Binic

107

1. Les courses du Requin 2. Les courses de L’Éléonore 3. Les courses de L’Espadon

108 111 131

Chapitre vi. Les dynasties d’armateurs

137

1. Les Le Pommelec 2. Les Cornic 3. Les armateurs de Paimpol 3.1. Les Lambert 3.2. Les Corouge

139 142 148 148 149

8


3.3. Les armements Lambert et Corouge au xviiie siècle 3.4. La maison des corsaires 3.5. L’accès aux honneurs 3.6. D’autres familles d’armateurs

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Chapitre vii. Capitaines et équipages

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1. Le système des classes 1.1. Les officiers mariniers 1.2. Les équipages 1.3. Principes du système des classes 1.4. Mise en place du système des classes 2. Le système des classes dans le Goëlo 2.1. Des capitaines

159 161 161 162 163 165 168

2.1.1. Nicolas Le Gonidec 2.1.2. Les Scolan

3. La capture des corsaires et la vie des prisonniers 3.1. La situation des officiers prisonniers 3.2. La vie sur les pontons 3.3. Les vêtements 3.4. L’activité des détenus

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Conclusion. La course était-elle rentable ?

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Annexes 187 Table des illustrations 237 Index des noms géographiques 239 Index des noms de famille 241 Index des noms de bateaux corsaires 243 Glossaire 245 Bibliographie 251 Remerciements 253



préface

de Patrick Villiers

Paimpol cité corsaire ?

Cette appellation est le plus souvent attribuée avec raison à Dunkerque et à Saint-Malo. Les archives nous permettent d’affirmer, par exemple, que pendant la guerre de Succession d’Espagne, les Français font 6 587 prises ou rançons dont 726 prises et 2 400 rançons pour la cité de Jean Bart et 683 prises et 203 rançons pour la cité de Duguay-Trouin 1. Les deux villes, à elles seules, font plus de 60 % des captures cependant, on trouve des corsaires* 2 armés dans les ports de Méditerranée comme de l’Atlantique, des Antilles comme du Canada. La plupart des ports français ont armé en course* du xvie siècle à 1815 toutefois, la hiérarchie des ports corsaires varie fortement d’un siècle à l’autre. On peut d’ailleurs dire la même chose des ports corsaires des Provinces-Unies, d’Espagne ou de Grande-Bretagne. Comme Jean-François Jacq nous le montre, Paimpol n’entre véritablement dans l’épopée corsaire qu’au xviiie siècle et plus précisément dans la seconde moitié du siècle. À cette époque, la course apparaît comme un phénomène essentiellement européen et strictement encadré sur le plan juridique. Tel n’a pas toujours été le cas. Revenons sur la définition du corsaire, si souvent confondu, hier comme aujourd’hui, avec le pirate. À la fin du Moyen Âge, l’Europe de la mer s’entend sur un certain nombre de lois et de pratiques maritimes que l’on regroupe à raison sous le nom de code d’Oléron. Dès 1400, le mot « corsaire » et une première définition juridique apparaissent dans des textes de lois. Simultanément le mot « pirate » est reprécisé. Les pirates et les forbans sont des gens sans foi ni loi et par extension, est pirate quiconque ne porte pas de pavillon. Ainsi 1. 2.

Patrick Villiers, Les Corsaires, Paris, Gisserot, 2008. Les mots en italique, suivis d’un astérisque, renvoient au glossaire situé en fin d’ouvrage.

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apparaît une notion essentielle : tout navire en Europe doit avoir un pavillon de nationalité et prouver d’où il vient et où il va. En découle très rapidement le « passeport » avec ses corollaires financiers : taxes portuaires d’entrée et de sortie, droit d’ancrage, etc., qui font le bonheur des seigneurs bordiers. Plus le trafic maritime se développe, plus les autorités de tutelle des ports s’enrichissent sans pour autant participer à la police des mers. Car on ne le dira jamais assez, tout navire, même de quelques tonneaux*, coûte cher. Être capable de faire régner la paix sur mer et de protéger ses citoyens implique une flotte de guerre que pratiquement personne ne possède. Naît donc le droit de représailles*. Le suzerain ne pouvant rendre la justice lui-même délègue à son vassal le droit de faire justice par la lettre de marque*. Par extension, à partir du xvie siècle, le droit d’être corsaire est prouvé par la possession d’une lettre de marque. Ainsi dès sa naissance, le corsaire est une réponse du faible au fort. Le suzerain incapable d’avoir une puissance maritime suffisante délègue, en temps de guerre, le droit régalien à un particulier de faire la guerre. La définition du corsaire est ainsi très simple et sans confusion possible. Le corsaire — armateur, navire, capitaine, équipage — est un particulier autorisé à faire la guerre dans un cadre strictement réglementé : seule l’attaque d’un ennemi est autorisée, il est interdit de s’en prendre à un neutre. La vente de la prise ou le paiement de la rançon dédommage l’armateur qui partage le bénéfice éventuel entre les actionnaires (deux tiers), et l’équipage (un tiers). En dépit de ce que l’on trouve très souvent écrit, ceci ne remonte pas à Colbert et à son ordonnance de 1681. Tout est codifié dans le droit européen dès le début du xvie siècle. Les guerres de religions en Europe et en France — notamment avec les corsaires protestants de La Rochelle puis la guerre de 80 ans entre l’Espagne et les Provinces-Unies — amènent à définir le rebelle qui passe de terroriste, de pirate ou « gueux de mer » au statut de résistant, puis à celui d’interlocuteur signant un traité à partir des années 1580-1600. La rapidité extraordinaire avec laquelle les « gueux de mer » hollandais deviennent les maîtres de la mer du Nord, puis de la Baltique puis de l’océan Indien en créant la Compagnie des Indes hollandaises, la célèbre VOC, amène l’Espagne à encourager à Dunkerque des corsaires supplétifs d’une marine de guerre 12


espagnole courageuse mais incapable de gagner la guerre sur mer. Il revient encore aux Espagnols d’inventer la stratégie corsaire, c’està-dire pour une marine de guerre, à capturer les navires ennemis et à les revendre au profit du souverain au lieu de les détruire. Ce sont ces mêmes Espagnols qui, avec l’amiral Colaert, ex-capitaine corsaire anobli par le roi d’Espagne, proposent en 1638 de détruire la flotte de pêche hollandaise pour affamer les Provinces-Unies. Cette stratégie sera largement reprise par la marine de guerre française sous Louis XIV, de Colbert aux Pontchartrain. Elle n’est en aucun cas appliquée par les corsaires particuliers dont le seul profit résulte de la rançon ou de la prise conduite à bon port et jugée « bonne » et enfin vendue. Un Jean Bart, roi des corsaires de Dunkerque avec 90 prises sur les 380 faites par Dunkerque de 1672 à 1678, devient officier du roi à partir de 1678. Si le roi lui assigne des missions d’escorte et des batailles navales, Louis XIV le charge également de détruire la flotte harenguière hollandaise, ce dont il s’occupe parfaitement, anéantissant plus de 200 buses harenguières, ce qui lui vaut des Hollandais le titre de « maxima pirata ». Pour rendre les choses encore plus complexes, Louis XIV, à court d’argent, prête officiers et navires de guerre à des armateurs particuliers pour des missions corsaires. C’est ce que les historiens appellent les armements mixtes, le profit étant le plus souvent partagé à raison d’un cinquième pour le roi mais, après 10 % d’impôt, versés à l’amiral de France. Ainsi la réalité corsaire est complexe et doit être appréhendée dans le détail. Dès les années 1900, un Henri Malo, érudit boulonnais, a analysé la course dunkerquoise et le statut d’un Jean Bart en s’attachant minutieusement au dépouillement des archives. Il fut rapidement suivi pour la Bretagne par les historiens Vignols et l’abbé Robidou. À partir des années 1950, la course fut l’objet de plusieurs thèses à la suite du renouveau d’une histoire maritime animée par le professeur Michel Mollat. Saint-Malo fut particulièrement étudiée par le professeur Delumeau puis par son élève et successeur à Rennes, le professeur Lespagnol, tandis que je tentais une synthèse et une relecture de la course dans ses rapports avec la marine royale. Pour la plupart, ces études universitaires ont surtout étudié les grands ports.

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C’est donc un des grands mérites de Jean-François Jacq d’avoir cherché à étudier un port secondaire. Mais qu’est-ce qu’étudier la course ? C’est étudier un phénomène multiforme : les armateurs mais également leurs actionnaires, les équipages, leurs origines, leur formation et bien évidemment les capitaines. Mais la course étant une activité du temps de guerre, il y a donc un avant et un après. Que faisaient les acteurs avant la guerre et que sont-ils devenus ? Le recours à la micro-histoire et à la généalogie est indispensable pour tenter d’appréhender ces questions. C’est également là un des grands mérites de l’ouvrage de Jean-François Jacq car les archives sont multiples et dispersées : archives familiales, archives des chambres de commerce, archives judiciaires, archives de l’amirauté, archives de la marine à Cherbourg et à Brest, Archives nationales et service historique de la Défense à Vincennes. Il fallait évidemment rechercher l’origine de la tradition corsaire du Goëlo. Après avoir rappelé la tradition corsaire de Saint-Malo et celle de Morlaix, Jean-François Jacq s’attache avec raison à rechercher l’influence possible des deux ports sur la naissance de la tradition corsaire à Paimpol. Il montre combien les débuts furent modestes et les résultats peu brillants. Le rôle de Bréhat, bien étudié dans les chapitres i et ii, apparaît décisif tant au sujet des capitaines que des armateurs, souvent eux-mêmes anciens capitaines. Un corsaire doit parfaitement connaître la région où il navigue aussi bien pour se cacher que pour s’échapper et ceci est particulièrement vrai des corsaires de faible tonnage. Les capitaines qui, en temps de paix, naviguent au cabotage, sont bien formés à ce type de navigation. Bréhat, île de capitaines au cabotage depuis le Moyen Âge fournit logiquement des capitaines corsaires. La pêche côtière forme également d’excellents capitaines mais aussi la pêche à la morue à Terre-Neuve. Paimpol et le Goëlo se caractérisent par le manque de financement. La pêche à la morue qui demande peu de capitaux est à l’origine du développement de nombreux ports : Le Havre et bien évidemment Saint-Malo mais aussi Granville et enfin Paimpol et Binic. Le manque de capital est une des causes du faible tonnage des corsaires : 12 et 25 tonneaux pour les deux corsaires de Jacques Le Pommelec, originaire de Bréhat, pendant la guerre de Sept Ans. En dépit de cette petite taille, il faut cependant la somme non négligeable 14


de 12 000 livres pour Le Lévrier de 12 tonneaux, ce qui implique des actionnaires dont le nombre nous révèle la volonté de l’armateur de diversifier les risques. C’est encore plus vrai pour Le Sorcier de 50 tonneaux qui nécessite 70 000 livres. À titre de comparaison, c’est ce que vaut un navire nantais neuf de 250 tonneaux et sa cargaison pour les Antilles vers 1770. La rentabilité n’ayant pas été au rendez-vous, ces armements en course ne sont pas renouvelés. À cela s’ajoute le manque de matelots, les Anglais ayant gardé sur des pontons* pendant toute la durée de la guerre les marins raflés en pleine paix, en août 1755, par l’amiral Boscawen. Finalement la course se développe véritablement à Paimpol et à Binic avec la Révolution. Paimpol apparaît d’abord comme un port privilégié où les Malouins conduisent leurs prises. La Manche, lieu du passage d’une flotte de commerce anglaise, la première du monde, est également le lieu de croisière des frégates* et des corvettes* de guerre de la Royal Navy. Car il ne suffit pas de prendre un navire ennemi, encore faut-il le conduire dans le port le plus proche, français le plus souvent. Le site de Bréhat et de Paimpol est propice pour échapper aux poursuivants anglais. Sur 71 prises ramenées à Paimpol pour être jugées par le tribunal de commerce de Paimpol, 30 ont été capturées dans les îles anglo-normandes, 26 le long des côtes du Devon et de Cornouaille. En outre, trois corsaires anglais sont capturés dans le nord de Bréhat. Ces prises ne sont pas nécessairement faites par des corsaires du Goëlo, 30 % d’entre elles ont été faites par des Malouins. Comme le montre fort justement Jean-François Jacq, l’arrivée de ces prises amenées par des corsaires extérieurs au port a joué un rôle déterminant dans l’armement des corsaires de Paimpol en incitant des notables bénéficiant de la vente de ces navires et de leurs cargaisons à investir dans la course. L’impossibilité de la grande pêche rend également capitaux, marins et capitaines disponibles. En effet, Paimpol, à la fin du xviiie siècle possède des armateurs : les Lambert père et fils, Corouge-Kersaux, Nicol, Bécot père et fils… À Binic, la famille Le Saulnier-Saint-Jouan exerce le commerce d’accastillage et de gréement pour les armateurs à Terre-Neuve et au commerce, avant de devenir armateur à la course en 1806. Les armateurs corsaires par définition ont exercé une autre activité en temps de paix. Dans le cas de Paimpol, ils arment à la pêche comme beaucoup d’armateurs corsaires malouins. À Binic, les Saint-Jouan arment 15


3 bateaux en course à partir de décembre 1806 ; si l’un d’entre eux, L’Éléonore s’illustre par la prise d’une vingtaine de bateaux en 2 ans, Le Requin, armé en 1812, est rapidement capturé par un bateau anglais, avec un membre de la famille de l’armateur à bord 3. Se pose donc la question de la rentabilité. À Paimpol, sur 24 armements effectués de l’an I à l’an XI, 7 armements (soit près de 30 %) ne sont pas revenus. Néanmoins, l’image du corsaire débarquant sur le quai les poches remplies de pièces d’or continue de s’imposer. Certes, les manoirs et les autres biens ayant appartenu à la famille Saint-Jouan sont significatifs d’une certaine réussite mais il est quasi impossible de mettre en évidence la part due à la course. Arme du faible au fort, la guerre de course* n’a jamais résolu un conflit à elle seule. Si certains armateurs, certains capitaines, certains équipages de Dunkerque, de Saint-Malo ou de Bayonne se sont enrichis, combien d’autres ont été ruinés ou ont fini misérablement sur un ponton anglais ? Avec Jean-François Jacq nous découvrons un petit port face à la guerre et cette histoire complète et enrichit celles des capitales corsaires. Patrick Villiers

Professeur des universités en histoire moderne, Université du Littoral-côte d’Opale (Ulco) Directeur du Centre de recherches en histoire atlantique et littorale Département d’histoire (CRHAEL)

3.

Jean-François Jacq, « Un corsaire du Goëlo, L’Éléonore de Binic », Carnets du Goëlo, Paimpol, 2003. Cf. aussi le chapitre sur les hommes et plus particulièrement la partie consacrée aux armements binicais de l’armateur Saint-Jouan.


chapitre iii

La course en Bretagne

La course naît à la fin du Moyen Âge d’expériences diverses. Les définitions que nous pouvons en donner aujourd’hui sont le fruit de l’observation historique des faits, des règlements et des pratiques. De nombreux auteurs ont énoncé leurs définitions de la course : les professeurs Patrick Villiers 72 et Florence Le Guellaff 73, notamment. Dans la suite de ce chapitre, nous reprendrons fréquemment leurs propositions.

1. La course et les corsaires La guerre de course, considérée comme la mise à profit d’un temps de guerre pour piller des territoires ou des bateaux ennemis, a très vraisemblablement toujours existé, mais la confusion est totale : il est alors bien difficile de faire la distinction entre « piraterie » et « course ». 1.1. Les origines : du droit de représailles à la course

Au Moyen Âge apparaît le droit de représailles. Il autorise l’armateur d’un bâtiment victime d’un navire ennemi à se retourner contre un armateur ou un négociant du même port. Cette pratique se développe à partir du xiiie siècle, notamment au xve siècle, à un point tel que les États européens (France, Angleterre et Pays-Bas), éprouvent le besoin de réglementer cette activité. Ils créent des cours de justice qui accordent des lettres de marque aux capitaines sur justification 72. Patrick Villiers, Les Corsaires du littoral, Dunkerque Calais Boulogne, de Philippe II à Louis XIV (1568-1713), Villeneuve d’Ascq, Presse universitaires du Septentrion, 2000, p. 14 et suivantes. 73. Florence Le Guellaff, Armements en course et droit des prises maritimes (1792-1856), Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 1999, p. 39.

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des dommages subis. Ces lettres de marque deviennent des commissions en guerre et autorisent 74 « à courir sur la mer sus aux ennemis du roi », pour autant que la cible appartienne à une nation ennemie du roi. Les bâtiments utilisés sont des propriétés privées, financées par des armateurs privés. 1.2. La mise en place progressive d’un statut

En 1373, Charles V publie une ordonnance qui réglemente la liquidation financière des prises. En 1400, Charles VI crée la lettre de marque et donne par là son statut à la course. La lettre de marque est une autorisation donnée par le roi (ou plus généralement par le chef de l’État) à un armateur de courir « sus » aux ennemis de la nation. Ceci implique donc qu’il ne peut y avoir course que s’il y a guerre ; tout navire pratiquant la capture de bâtiments, fussent-ils ennemis, non muni de la lettre de marque, est réputé pirate* et son équipage traité comme tel. L’armateur arme un navire privé avec un équipage civil 75. La lettre de marque est donnée à l’armateur pour un navire et un capitaine désignés pour une durée limitée, 3 ou 4 mois. Cette lettre ou une copie doit être conservée à bord par le capitaine. À certaines époques, la lettre de marque s’appelle commission en guerre*. L’usage de cette commission provient de la recherche de rentabilité de la part des armateurs de bateaux de commerce par l’adjonction de quelques canons et d’équipage supplémentaire. Le bateau de commerce peut alors s’attaquer à des caboteurs ennemis, avec de bonnes chances de succès du fait de la faiblesse de l’armement de ces derniers, et en retirer un profit. Le problème du droit des neutres* apparaît rapidement : si les bâtiments battant pavillon neutre ne sont pas des ennemis et sont donc inattaquables, qu’en est-il de leur fret si celui-ci appartient à un ennemi ? Louis XI reconnaît le droit des neutres, mais pas le fait que la neutralité du pavillon entraîne celle du fret : s’il appartient à un ressortissant d’une nation ennemie, il est de bonne prise*. À

74. Patrick Villiers, Les Corsaires du littoral, op. cit., p. 16. 75. Dans les faits, ce principe souffrira de nombreuses exceptions. Sous Louis XIV, des navires de la Royale sont affrétés par des armateurs corsaires, éventuellement avec des équipages partiellement militaires. De plus, les marins de la Royale, attirés par l’appât du gain et un risque moindre, désertent parfois pour embarquer sur des bâtiments corsaires.

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partir du xvie siècle, les belligérants précisent à chaque conflit, par ordonnances, leur conception du droit des neutres. Les ordonnances françaises se succèdent en 1443 et 1484, et inspirent un droit européen de la course. Des traités franco-portugais (1488) et franco-anglais (1518) concrétisent l’accord des nations. Pour s’assurer du respect des règlements par les corsaires, François Ier exige le dépôt d’une caution par l’armateur. La révolte des Provinces-Unies, qui se constituent en fédération protestante le 23 janvier 1579 contre la répression exercée par le royaume d’Espagne et les hostilités qui les opposent, amène les Espagnols et les Hollandais à préciser à nouveau le droit de la course et des prisonniers de guerre, notamment marchands et corsaires. A contrario, la piraterie est un armement en guerre non reconnu par une autorité d’État et attaquant tout navire sans distinction de nationalité. La volonté des royautés de réglementer la course fait régresser la piraterie. L’armateur dieppois Jean Ango (vers 1480-1551) fait fortune en pratiquant la guerre de course sous la protection du roi François Ier. Ses coups de main sont une réplique aux Portugais qui prétendent saisir tout navire s’aventurant sur les côtes d’Afrique. Il lance par ailleurs des expéditions maritimes comme celle du florentin Verrazano, qui explore la côte nord-américaine. Jean Ango est à l’origine de la découverte de Terre-Neuve par Aubert ainsi que de l’archipel indonésien des Moluques par les frères Jean et Raoul Parmentier. En récompense, Jean Ango est nommé gouverneur de Dieppe par le roi. Sa réussite se traduit par la construction à Varengeville, près de Dieppe, d’un superbe manoir qui porte son nom. Le roi de France et l’armateur ont bien compris tous les avantages qu’ils peuvent retirer de la course, en quelque sorte une piraterie réglementée en temps de guerre. Naufrageurs, contrebandiers et autres marginaux s’intègrent progressivement à ce système qui leur permet d’exercer leurs activités en toute légalité. Les guerres de Religion, avec leurs prolongements sur mer, remettent en cause cette organisation corsaire. Les protestants arment leurs corsaires à La Rochelle, les catholiques arment les leurs à Dunkerque. L’apaisement des querelles religieuses au début du xviie siècle met au chômage les corsaires sur les côtes européennes : c’est l’exode vers les Caraïbes où ils se font pirates, flibustiers ou corsaires selon l’évolution des conflits entre les nations européennes 55


implantées dans les Antilles 76. Ceci n’empêche pas une petite piraterie de continuer à sévir dans la Manche comme en témoigne un raid anglais sur l’île Maudé dans l’archipel de Bréhat en 1642 77. Le raid corsaire ou même pirate, dominant aux Antilles, reste cependant marginal en Europe. Jean Bart (1650-1702), célèbre pour son activité de corsaire à Dunkerque, effectue de 1674 à 1678, 82 prises sans faire de raid à terre. Ce n’est qu’en 1691 qu’il s’attaque aux côtes d’Écosse où il pille 1 château et incendie 4 villages. Au cours du xvie siècle, les rois de France continuent à préciser la réglementation de la course par une succession d’ordonnances (1517, 1543, 1555, 1650), de règlements sur « la navigation, l’armement des vaisseaux et des prises qui se font en mer », ou d’édits tels qu’en 1584, « l’édit sur l’amirauté » qui inclut un code de 30 articles sur les prises. En 1676, Colbert crée le « Conseil des prises » mais la Bretagne reste autonome sur ce plan : le gouverneur de Bretagne continue à délivrer ses propres commissions. En 1681, Colbert produit la « grande ordonnance sur la marine » dont le titre IX porte sur les prises : 34 articles constituent ce titre. Patrick Villiers 78 les regroupe autour de 8 thèmes : la commission, le rôle de l’armateur comme caution, la capture en mer, la saisie de la prise, la procédure à l’arrivée, les actes conservatoires dans l’attente du jugement, les types de jugement, la vente de la prise, la part de l’amiral et la répartition entre les intéressés*. Cette ordonnance reflète le droit européen de la course pendant plus d’un siècle. À chaque conflit, les États européens reprennent ou modifient tel ou tel point mineur de la législation. Ainsi, la course est une activité strictement réglementée et qui ne doit pas être confondue avec la piraterie exercée par des hommes « sans foi ni loi ». Si le Goëlo a joué un rôle dans la guerre de course*, ce que nous montrerons davantage au chapitre iv, l’engagement connu de ses deux grands voisins que sont Saint-Malo et Morlaix a pu posséder une vertu d’exemple auprès des armateurs et des marins de Binic à Paimpol. Il convient donc de rappeler brièvement l’histoire maritime et corsaire de ces deux grandes cités maritimes bretonnes. 76. France, Espagne, Angleterre, Hollande. 77. Archives nationales, B2.221 sur une descente à la côte des Anglais. 78. Patrick Villiers, Les Corsaires du littoral, op. cit., p. 175.

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chapitre iv

De la République à l’Empire, l’apogée de la course en Goëlo, 1795-1815

La période qui s’ouvre en 1795 marque un moment de prospérité pour les corsaires du Goëlo qui bénéficient d’une conjoncture favorable et d’une position géographique avantageuse. Elle se trouve renforcée par la présence de riches négociants, devenus armateurs, prêts à armer à la course.

1. L’importance de la course et son impact dans le Goëlo Trois facteurs semblent avoir joué un rôle essentiel dans le développement des activités corsaires dans le Goëlo. La position stratégique de la petite région côtière, au centre de la Manche occidentale, associée au refuge sûr que représente l’archipel de Bréhat contre le mauvais temps et aussi contre les poursuites des navires ennemis, ont permis aux bateaux de fréquenter ses ports avec assiduité. Une corporation de négociants-armateurs, armateurs tantôt au commerce, tantôt à la pêche notamment à Terre-Neuve, encourage l’armement de bateaux à la course. La création en 1791, d’un tribunal de commerce, institution devant laquelle les prises doivent être « jugées », amène de nombreux corsaires français et leurs prises à rallier Paimpol.

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1.1. Les atouts de la situation

L’archipel de Bréhat a toujours joué un rôle considérable dans la vie maritime de la Manche occidentale. Bréhat est un lieu de refuge ; quels que soient les vents, il y a toujours un abri, dans l’archipel, sans parler de la possibilité de mouiller dans le Trieux. En outre, en cas de chasse par les ennemis, compte tenu de la faiblesse des cartes marines, les difficultés de navigation dans l’archipel, bien connues aujourd’hui encore, constituent une protection naturelle contre des étrangers, surtout quand le corsaire dispose, parmi ses équipages, de quelques marins originaires du Goëlo, couramment appelés natifs* à l’époque. Le peintre malouin, Nicolas Ozanne 121, a ainsi représenté le corsaire Duguay-Trouin cherchant abri dans l’archipel, en 1692. Les Français venant d’être défaits par les Anglais, Duguay-Trouin sauve une partie de la flotte française en se réfugiant dans l’archipel bréhatin, accompagné de quelques prises anglaises. Ce rôle d’abri contre l’ennemi est renforcé par un ensemble de batteries côtières situées sur Bréhat et sur la côte : Bilfot, Guilben, la Trinité, l’Arcouest, portent encore des vestiges de ces batteries de canons. Le problème de la défense des côtes bretonnes n’est pas nouveau. Sans remonter aux invasions romaines, ou même à celles des Vikings, la question s’est posée à la Bretagne lorsque le duché, à la fin du xiiie siècle, possède enfin de longues étendues de la côte bretonne qu’il peut aménager à sa guise 122. En 1489 123, une garnison de 20 hommes est installée dans le château de Bréhat 124. C’est aux xviie et xviiie siècles que les côtes bretonnes se hérissent de batteries côtières : 1 390 canons dans les 29 capitaineries de Bretagne 125. Les

121. Les deux frères Nicolas et Pierre Ozanne, nés à Brest, sont deux dessinateurs et peintres du xviie-xviiie. 122. Michael Jones, L’Amirauté et la défense des côtes de Bretagne à la fin du Moyen Âge, actes du 124e Congrès national des sociétés historiques et scientifiques, 1999, Nantes, p. 25. 123. Ibid., p. 36, note 17. 124. Un château fort y existe depuis le Moyen Âge ; les pieds des murailles subsistent dans le quartier de Gardenno. 125. Jean-Pierre Bois, Principes tactiques de la défense littorale au xviiie siècle, actes du 124e congrès national des sociétés historiques et scientifiques, 1999, Nantes, p. 59.

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batteries 126 ont été réparties en quantité relativement importante sur tout le littoral afin de pouvoir communiquer entre elles à l’aide de signaux optiques. Des cartes publiées 127 dans l’ouvrage de Guy de Sallier-Dupin, déjà cité, montrent l’emplacement de ces batteries du Trieux à Plouha et à Bréhat et cela, à l’époque de la Révolution. 6 batteries existent sur la côte et 7 à Bréhat. De plus, une autre carte du même ouvrage 128 recense 4 autres batteries entre Plouha et Pordic. Ce sont donc 17 batteries qui défendent les côtes du Goëlo.

Fig. 7. Batterie de Guilben.

126. Guy de Sallier-Dupin, La Mer et la Révolution dans les Côtes du Nord, Saint-Brieuc, Les Presses bretonnes, 1992. 127. Ibid., p. 154 et 164. 128. Ibid., p. 140.

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chapitre v

Un succès corsaire : Binic

Toutes les conditions qui amènent les armateurs paimpolais à s’engager dans la course se retrouvent à Binic : dès le début du xvie siècle, Binic arme à la pêche à Terre-Neuve, puis au commerce. Ainsi émerge une petite corporation d’armateurs. Certains viennent de Bréhat après un arrêt à Plouézec, c’est le cas des Le Pommelec, d’autres directement de Saint-Malo. Par le biais d’alliances matrimoniales, des liens de parenté se tissent entre toutes ces familles, créant une communauté d’intérêts et un climat de confiance propice aux affaires. Les Fichet des Grèves sont apparentés aux Surcouf 182. Les premiers contacts des Binicais avec la course sont émouvants puisque Thomas Fichet des Grèves vient prendre la place de son fils capturé en 1627 par les corsaires marocains de Salé et meurt en captivité 183. Un autre membre de la famille Fichet, Louis, arme La Marie, un bateau de 25 tonneaux, en l’an II. Toutefois, dans le domaine de la course, une famille binicaise éclipse les autres. Le nom de Le Saulnier apparaît dans les réformations* et montres* de la noblesse de Saint-Brieuc de 1427 à 1435. Le nom de Saint-Jouan apparaît en 1729 à Langueux. À Saint-Brieuc, en 1733, Noble François Nicolas Le Saulnier, échevin, épouse Yvonne Robert de la Grandville, héritière de la terre de Saint-Jouan. Un de leurs enfants, Pierre Le Saulnier de Saint-Jouan donne naissance à la branche d’armateurs : son fils, Jean-François (1764-1792) 182. Christian Querré, Binic, port du Goëlo, op. cit., p. 139. François de Saint-Jouan est l’oncle par alliance de Robert Surcouf. Selon des sources privées, Félicité Fichet des Grèves (1763-1817) fille de Claude Fichet des Grèves épouse François Auguste de SaintJouan (1764-) 1792) ; de cette union naît François, 1784-1847). D’autre part Catherine Blaize de Maisonneuve (1779-1848), petite-fille de Claude Fichet des Grèves, épouse Robert Surcouf le 28 mai 1801. Surcouf est donc le neveu par alliance de Saint-Jouan. Les Saint-Jouan sont bien apparentés aux Fichet des Grèves. 183. Christian Querré, Binic, port du Goëlo, op. cit., p. 139 et 140.

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épouse Félicité Fichet des Grèves, apparentée à la famille Surcouf (1763-1817). De leur union naît, en 1784, François Le Saulnier de Saint-Jouan qui s’investit très rapidement, en 1806, dans le métier d’armateur. Comment expliquer cette précocité ? La famille tient un commerce de matériel d’armement et de pêche. Elle est très proche des armateurs qui sont ses clients. François suit l’exemple qu’il a sous les yeux. Cependant, l’époque est peu propice au développement du commerce maritime. Qu’à cela ne tienne, François arme à la course. L’ambition de celui-ci ne se limite pas à ses succès corsaires. Binic est alors le port d’Étables et fait partie de cette commune. Après un combat mené par l’armateur, les Binicais obtiennent finalement « l’indépendance », et Binic devenant commune à part entière, tout naturellement, François Le Saulnier de Saint-Jouan, en devient le premier maire en 1821 ; il est aussi plus tard conseiller général et président du conseil général des Côtes du Nord 184. Les Saint-Jouan arment trois bateaux à la course : Le Requin, L’Éléonore et L’Espadon, armés par la veuve Le Saulnier de SaintJouan et son fils François. Chacun de ces bateaux corsaires fait plusieurs courses.

1. Les courses du Requin Ce bateau est une goélette de 36 tonneaux, dont le tirant d’eau allège est d’1,624 mètres et de 2,673 mètres en ordre de marche, radoubée en 1806, armée de 3 pierriers et de 2 canons. La goélette est armée le 20 septembre 1806 à Binic pour courir sus aux ennemis de l’Empire. Le contrat d’engagement est signé le 22 décembre 1806. Fig. 10. Pierrier, musée de Ploubazlanec. 184. Nous remercions vivement Olivier de Saint-Jouan pour les précieux renseignements et documents qu’il a bien voulu nous communiquer concernant sa famille et les activités de L’Éléonore.

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Le corsaire embarque une trentaine d’hommes. Son capitaine est Aimable Sauveur, âgé de 32 ans, et originaire de Saint-Malo. Un chirurgien, Pierre Michel, âgé de 35 ans, originaire d’Étables, est embarqué avec son coffre. Les bouches inutiles étant peu appréciées, le chirurgien est également premier lieutenant. Le corsaire appareille le 22 décembre 1806, le compte d’armement est déposé au greffe du tribunal de commerce de Saint-Brieuc le 9 janvier 1807. Ce document constitue le contrat entre les intéressés. Il recense les dépenses effectuées par l’armateur avant la mise hors du bateau, et devient ensuite une pièce essentielle de la procédure de liquidation de la course quand celle-ci sera terminée 3 ou 4 mois plus tard. Les prises réalisées lors de cette première course ne sont pas connues. Toutefois, il y a fort à parier que le corsaire n’est pas revenu bredouille puisqu’il est avéré 185 que la seconde course du Requin débute le 25 septembre 1807. Les armateurs sont les mêmes, le capitaine également ; la première course a donc dû être satisfaisante. Dès le 15 octobre 1807, un premier succès est au rendez-vous. L’Amnity, un brick anglais, est capturé. Le 16, un équipage de prise est mis à bord pour le conduire en lieu sûr, un port français 186. À cette époque, la guerre de course fait rage et les frégates anglaises rôdent. Ce qui arrive souvent se produit cette fois : une frégate ennemie se présente, menaçante. Les corsaires savent que leur prise a plus de valeur que leurs propres personnes, du moins pour les Anglais. Ils emploient une méthode éprouvée : lâcher la prise, embarquer dans le canot de la prise et fuir pendant que la frégate est retardée par la récupération du brick. L’incident se produisant à un demi-mille de la côte, les corsaires ont le temps de se sauver. Le canot, reliquat de la prise, fait l’objet d’une liquidation particulière par le tribunal de commerce de Cherbourg, le 19 décembre 1807. L’équipage a eu beaucoup de chance, l’incident a lieu suffisamment près des côtes, et Cherbourg, siège d’un tribunal de commerce, est relativement proche.

185. Régis Le Saulnier de Saint-Jouan, Navires corsaires armés par l’armement le Saulnier Saint-Jouan de Binic, 1985, archives familiales. 186. Idem.

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Ce résultat décevant ne décourage pas les armateurs, à juste titre, puisque le 7 janvier 1808, au nord-nord-est de l’île de Batz, Le Requin capture Le Paulina, un bateau américain de Baltimore, venant de Malaga et allant à Riga, dont le capitaine est John L. Clark. La prise est ramenée à Roscoff le jour de sa capture. Le Paulina s’avère être un ancien bateau français, Le Nestor, armé par des Morlaisiens, les Barrère jeunes 187. Ceux-ci réclament leur bien et la cargaison. Cela n’empêche pas le conseil des prises, de valider la prise le 23 juillet 1808. La liquidation particulière intervient le 16 février 1809, elle est prononcée par le tribunal de commerce de Morlaix, le 16 février 1809, et rapporte 192 513, 92 francs 188. Toutefois, les ennuis continuent pour l’armateur et son capitaine, Aimable Sauveur. L’équipage se rebelle, refusant de prendre la mer sous prétexte que la course est terminée. Le gain espéré de la liquidation du Paulina est probablement suffisant à leurs yeux, à moins que ce ne soit l’envie de retrouver les leurs qui les motive. Il y a 4 mois que la course a débuté, la durée de validité de la lettre de marque ne dépasse pas 4 mois, en principe. L’armateur n’est pas d’accord ! Les cas de désaccords rencontrés concernant la durée de la course proviennent de ce que l’équipage souhaite que les durées des escales soient comptées dans la durée de la course ; bien sûr, l’armateur est d’un avis contraire. Un procès-verbal de rébellion est donc dressé le 1er février 1808, à la demande du capitaine et en présence du sieur Guibert Lasalle, agent des armateurs à Roscoff. La course est effectivement terminée en mars 1808 ; sa liquidation générale et définitive est prononcée, un an plus tard, les 31 mars et 4 avril 1809. Ce délai, quoiqu’un peu long, n’est pas inhabituel. Pour la prononcer, le tribunal doit en effet réunir de nombreuses pièces qui viennent en général de plusieurs lieux : armement, escales, atterrages de prises, notaires, etc., et les délais d’acheminement de courrier sont longs. Le Requin est capturé le 28 août 1808 par le vaisseau anglais The Volage, mais il a la chance de pouvoir revenir à Roscoff à la suite de sa reprise par des corsaires français. Sa carrière de corsaire semble 187. Paulette Karg-Keriven et Frank Karg, Roscoff, un coin de Finistère, plaque tournante au temps des corsaires, Morlaix, Atlantis, 2000, p. 58 et suivantes ; les auteurs décrivent l’histoire complexe de ce bateau, histoire révélatrice des mœurs de l’époque : contrebande, faux papiers. 188. Régis Le Saulnier de Saint-Jouan, Navires corsaires, op. cit.

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chapitre vi

Les dynasties d’armateurs

La course est une aventure : pour l’armateur qui en prend l’initiative, pour ceux qui apportent leurs capitaux (communément appelés les « intéressés »), pour ceux qui acceptent d’être les responsables opérationnels, à savoir les capitaines, facteurs de succès très importants, et pour les membres de l’équipage. Tous ne jouent pas le même rôle mais ont en commun la même motivation : l’appât d’un gain important en peu de temps (trois mois parfois). Ils ont aussi un attrait certain pour l’aventure, une inconscience ou un mépris du risque, à moins que la médiocrité de la vie à terre ne leur donne des ailes. Leur recrutement ne se fait pas de la même manière. L’existence du groupe social des armateurs résulte directement du développement de la « grande pêche » à Terre-Neuve et du négoce maritime, en particulier avec le « Nouveau Monde » au xviiie siècle. Les propriétaires de caboteurs et de bateaux de pêche s’enhardissent, à la fois sur le plan maritime en allant vers des mers plus lointaines et sur le plan financier en armant des bateaux plus importants. Les meilleurs s’enrichissent. Les villes maritimes se couvrent de riches maisons, de manoirs et d’immeubles prestigieux. C’est le cas notamment de Saint-Malo, Nantes, Bordeaux, Marseille, mais aussi de petites villes comme Morlaix, Paimpol et Binic. Ces négociants-armateurs — dont l’appellation évolue pour devenir armateurs-négociants, puis simplement armateurs 222 — assument donc le rôle de l’entrepreneur mû par une ambition de réussite personnelle.

222. Cette évolution reflète celle du contenu de leur métier : ils sont d’abord marchands, puis le commerce maritime se développant, leur rôle d’armateur devient très important au point de créer un mythe, l’imaginaire des voyages aidant.

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Dans le Goëlo, ils se recrutent parmi les maîtres de barques bréhatins. Ces derniers, propriétaires de leurs bateaux, cabotent, allant chercher du vin en Aunis, du sel à Guérande, livrant une partie de leur cargaison en Angleterre, en Hollande et en Bretagne. Ils exportent aussi des céréales et des toiles de lin et de chanvre. Au xviie siècle, Bréhat est devenu le premier port de commerce de la baie de Saint-Brieuc, bien devant cette dernière, mais aussi devant Paimpol et Binic. La Corderie 223 et le Port Clos y sont les deux principaux havres. La Corderie, qui assèche peu en mortes eaux, devient un excellent port d’armement. L’étude du chemin parcouru par les armateurs les plus importants montre qu’ils sont nombreux à être venus de Bréhat puis, après une installation à Paimpol ou à Morlaix, à avoir poursuivi leur périple jusqu’à Binic et Saint-Malo ou Bordeaux où ils ont développé leur métier d’armateur, établissant à la fois des liens et une rivalité avec les Malouins. Parmi ces armateurs venus de Bréhat, les Le Pommelec à Paimpol, Plouézec et à Binic se distinguent, les Cornic à Morlaix ainsi que les Corouge et les Lambert à Paimpol ont des parcours qui méritent d’être étudiés. Ayant déjà décrit le cas de la famille Saint-Jouan au chapitre précédent, nous ne reviendrons pas sur elle. Par contre, bien qu’ayant déjà cité des représentants de la famille Le Pommelec, il est important de s’intéresser à cette véritable dynastie.

223. S’il n’est pas avéré qu’elle abrita jamais une corderie, on imagine volontiers que son appellation résulte de l’existence de dépôts de cordages indispensables à l’activité d’armement. Une corderie nécessite une grande longueur pour le travail de fabrication, 300 mètres à Rochefort, pour équiper des vaisseaux de 60 à 70 mètres de long. Les bateaux bréhatins étaient certes plus petits, environ une quinzaine de mètres pour 40 tonneaux, mais ils auraient nécessité une fabrique de cordages d’au moins une soixantaine de mètres. À notre connaissance, il n’existe pas de traces d’une telle construction dans l’île et encore moins à proximité de La Corderie. Misons donc pour un simple dépôt important de cordages.

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1. Les Le Pommelec 224 La famille Le Pommelec est établie à Bréhat à la fin du xvie siècle. Un certain Nicolas Le Pommelec y est identifié en 1584. Il épouse Marguerite Cantin avec laquelle il a 5 enfants, dont Jacques (décédé en 1674). Ce dernier épouse Olive Floury dont il a trois fils. Colin naît en 1630 et est à coup sûr le père de la lignée. Il se marie à Marie Le Bolloche en 1660. Le couple a lui-même 5 enfants : Arthur, Antoine et Gilles, Anne et Catherine. En 1661, Antoine a neuf enfants dont on ignore la descendance car ils quittent la paroisse. Arthur épouse Catherine Floury. Il se noie en pêche en baie d’Audierne (1723). Mathurin, fils d’Arthur naît le 20 février 1710 ; il est le filleul de Mathurin Cornic. Celui-ci est le fils de Pierre, lieutenant de l’île. Jacques Le Pommelec, frère du précédent, né le 3 janvier 1715, quitte Bréhat pour épouser Catherine Dauphin, à Plounez en 1739, et amorce ainsi la migration vers le continent. En 1741, la veuve d’Arthur échange des pièces de terre à Bréhat contre une maison à Paimpol 225. L’un et l’autre rencontrent sur le continent un champ d’activité davantage en rapport avec leur domaine professionnel, leur dynamisme et leur esprit d’entreprise. En 1744, la guerre de Succession d’Autriche débute 226. Antoine et son frère Jacques, tous les deux fils d’Arthur, arment La Triomphante (12 tonneaux) à Saint-Malo. Ce petit corsaire fait tout de même des prises 227 : Le Ressuscité de Falmouth, dont le gain net est de 1 758  livres, Le Revivre, La Colombe au large du cap Lizard, au prix d’une simple décharge de mousqueterie, le 19 juillet 1744. Elle est chargée de 30 tonneaux de charbon de terre ; le tout est vendu à Paimpol, quelques semaines plus tard, lors d’une vente aux enchères qui rapporte 800 livres. En 1746, Antoine est d’abord capitaine d’un corsaire de 40 tonneaux, 8 canons et 12 hommes, La Rosalie, armé par Mathurin 224. Les informations concernant cette famille proviennent d’une étude qui nous a été communiquée par une source privée. L’auteur a travaillé en concertation avec Régis de Saint-Jouan, archiviste à Saint-Brieuc, puis directeur du service des archives départementales. Ce dernier est un descendant direct de la famille dont nous avons présenté les armements au chapitre précédent. 225. Archives de Maître Lesourd, notaire. 226. Du moins pour la France. 227. Au moins trois, selon Darsel Joachim, « À travers le vieux Paimpol », La Presse paimpolaise, 30 août 1958.

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Cornic, du 22 septembre au 4 octobre 1746. Il rançonne deux bateaux ennemis. Le 10 octobre, il capture Le Drapier de Liverpool et en retire une rançon de 1 500 livres. Mais le 6 mai 1747, La Rosalie est capturée par le Grand Turk de Plymouth. Pierre Cornic, fils de l’armateur, présent à bord, et Antoine Le Pommelec sont faits prisonniers. À la fin de la guerre, en 1748, Antoine est libéré. Il est vraisemblable que le fils de l’armateur ait été délivré à la même date, à moins qu’il ne l’ait été auparavant contre une rançon payée par son père. Jacques arme 2 corsaires Le Jacques et Le Ville de Paimpol qui s’emparent de 3 Anglais, Le Bon Ami (15 mai 1762) et 2 senaults de Jersey, Le Levity et Le Hook. En 1761, Jacques est mobilisé jusqu’à la fin de la guerre de Sept Ans. En récompense des services rendus à l’État, le roi lui attribue une épée d’honneur en 1769, une distinction très rare. Il est aussi fait écuyer. En 1767, veuf de Catherine Dauphin, il se remariera à Iphigénie Poirier de Noisseville, à Plouézec. La migration sur le continent est bien établie. En 1766, Jacques possède une flotte d’une dizaine de bâtiments de 9 à 180 tonneaux, 593 tonneaux au total. Il a profité de ces années de paix pour pratiquer grand et petit cabotage et s’enrichir. Mathurin Le Pommelec, né de l’union de Jacques et de Catherine, est baptisé à Paimpol en 1740. Selon une tradition familiale, il aurait commandé Le Lively, un cutter* du roi, Le Marsouin, La Minerve, L’Élizabeth et L’Outarde. Il est nommé lieutenant de frégate et meurt à Saint-Pierre-et-Miquelon à une date inconnue. Yves Le Pommelec, son frère, naît le 20 août 1747. En 1766, il commande L’Union, sloop de 70 tonneaux, armé par Pierre-François Lambert 228 de Paimpol. En 1784, il commande L’Actif (110 tonneaux et 26 hommes) armé par René Corouge et Poulain Corbion. Ce bâtiment fait naufrage en 1787 sur les rochers de Greens Point dans l’île du Prince Édouard 229. Dans son rapport de mer, il accuse les Anglais d’avoir provoqué ce naufrage et d’avoir consciencieusement pillé ce bateau alors que « nous n’étions pas en guerre avec l’Angleterre ». Le naufrage de L’Actif est peut-être la cause de la faillite de l’armement Corouge aîné. Les créanciers sont Pierre-François Corouge et Jacques Le Pommelec. C’est du moins la thèse de l’auteur inconnu 228. Joseph Pierre François. 229. Dans le golfe de Saint-Laurent, Canada.

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de la note sur la famille Le Pommelec. La signature d’Yves figure sur les registres de la chapelle de Saint-Guénolé en l’île de Béniguet 230, ce qui semble montrer que la migration n’est pas encore parfaite. Pétronille Le Pommelec, sœur d’Yves, naît le 14 décembre 1748. Elle se marie le 16 juin 1767 à René Corouge, âgé de 23 ans. Elle devient ainsi cousine des Denis de la Garde, une autre famille notable de Paimpol. Jacques Le Pommelec, né en 1751, et communément appelé Jacques II, épouse Angélique Fichet des Grèves de Binic le 27 février 1786 : Guibert, Denis, Corouge, Le Saulnier, tous parents sont présents 231. Jacques s’installe dans cette dernière paroisse où il poursuit son métier de capitaine et d’armateur. Les Fichet des Grèves sont apparentés aux Surcouf par les Maisonneuve. Toutefois, en 1788, il ne possède qu’un bateau de 220 tonneaux, une unité importante il est vrai, le terre-neuva Le Prudent. Ce bateau embarque 95 hommes d’équipage dont 6 officiers. Il arme aussi Le Neptune, Le Suffren, La Marie-Françoise, et La Fleur de May, tous caboteurs ou long-courriers venant de sa belle-famille. Parmi ses enfants, Louis Aimé, né en 1790, se livre à la course et se fait remarquer au cours de combats livrés par L’Éléonore. Un témoignage élogieux d’Alexandre Black, capitaine de ce dernier, daté du 14 février 1811, précise que Louis commande à 21 ans son quart à la mer*. Il devient capitaine au long cours en 1814. Son cadet, François, né en 1793, devient aussi marin. Vers 1808, il entre dans la marine impériale où il est reçu aspirant de deuxième classe. Il embarque sur Le Fantôme, armé en guerre et en marchandises à Saint-Malo, pour les « Grandes Indes ». Capturé par Le Melampus, il est d’abord interné avec d’autres Français dans la forêt d’Halifax en Nouvelle-Écosse 232, puis il devient prisonnier sur parole d’un riche Anglais, cherchant un captif bien élevé pour enseigner le français à son fils. François vient alors habiter à Preston près d’Halifax où il vit mieux qu’en prison. Libéré en 1814, il abandonne la marine et se consacre à des activités d’armement au long cours et à la pêche à Terre-Neuve. Il fonde la branche malouine de la famille.

230. Île d’une vingtaine d’hectares située dans l’ouest de l’archipel de Bréhat. 231. Ceci met en évidence les alliances fréquentes entre familles d’armateurs. 232. Située sur la côte atlantique.

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Jacques, né le 11 septembre 1797 (Jacques III) s’attache surtout à consolider l’activité d’armement à la pêche à Terre-Neuve et à Islande. Il transforme le port de Binic pour lui donner une structure proche de celle que nous connaissons. Il développe également des activités terrestres comme une fabrique de bière. En politique, il succède à François Le Saulnier de Saint-Jouan à la mairie de Binic (1847), fonction qu’il garde, après quelques péripéties, jusqu’en 1872. Il devient aussi conseiller général en 1866, rejoignant ainsi son frère. Il meurt aveugle à 86 ans en 1883. Son fils Jacques IV (1851-1906) mène une politique d’armement avisée : il arme 8 goélettes dont 3 avec le concours de son fils Gaspard. Il devient aussi maire de Binic. La famille Le Pommelec est probablement à son zénith à la fin du xixe siècle. 150 ans se sont écoulés depuis qu’Arthur et Jacques Le Pommelec se sont installés à Paimpol ou à Plouézec. Durant cette période, les maîtres de barques sont devenus des notables, armateurs-négociants, maires et conseillers généraux. Cette réussite repose sur beaucoup de travail, de l’esprit d’entreprise, des déménagements judicieux et des mariages constituant de fait des alliances économiques entre familles ayant « pignon sur rue », bel exemple de l’endogamie pratiquée par les armateurs de la région.

2. Les Cornic 233 À l’égal des Le Pommelec, la famille Cornic illustre aussi le thème selon lequel, parmi les familles de négociants, armateurs, à la course notamment, qui exercent leurs activités sur les côtes nord de Bretagne, plusieurs d’entre eux sont des descendants de maîtres de barques bréhatins. Mathurin Cornic, maître de barque, est né à Bréhat vers 1670. Il épouse à une date inconnue sa compatriote Françoise Obet. Ils ont un fils, Mathurin, né le 11 novembre 1698. Celui-ci se marie à Marthe Hamon à Bréhat en 1727. Mathurin est capitaine « au commerce » et s’installe à Morlaix. 233. Nous empruntons une bonne partie des informations relatives à cette famille à Olivier Levasseur, auteur de Charles Cornic, 1731-1809, un mythe corsaire, Rennes, Apogée, 2003.

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chapitre vii

Capitaines et équipages

L’armateur réunit les fonds nécessaires au financement de la course qu’il projette. Il faut recruter le capitaine, élément clé, parce que, livré à luimême, sa compétence de marin, de meneur d’hommes, son courage face à l’adversaire, quand les circonstances l’obligent à y faire face, vont contribuer à assurer le succès de l’opération. Il lui faut être d’abord un bon marin pour conduire son bateau en toute sécurité, dans les coups de vent fréquents de la Manche et de l’Atlantique. Arraisonner un bateau de commerce d’une nation ennemie, peu ou pas combatif, suppose une capacité à assurer une navigation efficace, hardie dans les zones fréquentées par les cibles, et aussi le respect des procédures prévues par les règlements. En cas de succès, il faut ensuite le courage d’accepter, voire de provoquer l’abordage, si une frégate ennemie plus rapide ne lui laisse pas d’autre issue. Pour le recrutement, le système de la « presse* » a longtemps prévalu, en France comme en Angleterre. Méthode empirique, la presse n’est pas jugée apte à satisfaire les nouvelles ambitions de la marine royale.

1. Le système des classes En 1661, à l’avènement de Louis XIV, Colbert est chargé de développer une marine de guerre capable de lutter avec ses rivales anglaises et hollandaises. Il entreprend donc un plan de construction de navires qui va faire passer la marine royale de 9 à 91 vaisseaux, de 1661 à 1669 274. Une multiplication par dix du nombre de vaisseaux en si peu de temps relève de l’exploit. Les arsenaux de Toulon, Rochefort et Brest sont mis à contribution. 274. Patrick Villiers, Marine royale, op. cit., p. 58 à 66.

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Mais il faut aussi fournir les équipages et ceci est encore plus difficile. La marine a besoin d’hommes compétents : officiers aptes au commandement et à la navigation, des officiers mariniers qui, à cette époque, constituent la véritable ossature de marins des bateaux, et des matelots. Jusqu’à Louis XIV, le roi affrète à des particuliers des navires marchands qui sont transformés en navires de guerre. Les Duquesne, père 275 et fils, de Dieppe, sont armateurs, marchands et commandants de navires du roi de France. Richelieu affrète des vaisseaux de guerre hollandais pour faire le siège de La Rochelle (1627-1628). Le commandement est confié à de très hauts personnages tels que Sourdis 276, archevêque. La marine, sauf pour les galères 277, emploie beaucoup de roturiers. Louis XIV élargit délibérément le recrutement en cherchant à y faire entrer en force la noblesse : noblesse de cour, ce sont notamment les familles d’Estrées, Tourville, Vivonne, Forbin ou des hobereaux provinciaux comme les Chateaurenault, Villette Murçay. Dans l’armée de terre, les grades de capitaine et colonel s’achètent. Louis XIV va « royaliser » la marine : le financement des navires, arsenaux et officiers devient exclusivement assuré par l’État. Ainsi, les cadets de famille sont attirés par la marine où l’avancement se fait sans avoir à acheter son grade. De nombreuses rivalités existent cependant entre ces officiers d’origines diverses. La rivalité entre Duquesne et le chevalier Paul est une des plus célèbres. Colbert recherche des commandants qui soient réellement compétents : exemples de Villette Murçay qui, venant de l’armée, devient capitaine de vaisseau ; à Boulogne sur mer, la carrière de Panetié annonce celle de Jean Bart 278. Au départ, la cohabitation entre le capitaine chargé de l’aspect maritime et le capitaine des troupes embarquées vise la complémentarité marin-combattant. Dans la pratique, de nombreux tiraillements conduisent à des catastrophes : d’Estrées échoue 11 vaisseaux de 275. Abraham Duquesne (1610-1688) remporte notamment la bataille d’Agosta (Sicile) contre une flotte hispano-hollandaise commandée par l’amiral de Ruyter (1675). 276. Henri de Sourdis (1594-1645), homme d’Église, mène une brillante carrière d’officier de marine et de stratège. 277. Cours de M. Bonnichon à la Sorbonne. Il existe un corps des officiers pour les galères ; ils sont traditionnellement recrutés parmi les nobles. 278. Patrick Villiers, Les Corsaires du littoral, op. cit., p. 211 à 220.

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son escadre aux îles d’Aves, proches de Barcelone, pour ne pas avoir écouté ses pilotes. Les cousins, neveux, enfants, sont volontiers embarqués prioritairement. L’aspect religieux joue, en revanche de moins en moins : les protestants se convertissent au catholicisme, ou s’exilent, à l’exception notable d’Abraham Duquesne. Nous voyons que la rationalité n’est pas le caractère dominant de cette organisation. Le népotisme, l’esprit de clan l’emportent. La duplication du commandement ne peut donner de bons résultats. L’unité de commandement à bord va progressivement se forger. Le problème est différent pour les officiers mariniers, les matelots, les novices et les mousses. La presse ayant échoué en France, Colbert crée pour eux le système des classes*, en 1688-1689. 1.1. Les officiers mariniers

Ce sont les véritables marins, des techniciens qui connaissent vraiment la manœuvre : ils le deviennent par promotion interne des matelots qui naviguent pour la plupart depuis une dizaine d’années. 1.2. Les équipages

Traditionnellement, la presse consiste à enrôler, plus ou moins de leur plein gré, les marins de la pêche, du commerce et de la course, mais aussi des paysans, des gens sans expérience de la mer. Pour attirer des marins, la marine propose une solde élevée, allouée même en temps de paix 279. En 1650, la France n’a pas les moyens de financer une armée de métier. Ce système, qu’aujourd’hui on qualifierait volontiers de barbare, ne donne guère satisfaction en France, encore moins qu’en Angleterre. Colbert décide la création du système des classes après une application plus ou moins réussie en Saintonge. Le système est accepté avec réticence ; son application se fait progressivement, puis de mieux en mieux au xviiie siècle. Colbert commence par expérimenter le principe, de 1668 à 1671 à Rochefort, et le généralise, en 1673, aux gens de mer des paroisses du littoral et des rivières navigables. Les besoins sont importants et croissent à cause du nombre de nouveaux vaisseaux et du rôle grandissant de l’artillerie. 279. Mais réduite de moitié en temps de paix.

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loin d’être négligeable, s’ajoutent les risques de mort ou de blessure au combat. Qui sont donc ces hommes qui n’hésitent pas à risquer leur liberté voire leur vie ? Conséquence du système des « classes », créé par Colbert, qui vise à maintenir disponibles les marins français en cas de conflit, un marin classé ne peut embarquer sur un corsaire qu’avec une autorisation spéciale appelée « permis de sortir ». Cette autorisation est accordée, avec plus ou moins de réticence ou de largesse, selon l’appréciation qu’a le Pouvoir des perspectives de conflit et donc de besoins potentiels en hommes : l’histoire fournit autant d’exemples dans un sens que dans l’autre. Sur 327 bateaux 312, armés à la course à Saint-Malo entre 1793 et 1814, 17 724 hommes ont été embarqués, dont un quart seulement d’inscrits maritimes et un autre quart d’étrangers ; le reste est constitué de volontaires non classés. Ce sont, souvent, des ouvriers agricoles, des laboureurs et des cultivateurs 313 souhaitant chercher fortune ailleurs qu’à terre. Ils ne sont donc pas « enregistrés » comme des marins. Après quelques mois de campagne, ils obtiennent la qualification de matelots et sont alors classés. Lorsque les équipages sont capturés, les hommes peuvent avoir divers statuts correspondant à des traitements différents. 3.1. La situation des officiers prisonniers

Les officiers des bateaux corsaires bénéficient du statut de « prisonniers sur parole » 314. Ceux-ci s’engagent à ne pas tenter de s’évader et à respecter certaines conditions. Ils sont assignés à résidence dans des cautionnements*, c’est-à-dire des petits villages dans la région de Dartmoor et de Chatham, notamment. Ils ont l’autorisation de sortir pendant la journée mais sans s’éloigner de plus d’un mile du cautionnement. Ils doivent rentrer chaque soir 315. 312. Abbé Robidou, Les Derniers corsaires malouins, op. cit., p. 150. 313. Christian Jacob, « La conscription dans le canton de Paimpol », Les Carnets du Goëlo, Paimpol, SEHAG, mai 2008. 314. S’ils sont embarqués sur un bateau armé d’au moins une centaine d’hommes et de 14 canons, ce qui exclut la quasi-totalité des corsaires armés dans les ports du Goëlo. 315. François Le Pommelec, un Bréhatin devenu Binicais, fut ainsi, pendant 6 ans, prisonnier sur parole aux États-Unis.

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Ils pourvoient à leurs frais de nourriture et de logement et ils doivent porter en permanence la veste jaune marquée T.O. 316. Les infractions sont sanctionnées par le paiement d’une amende. L’indemnité, versée par les Anglais et perçue par ces officiers est d’environ 24 francs par mois. En 1814, ces prisonniers sur parole sont environ 5 000. Les officiers sont les principaux bénéficiaires du système qui prévoit la possibilité d’échange « homme pour homme » de même grade. Le bénéficiaire 317 s’engage à ne plus reprendre les armes contre l’Angleterre (pour les Français). Ce principe d’échange trouve rapidement ses limites dans la disproportion entre prisonniers français et anglais. La marine anglaise domine les mers et si Napoléon fait de nombreux prisonniers sur terre, ils ne sont pas tous Anglais. Or, un Espagnol ne vaut pas un Français en matière d’échange, du Fig. 20. Hôtel Mével. moins aux yeux des Anglais. Un prisonnier peut aussi être libéré contre rançon. Le corsaire, plutôt que d’essayer de ramener une prise en lieu sûr mais en prenant des risques, peut privilégier l’obtention d’une rançon. Dans ce cas, la possibilité de garder un personnage important pour l’armateur de la prise, tel qu’un officier, un fils ou un frère en otage, permet de s’assurer un bénéfice. L’affluence des prisonniers, français notamment, dépassant les capacités d’accueil anglaises et même écossaises et galloises, l’administration britannique utilise les « pontons », de sinistre mémoire, parfois appelés les « sépulcres flottants », tant les conditions de vie sont particulièrement dures et conduisent à un taux de mortalité important, de l’ordre de 3 à 4 % 318. Ces pontons — d’anciens 316. Pour Transport Office*. 317. Un autre bréhatin, le futur amiral Le Bozec est ainsi libéré et s’engage à ne pas combattre contre les Anglais pendant 6 ans, engagement qu’il respecta avant de reprendre les armes ! 318. Philippe Masson, Les Sépulcres flottants, op. cit., p. 115.

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bateaux désaffectés et transformés — sont mouillés dans des fonds de baie, à Plymouth et Portsmouth notamment. Ils sont débarrassés de leurs gréements. Des logements pour les gardiens et l’encadrement sont ajoutés sur le pont. 3.2. La vie sur les pontons

Les prisonniers vivent surtout dans l’entrepont où ils disposent d’environ 1,50 mètre de hauteur et d’une surface d’un mètre carré soit à peu près les conditions de vie sur les négriers*. Dans ce volume restreint, ils accrochent un hamac, muni de paille renouvelée de temps en temps. Même en tenant compte de l’évolution des critères d’hygiène en 200 ans, la dureté de la vie de ces hommes, qui ne reçoivent qu’une eau douteuse pour se laver, est aisément mesurable. L’alimentation laisse bien sûr beaucoup à désirer. Passons sur le choc gastronomique que représente la cuisine anglaise pour des Bretons. La quantité et la qualité de l’alimentation sont grandement insuffisantes. Les archives anglaises 319 du Public Record Office nous indiquent le menu type sur 5 jours alternant pain, bœuf, orge, oignons un jour, puis choux, navets, sel, un autre jour ou encore pain, hareng, pommes de terre, ou enfin pain morue, pommes de terre. 3.3. Les vêtements

À leur arrivée en captivité, les prisonniers reçoivent une veste, un gilet et un pantalon, le tout de couleur jaune et marqué du sigle du T.O. Ces vêtements se salissent, s’usent, et sont remplacés tous les 18 mois, fort souvent par des vêtements usagés. L’administration française considère qu’il appartient aux Anglais de vêtir leurs prisonniers 320. L’hiver approchant, ceux-ci se trouvent démunis et subissent, outre l’inconfort, les dégradations que l’on imagine sur leur santé. Les procès-verbaux de réception des prisonniers libérés à partir de la fin de la guerre et rapatriés à Morlaix sont éloquents sur l’état de décrépitude physique et mentale de ces

319. PRO A.D.M., 98/117. 320. Bonaparte, Premier consul, prend ainsi un décret dans ce sens, sans concertation et auquel les Anglais opposent une fin de non-recevoir.

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ANNEXES Annexe I. Acte de caution 188 Annexe II. Armement en course de L’Alerte 189 Annexe III. Analyse de rentabilité 190 Annexe IV. Armement en course de L’Éléonore 191 Annexe V. Vente de deux prises 192 Annexe VI. Compte rendu de M. Garangeau 193 Annexe VII. Traitement des prisonniers de guerre français 194 Annexe VIII. Les prisonniers de guerre britanniques à Verdun sous l’Empire 218 Annexe IX. Corsaires de Ploubazlanec et diverses communes voisines 227 Annexe X. Les armements corsaires de la région de Paimpol (an I-an XI) 230 Annexe XI. Évolution de Morlaix, Saint-Malo et du Goëlo (1688-1812) 232 Annexe XII. Actes d’engagement et extrait du rôle d’équipage de la quatrième course de L’Éléonore 233

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